Juneau c. Cotnoir | 2022 QCTAL 16766 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||
Bureau de Rouyn-Noranda | ||||
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No dossier: | 588422 12 20210916 F | No demande: | 3343631 | |
RN :
| 3364735
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Date : | 12 juin 2022 | |||
Devant le greffier spécial : | Me William Durand | |||
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Amélie Juneau
Annie Tremblay | ||||
Locatrices - Partie demanderesse | ||||
c. | ||||
Carmen Cotnoir | ||||
Locataire - Partie défenderesse | ||||
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DÉCISION
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[1] Les locatrices ont produit une demande de fixation de loyer conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec et de remboursement des frais.
[2] Les parties sont liées par un bail à durée indéterminée, à un loyer mensuel de 392,00 $.
[3] Les locatrices ont produit le formulaire de renseignements nécessaires à la fixation du loyer, ainsi que les pièces justificatives et les factures au soutien de ces renseignements, sauf en ce qui concerne la taxe d’eau de 2021.
[4] À cette fin, lors de l’audience, le Tribunal a autorisé[1] les locatrices à lui transmettre, au plus tard le 1er avril 2022, le document susmentionné, le tout tel qu’il appert au formulaire d’autorisation de produire un document déposé au dossier.
[5] Les locatrices ont transmis le document tel que stipulé à l’autorisation de produire un document. Une taxe d’eau au montant de 1 101 $ est donc ajoutée aux taxes foncières de 2020 et une taxe d’eau de 288 $ est ajoutée aux taxes foncières de 2021 pour les fins du calcul de fixation.[2]
[6] Après calcul, l’ajustement du loyer permis en vertu du Règlement sur les critères de fixation de loyer[3] est de (0,83 $) par mois, s’établissant comme suit :
Taxes municipales et scolaires | (11,98 $) |
Assurances | 7,38 $ |
Gaz | 0,00 $ |
Électricité | (0,03 $) |
Mazout | 0,00 $ |
Frais d’entretien | 0,12 $ |
Frais de services | 0,00 $ |
Frais de gestion | 0,24 $ |
Réparations majeures, améliorations majeures, mise en place d’un nouveau service |
1,89 $ |
Ajustement du revenu net | 1,55 $ |
TOTAL |
(0,83 $) |
[7] Finalement, en ce qui concerne les frais de la demande, comme le souligne la greffière spéciale Me Isabelle Hébert[4], la jurisprudence est très claire à ce sujet :
[27] Tel que rappelé par le Bureau de révision dans la décision A. Rossi buildings c. Bradley[5] et plus récemment dans Capital Augusta Inc. c. Faye[6], contrairement aux dossiers civils où le tribunal condamne généralement la partie perdante au paiement des frais, le principe applicable en matière de fixation de loyer veut que le locateur assume les frais entourant sa demande de fixation.
[28] Lorsque le locateur demande au tribunal de renverser cette règle et de condamner le locataire au remboursement des frais, celui-ci doit non seulement obtenir un ajustement de loyer égal ou supérieur au montant demandé dans l’avis de modification mais aussi démontrer que le locataire a usé de son droit de refus de manière déraisonnable.
[29] Ainsi, un locataire qui disposait des renseignements pertinents au calcul de l’augmentation lui permettant de prendre une décision éclairée relativement à la proposition d’augmentation ou qui aurait refusé systématiquement toute négociation ou discussion avec le locateur pourrait être condamné à rembourser au locateur les frais payés par ce dernier pour l’introduction de la demande de même que certains coûts associés à sa signification.
[8] Dans la présente instance, il n’y a pas lieu de condamner la locataire au remboursement des frais, puisque l’augmentation initiale de 15,00 $ demandée par les locatrices est plus élevée que l’ajustement de loyer accordé par le Tribunal en vertu du Règlement.
AJUSTEMENT NÉGATIF
[9] Le Tribunal peut-il accorder un ajustement négatif du loyer?
[10] Si cette question souffrait auparavant d’ambiguïté, elle a récemment fait l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure qui est venue clarifier la chose.
[11] Dans sa décision[5], l’honorable Anne Jacob précise que la diminution du loyer à la suite d’un calcul de fixation respecte la règle audi alteram partem et n’équivaut pas à se prononcer ultra petita ni ultra vires.
[12] La juge Jacob s’exprime ainsi concernant le caractère possiblement ultra petita de la décision de diminuer le loyer suivant le calcul fait :
[140] Le Règlement ne spécifie pas que le tribunal (la Régie), dans le cadre d’une demande de fixation ou de réajustement, ne devra modifier le loyer qu’à la hausse.
[141] En vertu du Règlement, les taxes municipale et scolaire ainsi que les assurances constituent des dépenses d’exploitation par opposition aux dépenses d’immobilisation liées aux réparations et améliorations majeures effectuées par un locateur à un immeuble ou à un logement spécifique.
(…)
[146] L’unique question était donc celle de la fixation du loyer (1947 et 1953 C.c.Q.) sur la base des critères énoncés à l’article 3 du Règlement.
[147] Ceux-ci s’évaluent sur la base de deux (2) méthodes.
[148] Les taxes municipales et scolaires et les primes d’assurance sont évaluées selon la variation entre deux (2) années de référence.
[149] Les frais d’énergie, les frais d’entretien, les frais de services, les frais de gestion, le revenu net et les dépenses d’immobilisation (améliorations et réparations majeures à l’immeuble et au logement) sont tous évalués sur la base de pourcentages.
[150] L’Annexe 1 du Règlement est modifiée chaque année pour indexer les divers pourcentages applicables.
[151] L’étude des dernières versions démontre que ces taux sont variables et parfois négatifs faisant en sorte que certains calculs finaux peuvent se révéler négatifs.
[152] Le calcul mathématique s’effectue sur la base des pièces justificatives.
[153] Les juges administratifs concluent leur analyse (DRL-2) en ces termes :
[44] Quant à savoir s’il est illogique de fixer un loyer à la baisse, comme l’a fait la greffière spéciale, le tribunal tient à réitérer qu’elle a simplement respecté la lettre de la Loi, donc le strict calcul de l’application du Règlement.
[45] Notons que cette méthode de calcul du loyer, appliquée à tous depuis 40 ans, de même que ses conséquences, résultent d’un choix du législateur dans un objectif ultime de maintien dans les lieux du locataire et de lutte contre la lésion.
[154] En l’espèce, rien ne justifiait les juges administratifs en révision d’intervenir puisque l’interprétation des dispositions liées à une demande de fixation de loyer n’est pas déraisonnable en ce que les termes utilisés par le législateur à l’article 1953 C.c.Q. (détermine le loyer) et à l’article 3 du Règlement (modifie le loyer) sont neutres.
[13] La juge Jacob poursuit :
[161] Les locateurs ajoutent que la décision initiale était contraire à leur attente légitime et déraisonnable en ce qu’elle ne faisait pas partie des issues possibles.
[162] Cet argument n’est pas valable.
[163] D’abord, il importe de souligner que l’issue était prévisible en ce qu’un locateur qui effectue correctement le calcul de fixation du loyer avec la grille du formulaire disponible à la Régie ou avec l’outil informatisé du site internet de la Régie est en mesure de prévoir l’issue d’une éventuelle demande en fixation de loyer.
[164] S’il obtient, entre sa demande de fixation de loyer et l’audition devant la Régie, des pièces justificatives démontrant une réduction des taxes ou des assurances, lesquelles dépenses d’exploitation sont régulièrement parmi les plus élevées, il lui est loisible de se désister de sa demande sans que le locataire puisse requérir la fixation.
[14] Finalement, concernant le caractère potentiellement ultra vires de la décision, la juge Jacob termine ainsi :
[172] L’avocate de la Régie plaide que la greffière spéciale Me Croteau n’a pas procédé à une réduction ou à une diminution du loyer.
[173] Elle n’a que procédé à un exercice de régulation économique imposé par le législateur à l’article 3 du Règlement en vertu du pouvoir conféré par l’article 28 de la Loi sur la Régie du logement et les articles 1947 et 1953 C.c.Q. de déterminer le loyer exigible.
[174] Le législateur ne prohibe nulle part une fixation négative ou à la baisse en vertu du Règlement.
[175] Les locateurs soulèvent qu’un tel pouvoir restreint la liberté contractuelle entre les locateurs et les locataires.
[176] Or, le législateur a effectivement fait le choix depuis 1951 d’imposer en matière de bail résidentiel des dispositions législatives et règlementaires de protection à l’égard des locataires lesquelles sont incidemment d’ordre public depuis le 1er janvier 1974.
[15] En tout respect pour l’opinion contraire, le soussigné est d’avis que comme la conclusion recherchée à la demande des locatrices est « de fixer le loyer mensuel selon les critères de fixation établis par Règlement », le soussigné se voit contraint d’appliquer le calcul prévu au Règlement sur les critères de fixation de loyer, selon la preuve recueillie et les chiffres inscrits au formulaire RN des locatrices. Que le résultat soit négatif ou positif ne change en rien l’interprétation de la demande faite, puisque les critères de fixation de loyer permettent eux-mêmes un tel résultat.
[16] CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;
[17] CONSIDÉRANT qu’un ajustement mensuel de (0,83 $) est justifié;
[18] CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant la condamnation de la locataire au paiement des frais introductifs de la demande;
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[19] FIXE le loyer, après arrondissement au dollar le plus près, à 391,00 $ par mois à compter du 1er octobre 2021.
[20] Les autres conditions du bail demeurent inchangées, dont la durée du bail qui est toujours indéterminée.
[21] Les locatrices assument les frais de la demande.
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Me William Durand, greffier spécial | ||
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Présence(s) : | les locatrices la locataire | ||
Date de l’audience : | 22 mars 2022 | ||
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[1] Art. 37, Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, chapitre T-15.01, r. 5é
[2] Art. 3, Règlement sur les critères de fixation de loyer, RLRQ, c. T-15.01, r. 2.; Fiducie Ernest Labelle c. Larivière, 2013 CanLII 131602 (QC RDL).
[3] RLRQ, c. T-15.01, r. 2.
[4] Warren c. Lamothe, 2013 CanLII 132138 (QC RDL).
[5] Soly c. Tribunal administratif du logement, 2021 QCCS 4617 (CanLII).
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