Décision

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Ricard c. Richard

2022 QCTAL 30033

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Shawinigan

 

No dossier :

608376 14 20220125 G

No demande :

3444430

 

 

Date :

24 octobre 2022

Devant la juge administrative :

Isabelle Normand

 

Louise-Hélène Ricard

 

Locatrice - Partie demanderesse

c.

Manon Richard

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         La locatrice demande la résiliation du bail car la locataire fume dans le logement. La locataire est la source de bruits dérangeants et néglige l’entretien du logement concerné.

[2]         Les parties sont liées par un bail de logement du 1er octobre 2021 au 30 juin 2022, au loyer mensuel de 523 $, reconduit jusqu’au 30 juin 2023.

[3]         Le bail, signé le 2 octobre 2021, ainsi que les règlements de l’immeuble signés postérieurement, indiquent qu’il est interdit de fumer dans le logement concerné de même que dans les lieux communs de l’immeuble.

[4]         À l’audience, candidement, la locataire admet ne pas avoir lu le bail ainsi que les règlements avant de procéder à la signature de ces documents.

[5]         Le logement concerné est un 2 pièces, situé au sous-sol d’un immeuble comportant 5 autres logements.

[6]         La locataire assistée de son avocat conteste la demande de la locatrice.

[7]         Le Tribunal retient de la preuve les éléments suivants :

  •   Usage de produits du tabac

[8]         La locatrice tente d’administrer une preuve démontrant que la locataire contrevient à l’interdiction de fumer dans le logement et dans les aires communes.

[9]         Elle mentionne que l’odeur et la fumée nuisent à la locataire qui occupe un logement localisé juste au-dessus de celui concerné. Cependant, cette locataire n’est pas présente au Tribunal afin de pouvoir préciser les nuisances causées par la locataire, lorsque celle-ci fait usage de produit du tabac. Selon la locatrice, l’absence de cette locataire est justifiée par la crainte qu’elle a de la locataire.

[10]     Pour sa part, la locataire explique qu’elle fumait autrefois environ 10 cigarettes et qu’en raison de problèmes de santé, elle n’en fume qu’environ 3, et sur recommandation de la locatrice, elle fume à l’extérieur, sur son balcon.


  •   Bruits majeurs à des heures indues

[11]     La locatrice explique que la locataire fait fonctionner un ventilateur et parfois en pleine nuit, ce qui causerait des pertes de jouissances de locataire. Elle mentionne qu’elle a exécuté certaines réparations au ventilateur qui ne semblent pas avoir réglé ce problème.

[12]     À nouveau, aucun témoignage de personne ne soutient ce manquement dénoncé par la locatrice.

  •   Mauvais entretien du logement

[13]     La locatrice requiert la résiliation du bail en raison du mauvais entretien du logement, dont un encombrement inapproprié, selon sa prétention, ce qui a comme conséquence, selon sa version, que le logement serait infesté d’insecte.

[14]     Elle justifie cette crainte de l’expérience fâcheuse qu’elle a subie relativement au logement adjacent à celui concerné, qui aurait fait l’objet de démarches beaucoup plus onéreuses.

[15]     Dans un premier temps, elle explique que la locataire ne veut pas que le logement qu’elle occupe soit l’objet de traitement d’extermination, car la locataire y refuse tout accès en raison de l’état d’encombrement et de malpropreté du logement.

[16]     Subséquemment, elle nuance son propos : la locataire a effectivement donné accès au logement, et qu’un exterminateur constate le 12 juillet 2022 ce qui suit :

« Inspection de l’appartement # 2 (…. Plusieurs larves de dermestres du lards retrouvés à la cuisine, salon et corridor. Un bon nettoyage des planchers est fortement recommandé. Avancer le frigo et le poele à cuisson pour bien ramasser l’accumulation car le tout créer des sites de développement d’insecte comme le desmstre du lard. Bine dégager les planchers des encombrants accumulés afin d’aider au nettoyage et à l’élimination de l’insecte.

Un traitement contre le dermestre du lard pourrait être recommandé suite au nettoyage s’il y a toujours présence de l’insecte au montant de 400 $ pour le logement #2.

Certains produits domestique pourrait être appliqué par la propriétaire selon le respect des étiquettes également. » (sic)

[17]     La preuve est à l’effet que la locataire a rencontré postérieurement cet exterminateur alors qu’il procédait à des traitements dans le logement adjacent, et qu’il lui aurait mentionné qu’un traitement dans le logement concerné n’était pas requis.

[18]     Quant à l’état du logement, la locataire explique qu’elle a joint la locatrice à la mi-août pour l’informer qu’elle procédait à un réaménagement de son logement et qu’elle invitait la locatrice à le constater, ce qui fut fait à la fin du mois d’août. D’ailleurs, plusieurs rencontres entre les parties ont eu lieu par la suite, et la locataire a démontré une bonne collaboration à l’égard des demandes de la locatrice à cet effet.

[19]     De plus, la locataire reçoit les services d’entretien ménager régulier, exécuté par une connaissance.

L'analyse et la décision

[20]     La locatrice fonde ses demandes en vertu des dispositions des articles 1863 et 1972 C.c.Q. qui se lisent ainsi :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »

« 1972. Le locateur ou le locataire peut demander la résiliation du bail lorsque le logement devient impropre à l'habitation. »

[21]     La locatrice a le fardeau de preuve de démontrer que la locataire n'a pas exécuté ses obligations afin d’obtenir la résiliation du bail du logement occupé par la locataire.

[22]     On comprend, donc, que la locatrice et la locataire doivent procéder à l'exercice de leurs droits, en l'occurrence, la demande de résiliation de bail, en personnes soucieuses et en respect des normes objectives de conduite généralement admises, dont celles d'exercer leur recours de bonne foi.


[23]     Le corpus législatif dans le cadre du louage résidentiel s'articule autour de principes assurant le droit au maintien dans les lieux de la locataire, selon l'article 1936 du Code civil du Québec. Aussi, l'éviction étant un cas d'exception et il convient, lorsqu'on l'exerce, de procéder légitimement, avec sérieux et raisonnablement.

[24]     Selon la preuve administrée de part et d'autre, le Tribunal ne peut déceler de manquements aux obligations de la part de la locataire qui causerait un préjudice grave aux autres locataires de l’immeuble ou à la locatrice.

[25]     Le Tribunal comprend que la locataire fume sur le balcon du logement concerné, et que, depuis, la preuve ne démontre pas de manquement à cette condition du bail.

[26]     Plus particulièrement, la locatrice n'a pas administré de preuve prépondérante, telle que requise en vertu des dispositions de l'article 2803 du Code civil du Québec qui stipulent :

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »

[27]     Concernant le fardeau de preuve, l'auteur Léo Ducharme[1] précise :

« 146. S'il est nécessaire de savoir sur qui repose l'obligation de convaincre, c'est afin de pouvoir déterminer qui doit assumer le risque de l'absence de preuve. En effet, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve : celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra. »

[28]     D'autres dispositions du Code civil du Québec sont applicables en l'espèce, dont l'article 1972 C.c.Q qui stipule que la locatrice peut demander la résiliation du bail du locataire si le logement devient impropre à l'habitation.

[29]     De plus, la locataire est tenue à plusieurs obligations, dont celle d'utiliser le logement avec prudence et diligence[2], d'aviser la locatrice des défectuosités et des détériorations au logement[3], d'entretenir le logement et de le maintenir en bon état de propreté[4]. Il appert de la preuve que la locataire a contrevenu à ses obligations de façon permanente et sans possibilité d'amélioration.

[30]     La question que l'on doit se poser est la suivante : est-ce que le logement est impropre à l'habitation, donnant ainsi ouverture à la demande de résiliation de la locatrice?

[31]     En effet, la preuve est à l'effet que la locataire a respecté ses obligations de maintenir le logement en bon état de propreté, la locatrice a été incapable de prouver le contraire, le fardeau de preuve était sur les épaules de la locatrice de convaincre.

[32]     De plus, lors de son témoignage, la locatrice admet que l’état du logement s’était même amélioré.

[33]     Conséquemment, la preuve est à l’effet que l'état du logement ne cause pas de préjudice à la locatrice en vertu des dispositions de l'article 1863 du Code civil du Québec précité.

[34]     Il en va de même quant à la preuve administrée sur les manquements allégués relativement à la fumée de cigarette et aux bruits : la locatrice a été incapable de convaincre le Tribunal que la locataire manquait à ses obligations de locataire.

[35]     Conséquemment, la demande de la locatrice est rejetée


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]     REJETTE la demande de la locatrice qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle Normand

 

Présence(s) :

la locatrice

le locataire

Date de l’audience : 

3 octobre 2022

 

 

 


 


[1] Précis de la preuve, 6e édition, 2005, Édition Wilson & Lafleur ltée, p. 62.

[2] Selon les dispositions de l'article 1855 C.c.Q. qui édicte : « 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence. »

[3] Selon les dispositions de l'article 1866 C.c.Q. qui édicte : « 1866. Le locataire qui a connaissance d'une défectuosité ou d'une détérioration substantielles du bien loué, est tenu d'en aviser le locateur dans un délai raisonnable. »

[4] Selon les dispositions des articles 1864 et 1911 C.c.Q. qui édictent : « 1864. Le locateur est tenu, au cours du bail, de faire toutes les réparations nécessaires au bien loué, à l'exception des menues réparations d'entretien; celles-ci sont à la charge du locataire, à moins qu'elles ne résultent de la vétusté du bien ou d'une force majeure. » « 1911. Le locateur est tenu de délivrer le logement en bon état de propreté; le locataire est, pour sa part, tenu de maintenir le logement dans le même état. Lorsque le locateur effectue des travaux au logement, il doit remettre celui-ci en bon état de propreté. »

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