Décision

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Décision

Gauvin c. 3254291 Canada inc.

2017 QCRDL 169

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Granby

 

No dossier :

180975 24 20141022 G

194233 24 20150119 G

No demande :

1603226

1660469

 

 

Date :

06 janvier 2017

Régisseur :

Serge Adam, juge administratif

 

Caroline Gauvin

 

Locataire - Partie demanderesse

(180975 24 20141022 G)

Locataire - Partie défenderesse

(194233 24 20150119 G)

c.

3254291 Canada inc.

Marie-Josée Bélisle

 

Locateurs - Partie défenderesse

(180975 24 20141022 G)

Locateurs - Partie demanderesse

(194233 24 20150119 G)

et

Bruno Gauvin

 

 

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      La locatrice réclame de la locataire une somme totale de 1 608,04 $ représentant une perte de revenus locatifs de 1 575 $ et des frais de publicité au montant de 33,04 $, avec intérêts et frais.

[2]      La locataire quant à elle réclame une somme totale de 551,85 $ en dommages avec intérêts et frais.

[3]      Les parties étaient liées par un bail du 1er juillet 2014 au 30 juin 2015 au loyer mensuel de 495 $ payable le 1er jour de chaque mois.

[4]      Ces deux dossiers furent réunis pour instruction commune conformément à l’article 57 de la Loi sur la Régie du logement.

[5]      Au soutien de sa demande, la locatrice allègue que la locataire a quitté illégalement le logement concerné en octobre 2014 et que ce logis a pu être reloué que le 1er février 2015, de sorte qu'elle lui réclame la somme de 1 485 $ à titre d'indemnité de relocation, vu la perte locative encourue par la locatrice et représentant les mois de novembre, décembre 2014 et janvier 2015 ainsi qu’une balance de 90 $ pour le mois d’octobre 2014.


[6]      La locatrice réclame également une somme de 33,04 représentant les frais de publicité payés par cette dernière afin de minimiser ses dommages avec facture au soutien de cette réclamation.

[7]      La locataire quant à elle admet avoir quitté ce logement vers la fin du mois d’octobre et reconnait également devoir la somme de 90 $ représentant le solde du mois d’octobre 2014.

[8]      Cependant, elle plaide avoir quitté son logement car elle soutient que le représentant de la locatrice a pénétré dans son logement sans son autorisation en plus d’avoir permis à la Société Protectrice Canadienne des animaux de garder son chien, lui causant ainsi des dommages qu’elle quantifie à 551,81 $ représentant le coût d’achat de celui-ci et des frais de vétérinaire qu’elle a payés.

[9]      Elle qualifie cette intrusion dans son domicile d’atteinte illicite à un droit ou une liberté reconnue par la Chartre des Droits et Libertés de la Personne et veut se réserver le droit d’intenter des recours en dommages punitifs et moraux contre la locatrice.

[10]   Sur cette dernière allégation, le représentant de la locatrice admet avoir pénétré dans le logement de la locataire en octobre 2014, après avoir reçu des plaintes en provenance de d’autres occupants de l’immeuble se plaignant d’odeurs nauséabondes dans celui-ci et de jappements constants en provenance du logement concerné.

[11]   Constatant l’absence de la locataire, le représentant a appelé le service de police de la Ville de Granby le 24 octobre 2014 pour une intervention policière dans ce logement.

[12]   Le représentant de la locatrice produit alors le rapport de police lequel indique avoir constaté lors de cette intervention un logement tout en désordre avec la présence d’un chien seul sans nourriture et sans eau depuis plusieurs jours, selon les informations du concierge.

[13]   Des photographies démontrent également l’état du logement et les nombreux excréments de l’animal partout dans logement.

[14]   Les policiers ont donc confié cet animal au SPCA le même jour.

[15]   La locataire admettait avoir laissé son chien, mais prétend avoir demandé à une autre occupante de son immeuble de s’occuper de son chien, tout en admettant toutefois que cette dernière ne pouvait se déplacer étant à mobilité réduite par son état de santé physique.

[16]   Questionnée par le Tribunal des raisons ayant motivé la locataire de ne pas reprendre son chien une fois avisée que ce dernier fut confié au SPCA, cette dernière répondit qu’elle ne pouvait payer la facture réclamée par cette institution pour son travail et les soins prodigués à l’animal.

[17]   Elle réclame donc le remboursement du coût d’acquisition de son chien et des frais de vétérinaire qu’elle a payés à ce dernier, soit la somme totale de 551,84 $ tout en produisant les factures au soutien de celle-ci.

[18]   Elle estime qu’elle pouvait ainsi quitter son logement, car elle craignait la récidive du locateur de pénétrer dans son logement sans autorisation comme ce fut le cas en octobre 2014.

[19]   Ainsi se résume l’essentiel de la preuve des parties.

Décision

[20]   La locataire allègue que le locateur a enfreint à un des droits fondamentaux d'un individu dans notre société, soit le domicile est inviolable et ce, lors de son intrusion dans son domicile en octobre 2014 lui permettant ainsi de résilier son bail pour la fin du même mois.

[21]    À cet égard, la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt West Island Teachers Association c. Madeleine Nantel, 1988, R.J.Q. 1569, page 1574, s'exprime comme suit :

« L'atteinte illicite à un des droits reconnus par la Charte est un délit. Pour être intentionnel, il faut qu'il soit commis dans des circonstances qui indiquent une volonté déterminée de cause le dommage résultant de la violation. Cette volonté peut se manifester de plusieurs façons. Elle est susceptible d'apparaître par suite de la constatation que la faute commise ne pouvait pas ne pas se rendre compte au départ qu'elle produirait les conséquences préjudiciables qui en ont été la suite. La faute est également intentionnelle si elle provient d'une insouciance déréglée et téméraire du respect du droit d'autrui, en parfaite connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que son geste va causer à sa victime. »


[22]   En l'instance, le Tribunal estime que la locataire n'a pas démontré l'intention du locateur de violer ses droits prévus par la Charte.

[23]   Lors de la seule occasion où le locateur a pénétré dans le logement c'était simplement pour y effectuer une vérification, vu la présence d’une forte odeur nauséabonde et de jappements constants depuis plusieurs jours, dérangeant ainsi la quiétude des autres occupants de l’immeuble, alors que cette dernière y était absente depuis plusieurs jours.

[24]    Au surplus, vu l'urgence de la situation, une intervention rapide même sans autorisation était justifiée.

[25]   Or, la preuve non contestée révèle qu’il y avait nettement une urgence d’agir ainsi vu la présence d’un chien laissé seul dans le logement sans eau ni nourriture, lequel avait même commencé à ronger les meubles de la locataire et avait laissé ses excréments dans le logement partout dans celui-ci en plus d’avoir uriné dans celui-ci à plusieurs occasions.

[26]   La demande en réclamation en dommages de la locataire sera donc rejetée, cette dernière étant seule responsable de la perte de son chien, alors qu’elle l’a laissé seul sans eau ni nourriture, en plus d’avoir refusé de le reprendre alors qu’elle le pouvait en remboursant à la SPCA les frais et soins prodigués à son chien.

[27]   Ainsi, la locataire étant liée par un bail, lequel se terminait le 30 juin 2015, elle ne pouvait ainsi mettre fin à son obligation avant terme, en invoquant une intrusion sans droit dans son logement et une crainte de récidive alors que cette intrusion fut à juste titre amplement justifié.

[28]   La locatrice a donc droit à des dommages-intérêts contractuels en raison de la résiliation prématurée du bail que l'on qualifie, au sens courant, d'indemnité de relocation.

[29]   Les principes applicables en l'instance sont résumés de la façon suivante par le professeur Jobin[1] :

« 116. Dommages-intérêts. Le recours en dommages-intérêts vient presque toujours s'ajouter à celui en résiliation. En plus d'une indemnité pour pertes causées au bien loué ou autres dommages le cas échéant, le locateur réclame systématiquement une indemnité pour perte de loyer durant la période nécessaire pour trouver un nouveau locataire; plus précisément, l'indemnité couvre la perte de loyer jusqu'à la délivrance du bien au nouveau locataire, car c'est à partir de l'entrée en jouissance que le nouveau loyer est calculé. (...)

L'indemnité de relocation obéit aux règles habituelles. Ainsi, le locateur a droit uniquement à la réparation du préjudice qui constitue une suite immédiate et directe de la faute du locataire. De plus, on ne doit pas oublier que le locateur a le devoir de minimiser sa perte : dans le contexte d'une résiliation, il doit prendre les moyens raisonnables pour remplacer le locataire fautif le plus vite possible. »

[30]   L'article 1479 du Code civil du Québec reprend d'ailleurs ce principe en ces termes :

1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l'aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter.

[31]   Cette règle est expliquée comme suit par les auteurs Baudouin et Jobin :

« La règle de la réduction des pertes, ou de la minimisation des dommages est bien connue en common law. La jurisprudence québécoise l'a également sanctionnée d'innombrables fois, tant en matière extracontractuelle qu'en matière contractuelle et elle est maintenant codifiée à l'article 1479 C.c. Cette règle est fondée sur le principe selon lequel le débiteur n'est tenu qu'aux seuls dommages directs et immédiats. On peut l'exprimer simplement en disant que le créancier a le devoir, lorsqu'il constate l'inexécution de l'obligation de son débiteur, de tenter d'atténuer autant que possible le préjudice qu'il subit. Agir autrement constitue, en droit civil, un comportement fautif, parce que contraire à la conduite d'une personne normalement prudente et diligente, et mène à une réduction des dommages autrement alloués au créancier. Lorsque le créancier ne réduit pas ses pertes, il est difficile de prétendre que le dommage a été entièrement causé par le fait du débiteur, même si celui-ci en est à l'origine. Les tribunaux n'admettent donc pas que le créancier réclame la partie des dommages qu'il a subis et qu'il aurait pu raisonnablement éviter en se comportant avec prudence, diligence et bonne foi. L'obligation de réduire sa perte est donc une obligation de moyens. »


[32]   Dans l'arrêt Red Deer College c. Michaels and Finn (1976) 2 R.C.S. 324, le juge Laskin écrit :

« (...) un demandeur lésé a le droit de recouvrer les dommages-intérêts pour les pertes qu'il a subies, mais l'étendue de ces pertes dépend de la question de savoir s'il a pris ou non les mesures raisonnables pour éviter qu'elles s'accroissent immodérément. » (références omises)

[33]   En l'instance, le Tribunal est d'avis que la locatrice a prouvé s'être acquittée complètement de son obligation de réduire, autant que faire se peut, la perte locative qu'elle encourait en raison du départ de la locataire en cours de bail et condamnera cette dernière à payer à la locatrice la somme de 1 575 $ à titre d’indemnité de relocation et le solde de loyer impayé, en plus de lui accorder également le remboursement des frais de publicité réclamés (33,04 $).

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dossier 194233

[34]   CONDAMNE la locataire à payer à la locatrice la somme de 1 608,34 $ avec les intérêts au taux légal, à compter du 19 janvier 2015, en plus de l'indemnité prévue par l'article 1619 du Code civil du Québec., plus les frais judiciaires de 80 $.

Dossier 180975

[35]   REJETTE la demande de la locataire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Serge Adam

 

Présence(s) :

La locataire

Le mandataire des locateurs

Date de l’audience :  

12 décembre 2016

 

 

 


 



[1] Pierre-Gabriel Jobin, Le louage, 2e édition, no. 116, p. 364.

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