Décision

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1265 rue Rachel est c. Amine Salah

2024 QCTAL 18495

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

705408 31 20230426 F

No demande :

3896295

 

 

Date :

05 juin 2024

Devant la greffière spéciale :

Me Shuang Shuang

 

Le 1265 Rue Rachel Est

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Mohamed Amine Salah

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locatrice a produit une demande de fixation de loyer, conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec, ainsi qu’une demande de remboursement des frais.

[2]         Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023, à un loyer mensuel de 650 $.

AVIS D’AUGMENTATION PRÉMATURÉ

Les faits

[3]         Le locataire soulève que l’avis d’augmentation de loyer lui est inopposable puisqu’il a été donné par la locatrice de manière prématurée.

[4]         La preuve démontre que le locataire a conclu un bail d’une durée fixe de 12 mois avec l’ancienne locatrice, lequel se renouvelait à compter du 1 décembre de chaque année.

[5]         La locatrice actuelle a fait l’acquisition de l’immeuble concerné en fin décembre 2021.

[6]         Le 29 mars 2022, la locatrice a fait signifier par huissier l’avis d’augmentation de loyer au locataire, demandant une augmentation de 35,00 $ par mois, pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023. L’avis ne contient que deux options : accepter le renouvellement du bail avec ses modifications ou ne pas renouveler le bail et quitter le logement.

[7]         Le locataire, ne sachant pas qu’il avait l’option de refuser l’augmentation tout en renouvelant le bail, a décidé de l’accepter le 25 avril 2022.

[8]         Le 27 avril 2022, le locataire a averti la locatrice que l’avis d’augmentation comportait une erreur et que selon le dernier avis d’augmentation, son bail était en fait du 1er décembre 2022 au 30 novembre 2023. Il a mis en pièce jointe l’avis d’augmentation de loyer envoyé par l’ancienne locatrice qui indiquait que le bail se renouvelait à compter du 1er décembre 2021 pour 12 mois.


[9]         La preuve est muette quant à ce qui s’est passé par la suite.

[10]     Pour la période de renouvellement 2023-2024, la locatrice a fait signifier par huissier, le 28 mars 2023, un avis d’augmentation de loyer et de modification d’une autre condition du bail au locataire. Il est mentionné dans cet avis que le bail sera renouvelé du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024.

[11]     Le locataire a donné son refus le 11 avril 2023.

L’analyse et la décision

[12]     L’article 1942 du Code civil du Québec prévoit les délais dans lesquels le locateur doit donner l’avis d’augmentation de loyer et de modification d’une autre condition du bail :

« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s’il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l’arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l’avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d’au moins un mois, mais d’au plus deux mois.

Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s’il s’agit du bail d’une chambre. »

[13]     Les articles 6 et 7 et 1375 C.c.Q. prévoient les principes de la bonne foi.

[14]     En application de ces principes, lorsqu’un locataire reçoit un avis donné prématurément, il se doit d’indiquer au locateur qu’il considère son avis invalide en raison d’une irrégularité, et ce, pour lui permettre d’y apporter les corrections requises.

[15]     Dans l’affaire Lépinay c. Robitaille[1], la greffière spéciale Chantal Houde a jugé un avis de modification invalide puisque prématuré et que le locateur a omis de rectifier l’irrégularité bien qu’il en a été avisé :

« [7] L'avocat des locataires soutient qu'il y a lieu pour le Tribunal de déclarer irrecevable la demande du locateur.

[8] Le Tribunal constate que le locateur en notifiant l'avis d'augmentation le 30 août 2021, a devancé le délai prévu au 1er octobre 2021. Et qu'en dérogeant à un délai prévu par la loi, il restreint les droits des locataires.

[9] Une abondante jurisprudence du Tribunal enseigne que celui qui reçoit un avis irrégulier doit faire preuve de vigilance et de diligence afin de manifester sa bonne foi et doit alors informer le locateur de l'irrégularité rapidement et non attendre le jour de l'audience pour agir.

[10] Les prescriptions de la loi doivent être tempérées par la bonne foi des parties.

[11] Au sujet de la bonne foi, les articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec stipulent ce qui suit :

« 6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction. »

[12] L'avis de modification du bail est prématuré puisqu'il a été donné plus d'un mois avant le terme du bail.

[13] Ces informations ont été communiquées au locateur et il a eu l'opportunité de rectifier l'irrégularité, ce qu'il n'a pas fait.

[14] Pour les motifs mentionnés précédemment, le Tribunal estime que l'avis de modification du bail est invalide.

[15] Par conséquent, la présente demande est irrecevable. »

(Soulignements de la soussignée)


[16]     En l’espèce, les parties s’accordent pour dire que le loyer est demeuré à 650,00 $ en 2023 malgré l’acceptation du locataire de l’avis proposant un nouveau loyer de 685,00 $ pour la période du 1er juillet 2022 au 30 juin 2023.

[17]     Il faut noter que le locataire témoigne avoir retiré son acceptation à la suite du constat de l’erreur sur la période du bail.

[18]     Le mandataire de la locatrice n’a pas donné d’explication sur pourquoi le loyer est demeuré à 650,00 $.

[19]     Le Tribunal tire l’inférence que le bail n’a pas été modifié en 2022 ni pour le loyer ni pour la période, vu l’erreur que contient l’avis d’augmentation et laquelle a été portée à l’attention de la locatrice par le locataire.

[20]     Ainsi, le bail se renouvelle à compter du 1er décembre de chaque année pour douze mois. L’avis de modification du bail donné le 28 mars 2023 est donc prématuré puisqu’il a été donné plus de six mois avant le terme du bail.

[21]     Le locataire a déjà avisé la locatrice de ce fait en 2022 et elle a eu l’opportunité de rectifier l’irrégularité, ce qu’elle n’a pas fait.

[22]     Conformément à la jurisprudence du Tribunal en cette matière, le Tribunal juge que l’avis de modification du bail est invalide et inopposable au locataire. 

[23]     CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[24]     CONSIDÉRANT le caractère prématuré de l’avis d’augmentation du loyer et de modification d’une autre condition du bail;

[25]     CONSIDÉRANT l’absence de preuve au soutien de la demande de remboursement des frais;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[26]     REJETTE la demande de la locatrice qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Shuang Shuang, greffière spéciale

 

Présence(s) :

le mandataire de la locatrice

le locataire

Date de l’audience : 

7 mars 2024

 

 

 


 


[1] 2022 QCTAL 5031.

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