Côté-Gingras c. Riverin | 2023 QCTAL 31425 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Saguenay | ||||||
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No dossier : | 658181 02 20221017 G | No demande : | 3687119 | |||
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Date : | 12 octobre 2023 | |||||
Devant la juge administrative : | France Tremblay | |||||
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Emmanuelle Côté-Gingras |
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Locataire - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Catherine Riverin
Guy Riverin |
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Locateurs - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’un recours produit le 17 octobre 2022, par lequel la locataire demande la diminution du loyer de l’ordre de 170 $ par mois avec effet rétroactif au 1er août 2022, l’exécution en nature des obligations des locateurs, la condamnation des locateurs à la somme de 5 000 $, à titre de dommages-intérêts, en plus des frais de justice.
[2] Au soutien de sa demande, la locataire allègue que les locateurs ont failli à leurs obligations légales et contractuelles à son égard, en lien avec à leurs obligations de lui procurer la pleine jouissance paisible de son logement et d’entretenir les lieux pendant toute la durée du bail.
[3] Les locateurs contestent la demande de la locataire.
Bail :
[4] Les parties sont liées par un bail de logement du 1er juillet 2013 au 30 juin 2014, reconduit jusqu’au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 670 $.
[5] Les locateurs sont propriétaires de l’immeuble en l’instance pour l’avoir acquis en 2017 de la succession de leur mère, Feue Gisèle Murdock.
[6] Il s’agit d’un immeuble qui totalise neuf logements.
[7] La locataire y occupe un logement de 3 chambres à coucher, avec son conjoint et leurs deux enfants. Monsieur Guy Riverin, locateur, habite également l’immeuble.
Preuve :
[8] Le Tribunal retient de la preuve administrée les éléments qui suivent.
Prétentions de la locataire
[9] À l’audience, la locataire produit des documents qu’elle a préparés elle-même pour valoir son témoignage, dont le Tribunal retient les éléments suivants :
[11] De ce fait, la locataire explique qu’elle en est préjudiciée.
[12] Cela dit, bien que la locataire reconnaisse que certains travaux ont été effectués, notamment depuis l’introduction de sa demande au Tribunal administratif du logement, elle soutient qu’une inspection des lieux par un expert certifié demeure toujours d’actualité, que l’effritement des armoires perdure, que le comptoir de la cuisine est encore ondulé et malodorant, et que des espaces de rangement ont été retirés dans la salle de bain à leur détriment.
[13] Par ailleurs, la locataire maintient qu’à son arrivée dans le logement en 2013, celui-ci nécessitait déjà des travaux de rénovation. Cependant, le Tribunal souligne d’emblée que le logement est présumé avoir été délivré dans un bon état.
[14] Bref, la locataire rapporte avoir régulièrement dénoncé verbalement à monsieur Guy Riverin, locateur, ses troubles et qu’en l’absence d’un suivi adéquat, particulièrement concernant le trou béant laissé dans la salle de bain, elle a avisé la Ville de Saguenay, afin d’assurer la sécurité de sa famille.
[15] Ainsi, le 4 octobre 2022, un inspecteur de la Ville de Saguenay a procédé à l’inspection de la salle de bain.
[16] À ce chapitre, la locataire produit une copie d’un dernier avis de non-conformité au(x) règlement(s) municipal(aux) signé par monsieur Alexandre Deschênes, inspecteur en bâtiment à l’emploi de Ville de Saguenay, lequel constate les éléments suivants :
- Il y a des taches noires à plusieurs endroits dans l’appartement;
- Plusieurs revêtements et finitions sont abîmés par endroit;
- Il y a des signes pouvant laisser croire à la présence de rongeurs dans l’appartement;
[17] Ce faisant, monsieur Deschênes réclame le correctif suivant :
« Pour corriger la situation, vous devez réparer au besoin, les composantes de l’appartement de matière à garantir son intégrité et sa sécurité. »
[18] D’autre part, au soutien de son témoignage, la locataire produit des échantillons de détritus d’insectes récupérés dans son logement, ainsi que des photographies, lesquelles démontrent les différentes défectuosités suivantes :
- Carrelage du pourtour du bain cassé et joint inadéquat;
- Saleté du joint de la robinetterie;
- Mur de la salle de bain abîmé;
- Robinet de l’évier cassé;
- Recouvrement du plancher de la salle de bain désuet;
- Panneau et tiroir de l’évier de la cuisine;
- Vanité abîmée, etc.
[19] En date du 13 septembre 2022, par l’entremise d’une avocate, la locataire a transmis aux locateurs une mise en demeure, les enjoignant « de procéder » :
- À l’extermination des rongeurs, des insectes et des guêpes et au nettoyage complet du logement par une firme spécialisée,
- Au remplacement des armoires et tiroirs de la cuisine et la salle de bain,
- Au remplacement du comptoir de la cuisine,
- À la peinture des portes extérieures
- Au remplacement de la céramique brisée, de la vanité et de la robinetterie dans la salle de bain.
(…)
- De fournir des soumissions et devis détaillés à notre cliente et de lui aviser de la date et de la nature des travaux.
[20] La locataire reconnaît que les travaux suivants ont été effectués par les locateurs depuis l’introduction de sa demande :
- Inspection du trou ou du bois noirci;
- Peinture des armoires;
- Robinetterie changée;
- Vitre incassable installée au pourtour du bain;
- Hotte de la cuisinière changée;
[21] Cependant, la locataire soutient que les travaux suivants sont toujours requis :
- Extermination des rongeurs et d’insectes noirs;
- Remplacement des armoires et tiroirs de la cuisine et la salle de bain, la peinture effectuée étant insuffisante;
- Remplacement du comptoir de la cuisine;
- Des éclisses de bois sont encore apparentes sur les portes extérieures, le résultat de la réparation étant négligé;
- Refaire les joints de la céramique;
- Évaluer la présence de moisissure.
[22] En somme, la locataire demande une inspection complète du logement aux endroits où il y a apparence d’infiltration d’eau, de moisissure et d’insectes, car ceux-ci peuvent, selon elle, affecter la santé des occupants des lieux. Elle demande également la décontamination et les réparations y découlant.
[23] Monsieur Steeve Lapointe, technicien en gestion parasitaire à l’emploi de Desjardins Environnement depuis 25 ans, rapporte, par le dépôt à l’audience de sa déclaration sous serment, que sa première visite au logement lui a permis d’observer des excréments sous l’évier de la cuisine, deux possibles points d’infiltration à l’extérieur de l’immeuble et deux ou trois insectes (dermeste). Ce faisant, il a demandé à la locataire de nettoyer les excréments et brin de scie sous l’évier de cuisine et le dessus des armoires de cuisine. Ainsi, lors de sa deuxième visite tenue le 16 septembre 2022, il mentionne qu’il a observé quelques excréments sous la cuisinière et que les éviers de la cuisine et de la salle de bain étaient toujours encombrés, malgré qu’il ait préalablement demandé à la locataire de ne pas obstruer les trous de ces éviers, afin de favoriser une bonne circulation de l’air et d’éviter de la moisissure. Par ailleurs, il lui a été impossible d’accéder au logement de la locataire lors de sa troisième visite en date du 12 octobre 2022, considérant l’état de santé de la locataire. Enfin, il confirme qu’aucune trace de rongeurs n’a été constatée lors de sa dernière visite le 28 octobre 2022, pas plus que la présence d’insectes. En conclusion, il déclare qu’il s’agit d’une présence occasionnelle d’insectes, sans nécessiter d’extermination et qu’il considère le problème réglé, dans la mesure où les locateurs ne l’ont pas rappelé.
[24] À ce chapitre, lors de la dernière audience, la locataire a informé le Tribunal que sa demande relative à l’extermination du logement n’est plus d’actualité.
Prétentions des locateurs
[25] Tout d’abord, monsieur Guy Riverin, locateur, mentionne au Tribunal qu’il occupe cet immeuble depuis sa naissance en 1949 et qu’il s’agit d’un bâtiment classé « patrimonial ». Par conséquent, bien qu’il maintienne que ce bâtiment a toujours été bien entretenu, il rappelle l’importance de considérer l’ancienneté de celui-ci.
[26] D’autre part, le locateur rapporte qu’avant l’arrivée de la locataire, le logement a été rénové et produit à cet effet des factures en lien avec les travaux alors effectués et le rapport d’évaluation immobilière préparé par l’Immobilière, Société d’Évaluation Conseil inc., dans le cadre de la liquidation de la succession de Feue Gisèle Murdock, lequel atteste que tous les logements sont en bonne condition et bien entretenus, à l’exception d’un autre logement que celui en l’instance.
[27] Quant à l’escalier extérieur, le locateur affirme qu’il est d’origine et bénéficie d’un droit acquis relatif à sa conformité.
[28] Cela dit, le locateur maintient que les relations entre les parties ont toujours été cordiales jusqu’au mois de juillet 2022, alors qu’en considération de la présumée responsabilité de la locataire en lien avec plusieurs dégâts d’eau, madame Catherine Riverin, locatrice, a transmis à celle-ci un avis afin qu’elle procède notamment à l’évaluation de ses électroménagers.
[29] Bref, le locateur soutient que depuis lors, la locataire allègue indûment plusieurs problèmes, lesquels ne lui avaient jamais été dénoncés auparavant.
[30] C’est dans ce contexte que le locateur soumet avoir accusé réception de la mise en demeure transmise par la locataire le 13 septembre 2022.
[31] Or, le locateur plaide que les problèmes de la locataire découlent essentiellement de son occupation inadéquate des lieux.
[32] À cet effet, le locateur dit que les nombreux déplacements des électroménagers de la locataire, leur désuétude et leur mauvaise installation occasionnent anormalement des fissures sur le recouvrement du plancher, sans oublier les dégâts d’eau que ceux-ci auraient également causés.
[33] Quant aux joints de la céramique de la salle de bain, le locateur soumet qu’ils sont noircis par le manque d’entretien ménager, le tout expliquant la différence de couleur avec ceux changés au mois de septembre 2022. Cependant, il reconnaît qu’au moment d’effectuer les rénovations requises, il ne détenait pas la bonne couleur de coulis et qu’il a jugé bon d’apposer celui alors en sa possession.
[34] Au chapitre de la moisissure dans le logement, le locateur maintient qu’il ne connaissait pas cette situation avant la réception de la mise en demeure de la locataire datée du 13 septembre 2022 et qu’il a aussitôt convoqué un expert, lequel a effectué l’évaluation de la salle de bain dès le 4 octobre 2022 et proposé des travaux de rénovation qui ont tous été effectués. Il n’aurait pas entendu parler de ce problème par la suite, et ce, jusqu’à la tenue de l’audience en date du 5 juin 2023. C’est ainsi qu’il a à nouveau dépêché sur les lieux un expert qui a constaté la présence de moisissure au contour de l’évier de cuisine et dans l’armoire de la salle de bain. Par conséquent, il demande au Tribunal de prendre acte de son engagement à procéder au remplacement du comptoir de cuisine et de l’armoire de la salle de bain.
[35] Toutefois, le locateur précise que l’état actuel du comptoir de cuisine découle de l’utilisation inadéquate d’un égouttoir déposé à cet endroit. Il en va de même avec le niveau d’encombrement du logement en général, particulièrement des armoires de cuisine et de salle de bain, lequel use prématurément l’état des lieux.
[36] Cela dit, bien qu’il reconnaisse toutefois que les armoires du logement sont âgées de plus de 25 ans, le locateur plaide qu’en l’espèce, elles sont anormalement usées par l’utilisation inadéquate de la locataire, laquelle disposerait des linges mouillés sur les rebords. Autrement, il prétend que des armoires en mélamine ne peuvent ainsi s’effriter.
[37] D’ailleurs, au sujet de l’entretien des lieux, le locateur rapporte à titre d’exemple qu’il a été témoin de la saleté de la hotte de la cuisinière et des dessus d’armoires du logement, le tout suivant les photographies qu’il produit au soutien de son témoignage.
[38] Pour conclure, le locateur plaide qu’il entretient le logement en l’instance au même titre que les autres logements de l’immeuble, mais que la locataire n’use pas et n’entretient pas les lieux avec prudence et diligence. Il produit donc, au soutien de son témoignage, une série de photographies qu’il a prises du logement, lesquelles parlent d’elles-mêmes.
[39] Enfin, par l’entremise de leur avocat, les locateurs produisent pour valoir témoignage des déclarations assermentées des autres occupants de l’immeuble, accompagnées de photographies de leur logement respectif.
[40] Ainsi se résume l’essentiel de la preuve.
Questions en litige :
[41] La locataire a-t-elle dénoncé les troubles aux locateurs?
[42] Dans l’affirmative, la locataire a-t-elle démontré, par prépondérance de preuve, que les locateurs ont failli à leur obligation de lui procurer la jouissance paisible du logement, donnant ouverture à une diminution de loyer?
[43] Dans l’affirmative, la locataire a-t-elle démontré la perte réelle et significative de la valeur locative du logement?
[44] La locataire a-t-elle démontré, par prépondérance de preuve, que l’émission d'une ordonnance d'exécution en nature est justifiée?
[45] La locataire a-t-elle justifié l’octroi de dommages-intérêts?
Analyse :
[46] La demande de la locataire est fondée sur l'article 1863 du Code civil du Québec (C.c.Q.), lequel énonce que si une des parties n'exécute pas ses obligations, l'autre partie peut demander, outre des dommages-intérêts, une diminution de loyer et/ou l’exécution en nature.
[47] À cet égard, le Tribunal rappelle que plusieurs obligations découlent d'un bail de logement, dont celles du locateur de livrer le logement en bon état et de lui procurer la jouissance paisible du bien loué pendant la durée du bail (article 1854 al. 1 C.c.Q.) et d’entretenir les lieux afin de garantir au locataire que ceux-ci peuvent servir à son bon usage (article 1854 al. 2 et 1910 C.c.Q.), ce qui exclut les réparations nécessaires purement locatives (article 1864 C.c.Q.), le locataire étant responsable des menus travaux d’entretien.
[48] Lesdites obligations sont qualifiées « de résultat », ce qui signifie que le locateur ne pourra s'y soustraire qu'en invoquant la force majeure. Quant à elle, l'obligation prévue au deuxième alinéa de l’article 1854 C.c.Q. est encore plus sévère puisqu'elle est « de garantie ». Conséquemment, les moyens de défense du locateur sont davantage limités, en ce que la seule façon pour lui d'échapper à sa responsabilité est de démontrer que le locataire est imputable du trouble ou que l'inexécution alléguée est étrangère à son champ d’obligations[1].
[49] Par ailleurs, en vertu de l’article 1866 C.c.Q., le locataire doit aviser le locateur dans un délai raisonnable afin qu’il puisse effectuer les réparations nécessaires. Conséquemment, la doctrine précise que le recours en diminution de loyer est assujetti à une règle essentielle, soit celle de la dénonciation des troubles par le biais d’une mise en demeure afin de permettre au locateur d’apporter les correctifs qui s’imposent[2]. Plus précisément, une simple discussion informelle avec le locateur, ne peut constituer une mise en demeure comportant une manifestation d'intention d'obtenir une compensation en raison d’un trouble. Ainsi, un locataire qui s’accommode d’une situation ne peut espérer tirer profit de l’écoulement du temps et obtenir une réduction de loyer pour une période équivalant à la durée du manquement s’il ne l’a pas énoncé formellement au locateur.
[50] D'autre part, le Tribunal ajoute que la diminution du loyer ne sera accordée qu'en cas de perte de jouissance réelle, sérieuse, significative et substantielle. À ce chapitre, le Tribunal souligne que la perte de la valeur locative doit être objective et non pas varier selon les caractéristiques propres à chaque locataire[3].
[51] Qui plus est, le trouble ne doit pas être mineur ou n'être qu'un simple préjudice esthétique, tel qu’une fissure sur un mur.
[52] À ce titre, le Tribunal reprend les termes du juge administratif Daniel Laflamme dans l'affaire Beaulieu c. Belleville[4] lequel a exprimé ce principe ainsi :
« Cependant, un inconvénient bénin ou une simple trivialité ne permettent pas d’invoquer la garantie. En effet, prétendre le contraire serait d’imposer un fardeau déraisonnable au locateur et rendrait le commerce de location résidentiel presque impossible. Seuls les problèmes réduisant réellement la jouissance des lieux peuvent être considérés. »
[53] Enfin, pour établir le montant de la diminution de loyer, le Tribunal souscrit à l'opinion du juge administratif Gilles Joly, dans un jugement du Tribunal administratif du logement :
« Le recours en diminution de loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains des services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.
Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »[5]
[54] Bref, il n’existe actuellement aucun barème que le Tribunal peut consulter pour quantifier objectivement la perte de valeur locative. L’évaluation du Tribunal repose donc sur l’analyse de la preuve et sur son entier pouvoir discrétionnaire. Cette évaluation doit toutefois demeurer objective, globale et équitable.
[55] Ainsi, tel qu’enseigne l’auteur Denis Lamy[6], les appréhensions psychologique et l’état psychologique du locataire ou des occupants du logement ne doivent pas prévaloir lors de l’évaluation, pas plus que le Tribunal ne peut tenir compte des variations subjectives inhérentes à chaque locataire, telles que la présence d’enfants et la santé des occupants. Il faut également avoir à l’esprit que la location résidentielle peut comporter pour le locataire des contraintes personnelles en perfection et en esthétique auxquelles le locateur n’a pas à remédier. À titre d’exemple, le locateur n’aura pas l’obligation de remplacer les sanitaires pour les mettre aux couleurs du jour si elles sont toujours en bon état fonctionnel[7].
[56] Par ailleurs, le Tribunal doit tenir compte du loyer payable lors de l’évaluation de la perte de la valeur locative et le locataire n’aura pas droit à une diminution de loyer s’il se plaint d’une situation dont il a pris connaissance lors de la signature du bail.
[57] Quant à la présence de moisissure, le locataire doit faire la preuve prépondérante des manifestations du problème de moisissures et démontrer que ses habitudes de vie ne sont pas la source du problème.
[58] L'attribution de dommages-intérêts obéit plutôt aux règles générales de droit commun. Ce faisant, le Tribunal doit analyser la faute reprochée, les dommages réclamés et le lien causal entre les deux.
[59] Les demandes produites devant le Tribunal administratif du logement sont soumises aux règles générales sur la preuve, contenues au C.c.Q.[8].
[60] Suivant les articles 2803 et 2804 C.c.Q. et ss., il appartient donc à la locataire de prouver, par prépondérance de preuve, les faits qui soutiennent sa réclamation, la force probante des témoignages et des éléments de preuve étant laissée à l'appréciation du Tribunal (art. 2845 C.c.Q.).
[61] En fait, la preuve doit être claire et convaincante et s’appuyer sur des faits probables.
[62] Dans l'application de ces règles, le professeur Ducharme écrit :
« S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve: celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra.[9] »
Décision :
La locataire a-t-elle dénoncé les troubles aux locateurs?
[63] Suivant la preuve soumise en demande, le Tribunal juge que la locataire s’est conformée à son obligation de dénoncer au locateur (article 1866 C.c.Q.) les troubles suivants :
- Présence de vermines;
- Présence de moisissure (cuisine et salle de bain);
- Armoires et tiroirs endommagés (cuisine et salle de bain);
- Plafond de la salle de bain abîmé;
- Hotte de la cuisinière désuète;
- Peinture des portes extérieures à faire;
- Carreaux de céramique cassés;
- Couleur du coulis de la salle de bain;
- Mauvaise étanchéité du tour de l’évier de cuisine;
- Travaux déjà effectués inadéquats;
[64] Quant au reste, en présence de preuve contradictoire quant à leur dénonciation ou considérant qu’il ne s’agit pas de troubles que les locateurs sont présumés connaître, le Tribunal les rejette dans le cadre de la présente demande en diminution de loyer.
[65] De plus, il apparaît clair pour le Tribunal que la locataire a pris possession du logement dans l’état qu’il se trouvait et l’a occupé pendant de nombreuses années, sans dénoncer formellement un quelconque trouble aux locateurs. Il serait donc inapproprié qu’elle bénéficie après toutes ces années d’une diminution de loyer pour une situation inconnue de ces derniers.
[66] Également, le Tribunal ne pourrait responsabiliser les locateurs du manque de rangement dans le logement, alors que la locataire a initialement consenti à procéder à la location des lieux dans ces conditions. Ainsi, aucune amélioration locative ne peut être ordonnée à cet effet.
Dans l’affirmative, la locataire a-t-elle démontré, par prépondérance de preuve, que les locateurs ont failli à leur obligation de lui procurer la jouissance paisible du logement, donnant ouverture à une diminution de loyer?
[67] Tel que susmentionné, une fois le trouble dénoncé par la locataire, les locateurs doivent rencontrer leur obligation de résultat et de garantie à l’égard de celle-ci.
[68] En l’espèce, le Tribunal reprend l’ensemble des troubles formellement dénoncés par la locataire et se prononce sur la demande en diminution y découlant, le tout en fonction des éléments mis en preuve :
Présence de vermines :
[69] D’emblée, le Tribunal précise que la présence d’insectes ou de vermines dans un logement n’est pas synonyme de diminution de loyer. En effet, la doctrine et la jurisprudence confirment que la preuve doit démontrer une infestation pour qu’une diminution soit accordée[10]. Or, en l’espèce, aucune preuve probante ne démontre une infestation de vermine pouvant affecter la valeur locative des lieux. De plus, il appert que les locateurs ont pris les moyens nécessaires pour enrayer la présence de vermine dans le logement et la locataire a informé le Tribunal à l’audience tenue le 9 août 2023 que ce problème n’est plus d’actualité.
[70] Par conséquent, la locataire n’a pas démontré que les locateurs ont failli à leur obligation de lui procurer la jouissance paisible du logement à cet égard.
Présence de moisissure (cuisine et salle de bain) :
[71] Suivant les règles de preuve susmentionnées, la locataire doit prouver par prépondérance de preuve la présence de moisissure dans son logement. Or, bien que les photographies produites à l’audience montrent des taches noires, lesquelles peuvent être notamment occasionnées par le manque d'entretien ou la moisissure de surface, en l’absence d’expertise à cet effet, le Tribunal ne peut retenir la simple déclaration de la locataire en lien avec la présence de moisissure dans le logement. Ainsi, aucune preuve probante ne permet au Tribunal d'attester d'un problème de moisissure dans le logement, les photographies produites à l'audience étant nettement insuffisantes.
[72] Ainsi, la locataire n’a pas démontré que les locateurs ont failli à leur obligation de lui procurer la jouissance paisible du logement à cet égard.
[73] Cependant, de son propre aveu, le locateur a reconnu à l’audience tenue le 9 août 2023 la présence de moisissure à certains endroits dans le logement, le tout suivant la visite du logement effectuée par un expert mandaté par celui-ci. Conséquemment, le Tribunal prend acte de son engagement à ce chapitre et considère qu’une ordonnance d’exécution doit être prononcée à cet effet.
Armoires et tiroirs endommagés (cuisine et salle de bain) :
[74] En l’occurrence de la preuve soumise, le Tribunal estime que l’état actuel des armoires et tiroirs de la cuisine et de la salle de bain découle d’un usage normal, considérant notamment l’ancienneté de ceux-ci.
[75] À ce chapitre, le Tribunal se réfère à la Cour du Québec qui se prononce ainsi au sujet d'une demande pour obtenir le sablage et vernissage des planchers [11] :
« [12] En second lieu, le terme « réparations nécessaires » évoque plus qu'une simple commodité ou convenance esthétique à l'article 1864. Sinon, le locataire pourrait exiger une peinture nouvelle tous les deux ou trois ans sous prétexte que l'actuelle est défraîchie. Au contraire, la jurisprudence décide que le locateur n'est tenu de faire repeindre qu'à la fin du bail et à l'intention d'un nouveau locataire, sauf le droit du locataire occupant de repeindre plus tôt à ses frais(8).
[...]
[19] Les mots « en bon état de réparation de toute espèce » sont empruntés à l'article 1604, al. 2, C.c.B.-C. Or sous l'empire de celui-ci, le locateur devait faire toutes les réparations grosses et locatives avant la délivrance du bien ou par la suite suivant les exigences du bail, mais n'y était pas tenu en cours de bail sauf si la jouissance paisible du locataire était menacée(9). »
[76] Parallèlement, le Tribunal rappelle que la locataire ne doit pas être l’artisane de son propre malheur.
[77] Or, en l’instance, l’état général d’encombrement du logement n’incite aucunement le Tribunal à responsabiliser les locateurs de la détérioration actuelle des armoires et tiroirs de la cuisine et de la salle de bain.
[78] De plus, rien n'indique que la locataire a été privée de l'usage de son logement ou qu'elle a subi une perte de valeur locative. Pour accorder une diminution de loyer, le Tribunal doit être convaincu que la situation est suffisamment sérieuse ou grave de façon à affecter significativement la valeur locative du logement.
[79] Aucune diminution de loyer ne sera toutefois accordée, dans la mesure où la preuve soumise est insuffisante pour démontrer que les travaux réclamés découlent de la responsabilité des locateurs. De plus, l'insatisfaction de la locataire quant à la hauteur des armoires ne peut justifier une diminution de loyer.
Plafond de la salle de bain abîmé, hotte de la cuisinière désuète, peinture des portes extérieures, carreaux de céramique cassés, travaux déjà effectués inadéquats :
[80] La preuve démontre que les travaux ont été correctement effectués dans un délai raisonnable.
[81] Par conséquent, la locataire n’a pas démontré que les locateurs ont failli à leur obligation de lui procurer la jouissance paisible du logement à cet égard. Toutefois, le Tribunal compensera la locataire pour les troubles découlant de ces travaux au chapitre des dommages-intérêts.
[82] Quant au reste, le Tribunal considère les troubles d’esthétisme et n’attribue aucune valeur locative à ceux-ci.
Couleur du coulis de la salle de bain :
[83] Le Tribunal qualifie ce trouble de purement esthétique et n’attribue aucune valeur locative à ce trouble. De plus, la preuve soumise ne démontre aucunement que la locataire est sérieusement troublée dans la jouissance paisible du logement à ce chapitre ou que cela constitue une atteinte au bon état d'habitabilité des lieux loués.
[84] Par conséquent, la locataire n’a pas démontré que les locateurs ont failli à leur obligation de lui procurer la jouissance paisible du logement à cet égard.
Mauvaise étanchéité du tour de l’évier de cuisine :
[85] Le Tribunal n’accorde aucune valeur locative à ce trouble et retient que le comptoir de cuisine sera incessamment changé, suivant l’engagement des locateurs pris à cet effet.
La locataire a-t-elle démontré, par prépondérance de preuve, que l’émission d'une ordonnance d'exécution en nature est justifiée?
[86] Tel que susmentionné, le Tribunal prend acte de l’engagement des locateurs au chapitre de la présence de moisissure dans le logement et prononce une ordonnance d’exécution à cet effet.
[87] De plus, la preuve démontre la dégradation manifeste de certains panneaux d’armoire, lesquels feront l’objet d’une ordonnance, sans que les occupants ne doivent être relocalisés pendant les travaux.
[88] Quant au reste, le Tribunal juge que la locataire n’a pas rencontré son fardeau de preuve à l’égard de tous autres travaux dans le logement.
[89] Bref, la preuve en demande n’est pas à la hauteur des prétentions de la locataire en ce qui concerne la décontamination de la totalité du logement, le remplacement de l’escalier extérieur conforme aux droits acquis, le décapage des moulures, le tout considérant l’âge du bâtiment et l’état initial des lieux à l’arrivée de la locataire dans le logement.
La locataire a-t-elle justifié l’octroi de dommages-intérêts?
[90] À l’audience, la locataire a longuement témoigné sur les omissions des locateurs, en précisant les troubles y découlant, notamment en lien avec la sécurité des occupants du logement.
[91] En somme, le Tribunal retient que les conditions de vie de la locataire lui sont en général très difficiles, sans qu’elle doive souffrir en plus du mauvais entretien de son logement dont elle fait référence. Toutefois, le Tribunal souligne que son évaluation des faits ne peut être influencée par les conditions personnelles de la plaignante.
[92] Cependant, le Tribunal considère que la locataire doit être dédommagée pour les inconvénients découlant des travaux de la salle de bain effectués à l’automne 2022. Un montant de 400 $ lui est donc accordé, à titre de dommages-intérêts.
[93] De plus, le Tribunal accorde à la locataire les frais de justice suivant le Tarif du Tribunal administratif du logement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[94] ORDONNE aux locateurs de réparer ou de remplacer les armoires de la cuisine qui présentent des traces d’effritement, dans les 30 jours suivants la date à laquelle la présente décision deviendra exécutoire;
[95] CONDAMNE les locateurs à payer à la locataire la somme de 400 $, à titre de dommages-intérêts, en plus des frais prévus au Tarif de 9,75 $;
[96] PREND ACTE de l’engagement des locateurs de changer le comptoir de la cuisine du logement et l’armoire de la salle de bain et leur ACCORDE un délai de 30 jours suivants la date à laquelle la présente décision deviendra exécutoire.
À DÉFAUT de respecter cet engagement :
[97] ORDONNE aux locateurs de changer le comptoir de la cuisine du logement et l’armoire de la salle de bain, dans les 30 jours suivant la date à laquelle la présente décision deviendra exécutoire;
[98] REJETTE la demande quant au surplus.
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France Tremblay | ||
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Présence(s) : | la locataire les locateurs Me Olivier Desjardins, avocat des locateurs | ||
Date de l’audience : | 12 janvier 2023 | ||
Présence(s) : | la locataire les locateurs Me Olivier Desjardins, avocat des locateurs | ||
Date de l’audience : | 5 juin 2023 | ||
Présence(s) : | la locataire les locateurs Me Olivier Desjardins, avocat des locateurs | ||
Date de l’audience : | 9 août 2023 | ||
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[1] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, les obligations, 5e édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc. 1998.
[2] Lamy, Denis, La diminution du loyer, Montréal, Wilson et Lafleur, 2004, p.40 et Rousseau-Houle, Thérèse et De Billy, Martine, Le bail du logement : analyse de la jurisprudence, Montréal, Wilson et Lafleur, 1989.
[3]Ferdinand c. Demopoulos, 2017 QCRDL 27235; Gagné c. Larocque, R.L., 31-970501-054G, 1er décembre 1997.
[4] Christian Beaulieu c. Jean-René Belleville, le 7 janvier 2003, Juge administratif Daniel Laflamme, 26-021011-004G et 26-021030-002G.
[5] Obadia c. 3008380 Canada Inc., R.D.L., 1998-02-11, SOQUIJ AZ-51078786.
[6] Idem note 2, p. 19.
[7] Turcotte c. Belrive Construction Inc., R.L. de Laval, 36-020425-004 G, le 6 mai 2003, Me Carole Bert.
[8] Article 75 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement (RLRQ, c. T-15.01).
[9] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 6e Édition, 2005, Wilson & Lafleur Ltée, p. 62.
[10]Idem note 2, p.96.
[11] Société en commandite 4906 c. Titane, [2003] J.L. 183.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.