Décision

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Casavant c. R.

2025 QCCA 20

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

SIÈGE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-10-007705-211, 500-10-700054-230

(750-01-057814-202)

 

DATE :

 10 janvier 2025

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

JUDITH HARVIE, J.C.A.

 

 

CHRISTOPHER CASAVANT

APPELANT – accusé

c.

 

SA MAJESTÉ LE ROI

INTIMÉ – poursuivant

 

 

ARRÊT

 

 

MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée en première instance, en vertu de l’article 486.4 C.cr. afin d’interdire la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin.

 

  1.                 L’appelant porte en appel le jugement rendu le 3 novembre 2021 par le juge Denys Noël de la Cour du Québec, district de Saint-Hyacinthe, qui le déclare coupable d’avoir commis une agression sexuelle.
  2.                 Il demande également l’autorisation de porter en appel la peine de 18 mois d’emprisonnement, suivie d’une ordonnance de probation d’une durée de 24 mois, que lui a infligé le juge.


  1.                 Pour les motifs du juge Vauclair, auxquels souscrivent les juges Sansfaçon et Harvie, LA COUR :
  2.                 ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel de la culpabilité déférée;
  3.                 REJETTE l’appel du jugement de culpabilité;
  4.                 ACCUEILLE la requête en autorisation d’appel de la peine;
  5.                 SUBSTITUE à la peine infligée par le juge, une peine de 18 mois d’emprisonnement avec sursis à être purgée dans la collectivité, assortie des conditions suivantes :
  1.      Ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite;
  2.      Répondre aux convocations du tribunal;
  3.      Se présenter à l’agent de surveillance au plus tard le 14 janvier 2025, 16 h, et par la suite, selon les modalités de temps et de forme fixées par l’agent de surveillance.
  4.      Rester dans la province de Québec, sauf permission écrite d’en sortir donnée par le tribunal ou par l’agent de surveillance;
  5.      Prévenir sans délai l’agent de surveillance de ses changements d’adresse ou de nom et l’aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation;
  6.      Résider au [...], Saint-Théodore-d’Acton, Québec, [...];
  7.      S’assurer que sa résidence est desservie par un service de ligne téléphonique fixe sans service de transfert automatique d’appel, ou en faire faire l’installation dans les 10 jours du présent arrêt, maintenir ce service pendant la durée de l’ordonnance, en communiquer sans délai le numéro à l’agent de surveillance, répondre à tous les appels téléphoniques provenant de l’agent de surveillance et prendre les dispositions nécessaires pour être en mesure de le faire;
  8.      Aviser l’agent de surveillance avant tout changement du numéro de téléphone de cette ligne fixe;
  9.      S’abstenir de communiquer, directement ou indirectement, avec la victime, M… L… ou de se trouver dans un rayon de 300 mètres de la victime ou d’un lieu où elle se trouve;
  10. Ne pas faire référence directement ou indirectement à M… L… sur les médias sociaux de l’Internet;
  11. Exécuter 150 heures de travaux communautaires dans les 14 premiers mois de la peine, selon les modalités de temps et de forme fixées par l’agent de surveillance;
  12. Participer à des séances de sensibilisation sur les comportements sexuels inadéquats selon les modalités de temps et de forme fixées par l’agent de surveillance;
  13. Pour les 10 premiers mois de l’ordonnance, être à sa résidence en tout temps, sauf pour les exceptions suivantes après en avoir dûment informé au préalable l’agent de surveillance :
    1. Pour son emploi rémunéré;
    2. Pour un rendez-vous avec son agent de surveillance;
    3. Pour accomplir les conditions 11 et 12;
    4. Pour la pratique de sa religion dans un lieu de culte;
    5. Pour se présenter au tribunal à titre de témoin ou de partie à un litige ou si convoqué par un tribunal et, sur demande de son agent de surveillance, lui en fournir la preuve sans délai;
    6. Pour un rendez-vous médical pour lui-même ou un membre de sa famille et, dans tous les cas, en fournir la preuve sans délai sur demande de son agent de surveillance;
    7. Pour tout autre motif sérieux avec l’autorisation écrite préalable de l’agent de surveillance qui peut en déterminer par écrit les modalités;
  14. Pour les huit derniers mois de l’ordonnance, être à sa résidence entre 22 h et 6 h, sauf pour les dates suivantes : les 24, 25 et 31 décembre 2025 et le 1er janvier 2026, ainsi que les exceptions prévues aux conditions 13.1, 13.6 et 13.7.
  1.                 ORDONNE que l’appelant souscrive à une ordonnance de probation, sans surveillance, pour une durée de 12 mois, assortie des conditions suivantes :
  1. Ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite;
  2. Répondre aux convocations du tribunal;
  3. Prévenir le tribunal de ses changements d’adresse ou de nom et de les aviser rapidement de ses changements d’emploi ou d’occupation;
  4. S’abstenir de communiquer, directement ou indirectement, avec la victime, M… L…, ou de se trouver dans un rayon de 300 mètres de la victime ou d’un lieu où elle se trouve;
  5. Ne pas faire référence directement ou indirectement à M… L… sur les médias sociaux de l’Internet.
  1.                 INFORME l’appelant que certaines conditions de l’ordonnance :
    1. d’emprisonnement dans la collectivité peuvent faire l’objet de modifications selon les modalités prévues à l’article 742.4 C.cr. et que tout manquement aux conditions de l’ordonnance peut faire l’objet de mesures prévues à l’article 742.6 C.cr.;
    2.  de probation peuvent faire l'objet de modifications selon les modalités prévues à l'article 732.2(3) C.cr. et que tout manquement aux conditions de l'ordonnance peut faire l'objet d’une accusation prévue à l'article 733.1 C.cr.;
  2.            ORDONNE à l’appelant de se présenter au plus tard le 14 janvier 2025, 16 h, au greffe de la Cour du Québec du Palais de justice de St-Hyacinthe, afin de recevoir les explications requises (art. 731.1(5) et 742.1(3) C.cr.), de signer les ordonnances et s’en faire remettre copie;
  3.            ANNULE l’ordonnance prononcée par le juge en vertu de l’article 743.21 C.cr., qui n’a plus d’objet.
  4.            MAINTIENT les ordonnances prononcées par le juge en vertu des articles 109, 485.051, 490.013(2)b) et 737(2)b) du Code criminel.
  5.            MAINTIENT les autres ordonnances prononcées par le juge de première instance.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

JUDITH HARVIE, J.C.A.

 

Me Elizabeth Croteau

BERNIER FOURNIER

Pour l’appelant

 

Me Richard Audet

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

14 février 2024


 

MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR

 

  1.            L’appelant a été déclaré coupable d’avoir commis une agression sexuelle et il a reçu une peine d’emprisonnement. Il souhaite que la Cour intervienne et annule la déclaration de culpabilité ou qu’elle modifie sa peine.
  2.            Dans les motifs qui suivent, je propose à la Cour de rejeter l’appel sur la déclaration de culpabilité, mais d’accueillir la requête en autorisation d’appel de la peine et d’accueillir l’appel de la peine infligée par le juge pour lui substituer une peine d’emprisonnement dans la collectivité.

L’appel de la déclaration de culpabilité

Le contexte

  1.            L’agression est survenue à l’occasion d’une fête réunissant plusieurs jeunes adultes, pour la plupart âgés entre 18 et 20 ans. L’appelant et la plaignante étaient âgés de 19 ans.
  2.            De l’alcool est allégrement consommé au cours de la soirée qui se déroulait à l’appartement de l’appelant et de son colocataire, Alexis Cusson (ci-après « Cusson »). Parmi les amis présents, Kevin Gervais-Bélair (ci-après « Gervais-Bélair ») et Xavier Norris (ci-après « Norris ») n’avaient pas consommé d’alcool.
  3.            Au procès, Gervais-Bélair a témoigné et il a décrit au juge l’ivresse généralisée chez les personnes présentes, notamment l’appelant et la plaignante. Il a quitté la fête vers minuit avec Norris qui n’a pas témoigné.
  4.            La conjointe du colocataire Cusson, Janie Coulombe (ci-après « Coulombe »), avait invité la plaignante à se joindre au groupe même si cette dernière connaissait peu les personnes présentes. Il était aussi prévu qu’elle dorme sur le divan une fois la soirée terminée.
  5.            Lorsque Coulombe et Cusson sont allés dormir dans une chambre, l’appelant et la plaignante se sont retrouvés sur le divan. L’appelant lui a offert de dormir dans son lit, et qu’il dormirait, lui, sur le divan. Elle a interprété cette offre comme un acte de gentillesse. La plaignante a témoigné qu’elle se sentait alors légèrement affectée par l’alcool.
  6.            L’appelant a éventuellement rejoint la plaignante dans son lit. Il a écouté la chaîne Netflix sur un appareil à ses côtés. La raison pour laquelle il s’est retrouvé dans le lit varie selon les versions, mais tant la plaignante que l’appelant confirment qu’il n’y avait eu aucune tentative de séduction préalable de quelque nature.
  7.            Selon la plaignante, alors qu’elle était couchée, l’appelant est entré dans la chambre et lui a demandé s’il pouvait regarder une série télévisée à ses côtés. Ils ont discuté un peu, puis elle s’est endormie. L’appelant a témoigné qu’il était entré dans la chambre pour récupérer une couverture et que la plaignante l’avait invité à regarder un film dans le lit. Il avait accepté, dit-il, pour être gentil. Puis, il s’est endormi.
  8.            Selon la plaignante, ce sont les attouchements de l’appelant qui l’ont réveillée. Elle a senti la main de l’appelant sur ses cuisses et ses fesses. Elle a figé. La main est passée sous ses cuissards et des doigts flattaient son entrejambe, puis sa vulve et son clitoris. L’appelant l’a pénétrée avec son doigt avant de la pénétrer avec son pénis. Au bout de 10 à 15 « mouvements de va-et-vient », elle a bougé et il s’est arrêté net. Il s’est levé pour aller aux toilettes. À son retour, elle lui a adressé la parole afin de lui donner l’occasion de s’excuser, mais en vain. Elle s’est levée pour aller dormir sur le divan, là où l’appelant dit l’avoir vue à son réveil, le lendemain.
  9.            Lorsque la plaignante s’est réveillée, elle a parlé de l’incident à Coulombe, qui en a parlé à Cusson, lequel a confronté l’appelant. L’appelant a nié tout geste d’agression et il s’est recouché.
  10.            À ce moment, la plaignante avait quitté l’appartement, mais avait oublié son portefeuille. Elle est revenue plus tard pour le récupérer. Toutefois, elle était accompagnée de son conjoint et d’autres hommes. L’appelant a expliqué que, toujours couché dans sa chambre, le groupe l’a réveillé. Quatre hommes masqués tenant des armes blanches l’ont menacé en lien avec l’agression. Il a encore nié toute agression. Dans son témoignage, la plaignante a expliqué que ces individus n’ont fait qu’interpeller l’appelant en raison de l’agression qu’il avait commise.
  11.            À titre de victime, l’appelant a porté plainte à la police et, le 21 mars 2020, il a fait une déclaration concernant les menaces reçues. Le 22 mars, il est rencontré par les policiers, cette fois à titre de suspect pour une agression sexuelle.

Le procès et le jugement

  1.            Le procès a commencé les 26 et 27 janvier 2021 devant un juge qui n’a pu le compléter. Le 2 novembre 2021, le juge Noël l’a repris. L’appelant a accepté qu’y soit versée la preuve déjà administrée, dont la transcription des témoignages entendus en janvier devant le premier juge, soit les témoins Coulombe, Gervais-Bélair et la plaignante, dont le contre-interrogatoire n’était pas terminé. Devant le juge Noël, le 2 novembre, il a été complété et l’appelant a témoigné. Le même jour, les parties ont plaidé. Le juge a rendu sa décision oralement le lendemain.

La décision

  1.            Le juge n’accorde aucune crédibilité ni fiabilité au témoignage de l’appelant. Il souligne que des témoins ont rapporté que l’appelant avait prétendu être si intoxiqué qu’il aurait été dans l’incapacité d’agresser sexuellement la plaignante. Dans sa déclaration extrajudiciaire à la police, l’appelant avait aussi expliqué qu’il avait eu un black-out lors de la soirée. Or, au procès, il a nié cet état d’intoxication, expliquant plutôt qu’il s’était simplement endormi. S’il a accepté que l’appelant était intoxiqué lors de la soirée, le juge a conclu qu’il a tenté au procès de minimiser sa réelle intoxication, ce qui a affecté la fiabilité de son récit et sa crédibilité. Par ailleurs, le juge a cru la plaignante malgré des faiblesses qui, selon lui, étaient sans conséquence sur le cœur du récit et de l’agression.

Les moyens d’appel et l’analyse

  1.            En appel, l’appelant développe son argumentaire en quatre volets. D’abord, l’appelant concentre ses attaques sur les conclusions du juge concernant son état d’intoxication, les estimant plus sévères à son égard en raison d’un examen inégal de la preuve et il reproche au juge d’avoir minimiser cet état. Puis, il avance que le juge n’a pu évaluer correctement le témoignage de la plaignante en raison d’une transcription de piètre qualité, truffée de passages incomplets, ce qui crée une iniquité évidente. Ensuite, le juge aurait appliqué le fardeau de la prépondérance de preuve en comparant les versions de la défense et de la poursuite. Enfin, il avance que la déclaration de culpabilité est déraisonnable parce que « le juge ne pouvait faire autrement que de conclure que la preuve de la poursuite, notamment en raison des contradictions, des imprécisions, des éléments disculpatoires, ne remplissait pas le fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable ».
  2.            L’intimé répond globalement que les conclusions du juge sont appuyées sur la preuve, notamment l’état véritable de l’appelant et les contradictions affectant son témoignage. L’appelant a tort d’affirmer que le témoignage de la plaignante comporte des faiblesses importantes. Sa mémoire sur la teneur ou le nombre de discussions avec son conjoint après les événements est plutôt secondaire, tout comme le fait qu’elle n’ait pas mentionné l’oubli de son portefeuille dans sa déclaration à la police, qui explique uniquement son retour sur les lieux. L’intimé s’affaire ensuite à relever tous les éléments de preuve au soutien de la déclaration de culpabilité.
  3.            Pour les motifs qui suivent, tous les moyens doivent être rejetés.
  4.            Essentiellement, le juge était confronté à des récits relatés par des témoins intoxiqués à des degrés variables, sauf pour Gervais-Bélair, qui apporte peu à la résolution des questions importantes. Il appartenait au juge d’évaluer cette preuve. Je suis d’accord avec la position du ministère public qui affirme que le juge tire des conclusions de l’ensemble de la preuve. Les faiblesses du récit de l’appelant sont réelles et trouvent leurs sources dans des contradictions avec ses déclarations antérieures et avec des témoins, ainsi que dans son propre témoignage. Le juge n’ignore pas l’état d’intoxication de la plaignante, mais la preuve à cet égard autorisait le juge à conclure que cette intoxication n’était pas aussi importante que celle de l’appelant. Que le juge ait alors apprécié différemment l’impact de cette preuve sur la fiabilité des récits n’est pas une erreur. L’appelant reproche à la plaignante plusieurs imprécisions, mais l’argument découle essentiellement de son postulat erroné qu’un souvenir de chaque minute vécue est attendu. Contrairement à ce qu’il tente de faire valoir, les failles du témoignage de la plaignante ont été évaluées.
  5.            Par ailleurs, il y a lieu de rejeter sommairement le moyen portant sur le caractère incomplet des notes versées au procès en raison de nombreux passages inaudibles et non transcrits. Depuis l’arrêt J.D., le dépôt des transcriptions constitue une admission formelle que le juge n’a pas à contre-vérifier : R. c. J.D., 2022 CSC 15, par. 28. L’appelant ne démontre pas que les passages omis causent un préjudice à la compréhension du récit. En outre, la plaignante n’avait pas terminé son témoignage et l’appelant pouvait, en contre-interrogatoire, éclaircir tout élément qu’il jugeait problématique. Son silence est un indicateur de l’absence de préjudice.
  6.            Quant à la conclusion de culpabilité qui serait déraisonnable, la preuve permettait à un juge de conclure à la preuve de tous les éléments de l’infraction et donc à la culpabilité de l’appelant. Le jugement ne contient rien de déraisonnable au sens des arrêts R. c. Beaudry, [2007] 1 R.C.S. 190 et R. c. Sinclair, [2011] 3 R.C.S. 3. Il n’y a pas lieu d’élaborer davantage sur ce moyen.

Conclusion sur la déclaration de culpabilité

  1.            Je suggère à la Cour de rejeter l’appel de la déclaration de culpabilité.

L’appel de la peine

  1.            L’appelant présente une requête pour obtenir l’autorisation d’appeler de la peine. Je suis d’avis de l’accueillir.
  2.            L’audition sur la peine s’est déroulée en deux temps, soit les 20 septembre et 23 novembre 2022. Alors qu’elle s’amorçait, l’emprisonnement dans la collectivité n’était pas une peine autorisée par le Code criminel pour cette infraction. Une modification est entrée en vigueur le 17 novembre 2022 et la loi permet dorénavant cette modalité de l’emprisonnement : voir notamment R. c. Lajoie, 2023 QCCA 1595, par. 55.

Le contexte

  1.            L’appelant a brièvement témoigné à l’audience sur la détermination de la peine, mais la transcription n’est pas au dossier. Le juge retient qu’il a diminué sa consommation d’alcool depuis l’événement, qu’il vit maintenant avec sa conjointe et qu’il sera bientôt père. L’appelant s’engageait à respecter toutes les conditions d’un sursis et il était disposé à déménager chez ses parents durant cette période, le cas échéant.
  2.            Un rapport présentenciel a été déposé. Comme l’a constaté le juge, ce rapport est positif. L’appelant a grandi dans une famille qui prône des valeurs prosociales. Son parcours scolaire est caractérisé par des difficultés, dont des problématiques de dyslexie et de concentration. Il travaille depuis l’adolescence et il occupe un emploi à temps plein depuis trois ans. Il ne consomme pas de stupéfiants. Il nie une problématique avec l’alcool, même s’il admet en abuser à l’occasion. Il n’a pas d’antécédents judiciaires. Le rapport souligne que l’appelant profiterait d’une intervention structurée pour comprendre la notion de consentement. Toutefois, il nie toujours les faits.
  3.            La plaignante n’a pas témoigné et aucune déclaration de la victime n’a été déposée pour éclairer le juge sur les conséquences particulières de la victimisation.
  4.            Au juge, l’appelant a suggéré une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et le ministère public a plaidé pour une peine d’emprisonnement d’une durée de 15 à 18 mois. Le juge a prononcé une peine d’emprisonnement de 18 mois.

Le jugement

  1.            Le juge reconnaît que l’emprisonnement avec sursis permet d’atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion, mais pas dans le cas de l’appelant. Après avoir souligné que l’agression sexuelle est une infraction grave, il retient les facteurs aggravants suivants :

[30] Quant à la gravité subjective, il s’agit d’évaluer les circonstances du crime. Je retiens comme aggravants, la vulnérabilité de la victime, l’abus de la position de confiance qu’a réussi à établir l’accusé en incitant la victime à dormir dans son lit, la pénétration vaginale complète, l’absence de protection lors de la relation, les séquelles psychologiques de la victime même si aucune preuve n’a été présentée à cet effet, je suis d’avis qu’elles existent tel [que] le mentionne la jurisprudence en cette matière. Après l’agression, la victime s’est présentée chez l’accusé avec un groupe de personne, dont son copain, et ils ont menacé l’accusé pour finalement être eux-mêmes accusés. Tout ceci découle des gestes de l’accusé à l’égard de la victime provoquant une réaction chez cette dernière.

[Je souligne.]

  1.            Le juge pondère ensuite les facteurs énoncés dans l’arrêt R. c. L.(J.J.), 1998 CanLII 12722 (C.A.). Puisque la décision d’instance n’est pas publiée, je crois utile de la citer au long :

[32] Les facteurs d’évaluation sont les suivants sans être exclusifs :

La nature et la gravité intrinsèque des infractions se traduisant, notamment, par l’usage de menaces, violence, contrainte psychologique et manipulation

[33] Il n’y a pas eu de menaces, mais une manipulation de la victime. Il a réussi à obtenir son accord pour dormir dans la chambre alors qu’elle avait prévu dormir sur le sofa. Isolée dans la chambre, elle est davantage vulnérable puisqu’au salon les autres occupants du logement auraient plus facilement se rendre compte de comportements inappropriés. Sans conclure qu’il y a une forme de planification ou préméditation, l’accusé a facilité une opportunité d’abus à l’abri des regards. Une pénétration complète est un acte de violence grave affectant l’intimité de la victime.

La fréquence des infractions et l’espace temporel qui les contient

[34] Il n’y a qu’un seul événement d’une durée brève. On est loin d’une situation d’abus pendant des années et à répétition.

L’abus de confiance et l’abus d’autorité caractérisant les relations du délinquant avec la victime

[35] Il y a eu un abus de confiance dans les circonstances de cette affaire. L’accusé a convaincu la victime d’utiliser sa chambre puisqu’elle y sera plus confortable alors qu’il dormirait sur le sofa du salon. Il s’impose en proposant de visionner un film en s’allongeant sur lit près de la victime. Elle ne peut refuser vu la situation. Vivre ce genre d’abus provoque des séquelles psychologiques importantes. Il n’est pas rare que les victimes perdent confiance en eux-mêmes et envers les personnes qui s’intéressent à eux. Elles ont de la difficulté à entretenir des relations craignant une répétition d’abus. La jurisprudence considère l’abus de confiance comme un facteur extrêmement aggravant.


Les désordres sous-jacents à la commission des infractions : détresse psychologique du délinquant, pathologies et déviances, intoxication.

[36] L’accusé ne souffre d’aucun problème de consommation. Par contre, il était en état d’ébriété lors de la commission du crime.

Les condamnations antérieures du délinquant

[37] Il n’en possède aucune.

Le comportement du délinquant après la commission des infractions; aveux, collaboration à l’enquête, implication dans un programme de traitement, potentiel de réadaptation, assistance financière, compassion et empathie à l’endroit de la victime, remords, regrets

[38] L’accusé n’a pas témoigné et selon le rapport présentenciel il ne reconnaît pas sa responsabilité. Il n’exprime aucun remords ou empathie pour la victime. Au surplus, il n’est pas éligible aux thérapies suggérées par l’agent.

Le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d’atténuation selon le comportement du délinquant (âge, intégration sociale et professionnelle, commission d’autres infractions)

[39] À ce titre, l’accusé a respecté toutes ses conditions de remise en liberté depuis l’arrestation et il a maintenu un emploi malgré le stress des procédures judiciaires. Il est jeune, il avait 19 ans lors de l’infraction. Il a le support de sa famille et de son réseau social.

La victime, gravité des atteintes à l’intégrité physique et psychologique se traduisant par l’âge, la nature et l’ampleur de l’agression, la fréquence et la durée, le caractère de la victime, sa vulnérabilité de la victime, l’abus de confiance ou d’autorité, les séquelles traumatiques

[40] Je n’ai pas reçu de preuve concernant les séquelles pour la victime. Mais tout comme je le mentionnais lors de l’étude sur la gravité du crime, les séquelles existent. De plus, la vulnérabilité et l’abus de confiance sont à souligner.

[41] Après évaluation de tous ces facteurs, le degré de responsabilité pénale de l’accusé se situe à un niveau moyen.

[42] La peine devra être proportionnelle à l’analyse de ces critères soit un niveau élevé pour la gravité et un niveau moyen pour le degré de responsabilité pénale.

[Les soulignements sont dans le jugement.]

  1.            Le juge enchaîne et se penche sur le principe de la parité. Il cite plusieurs affaires, dont certaines font état d’agressions répétées, où la peine arrêtée en était une d’incarcération : R. c. Mentor, 2022 QCCA 1270; R. c. Rwanjunga, 2022 QCCQ 5989; R. c. Yeboh Mouimo, 2020 QCCQ 264; R. c. Contrera Esquiche, 2021 QCCQ 3081; R. c. Turpin, 2018 QCCQ 1659; R. c. Excellent, 2018 QCCQ 894; R. c. Jean, 2022 QCCQ 8404.
  2.            Je mentionne immédiatement, et j’y reviendrai, que toutes ces décisions ont été rendues alors que l’emprisonnement dans la collectivité était exclu pour le crime d’agression sexuelle. En effet, elles sont antérieures à l’entrée en vigueur des modifications législatives permettant l’emprisonnement avec sursis.
  3.            Le juge ajoute, au paragraphe 54 de sa décision :

Dans toutes ces décisions, on retrouve une analyse de nombreux précédents pour l’application du principe de parité, mais ce qui est inquiétant ce sont le nombre de dossiers avec des faits similaires alors qu’un accusé a agressé sexuellement avec pénétration une victime endormie ou fortement intoxiquée. De plus, pour plusieurs délinquants, ils ne possédaient pas d’antécédents et étaient des actifs pour la société. Ils ont profité de la vulnérabilité d’une victime et ont abusé de leur confiance ou d’une opportunité pour assouvir leurs pulsions sexuelles. À cet égard, il y a lieu de prioriser la dénonciation et la dissuasion générale afin de lancer un message clair que les tribunaux protégeront les femmes se retrouvant malgré elles dans ce genre de situation. Ce n’est que par une lourde peine que le message portera. Il faut que ce genre de crime cesse.

[Je souligne.]

  1.            Sans ignorer que l’appelant sera père sous peu, le juge mentionne les facteurs atténuants, soit son très jeune âge au moment du crime, l’absence d’antécédents criminels, un risque de récidive presque inexistant, le respect des conditions de mise en liberté, le soutien familial, un bon réseau social et, enfin, le fait qu’il soit un actif pour la société.
  2.            Toutefois, se rapportant à l’arrêt R. c. M.B., 2000 CanLII 11365 (C.A.Q.), le juge explique :

[58] Tout comme dans l’arrêt M.B. c. R., rendu le 8 novembre 2000 par la Cour d’appel du Québec, je suis d’avis que les objectifs de dénonciation et de dissuasion ne permettent pas d’imposer le sursis même si l’accusé ne constitue pas un danger direct pour la collectivité. La dissuasion générale prévaut pour ce crime d’agression sexuelle à l’égard d’une victime vulnérable endormie. La jurisprudence contient beaucoup trop de dossiers similaires alors que des agresseurs ont abusé de victimes dans des conditions semblables. Malgré des peines d’emprisonnement ferme, le message ne porte pas et la Cour se doit de réitérer qu’elle protégera les victimes et que seul un consentement valide éclairé permet des échanges mutuels d’ordre sexuel. Seule une peine ferme permet de lancer ce message alors qu’une peine avec sursis ne permettrait pas d’atteindre les objectifs et principes visés aux articles 718 à 718.2 déjà énumérés.

[Je souligne.]

  1.            Le juge rappelle immédiatement le principe de modération et il se dit conscient que « l’incarcération est la dernière avenue, mais elle est justifiée à la lumière des enseignements de la jurisprudence » (jugement, par. 60). Rappelant l’arrêt Mentor et la décision Contrera Esquiche, il mentionne que la peine ne doit pas être inutilement sévère dans le seul but d’atteindre une dissuasion générale.
  2.            Le juge conclut :

[65] En conclusion, puisque monsieur Casavant présente un bon potentiel de réhabilitation et que les facteurs atténuants sont importants, je suis d’avis qu’une peine en deçà de la fourchette est justifiée. Donc une peine d’emprisonnement de 18 mois ferme assujetti à une période de 2 ans de probation est la peine juste et appropriée respectant les principes et objectifs sentenciels.

Les moyens d’appel

  1.            L’appelant soulève trois questions.
  2.            Le premier reproche fait au juge résulterait de l’application de l’arrêt R. c. Friesen, [2020] 1 R.C.S. 424 qui, selon l’appelant, serait limité aux agressions à l’égard de personnes mineures et non dans le cas de délinquants ayant commis des crimes de nature sexuelle à l’égard de personnes âgées de plus de 18 ans.
  3.            Selon l’intimé, les arrêts Friesen, précité, et R. c. Parranto, [2021] 3 R.C.S. 366, invitent les cours d’appel à établir de nouvelles orientations en matière de peine pour refléter la compréhension acquise en matière de gravité de certaines infractions ou du degré de responsabilité de certains délinquants. À l’appui de sa proposition, il cite également l’arrêt R. c. Lemieux, 2023 QCCA 480. Au surplus, le ministère public ajoute que même si la décision comportait des erreurs, la peine est appropriée puisqu’elle se situe dans la première ou dans la deuxième catégorie des peines expliquées dans la décision R. c. Cloutier, 2004 CanLII 48297 (C.Q.), fourchette qui, écrit-il, « épouse harmonieusement » l’orientation donnée dans l’arrêt Friesen.
  4.            La seconde erreur imputée au juge vise l’évaluation du facteur aggravant de l’abus de confiance. Les erreurs commises à cet égard ont mené le juge à éliminer la possibilité d’ordonner une peine d’emprisonnement dans la collectivité.
  5.            L’intimé est d’avis que la notion d’abus de confiance est large et inclut le cas en l’espèce. Il rappelle l’arrêt Mentor et mentionne que la relation de confiance n’impose aucun rapport de dépendance ou de relation fiduciaire et qu’elle est tributaire de la preuve administrée devant la juge du procès : R. c. Mentor, 2022 QCCA 1270, par. 98. Cette preuve n’a pas à être forte : R. c. Lemieux, 2023 QCCA 480, par. 55.
  6.            La troisième erreur est liée à l’évaluation des critères préalables à l’emprisonnement avec sursis, notamment en raison de la modification législative, de l’absence d’antécédents judiciaires, de l’absence de risque de récidive et du respect des conditions auxquelles était soumis l’appelant pendant l’instance.
  7.            Pour l’intimé, il n’y a pas d’erreur. L’importance des objectifs de dénonciation et de dissuasion dans la détermination d’une peine juste en matière de crime sexuel est, selon lui, « libre de controverse ».

Analyse

  1.            D’emblée, il faut rejeter la première erreur sur laquelle insiste l’appelant, qui est sans fondement. L’intimé a raison sur cette question. Il ne fait aucun doute que l’arrêt Friesen énonce des principes applicables tant pour les violences sexuelles à l’égard des enfants que des adultes : R. c. Friesen, [2020] 1 R.C.S. 424, par. 117; voir aussi R. c. S.J., 2024 QCCA 253, par. 225.
  2.            Par ailleurs, il faut souligner que l’intimé fait une lecture indûment étroite des principes de la détermination de la peine en amalgamant sans nuances les messages de la Cour suprême dans les arrêts R. c. Goldfinch, [2019] 3 R.C.S. 3, R. c. Friesen, [2020] 1 R.C.S. 424 et R. c. Parranto, [2021] 3 R.C.S. 366. Or, les nuances sont au cœur de la détermination de la peine. En proposant une peine essentiellement orientée par la dissuasion et la dénonciation, il escamote de nombreux principes qui doivent tout autant guider les juges dans l’exercice de la détermination de la peine.
  3.            La Cour suprême a certes rappelé que certaines décisions canadiennes ont malheureusement banalisé l’agression sexuelle en la réduisant, par exemple, à un événement anodin en raison de gestes qualifiés de « moins invasifs ». Elle a rappelé qu’il n’en est rien et que l’agression sexuelle est intrinsèquement un crime grave en raison de sa nature et des conséquences généralement négatives dans la vie des victimes. Elle a pressé les tribunaux de réagir de manière plus appropriée et de ne plus prononcer de peines déconnectées de la réalité, tant du crime lui-même que de ce que la société en comprend aujourd’hui, et de ne pas le décrire comme un geste inoffensif aux conséquences négatives douteuses.
  4.            Du même souffle, elle réaffirme que les tribunaux doivent réagir de manière proportionnelle.
  5.            L’arrêt Parranto est rendu après l’arrêt Friesen. La Cour y discute des principes fondamentaux en matière de détermination de la peine. La majorité des juges ont profité du moment pour expressément réaffirmer que le but de la détermination de la peine est d’infliger des sanctions justes et que la proportionnalité en est le principe fondamental : R. c. Parranto, [2021] 3 R.C.S. 366, par. 10-12 (jj. Brown et Martin, avec l’accord du juge en chef Wagner et du juge Kasirer), par. 102 et 111 (j. Rowe), par. 205 (j. Karakatsanis, avec l’accord de la juge Abella).
  6.            Plus particulièrement, les juges Brown et Martin ont précisé :

[10] Le but est d’infliger dans chaque cas une sanction équitable, juste et fondée sur des principes. La proportionnalité est le principe directeur qui permet d’atteindre cet objectif. À la différence des autres principes de détermination de la peine qui sont énoncés dans le Code criminel, la proportionnalité est un principe distinct qui est inscrit sous une rubrique intitulée « Principe fondamental » (art. 718.1). Par conséquent, « [t]oute détermination de la peine part du principe que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant » (R. c. Friesen, 2020 CSC 9, par. 30). Bien qu’importants, les principes de parité et d’individualisation sont secondaires.

R. c. Parranto, [2021] 3 R.C.S. 366 par. 10 [Je souligne].

  1.            Il faut réitérer le message voulant que l’agression sexuelle constitue un crime grave qui en soi comporte des conséquences graves. Il s’agit de la définition même du comportement prohibé. Il n’est toutefois pas impossible d’envisager une peine autre que l’emprisonnement dans un cas donné, si cette peine demeure proportionnelle aux circonstances et au délinquant. À tort ou à raison, ces cas seront peut-être rares, mais notre Cour a souvent répété que la sévérité d’une peine n’est pas l’apanage de l’emprisonnement : voir notamment R. c. Nadeau, 2020 QCCA 445, par. 55; R. c. Bernard, 2019 QCCA 638, par. 28; R. c. Charbonneau, 2016 QCCA 1567, par. 18; R. c. Houle, 2023 QCCA 99, par. 46.
  2.            Parallèlement aux discussions des tribunaux canadiens, et postérieurement aux arrêts évoqués de la Cour suprême, le législateur s’est de nouveau exprimé en novembre 2022 en rouvrant la possibilité de recourir à l’emprisonnement dans la collectivité, notamment pour cette infraction. Ce faisant, le législateur n’envoie pas le message qu’il faut être moins sévère dans l’approche de la peine, mais plutôt qu’il faut réfléchir autrement, même pour des crimes graves. Notamment, les circonstances se prêtent parfois à ce que des individus qui ne présentent pas une menace inacceptable pour la sécurité du public purgent leur peine d’emprisonnement dans la collectivité si la durée appropriée de celle-ci est de moins de deux ans.
  3.            Cela est sage puisque, si l’infraction demeure toujours grave, comme l’explique bien l’arrêt R. c. Lemieux, 2023 QCCA 480, personne ne nie que le crime d’agression sexuelle se décline dans des circonstances diverses et qu’il est commis par des délinquants aux profils très variés.
  4.            La question est toujours la même : « Pour cette infraction, commise par ce délinquant, ayant causé du tort à cette victime, dans cette communauté, quelle est la sanction appropriée au regard du Code criminel? » : R. c. Parranto, [2021] 3 R.C.S. 366, par. 113, citant R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, par. 80 (soulignements dans le texte); R. c. Simard, 2024 QCCA 835, par. 63; R. c. V.L., 2023 QCCA 449, par. 42.
  5.            Les cours d’appel ne peuvent exercer une fonction parallèle à celle du législateur en établissant des paramètres de détermination de la peine qui, en droit, contraignent le juge de la peine au point de soustraire des réponses au crime qu’autorise la loi, que cela se traduisent par des « points de départ », des « fourchettes » ou autrement : R. c. Parranto, [2021] 3 R.C.S. 366, par. 153; R. c. Friesen [2020] 1 R.C.S. 424, par. 37; R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948, par. 33; R. c. Harbour, 2017 QCCA 204, par. 78.
  6.            Personne ne conteste ici que l’emprisonnement dans la collectivité est une peine possible. J’examine maintenant pourquoi le juge erre en l’écartant, en abordant ensemble les deux autres moyens d’appel.
  7.            Une cour d’appel doit corriger les peines qui découlent d’une erreur de principe ayant eu une incidence sur la détermination de la peine et « lorsque la cour d’appel conclut qu’une erreur de principe a eu un effet sur la peine, cela suffit pour qu’elle intervienne et fixe une peine juste » : R. c. Friesen, [2020] 1 R.C.S. 424, par. 26 et 27.
  8.            En l’espèce, le juge commet plusieurs erreurs de ce type qui se qualifient sous les deux moyens d’appel, soit l’abus de confiance et les erreurs concernant l’évaluation de la peine d’emprisonnement dans la collectivité. En leur absence, le juge aurait conclu que la peine d’emprisonnement dans la collectivité était une peine proportionnelle et juste dans les circonstances de ce dossier.

L’erreur entourant l’abus de confiance et les conséquences non prouvées

  1.            Si le ministère public a raison de plaider que la jurisprudence semble reconnaître une interprétation théorique de l’abus de confiance qui est large, il omet, tout comme le juge, de bien l’évaluer concrètement dans la preuve. L’appelant a raison de dire que l’évaluation que fait le juge de l’abus de confiance est erronée et a eu une incidence sur la peine, d’autant qu’il relie l'abus de confiance aux conséquences importantes des gestes posés, retenant le tout comme un facteur extrêmement aggravant.
  2.            Puisque le choix d’imposer l’emprisonnement avec sursis se fonde en grande partie sur la présence ou l’absence de facteurs aggravants, leur incidence sur la peine ne fait aucun doute.
  3.            À mon avis, l’abus de confiance est un facteur beaucoup moins important que ce qu’en retient le juge. Il le qualifie de « facteur extrêmement aggravant » et il le relie à des séquelles psychologiques importantes, malgré, écrit-il, l’absence de preuve sur cette question. À cet égard, le juge tire une conclusion qui est déraisonnable en plus d’être erronée en droit.
  4.            Le juge oublie de calibrer adéquatement l’abus de confiance. Notre Cour a dit que si « la relation de confiance n’a pas à être “forte” pour être prise en compte […], le “degré de cette relation pourra toutefois affecter le poids à lui donner dans la pondération globale des facteurs pertinents” » : R. c. Lemieux, 2023 QCCA 480, par. 5455, citant R. c. Pierre, 2023 QCCA 84, par. 35.
  5.            Dans l’arrêt Tremblay, la Cour réitérait ces principes en soulignant que l’importance du facteur varie selon que « la relation de confiance ou de dépendance, par sa nature, impose une forte obligation de protection et de soin (par exemple, une relation impliquant un parent, un enseignant ou un entraîneur) » : R. c. Tremblay, 2024 QCCA 543, par. 30-31. En reprenant les par. 126 à 130 de l’arrêt R. c. Friesen, [2020] 1 R.C.S. 424, la Cour y rappelle que « [l]e spectre des relations de confiance est utile pour déterminer le degré de préjudice » et explique comment les relations étroites impliquant un degré de confiance élevé causent davantage de préjudice.
  6.            Dans l’affaire Tremblay, la Cour conclut que « la relation en l’espèce se situe dans la partie inférieure du spectre des situations de confiance et l’appelant ne convainc pas que l’erreur du juge a eu une incidence sur la détermination de la peine » : R. c. Tremblay, précité, par. 32. Selon la Cour, le très faible niveau d’abus de confiance dans cette affaire ne pouvait pas avoir influé sur la peine que le ministère public cherchait à réformer pour une peine d’incarcération. Aussi, la Cour était d’avis que l’omission de traiter de ce facteur n’avait pas eu d’incidence sur la peine d’emprisonnement avec sursis de 23 mois suivie d’une probation de trois ans qui avait été infligée par le juge sur un chef d’agression sexuelle.
  7.            Je doute qu’il y ait, en l’espèce, un abus de confiance au sens du Code criminel. À mon sens, ce facteur aggravant ne vise pas tous les crimes commis à l’égard de personnes qui se connaissent ou qui font connaissance lors d’une seule occasion. Une telle interprétation entraînerait la conclusion que seuls les crimes commis entre de parfaits étrangers n’impliquent aucun abus de confiance.
  8.            Toutefois, tout en acceptant que le juge pouvait conclure qu’une certaine confiance implicite était démontrée puisque la plaignante avait accepté de dormir chez l’appelant à la suite d’une fête arrosée, et plus particulièrement de s’installer dans son lit alors qu’il devait dormir sur le divan du salon, je ne peux me convaincre qu’il s’agit d’un « facteur extrêmement aggravant ». Je conviens donc avec l’appelant que le juge a erré en s’appuyant de façon aussi importante sur l’abus de confiance alors qu’il n’avait pas en réalité d’effet, similairement à l’arrêt Tremblay, précité. Or, contrairement à cette affaire, le juge en l’espèce a attribué un effet aggravant important à ce facteur et cela a eu une incidence sur la peine.
  9.            Se pose ensuite la seconde difficulté des conséquences pour la plaignante, en lien avec cet abus de confiance « extrêmement aggravant » et aussi celles découlant du crime, retenues par le juge.
  10.            Le juge écrit :

[40] Je n’ai pas reçu de preuve concernant les séquelles pour la victime. Mais tout comme je le mentionnais lors de l’étude sur la gravité du crime, les séquelles existent. De plus, la vulnérabilité et l’abus de confiance sont à souligner.

  1.            Il me semble non seulement que ce constat heurte le paragraphe 724(3) du Code criminel, mais que cela participe de la même erreur que celle relevée dans l’arrêt R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948. Dans cette affaire, le juge Sopinka écrit :

35 La façon dont la Cour d’appel a considéré le préjudice en l’espèce pose un autre problème en ce sens qu’elle a parfois semblé établir l’existence d’une présomption de préjudice psychologique à partir d’une agression sexuelle. Certes, la cour a, à d’autres occasions, analysé le risque de préjudice psychologique découlant d’une infraction comme montrant la gravité de l’infraction plutôt que l’existence du préjudice réel luimême. Pour illustrer cette ambiguïté, examinons le passage suivant (à la p. 173) :

[TRADUCTION] Nous voulons d’abord souligner que nous ne pouvons pas envisager une situation où des rapports sexuels non consensuels — vaginaux, anaux ou oraux — ne tomberaient pas dans la catégorie des agressions sexuelles graves. […] De plus, dans chaque cas, il existe également un risque très réel de préjudice psychologique. Par conséquent, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il n’est pas nécessaire que le ministère public prouve l’existence de ce genre de préjudice pour que la cour puisse qualifier de grave une agression sexuelle. L’existence d’un préjudice psychologique est présumée en l’absence de preuve contraire. [Je souligne.]

La cour ajoute, à la p. 174 :

[TRADUCTION] Autrement dit, le contrevenant se voit infliger une peine fondée sur l’existence d’une agression sexuelle grave, non pas parce que des conséquences psychologiques particulières ont résulté de l’attaque, mais plutôt à cause de sa nature et du fait qu’elle engendre un risque très réel de préjudice émotionnel ou psychologique à long terme. Le fait qu’aucun préjudice de ce genre ne puisse se concrétiser, fait qu’on ne pourrait peutêtre pas connaître tant que la vie de la victime ne se sera pas déroulée au complet, n’est pas un facteur atténuant. Cependant, ceci dit, cela ne signifie pas que les conséquences d’une agression sexuelle ne sont pas pertinentes. La gravité des actes accomplis peut être évaluée en fonction des conséquences probables à long terme de l’acte prohibé. Autrement dit, lorsque le préjudice psychologique est grave, cela peut bien constituer un facteur aggravant. Naturellement, lorsqu’on évoque un préjudice dépassant ce qui serait normalement présumé dans une affaire donnée, le ministère public doit présenter des éléments de preuve à l’appui. [Souligné dans le jugement.]

36 Ces passages ne sont pas très clairs. À un moment donné, la cour semble présumer qu’un préjudice psychologique résulterait d’une agression sexuelle, tandis que, à un autre moment, la cour semble non pas présumer l’existence d’un tel préjudice, mais seulement souligner, à juste titre selon moi, le risque qu’un préjudice psychologique résulte des actes de l’accusé. L’arrêt McCraw, précité, a établi qu’une menace de commettre une agression sexuelle équivalait à une menace de commettre une agression infligeant des lésions corporelles, à cause du risque élevé qu’un préjudice psychologique résulte d’une agression sexuelle, un risque dont la Cour d’appel a reconnu l’existence en l’espèce. Un tel risque n’établit pas cependant l’existence d’une présomption légale de préjudice dans des affaires où il est question d’agression réelle, plutôt que de menaces. Si le préjudice est un élément de l’infraction, le ministère public doit en prouver l’existence hors de tout doute raisonnable.

37 Dans la mesure où la Cour d’appel a conclu que le ministère public n’a pas à prouver l’existence d’un préjudice psychologique dans certains cas, mais plutôt que l’existence d’un tel préjudice peut être présumée, elle a commis une erreur. Comme nous l’avons vu, si le ministère public veut invoquer l’existence d’un préjudice psychologique, il devrait, à mon avis, porter des accusations fondées sur l’article du Code qui envisage le préjudice, soit l’al. 272c), et prouver l’existence de l’infraction. Si l’existence d’un élément de l’infraction, les lésions (psychologiques) corporelles, est présumée, le ministère public est déchargé à tort d’une partie du fardeau de la preuve, ce qui est contraire à la présomption d’innocence. Reconnaissant que le préjudice peut être un facteur aggravant en vertu de l’art. 271, notre Cour a conclu, dans l’arrêt R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, que, dans une audience relative à la détermination de la peine, l’existence de chaque facteur aggravant doit être prouvée hors de tout doute raisonnable. Un tel point de vue a été confirmé par le législateur dans le nouvel al. 724(3)e) du Code criminel (modifié par L.C. 1995, ch. 22, art. 6). Si l’existence d’un préjudice psychologique peut être présumée, le ministère public se trouve dégagé à tort du fardeau de prouver l’existence d’un préjudice en tant que facteur aggravant, et l’accusé a alors le fardeau de réfuter le préjudice.

R. c. McDonnell, [1997] 1 R.C.S. 948, par. 35-37 (gras ajouté; souligné dans l’arrêt).

  1.            À mon avis, d’une part, les conséquences négatives présumées de l’agression sexuelle sont évoquées correctement par le juge si elles décrivent la gravité de l’infraction, mais en tenir compte au surplus dans les facteurs aggravants fait double emploi. D’autre part, s’il retient des conséquences négatives découlant de l’abus de confiance, il s’agit d’une erreur puisque rien n’indique en l’espèce qu’un abus de confiance significatif, c’est-à-dire suffisamment probant pour avoir un effet aggravant, a été démontré.

L’emprisonnement dans la collectivité

  1.            Je rappelle que le crime d’agression sexuelle est grave et qu’il interpelle vivement, comme tous les crimes du reste, les objectifs de dénonciation et de dissuasion, mais également les autres objectifs de la peine qui sont énumérés au Code criminel. Dans les circonstances du dossier et afin de répondre aux différents objectifs de la peine, personne ne suggère que l’appelant mérite autre chose qu’une peine de prison; et il recevra une peine de prison.
  2.            La question est de savoir si cette peine peut être purgée dans la collectivité.
  3.            Le dilemme entre ces deux modalités de peine d’emprisonnement a été exposé dans l’arrêt Proulx qui reprenait l’idée exprimée d’une part, par feu le juge Rosenberg, dans l’arrêt R. v. Wismayer (1997), 115 C.C.C. (3d) 18 (C.A.O.) et, d’autre part, par un arrêt anglais. Avec sagesse, on rappelle que l’objectif de la peine d’emprisonnement dans la collectivité est de réduire le nombre de délinquants non dangereux en prison. On y a donc recours pour les délinquants qui autrement se retrouveraient derrière les barreaux, de sorte qu’elle n’est pas appropriée pour les délinquants qui mériteraient un autre type de peine que l’emprisonnement :

[56] Conjugué aux al. 718.2d) et e), l’art. 742.1 met les tribunaux en garde contre l’« extension de l’application » du régime d’emprisonnement avec sursis aux délinquants qui n’auraient autrement pas été emprisonnés (Gagnon, précité, à la p. 2645; McDonald, précité, aux pp. 437 à 439). Comme le dit le juge Rosenberg, dans Wismayer, précité, à la p. 42:

[TRADUCTION] L’objectif du législateur de réduire le nombre de délinquants non violents détenus en prison et d’accroître le recours aux sanctions communautaires sera contré si les tribunaux refusent de rendre des ordonnances d’emprisonnement avec sursis à l’égard des infractions qui donnent lieu normalement à des peines d’emprisonnement et n’y recourent que pour les infractions jusqu’ici sanctionnées par des mesures autres que l’emprisonnement.

La réalisation de l’objectif du législateur qui est de réduire le recours à l’emprisonnement pour les délinquants non dangereux pourrait être compromise si des ordonnances de sursis à l’emprisonnement étaient prononcées à tort.

[57] L’expérience des tribunaux anglais dans l’application d’une peine semblable, appelée « suspended sentence » (« conditional sentence » au Canada), illustre bien les préoccupations susmentionnées. Comme l’a expliqué le lord juge en chef Parker, au nom de la Cour d’appel (Division criminelle), dans R. c. O’Keefe (1968), 53 Cr. App. R. 91, aux pp. 94 et 95:

[TRADUCTION] Notre Cour tient à préciser, aussi catégoriquement que possible, qu’une condamnation avec sursis ne doit pas être prononcée lorsque, n’eût été le pouvoir d’infliger cette peine, une ordonnance de probation aurait été la décision appropriée. Après tout, la condamnation avec sursis est une peine d’emprisonnement…

Notre Cour estime donc que, avant de prononcer une condamnation avec sursis, le tribunal doit écarter toute autre sanction possible, comme l’absolution inconditionnelle, l’absolution sous condition, l’ordonnance de probation et l’amende, puis se demander s’il s’agit d’un cas commandant l’emprisonnement et, dans l’affirmative, s’il doit y avoir emprisonnement immédiat ou s’il est possible d’y surseoir?

R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 56-57.

  1.            En clair, l’emprisonnement avec sursis est une peine de prison (d’une durée maximale de deux ans moins un jour, comme le prévoit le Code criminel) et non une « probation renforcée ou sévère ». Il ne faut donc pas se surprendre lorsque le candidat, n’eût été cette mesure, aurait été condamné à l’incarcération.
  2.            Il vaut de rappeler que le législateur a également codifié l’important principe de modération dans le recours à l’emprisonnement, comme le rappelle l’arrêt R. c. Bachou, 2022 QCCA 1145. Ce principe doit être envisagé à l’égard de tous les délinquants. Le juge Cournoyer, qui écrit pour la Cour, ajoute que « [c]e faisant, le législateur a "positionné l’emprisonnement comme une mesure de dernier recours" » : R. c. Bachou, 2022 QCCA 1145, par. 41, voir aussi 37-43.
  3.            Cela dit, il est vrai que, tant ce principe que l’arrêt Proulx reconnaissent qu’il faut examiner tous les objectifs de la peine et que, parfois, seule l’incarcération est celle qui permet d’atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion : R. c. Bachou, 2022 QCCA 1145, par. 43. Voici comment le juge Lamer exprime cette idée dans l’arrêt Proulx :

[114] Lorsque des objectifs punitifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, par exemple en présence de circonstances aggravantes, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait également permettre la réalisation d’objectifs correctifs. À l’inverse, selon de la nature des conditions imposées dans l’ordonnance de sursis, la durée de celleci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l’emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d’importance.

R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 114 (je souligne).

  1.            Je conviens qu’atteindre l’équilibre n’est pas toujours simple. Après tout, lorsqu’on conclut que le crime mérite une peine de prison, le raisonnement pousse naturellement vers le choix de l’incarcération. Comme le rappelait la Cour suprême, « [l]a détermination d’une peine juste et appropriée est un art délicat » : R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 91.
  2.            D’abord, le juge tombe dans l’erreur évoquée par mon collègue le juge Doyon dans l’arrêt R. c. Lemieux, c’est-à-dire de s’appuyer sur des précédents inadéquats :

[107] D’autre part, il serait tout aussi erroné de déterminer la peine en insistant indûment sur les peines infligées depuis 2007. Il pourrait alors être trop facile de conclure, sur cette base, que les tribunaux imposent l’incarcération dans les cas d’agressions sexuelles. Une telle conclusion pourrait bien être erronée puisque l’emprisonnement avec sursis était prohibé jusqu’à récemment, ce qui ne laissait pas de place à cette alternative à l’incarcération.

R. c. Lemieux, 2023 QCCA 480, par. 107.

  1.            En effet, les décisions auxquelles le juge fait référence, et reprises plus haut au paragraphe [44], sont des décisions qui ont été prononcées alors que l’emprisonnement dans la collectivité n’était plus autorisé par la loi. En revanche, l’arrêt R. c. M.B., que cite le juge, est rendu à un moment où cette peine était possible. Cependant, les faits de cette affaire sont très éloignés des faits du présent dossier. Dans M.B., l’appelant était médecin de profession. Il avait été condamné pour des infractions sexuelles à l’égard d’enfants et d’une patiente. La Cour y note que « les facteurs aggravants sont par ailleurs particulièrement importants puisque deux chefs d’accusation comportent une atteinte à l’intégrité psychologique de deux jeunes enfants et que toutes les infractions se sont déroulées dans le cadre d’une relation médecin-patiente et ont donné lieu à des abus de confiance » : R. c. M.B., 2000 CanLII 11365, par. 62 (C.A.Q.).
  2.            Évidemment, comme l’arrêt Tremblay le souligne, la relation médecin-patient place l’aiguille de l’abus de confiance à un niveau élevé et les agressions sexuelles sur les enfants ne font rien pour diminuer la lourde responsabilité du délinquant démontrée par la preuve.
  3.            Il est vrai que le présent dossier comporte des éléments aggravants, notamment la vulnérabilité de la plaignante, la pénétration vaginale et l’absence de protection. L’appelant a profité du sommeil de la plaignante pour l’agresser. En quelque sorte, ces éléments aggravants font déjà bouger l’aiguille vers la peine d’emprisonnement et en augmentent la durée, par opposition à une peine d’une autre nature ou d’une durée moindre.
  4.            Toutefois, afin d’écarter l’emprisonnement dans la collectivité, le juge s’appuie de manière erronée sur la dissuasion et sur la dénonciation.
  5.            Je rappelle ses propos cités plus haut, au paragraphe [46] des présents motifs, selon lesquels il faut « prioriser la dénonciation et la dissuasion générale afin de lancer un message clair » et que c’est « par une lourde peine que le message portera » afin « que ce genre de crime cesse ».
  6.            Je rappelle d’abord que l’arrêt Proulx reconnaît que la poursuite des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale n’est pas un obstacle dirimant à l’emprisonnement avec sursis : R. c. Proulx, [2000] 1 R.C.S. 61, par. 102 et 107.
  7.            Plus récemment, la Cour suprême a reconnu, à l’instar de notre Cour, qu’il faut infliger une peine juste et que le fait de l’augmenter uniquement pour atteindre les deux objectifs de dénonciation et de dissuasion est une erreur :

[51] Ainsi, « on ne peut infliger à une personne une peine totalement disproportionnée à la seule fin de dissuader ses concitoyens de désobéir à la loi » (Nur, par. 45). De même, le juge Vauclair affirme avec justesse que « la recherche de l’exemplarité au détriment des éléments de preuve qui démontrent le mérite des objectifs de réhabilitation est incompatible avec le principe d’individualisation » (Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711, par. 30 (CanLII), citant R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 48 (CanLII), le juge Doyon). La proportionnalité joue un rôle restrictif et, en ce sens, elle est garante d’une peine qui est individualisée, juste et appropriée.

R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, par. 51; R. c. Sylvain-Bourgelas, 2024 QCCA 486, par. 91.

  1.            La dénonciation des comportements inacceptables débute avec le dépôt des accusations criminelles. Dans la mesure où la société a fermé les yeux devant des comportements de la nature de ceux en cause, ou les a banalisés, on peut affirmer que cette époque est définitivement révolue. La criminalisation des comportements et le stigmate rattaché au procès et à la condamnation participent à la dénonciation. La peine termine l’exercice. Mais à cette étape, il s’agit de punir de façon juste un crime et un délinquant. Seule une peine juste est acceptable. La gravité du crime, les circonstances dans lesquelles il est commis, et le délinquant font inéluctablement varier le résultat et doivent être reconnus.
  2.       Dans l’arrêt V.L., la Cour explique pourquoi les tribunaux ne devraient pas s’investir de la mission de faire cesser le crime. Pour la majorité, j’y écris :

[53] Le système de justice criminelle, dont les tribunaux ne sont qu’une composante, est justement cela, un système. Dans l’accomplissement de sa mission, les composantes du système, organismes gouvernementaux ou initiatives communautaires, collaborent dans leurs interventions sur les problèmes sociaux qui parfois, et malheureusement, se transforment en drames plus graves, trop graves. Chaque composante participe à sa manière à l’effort collectif pour agir, notamment, sur les comportements délinquants et sur l’aide apportée aux victimes. Il a été observé, avec raison selon moi, que l’orientation des tribunaux de juridiction criminelle semblent fondamentalement peu équipés pour intervenir efficacement à l’égard de ce dernier volet : voir Anne-Marie Boisvert, La création d'un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles et de violence conjugale au Québec : vers une meilleure justice?, (2021) 26 Rev. Can. D.P. 269.

[54] Dans l’arrêt Lacelle Bélec, la Cour rappelait qu’il « est évident que le procès criminel et le processus de détermination de la peine ne parviendront jamais à soulager entièrement certaines victimes des souffrances qu’elles ont subies et qu’elles subissent parfois toujours » et « de là l’importance de l’accompagnement et de l’aide mis en place par l’État ou les groupes communautaires qui se réalisent dans un autre contexte qu’une salle de cour » : R. c. Lacelle Belec, 2019 QCCA 711, par. 70-71.

[55] Cela étant dit, la criminalisation d’un comportement, la mise en accusation de la personne délinquante, sa condamnation et l’attribution d’un casier judiciaire participent à la dénonciation et à la dissuasion. Il ne faut pas sous-estimer ces éléments. La punition n'est qu’un des maillons.

[56] La certitude d’être accusé s’avère beaucoup plus dissuasive que la sévérité de la peine elle-même : R. c. Hills, 2023 CSC 2, par. 137. La science sociale ne peut être ignorée à cet égard : R. c. Paré, 2011 QCCA 2047, par. 53; R. c. Brais, 2016 QCCA 356, par.19-23.

[57] Comme le souligne l’auteure et professeure Anne-Marie Boisvert : « L'infliction de souffrance pour apaiser la souffrance n'est pas nécessairement une stratégie gagnante. Elle est même en contradiction avec elle-même. » : Anne-Marie Boisvert, La création d'un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles et de violence conjugale au Québec : vers une meilleure justice? (2021) 26 Rev. Can. D.P. 269, p. 286 (références omises).

[58] J’ajoute que la juge de la peine saisit mal le propos de la Cour dans l’arrêt Laurendeau. La Cour explique qu’en matière de peine pour des crimes commis dans un contexte de violence conjugale, la peine « doit dénoncer le caractère inacceptable et criminel de la violence conjugale et celui d'accroître la confiance des victimes et du public dans l'administration de la justice » : R. c. Laurendeau, 2007 QCCA 1593, par. 19.

[59] D’abord, comme je l’ai mentionné, il est vrai que l’action et la réponse du système pénal participent à la confiance du public, mais la criminalisation et la mise en accusation sont déjà des signaux importants que la société juge un comportement inacceptable. Le procès et la condamnation sont également des messages importants. Ensuite, il faut replacer ces propos dans le contexte où une absolution conditionnelle était demandée pour Laurendeau. La Cour explique que « si l'absolution conditionnelle n'est pas exclue en principe, elle ne sera indiquée que dans certains cas dont le présent ne fait pas partie » et elle convient plutôt que les circonstances particulières de l’affaire militaient en faveur d'une peine d'emprisonnement : Laurendeau, par. 18-20.

R. c. V.L., 2023 QCCA 449, par. 53-59.

  1.       Cela dit, lorsque des personnes vulnérables sont victimes, le législateur a indiqué que les facteurs de dissuasion et de dénonciation doivent recevoir une attention particulière (art. 718.04 C.cr.). Si ce facteur rend plus rares les cas où l’emprisonnement ne sera pas la réponse au crime, il demeure que tous les objectifs doivent être considérés et que la possibilité d’une peine d’emprisonnement dans la collectivité ne peut être écartée.
  2.       À mon avis, le jugement est effectivement vicié par des erreurs qui ont eu une incidence sur la démarche décisionnelle du premier juge. En particulier, le juge a uniquement et erronément priorisé les objectifs de dénonciation et de dissuasion afin de répondre au crime. Or, les facteurs atténuants retenus par le juge, et repris plus haut, permettent, dans les circonstances du présent dossier, l’emprisonnement dans la collectivité.

Conclusion

  1.       Je propose donc de substituer à la peine d’incarcération une peine d’emprisonnement dans la collectivité d’une durée de 18 mois. Outre les conditions obligatoires, l’appelant devra être à son domicile en tout temps pour les premiers 10 mois de l’ordonnance et devra respecter un couvre-feu pour les huit mois suivants, le tout avec des exceptions (notamment pour le travail, pour des questions de santé et d’exercice d’un culte religieux). Il devra également exécuter 150 heures de travaux communautaires dans les 14 premiers mois de l’ordonnance. Dans le cadre de cette ordonnance, je suggère également que l’appelant participe à des séances ou à un programme de sensibilisation relatifs aux comportements sexuels inadéquats que pourrait suggérer l’agent de surveillance, le cas échéant. Enfin, je propose notamment d’ajouter des conditions pour protéger la plaignante ainsi que les autres conditions habituelles. Cette ordonnance d’emprisonnement dans la collectivité sera suivie d’une période de probation d’un an aux conditions obligatoires et d’autres pour maintenir la protection de la plaignante, mais sans surveillance particulière.

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

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