Thibault c. Garand |
2016 QCRDL 34710 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield |
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No dossier : |
223362 27 20150618 G |
No demande : |
1775009 |
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Date : |
17 octobre 2016 |
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Régisseure : |
Anne-Marie Forget, juge administrative |
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Suzanne Thibault |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Denise Garand
Norman Grisé |
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Locataires - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] La locatrice demande des dommages-intérêts pour perte de loyer et indemnité de relocation (5 508,74 $), plus les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue au Code civil du Québec ainsi que les frais judiciaires.
Les faits pertinents
[2] Afin de décider du présent litige, le tribunal retient de la preuve tant documentaire que testimoniale administrée à l’audience les éléments factuels qui suivent.
[3] La preuve démontre que les parties ont été liées par un bail ayant débuté le 1er juillet 2013 et reconduit du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015 au loyer mensuel de 670 $.
[4] Il est admis que les locataires ont quitté les lieux le ou vers le 30 novembre 2014 à la suite de l’envoi d’un avis en vertu de l’article 1974 du Code civil du Québec, lequel est daté du 1er octobre 2014. Ledit avis a été contesté par la locatrice, par lettres datées respectivement du 8 octobre et 3 novembre 2014.
[5] Principalement, l’objection de la locatrice est fondée sur le fait que la condition physique et les limites fonctionnelles invoquées dans l’avis des locataires résultent d’une condition médicale préexistante connue et déjà discutée lors de la signature du bail entre les parties, considérant que le logement concerné est situé au 2e étage d’un triplex.
[6] Le logement a été reloué pour le 1er juillet 2015 (bail signé le 11 avril 2015). La locatrice réclame donc la somme de 4 690 $ pour la perte de 7 mois de loyer.
[7] La locatrice demande également dans sa procédure introductive d’instance les frais d’énergie au montant de 818,74 $.
[8] Elle réclame de plus à l’audience les frais de publicité, mais ce poste de réclamation n’est pas allégué comme tel dans sa demande produite le 18 juin 2015 et aucun amendement n’a été déposé à cet effet avant l’audience.
[9] En défense, les locataires déclarent que leur départ du logement est légalement fondé en vertu de l’article 1974 du Code civil du Québec en raison de l’aggravation des maux de dos dont le locataire Norman Grisé souffre, tel qu’il appert de l’avis médical émanant du Dr Élizabeth Turcotte et annexé à leur lettre du 1er octobre 2014.
[10] Le locataire ajoute que le fait qu’il ne pouvait plus passer par l’entrée arrière de l’immeuble, mais uniquement par le côté, en raison d’un autre locataire qui lui en empêchait l’accès, et ce, au su de la locatrice, a nui à son état.
[11] La locatrice conteste avoir été informée de ce conflit et que de toute façon, elle n’aurait pas accepté que l’accès à la cour autorisé au locataire en question prive les locataires en l’instance de leur accès à l’escalier arrière menant d’ailleurs directement au logement concerné.
[12] Subsidiairement les locataires contestent la perte de loyer, alléguant que la locatrice n’a pas mitigé ses dommages, une locataire potentielle s’étant désintéressée du logement avant leur départ lorsqu’elle a su qu’elle n’avait pas accès à la cour. À cet effet, il est à noter que le propre bail des locataires ne le permet pas non plus.
[13] Ainsi, peut-on résumer l’essentiel de la preuve quant aux éléments pertinents à la résolution du présent litige.
Analyse et décision
[14] Pour réussir dans sa demande, le fardeau de preuve repose sur les épaules du de la demanderesse. Elle doit prouver, de façon prépondérante, les faits au soutien de ses prétentions.
[15] L’article 2803 du Code civil du Québec énonce ce qui suit à ce sujet :
« 2803 : Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée».
[16] Mais la première question à laquelle le Tribunal doit répondre avant toute chose est la suivante :
[17] -L’avis de résiliation du bail en vertu de l’article 1974 du Code civil du Québec est-il valide et donc opposable à la locatrice?
[18] L’article 1974 du Code civil du Québec édicte ce qui suit :
1974. Un locataire peut résilier le bail en cours, s'il lui est attribué un logement à loyer modique ou si, en raison d'une décision du tribunal, il est relogé dans un logement équivalent qui correspond à ses besoins; il peut aussi le résilier s'il ne peut plus occuper son logement en raison d'un handicap ou, s'il s'agit d'une personne âgée, s'il est admis de façon permanente dans un centre d'hébergement et de soins de longue durée, dans une ressource intermédiaire, dans une résidence privée pour aînés où lui sont offerts les soins infirmiers ou les services d'assistance personnelle que nécessite son état de santé ou dans tout autre lieu d'hébergement, quelle qu'en soit l'appellation, où lui sont offerts de tels soins ou services, qu'il réside ou non dans un tel endroit au moment de son admission.
La résiliation prend effet deux mois après l'envoi d'un avis au locateur ou un mois après l'envoi d'un tel avis lorsque le bail est à durée indéterminée ou de moins de 12 mois. Elle prend toutefois effet avant l'expiration de ce délai si les parties en conviennent ou lorsque le logement, étant libéré par le locataire, est reloué par le locateur pendant ce même délai. L'avis doit être accompagné d'une attestation de l'autorité concernée, à laquelle est joint, dans le cas d'un aîné, le certificat d'une personne autorisée certifiant que les conditions nécessitant l'admission sont remplies.
Le locataire n'est tenu, le cas échéant, au paiement de la partie du loyer afférente au coût des services qui se rattachent à sa personne même qu'à l'égard des services qui lui ont été fournis avant qu'il quitte le logement. Il en est de même du coût de tels services lorsqu'ils sont offerts par le locateur en vertu d'un contrat distinct du bail.
[19] Ainsi, la seule possibilité pour les locataires de bénéficier d'une résiliation anticipée de leur bail est de démontrer qu'ils ne peuvent plus occuper le logement concerné en raison d’un handicap.
[20] À cet égard, le Tribunal s'en remet à une analyse effectuée par la juge administrative Christine Bissonnette, dans une décision rendue en 1996 et toujours d'actualité[1].
« La Régie doit donc décider si la situation médicale du locataire constitue « un handicap » au sens de l'article précité, lui permettant de mettre fin au bail.
L'on définit généralement le mot « handicap » comme étant une déficience des capacités physiques ou mentales, causés par maladie ou accident.
Par ailleurs, la loi assumant l'exercice des droits des personnes handicapées définit la personne handicapée comme suit : (3) « toute personne limitée dans l'accomplissement d'activités normales et qui, de façon significative et persistante, est atteinte d'une déficience physique ou mentale ou qui utilise régulièrement une orthèse, une prothèse ou tout autre moyen pour pallier son handicap . »
La Régie considère que ces définitions générales doivent être adaptées au contexte du bail résidentiel, c'est-à-dire que le handicap sous étude doit nécessairement être analysé par rapport au logement en cause. »
[21] Le tribunal considère également pertinent de reproduire les propos tenus par la juge administrative Anne Mailfait dans une décision plus récente[2] :
« 11] D'une part, les motifs énoncés par la locataire sont trop vagues pour permettre une appréciation adéquate de la nature et de la réelle portée médicale du handicap allégué. À cette preuve défaillante, s'ajoute celle de la lettre du médecin qui s'avère irrecevable puisque son auteur n'est pas présent pour témoigner de sa teneur.
[12] En aucun cas ce document peut valoir l'attestation requise par l'article 1974 in fine en raison non seulement du défaut de son auteur de pouvoir en témoigner, mais aussi du défaut de celui-ci de caractériser la notion de handicap.
[13] Or, cette notion est au cœur de l'article 1974 du Code civil du Québec et parce qu'elle fait échec au principe de la stabilité des contrats, elle doit recevoir une interprétation restrictive et faire l'objet d'une preuve probante et fiable afin que l'ouverture prévue à l'article 1974 du Code civil du Québec ne puisse être détournée de son véritable objectif.
[14] Il ne suffit donc pas d'émettre un simple avis que la locataire vit un handicap. Il faut démontrer que celui-ci est objectivement propre à l'empêcher d'occuper le logement, soit par la nature, l'étendue et/ou la portée de ce handicap. Une maladie ne constitue pas en soi, de façon systématique, un handicap. Elle peut le devenir, mais il faut le démontrer puisqu'il s'agit là d'une forme de gradation dans la maladie ou dans ses effets. L'état dépressif ne se révèle pas, dès son diagnostic, un handicap. Surtout, ce handicap doit, en outre, être de nature à ne plus permettre l'occupation autonome du logement. Ce n'est donc pas tout handicap qui se qualifie au regard de l'article 1974 du Code civil du Québec.
[15] D'autre part, la lettre de la locataire laisse croire que la cause de sa souffrance a débuté, à tout le moins, de façon concomitante à la signature du bail, soit le 25 septembre 2013. La formule « ne peut plus » de sa lettre suggérant de façon probante que son mal n'est pas apparu après la conclusion du bail, mais lui est contemporain. Or, la connaissance de ce mal aurait dû être dénoncée lors de la signature du contrat. » (soulignements par la soussignée)
[22] À la lumière de ce qui précède et par application des conditions exigées par ledit article à l’avis (P-2) expédié le 1er octobre 2014, il apparait sans équivoque que celui-ci n’est pas opposable à la locatrice et que ce moyen de défense ne peut donc faire échec à la réclamation de la locatrice.
[23] En effet la prépondérance de la preuve administrée à l’audience n’est pas à l’effet que le locataire Grisé était empêché de demeurer dans le logement concerné à un point justifiant un départ des lieux loués avant la fin du terme.
[24] Rappelons que l’article 1974 C.c.Q vise d’abord et avant tout des cas revêtant un niveau certain de gravité sur des questions de santé et/ou de sécurité du locataire et lui permettant de se prévaloir d’un départ prématuré d’un logement. Conclure autrement viderait cette disposition de son sens.
[25] Au demeurant, il était parfaitement loisible aux locataires de ne pas reconduire leur bail dans les délais légaux et que, par ailleurs, si un des locataires de l’immeuble ou encore des travaux en cours empêchait l’accès à l’escalier arrière, de faire valoir leurs droits à cet égard dans l’intervalle. Or, ils n’ont rien fait de tel.
[26] Également, la preuve ne supporte pas la thèse à l’effet que la locatrice n’a pas tenté de minimiser ses dommages.
[27] Après analyse et délibéré, le tribunal détermine que celle dernière-ci s’est déchargé adéquatement de son fardeau de preuve et fera droit à sa réclamation (sauf en ce qui a trait aux frais d’annonces, car non allégués dans la demande) pour 4 690 $ somme représentant la perte de loyer.
[28] En ce qui a trait aux frais d’énergie, le tribunal octroie à la locatrice la somme de 546,97 $ en vertu des pièces justificatives mis en preuve.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[29] ACCUEILLE en partie la demande de la locatrice;
[30] CONSTATE la résiliation du bail;
[31] CONDAMNE les locataires à payer à locatrice la somme de 5 236,97 $ plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 18 juin 2015, plus les frais judiciaires de 90 $.
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Anne-Marie Forget |
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Présence(s) : |
la locatrice les locataires |
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Date de l’audience : |
22 août 2016 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.