Fortin c. St-Onge |
2020 QCTAL 3609 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Québec |
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No dossier : |
450095 18 20190320 G |
No demande : |
2719260 |
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Date : |
07 octobre 2020 |
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Devant la juge administrative : |
Chantale Trahan |
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Dominique Fortin
Joël Pageau |
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Locataires - Partie demanderesse |
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c. |
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France St-Onge
Jean-François Guérin |
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Locateurs - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Par une demande introduite le 20 mars 2019, les locataires réclament solidairement aux locateurs des dommages de 7 778 $ pour troubles et inconvénients, avec intérêts et indemnité additionnelle, se traduisant par l’équivalent d’un mois de loyer par année pour chacun d’eux, pour la période de 2014 à 2019 pour madame Fortin et à partir de l’année 2016 pour monsieur Pageau, pour le motif qu’ils sont entrés illégalement dans leur logement à plusieurs reprises.
CONTEXTE
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015, lequel a été reconduit jusqu’au 30 juin 2019, au loyer mensuel de 1 123 $. Il s’agit d’un logement situé au rez-de-chaussée sur deux étages, dans un immeuble comprenant au total quatre logements.
PREUVE DES LOCATAIRES
[3] Les locataires se plaignent d’avoir été privés de la pleine jouissance des lieux en raison des gestes des locateurs. Ils expliquent les différents événements qui fondent leur réclamation.
[4] Ainsi, en 2014, lors de la visite du logement préalable à la location, madame Fortin constate qu’il y a certains travaux à faire dans la salle de bain, dont la réparation de la céramique et l’enrayage des traces de moisissures.
[5] En 2015, elle entend du bruit et elle se rend compte que quelqu’un travaille dans le portique de l’immeuble. Elle constate qu’il s’agit de monsieur Guérin et elle lui demande, par la même occasion, de venir voir les réparations à faire dans le logement. Quelques jours plus tard, il s’est présenté à la porte de leur logement, sans prévenir. À cette occasion, madame Fortin lui ouvre et lui fait faire à nouveau le tour de l’appartement, sans qu’il n’effectue quelque réparation que ce soit. Lors de cette même visite, il lui propose de remplacer le ventilateur de cuisine. Elle lui rappelle à cette occasion que pour les prochaines fois, il doit la prévenir des visites avant de se présenter chez elle.
[6] À l’hiver 2016, la locataire témoigne que le locateur cogne à la porte du logement et son conjoint monsieur Pageau, qui est présent, n’a pas le temps d’enfiler un chandail avant de se rendre à la porte que le locateur Guérin est déjà entré dans l’appartement. Ce dernier n’avait pas annoncé sa visite au préalable. Devant l’agacement manifesté par monsieur Pageau, monsieur Guérin aurait répliqué qu’il était chez lui.
[7] Au printemps 2016, vers midi, monsieur Guérin cogne à la porte. À ce moment, monsieur Pageau dort car il travaille de nuit. Avant même qu’il n’ait eu le temps de se rendre à la porte pour l’ouvrir, il entend la clé tourner dans la serrure. À ce moment, il se dépêche de mettre son pied dans la porte pour empêcher monsieur Guérin d’entrer. Lorsque madame Fortin apprend ce qui s’est passé, elle est très fâchée et elle contacte monsieur Guérin par téléphone pour lui rappeler ses obligations légales.
[8] Le 28 décembre 2017, les locateurs visitent le logement après avoir avisé madame Fortin par courriel qu’une panne d’électricité était annoncée et qu’ils devaient laisser les robinets ouverts. Madame France St-Onge, la locatrice, témoigne au Tribunal qu’elle considérait cette situation d’urgence car en plein hiver, elle ne voulait absolument pas qu’une panne d’électricité ait comme conséquence de faire geler les tuyaux, d’autant plus qu’elle ignorait la durée de la panne annoncée.
[9] Les locataires sont revenus en soirée ce même jour et madame Fortin a constaté que des objets avaient été déplacés dans l’appartement et qu’un tiroir avait été ouvert dans le salon. Elle témoigne qu’elle est outrée qu’à l’occasion de la visite, le locateur ait pris une boîte cadeau sur les lieux et qu’il y a fait un trou avec un stylo. Madame Fortin s’offusque et n’accepte pas que le locateur fouille dans ses affaires, même pour lui laisser un message écrit. Le tiroir était resté ouvert et la boîte de carton avait été déplacée sur la cuisinière. Fâchée de cette situation, elle lui a téléphoné en fin de soirée, soit à 22 h 30. Elle affirme que lorsque monsieur Guérin lui a répondu, celui-ci a éclaté de rire lorsqu’elle lui a reproché d’avoir fouillé dans ses affaires.
[10] Dans la même lancée, elle décide d’écrire par courriel à madame St-Onge pour lui témoigner son indignation face aux agissements de monsieur Guérin. Elle n’accepte pas que ce dernier ait fouillé et vandalisé ses effets dans l’appartement.
[11] Au début de l’année 2018, les locataires expliquent il y eu un problème avec la toilette. Monsieur Pageau avait acheté une nouvelle chasse d’eau mais elle ne fonctionnait pas, compte tenu du modèle âgé de la toilette. Madame Fortin explique que plutôt que de téléphoner à monsieur Guérin pour régler la situation, ils préféraient s’organiser eux-mêmes avec la réparation afin d’éviter qu’il arrive une fois de plus de manière impromptue.
[12] Le 7 août 2018, les locataires ont été prévenus de la visite de monsieur Guérin (Pièce L-2), concernant une soumission pour leur salle de bain. À l’occasion de cette visite, madame Fortin lui a de nouveau montré les tuiles de la salle de bain. Monsieur Guérin aurait précisé qu’il n’était pas assez connaissant pour ce type de travail (plancher et toilette). Or, toujours à ce moment, monsieur Guérin décide de démonter le ventilateur de la cuisine qui fonctionnait, mais qui a cessé de fonctionner après son intervention. Selon madame Fortin, il ne s’agissait que de l’interrupteur qui ne fonctionnait pas. Elle dénonce le fait que par son action, monsieur Guérin a déprogrammé la fonction tamisage du ventilateur plutôt que de demander à un électricien de s’occuper de cette réparation.
[13] Par la suite, les locataires se sont aperçus qu’il y avait un trou dans le bas du mur de leur chambre, qui ressemble à un impact par coup de marteau. Ils ne savent pas quand ce trou a été fait mais ils assurent qu’il n’était pas là. Il s’agit du mur intérieur entre la chambre à coucher et la cuisine. Ils redoutent que ce soit monsieur Guérin qui soit entré dans leur logement sans, une fois de plus, les aviser et qu’il ait improvisé des travaux à faire inutilement.
[14] Le 17 octobre 2018, les locataires ont communiqué avec la locatrice St-Onge par message-texte (L-3) qui mentionne qu’ils sont tannés que les travaux de la salle de bain ne soient toujours pas faits et qu’ils ne veulent pas que monsieur Guérin vienne passer une semaine dans leur logement pour des travaux qui n’en finiront plus. Finalement, les parties conviennent qu’un plombier fasse la réparation, ce qui fut fait, à la satisfaction des locataires.
[15] Le 31 octobre 2018, au moment où madame Fortin était sur le point de se doucher dans la salle de bain située à l’étage, elle entend du bruit sur le toit et s’aperçoit que monsieur Guérin y est avec un spécialiste pour la toiture.
[16] Le 1er novembre 2018, madame Fortin envoie un courriel (L-4) concernant les visites non annoncées de monsieur Guérin. Elle est fâchée que monsieur Guérin soit passé sur son balcon pour aller au toit de l’immeuble.
[17] Madame St-Onge informe madame Fortin que monsieur Guérin doit retourner sur le toit le même jour (L-5). Selon madame Fortin, madame St-Onge minimise l’importance des comportements reprochés à monsieur Guérin. Celui-ci revient finalement le même jour accompagné de sa conjointe Isabelle Lafleur et celle-ci filme la scène. De son côté, madame Fortin filme également l’événement de l’intérieur de l’appartement.
[18] Madame Fortin prétend que les balcons ne sont pas des espaces communs, qu’il s’agit de balcons dédiés et non accessibles de la rue, mais uniquement par la cour arrière.
[19] Madame Fortin témoigne qu’entre les 2 et 7 novembre 2018, la poignée de la porte extérieure qui donne sur le balcon a brisé, mais qu’ils s’abstiennent de demander à monsieur Guérin sa réparation plutôt que de vivre un stress vis-à-vis cette situation, en lien à ses visites impromptues et peu efficaces.
[20] Le 13 novembre 2018, les locataires transmettent une mise en demeure aux locateurs (L-6), dans laquelle ils demandent la résiliation du bail.
Témoignage de Maude Bailly-Otis
[21] Madame Bailly-Otis était la colocataire initiale sur le bail avec madame Fortin, de 2014 à 2016. Elle témoigne que dès 2014, des tuiles de la salle de bain nécessitaient une réparation car elles étaient cassées et décollées du revêtement de plancher. De plus, elle confirme que des escaliers extérieurs communs relient les balcons des deux logements de l’étage.
Dommages moraux
[22] Madame Fortin témoigne qu’elle a développé une insécurité à vivre dans son logement au fil du temps, elle témoigne qu’elle et monsieur Pageau n’avaient plus confiance aux locateurs et qu’ils craignaient que ces derniers se présentent à l’improviste. Elle dénonce le fait que les locateurs n’ont jamais reconnu avoir mal agi. Elle trouve l’attitude détachée de monsieur Guérin très désagréable et irresponsable, alors qu’il s’agit de faits clairs selon elle et non une interprétation différente des faits, comme le prétend monsieur Guérin.
PREUVE DES LOCATEURS
[23] Les locateurs témoignent de leur version de façon chronologique, en réponse aux allégations des locataires.
[24] Comme remarque préliminaire, monsieur Guérin témoigne que sauf dans le cas d’urgence, il ne se rend pas dans un logement en dehors des heures convenues. Il indique qu’il demande toujours aux locataires s’ils seront présents et il prend un rendez-vous avec eux des semaines d’avance car il travaille à l’extérieur de son domicile une semaine sur deux. Il affirme que lorsqu’il se rend à un logement, il frappe à la porte et il y entre s’il n’a pas de réponse, mais seulement lorsque cela a été convenu avec les locataires au préalable. Il précise qu’il ne pénètre pas dans les logements si cette façon de faire n’a pas été convenu avec les locataires.
[25] Dans le cas présent, monsieur Guérin indique que rien ne lui faisait penser que pour madame Fortin et madame Bailly-Otis, il y avait un problème avec lui. Il ne savait pas qu’il y avait du mécontentement de leur part et les locateurs en ont été très surpris. Ils affirment que c’est uniquement le 28 décembre 2017 qu’ils ont su que les locataires avaient des reproches à faire à monsieur Guérin.
[26] De plus, le 3 novembre 2018, les locateurs ont proposé une rencontre avec les locataires pour établir de bons moyens de communications entre eux, mais la rencontre n’a pas eu lieu.
Prétention des locateurs sur les différents événements chronologiques
Premier événement
[27] À l’hiver 2016, monsieur Guérin devait se rendre pour réparer une serrure de la porte de la cuisine située sur la galerie arrière. Il ne se souvient plus s’il les a avisés de sa visite, mais il se rappelle d’avoir rencontré un inconnu dans le logement, qui s’avérait être monsieur Pageau. Il ne s’attendait pas à ce que quelqu’un soit dans le logement de madame Fortin. Il nie qu’il lui aurait dit qu’il était chez lui mais il lui aurait plutôt dit qu’il est le propriétaire de l’immeuble. Il indique qu’il n’a pas pu faire la réparation dans le logement car monsieur Pageau a refusé.
[28] Il relate que madame Fortin l’a rappelé le soir, lui mentionnant qu’elle n’avait pas été informée au préalable de sa visite et que la conversation téléphonique avec elle était cordiale. Il explique, selon lui, que madame Fortin avait seulement oublié sa visite prévue. Monsieur Guérin relate que lors de cette conversation téléphonique, ils conviennent verbalement des façons de faire pour l’avenir, qui se résument à un préavis de 24 heures avant chaque visite.
Deuxième événement
[29] Le deuxième événement se situe printemps 2016. Monsieur Guérin indique que s’il est entré dans le logement, c’est qu’il croyait que les locataires étaient absents. Il précise qu’il a l’habitude de cogner et d’attendre mais qu’il ne se souvient plus pour quelle raison il se rendait au logement. Il croit également que madame Fortin a pu oublier sa visite prévue au logement, une fois de plus.
Troisième évènement : 28 décembre 2017
[30] Les locateurs expliquent qu’ils apprennent qu’il y a eu une panne d’électricité dans le secteur de l’immeuble, alors que la température extérieure est très froide. Madame St-Onge a voulu s’assurer que tous les locataires aient l’instruction de faire couler un filet d’eau dans les tuyaux pour éviter qu’ils gèlent. Elle a transmis un courriel à madame Fortin lui annonçant que les locateurs se déplaçaient à ce moment là pour faire cette action en urgence en vue de sécuriser la plomberie de l’immeuble, mais elle n’avait pas eu de réponse de sa part. C’est monsieur Guérin et sa conjointe qui se sont occupés de faire le tour des logements ce soir-là.
[31] Le locateur Guérin témoigne que lors de sa visite dans le logement de madame Fortin et de monsieur Pageau, il a constaté un très grand désordre. Il explique qu’il s’est rendu à la cuisine pour ouvrir le robinet, avoir laissé une note sur une boite de carton vide qui traînait dans le logement et avoir planté un crayon pour leur laisser savoir qu’il était passé. Il précise qu’il y avait de l’éclairage dans le logement, mais pas de chauffage.
[32] Il explique qu’en soirée, madame Fortin lui a téléphoné vers 22h30 et qu’elle était en furie contre lui, lui raccrochant même au nez. Il confirme qu’il a ri au téléphone mais il indique qu’il s’agissait d’une réaction d’incompréhension face à la réaction de madame Fortin.
Quatrième événement : trou dans le mur entre la chambre et la cuisine
[33] Monsieur Guérin nie que le trou soit causé par ses agissements. Les locateurs ignoraient qu’il y avait un trou dans le mur et s’en disent non responsables, n’ayant pas été dans le logement des locataires.
Cinquième événement : 31 octobre 2018
[34] Les locateurs témoignent que le 5 octobre 2018, un incendie est survenu dans l’immeuble voisin et que les pompiers sont passés par la toiture de leur immeuble. Le 31 octobre 2018, monsieur Guérin a donc voulu inspecter la toiture pour évaluer les dommages car la grande échelle des pompiers avait été ancrée sur leur toit, ce qui a causé des trous dans la toiture. Suivant cet événement, de l’eau avait coulé dans le logement voisin au cours de la semaine précédant le 31 octobre 2018.
[35] Monsieur Guérin décrit les lieux extérieurs, en précisant qu’il n’a nul besoin de passer dans les logements pour se rendre sur la toiture mais qu’il doit passer sur le balcon arrière de madame Fortin pour avoir accès à la trappe qui mène au toit. D’ailleurs, la locataire du même étage a aussi accès au balcon de madame Fortin pour emprunter les escaliers extérieurs.
[36] Il ne comprend pas pourquoi sa visite crée autant de mécontentements car il indique que l’entreprise L’Escouade des neiges est venue 17 fois au cours des dernières années, factures à l’appui, pour déneiger la toiture l’hiver sans que madame Fortin ne s’en plaigne car cette entreprise a l’habitude de passer sans aviser au préalable.
Sixième événement : 1er novembre 2018
[37] Monsieur Guérin explique qu’il a dû faire les réparations de la toiture et que sur place, il a demandé à sa conjointe d’être présente comme témoin. Celle-ci a filmé son accession à la toiture pour démontrer qu’il passait par l’extérieur de l’immeuble et selon les locateurs, il s’agissait d’une réparation urgente qui ne nécessitait pas de préavis, mais ils ont quand même avisé les locataires Fortin et Pageau à cette occasion.
[38] Avant le 28 décembre 2017, les discussions étaient verbales entre les parties. Monsieur Guérin indique au Tribunal que madame Fortin lui reproche sa présence au logement comme s’il y allait à chaque semaine, ce qui n’est pas du tout le cas, selon lui.
[39] Selon monsieur Guérin, il croit que les locataires sont outrés du fait qu’il aurait vu le désordre de leur logement le 28 décembre 2017 et qu’il a aperçu un sac de pot sur la table de la cuisine. C’est ce qui explique, selon lui, la réaction explosive de madame Fortin.
Témoignage d’Isabelle Lafleur
[40] Elle est la conjointe de monsieur Guérin. Elle s’est rendue à l’immeuble à deux reprises. La première fois, en décembre 2017, lors de la panne électrique et la seconde fois, le 1er novembre 2018.
[41] Les locateurs affirment que dès qu’ils ont reçu la mise en demeure du 12 novembre 2018, ils ne sont pas retournés au logement. Malgré qu’ils aient respecté le souhait des locataires, ils ont reçu leur demande judiciaire en mars 2019. Les locataires n’ont pas reconduit leur bail et ils ont quitté à l’échéance le 30 juin 2019, tout en s’occupant personnellement de la relocation, à la satisfaction des locateurs afin de ne pas avoir, selon eux, de visites incontrôlées dans le logement.
ANALYSE ET DÉCISION
[42] Le Tribunal tient à souligner qu’il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal.
[43] Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif mais plutôt qualitatif. La preuve testimoniale est évaluée en fonction de la capacité de convaincre des témoins et non pas en fonction de leur nombre.
[44] Le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible mais probable et il n'est pas toujours aisé de faire cette distinction. Par ailleurs, la preuve offerte ne doit pas nécessairement conduire à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.
[45] Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée[1].
[46] Concernant les visites d’un logement, les articles 1857, 1863, 1898, 1931, 1932 et 1933 du Code civil du Québec stipulent ce qui suit :
« 1857. Le locateur a le droit de vérifier l'état du bien loué, d'y effectuer des travaux et, s'il s'agit d'un immeuble, de le faire visiter à un locataire ou à un acquéreur éventuel; il est toutefois tenu d'user de son droit de façon raisonnable. »
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
« 1898. Tout avis relatif au bail, à l'exception de celui qui est donné par le locateur afin d'avoir accès au logement, doit être donné par écrit à l'adresse indiquée dans le bail, ou à la nouvelle adresse d'une partie lorsque l'autre en a été avisée après la conclusion du bail; il doit être rédigé dans la même langue que le bail et respecter les règles prescrites par règlement.
L'avis qui ne respecte pas ces exigences est inopposable au destinataire, à moins que la personne qui a donné l'avis ne démontre au tribunal que le destinataire n'en subit aucun préjudice. »
« 1931. Le locateur est tenu, à moins d'une urgence, de donner au locataire un préavis de 24 heures de son intention de vérifier l'état du logement, d'y effectuer des travaux ou de le faire visiter par un acquéreur éventuel. »
« 1932. Le locataire peut, à moins d'une urgence, refuser que le logement soit visité par un locataire ou un acquéreur éventuel, si la visite doit avoir lieu avant 9 heures et après 21 heures; il en est de même dans le cas où le locateur désire en vérifier l'état.
Il peut, dans tous les cas, refuser la visite si le locateur ne peut être présent. »
« 1933. Le locataire ne peut refuser l'accès du logement au locateur, lorsque celui-ci doit y effectuer des travaux.
Il peut, néanmoins, en refuser l'accès avant 7 heures et après 19 heures, à moins que le locateur ne doive y effectuer des travaux urgents. »
[47] Les locataires reprochent aux locateurs, plus particulièrement à l’encontre de monsieur Guérin qui se présentait pour des visites impromptues sans préavis, leur causant ainsi un stress, d’avoir contribué directement à diminuer la jouissance paisible de leur logement, à laquelle ils étaient en droit de s’attendre.
[48] L’article 1854 du Code civil du Québec prévoit d’ailleurs ce qui suit :
« 1854. Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »
[49] Le Tribunal retient de la preuve que les locataires ont démontré que le locateur Guérin s’est présenté à deux reprises au logement sans préavis de ses visites, pour celles étant survenues à l’hiver 2016 et au printemps 2016. Pour les visites ayant eu lieu avant, elles se sont déroulées spontanément sur invitation et/ou acceptation de madame Fortin et le Tribunal ne peut considérer que le locateur a commis une faute lors de ces visites.
[50] En ce qui concerne les visites du 31 octobre 2018 et du 1er novembre 2018, la preuve a révélé qu’un incendie est survenu le 5 octobre 2018, soit quelques semaines auparavant, qui avait nécessité au surplus l’évacuation des locataires pris en charge par la Croix-Rouge. Étonnamment, les locataires n’ont pas mentionné ce fait dans leur témoignage. Les visites du locateur étant directement reliées à cet incendie car il y avait une infiltration d’eau dans le logement d’à côté qui nécessitait une intervention urgente. Le Tribunal considère que les locateurs n’avaient pas à aviser les locataires de cette visite, d’autant plus que les travaux se faisaient à l’extérieur du bâtiment.
[51] De plus, la seule façon d’accéder à la toiture était de passer par le balcon extérieur arrière du logement des locataires. Ce balcon, par la preuve administrée à l’audience qui démontre l’état des lieux, n’est pas considéré par le Tribunal comme un espace exclusif aux locataires, mais bien un espace commun. D’ailleurs, le locataire voisin devait nécessairement emprunter la galerie des locataires pour descendre ou monter les escaliers extérieurs. De plus, à 17 reprises en cours de bail, un déneigeur a eu accès à la toiture par la même trappe d’accès, pour effectuer des travaux de déneigement.
Dommages moraux
[52] Les locataires réclament des dommages moraux équivalents à un mois de loyer par année. Concernant la demande de dommages moraux, ce type de dommages vise à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue ainsi que les troubles et inconvénients de toutes sortes qu’a pu éprouver la partie lésée. Contrairement aux dommages pécuniaires qui sont plus facilement quantifiables en raison de leur caractère objectif, les dommages moraux doivent tout de même être prouvés selon la règle de prépondérance. La seule allégation d’avoir subi des dommages moraux ne suffit pas. Le Tribunal doit être convaincu du préjudice subi en fonction de la preuve présentée.
[53] Dans ce cas, les locataires n’ont pas démontré au Tribunal, par prépondérance, avoir subi des dommages moraux suite aux événements de 2016 et de la visite en décembre 2017. Ils ont clairement démontré qu’ils n’étaient pas d’accord avec les visites du locateur, que cette situation les exaspérait, surtout pour la locataire Fortin, mais aucun dommage n’a été démontré.
[54] Le Tribunal convient par ailleurs que le locateur a agi de façon très maladroite lors de sa visite du 28 décembre 2017. Lorsqu’on veut laisser une note aux locataires, le locateur ne doit pas explorer dans l’appartement à la recherche d’un papier et crayon, même si le matériel semble en apparence disponible et à portée de main.
[55] Cet événement, de même que les deux visites non annoncées, ont miné la relation de confiance entre les locataires et monsieur Guérin. Le locateur doit, à moins d’instructions contraires et claires de la part des locataires, respecter les préavis édictés par les articles 1930 et 1931 du Code civil du Québec et convenir clairement avec les locataires de la nature et de l’heure de sa visite.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[56] REJETTE la demande des locataires, qui en assument les frais.
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Chantale Trahan |
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Présence(s) : |
les locataires les locateurs |
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Dates des audiences : |
11 février 2020 21 juillet 2020 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.