Montreal, Maine & Atlantic Canada Co. (Montréal, Maine & Atlantique Canada Cie) (Arrangement relatif à) |
2015 QCCS 5896 |
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JD 2364 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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N° : |
450-11-000167-134 |
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DATE : |
15 décembre 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
GAÉTAN DUMAS, J.C.S. |
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DANS L’AFFAIRE DU PLAN D’ARRANGEMENT AVEC LES CRÉANCIERS DE : |
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MONTREAL, MAINE & ATLANTIC CANADA CO. (MONTRÉAL, MAINE & ATLANTIQUE CANADA CIE) |
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Débitrice Et RICHTER ADVISORY GROUP INC. (RICHTER GROUPE CONSEIL INC.) Contrôleur |
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Et PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
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Créancier |
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JUGEMENT SUR REQUÊTE EN APPROBATION D’HONORAIRES PROFESIONNELS |
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[1] Le tribunal est saisi d’une requête en approbation d’honoraires professionnels suite au plan d’arrangement proposé et accepté à l’unanimité par les créanciers.
[2] En plus de demander l’approbation des honoraires et déboursés réels encourus par les professionnels, il est demandé au tribunal d’accorder un honoraire additionnel de 10 000 000 $ à titre de considérations additionnelles pour les services rendus dans le présent dossier.
[3] Les professionnels visés par cette demande sont :
- Richter Advisory Group, contrôleur nommé par le tribunal;
- Woods LLP, procureurs du moniteur;
- Verrill Dana LLP, procureur du contrôleur américain;
- Gowling Lafleur Enderson LLP, procureurs de la requérante Montreal, Maine & Atlantic;
[4] La requête réclamant un honoraire additionnel de 10 000 000 $ est un cas d’espèce unique. En effet, ni le tribunal ni les procureurs n’ont pu recenser de dossier où un tribunal, au Canada, aurait pu accorder une prime de risque, ou une prime pour le rendement obtenu, dans un dossier d’arrangement en vertu de la LACC.
[5] Cette demande semble être une première pour un dossier que l’on peut qualifier d’unique et qui, nous l’espérons, ne se reverra plus.
[6] Dans le présent dossier, plus de 40 jugements et ordonnances ont été rendus. Ces jugements sont toujours d’actualité pour bien comprendre la présente décision.
[7] Qu’il suffise de rappeler que ce dossier fait suite à la tragédie ferroviaire survenue à Mégantic le 6 juillet 2013. Le centre-ville de Mégantic fut alors détruit par le feu qui a suivi les explosions du pétrole contenu dans les wagons de la MMA. Quarante-sept personnes sont décédées. La valeur des preuves de réclamation produites dans le présent dossier dépasse le milliard de dollars.
[8] Un mois après cette tragédie, MMA reconnaît sa responsabilité dans la tragédie ferroviaire et dépose la requête initiale dans le présent dossier laquelle est accordée par notre collègue Martin Castonguay, j.c.s.
[9] Il est important de noter que dès le départ, la débitrice, entourée de ses conseillers judiciaires, agit de façon à ce que les victimes de cette tragédie puissent espérer recevoir un jour une indemnisation pour les torts que lui a causés la MMA.
[10] Lors de la tragédie, MMA bénéficie d’une protection d’assurance de 25 000 000 $ de la part de la compagnie d’assurance XL. Cette assurance peut servir à indemniser les victimes de la tragédie en plus d’obliger l’assureur à défendre son assurée contre toute poursuite civile.
[11] Cette assurance couvrait non seulement MMA, mais également ses administrateurs.
[12] Il est facile aujourd’hui d’affirmer que MMA n’avait d’autre choix que de reconnaître sa responsabilité, mais force est d’admettre qu’elle était tout de même en droit d’exiger de ses assureurs d’être défendue, ce qui aurait pu entraîner des procédures judiciaires s’échelonnant sur plusieurs années.
[13] Tous les actifs de MMA sont vendus pour une somme de 14 000 000 $ alors que les actifs sont grevés de garanties totalisant 30 000 000 $.
[14] L’accident ferroviaire a lieu en juillet 2013 et les actifs sont vendus dès le début de l’année 2014.
[15] Jusqu’ici, rien de juridiquement exceptionnel dans ce dossier, si ce n’est le protocole interfrontalier qui est tout de même assez rare au Québec.
[16] Il en est de même du mode de vente des actifs. En effet, la vente fait suite à un « stalking horse bid ». Il s’agit peut-être de la deuxième ou troisième fois que cette méthode est utilisée dans un dossier d’insolvabilité au Québec.
[17] Autre évènement exceptionnel dans le présent dossier, une audition commune est ordonnée et tenue à Bangor, Maine, en février 2014.
[18] Plutôt que de tenir une audition commune par visioconférence, il est convenu que le tribunal se déplacera pour une audition commune coprésidée par le Juge en chef de la Cour de faillite du Maine, l’honorable Louis Kornreich et le soussigné.
[19] Le soussigné a, à plusieurs reprises, mentionné dans divers jugements rendus dans le présent dossier que cette audition commune est le point tournant du dossier puisque cette audition a permis à tous les créanciers, autant américains que canadiens, de finalement s’asseoir ensemble pour tenter de trouver une solution au présent dossier.
[20] Dans un jugement rendu le 14 mars 2014, le tribunal mentionne :
« [2] Le tribunal ne reprendra pas tous les faits survenus dans le présent dossier, mais réfère le lecteur à un jugement rendu par le soussigné le 17 février 2014 par lequel le soussigné accueillait une demande pour un « joint status conference » qui s’est tenu à Bangor (Maine) le 26 février 2014.
[3] Les faits mentionnés dans ce jugement sont toujours pertinents et les faits survenus suite à ce jugement auront un impact sur le présent jugement.
[4] Qu’il suffise de mentionner que dans le jugement du 17 février 2014, le soussigné discute, à compter du paragraphe 57 de la décision jusqu’au paragraphe 105, de l’opportunité d’utiliser la LACC pour permettre la vente d’actifs hors du cours ordinaire des affaires, mais dans un cadre de continuité d’exploitation (as a going concern).
[5] Comme le mentionnait le soussigné dans la décision du 17 février 20141, le tribunal s’est toujours assuré du consentement de la FRA et du gouvernement du Québec avant d’ordonner l’augmentation de la charge administrative.
[6] Or, le soussigné mentionne également dans ce jugement qu’une fois les actifs vendus, la FRA n’aura plus d’intérêt à financer les procédures en vertu de la LACC puisqu’elle aura été payée en partie à même les actifs vendus. Dans les faits, la FRA a tout de même un intérêt pour sa créance non garantie, mais cet intérêt est non significatif si on le compare à la somme des créances ordinaires auxquelles la débitrice devra faire face. Entre autres, le gouvernement du Québec à lui seul aura une réclamation de plus 400 000 000 $, en plus de toutes les autres réclamations des victimes. Il n’est donc pas dans l’intérêt de la FRA de financer les procédures pour les créanciers ordinaires.
[7] C’est ce dont discutait le soussigné dans sa décision du 17 février à partir du paragraphe 116.
[8] Le tribunal explique donc la raison pour laquelle un « joint hearing » sera tenu à Bangor le 26 février 2014.
[9] Bien que le tribunal ait pu sembler pessimiste dans sa décision du 17 février sur les chances du dépôt d’un plan d’arrangement viable dans un futur rapproché, il semble que le résultat de cette conférence soit au-delà de ce que le soussigné espérait.
[10] En effet, cela a permis aux créanciers impliqués autant dans le dossier canadien qu’américain de se rencontrer pour la première fois.
[11] Le procureur du Comité de créanciers américains a présenté un tableau objectif de la situation qui a sûrement permis que les discussions s’orientent dans la bonne direction.
[12] L’assureur responsabilité de la débitrice, XL Insurance, semble être prête à étudier la possibilité d’une contribution additionnelle à la somme de 25 000 000 $ qu’elle reconnaît être prête à payer depuis le début du dossier, sous réserve de quittances évidemment.
[13] Il semble même qu’on puisse voir poindre à l’horizon la possibilité de contributions de tiers pour contribuer à une offre permettant finalement le dépôt d’un plan d’arrangement.
[14] Tous admettent que le dépôt d’un plan est complexe et que plusieurs difficultés devront être aplanies. Une des difficultés est que différents recours ont été intentés dans différentes juridictions.
[15] Les procureurs représentant les successions des 47 personnes décédées lors de la tragédie ferroviaire du 6 juillet 2013 ont comparu à Bangor le 26 février 2014 pour déclarer qu’ils ne souhaitaient aucunement participer à un plan d’arrangement et qu’ils refusaient d’être inclus dans le groupe pour lequel une requête en autorisation de recours collectif a été déposée au Québec.
[16] D’ailleurs, lors de la clôture de l’audition commune, qui avait été suspendue pendant quelques heures pour permettre la négociation entre les parties, les procureurs représentant les successions se sont plaints d’avoir été mis à l’écart des discussions par les autres créanciers. Le Juge en chef Kornreich qui coprésidait le « joint hearing » a alors avisé les procureurs que ce ne sont pas les créanciers qui les ont exclus de toutes discussions, mais qu’ils s’étaient eux-mêmes exclus des discussions.
[17] Nous sommes convaincus que ce groupe serait bienvenu à prendre part aux discussions si un plan d’arrangement devait être déposé.
[18] Un autre point qui peut rendre les parties optimistes sur les chances de dépôt d’un plan viable est la possibilité de l’homologation d’un plan d’arrangement qui prévoit des quittances en faveur de tiers en plus des administrateurs. C’est ce dont le soussigné discutait dans sa décision du 17 février aux pages 23 à 28. Cette possibilité de libération des tiers est reconnue au Canada et semble avoir reçue l’aval de la Cour suprême dans Century Services inc. c. Canada (Procureur général)2.
[19] Discutant des pouvoirs des tribunaux dans l’application de la LACC et du fait que les tribunaux chargés d’appliquer la LACC ont été appelés à innover dans l’exercice de leur compétence, la Cour suprême mentionne :
« [62] L’utilisation la plus créative des pouvoirs conférés par la LACC est sans doute le fait que les tribunaux se montrent de plus en plus disposés à autoriser, après le dépôt des procédures, la constitution de sûretés pour financer le débiteur demeuré en possession des biens ou encore la constitution de charges super-prioritaires grevant l’actif du débiteur lorsque cela est nécessaire pour que ce dernier puisse continuer d’exploiter son entreprise pendant la réorganisation (voir, p. ex., Skydome Corp., Re (1998), 16 C.B.R. (4th) 118 (C. Ont. (Div. gén.)); United Used Auto & Truck Parts Ltd., Re, 2000 BCCA 146, 135 B.C.A.C. 96, conf. (1999), 12 C.B.R. (4th) 144 (C.S.); et, d’une manière générale, J. P. Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act (2007), p. 93-115). La LACC a aussi été utilisée pour libérer des tiers des actions susceptibles d’être intentées contre eux, dans le cadre de l’approbation d’un plan global d’arrangement et de transaction, malgré les objections de certains créanciers dissidents (voir Metcalfe & Mansfield). Au départ, la nomination d’un contrôleur chargé de surveiller la réorganisation était elle aussi une mesure prise en vertu du pouvoir de surveillance conféré par la LACC, mais le législateur est intervenu et a modifié la loi pour rendre cette mesure obligatoire. »
(soulignement du soussigné)
[20] La possibilité de libération de tiers ne semble plus faire de doute au Canada. Par contre, cette certitude ne semble pas exister aux États-Unis puisque la Cour suprême ne semble pas s’être penchée sur cette question.
[21] Le présent jugement ne lie évidemment pas le tribunal américain et n’est basé que sur les informations reçues des procureurs dans le présent dossier. Il appartiendra au tribunal américain d’en décider si la question lui est soumise.
[22] Par contre, si un plan d’arrangement est accepté et homologué au Canada et qu’il est par la suite reconnu par le tribunal américain on nous informe que dans l’état actuel du droit américain, les quittances de tiers obtenues au Canada pourraient être opposables aux États-Unis.
[23] Encore une fois, le présent jugement n’a pas autorité aux États-Unis. Par contre, et c’est là la bonne nouvelle, il semble que les probabilités de reconnaissance des quittances canadiennes aux États-Unis soient assez fortes pour que des tiers acceptent de contribuer à un plan d’arrangement au Canada quitte à en débattre par la suite aux États-Unis dans un recours éventuel si certaines personnes persistent aux États-Unis et choisissent de ne pas participer à un plan d’arrangement au Canada.
[24] Le tribunal a d’ailleurs mentionné aux procureurs présents son inquiétude face aux faits que certains créanciers pourraient renoncer à leurs droits dans un plan d’arrangement au Canada ou dans un recours collectif intenté au Canada et laissent filer les dates butoirs imposées par les tribunaux pour déposer leur réclamation pour, par la suite, se voir refuser tout recours aux États-Unis.
[25] Le tribunal ne peut évidemment pas forcer une partie à s’inclure à un recours collectif ou à un plan d’arrangement, mais doit tout de même s’assurer que les démarches nécessaires ont été faites afin que des victimes ne soient pas exclues.
[26] Le tribunal le mentionne afin que tous gardent ce problème à l’esprit et parce que dans toutes les décisions rendues en application de la LACC l’intérêt de tous les créanciers doit être pris en compte.
[27] En effet, il faut se rappeler que même si un créancier détient un bon recours, il pourra perdre des droits si un vote des créanciers englobe sa réclamation et qu’il y renonce. Conséquemment, si une proposition inclut une quittance de tiers et qu’un créancier ne participe pas au processus sous la LACC, il pourrait perdre ses droits.
[28] Comme mentionné dans la décision du 17 février 2014, la vente des actifs a été autorisée même s’il n’était pas évident qu’un plan d’arrangement viable pouvait, par la suite, être présenté aux créanciers.
[29] Rappelons qu’il n’est pas obligatoire qu’un plan soit effectivement déposé pour pouvoir bénéficier de la protection de la LACC. Ainsi, Michelle Grant et Tevia R M Jeffries dans un article intitulé « Having Jumped off the Cliffs »3 mentionnent :
« 1. CCAA Considerations
In deciding if an initial order is appropriate in the circumstances, courts have highlighted that the CCAA is a remedial, not a preventative, statute.94 In other words, a judge deciding a CCAA application will consider whether, based on the evidence before the court, it appears that the CCAA filing, will not result in a successful restructuring (using a broad, definition that includes liquidation) and will only delay inevitable creditor enforcement action.
The good faith and due diligence of a debtor filing for CCAA protection is often evaluated based on the actions a debtor has taken prior to, or in the course of filing for CCAA protection to obtain support from its creditors, to ensure continued supply of goods and services to the business, to support employee's, and to obtain refinancing or concessions from stakeholders.
There is a judicial requirement that a debtor present at least a "germ of a plan" to the court in order to obtain CCAA protection, even where the plan will likely involve liquidation.95 Consideration must be given to what a "germ of a plan" is in the context of a liquidating CCA A where the debtor's assets will be sold as part of the proceedings.96 In Tallgrass, Madam Justice Romaine held that "there should be germ of a reasonable and realistic plan, particularly if there is opposition from the major stakeholders."97 The court must undertake a consideration of whether the debtor intends to put forward a plan before its creditor body, and whether the debtor's plan is or has any potential to be reasonable or realistic in the circumstances. It should be noted that, at this stage, only limited affidavit evidence is before the court, and the court has had very limited time to consider such evidence given the urgent nature of most applications for CCAA protection.98
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94 See, e.g., Inducon, supra note 29 at para. 13; Tallgrass, supra note 29 at para. 14; Callidus, supra note 29 at para. 57.
95 Inducon, supra note 29 at para. 14.
96 See, e.g., Tallgrass, supra note 29 at para. 14; Callidus, supra note 29 at paras. 57-60.
97 Tallgrass, ibid. at para. 14 [emphasis added].
98 Kaplan, supra note 8 at 129. »
[30] Dans l’état actuel du dossier, nous avons plus qu’un « germ of a plan » et croyons qu’il y a possibilité de trouver une solution viable et acceptable.
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1 Voir paragraphes 14 à 19.
2 [2010] 3 R.C.S. 379.
3 Michelle GRANT and Tevia R M. JEFFRIES, Annual Review of Insolvency Law 2013, Janis P. SARRA, Carswell publication, Having Jumpep Off the Cliffs, When liquidating why choose CCAA over receivership (or vice versa) ?, page 325, à la page 364. »
[21] Ce jugement rendu le 14 mars 2014 fait suite à une requête pour augmentation de la charge administrative devant servir à garantir les honoraires des professionnels impliqués au dossier.
[22] Ce jugement est ainsi motivé :
« [33] Mentionnons immédiatement que la charge demandée est de 4 000 000 $, ce qui est de beaucoup supérieur aux charges normalement accordées.
[34] Par contre, normalement, les honoraires des professionnels sont payés au fur et à mesure et sont souvent financés par un D.I.P. financing pour lequel une charge prioritaire a également été accordée. Dans le présent dossier, afin de ne pas affecter le flux de trésorerie, les professionnels ont accepté d’attendre la réalisation des actifs avant d’être payés. C’est pourquoi la charge demandée est aussi élevée. Dans un dossier ordinaire, la charge administrative garantit normalement les dernières notes d’honoraires au cas où le processus échouerait et que la débitrice se retrouverait en faillite. Ainsi, les dernières notes d’honoraires seraient couvertes par la charge alors que les honoraires payés pendant le processus seraient vraisemblablement couverts par le D.I.P. financing (voir article 11.2 (1) LACC).
[35] La requête en augmentation de la charge est présentée en vertu de l’article 11.52 LACC puisqu’elle est en faveur du contrôleur et des procureurs, plutôt qu’en faveur d’un créancier temporaire, en vertu de l’article 11.2 (1) LACC.
[36] Par contre, le tribunal croit qu’en plus d’utiliser les critères de l’article 11.52, le tribunal peut également utiliser les critères de l’article 11.2 puisque la finalité du financement est semblable.
[37] Lorsque l’ordonnance initiale est accordée le 8 août 2013, la débitrice avait demandé la création d’une charge administrative de 1 500 000 $. L’ordonnance initiale accordait une charge administrative de 500 000 $. En date du 9 octobre 2013, le soussigné a augmenté cette charge administrative à 2 500 000 $. Il est à noter qu’à cette date, aucun professionnel n’avait encore été payé afin de ne pas affecter le flux de trésorerie.
[38] Il est à noter qu’à cette époque, la FRA s’était opposée à l’augmentation de la charge. Par contre, en date du 13 décembre 2013, une requête a été déposée pour demander une augmentation de la charge à la somme de 5 000 000 $.
[39] En date du 19 décembre 2013, le soussigné ordonnait que la charge administrative soit augmentée à 3 250 000 $ vu le consentement de la FRA qui consentait à une augmentation de 750 000 $.
(…)
[47] En date du 28 février 2014, les honoraires et le débours exigibles des nombreux professionnels (déductions faites des provisions sur honoraires antérieurs au dépôt de la requête et avant les taxes de vente) totalisaient approximativement 3 200 000 $. Toutefois, le sixième rapport du contrôleur mentionne que les professionnels ont été informés que la requérante pourrait ne pas être en mesure de réclamer des crédits de taxes sur les intrants, sur les taxes de vente facturée par les professionnels. Ceci aurait pour effet d’augmenter le montant à débourser au 28 février 2014 à la somme de 3 600 000 $ (taxes incluses).
[48] Les honoraires incluant les taxes sont en conséquence supérieurs à la charge administrative actuelle. C’est la raison pour laquelle les professionnels cherchent à obtenir une augmentation de 750 000 $ de la charge administrative. L’augmentation serait suffisante pour couvrir les honoraires engagés jusqu’à la fin février 2014 et une provision supplémentaire de 400 000 $ pour couvrir les honoraires estimatifs jusqu’à la fin de la prorogation demandée.
[49] Les honoraires des professionnels serviront à :
- traiter toutes les questions relatives à la conclusion de l’opération de vente des actifs;
- assurer la distribution appropriée du produit de vente;
- demander des prorogations nécessaires;
- participer à la conférence tenue à Bangor ordonnée par le tribunal.
[50] Cette garantie permettra également aux professionnels de participer à l’élaboration d’un plan d’arrangement viable incluant la participation de tiers en échange de quittances probables. »
[23] C’est à partir de ce moment que le présent dossier prend une tournure tout à fait exceptionnelle. En effet, tous sont conscients qu’il n’y a plus d’actif au dossier et qu’il sera presque impossible de mener à terme une proposition viable puisque personne n’est prêt à garantir les honoraires des professionnels impliqués. Le tribunal mentionne d’ailleurs dans ce jugement que :
« [61] (…) Le tribunal voit mal comment il pourrait ordonner à des professionnels de travailler bénévolement. (…) »
[24] Dans ce jugement, le tribunal mentionne également :
« [62] Bien sûr, le tribunal est d’accord avec le procureur de la FRA lorsqu’il affirme que les honoraires réclamés doivent être raisonnables. »
[63] Le tribunal est d’accord avec la juge La Vigne[1] lorsqu’elle affirme :
« [36] À mon sens, le tribunal doit prendre en considération les facteurs ci-dessous lorsqu’il se penche sur les honoraires d’avocat exigés dans le contexte de procédures engagées sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies:
• le temps consacré à l’affaire par l’avocat;
• la compétence dont l’avocat a fait montre;
• les frais et la conduite des procédures en général;
• les résultats du travail de l’avocat et la part de succès obtenue;
• la nature, l’importance et l’urgence des questions à régler;
• la taille et la complexité de l’entreprise à restructurer;
• les attentes raisonnables des diverses parties, notamment les estimations transmises au tribunal ou à d’autres intervenants;
• le fonds à partir duquel les honoraires doivent être payés;
• la situation et l’intérêt de la compagnie;
• la capacité de payer de la compagnie;
• les vues du contrôleur, des créanciers principaux et de la compagnie insolvable. »
[64] Par contre, ce n’est pas au moment de l’augmentation ou de l’établissement d’une charge qu’il y a lieu d’appliquer ces critères.
[65] Les professionnels ont droit au paiement de leurs honoraires raisonnables.
[66] Ce n’est pas parce que des honoraires sont élevés qu’ils ne sont pas raisonnables. Il s’agit d’une question de fait qui doit être analysée lorsque le compte est contesté. »
[25] Dans un jugement rendu sur une requête pour l’obtention d’un processus de réclamation et pour l’établissement d’une date butoir au 13 juin 2014, quelques semaines plus tard, le soussigné mentionne[2] :
« [13] Cela étant dit, voici les deux préoccupations soulevées par le tribunal.
[14] La première est celle du financement du processus.
[15] Là-dessus, le tribunal a été rapidement rassuré. Tous sont conscients qu’il n’y a pas d’actifs pour supporter le processus. Les créanciers garantis ne désirent pas ajouter de sommes. D’ailleurs, le processus à ce jour, pour les raisons expliquées dans le jugement du 14 mars, a coûté presque aussi cher que le montant de la vente des actifs.
[16] On sait également que la compagnie d’assurance XL, l’assureur responsabilité de MMA, est prête à payer la couverture d’assurance de 25 millions. Nous en avons discuté dans les jugements précédents.
[17] Or, ces 25 millions ne font pas partie des actifs de MMA. Il n’est donc pas question qu’une charge administrative soit imposée sur cette somme. Le tribunal le dit depuis le début et le répète encore afin d’éviter que des professionnels se plaignent d’avoir travaillé à perte. Les professionnels de l’insolvabilité ont parfaitement le droit de s’investir dans un dossier alors qu’il y a un risque de non-paiement de leurs honoraires s’il n’y a pas de résultat. »
[26] Les professionnels au dossier sont tellement persuadés de pouvoir présenter un plan viable, juste et raisonnable qu’ils déclarent au tribunal être prêts à prendre un risque financier dans le présent dossier.
[27] Il s’agit, à notre avis, d’une façon de faire tout à fait exceptionnelle dans les dossiers d’insolvabilité.
[28] Comme déjà mentionné, les professionnels de l’insolvabilité prennent rarement un risque financier lorsqu’ils acceptent un dossier. Au contraire, les tribunaux accordent des charges ou sûretés pour garantir les honoraires des professionnels de l’insolvabilité.
[29] Les Cours supérieures au Canada utilisaient leurs pouvoirs inhérents pour accorder de telles charges qui sont maintenant permises depuis les amendements apportés à la LACC.
[30] Autre évènement tout à fait exceptionnel dans un dossier d’insolvabilité, une date butoir pour produire les preuves de réclamation fut ordonnée par le soussigné dans le jugement du 31 mars 2014.
[31] Ce qu’il y a d’exceptionnel dans cette date butoir n’est pas qu’elle ait été ordonnée, mais plutôt qu’elle le soit avant même qu’un plan d’arrangement soit déposé.
[32] En effet, le but annoncé et déclaré lors de l’audience tenue à Bangor est de faire participer les tiers potentiellement responsables de la tragédie ferroviaire en échange de quittances pour les recours judiciaires pouvant être intentés contre eux.
[33] Or, les tiers potentiellement responsables refusent de présenter quelque offre que ce soit avant de connaître le total des réclamations approximatives auxquelles ils pourraient faire face. C’est donc la raison pour laquelle le processus a été inversé obligeant les créanciers à déposer leur réclamation avant une date butoir alors qu’ils ne savaient même pas si une offre leur serait faite un jour.
[34] C’est pourquoi le soussigné mentionnait dans le jugement du 31 mars 2014 :
« [21] Dans l’esprit populaire, il pourrait être raisonnable de décider qu’il est inutile de produire une preuve de réclamation puisqu’il n’y a aucun actif. Les nombreux créanciers ne savent pas nécessairement que des tiers pourraient décider de contribuer à un plan d’arrangement dans le but de mettre fin à des procédures qui s’annoncent longues et en échange de quittances qui mettraient fin aux procédures.
[22] C’est donc la raison pour laquelle le tribunal a préféré faire part de ses inquiétudes séance tenante plutôt que de rendre jugement sans avoir donné l’occasion à toutes les parties d’éclairer le tribunal sur ce point. Le principe dans l’application d’un pouvoir discrétionnaire n’est pas de ne pas avoir d’opinion, mais plutôt de garder l’esprit ouvert aux opinions exprimées.
[23] Le tribunal doit donc décider si un processus de réclamation doit être établi même si aucun plan n’est déposé à ce jour. Si un processus est établi, doit-il y avoir une date butoir d’établie? En effet, il est possible qu’un processus de réclamation soit établi et qu’une date butoir soit fixée à une date postérieure au dépôt d’un plan.
[24] Pour décider de la question, le tribunal doit garder à l’esprit que :
« In CCAA proceedings, a claims bar order can be made by the judge in charge of the proceedings. The purpose of the order is, amongst other things, to enable creditors to meaningfully assess and vote on a plan of arrangement and to ensure a timely and orderly completion of the CCAA proceedings. »3
[25] La date butoir est là en principe pour favoriser les créanciers et non pas les débiteurs ou les tiers. Mais elle est aussi là pour que le dossier puisse progresser et aboutir sans délai inutile4.
[26] L’autre principe que doit suivre le tribunal pour rendre sa décision est la confiance qu’il doit avoir dans le contrôleur qu’il a nommé et les professionnels de l’insolvabilité qui se présentent devant lui.
[27] Dans son volume Rescue! The Companies Creditors Arrangement Act5, la professeure Janis P. Sarra enseigne :
« The monitor can serve as a stabilizing force in the sense of reassuring creditors, because it is monitoring the debtor’s business and financial affairs, projected cash flow and appropriate use of assets, and managerial conduct in the operation of the business during the stay period. Given the limited size of the Canadian market of insolvency professionals and the less litigious legal culture in Canada than in the United States, there has also developed a level of confidence and trust between professionals that serve as monitors and the creditors that are repeat players in insolvency proceedings. This confidence and trust can facilitate proceedings and enhance the effectiveness of the monitor. Equally, however, the process, the trust and co-operation among repeat players can create a perception of bias. The monitor must be scrupulous in fulfilling its obligation to consider and balance the interests of all stakeholders. »
[28] Il n’y a pas seulement que le contrôleur et les professionnels de l’insolvabilité en qui le tribunal doit avoir confiance. En l’espèce, le gouvernement du Québec est un créancier majeur. Il nous semble quasi impossible qu’un plan d’arrangement puisse être adopté sans son consentement. Or, depuis le début, le gouvernement déclare qu’il désire que les sommes recueillies aillent aux victimes de Lac-Mégantic. Dans un précédent jugement, le tribunal a indiqué que la définition de victime n’était pas la même pour le gouvernement et le tribunal. Inutile d’y revenir. Mais pour les besoins du présent jugement, les victimes que veut favoriser le gouvernement et celles que le tribunal veut protéger sont les mêmes.
[29] C’est pourquoi le tribunal croit que les moyens mis en place pour informer et protéger les créanciers de Lac-Mégantic sont suffisants.
[30] Des moyens hors du commun seront mis en place pour s’assurer que les créanciers et les victimes seront informés de leurs droits. Des séances d’informations seront tenues, des avis publics seront donnés. Une assistance sera fournie pour remplir les preuves de réclamations.
[31] De plus, le dossier bénéficie d’une couverture médiatique importante. Des journalistes couvrent ce dossier de façon assidue. Le tribunal a donc tout lieu de croire que l’information se rendra à qui de droit.
[32] À cela, il faut ajouter que la municipalité est également une créancière et que sa collaboration semble aussi acquise.
[33] Nous ne semblons pas être dans une situation où chaque créancier tire la couverture de son côté. Les principaux créanciers semblent vouloir privilégier les victimes.
[34] À cela, il est aussi important de rappeler que le tribunal a toujours discrétion pour admettre une réclamation tardive6.
[35] Mais attention, un mauvais choix stratégique sera rarement un motif pour déposer une preuve de réclamation hors délai7.
[36] En autorisant le processus de réclamation et en imposant une date butoir, le tribunal continue donc dans la même logique sous-jacente à l’ordonnance d’un « joint hearing » en février 2014. À savoir, faciliter la participation de tiers dans l’élaboration d’un plan d’arrangement.
[37] Pour qu’un plan soit proposé, il semble que l’imposition d’une date butoir soit nécessaire. Les créanciers devront décider s’ils préfèrent être inclus dans un plan d’arrangement ou continuer leurs procédures sous d’autres juridictions.
[38] Le tribunal n’est évidemment pas le conseiller juridique des créanciers. Il leur appartient de décider s’ils déposent une preuve de réclamation dans le présent dossier, quitte à voter contre un plan proposé s’ils le désirent ou continuer leurs procédures s’ils croient ne pas être liés par un plan auquel ils n’ont pas participé.
[39] La décision leur appartient, mais ils doivent être conscients qu’ils ne participent pas à un tournoi « deux balles - meilleure balle ».
[40] S’ils s’excluent et qu’ils ont raison : tant mieux. Mais s’ils s’excluent et qu’ils ont tort et que les quittances obtenues de tiers dans le cadre d’un plan sous la LACC leur sont opposables, ce sera leur décision.
[41] Le présent tribunal ne peut certainement pas décider du droit américain, tel que déjà discuté dans la décision du 14 mars. Le tribunal y faisait la distinction entre la possibilité d’obtenir des quittances pour des tiers au Canada et aux États-Unis, ainsi que la possibilité de reconnaissance des jugements canadiens aux États-Unis dans le cadre d’une restructuration. Tout ce dont le tribunal peut s’assurer est que les créanciers auront l’opportunité d’obtenir les informations auxquelles ils ont droit.
[42] C’est aussi la raison pour laquelle le tribunal accueillera la requête pour désigner les requérants au recours collectif à titre de représentants dans le présent dossier.
______________
3 Lloyd W. Houlden, Geoffrey B. Morawetz et Janis P. Sarra, The 2012-2013 Annotated Bankruptcy and Insolvendy Act, Carswell, 2012, page 1263.
4 Hurricane Hydrocarbons ltd c. Komarnicki, 37 C.B.R. (5th) 1 (Alta. C.A.).
5 Dr. Janis P. Sarra, Rescue! The Companies’ Creditors Arrangement Act, 2nd edition, Carswell, 2013, pages 570 et 571.
6 Société canadienne de la Croix Rouge, 2008, Carswell Ont. 6105 (Ont. S.c.j.) et re : Blue Range Ressource Corp. (2000), 15, C.B.R. (4th) 192.
7 Re : Semcanada Crude Co., 2012 ABQB 489 (J. Romaine). »
[35] Lors de la présentation de cette requête, Me Comtois, représentant le Procureur général, mentionne :
« On comprend votre préoccupation. Vous voyez le grand inconvénient à la date butoir, mais je voudrais d’abord vous faire la liste des avantages que nous on y voit, puis, il faut réaliser que, puis Me Levine l’a dit, on a quand même beaucoup cheminé collectivement depuis la première date.
Il ne faut pas oublier non plus que dès l’ordonnance initiale, il a été décidé par la Cour de protéger le 25 000 000 $ qui venait de la police d’assurance.
Alors, je pense pas qu’à ce stade des procédures, on peut dire, ha oui, mais là, le processus n’a pas besoin d’être mis en marche pour ce 25 000 000 là parce que c’est pas vraiment un actif de MMA.
Je pense qu’il a toujours été compris et convenu qu’on protégeait le 25 000 000 et puis je me souviens, dès les premières séances devant la Cour, les procureurs de la débitrice et les procureurs du contrôleur évoquaient déjà la possibilité d’un règlement avec des ventes de quittances, je vais utiliser le mot entre guillemets, alors je pense, aujourd’hui, on peut pas changer de logique puis faire un tour à 180 degrés. On est dans une logique qui est pas complètement habituelle du C-36, qui est pas un recours collectif non plus, qui est pas un recours civil, mais ce qu’on a créé comme cadre judiciaire pour régler la situation des victimes du déraillement de Lac-Mégantic.
Alors, je pense qu’il faut qu’on garde ce focus là, et une fois qu’on a dit qu’on conservait ce focus là, mais il faut que l’on regarde que, heu, la date butoir va effectivement permettre d’avoir la somme globale des réclamations.
Une fois qu’on va avoir ça, on va savoir où est la majorité des créanciers, qui peut la constituer, où est la valeur des réclamations, qui va représenter le deux tiers de la valeur, parce qu’un moment donné il est évident qu’on va avoir des décisions importantes à prendre pour chacun de nos clients individuellement ou collectivement.
Mais tant et aussi longtemps qu’on ne sait pas quelle sera la totalité de la réclamation qui peut être formulée à l’égard des personnes responsables, j’vais le dire comme ça, de manière plus générale du déraillement du 6 juillet, on arrivera pas à rien.
Alors donc, connaître la somme des réclamations, de notre point de vue, c’est capital.
Je vais pas parler pour les défenderesses là, j’en ai compté 50 dans le recours collectif canadien, j’ai pas regardé les procédures américaines, mais si on a pas de date butoir, ce qu’on demande, je vais les appeler les défenderesses dans les autres recours, de se livrer à un exercice de négociations à l’aveuglette. Je te dis pas combien je vais te réclamer, mais je voudrais que tu me dises combien tu m’offres. Et ça je vois pas que ça puisse fonctionner dans le dossier dans lequel on est aujourd’hui où on parle de nombreux impliqués et de sommes importantes d’argent qui sont en jeu.
Alors, il faut encadrer le processus le plus possible puis je pense pas que c’est l’existence de la date butoir qui va faire que y va avoir des personnes, de nombreuses personnes, qui vont perdre leurs droits.
C’est sûr que, idéalement monsieur le juge, on aurait fait toutes nos procédures en l’an 2013, c’est pas ça qui est arrivé pour toutes sortes de raisons.
Maintenant, on arrive avec une date à l’entrée de l’été. Ça pas l’air du printemps ce matin là, mais on va avoir une date au 13 juin, qui est avant la période des vacances.
Dans le scénario où vous rejetez la requête, là, il y aura des décisions qui devront être prises de part et d’autre, mais il y a de bonnes chances qu’on revienne avec une autre requête avec un autre processus, et oui, probablement obligatoirement une nouvelle date butoir.
Mais là, on peut pas mettre ça au 15 juillet, on peut pas mettre ça au 15 août. Alors, on va être reporté à l’automne.
Et dans l’approche du gouvernement dans ce dossier, c’est vrai que ça fait longtemps que XL nous dit que le 25 000 000 est là. Il y a toutes sortes de difficultés pour clore ce volet de la procédure, mais le gouvernement a toujours dit, on veut que l’argent s’en aille à Mégantic le plus rapidement possible et dans la plus grosse quantité possible. Mais c’est sûr que les deux préoccupations sont là, puis si on a pas une date butoir aujourd’hui pour le mois de juin, j’pense qu’on va reporter tard dans l’automne, la capacité même de pouvoir distribuer de l’argent, ne serait-ce que après analyse sommaire des réclamations pour régler la question du 25 000 000.
L’inconvénient que vous y voyez, puis là je crois le contrôleur, puis on voit le processus qui est institué par les documents qui vous sont présentés, je pense qu’on peut raisonnablement conclure que les créanciers de Lac-Mégantic vont être informés de leur droit puis de l’importance de déposer leur preuve de réclamation avant une certaine date.
Oui c’est vrai, ça peut paraître volumineux, mais il y a quand même un petit effort qui devra être mis oui, mais de toute façon, oui, un effort pour aussi quantifier les réclamations pour que le processus puisse s’enclencher.
Le mettre sans date, je vois pas l’avantage que ça aurait, compte tenu des avantages de la date butoir puis tout ce qu’on fait pour …
Par le tribunal :
Ça aurait l’avantage que les gens sauraient ce qu’on leur offre avant de perdre leurs droits. Alors que présentement, ils sont informés qu’il n’y a aucun actif. Qui en a pas d’argent. Ils sont informés de ça là. Puis, ils ont raison d’être informés de ça parce qu’il y en a pas d’argent dans le dossier.
Me Comtois :
Oui, mais monsieur le juge, ils sont également informés que leur recours contre XL, qui lui en a de l’argent 25 000 000, ils sont suspendus en raison de la décision sur l’ordonnance initiale.
On peut pas parler des actifs de MMA, de l’absence des actifs d’MMA, sans parler d’XL?
Par le tribunal :
Regardez maître, je dis souvent je ne rends pas jugement. Mais vous avez lu tous mes jugements à date? Ça, là-dessus, je vous le dis d’avance. Je rends jugement : jamais je n’autoriserai un plan où il y aura seulement qu’un 25 000 000 d’XL parce que il y a aucune raison qu’il y ait des quittances de donner dans un dossier pour un tiers qui reconnaît devoir l’argent. Alors, il n’y a aucune raison.
Me Comtois :
C’est pas ça qu’on vous a demandé monsieur le juge. Ce dont on a besoin c’est de temps, d’encadrement pour permettre d’arriver à la meilleure solution possible pour l’ensemble des créanciers. Alors, pour le gouvernement du Québec, ce que je vous dis monsieur le juge, dans le cadre de votre réflexion sur «est-ce que je mets ou non une date butoir» je le suggère bien humblement, il y a beaucoup d’avantages à avoir une date butoir et l’inconvénient qu’on pourrait y voir, il est diminué par le fait qu’il va y avoir un encadrement sur le processus comme tel et qu’il y a beaucoup d’avocats, beaucoup de personnes qui sont présents dans le dossier, présents à Lac-Mégantic pour faire en sorte que personne ne perde leurs droits et que le processus soit pas mis dans une espèce de « No Mans Land » pendant on sait pas combien de temps, 6 semaines, 2 mois, 3 mois.
Par le tribunal :
Très bien. »
[36] Le processus a bien fonctionné. Les tiers potentiellement responsables connaissant maintenant les réclamations probables ont commencé à négocier avec les professionnels au dossier.
[37] Bien que l’on puisse parler d’un nombre d’environ 40 tiers responsables, il est plus juste de parler de 25 groupes différents.
[38] C’est donc avec 25 groupes représentés par des avocats chevronnés qu’ont eu à négocier les professionnels au dossier.
[39] Les noms indiqués aux procès-verbaux dans le présent dossier démontrent la qualité des avocats auxquels ont dû faire face les professionnels dans le présent dossier.
[40] Il y a aussi lieu de mentionner que certains créanciers se plaignaient d’être tenus à l’écart des négociations et de ne pas être informés des développements.
[41] Jusqu’à une certaine période, cela était tout à fait normal puisque les tiers potentiellement responsables, qui faisaient déjà l’objet de poursuites judiciaires, ne voulaient pas que l’on sache qui offre des montants ni les sommes offertes tant et aussi longtemps qu’une offre que les professionnels jugeraient raisonnable puisse être soumise aux créanciers.
[42] Les principaux créanciers sont le gouvernement du Québec, les représentants au recours collectif intenté et les successeurs des personnes décédées.
[43] À force de travail acharné et toujours avec le risque de ne pas être payés de leurs honoraires, les professionnels ont réussi ce que plusieurs croyaient impossible.
[44] Dans son quatorzième rapport déposé le 21 novembre 2014, le contrôleur nous informe :
« 48. Depuis l'Ordonnance visant la neuvième prorogation, la Requérante (par l'entremise de son conseiller juridique), le Syndic en vertu du Chapitre 11 et le Contrôleur ont poursuivi leurs discussions avec les Tiers, afin de déterminer s'ils seraient disposés à contribuer au Fonds d'indemnisation en échange de quittances totales de tout litige découlant du déraillement, le tout dans le but de procurer une distribution plus avantageuse aux victimes du déraillement dans le cadre du Plan.
49. À la suite des différentes négociations, des ententes de principe totalisant environ 126 M$ ont été conclues jusqu'à ce jour (et ces montants pourraient augmenter d'environ 37 M$ pour totaliser 163 M$ en attendant l'achèvement de diverses discussions en cours). Les ententes de principe ainsi que toute autre entente pouvant être conclues sont, bien entendu, conditionnelles à l'approbation des créanciers et de la Cour. L'une des ententes incluses dans les conventions de règlement proposées totalisant environ 126 M$ demeure conditionnelle à l'approbation interne d'une des parties aux fins du règlement.
50. En ce qui concerne les montants additionnels potentiels de 37 M$ aux termes du règlement, ils font l'objet d'autres discussions en cours avec diverses parties, dont la Province et les Représentants d'un groupe de créanciers.
51. En ce qui concerne les Tiers qui n'ont pas conclu d'entente de principe, les discussions se poursuivent, mais il n'y a aucune certitude quant à la conclusion de d'autres ententes. Par conséquent, ces Tiers seront exclus du Plan et des quittances qui en découlent s'ils omettent de soumettre des offres satisfaisantes avant le dépôt du Plan susmentionné.
52. La mise en oeuvre du Plan sera conditionnelle i) à l'obtention d'une Ordonnance d'homologation du Plan en vertu de la LACC, ii) à la reconnaissance de l'Ordonnance d'homologation du Plan aux États-Unis en vertu du Chapitre 15 du Bankruptcy Code des États-Unis, où le Contrôleur agira à titre de représentant étranger et iii) à la mise en oeuvre d'un plan en vertu du Chapitre 11.
53. Afin de garantir l'administration continue dans le cadre des procédures en vertu de la LACC et du Chapitre 11, une partie du Fonds d'indemnisation servira à acquitter les honoraires professionnels accumulés et futurs. Par souci de clarté, la totalité du montant de 25 M$ de XL, s'il devient disponible aux fins de distribution aux termes du Plan, sera distribuée aux bénéficiaires sans qu'aucune déduction n'y soit faite. »
[45] Dans son quinzième rapport déposé le 9 janvier 2015, une ébauche du plan de transaction et d’arrangement est jointe. Au paragraphe 47 du rapport, le contrôleur mentionne que :
« 47. (…) De plus, les principales parties intéressées par le processus de restructuration, soit la province de Québec (la « Province »), les avocats des Représentants d'un groupe de créanciers et les avocats des victimes du déraillement dans le cadre des procédures en vertu du Chapitre 11 (les « Conseillers juridiques américains ») (collectivement les « Principales parties intéressées ») ont été consultés et ils appuient l'entente globale conclue à ce jour. (…) »
[46] Aux termes de ce plan, une contribution totale d’environ 208 000 000 $ est offerte par des tiers qui contribueront au fonds d’indemnisation.
[47] Il est à noter qu’à cette époque, la province de Québec déclare être satisfaite du plan proposé incluant les sommes à être déposées dans le fonds d’indemnisation. À cette époque, et tel que prévu au paragraphe 52 du rapport du contrôleur, les réclamations présentées au gouvernement ne devaient pas représenter plus de 48,4% de tous les votes des créanciers. À la page 12, il est prévu que les créanciers titulaires de réclamations présentées au gouvernement recevront au total 52,2% des fonds de distribution. Ce montant devait être distribué par le contrôleur sur une base proportionnelle à la province, à la ville de Lac-Mégantic, au gouvernement fédéral du Canada et à la Commission de santé et sécurité au travail.
[48] Conséquemment, en date du 9 janvier 2015, la province s’apprêtait à recevoir environ 100 000 000 $. Évidemment, elle conservait ses recours contre tous les tiers potentiellement responsables qui n’ont pas contribué au fonds.
[49] En date du 13 avril 2015, le contrôleur dépose son seizième rapport dans lequel il mentionne que le fonds d’indemnisation prévu au plan s’élève maintenant à la somme de 300 000 000 $. Il est mentionné au paragraphe 19 du rapport que le pourcentage maximal aux fins de votation serait donc de 45.5% pour la province dont la preuve de réclamation s’élève à 409 000 000 $. Par la suite, peu avant l’assemblée des créanciers, d’autres tiers potentiellement responsables ont décidé de contribuer au fonds d’indemnisation de telle façon que ce fonds représente aujourd’hui une somme approximative de 452 000 000 $. Il est à noter que la variation du taux de change à elle seule a fait augmenter la valeur du fonds d’indemnisation de 22 000 000 $.
[50] Bref, de tous les tiers potentiellement responsables de la tragédie ferroviaire, seul le Canadien Pacifique a décidé, comme c’est parfaitement son droit, de ne pas contribuer au fonds et préfère se défendre aux actions qui pourraient être intentées contre elle. Il est à noter que notre collègue Martin Bureau a déjà autorisé un recours collectif contre le Canadien Pacifique.
[51] Le résultat obtenu est phénoménal et même inespéré. N'eut été la contestation constitutionnelle et l’opposition à l’adoption du plan d’arrangement par le Canadien Pacifique, des sommes d’argent auraient pu être distribuées aux victimes moins de deux ans après la tragédie ferroviaire. Il est prévu que les premières sommes soient versées fin décembre 2015 ou janvier 2016. Ce résultat reste tout de même exceptionnel.
[52] Non seulement les professionnels ont travaillé à risque dans ce dossier, mais ont même avancé pour plus d’un million de dollars en déboursés et taxes qu’ils ont financés.
[53] À elle seule, la firme Gowling a financé pour 458 000 $ de taxes provinciales et fédérales ainsi que des déboursés pour la somme de 128 944 $.
[54] Pour ce qui est du contrôleur, ses déboursés sont inclus à sa note d’honoraires, mais il est facile d’imaginer les déboursés astronomiques encourus pour les avis dans les journaux, les séances d’information tenues à Mégantic et la réception et l’administration des preuves de réclamation.
[55] Que le dossier soit d’une grande complexité pour les professionnels, cela semble évident. Les questions de droit débattues étaient importantes. Qu’il s’agisse de la possibilité d’obtenir des quittances pour des tiers responsables, d’une audition à l’extérieur du Canada, de la juridiction de la Cour supérieure en matière de LACC pour une compagnie ferroviaire ou même de la possibilité du dépôt d’un plan d’arrangement alors qu’il n’y aura plus de relance de l’entreprise. Il s’agit de questions complexes auxquelles ont dû faire face les professionnels dans le présent dossier. Mais ce qui rend le présent dossier tout à fait exceptionnel est le risque financier tout à fait exceptionnel qu’ont pris les professionnels dans le présent dossier.
[56] En date du 31 octobre 2015, les honoraires et déboursés s’élèvent à 9 367 113 $.
[57] Ces professionnels auraient pu, sans que personne ne puisse leur reprocher, cesser le travail lorsqu’il n’y avait plus d’actif réalisable. Ils auraient pu également cesser d’investir autant de temps et d’argent dès qu’un plan acceptable pouvait être présenté aux créanciers. Plutôt que de représenter aujourd’hui la somme de 450 000 000$ le fonds d’indemnisation en vaudrait à peine 150 000 000 $ (tout étant relatif).
[58] Le tribunal avait voulu s’assurer, dès mars 2014, que les professionnels étaient conscients qu’ils prenaient le risque de ne pas être payés si aucun plan n’était proposé. D’ailleurs, le Procureur général a rappelé au soussigné son jugement du 31 mars 2014 dans lequel il est mentionné :
« [17] Or, ces 25 millions ne font pas partie des actifs de MMA. Il n’est donc pas question qu’une charge administrative soit imposée sur cette somme. Le tribunal le dit depuis le début et le répète encore afin d’éviter que des professionnels se plaignent d’avoir travaillé à perte. Les professionnels de l’insolvabilité ont parfaitement le droit de s’investir dans un dossier alors qu’il y a un risque de non-paiement de leurs honoraires s’il n’y a pas de résultat. »
[59] Le tribunal croit que cette citation est prise hors contexte puisqu’il ne faut pas l’isoler du fait que le tribunal a aussi déclaré aux professionnels qu’ils seraient payés et bien payés si le pari qu’ils prenaient était réussi.
[60] D’ailleurs, en date du 30 avril 2015, lors de l’audition, le soussigné rappelait sur la requête pour convocation de l’assemblée des créanciers, les critères que doit appliquer le tribunal dans la détermination des honoraires payables :
« Le tribunal :
Alors, je repose la question, est-ce qu’il y a des choses que je devrais savoir et que je ne sais pas ? Ça c’est un exemple de choses que, puis je fais pas de reproche, vous saviez pas, vous ne pouviez pas m’le dire. Est-ce qu’il y a des choses que je devrais savoir puis que je ne sais pas.
Me Kandestin :
Vous allez savoir (INAUDIBLE) la question de nos honoraires et question. Parce que vous avez la juridiction directe sur ça et sera en mesure de vous présenter des arguments et tout ça là dessus.
Le tribunal :
Soit à moi, soit au juge Bureau, dépendamment qui va autoriser le recours pour fins de règlement et ce sera accordé ou refusé selon les normes que l’on connaît. Entre autres, un avocat qui finance un dossier a droit à un certain honoraire qui va être plus élevé que la personne qui se fait payer au fur et à mesure ses honoraires, mais le travail fait… est-ce que le dossier a été réglé avant d’être plaidé? Est-ce qu’il y a eu un jugement, tous les critères.
Et j’ai déjà dit que les critères s’appliquaient également, parce que j’ai compris et j’avais déjà averti les avocats de la débitrice et du syndic que, et vous vous souviendrez que j’avais dit vous êtes conscients que si votre plan ne fonctionne pas, vous serez pas payés. Parce qu’un moment donné, FRA s’est retiré avec raison parce que c’est plus son dossier et évidemment, les mêmes critères vont s’appliquer. Bien je pense, s’il y a des contestations, je les entendrai, mais un avocat qui continue un dossier à risque, c’est normal ça, y’a pas de problème, et je dis pas que les avocats doivent pas être payés, mais 30 000 000 $ sur 70, à moins qu’on me donne des dossiers où s’est déjà arrivé au Québec, j’en connais pas, j’ai pas la science infuse, y’en a peut-être, chose certaine, c’est pas moi qui les a rendus. »
[61] Ceci est la suite logique de la décision du 14 mars 2014 où le tribunal mentionnait :
« [63] Le tribunal est d’accord avec la juge La Vigne4 lorsqu’elle affirme :
« [36] À mon sens, le tribunal doit prendre en considération les facteurs ci-dessous lorsqu’il se penche sur les honoraires d’avocat exigés dans le contexte de procédures engagées sous le régime de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies :
• le temps consacré à l’affaire par l’avocat;
• la compétence dont l’avocat a fait montre;
• les frais et la conduite des procédures en général;
• les résultats du travail de l’avocat et la part de succès obtenue;
• la nature, l’importance et l’urgence des questions à régler;
• la taille et la complexité de l’entreprise à restructurer;
• les attentes raisonnables des diverses parties, notamment les
estimations transmises au tribunal ou à d’autres intervenants;
• le fonds à partir duquel les honoraires doivent être payés;
• la situation et l’intérêt de la compagnie;
• la capacité de payer de la compagnie;
• les vues du contrôleur, des créanciers principaux et de la compagnie insolvable.
[64] Par contre, ce n’est pas au moment de l’augmentation ou de l’établissement d’une charge qu’il y a lieu d’appliquer ces critères.
[65] Les professionnels ont droit au paiement de leurs honoraires raisonnables.
[66] Ce n’est pas parce que des honoraires sont élevés qu’ils ne sont pas raisonnables. Il s’agit d’une question de fait qui doit être analysée lorsque le compte est contesté.
_____________
4 In re : Tepper Holdings inc., 2011 NBBR 311 »
[62] En l’espèce, le gouvernement du Québec ne s’oppose pas au paiement des honoraires et déboursés des professionnels pour le travail effectivement fait.
[63] Le gouvernement s’oppose à ce que quelques sommes additionnelles soient accordées à titre de prime de risque ou prime pour le succès obtenu.
[64] Le gouvernement du Québec distingue entre les sommes pouvant être payées en matière de recours collectif puisqu’il existe un mandat entre les représentants au recours collectif et les procureurs.
[65] En l’espèce, le gouvernement du Québec plaide que les professionnels ont agi sans mandat et qu’aucune prime n’a été discutée.
[66] Il reconnaît que 20 000 heures ont été consacrées par les professionnels au dossier, mais considère que le pari qu’ont fait les professionnels était d’être payés de leurs honoraires, sans plus.
[67] Le travail effectué par les professionnels est exceptionnel. Malgré les contestations du Canadien Pacifique, ils ont continué leurs tâches de révision de plus de 5 000 preuves de réclamation reçues. Ces efforts ont été faits afin de tenter d’effectuer le paiement aux victimes le plus rapidement possible.
[68] Le tribunal ne voit pas pourquoi les critères pour établir les honoraires payables aux procureurs ayant piloté un recours collectif ne pourraient pas être appliqués en l’espèce.
[69] D’ailleurs, nous le verrons un peu plus loin. Ces critères se rapprochent grandement de ceux appliqués en vertu de la LACC et dont discutait la juge Lavigne dans la décision in re : Tepper Holdings inc.[3], à laquelle nous référions un peu plus tôt.
[70] Il semble que le présent dossier est une première canadienne. Nous l’avons déjà mentionné, les professionnels de l’insolvabilité se font normalement donner des garanties de paiement avant que le travail ne soit effectué. Certains pourraient dire que le présent dossier est unique et qu’il y a très peu de chances que cela se reproduise. Souhaitons que non. En effet, si le présent dossier peut inciter les professionnels à poursuivre des recours alors que leurs honoraires sont à risque, comme dans le cas des recours collectifs, peut-être y aura-t-il moins de droits cédés à des créanciers.
[71] Combien de fois des recours qui semblent excellents ne sont pas continués par manque d’actifs pour financer le recours?
[72] Combien de fois, y a-t-il de bons recours qui ne bénéficient qu’aux créanciers ayant les moyens financiers de les continuer?
[73] Dans la majorité des requêtes accordées aux créanciers en vertu de l’article 38 LFI, la raison pour laquelle le syndic refuse d’agir est que les actifs de la débitrice ne sont pas suffisants pour financer un recours.
[74] En conséquence, le tribunal ne voit pas pourquoi le présent dossier, bien qu’il semble unique pour le moment, n’inciterait pas les professionnels de l’insolvabilité à agir comme le font les professionnels des recours collectifs.
[75] En conséquence, le tribunal croit qu’il est justifié d’exercer la discrétion que lui confère l’article 11 LACC pour établir un montant additionnel d’honoraires professionnels payables.
[76] Ces critères ont été étudiés par notre collègue André Prévost dans Pellemans c. Lacroix[4]. Dans ce dossier, il accorde des honoraires de 11 000 000 $ aux procureurs ayant réussi à obtenir un règlement de 55 000 000 $ suite à la fraude de 110 000 000 $ à l’encontre de quelque 9 200 investisseurs dans les fonds Norbourg et Évolution. Il s’agit selon ce jugement d’une des fraudes les plus importantes de l’histoire du Québec.
[77] Dans le dossier Norbourg, les procureurs s’étaient fait avancer la somme de 687 555 $ par le fonds d’aide aux recours collectifs. Cette somme était de toute évidence, insuffisante pour couvrir les honoraires des procureurs.
[78] Dans ce dossier, Me Jacques Larochelle avait fait signer une convention d’honoraires prévoyant qu’il aura droit à une rémunération de 20% des sommes perçues et qu’il était entendu qu’en cas d’insuccès du recours, aucuns honoraires ne seraient payables.
[79] Subsidiairement, dans la mesure où le tribunal en venait à la conclusion que l’application de la convention d’honoraires entraîne un résultat jugé non raisonnable, les avocats demandaient que leurs honoraires soient fixés en utilisant un multiplicateur de 3.5 du total des honoraires encourus. Dans un tel cas, les honoraires s’élèveraient à 8 424 295 $.
[80] Notre collègue André Prévost mentionne :
« [51] La détermination du caractère juste et raisonnable des honoraires d’un avocat fait appel, en particulier, aux dispositions des articles 3.08.01 à 3.08.03 du Code de déontologie des avocats34 qui énoncent que :
3.08.01. L'avocat doit demander et accepter des honoraires justes et raisonnables.
3.08.02. Les honoraires sont justes et raisonnables s'ils sont justifiés par les circonstances et proportionnés aux services professionnels rendus. L'avocat doit notamment tenir compte des facteurs suivants pour la fixation de ses honoraires:
a) l'expérience;
b) le temps consacré à l'affaire;
c) la difficulté du problème soumis;
d) l'importance de l'affaire;
e) la responsabilité assumée;
f) la prestation de services professionnels inhabituels ou exigeant une compétence ou une célérité exceptionnelles;
g) le résultat obtenu;
h) les honoraires judiciaires et extrajudiciaires prévus aux tarifs.
3.08.03. L'avocat doit éviter toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre et de commercialité.
[52] Dans le cas particulier d’une entente à pourcentage conclue au début d’un mandat, l’analyse de plusieurs des critères mentionnés à l’article 3.08.02, dont ceux prévus aux alinéas c) à f), doit s’effectuer à la lumière des circonstances prévalant au moment de sa conclusion, plutôt qu’à celui du règlement ou du jugement35. C’est en effet à ce stade que les parties évaluent les risques qui seront subséquemment assumés par l’avocat.
[53] Comme le remarque l’auteur Pierre-Claude Lafond36, une convention d’honoraires fixés par pourcentage du montant obtenu, variant de 15 % à 33 %, est souvent utilisée et jugée juste et raisonnable dans la jurisprudence37.
_________________________
[34] R.R.Q., c. B-1, r.1.
[35] Association pour l’accès à l’avortement c. Québec (Procureur général), 2007 QCCS 1798 , par. 67 (j. N. Bénard).
[36] Précité, note 16.
[37] Voir aussi Doyer c. Dow Corning Corporation, 500-06-000013-934, 1er septembre 1999, j. D. Tingley. »
[81] Au paragraphe 54 de son jugement, notre collègue présente un tableau illustrant comment les tribunaux ont appliqué les conventions d’honoraires à pourcentage et comment évaluer le caractère juste et raisonnable de ceux-ci.
[82] L’analyse de ce tableau lui fait conclure :
« [56] Premièrement, on constate que les tribunaux ont tendance à appliquer intégralement les conventions d’honoraires à pourcentage pour les recours collectifs se limitant au Québec. Lorsque ce n’est pas le cas, le tribunal précise ordinairement les circonstances particulières qui militent en faveur d’une réduction des honoraires.
[57] Deuxièmement, les conventions d’honoraires prévoyant un pourcentage de 20 % à 25 % du résultat obtenu semblent être généralement la norme, tant pour les recours collectifs se limitant au Québec, que pour les recours multi-juridictionnels.
[58] Toutefois, dans le cas de ces derniers, la convention d’honoraires à pourcentage semble être retenue moins souvent. Les tribunaux recourent davantage aux critères de l’article 3.08.02 du Code de déontologie des avocats38 et comparent le résultat de leur analyse avec l’application d’un facteur multiplicateur de la valeur des services rendus, souvent utilisé dans les provinces de common law et aux États-Unis39.
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[39] Le facteur multiplicateur, se situant généralement entre 1,5 et 5 est calculé sur le total des heures travaillées par l’avocat au dossier multipliées par son taux horaire. »
[83] Notre collègue mentionne que le facteur multiplicateur se situe généralement entre 1.5 et 5 et est calculé sur le total des heures travaillées par l’avocat au dossier multiplié par son taux horaire.
[84] Parlant du facteur multiplicateur, il mentionne :
« [65] Ce modèle, qui peut paraître attrayant par sa simplicité comporte ses imperfections. Ainsi, il encourage peu l’efficacité du travail des avocats puisque le facteur multiplicateur ne vient qu'augmenter la valeur du temps inscrit par l’avocat au dossier. De plus, comme l’évaluation du facteur multiplicateur applicable à un dossier s’effectue au moment du règlement ou du jugement, il est plus susceptible de sous-évaluer le «risque» assumé par l’avocat au moment où le mandat est reçu. »
[85] En l’espèce, si nous utilisions le facteur multiplicateur plutôt qu’un pourcentage, la somme de 10 000 000 $ réclamée par les professionnels serait en deçà de la fourchette des sommes ainsi accordées.
[86] D’autre part, le risque auquel réfère notre collègue Prévost sur la tentation d’être peu efficace ne s’est sûrement pas réalisé dans le présent dossier. Les procureurs ont fait preuve d’une très grande efficacité. D’ailleurs, le paiement aux victimes moins de deux ans et demi après l’évènement à la source de la réclamation est exceptionnel.
[87] Nous reprendrons les mêmes critères que ceux utilisés par notre collègue André Prévost et dans le même ordre :
A) L’expérience des avocats
[88] Inutile de discourir longtemps sur ce point. Autant les professionnels qui réclament les honoraires additionnels que tous ceux impliqués dans le présent dossier sont reconnus dans leur domaine.
[89] D’ailleurs, la très grande compétence de tous les avocats ayant plaidé dans le présent dossier a grandement facilité le travail du tribunal. Cela a facilité le travail du tribunal, mais certainement pas celui des professionnels qui réclament les honoraires additionnels. Ils devaient faire face à une brochette d’avocats expérimentés ayant des réputations enviables.
B) Le temps consacré à l’affaire et la difficulté du problème soumis
[90] Les professionnels ont consacré 20 000 heures au présent dossier. Ils ont, pour ainsi dire, mis de côté leur pratique pour se consacrer presque entièrement au présent dossier. Ce n’est pas que quelques avocats qui ont mis de côté leur pratique, mais une équipe complète de professionnels. Le travail accompli aurait été impossible sans le travail acharné de ces équipes.
[91] Par contre, comme le mentionnait notre collègue André Prévost :
« [76] Dans le cadre d’une entente à pourcentage, le temps consacré par l’avocat au dossier est secondaire. C’est le risque assumé qui prime. Reste qu'il est quand même pertinent d'y référer. »
[92] En l’espèce, le risque était énorme. La solution facile aurait été de mettre fin à leur mandat dès que les actifs ont été vendus pour se consacrer à d’autres clients.
C) L’importance de l’affaire
[93] Dans le dossier Norbourg, la fraude était de 100 000 000 $. Dans le présent dossier, le résultat obtenu est phénoménal. En effet, un fonds d’indemnisation de 450 000 000 $ est inédit.
D) La responsabilité assumée
[94] Nous avons déjà mentionné les déboursés assumés par les professionnels dans le présent dossier.
E) La prestation de services professionnels inhabituels ou exigeant une compétence ou une célérité exceptionnelles
[95] Sur cette question, notre collègue André Prévost mentionnait :
« [104] La pratique en matière de recours collectif répond à des exigences particulières.
[105] Tout d’abord, l’avocat porte une responsabilité accrue pour assurer la diffusion des informations auprès des membres du groupe et répondre à leurs interrogations. Est-il nécessaire de rappeler que les droits des membres, qu’ils soient ou non connus, sont directement affectés par l’exercice du recours et les décisions prises à son sujet.
[106] L’avocat doit aussi posséder un niveau élevé d’expertise dans le domaine car, bien souvent, comme c’est ici le cas, il fait face à des adversaires chevronnés disposant de ressources humaines et financières importantes.
[107] Enfin, ce domaine d’expertise requiert de l’avocat beaucoup de disponibilité. En effet, en plus de comporter un travail exigeant, les dossiers de recours collectifs sont soumis à la gestion particulière d’un seul et même juge44. Conséquemment, le rythme imposé dans le déroulement de l’instance n’appartient plus seulement aux avocats.
[108] Faut-il alors se surprendre du nombre passablement restreint d’avocats se spécialisant en demande dans ce genre de pratique?
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[44] Art. 1001 C.p.c. »
[96] Nous pouvons transposer cette affirmation au présent dossier. Le présent dossier a d’ailleurs été traité de la même façon qu’un recours collectif vu le grand nombre de créanciers et de victimes impliqués.
F) le résultat obtenu
[97] Notre collègue André Prévost mentionnait :
« [109] Le résultat est ici exceptionnel.
[110] Les membres du groupe récupèrent près de la totalité de leur capital investi. En matière de fraude, ce résultat est inédit. »
[98] Toute comparaison peut être boiteuse. Par contre, en l’espèce, les résultats obtenus sont inespérés. Pour la plupart des victimes, à l’exception des victimes économiques et du gouvernement, elles recevront plus que ce qu’elles auraient espéré si des recours individuels avaient été intentés. Plusieurs diront que ceci est principalement dû au fait que des actions ont été intentées aux États-Unis et que les tiers potentiellement responsables voulaient s’éviter des condamnations astronomiques comme on peut en retrouver aux États-Unis. Cela est possible. Par contre, nous ne croyons pas que ce sont ces seules possibilités de condamnation aux États-Unis qui a permis la constitution du fonds d’indemnisation. Il faut se rappeler que la possibilité pour les tiers potentiellement responsables d’obtenir des quittances dans le dossier de la LACC et de les faire homologuer aux États-Unis a sans doute eu une incidence très grande dans la constitution du fonds d’indemnisation. Le travail effectué par les professionnels requérants a donc grandement permis la constitution de ce fonds.
G) Les honoraires judiciaires et extrajudiciaires prévus aux tarifs
[99] Ce critère n’a pas d’application en l’espèce.
[100] En conséquence, le tribunal croit qu’il est tout à fait juste et raisonnable d’accorder le montant de 10 000 000 $ demandé par les professionnels en plus des honoraires déjà accordés.
[101] Le tribunal croit même qu’il aurait l’impression de faire preuve de mesquinerie en n’accordant pas cet honoraire additionnel après avoir laissé l’impression aux professionnels qu’ils seraient rétribués pour leurs services et le risque encouru. Rappelons que cette somme représente 2% du fonds d’indemnisation. Si on ajoute les honoraires et déboursés déjà facturés, cela représente approximativement 4.5% du fonds constitué. Nous sommes donc bien en deçà des honoraires normalement attribués dans les dossiers de recours collectif.
[102] Finalement, le tribunal prend acte de la déclaration des professionnels que la charge administrative devrait être suffisante pour couvrir tous les honoraires à venir. Par contre, aucune ordonnance n’est nécessaire.
[103] Le tribunal ne peut émettre des ordonnances limitant les honoraires pour le futur. Nous pouvons prévoir que la charge administrative sera suffisante, mais nous croyons qu’il serait plus prudent de ne pas s’avancer sur cette question. Si des circonstances exceptionnelles font en sorte que du travail additionnel est nécessaire, le tribunal exercera alors sa discrétion judiciaire.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[104] ORDER that upon the occurrence of the Plan Implementation Date the Monitor shall distribute an additional amount of $10,000,000 to the Professionals as further consideration for the services rendered in the CCAA Proceeding;
[105] LE TOUT sans frais.
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__________________________________ GAÉTAN DUMAS, J.C.S. |
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Me Patrice Benoit
Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l
Procureurs de la débitrice
Me Sylvain Vauclair
Woods s.e.n.c.r.l.
Procureurs du contrôleur
Me Louise Comtois
Direction générale des aff. jur. et légis.
Procureure du Procureur général du Québec
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Date d’audience : |
26 novembre 2015 |
AVIS :
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