Droit de la famille — 20768 |
2020 QCCS 1803 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
montréal |
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N° : |
500-12-344163-195 |
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DATE : |
Le 15 mai 2020 |
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L’HONORABLE claude dallaire, J.C.S. |
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T… H… |
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Demanderesse |
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c.
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J… P… |
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Défendeur |
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TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DU JUGEMENT RENDU ORALEMENT LE 29 AVRIL 2020 [1] |
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[1] L’enfant des parties a six (6) ans. Depuis sa naissance, il souffre d’asthme sévère.
[2] Dans le contexte de la présente pandémie due à la Covid-19, et aussi parce que le père a été à l’extérieur du pays durant quelques semaines pour son travail, et qu’il a dû se mettre en confinement, la mère a décidé d’emmener l’enfant avec elle à la campagne, avec l’accord du père, durant sa période de garde.
[3] Le 17 avril, après la période de confinement du père, et même s’il a passé un test de dépistage qui est revenu négatif, le père a une désagréable surprise, alors qu’il s’attend de revoir son fils, qu’il n’a pas vu depuis plus d’un mois : Madame décide unilatéralement de garder l’enfant avec elle et décide que Monsieur, qu’elle juge irresponsable, face à la pandémie actuelle, ne verra pas son fils « en personne » avant la fin de la pandémie, et qu’il aura des accès à celui-ci uniquement par Facetime, ou par un autre média social qu’il pourrait préférer.
[4] Malgré que ce type d’accès ne soit pas celui prévu au jugement liant les parties, mais Madame ne juge pas nécessaire de s’adresser au Tribunal pour savoir si ce qu’elle pense est ou non dans le meilleur intérêt de l’enfant.
[5] L’intervention d’une juge de la Cour supérieure est même rendue nécessaire, pour forcer Madame à divulguer l’adresse où se trouve l’enfant, ce qu’elle a refusé de faire avant que le père n’entreprenne un recours urgent en habeas corpus, gardant celui-ci dans l’ignorance durant trois jours.
[6] Puisque Madame a finalement déposé une demande de modification des accès, pour valoir jusqu’à la fin de la pandémie, nous devons décider si cet enfant doit être retourné sans délai à son père, ou s’il devrait rester à Ville A, avec sa mère, et ne voir son père que virtuellement.
[7] De plus, la preuve révélant que la mère est convaincue que la conduite du père est inadéquate pour faire face à cette pandémie, en lien avec la santé fragile de l’enfant, et ce, depuis le début de cette pandémie, alors qu’elle a forcé Monsieur à prendre les devants pour soumettre leur différend au Tribunal, avant de soumettre sa propre demande de modification de jugement, nous devons décider si la conduite de Madame justifie une déclaration d’abus ainsi que l’octroi de dommages et intérêts, tel que demandé par Monsieur.
[8] Voilà les questions soulevées par la demande du père et celle de la mère.
[9] Pour comprendre les raisons qui nous incitent à accueillir la demande d’habeas corpus du père, à rejeter la demande de modification de la mère, et à condamner celle-ci à des dommages et intérêts de 2 500 $, un peu de contexte s’impose.
[10] Les parties ont un fils de six (6) ans.
[11] Elles sont régies par un jugement intérimaire rendu par le juge André Prévost, le 30 août 2019.
[12] Ce jugement accorde la garde exclusive de l’enfant à Madame, ainsi que des accès d’une (1) fin de semaine sur deux (2), à Monsieur, du vendredi soir au dimanche soir. Il est en vigueur jusqu’à ce que le psychologue David complète une expertise, pour aider le Tribunal à disposer de la demande de garde partagée de Monsieur.
[13] Toute la trame factuelle menant à ce jugement intérimaire s’inscrit dans le contexte de la pandémie causée par le virus de la Covid-19.
[14] Monsieur allègue que depuis le 17 avril 2020, Madame détient son fils sans droit, d’où sa demande en habeas corpus.
[15] À cette date, cela fait plus d’un (1) mois qu’il n’a pas vu son fils et il doit en principe exercer son droit d’accès.
[16] Dans un courriel du 17 avril, Madame lui annonce qu’elle refuse de lui remettre l’enfant à l’heure habituelle et elle explique sa décision.
[17] Monsieur veut alors savoir où est l’enfant précisément.
[18] À la suite de ses demandes à cet effet, pour connaître l’adresse où l’enfant se trouve, Madame ne répond rien durant quelques jours.
[19] Monsieur sait seulement que l’enfant est quelque part à Ville A, mais il ignore où, précisément, et ce, jusqu’au lundi suivant.
[20] Ce n’est que trois (3) jours après avoir reçu la demande d’habeas corpus de Monsieur, que Madame lui signifie une courte demande de modification de ses accès, pour les remplacer par des contacts via Facetime ou par tout autre média social, au choix de Monsieur.
[21] Pour comprendre d’où part Madame pour tenter d’expliquer l’avenue qu’elle a choisie, il faut revenir encore un peu dans le temps.
[22] Les parties reconnaissent que depuis son tout jeune âge, leur fils souffre d’asthme sévère, qu’il est médicamenté pour cette condition, et qu’il a fait divers séjours aux soins intensifs de l’hôpital, à cause de son asthme.
[23] Toutefois, lors des faits qui donnent naissance au litige actuel, en avril 2020, l’asthme de l’enfant est contrôlé et stable[2].
[24] Évidemment, la qualité de l’environnement dans lequel cet enfant évolue est importante, pour éviter que sa condition ne se dégrade.
[25] Voyons la chronologie des faits sur laquelle Monsieur se fonde, pour reprocher à Madame de s’être fait justice, plutôt que de s’adresser à la Cour, et qui justifie sa réclamation en dommages, pour avoir dû s’adresser en premier aux tribunaux, alors que c’est Madame qui voulait apporter des modifications au jugement, et qui aurait dû déposer une demande à cet effet, en premier, selon lui.
[26] Du 12 mars au 3 avril, Monsieur est à l’extérieur du pays pour des raisons professionnelles[3].
[27] À cause de la période obligatoire de confinement dans laquelle Monsieur se place, à son retour à Ville B, son accès du 3 avril ne peut donc avoir lieu.
[28] Pour s’assurer qu’il sera en état de revoir son fils au prochain accès, prévu pour le 17 avril, Monsieur décide de passer un test de dépistage pour la Covid-19, même s’il n’a aucun symptôme.
[29] Son test revient négatif.
[30] Durant ses deux (2) semaines de quarantaine, Monsieur continue d’avoir des accès à son fils à tous les jours, via Face time, comme il le faisait lorsqu’il était en Floride.
[31] Le père et le fils font même un jeu de compte à rebours, pour calculer le nombre de jours qui restent, avant qu’ils puissent se revoir, l’enfant ayant hâte de revoir son père, vu la longue absence des dernières semaines.
[32] Monsieur sait que Madame s’est installée à la campagne, à Ville A, avec l’enfant et d’autres personnes de son entourage[4].
[33] Le 16 avril 2020, la période de quarantaine de Monsieur se termine[5].
[34] Le 17 avril au matin, alors qu’il doit récupérer son fils le soir, Monsieur entre en contact avec Madame pour organiser le transfert de l’enfant[6].
[35] Celle-ci lui répond qu’il est préférable que l’enfant reste à la campagne, vu son état de santé et la crise sanitaire qui prévaut, car elle considère qu’il est plus sécuritaire qu’il en soit ainsi, dans le meilleur intérêt de l’enfant, étant donné sa condition médicale. D’ici la fin de la pandémie, elle « propose » à Monsieur de continuer les accès à l’enfant par Facetime, ou par un autre média social de son choix.
[36] À la lecture de ce courriel, il est clair que le seul choix de Monsieur se limite à la détermination du média social au moyen duquel il pourra avoir accès à son fils d’ici la fin de la pandémie, dont personne ne connaît la date.
[37] En lisant le courriel matinal, Monsieur est furieux.
[38] Son réflexe est alors de demander à Madame à quelle adresse précise se trouve l’enfant, et de lui rappeler les modalités du jugement en vigueur, qu’elle est en train de bafouer.
[39] Madame ne répond pas à ce courriel ni aux divers texto que Monsieur continue de lui envoyer pour savoir à quoi s’en tenir.
[40] Au cours des jours suivants, il n’y a pas de son pas d’image du côté de Madame, Monsieur n’ayant aucun accès, même virtuel, à son fils.
[41] Dans ses procédures en réponse à celle de Monsieur, Madame explique qu’elle n’a pas répondu aux demandes de Monsieur parce qu’elle croyait qu’elle exacerberait la colère de Monsieur, si elle donnait y répondait[7].
[42] Elle invoque aussi que son défaut de répondre était motivé par une autre crainte : que la réaction de Monsieur à sa proposition ne puisse causer un « traumatisme » à l’enfant[8].
[43] Devant le mutisme de Madame, et ignorant où est son fils, Monsieur met rapidement son avocate à contribution, dès le 17 avril, pour tenter de raisonner Madame[9].
[44] Malgré l’intervention de celle-ci, qui s’adresse à l’avocate de Madame, la mère maintient son refus de communiquer l’adresse où elle se trouve avec l’enfant et continue de s’opposer à l’accès de Monsieur.
[45] Monsieur reconnaît qu’il panique, en réalisant qu’il n’aura aucun accès possible à son fils et n’en revient pas que Madame se fasse ainsi justice[10].
[46] Le lundi suivant, 20 avril, il est donc forcé de signer une demande en habeas corpus.
[47] Trois (3) jours plus tard, le 23 avril, Madame réagit à la demande de Monsieur. Elle notifie enfin une demande intérimaire en modification du jugement de 2019, afin de substituer des accès par Facetime aux accès réguliers de Monsieur « until such time as it is safe to do otherwise and until the Covid-19 situation improves and things may return to normal… to ensure that it is safe »[11].
[48] Voilà le contexte de notre intervention.
[49] Depuis son retour au pays, et durant quatorze (14) jours, ensuite, Monsieur allègue avoir respecté les consignes gouvernementales sur la quarantaine, et que son test de dépistage est revenu négatif, de sorte que rien ne l’empêchait de revoir son fils, le 17 avril.
[50] Selon lui, dès le retour de Madame au pays, au début mars, les craintes que Madame pouvait avoir sur les effets de la pandémie sur la santé de leur fils étaient présentes, et évidentes.
[51] Elle aurait donc eu amplement le temps de préparer des procédures, pour saisir le Tribunal de son projet de garder l’enfant avec elle jusqu’à la fin de la crise, afin que le bien-fondé de possibles modifications au jugement en vigueur puisse être évalué par un juge[12].
[52] Monsieur déclare qu’il était d’accord que Madame quitte Ville B pour aller à Ville A, durant ses semaines de garde. Par contre, il n’a jamais consenti à ce que ce déplacement implique qu’il renonce à ses accès réguliers à son fils. Il allègue qu’aucune discussion n’a eu lieu sur ce sujet.
[53] Lorsqu’il constate comment Madame s’y est prise, en rétrospective, Monsieur a la ferme impression qu’elle l’a piégé, en déplaçant la famille à Ville A, sachant pertinemment qu’elle n’avait pas l’intention de ramener l’enfant à Ville B, tant que la pandémie ne se serait pas résorbée.
[54] Aujourd’hui, elle invoquerait la consigne gouvernementale demandant aux citoyens de ne pas se déplacer d’une région à l’autre, pour justifier de garder l’enfant avec elle.
[55] D’emblée, Monsieur reconnaît que son fils a des enjeux de santé importants.
[56] Il déclare que l’intérêt et le bien-être de son fils sont importants pour lui aussi, et qu’il se soucie de la santé de celui-ci, contrairement à ce que Madame laisse entendre, ce qu’il déplore[13].
[57] Il n’accepte toutefois pas que Madame utilise la pandémie actuelle comme prétexte pour se faire justice et décider seule de ce qui est dans le meilleur intérêt de leur fils, en le mettant devant le fait accompli[14].
[58] Il attire l’attention du Tribunal sur le fait que malgré tous les reproches qui lui sont adressés, Madame semble avoir oublié qu’elle a elle-même exposé l’enfant au virus de la Covid-19, lorsqu’elle est revenue de son voyage au Costa Rica, au début mars[15].
[59] Elle a reconnu que dès ce retour, elle a emmené l’enfant aux urgences, parce qu’il lui semblait que l’enfant avait développé certains symptômes associés au virus. Elle lui aurait même fait passer un test de dépistage, puis mis l’enfant en quarantaine.
[60] Selon Monsieur, il n’y a pas plus de risques que l’enfant attrape la Covid-19 s’il est avec lui, qu’avec Madame[16].
[61] De plus, Madame reconnaît qu’elle a elle-même exposé l’enfant à d’autres personnes, depuis qu’ils sont à Ville A, ce qui ne respecterait pas les consignes de sécurité du gouvernement, qu’elle accuse Monsieur de ne pas respecter[17].
[62] Depuis son transfert à Ville A, elle aurait aussi fait divers aller-retour à Montréal, notamment pour aller à l’hôpital avec l’enfant.
[63] Aux autres accusations invoquées par Madame pour justifier une demande de modification d’accès, telles que Monsieur vivrait avec une conjointe qui fume et son chien, Monsieur nie que sa blonde vive chez lui, et avec un chien, de surcroît. Cette dernière ne viendrait à la maison avec son chien, que lorsque l’enfant n’est pas là. Après leur départ, il déclare faire le grand ménage, pour s’assurer que l’endroit sera adéquat pour recevoir son fils[18].
[64] Enfin, Monsieur plaide que la pandémie a déjà causé une « coupure très brutale » dans la vie de son fils, par rapport à sa fréquentation scolaire, ses amis, son milieu de vie, et sa routine, et que le fait que Madame ajoute une autre coupure importante en privant son fils de voir son père, n’est pas dans l’intérêt de l’enfant, alors qu’elle sait pertinemment que l’enfant s’ennuie de son père[19].
[65] Madame considère que Monsieur ne la prend pas au sérieux. Elle plaide qu’il est insouciant et qu’il n’offre aucune collaboration[20].
[66] Voici certains autres motifs plus précis, pour lesquels elle refuse de remettre l’enfant à Monsieur :
· il n’est pas suffisamment sérieux dans sa manière de gérer l’enfant, qui a des problèmes pulmonaires importants, depuis sa naissance[21];
· il ne la prend pas au sérieux[22];
· il n’a pas à cœur les intérêts de son fils[23];
· il ne respecte pas les consignes de distanciation sociale et il est malhonnête dans ses propos[24];
· le 12 mars, à son retour de vacances, et le 21 mars, après le retour d’un accès chez le père, elle a vécu deux incidents « sérieux » mettant la santé de son fils en cause; le dernier de ces incidents a même nécessité une visite à l’hôpital;
· la conjointe de Monsieur habite chez lui, et fume en présence de l’enfant; elle emmène même son chien (un poméranien) chez Monsieur[25]. C’est probablement ce qui explique qu’au retour de chez le père, la dernière fois. l’enfant a eu une crise d’asthme difficile à résorber[26];
· Madame soutient que « everything should be done to eliminate irritants »[27], ce que Monsieur ne fait pas, manifestement;
· elle plaide qu’il « lacks maturity and self-control to act prudently in the difficult circumstances »[28];
· ce qu’il prêche et ce qu’il pratique est différent : « dissonant conduct »[29], (épisode du 14 avril dans un Facetime, alors qu’il déclare pratiquer la distanciation sociale et qu’il y a des gens tout près de lui)[30];
· dans le contexte de cette pandémie, Monsieur ne fait pas ce qu’il faut pour protéger leur fils[31];
· son opinion sur le père: « his best abilities are not enough »[32];
· le test de dépistage, passé au début avril, serait devenu obsolète, puisqu’il ne respecte pas les consignes de distanciation;
· l’enfant est moins exposé avec elle qu’avec Monsieur[33].
[67] Depuis son départ pour Ville A, Madame reconnaît être revenue à Ville B, mais elle aurait limité ses déplacements à des raisons médicales;
[68] Pour conclure, Madame allègue ceci :
« unfortunaltely I am obliged to take procedures to try to keep our son safe »[34].
[69] Après avoir pris connaissance des procédures, des pièces déposées de part et d’autre, incluant le dossier médical, et des diverses déclarations sous serment, le Tribunal est d’avis que l’enfant doit retourner chez le père, dans son meilleur intérêt.
[70] Le hic, avec la procédure de Madame, c’est qu’elle était tout à fait prévisible, et qu’elle ne l’a présentée qu’en réponse à celle de Monsieur, et alors que celui-ci a dû s’adresser d’urgence à son avocate et à la Cour, étant forcé de débourser des frais inutiles pour présenter une demande en habeas corpus, afin de soumettre leur différend à la Cour supérieure, à défaut par Madame d’avoir saisi le Tribunal elle-même, alors qu’elle prétend que les modalités actuelles du jugement du juge Prévost ne sont pas adéquates.
[71] Étant donné que la décision de Madame de retenir l’enfant repose sur la santé de l’enfant, dans le contexte de la pandémie actuelle, le profil de santé de celui-ci est pertinent.
[72] En effet, les décisions rendues sur le sujet, et tout particulièrement celles rendues par les tribunaux québécois, confirment ce point.
[73] Dans le contexte de la pandémie, et de la manière dont le virus évolue à Ville B, l’on ne peut reprocher à Madame de se préoccuper de la santé de son fils.
[74] Le lieu où évolue l’enfant fait partie des « circonstances » pertinentes au débat.
[75] Mais encore faut-il qu’il y ait débat.
[76] Et c’est le reproche que le Tribunal adresse à Madame, dans ce dossier, puisqu’elle n’a pas jugé pertinent de soumettre un tel débat à un juge, avant d’imposer sa décision de garder l’enfant à Monsieur.
[77] Ce rôle ne lui revenait pas.
[78] Si Madame considère que les commentaires de Monsieur au début de la pandémie étaient légers, il ne faut pas oublier de regarder comment les choses ont ensuite évolué, et surtout, comment Monsieur s’est comporté par la suite.
[79] Monsieur explique qu’il a tenté de dédramatiser la situation générale, dans certains de ses échanges avec Madame.
[80] Une fois passé par-dessus le mot à mot du texte soumis, la preuve révèle que Monsieur a fait ce qu’il avait à faire pour protéger son fils des conséquences potentielles de la Covid-19 sur la santé de ce dernier : il a passé un test de dépistage, alors qu’il n’avait pas de symptômes, et il s’est imposé une période de confinement.
[81] En ce qui a trait à la distanciation sociale, les moyens de preuve étant limités, le Tribunal n’a pas pu regarder la vidéo à laquelle Madame réfère dans sa déclaration. Mais cela dit, il y a lieu de souligner que Madame reconnaît avoir aussi permis à l’enfant de voir des tiers à Ville A, alors qu’elle y était en confinement, en principe[35].
[82] Les parties sont donc à armes égales, sur ce sujet.
[83] Madame se plaint de la présence d’un chien chez Monsieur, mais confirme, séance tenante, qu’elle héberge toujours le chien d’un tiers à Ville A, depuis décembre 2019, ajoutant que ce chien n’a accès qu’à l’entrée de la maison[36].
[84] Encore une fois, nous sommes d’avis que selon la preuve disponible, les parties sont à armes égales sur cet autre sujet.
[85] Quant au fait que la conjointe de Monsieur fume et qu’elle le fait dans la résidence de Monsieur, la preuve est contradictoire.
[86] Monsieur nie que cette dernière fume en présence de l’enfant[37].
[87] La preuve médicale ne nous permet pas de conclure que l’enfant soit dans un état tel que nous puissions déclarer que Madame était justifiée de garder son fils avec elle, plutôt que laisser l’enfant avec son père, tel que prévu au jugement de 2019.
[88] Du moins, c’est ce qui ressort des récentes inscriptions faites dans le dossier médical, qui indiquent « mild asthma exacerbation », comme diagnostic, en mars 2020, lorsque Madame a emmené l’enfant à l’hôpital, vers la fin mars.
[89] Madame a certes des préoccupations légitimes en lien avec la crise sanitaire et la santé de son fils, mais depuis son retour de voyage, au début mars, donc bien avant le 17 avril, elle a eu amplement le temps de préparer une demande de modification des accès de Monsieur, afin de faire valoir ses nombreuses inquiétudes sur la capacité parentale de Monsieur de gérer leur fils, en temps de crise.
[90] Mais elle a choisi de ne pas le faire.
[91] Au Québec, depuis mars dernier, la jurisprudence est unanime et claire : la Covid-19 n’est pas un prétexte justifiant un parent de se faire justice, dans un contexte de garde d’enfants. Ce virus ne dispense aucun parent de s’adresser aux tribunaux, lorsqu’il a des inquiétudes en lien avec la santé de ses enfants, et qu’il pense que des modifications aux accès confirmés par un jugement s’imposent.
[92] Madame était représentée par une avocate, qu’elle a fait intervenir, le 17 avril. Divers courriels ont été échangés entre cette dernière et l’avocate de Monsieur, au cours de cette journée.
[93] Dès 9h30 am, l’avocate de Monsieur annonce les couleurs de son client : à défaut par Madame de respecter le jugement en vigueur et de ramener l’enfant à l’heure habituelle, en soirée, des procédures urgentes en habeas corpus seront entreprises contre Madame dès le lundi, et cela causera des dommages à Monsieur, qui la tiendra responsable.
[94] La réponse à cet ultimatum, reçue de l’avocate de Madame, à 16h30, est surprenante :
« Nous comptons sur votre collaboration et ce n’est pas à moi d’ordonner quoi que ce soit. Madame a des réserves importantes et elle maintient sa position ».
(Nos soulignements)
[95] Plutôt que d’annoncer que sa cliente entreprendra une procédure pour régler la situation sans délais, (à défaut de l’avoir fait avant), alors que la situation vécue ce jour-là était plus que prévisible, selon ce qui ressort de l’ensemble de la preuve de Madame, nous retenons ceci du message de l’avocate de Madame, qui s’exprime au nom de sa cliente :
Come and get me.
[96] Et c’est malheureusement ce s’est passé, le lundi suivant.
[97] Ce n’est que trois (3) jours plus tard, que Madame fait ce qu’elle aurait dû faire depuis des semaines, soit signifier elle-même une procédure au motif que la pandémie actuelle peut avoir des effets néfastes sur la santé de son fils, selon elle, dans l’hypothèse où l’enfant soit sous la garde de son père, qui est incompétent pour gérer leur fils, dans un tel contexte.
[98] Or, ce qu’elle énonce dans ses procédures n’a pas été découvert le 17 avril 2020, pour la première fois, mais bien avant, selon ce que nous lisons des diverses déclarations sous serment de Madame.
[99] Tous savent que les procédures judiciaires coûtent cher. C’est encore plus vrai lorsqu’elles doivent être prises en urgence, sans oublier que le stress de celui qui doit les entreprendre dans un tel contexte, s’en trouve augmenté.
[100] De plus, en l’espèce, il a même fallu que la juge coordonnatrice intervienne, pour que Madame accepte finalement de communiquer l’adresse où était l’enfant, une fois les procédures intentées[38].
[101] À notre avis, tout particulièrement dans le contexte actuel de crise sanitaire, cette façon de faire est inacceptable.
[102] L’avocate de Madame a toutefois eu raison de souligner que la jurisprudence émanant des différentes provinces, ainsi que certaines décisions nous ayant été soumises par Monsieur, devaient être analysées en mettant les éléments de contexte factuels qu’elles contiennent en perspective. Elle avait aussi raison de nous mettre en garde contre la tentation d’appliquer les décisions rendues à la lettre, lorsque les faits y donnant lieu se sont déroulés dans la province de Québec.
[103] En effet, il est de connaissance judiciaire que la situation n’est pas nécessairement la même d’une province à l’autre, en ce qui a trait à la propagation des cas de Covid-19.
[104] Ainsi, si le milieu de vie où l’enfant évolue est moins contaminé qu’un autre, cela est certes l’une des circonstances dont le Tribunal doit tenir compte.
[105] Cela dit, les principes énoncés dans la jurisprudence émanant des autres juridictions que celle du Québec, en général[39], ainsi qu’émanant des décisions rendues par la juge Johanne April, dans le district de Québec[40], par de la juge Marie-Josée Bédard, dans le district de Labelle[41] et de Gatineau[42], par le juge Claude Villeneuve, dans le district de Bedford[43], et celle du juge Éric Hardy, dans le district judiciaire de Québec[44], sont tout de même pertinentes, et s’appliquent aux faits de l’espèce, en ce qui a trait au fait que la crise sanitaire actuelle n’est pas un prétexte justifiant un parent de se faire justice en décidant unilatéralement de retenir un enfant chez lui, parce qu’il entretient des craintes sur la santé de celui-ci.
[106] Ces principes sont parfaitement applicables à ce qui se passe dans le district judiciaire de Montréal.
[107] C’est au chapitre de l’analyse des faits particuliers qui peuvent donner gain de cause à un parent qui soumet valablement son problème au Tribunal, que la distinction sur le lieu où se passe la trame factuelle devient pertinente et qu’il faut être prudent avant d’appliquer une solution émanant d’un autre district judiciaire, les yeux fermés.
[108] Ce n’est en fait que la simple illustration de la règle chaque cas est un cas d’espèce, à laquelle le virus de la Covid-19, aussi puissant puisse-t-il être, ne change rien, et que les tribunaux appliquent, depuis toujours.
[109] Il est vrai que Monsieur demeure dans l’épicentre du développement de la Covid-19 au Québec, soit l’île de Montréal, mais cela ne justifie pas nécessairement qu’il doive être privé des accès à son fils, du simple fait qu’il demeure à Ville B.
[110] Mais l’avocate de Madame avait donc raison d’attirer notre attention sur l’importance de mettre les faits de chaque dossier dans leur contexte particulier, pour évaluer les faits et gestes de Madame, ce que nous avons fait comme exercice, après nous être inspiré de ses commentaires.
[111] Cela dit, malgré les bonnes intentions de Madame, qui consistaient à protéger le plus possible la santé de son fils des conséquences négatives du virus de la Covid-19, le moyen qu’elle a choisi pour y arriver était illégal.
[112] Le Tribunal est d’avis qu’il y avait déjà suffisamment de perturbations dans la vie de cet enfant, pour que le priver des contacts physiques avec son père soit raisonnable.
[113] Nous considérons qu’il est essentiel d’envoyer un message clair aux parents qui pourraient être tentés d’imiter la conduite décrite dans ce jugement, puisque cette façon d’agir n’est pas acceptable.
[114] D’ailleurs, l’ensemble de la preuve nous convainc que le geste de Madame, de retenir l’enfant et d’attendre que Monsieur fasse les premiers pas judiciaires, était prémédité.
[115] Nous n’avons donc pas d’hésitation à conclure que la conduite de cette dernière, dans la gestion des présentes procédures, était abusive, tant en vertu de l’article 51 du Code de procédure civile que de l’article 342 C.p.c..
[116] Ainsi, Monsieur a raison de réclamer des dommages, mais ils ne seront pas du montant de 5 000 $ qu’il réclame, car s’il avait dû se défendre à l’encontre de la demande de Madame, il aurait tout de même encouru des frais, qui n’auraient pu être remboursés, à moins de prouver un abus.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[117] DÉCLARE que Madame n’avait aucune raison de refuser de donner l’adresse où elle résidait à Ville A avec l’enfant à Monsieur, durant la période de la pandémie;
[118] DÉCLARE qu’entre le 17 avril et ce jour, Madame a retenu l’enfant avec elle sans droit, à l’encontre d’un jugement valide du 30 août 2019;
[119] ORDONNE à Madame de ramener l’enfant à Monsieur le 1er mai 2020, à 18h00;
[120] AUTORISE les forces policières à prêter main-forte au défendeur, pour exécuter ce jugement, à défaut par Madame de ramener l’enfant chez Monsieur le 1er mai 2020, à 18h00;
[121] ACCORDE un accès supplémentaire à Monsieur, pour compenser celui perdu lors de la fin de semaine du 17 au 19 avril 2020, lequel accès aura lieu du 8 mai 18h00 au 10 mai 2020, à 19h30;
[122] RAPPELLE aux parties que le prochain droit d’accès régulier de Monsieur sera du 15 au 17 mai 2020, aux mêmes heures que celles énoncées au paragraphe précédent;
[123] DÉCLARE que ce jugement est exécutoire nonobstant appel, vu sa nature;
[124] REJETTE la demande intérimaire de Madame visant à substituer les accès de Monsieur par des accès Facetime, durant la pandémie actuelle ou jusqu’à ce les choses entrent dans l’ordre;
[125] DÉCLARE que la conduite judiciaire de Madame est abusive;
[126] ACCUEILLE la demande de dommages de Monsieur;
[127] CONDAME Madame à payer la somme de 2 500 $ à Monsieur, dans les quarante-cinq (45) jours de ce jugement;
[128] CONDAME Madame aux frais de justice.
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__________________________________ L’HONORABLE CLAUDE DALLAIRE, j.c.s. |
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Me Elizabeth Greene |
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Cabinet de Me Elizabeth Greene |
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Avocate de la demanderesse |
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Me Yaël Lachkar |
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Robinson Sheppard Shapiro sencrl |
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Avocate du défendeur |
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Date d’audience et de délibéré: |
Le 27 avril 2020 |
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[1] Le jugement a été rendu séance tenante. Comme le permet l’arrêt Kellogg's Company of Canada c. P.G. du Québec, [1978] C.A. 258, 259-260, au moment de rendre sa décision, le Tribunal s'est réservé le droit d'en modifier, amplifier et remanier les motifs. La soussignée les a donc remaniés pour en améliorer la présentation et la compréhension.
[2] L’enfant a fait quelques visites à l’hôpital, en mars 2020, et a reçu une médication le 22 mars, alors qu’il était sous la garde de Madame, mais le dossier indique « mild asthma exacerbation ».
[3] Allégation 6 de sa demande.
[4] Paragraphe 32 de la déclaration sous serment de Madame du 23 avril 2020.
[5] Et il n’a développé aucun symptôme associé au virus de la Covid 19.
[6] Madame avait initié divers contacts par texto, les 13 et 14 avril, pièce R-9. Mais jamais elle n’annonce ses couleurs, sur ses intentions, outre pour énoncer qu’il fallait discuter des conditions pour la suite des choses.
[7] Paragraphes 53, 55, 56 et 57 de la déclaration sous serment de Madame du 23 avril 2020.
[8] Idem, allégation 58.
[9] Pièces R-3 et R-4 au soutien de la demande de Monsieur.
[10] Paragraphe 10 de la réplique de Monsieur.
[11] 3ième conclusion de sa demande.
[12] Paragraphe 4 de la réplique de Monsieur
[13] Ibid, paragraphe 11.
[14] Ibid, paragraphe 13.
[15] Ibid, paragraphe 14.
[16] Ibid, paragraphes 21, 22.
[17] Paragraphe 36 de la déclaration de Madame du 23 avril 2020.
[18] Paragraphe 22 de la réplique de Monsieur.
[19] Ibid, paragraphe 23.
[20] Paragraphes 67 et 68 de la déclaration de Madame du 23 avril 2020.
[21] Allégations 14 et 20 de la demande de Madame.
[22] Paragraphe 75 de la déclaration de Madame du 23 avril 2020.
[23] Ibid, paragraphe 84.
[24] Ibid, paragraphes 45 à 47 et 88.
[25] Ibid, paragraphes 73; Pièces R-6 et R-7.
[26] Paragraphes 5 à 12 de la déclaration réponse de Madame du 27 avril 2020.
[27] Paragraphe 74 de la déclaration de Madame du 23 avril 2020.
[28] Ibid, paragraphe 85.
[29] Ibid, paragraphe 95.
[30] Nous n’avons pas vu la vidéo.
[31] Paragraphe 89 de la déclaration de Madame du 23 avril 2020.
[32] Paragraphe 23 de la réponse de Madame du 27 avril 2020.
[33] Paragraphe 90 de la déclaration de Madame du 23 avril 2020.
[34] Ibid, paragraphe 93.
[35] Paragraphe 36 de sa déclaration du 23 avril 2020.
[36] Le chien serait un chinese crested, paragraphes 71 et 72 de la déclaration du 23 avril 2020.
[37] Et rien d’autre que des photos du compte Instagram de ladite conjointe ne démontre qu’elle fume dans l’appartement de Monsieur, et elles sont prises alors que l’enfant n’est pas là, mais chez Madame.
[38] Voir les échanges de la juge Armstrong, déposés au dossier de la Cour.
[39] S.R. v. M.G., 2020 BCPC 57 (du 7 avril 2020), J.R.P.K v. L.A.S., 2020 BCPC 73 (du 20 avril 2020), Trudeau c. Auger, 2020 ONCJ 197 (du 8 avril 2020), Banner v. Chicoski, 2020 ONSC 2457 (21 avril 2020).
[40] Droit de la famille - 204746, 2020 QCCS 1051 (27 mars 2020).
[41] Droit de la famille - 20506 2020 QCCS 1125 (3 avril 2020).
[42] Droit de la famille - 20554, 2020 QCCS 1239 (20 avril 2020).
[43] Droit de la famille - 20455, 2020 QCCS 1017 (19 mars 2020).
[44] N.P. c. S.L., 415-04004048-163, du 14 avril 2020, par le juge Éric Hardy.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.