[1] La Cour, statuant contre un jugement de la Cour supérieure (district de Montréal, l’honorable Claude Guérin, le 13 octobre 2000), qui rejette avec dépens la requête d’exception déclinatoire de l’appelante;
[2] Après étude, audition et délibéré;
[3] Pour les motifs exposés dans l’opinion du juge Beauregard, déposée avec le présent arrêt, auxquels souscrit le juge Chamberland:
[4] ACCUEILLE le pourvoi sans frais;
[5] ACCUEILLE la requête de l’appelante et REJETTE l’action de l’intimée, également sans frais.
[6] Pour les motifs énoncés à son opinion également déposée avec le présent arrêt, le juge Philippon aurait rejeté le pourvoi avec dépens.
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OPINION DU JUGE BEAUREGARD |
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[7] Je ne partage pas l'avis du juge Philippon.
[8] L'obligation de l'intimée était de fournir et d'installer de la machinerie à Memphis, Tennessee, U.S.A. Qu'à cette fin, l'intimée ait eu à fabriquer cette machinerie au Québec n'a pas de pertinence. L'obligation de l'intimée ne devait pas être exécutée en partie au Québec et en partie à Memphis, mais totalement à Memphis. La fourniture et l'installation de la machinerie ne devaient pas être faites en partie au Québec et en partie à Memphis, mais totalement à Memphis.
[9] D'autre part, le refus par Quebecor d'exécuter son obligation de payer à Memphis ne peut être tenu comme un fait dommageable survenu au Québec et le fait que Regenair, dont le siège social est au Québec, ne reçoit pas le paiement de sa créance, laquelle est payable à Memphis, ne fait pas qu'un préjudice a été subi au Québec.
[10]
Si Regenair avait raison, la compétence des tribunaux du
Québec serait automatique dans le cas où le demandeur est un résident du Québec
et les autres chefs de compétence visés à l'article
[11]
Il n'y a pas lieu d'interpréter d'une façon large l'article
3148 du fait de l'existence de l'article
[12] J'accueillerais le pourvoi et débouterais l'intimée de son action, mais, vu les circonstances, je ferais cela sans frais.
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________________________________ MARC BEAUREGARD J.C.A.
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OPINION DU JUGE PHILIPPON |
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[13]
L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour
supérieure qui refuse de rejeter l’action au motif d’absence d’un tribunal
compétent relevant de l’autorité législative du Québec ou, subsidiairement, de
décliner compétence en application de l’article
[14]
Le premier juge a tenu pour une affirmation non contestée que
le contrat entre les parties était intervenu à Ville LaSalle, district de
Montréal. Il a appliqué l’article
[15] En droit interne québécois, l’approche était adéquate mais en droit international privé, le lieu de la conclusion du contrat n’a plus la même importance pour l’établissement de la compétence internationale, même s’il demeure pertinent comme facteur de rattachement à considérer au moment de décider, à la demande d’une partie, de l’opportunité de décliner compétence selon l’article 3135 C.c.Q. [1]
[16] En l’espèce, les allégations de la requête soulevaient le caractère international de la compétence des autorités du Québec. On y trouve affirmés la création de l’appelante en vertu des lois du Tennessee et son siège social, donc son domicile, à Memphis.
[17] Dans un premier temps, il fallait déterminer si le litige était relatif à une situation internationale [2] ou à un événement transfontalier ou présentant un élément d’extranéité [3].
[18] S’agissant d’une action sur compte fondée sur un contrat de vente d’un système de récupération de rognures de papier installé et livré à l’usine de l’appelante située à Memphis, la question de la compétence internationale était inévitable.
[19] D’autre part, il s’imposait de suivre l’application des critères énoncés au Titre Troisième du Livre Dixième du Code civil du Québec (art. 3134 et ss.), particulièrement ceux qui traitent des actions personnelles à caractère patrimonial (art. 3148 et ss.), dont l’instance sous étude fait partie.
[20] Le professeur Glenn écrit :
[…] Ce faisant, [en établissant les critères] le Titre rompt avec la tradition de faire application, sur le plan international et par analogie, des dispositions du Code de procédure civile (art. 68-75) applicables en matière de compétence ratione personae sur le plan interne. Dorénavant la compétence internationale jouit d’un statut autonome quant à ces sources et à ces critères [4].
[21]
La distinction entre l’objet de l’article
[22] En l’espèce, il faut se demander si l’un des facteurs d’attribution de l’article 3148 3o C.c.Q. trouve application :
Art. 3148. Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants :
3o Une faute a été commise au Québec, un préjudice y a été subi, un fait dommageable s’y est produit ou l’une des obligations découlant d’un contrat devait y être exécutée.
Obligation exécutable au Québec
[23] L’obligation centrale du contrat est décrite au document de soumission :
Supply and install at your plant in Memphis a paper waste handling system with a capacity of 450000 cfm, with an automated two grade seperation (sic) into three seperate (sic) chutes. This system includes :…
(La liste des groupes composant le système suit mais n’est pas nécessaire ici).
[24] Il ne paraît pas douteux que l’intimée devait, sinon fabriquer l’ensemble du système, au moins exécuter en partie au Québec l’obligation de se procurer et d’assembler les éléments nécessaires à monter le système qui devait par la suite être transporté et installé à Memphis.
[25] Puisqu’il suffit que l’une des obligations du contrat doive être exécutée au Québec [6], l’un des facteurs de l’article 3148 3o trouve application, le dossier permettant de conclure à l’exécution au Québec de l’une au moins des obligations découlant du contrat.
Le préjudice au Québec
[26]
Une fois établi qu’à défaut de détermination au contrat, le
paiement, quérable en vertu de l’article
[27]
L’appelante reconnaît un certain courant de jurisprudence qui
assimile les effets du non-paiement, l’appauvrissement, au préjudice au sens
des articles
[28]
Selon l’appelante, si ce raisonnement devait prévaloir, la
compétence des tribunaux du Québec serait automatique dans tous les cas où un
solde est réclamé par un demandeur québécois et les autres chefs de compétence
prévus à l’article
[29] Les trois décisions citées sur ce point sont de la Cour supérieure et vont toutes dans le même sens : le non-paiement à l’extérieur du Québec n’empêche pas le préjudice d’avoir lieu au Québec, à l’endroit de la créance et du patrimoine [7].
[30] Selon le texte de l’article 3148 3o C.c.Q., les critères attributifs de compétence sont nombreux, distincts et autonomes les uns les autres. L’existence de l’un d’entre eux suffit.
[31] La notion de préjudice s’attache intrinsèquement au patrimoine. En l’espèce, il s’agit du patrimoine de l’intimée affectée par le défaut de paiement auquel elle aurait droit. Cette atteinte est subie au lieu du domicile de l’intimée, à Ste-Rose, Ville de Laval.
[32] Une telle application de la notion de préjudice peut entraîner la reconnaissance d’une compétence qui s’avère exorbitante. Si tel est le cas, c’est au stade de l’application de la doctrine du forum non conveniens que le problème doit être abordé, comme dans le cas où, par analogie, selon les auteurs Goldstein et Groffier [8], une obligation accessoire d’une valeur minime pourrait fonder la compétence.
[33] Il faut donc, dans un premier temps, reconnaissant le statut juridique distinct de l’appelante, même si elle est une filiale d’une compagnie québécoise et qu’elle fut créée au Tennessee avec domicile à Memphis, constater la situation internationale d’un recours par l’intimée relié à la fourniture, la livraison et l’installation aux États-Unis d’un système de traitement des rognures de papier.
[34] Par la suite, il faut donner compétence à la Cour supérieure saisie de l’affaire en vertu de deux facteurs d’attribution prévus par l’article 3148 3o C.c.Q., soit l’exécution au Québec d’au moins une obligation découlant du contrat et le préjudice conséquent au non-paiement allégué.
Forum non conveniens
[35]
Selon l’article
[…]
3) le lieu de formation et d’exécution du contrat qui donne lieu à la demande;
4) l’existence et le contenu d’une autre action intentée à l’étranger et le progrès déjà effectué dans la poursuite de cette action;
5) la situation des biens appartenant au défendeur;
6) la loi applicable au litige;
7) l’avantage dont jouit la demanderesse dans le for choisi;
8) l’intérêt de la justice;
9) l’intérêt des deux parties;
10) nécessité éventuelle d’une procédure en exemplification à l’étranger. [10]
[36] Le fait que l’appelante, mécontente du système installé à son établissement de Memphis, veuille faire valoir ses droits aux États-Unis au moyen d’un autre recours n’est pas déterminant en faveur du refus de compétence. Il importe notamment de considérer en l’espèce que, parmi les principaux témoins à entendre, il y en aura de Montréal, d’Ontario et de la Virginie, et qu’une partie du contrat, au moins celle qui concerne un addendum de 30 000 $ a été conclue à Ville LaSalle.
[37] Dans Oppenheim, notre Cour a écrit :
Aucun de ces critères n’est déterminant en soi, il faut plutôt les évaluer globalement et garder à l’esprit que le résultat de leur application doit désigner de façon claire un forum unique. Donc, s’il ne se dégage pas une impression nette tendant vers un seul et même forum étranger, le tribunal devrait alors refuser de décliner compétence particulièrement lorsque les facteurs de rattachement sont contestables. [11]
[…]
[38] Cette impression nette ne se dégage pas en l’espèce.
[39] Pour ces motifs, je propose le rejet de l’appel avec dépens.
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________________________________ JACQUES PHILIPPON J.C.A. (AD HOC)
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[1] G. Golstein et E. Groffier, «Traité de droit civil - Droit international privé», (1998), Les Éditions Yvon Blais Inc., Tome I - Théorie générale, Titre II - Les Conflits de Juridictions et d’Autorités, p. 358.
[2] Ibid., p. 298.
[3] «Textes réunis par la Barreau du Québec et la Chambre des Notaires - La Réforme du Code civil», (1993) Les Presses de l’Université Laval, Tome 3; H. Patrick Glenn, «Droit international privé», p. 45; J.A. Talpis et J.-G. Castel,«Le Code civil du Québec : Interprétation des règles du droit international privé», pp. 801 à 934, aux pp. 875 à 878, 900 à 911 et, en particulier, les pages 900 à 902 et 907-908.
[4] Op. cit., p. 743.
[5] Roland
Bérubé et autres c. Corporation Bomac,
[6] Op. cit., notes 1 et 3, p. 358.
[7] MNC
Consultants multi-national Inc. c. Dover
Corporation,
[8] Op. cit., note 1, p. 359.
[9] Spar
Aerospace Ltd. c. American Mobile
Satellite,
[10] C.A.
(Montréal) 500-09-006253-983, opinion du juge Pidgeon, p. 7;
[11] Supra, note 8; opinion du juge Pidgeon, p. 7.