Décision

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Dion c. Laroche

2024 QCTAL 2373

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

733695 31 20230914 G

No demande :

4039597

 

 

Date :

24 janvier 2024

Devant le juge administratif :

Michel Rocheleau

 

Lise Dion

 

René Turcot

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Marie Chantal Laroche

 

Solange Binette

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le 14 septembre 2023, les locateurs demandent au Tribunal de les autoriser à reprendre le logement concerné, à compter du 1er juillet 2024, pour s'y loger, suivant les termes de l'article 1963 du Code civil du Québec.

[2]         La preuve révèle que les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 1 210 $.

[3]         La preuve démontre que le 25 août 2023, les locateurs faisaient parvenir aux locataires un avis de reprise de logement, pour s'y loger, à compter du 1er juillet 2024. Dans un premier temps, les locataires ont répondu à cet avis, déclarant s'y opposer.

[4]         Lors de l’audience, elles ont cependant affirmé y consentir. Le litige ne porte plus que sur les conditions justes et raisonnables, y compris l’indemnité équivalente aux frais de déménagement, conformément à l’article 1967 du Code civil du Québec.

[5]         Mentionnons d'abord que l'article 1963 du Code civil du Québec stipule :

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du Tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »


[6]         Tel que l'écrivait Me Bisson dans l'affaire Dagostino c. Sabourin[1], en matière de reprise de logement, deux droits importants se rencontrent et s'opposent : d'une part le droit du propriétaire d'un bien de jouir de ce dernier comme bon lui semble et, d'autre part, le droit des locataires au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger le droit des locataires que le législateur impose des conditions au locateur.

[7]         En l'espèce, le Tribunal considère que les locateurs respectent les exigences de la loi quant à la reprise du logement et il est satisfait que les locateurs désirent bien le logement pour s'y loger. Le Tribunal ne peut tenir compte, dans sa décision concernant l'autorisation de reprendre le logement, de considérations qui sont personnelles aux locataires et qui ne sont pas prévues à la loi.

[8]         Ainsi, puisqu'il juge indiqué d'autoriser la reprise du logement concerné, le Tribunal est d'opinion qu'il y a lieu d'examiner les circonstances propres aux locataires, en regard des termes de l'article 1967 du Code civil du Québec.

[9]         Cet article se lit comme suit :

« 1967. Lorsque le Tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »

[10]     Dans l'affaire Boulay c. Tremblay, (1994) J.L. 132, le juge Lachapelle précise la nature de l'indemnité applicable en matière de reprise de logement de la façon suivante :

« Dans les cas d'éviction du locataire pour subdivision du logement ou changement d'affectation, le législateur a prévu une indemnité de trois mois de loyer et des frais de déménagement et même une somme supérieure si le locataire le justifie. (Art. 1660.4 C.c.) Cependant, en matière d'éviction pour reprise de possession, le législateur n'a déterminé aucune indemnité précise. Il laisse au Tribunal le soin de fixer les conditions justes et raisonnables et notamment l'indemnité de déménagement.

Pierre-Gabriel Jobin conclut à l'examen des dispositions de l'article 1659.7 :

« ... Il serait sage d'indemniser le locataire victime d'une reprise de possession; celui-ci devrait avoir droit à l'indemnité, sauf quand son déménagement n'est pas provoqué en réalité, par la reprise de possession, mais qu'il obéit à d'autres préoccupations personnelles du locataire. »

[11]     Le juge aux termes de l'article 1659.7 a donc discrétion pour fixer les conditions justes et raisonnables et le montant de l'indemnité. Comme le signale le juge Pigeon, lorsque le juge a une telle discrétion, il « doit en user « judiciairement », ce qui signifie qu'il doit le faire pour un motif valable. » (Rédaction et interprétation des lois, Éditeur Officiel du Québec, Québec, 1965-1978, p. 30)

[12]     Ainsi il doit justifier tout autant son refus d'accorder que de ne pas accorder une indemnité de déménagement de même que des conditions justes et raisonnables. Il doit prendre sérieusement en compte la demande du locataire et contrairement à ce que certains prétendent, ne refuser cette demande qu'exceptionnellement.

[13]     Il convient ici de rappeler que la reprise de possession est une exception au droit du maintien dans les lieux du locataire et qu'elle est provoquée par le locateur. Il est en conséquence légitime que le locataire se voie indemniser pour les dépenses et les inconvénients qu'il a subis. Ce droit est cependant balisé par le droit du locateur de disposer de ses biens et par conséquent, de son droit à la reprise de possession. Si le Tribunal a discrétion pour déterminer le montant, il doit tenir compte de ce droit du locateur et ne peut certes pas condamner aux dommages-intérêts qui découlent d'une reprise de possession abusive[2]. »

[14]     L'article 1659.7 du Code civil du Bas-Canada est remplacé depuis le 1er janvier 1994 par l'article 1967 du Code civil du Québec. Cette nouvelle disposition est de même nature et a la même portée que l'ancienne.

[15]     Le Tribunal partage l'opinion du juge Lachapelle et, comme lui, il croit que les locataires ont le droit de se voir compenser pour les dépenses et les inconvénients occasionnés par ce déménagement forcé.

[16]     En l’espèce, les locateurs offrent aux locataires la somme totale de 2 561 $. Ce montant se compose de 1 500 $ à titre de frais de déménagement ainsi qu’un remboursement de 1 061 $ à titre de remboursement des frais de peinture que les locataires ont dépensé lors de leur entrée dans le logement en 2022.


[17]     De leur côté, les locataires acceptent de recevoir la somme de 1 500 $ à titre de frais de déménagement. Cependant, elles désirent obtenir la somme de 2 191,37 $ en remboursement des sommes dépensées pour repeindre le logement. Elles demandent également la somme de 106,38 $ pour le réacheminement du courrier.

[18]     Partant, compte tenu des circonstances dont ont témoigné les locataires et compte tenu aussi du fait que les locateurs n'ont pas à être pénalisés pour l'exercice d'un droit légitime, soit celui d'habiter leur maison, le Tribunal estime que l'octroi de l’indemnité proposée par les locateurs de l'ordre 2 561 $ majoré de la somme de 106,38 $ est juste et raisonnable pour compenser les locataires pour les frais d'un déménagement, le réacheminement postal et pour tous les troubles et inconvénients y afférents, dont la recherche d'un nouveau logement. Le Tribunal fixe donc l’indemnité à la somme de 2 667,38 $.

[19]     Enfin, compte tenu des difficultés rencontrées par les locataires à trouver un nouveau logement et vu le consentement des locateurs à devancer la date de reprise de logement, le Tribunal accordera la reprise à compter du 1er juillet 2024, advenant qu'elles ne puissent trouver de logement accessible d'ici cette date.

[20]     Dans le cas contraire, elles pourraient quitter avec préavis écrit de quinze jours et seront libérées de leurs obligations envers les locateurs et le loyer du dernier mois sera ajusté au prorata du nombre de jours occupés jusqu'au départ.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[21]     AUTORISE les locateurs à reprendre le logement concerné à compter du 1er juillet 2024 pour s'y loger;

[22]     ORDONNE l'éviction des locataires à compter du 1er juillet 2024;

[23]     PERMET aux locataires de quitter le logement avant le 1er juillet 2024 en transmettant aux locateurs un préavis d'au moins 15 jours avant leur départ, auquel cas les locataires seront libérées du paiement du loyer à compter de la date de leur départ et le loyer sera ajusté au prorata du nombre des jours occupés jusqu'au départ.

[24]     CONDAMNE les locateurs à payer aux locataires la somme de 2 667,38 $;

[25]     LE TOUT, sans frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Rocheleau

 

Présence(s) :

les locateurs

les locataires

Date de l’audience : 

12 janvier 2024

 

 

 


 


[2]  Boulay c. Tremblay, (1994) J.L. 132.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.