Beaudoin c. Jarcevic | 2024 QCCS 4669 |
COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | MONTRÉAL |
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N°: | 500-17-113729-209 |
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DATE : | 9 décembre 2024 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : | L’HONORABLE | MARIE-CLAUDE LALANDE, J.C.S. |
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CAROLINE BEAUDOIN (Personnellement et en sa qualité de tutrice à son fils X) |
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JEAN-MICHEL HAYES Personnellement et en sa qualité de tuteur à son fils X) |
Demandeurs c. DR RADOMIR JARCEVIC Défendeur |
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JUGEMENT RECTIFICATIF
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- CONSIDÉRANT que le jugement rendu le 28 novembre 2024 est entaché d’une erreur cléricale au paragraphe [481] qui se lit comme suit :
[481] CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Jean-Michel Hayes, à titre de dommages non pécuniaires la somme de 200 00$ avec l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle à compter de la date d’assignation; est entaché d’une erreur cléricale;
- CONSIDÉRANT l'article 338 du Code de procédure civile;
1.1.1 POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- RECTIFIE le jugement rendu le 28 novembre 2024 de la façon suivante :
[481] CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Jean-Michel Hayes, à titre de dommages non pécuniaires la somme de 200 000$ avec l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle à compter de la date d’assignation;
- LE TOUT SANS FRAIS DE JUSTICE.
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| __________________________________ MARIE-CLAUDE LALANDE, j.c.s. |
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Me Arthur J. Wechsler / Me Alexandre Brosseau-Wery / Me Jérémie Longpré |
KUGLER KANDESTIN S.E.N.C.R.L., L.L.R. |
Avocats des demandeurs |
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Me Emmanuelle Poupart / Simon Chamberland |
MCCARTHY TÉTRAULT S.E.N.C.R.L., S.R.L. |
Avocats du défendeur |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | MONTRÉAL |
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No : 500-17- | 17-113729-209 |
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DATE : | 28 novembre 2024 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARIE-CLAUDE LALANDE, J.C.S. |
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CAROLINE BEAUDOIN (Personnellement et en sa qualité de tutrice à son fils X) |
et JEAN-MICHEL HAYES (Personnellement et en sa qualité de tuteur à son fils X) Demandeurs |
c. |
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DR RADOMIR JARCEVIC Défendeur |
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JUGEMENT |
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TABLE DES MATIÈRES
1. Le contexte
2. La position des parties
3. Les points en litige
4. L’analyse
4.1 L’espérance de vie de X
4.2 La date à laquelle les dommages doivent être évalués et celle où le calcul de l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle doit débuter
4.3 L’étendue et la valeur des soins futurs que X est en droit de réclamer et la portée à donner à la subrogation légale
4.4 La valeur de la perte de revenus futurs de X
4.5 Le droit de réclamer pour des soins passés
4.6 Les dommages non pécuniaires de X
4.7 Les frais de gestion et la provision pour impôts
4.8 La valeur de la perte de revenus de Madame Beaudoin
4.9 La valeur des dommages non pécuniaires auxquels Madame Beaudoin a droit
4.10 La valeur des dommages non pécuniaires auxquels Monsieur Hayes a droit
5. Conclusions 73
CE JUGEMENT FAIT L'OBJET D'UNE ORDONNANCE DE MISE SOUS SCELLÉ ET DE NON-DIFFUSION PARTIELLE RENDUE LE 9 DÉCEMBRE 2024 À L'EFFET DE CAVIARDER LES PARTIES DES PARAGRAPHES [373, 374, 375, 376, 377, 382].
- La faute et le lien de causalité étant admis, à combien s’élèvent les dommages causés à un enfant et ses parents à la suite des erreurs commises par le gynécologue-obstétricien lors de l’accouchement?
- X (X)[1] naît le [...] 2017. Il est affligé de nombreux problèmes de santé résultant de la négligence, maintenant admise, du Dr Radomir Jarcevic.
- Sans reprendre en détail, la séquence des événements qui précèdent l’accouchement, on sait que Caroline Beaudoin se présente à l’hôpital Maisonneuve Rosemont vers 4h00 du matin, le [...] 2017. Elle est alors à sa 40e semaine de grossesse et que rien de particulier n’a été notée au courant de celle-ci[2].
- Lorsque Madame Beaudoin arrive à l’hôpital, celle-ci fait l’objet d’une première évaluation par le Dr Godin. Il note au dossier de la patiente la présence d’un tracé atypique, décélération variable non compliquée[3].
- Vers 6h00 du matin, Madame Beaudoin est transférée dans une chambre de naissance et le Dr Jarcevic la prend alors en charge en vue de son accouchement.
- Jusqu’à environ 9h00, le tracé demeure normal, malgré deux épisodes de décélérations variables non compliquées.
- Vers 9h10, Dr Jarcevic procède à une rupture artificielle des membranes.
- À la suite de cette procédure, le tracé fœtal change très rapidement. Les décélérations du cœur fœtal persisteront jusqu’à la naissance de X, à 13h05[4].
- À 9h45, une infirmière note au dossier que le Dr Jarcevic est avisé du tracé atypique. À cette étape, le Dr Jarcevic n’entreprend aucune manœuvre particulière pour la prise en charge du tracé atypique, son prochain examen n’étant réalisé qu’à 10h20[5].
- Vers 10h30, deux décélérations compliquées surviennent, suivies d’une décélération non compliquée, puis de trois décélérations compliquées consécutives. Le Dr Jarcevic écrit que ces décélérations variables sont non compliquées, mais l’infirmière maintient sa qualification.
- Le Dr Jarcevic revient au chevet de Madame Beaudoin à 10h50, après avoir été signalé par les infirmières[6].
- Le tracé continue par la suite d’être atypique, en alternance entre des décélérations variables compliquées et des décélérations non compliquées, jusqu’à environ 10h56.
- Peu avant 11h00, la situation se détériore et des décélérations variables compliquées consécutives s’enchaînent.
- À 11h00, une infirmière note au dossier de Madame Beaudoin que le tracé est désormais anormal. Malgré cela, le Dr Jarcevic inscrit à ses notes d’évolution, que les décélérations sont non compliquées, alors que les critères sont satisfaits pour conclure à des décélérations compliquées.
- Vers 11h45, soit 45 minutes suivant sa dernière visite, le Dr Jarcevic se présente au chevet de Madame Beaudoin pour effectuer un toucher vaginal. Ce dernier indique toujours à ses notes d’évolution des décélérations variables non compliquées avec alternance de décélérations compliquées, mais non répétitives, qualifiant le tracé d’atypique. Il précise également dans ses notes d’évolution suivre de près.
- Malgré cela, le Dr Jarcevic ne revient auprès de Madame Beaudoin qu’environ une heure plus tard, soit vers 12h45. Il décide alors de provoquer l’accouchement par forceps, sans succès. Madame Beaudoin est alors transportée d’urgence en salle d’opération pour procéder à un accouchement par césarienne, lequel sera effectué par le Dr Jarcevic.
- La naissance de X a finalement lieu par césarienne d’urgence à 13h05.
- L’état de X à sa naissance est des plus préoccupant, avec un score APGAR de 1-4-4 et un pH de cordon inférieur à 6,8.
- Dans la salle d’opération, un néonatologiste informe Madame Beaudoin que son bébé ne respire plus et qu’ils doivent le monter à l’étage pour s’en occuper.
- Des manœuvres de réanimation sont entreprises avec succès et vers 15h00 X est transféré d’urgence à l’unité des soins intensifs de néonatalogie de l’Hôpital Sainte-Justine pour être placé en hypothermie provoquée, en raison de son état de santé précaire[7].
- X souffre de paralysie cérébrale (encéphalopathie anoxique ischémique se manifestant par une infirmité motrice cérébrale) de type spastique et dyskinésique touchant les quatre membres, entraînant des incapacités significatives et persistantes.
- L’examen d’imagerie par résonance magnétique réalisée lors de l’hospitalisation de X à Ste-Justine démontre une anoxo-ischémie néonatale avec atteinte des noyaux gris centraux[8].
- La condition médicale de X entraîne une hypotonie au niveau axial qui limite de manière importante son contrôle du tronc et de sa tête, et empêche les mouvements volontaires de ses bras et de ses mains.
- X est également atteint de dysphagie et a des diagnostics d’épilepsie et de retard global de développement associés à son atteinte neurologique.
- Les crises d’épilepsie que X a subies à ce jour sont sévères. Elles durent plus de trente minutes (status epilepticus) et ont nécessité, par le passé, l’intervention des techniciens paramédicaux en soins avancés, de même qu’un transport ambulancier à l’urgence, avec manœuvres de réanimation et séjour aux soins intensifs.
- En raison de sa condition médicale, aujourd’hui X :
- se promène à l’aide d’une poussette adaptée pour tous ses déplacements, qu’ils soient extérieurs ou intérieurs. La poussette est munie d’une aide technique à la posture (unité de positionnement), confectionnée sur mesure, de même que d’une bascule variable.
- doit être nourri pour tous ses repas, en position assise dans son unité de positionnement. Tous ses repas doivent avoir la consistance de purée afin d’éviter les risques d’étouffements et d’aspirations inhérents à sa dysphagie, et pour ces mêmes raisons, X doit faire l’objet d’une surveillance continue lorsqu’il mange.
- doit être suivi de façon régulière par plusieurs professionnels du système de santé et est un patient régulier du Centre de réadaptation Marie Enfant[9].
- n’a aucune autonomie et est entièrement dépendant d’un adulte pour accomplir la moindre tâche.
- a besoin – et aura besoin pour le reste de sa vie – de soins, d’aides techniques et d’aides à domicile pour chacune des activités de la vie domestique et de la vie quotidienne.
- est non verbal.
- ne pourra jamais travailler.
- devra bénéficier d’un accompagnement personnalisé et intensif, autant au niveau des ressources matérielles qu’humaines.
- Depuis le [...] 2017, la vie de la famille Beaudoin – Hayes est complètement chamboulée et s’organise dorénavant autour des limitations de X.
- Les parents de X, en leur nom personnel, mais également en leur qualité de tuteur, réclament divers dommages subis à la suite de la faute commise par Dr Jarcevic.
- Ces dommages sont autant pécuniaires et que non pécuniaires. Ils s’inscrivent autant pour le passé que pour le futur.
- Ne contestant pas la faute ni le lien de causalité, le Dr Jarcevic remet toutefois en question le droit des demandeurs à certains dommages. Et, de manière générale, il plaide que le quantum des dommages est exagéré et doit être réduit par d’autres sommes d’argent auxquels les demandeurs peuvent avoir droit, via les services offerts par le système public.
La période d’évaluation des dommages
L’évaluation des dommages de X
4.3.1 Le soutien à domicile de jour
4.3.2 La nécessité d’une surveillance de nuit
4.3.3 L’intensité des soins à donner après l’âge de 21 ans
4.3.4 Le tarif horaire à utiliser
4.3.5 Les équipements spécialisés et les services professionnels auxquels X a droit
4.3.6 Les coûts d’adaptation du domicile
L’évaluation des dommages au bénéfice de Madame Beaudoin
4.8.1 Les pertes salariales passées
4.8.2 Les pertes de gains futurs
4.8.3 La capacité résiduelle de gains
L’évaluation des dommages au bénéfice de Monsieur Hayes
L’évaluation des dommages au bénéfice des deux parents
- Comme la faute et le lien de causalité sont admis, le présent jugement ne se penche que sur la détermination des dommages auxquels les demandeurs ont droit et leur quantum.
- L’évaluation de l’ampleur des dommages est affectée par plusieurs facteurs, dont l’espérance de vie de X, la date à laquelle les dommages doivent être calculés et la portée à donner à la subrogation légale. Le Tribunal analysera l’ensemble de ces facteurs dans le cadre de la détermination des dommages réclamés.
La période d’évaluation des dommages
● Le droit applicable
- Les ouvrages de référence en matière de préjudice corporel rapportent que l’espérance de vie est évaluée en fonction de l’âge moyen de survie établi par les tables de longévité publiées par Statistique Canada, l’Institut de la statistique du Québec ou des organismes comme l’Institut canadien des actuaires[10].
- Bien qu’il ne soit pas spécifiquement mentionné à qui revient le fardeau de preuve de démontrer l’espérance de vie de la victime, on comprend qu’il faut s’en remettre aux principes généraux qui sous-tendent la responsabilité civile. La démonstration du dommage, tout comme la faute et le lien de causalité, lorsqu’ils ne sont pas admis, est un fardeau qui repose sur les épaules de la victime du préjudice[11]. Celle-ci peut se décharger de son fardeau suivant l’article 2803 C.c.Q., selon les règles ordinaires, la preuve pouvant être faite par tout moyen, y compris les présomptions de fait[12].
- Le professeur Patrice Deslauriers, dans la plus récente collection de droit, fait une bonne synthèse de l’état du droit eu égard à la notion d’expectative de vie[13] :
B- La notion d’expectative de vie
D’autre part, lorsqu’il s’agit de considérer l’expectative de vie dans la détermination du coût des soins, les tribunaux optent pour l’expectative postérieure à l’accident. Encore là, la règle se fonde sur le principe de la restitution intégrale. En effet, l’objectif de la responsabilité civile étant de compenser tout le préjudice, mais rien que le préjudice, il est logique de comptabiliser le coût des soins que la victime encourra jusqu’à la fin de ses jours qui, malheureusement, ont été abrégés.
(Références omises et soulignements ajoutés)
- Le fardeau de prouver les abattements pour aléas de la vie revient au défendeur. Toutefois, il ne s’agit pas à proprement parler d’un renversement du fardeau, mais bien un moyen pour le défendeur de démontrer que le droit à l’indemnité est modifié par les faits du dossier, comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 2803 C.c.Q.
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
- Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore, dans l’ouvrage de référence La responsabilité civile[14], résument ainsi cette notion qui a évolué grandement depuis la trilogie de 1978[15] et font valoir que c’est au défendeur de soumettre la preuve d’aléas négatifs.
- Le Tribunal retient cette interprétation puisqu’elle subordonne la question des aléas de la vie aux règles normales de preuve. Ainsi, il n’existe aucune raison d’amputer l’indemnité des aléas de la vie en présumant des facteurs négatifs, à moins d’une preuve contraire, laquelle doit être logiquement soumise par les défendeurs qui souhaitent réduire l’indemnité.
● La discussion
- La question à trancher demeure factuelle, et la réponse repose essentiellement sur les rapports d’expertise et le témoignage de leur auteur.
- Le Dr Michael Shevell, un neuropédiatre retenu par les demandeurs, affirme que l’espérance de vie de X s’élève à 45 ans[16], tandis que le Dr Michel Sylvain, appelé par le défendeur pour fournir son opinion à titre de neuropédiatre, croit plutôt qu’il faut retenir l’âge de 25 ans[17].
- En termes de formation, les deux experts paraissent avoir une formation professionnelle et une expérience clinique comparables[18].
- Au niveau de son parcours, le Dr Shevell a cumulé au fil des ans, plusieurs postes en lien direct avec la paralysie cérébrale, à travers l’Amérique du Nord. Il était jusqu’à récemment le pédiatre en chef de tout l’hôpital pour enfants de Montréal. Il est professeur agrégé en neurologie à McGill. Il agit comme co-directeur du Registre canadien de paralysie cérébrale, qui collecte des données au sujet des personnes atteintes de paralysie cérébrale. Le Dr Shevell a également signé de nombreux articles portant sur la neurologie pédiatrique[19]. Il agit régulièrement à titre d’expert à la Cour pour établir, notamment, l’espérance de vie de personne atteinte de problèmes neurologiques. Ses mandats paraissent provenir autant des parties demanderesses que de l’Association canadienne de protection médicale (l’ACMP).
- Le Dr Sylvain a également agi comme expert dans plusieurs dossiers portant sur l’établissement de l’espérance de vie d’individus souffrant de paralysie cérébrale, principalement pour l’ACMP[20]. Il offre de la formation médicale continue auprès de collègues pédiatres, omnipraticiens, psychiatres, neurologues, infirmières praticiennes et spécialistes de la réadaptation. En outre, il a participé à la publication de plusieurs articles scientifiques.
- Chacune des parties attaque la crédibilité et la valeur probante des rapports d’expertise et des témoignages offerts à leur soutien.
- Examinons d’abord les rapports rendus par ces deux experts. Il est utile de les commenter en fonction de la date à laquelle ils ont été rendus étant donné l’évolution de la condition médicale de X.
- Tout d’abord, c’est le Dr Shevell qui produit le premier rapport d’expertise, le 18 novembre 2021[21]. La conclusion à laquelle il arrive à ce moment-là à l’égard de l’espérance de vie de X est de 50 ans.
- À la suite de l’étude du dossier médical de X, de l’examen de l’enfant ainsi que d’échanges avec les parents de ce dernier, le Dr Shevell retient les diagnostics et les constatations suivantes à l’égard de X :
General Physical Examination: revealed no obvious dysmorphic features, hepatosplenomegaly, or phakomatosis. The spine was straight without any overlying cutaneous defect.
The head circumference was 50 cms. which is appropriate for age and gender.
Neurological Examination: Developmental: Gross Motor: can roll in one direction and unable to sit independently. Fine Motor: No intentional grasp but would demonstrate palmar grasp of objects put in his hands without functional hand use such as transfer. Language: turns to sound and name. Some vocalization, no spoken words in the office setting. No obvious comprehension demonstrated. Social: engaged with the examiner to the limits of his motor and cognitive skills. Cranial Nerves: pupils were equal and reactive to light. Visual fields: there was response to threat bilaterally. Fundoscopy was not possible. Extra-ocular movements were full without nystagmus. There was bifacial paresis. There was continuous oral motor dyskinetic movements involving the mouth, lip and tongue. The tongue was of normal bulk without fasciculations. Motor Examination: revealed truncal hypotonia and a mixed tone consisting of both spasticity and lead pipe rigidity in the limbs. There was also continuous athetotic movements of all four limbs and the oral motor regions. Muscle bulk was decreased and muscle strength was also decreased with a paucity of antigravity movements. Stretch reflexes were brisk diffusely with some spread, but no clonus or cross adductor reflex elicited. Plantar responses were upgoing bilaterally.
Sensation: there was limited withdrawal due to weakness of all four limbs to tactile stimuli. Weakness precluded co-ordination and dysmetria testing.
Assessment: X provides evidence for a mixed cerebral palsy variant involving both spastic quadriparesis (stiffening and weakness of all four limbs), dystonia (a fixed variety of increased tone that impairs purposeful movements of the limbs) and athetosis (continuous writhing non-purposeful, non-voluntary movements). By multiple functional scales used to rate the severity of cerebral palsy in a standardized way. X is a Level 5, at the highest level of severity (GMFCS [Gros motor/ambulation], MACS [Bi-manual dexterity] CFCS [Communication]). He also has the comorbid condition of symptomatic epilepsy under good control presently and a global developmental delay that leaves him dependent for all activities of daily living.
X’ current functional capabilities are those that can be expected to remain for the remainder of his natural lifespan. Thus we cannot expect an independent vocational or autonomous existence for X and he will remain dependent on others for activities of daily living related to feeding, dressing, hygiene and toileting. His significant motoric, developmental and cognitive limitations preclude vocational options.
(Soulignements ajoutés)
- Puis, en utilisant deux études[22], l’une datant de 1998[23] et l’autre de 2014[24], lesquelles ont suivi plusieurs milliers d’individus sur de très longues périodes[25], dans des endroits socioéconomiques et génétiquement semblables au Canada, le Dr Shevell explique la démarche qu’il a suivie pour arriver à son estimation quant à une espérance de vie pour X. Il ajoute par ailleurs que certains experts qualifient aujourd’hui cette évaluation de pessimiste en raison de l’évolution des soins depuis que les études en question ont été réalisées.
- On retient de la lecture de ce premier rapport que l’estimation de l’espérance de vie de X par le Dr Shevell s’appuie principalement sur la façon dont X est nourri et sur son niveau de mobilité. En outre, l’absence d’épilepsie réfractaire et de pneumonies récurrentes l’amène à conclure de manière plus favorable[26].
- À peine 18 mois plus tard, le Dr Sylvain signe son premier rapport, soit le 14 mars 2023, et, contrairement aux constatations du Dr Shevell, indique que X souffre d’épilepsie avec des crises majeures, qu’il a eu un status epilecticus, et des électroencéphalogrammes qui demeurent perturbés. Pour le Dr Sylvain, ses observations l’amènent à conclure que X demeure à haut risque de récidive relativement à l’épilepsie[27].
- À la lumière de ces constations, le Dr Sylvain se tourne alors vers différents articles scientifiques[28] et conclut que X, sans être atteint de la forme la plus sévère de la paralysie cérébrale, souffre tout de même d’une forme très sévère et lui donne une espérance de vie de 25 ans. Il qualifie cette estimation d’optimiste.
- Pour tirer cette conclusion, le Dr Sylvain s’appuie principalement sur son expérience des 25 dernières années auprès de la clientèle de gens affectés par la paralysie cérébrale. Il précise avoir pris connaissance de plusieurs articles sur le sujet, mais reconnaît qu’aucun ne lui permet de répondre précisément à la question. Il fonde donc son opinion sur le fait que le spectre de vie des patients atteints de paralysie cérébrale s’étend du début de l’âge adulte pour les formes les plus sévères jusqu’à 50-60 ans pour les formes les plus légères.
- En l’espèce, le Dr Sylvain prend en considération différents facteurs de risque pour évaluer l’espérance de vie de X. Il retient notamment l’aspect moteur, et note que X est atteint de la forme la plus sévère de la paralysie cérébrale. En outre, il prend en considération l’aspect cognitif, bien qu’il soit difficile de l’évaluer vu le fait que l’enfant ne soit pas capable de parler.
- Le Dr Sylvain porte également attention au fait que X éprouve d’importantes limites au niveau digestif, principalement au niveau de la déglutition. Cette condition fait en sorte notamment que X ne peut se nourrir qu’avec des purées. En outre, il est incapable de s’alimenter seul.
- À cet égard, le Dr Sylvain donne beaucoup d’importance au fait que l’enfant a été évalué en 2019 par des spécialistes qui, à la suite de différents tests, ont recommandé aux parents de X d’installer un tube pour que celui-ci soit nourri par gavage.
- Cette évaluation s’inscrivait à la suite d’une pneumonie diagnostiquée en janvier 2019. À la suite des différents tests à cette époque, l’équipe de professionnels conclut que l’enfant aspire des aliments, peu importe la texture de ceux-ci. X souffre également de dyskinésie orale, soit des mouvements involontaires de la langue.
- C’est dans ce contexte qu’on recommande l’installation d’un tube de gavage afin, disent les professionnels, de fournir à l’enfant, une alimentation sécuritaire et d’éviter les pneumonies d’aspirations qui peuvent s’avérer ultimement fatales.
- Le Tribunal note cependant que les parents de X ont refusé d’aller de l’avant avec cette procédure et ont plutôt choisi de patienter et de voir comment la situation évoluerait. Considérant que l’installation d’un tube leur paraissait prématurée et précipitée, ils ont alors déployé tous les efforts pour maintenir active la fonction de déglutition chez leur fils.
- À ce jour, X n’a pas de tube et demeure nourri par ses parents. Aucune pneumonie résultant d’aspirations alimentaires n’apparaît à son dossier.
- Un autre aspect de l’état de santé de X, soulevé par le Dr Sylvain, repose sur l’épilepsie de X. Selon lui, l’existence de cette condition amène un haut risque de récidive.
- Bien que certains des articles qu’il produit en appui à son rapport soient les mêmes que ceux utilisés par le Dr Shevell, le Dr Sylvain attaque le raisonnement de son collègue. Il soutient tout d’abord que les résultats à la base de l’expertise du Dr Shevell ne s’appliquent qu’à des enfants allant de 6 mois à 3½ ans et puisque X avait 4 ans au moment de l’expertise, il n’est pas possible d’extrapoler comme l’a fait le Dr Shevell.
- Ensuite, le Dr Sylvain soulève le fait que les études en question ne fondent leurs résultats que sur deux caractéristiques, soit la mobilité et l’alimentation, alors qu’il existe d’autres paramètres qui permettent de mieux évaluer l’espérance de vie d’un individu.
- Le Dr Sylvain avance également que le rapport de son collègue comporte des biais. Entre autres, il lui reproche d’extrapoler des données d’un tableau afin de pouvoir utiliser des données d’une autre étude, surévaluant du même coup l’espérance de vie de X.
- À la suite de la communication du rapport du Dr Sylvain, le Dr Shevell produit un second rapport le 11 avril 2023[29]. Son mandat ne consiste alors qu’à fournir des commentaires sur le rapport du Dr Sylvain, et non de revoir l’ensemble du dossier médical de X.
- Dans ce document, le Dr Shevell explique les raisons pour lesquelles il est en désaccord avec son collègue.
- Tout d’abord, celui-ci critique le fait que le Dr Sylvain ait produit un rapport sur l’espérance de vie de X sans avoir jugé pertinent d’examiner l’enfant et de parler à ses parents. Cette omission, selon le Dr Shevell, amène le Dr Sylvain à surestimer les défis de X au niveau de l’alimentation et de l’épilepsie. Le Dr Shevell insiste alors pour dire que X n’a pas d’enjeu au niveau des pneumonies d’aspiration et n’a eu qu’un seul épisode de status epilecticus.
- Ensuite, le Dr Shevell reproche au Dr Sylvain d’affirmer que l’espérance de vie la plus optimiste, d’une personne atteinte de paralysie cérébrale serait de 30 ans alors qu’une abondante littérature indique que c’est plutôt 60 ans.
- Le Dr Shevell répond également aux critiques du Dr Sylvain relativement à l’utilisation des données de l’étude de 1998 et fournit des explications qui supportent le raisonnement suivi.
- Enfin, le Dr Shevell maintient la conclusion de son premier rapport voulant que l’espérance de vie de X s’établisse à 50 ans. En outre, il considère qu’il pourrait s’agir d’une sous-estimation de l’espérance de vie, vu le passage du temps depuis son premier rapport.
- Le 3 avril 2024, le Dr Shevell fournit un troisième rapport[30].
- On comprend que ce nouveau rapport constitue un complément d’expertise visant à prendre en considération cette fois les plus récents développements médicaux de X. En effet, de septembre 2022 à novembre 2023, il apparaît que la condition de X évolue. Celui-ci fait plusieurs crises d’épilepsie.
- En prenant en considération ces derniers développements, le Dr Shevell établit maintenant l’espérance de vie de X à 45 ans.
- Voici l’extrait pertinent :
X now has one of the three conditions mentioned: refractory epilepsy, recurrent aspiration pneumonias or progressive scoliosis. This prompts a modification in my original estimate. While the large datasets contain individuals with refractory epilepsy and the median life expectancy takes this into consideration and the effect of one more individual on the large dataset is negligeable, the challenge here is to offer an estimate on the particular individual who indeed has the adverse condition. The rule of thumb is to decrease the estimate by 10% for each of the major conditions listed. Thus, I would reduce X individual median life expectancy estimate by 5 years (10% of 50 years) to yield a current life expectancy estimate of 45 years.
It should be noted that now 2.5 years later (and aged 6.5 years not 4 years) from my original November 2021 report, X likelihood of surviving to age 15 in order to apply the Table referenced in the paper by Brooks et al is obviously higher. Indeed, it is now 90% (previously 87%) as per the Table referenced in the paper by Shavelle et al[31].
(Soulignements ajoutés)
- Le 10 avril 2024, Dr Sylvain signe un second rapport en réponse cette fois aux rapports du Dr Shevell datés du 11 avril 2023 et du 3 avril 2024[32]. Dans le cadre de cette réponse, il consulte les dossiers médicaux de l’enfant ainsi que celui de l’Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (l’IRDPQ).
- Le mandat alors confié au Dr Sylvain consiste à analyser l’évolution de X depuis son premier rapport ainsi que de fournir son appréciation relativement à la problématique de sommeil de X[33].
- Au chapitre de sa condition médicale, le Dr Sylvain indique que la condition épileptique de X s’est grandement détériorée dans les 14 derniers mois. En outre, en raison de la multitude d’essais pharmacologiques effectués pour contrôler la situation, il conclut que l’épilepsie de l’enfant doit être qualifiée de réfractaire.
- Malgré le portrait défavorable qu’il brosse de la situation de X, le Dr Sylvain maintient tout de même son estimation de l’espérance de vie à 25 ans, soulignant par ailleurs que celle-ci devient de plus en plus optimiste.
- En soupesant les rapports d’expertise et les témoignages offerts de part et d’autre, le Tribunal donne plus de poids à l’opinion du Dr Shevell qu’à celle du Dr Sylvain. Voici pourquoi.
- Comme indiqué ci-haut, le Dr Sylvain évalue l’espérance de vie de X à 25 ans, sans l’avoir rencontré. Toutefois, on apprend, dans le cadre de son contre-interrogatoire, que le Dr Sylvain a été appelé à traiter, examiner et discuter du cas de X avec son père, le 6 février 2023 à l’hôpital[34] soit à peine un mois avant la finalisation de son rapport.
- À cette date, X avait récemment vécu deux récidives de status epilepticus[35], un fait qui n’apparaissait pas des dossiers médicaux mis à la disposition de Dr Shevell ni à ceux remis au Dr Sylvain, lesquels s’arrêtaient au 20 avril 2022, alors que les récidives avaient eu lieu entre septembre et novembre 2023.
- Le fait que le Dr Sylvain n’ait pas indiqué cette information à son rapport[36] jumelé au fait qu’il indique par ailleurs que X souffrait d’une épilepsie avec des crises majeures, qu’il avait eu un status epilepticus et des électroencéphalogrammes perturbés, soulève un questionnement quant à savoir si le Dr Sylvain tirait des inférences du dossier médical, par ailleurs muet à ce sujet, ou s’il savait de source sûre que cette situation constituait la réalité.
- Le Dr Sylvain assure qu’il ne le savait pas au moment où il signe son rapport.
- Cette affirmation devient plus difficile à suivre lorsque, dans son deuxième rapport, malgré la prise en compte de la série de crises d’épilepsie survenue en 2022 et 2023, il ne réduit pas davantage l’espérance de vie.
- En outre, le raisonnement suivi par le Dr Sylvain comporte certaines limites. En effet, bien que reconnaissant que pour établir l’espérance de vie médiane, qu’il faille déterminé l’âge où les chances de survie du groupe tombent à 50%, le Dr Sylvain arrête sa démarche à 55%.
- En effet, le Dr Sylvain avance qu’une personne atteinte de paralysie cérébrale sévère a une espérance de vie de 30 ans selon les études les plus optimistes[37], alors que l’une des études sur laquelle il s’appuie montre que 55% des personnes atteintes de paralysie cérébrale sévère avec les caractéristiques de mobilité et d’alimentation de X sont toujours en vie à l’âge de 30 ans[38] et ont donc une espérance de vie supérieure à cet âge.
- Le Dr Shevell soutient qu’il est fort probable que si une personne très handicapée est en mesure de se rendre à l’âge de 30 ans, elle a donc démontré sa robustesse et qu’il y a donc peu d’écueils nouveaux qui la guettent jusqu’à l’âge de 50 ans qui pourraient causer son décès.
- Selon le Dr Shevell, puisque personne ne dispose des données permettant de voir à quel âge le groupe sous étude tombe sous le seuil 50%, on se devait d’utiliser une méthode de calcul alternative et c’est ce qu’il a fait.
- Les explications fournies par le Dr Shevell paraissent conformes au raisonnement suivi par les auteurs des études.
- Le défendeur soutient que la méthodologie du Dr Shevell serait contraire à une mise en garde, à l’effet qu’on ne pouvait utiliser un certain tableau pour de jeunes enfants, comme le fait le Dr Shevell.
- En réponse à cette préoccupation, le Dr Shevell a fait valoir qu’il était possible d’utiliser les données de ce tableau, mais qu’il fallait alors effectuer certains calculs, comme les auteurs de l’article le suggèrent[39]. C’est donc dans ce contexte que le Dr Shevell s’est permis d’employer le tableau en question.
- Bien que l’exercice auquel se prête le Dr Shevell comporte certaines extrapolations, les explications qu’il fournit pour justifier sa démarche et les études utilisées permettent de lui donner foi.
- En outre, les études utilisées par Dr Shevell s’appuient sur un vaste bassin de population comparable à celle du Canada[40].
- Par ailleurs, bien que la paralysie cérébrale dont souffre X puisse être qualifiée de sévère, le fait qu’il soit nourri par des personnes plutôt que par gavage ne permet pas de mettre de côté les résultats des études utilisées par le Dr Shevell, comme semble le suggérer le Dr Sylvain.
- Enfin, le raisonnement suivi par le Dr Shevell pour réduire l’espérance de vie de X à la suite de ses status epilecticus survenu en 2022 et 2023 paraît également raisonnable. Il soustrait une période de 5 ans, en expliquant que l’état de X s’est bel et bien aggravé.
- En tenant compte de l’ensemble de la preuve, le Tribunal retient l’opinion du Dr Shevell et conclut que l’espérance de vie de X est de 45 ans.
- Vu l’étendue des dommages recherchés et leur portée dans le temps, il est pertinent de tracer les grandes lignes qui permettront de déterminer le moment où les différents préjudices doivent être évalués et, par conséquent, la date à laquelle le calcul de l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle doit débuter.
- Ce sont les articles 1617, 1618 et 1619 du C.c.Q qui encadrent cette question.
- Rappelons tout d’abord la raison d’être de l’indemnité additionnelle. Dans un article consacré sur l’historique de cette indemnité, l’auteur Samuel Grondin écrit que l’indemnité additionnelle (permet) au créancier d’être indemnisé d’une façon adéquate et d’empêcher le débiteur de tirer profit du délai inhérent au processus judiciaire[41].
- En ce qui concerne le point de départ du calcul de l’intérêt légal, l’auteur Daniel Gardner précise que le tribunal peut le déterminer, mais son pouvoir ne va pas jusqu’au refus d’en accorder au demandeur. La situation est toutefois différente en ce qui concerne l’indemnité additionnelle: la discrétion demeure entière[42].
- Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore dans leur ouvrage La responsabilité civile dédient une section entière aux intérêts sur les dommages[43]. On y note une revue exhaustive de différentes situations traitées dans la jurisprudence qui offrent des solutions particulières en fonction du type de dommages réclamés [44]. L’extrait suivant est d’un intérêt particulier étant donné qu’il traite spécifiquement des pertes économiques futures et des pertes non pécuniaires, comme il en est question dans la présente affaire :
1-657 – Application: pertes économiques futures – En théorie, l'indemnité est due sur les sommes passées, c'est-à-dire sur celles que la victime aurait dû effectivement toucher bien avant le jugement (ainsi sur l'indemnité pour incapacité totale temporaire). Par contre, est-il légitime de l'accorder sur les sommes attribuées à la victime pour l'avenir, par exemple sur celles qui lui permettront de pallier les inconvénients d'un manque à gagner? Certains refusent de l'accorder dans ce cas.
D'autres décisions fixent le point de départ du calcul à la date de l'actualisation des sommes, qu'il s'agisse de l'assignation, du jugement ou autre. On peut penser que les situations sont équivalentes. Or, il n'en est rien. En effet, un auteur a démontré qu'il existait une distorsion entre les chiffres en raison d'une différence marquée entre le taux d'actualisation et l'indemnité additionnelle, le premier étant généralement plus bas que la deuxième. En d'autres termes, il est plus intéressant pour la victime que le point de départ du calcul de l'indemnité sur les sommes futures soit le plus rapproché de l'accident possible. À notre avis, la solution la plus équitable est d'actualiser les sommes à la date de l'assignation, qui devient alors également le point de départ du calcul de l'indemnité additionnelle.
(…)
1-659 – Pertes non pécuniaires – En ce qui a trait aux pertes non pécuniaires, certaines décisions calculaient l'indemnité additionnelle depuis l'assignation. D'autres, au contraire, préféraient utiliser, comme point de départ, la date du jugement de première instance. On remarquait, à cet égard, une certaine confusion, comme en fait foi d'ailleurs un arrêt de la Cour d'appel, impliquant deux parties demanderesses, qui avaient utilisé, pour chacune d'elles, une date différente. Un arrêt de la Cour d'appel clarifie la situation. D'une part, il réitère le principe de l'utilisation d'une date unique pour tous les calculs. D'autre part, il établit que cette date unique est le jour de l'assignation. Cette solution doit être approuvée.
(Références omises, soulignements ajoutés)
- L’auteur Gardner réserve également une importante section de son ouvrage pour analyser la portée de ces deux façons de faire[45]. Il conclut finalement que la méthode retenant la date de la demande introductive d’instance comme point de départ du calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle est celle qui suit la bonne logique juridique[46].
- Notons enfin de la jurisprudence que la tendance majoritaire fixe le point de départ de ce calcul à partir de la connaissance, ce qui correspond souvent en matière extracontractuelle à la mise en demeure judiciaire, l’assignation, ou lorsqu’une mise en demeure extrajudiciaire non équivoque a été faite, à cette date.
- En l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’à moins d’indication particulière dans le cadre du présent jugement, il y a lieu de suivre la règle générale et d’évaluer les dommages en date de la demande introductive d’instance.
L’ÉVALUATION DES DOMMAGES DE X
- Les articles 1607 et 1611 du Code civil du Québec prévoient qu’une victime d’un préjudice corporel doit être indemnisée pour ses pertes, dommages, passés et futurs, causés par la faute du débiteur.
- La Cour suprême, dans l’arrêt Andrews[47], faisant partie de la trilogie[48], nous enseigne que l’indemnisation ne peut jamais être parfaite; elle doit être raisonnable[49].
- Ces enseignements sont toujours d’actualité. L’état du droit est simple : il faut déterminer les montants requis pour réparer intégralement les dommages subis par les demandeurs.
- L’auteur Gardner explique la portée à donner à l’expression réparation intégrale :
133 — Évaluation raisonnable et évaluation arbitraire.
De même que réparation intégrale n'est pas synonyme de réparation illimitée, une évaluation raisonnable du préjudice ne doit pas être confondue avec une évaluation arbitraire. Nos tribunaux se sont trop longtemps retranchés derrière leur discrétion judiciaire pour évaluer de façon arbitraire et globale des préjudices corporels graves. Il faut bien dire que la preuve présentée ne leur laissait le plus souvent aucune autre alternative. Cette pratique est aujourd'hui à peu près disparue pour les victimes gravement blessées[50].
(…)
Le principe de la réparation intégrale commande une utilisation judicieuse de la discrétion judiciaire. Il incombe au juge de décider, à partir de la preuve présentée devant lui, si l'évaluation de tel ou tel aspect du préjudice respecte « les montants alloués par d'autres tribunaux dans des cas semblables et le caractère raisonnable qu'il convient de donner aux montants à allouer ». Cette discrétion judiciaire doit cependant être exercée avec plus de transparence qu'autrefois et le juge devrait se sentir tenu d'expliquer sa décision de réduire le montant autrement calculé sous l'un des postes d'indemnisation.
On retrouve le critère de raisonnabilité correctement appliqué en jurisprudence québécoise. Ainsi le juge Letarte établit l'indemnité relative aux dépenses extraordinaires futures d'une jeune victime « dans l'optique du caractère raisonnable de coûts très importants », ce qui ne l'empêche pas d'en arriver à un montant de près de deux millions de dollars sous ce chef, au milieu des années 80. On peut mieux mesurer cette concordance de vues entre les deux systèmes de droit au Canada lorsque l'on note que dans Bouliane, l'acquisition d'un immeuble intégré est refusée à la victime au profit d'un réaménagement de l'appartement existant. L'identité de solution et de motifs avec l'affaire Milina est frappante. Réparation intégrale et évaluation raisonnable ne sont donc pas des notions qui s'opposent, mais qui se complètent, pour en arriver à un système viable d'indemnisation du préjudice. Le critère de raisonnabilité empêche cependant la réparation intégrale de devenir une réparation illimitée du préjudice.
(Références omises et soulignements ajoutés)
- En outre, comme l’écrivent les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore, le caractère certain du préjudice futur n’exige pas une certitude absolue, mais plutôt une simple probabilité, laissant ainsi une marge discrétionnaire d’appréciation aux magistrats qui tiennent compte des faits prouvés et des circonstances propres à l’espèce, et introduire inévitablement une certaine dose de subjectivisme [51].
- Dans l’affaire M.G. c. Pinsonneault[52], la Cour d’appel rappelle ce principe :
[249] Le caractère « certain » d’un préjudice est apprécié de façon relative.
(...)
[251] Ce principe s’applique à toute victime, sans égard à son âge. Ainsi, l’enfant victime d’un préjudice corporel est en droit d’obtenir une indemnisation pour compenser les dommages pécuniaires reliés à la perte de capacité de gains (...)
[252] Certains cas constituent des cas clairs où une perte est certaine, lire probable, et une indemnisation au chapitre des pertes pécuniaires doit être ordonnée malgré la difficulté à l’évaluer. On peut penser à l’enfant atteint d’une incapacité totale permanente et qui ne pourra jamais occuper quelque emploi que ce soit, ou alors celui dont les séquelles sont à ce point graves qu’il pourra difficilement gagner sa vie.
- Par ailleurs, un des enjeux que soulève la présente affaire et qui oppose les parties repose sur le fait que les demandeurs font valoir que l’évaluation des dommages ne doit pas être diminuée des services offerts par le régime public, vu les limites de celui-ci quant à l’étendue des services et les importants délais inhérents au système public.
- De l’autre côté, le défendeur plaide que rien ne permet de passer outre les dispositions légales qui prévoient la subrogation.
- Un retour sur le cadre juridique s’impose.
- L’article 1608 du C.c.Q. prévoit que les dommages-intérêts dus au créancier ne sont pas atténués du fait que celui-ci reçoive une prestation d’un tiers, à une exception près, celle où le tiers est subrogé aux droits du créancier :
L’obligation du débiteur de payer des dommages-intérêts au créancier n’est ni atténuée ni modifiée par le fait que le créancier reçoive une prestation d’un tiers, par suite du préjudice qu’il a subi, sauf dans la mesure où le tiers est subrogé aux droits du créancier.
- Cet article trouvait son pendant sous l’article 2494 du Code civil du Bas-Canada lequel se lisait comme suit :
La responsabilité civile n’est ni atténuée ni modifiée par l’effet des contrats d’assurance et le montant des dommages est déterminé sans égard à ces contrats.
- On note que cette version antérieure ne faisait pas état de l’exception des tiers subrogés comme c’est le cas aujourd’hui.
- Les commentaires du ministère de la Justice sur l’article 1608 C.c.Q. fournissent des détails relativement à l’intention du législateur au moment de son adoption[53] :
Cet article reprend, avec quelques modifications et en en généralisant l'application, la règle prévue à l'article 2494 C.C.B.C., relatif aux contrats d'assurance.
Il vise à régler la question de savoir si l'obligation de réparer qui pèse sur le débiteur peut être atténuée ou modifiée par des prestations versées au créancier par un tiers, que ces versements soient à titre gratuit ou à titre onéreux. Telle serait la situation si, par exemple, l'employeur du créancier continuait, sans y être tenu, de lui verser son salaire pendant son incapacité; telle serait aussi la situation, si l'assureur du créancier lui versait, en sa qualité d'assuré, le produit d'une assurance qu'il a souscrite.
Donner une réponse négative à cette question peut parfois conduire à faire bénéficier le créancier d'une double indemnité — celle qu'il reçoit du tiers et celle que lui verse le débiteur — et donc à lui procurer un enrichissement; une telle réponse peut aussi paraître contraire au principe de la réparation du préjudice, puisque le préjudice risque, en certains cas, de ne plus exister, ayant déjà été indemnisé par le tiers.
En revanche, une réponse affirmative paraît contraire au rôle préventif de l'obligation de réparer et, de plus, peut conduire au résultat, assez choquant, d'exonérer le débiteur de toute obligation de réparation, uniquement par suite de la bienveillance d'un tiers ou de la prévoyance du créancier qui s'est prémuni, à ses frais, contre l'éventualité du préjudice.
L'article tranche en faveur d'une réponse négative à cette question de savoir si l'obligation de réparer du débiteur peut être atténuée ou modifiée par les prestations que reçoit le créancier de tiers; mais, afin d'éviter les principaux cas donnant ouverture à une double indemnisation, elle fait expressément la réserve des situations où le tiers est subrogé, légalement ou conventionnellement, aux droits du créancier.
Il s'agit là de la solution qui paraît la plus juste, dans les circonstances, d'autant plus que la plupart des prestations versées par des tiers — indemnités de sécurité sociale, d'assurance, ou résultant des conventions collectives de travail — ne présentent pas un caractère indemnitaire véritable et, en tout cas, ne sont pas destinées à réparer le préjudice subi par le créancier.
(Soulignements ajoutés)
- Cela étant, une subrogation légale en faveur de la Régie de l'assurance maladie du Québec (la RAMQ) est prévue au premier paragraphe de l’article 18 de la Loi sur l’assurance maladie[54] (LAM) qui se lit comme suit:
18.1. La Régie est de plein droit subrogée au recours de toute personne qui bénéficie des services assurés contre un tiers jusqu’à concurrence du coût des services assurés fournis ou qui seront fournis à la suite d’un préjudice causé par la faute du tiers. Une telle personne doit fournir à la Régie tout renseignement nécessaire à l’établissement de la responsabilité de ce tiers ou de la réclamation de la Régie. Toute réclamation de la Régie doit être notifiée au tiers par un avis qui énonce le montant de sa dette et les motifs d’exigibilité de celle-ci.
(Soulignements ajoutés)
- Rappelons, par ailleurs, que la Cour suprême dans l’arrêt Andrews confirme qu’il n’y a pas d’obligation de réduire ses dommages-intérêts[55] :
Contrairement à ce que dit la Division d’appel, il n’existe aucune obligation pour la victime de procéder à une réduction des dommages-intérêts, c’est-à-dire d’accepter moins que la perte réelle. En fait, sa seule obligation est d’être raisonnable. Une indemnisation ne peut jamais être «entière» ou «parfaite». L’indemnité doit être raisonnable et équitable pour les deux parties. De toute évidence, on ne peut fonder le montant d’une indemnité sur les sympathies ou la compassion que l’on ressent pour la victime. Il faut indemniser la victime; il ne s’agit pas de la venger. Toutefois, comme en l’espèce les tribunaux d’instance inférieure ont opté pour les soins à domicile, le qualificatif « raisonnable » doit se rapporter à ces soins. Être raisonnable ne signifie pas qu’Andrews devrait se satisfaire d’une hospitalisation qui, selon toute la preuve, ne lui convient pas. La capacité de payer du défendeur n’a jamais été considérée en common law comme un élément pertinent dans l’évaluation des dommages-intérêts. L’important, c’est le préjudice subi par la partie innocente. L’équité envers l’autre partie consiste à ne retenir contre elle que les réclamations légitimes et justifiables.
Andrews peut-il raisonnablement demander $4,135 par mois pour des soins à domicile? Ces soins sont très coûteux, mais la perspective d’un séjour dans un hôpital de soins prolongés est tellement détestable et contraire aux principes de l’indemnisation équitable, qu’il est impossible pour cette Cour d’opter pour une solution intermédiaire.
(Soulignements ajoutés)
- Comme en l’espèce, dans cette autre affaire, la Cour suprême devait trancher notamment entre les soins à domicile plus coûteux ou les soins à l’hôpital, moins adaptés, mais moins coûteux. La Cour avait alors tranché en faveur des premiers, procédant à une analyse de la raisonnabilité de ceux-ci eu égard à la situation.
- Au Québec, en revanche, par l’adoption de l’article 1608 C.c.Q. le législateur est venu encadrer l’obligation de payer des dommages-intérêts par le débiteur, auteur du dommage, laquelle peut être modifiée du fait que le créancier, c’est-à-dire la victime du préjudice, reçoive des prestations d’un tiers subrogé légalement ou conventionnellement.
- Dans son ouvrage, l’auteur Gardner fait un retour approfondi sur les principes entourant la réparation intégrale tout en analysant quelques cas jurisprudentiels. Dans ce texte, il circonscrit clairement l'exercice de la discrétion du juge dans l’évaluation raisonnable du préjudice, incluant les soins requis[56].
- Plus loin dans l’ouvrage, l’auteur traite spécifiquement du cumul d’indemnités, que ce soit en vertu d’une police d’assurance ou d’un régime étatique, le tout à la lumière du libellé de l’article 1608 C.c.Q. [57].
- On retient de ce passage que la portée générale de l’article 1608 C.c.Q. est très vaste, mais que celle sera réduit à partir du moment où il y aura subrogation légale d’un tiers.
- L’auteur Gardner reconnaît qu’en matière de soins médicaux et de frais d’hospitalisation, la victime ne peut cumuler la valeur des services passés ou futurs avec une réclamation au responsable de son préjudice, puisque la RAMQ dispose d’un recours subrogatoire[58]. Toutefois, ce dernier souligne le caractère singulier d’étendre la subrogation aux soins dispensés à domicile par les CLSC :
(…) S'agissant de régimes universels de compensation, on comprend mal pourquoi la Régie dispose d'un recours subrogatoire. Dans toutes les autres hypothèses où un recours subrogatoire est accordé à un organisme étatique, le régime en question n'est pas d'application universelle, mais nécessite au contraire l'identification d'une cause précise du préjudice subi. C'est le cas en matière d'accident du travail, d'accident d'automobile et d'indemnisation des victimes d'actes criminels, dont nous avons précédemment cité les textes pertinents.
Il n'en reste pas moins que ces recours existent, qu'ils sont exercés par la Régie – les assureurs privés ont d'ailleurs, depuis 1989, l'obligation d'aviser la Régie d'une réclamation impliquant un de leurs clients; on a ajouté la même obligation pour les particuliers en 2016 – et que le cumul des indemnités est donc prohibé. Dans un tel contexte, nous apparaissent sujettes à caution les décisions qui permettent à la victime d'un préjudice corporel de réclamer au défendeur le coût d'un équipement ou d'un service offert par la RAMQ, sous prétexte d'un doute quant à la pérennité du service ou quant aux nombreuses démarches nécessaires pour l'obtenir. Les décisions en sens contraire nous semblent davantage respecter la règle interdisant le cumul. La Cour d'appel reconnaît l'existence de la subrogation légale en ce domaine, tout en acceptant le fait qu'une réclamation soit envisageable:
On peut penser notamment à la situation où il serait déraisonnable d'exiger que la victime ait accès au système public en raison, par exemple, de la distance ou des délais ou encore si, en raison de leurs spécificités, les soins requis ne sont pas pris en charge par le système public ou ne le sont que partiellement.
(Références omises et soulignements ajoutés)
- Bien que cette dernière citation, constitue un obiter de l’arrêt Pinsonneault[59] , celle-ci a retenu l’attention des auteurs Patrice Deslauriers, Sébastien Fernandez et Geoffroy Guilbault dans un article plus récent[60] :
(…)
Traditionnellement, nos tribunaux ont généralement refusé de faire supporter au débiteur le choix de la victime de recevoir des soins au privé alors que ces soins étaient offerts au public. Dans une décision ayant refusé de compenser les frais versés au privé, le Tribunal est même allé jusqu’à réduire l’indemnité accordée à titre de pertes non pécuniaires, tout en soulignant que le fait d’avoir été soigné plus rapidement avait eu pour effet de diminuer la période pendant laquelle la victime avait supporté la douleur!
Il appert toutefois que la Cour d’appel a démontré une certaine ouverture à l’égard d’une indemnisation de tels frais.
Ainsi, à l’occasion de l’arrêt Monsieur G. c. Pinsonneault, dans un obiter, elle soulignait que « ce n’est pas parce qu’un soin donné est, en principe, assuré par le régime d’assurance-maladie que toute réclamation pour ces soins, passés ou futurs, doit être automatiquement rejetée ». En effet, il pourrait être déraisonnable, dans certaines situations, d’exiger qu’une victime ait accès au système public « en raison, par exemple, de la distance ou des délais ou encore si, en raison de leurs spécificités, les soins requis ne sont pas pris en charge par le système public ou ne le sont que partiellement ». Il s’agit là d’une position que nous saluons, et à laquelle nous souscrivons, en ce qu’elle nous paraît encourager, notamment en cas d’impossibilité de recevoir des soins au système public en temps utile, une certaine proactivité inhérente à une bonne et diligente exécution de l’obligation de minimisation des dommages qui incombe à toute victime d’un préjudice en sus d’être en adéquation avec le principe de la réparation intégrale. Cette solution s’avère également en accord avec la règle générale en droit civil québécois qui veut que les dépenses effectuées par une victime pour minimiser son préjudice soient considérées comme un dommage. Ce principe est également reconnu en common law canadienne et anglaise et a été récemment proposé en France, dans le Projet de réforme de la responsabilité civile de mars 2017, repris en juillet 2020 par le Sénat dans sa Proposition de loi no 678 portant réforme de la responsabilité civile.
Subsidiairement, à défaut de reconnaître le remboursement des frais payés au privé, nous croyons, à l’instar d’un auteur, que plutôt que d’opposer au créancier une fin de non-recevoir complète à sa réclamation sous ce chef, il conviendrait d’y faire droit du moins partiellement, et de n’épargner au débiteur « que les coûts excédentaires résultant du recours au privé puisqu’il aurait dû, en l’absence d’un tel choix par la victime, rembourser à la RAMQ les frais engagés par le système public de santé ».
(Références omises et soulignements ajoutés)
● La discussion
- Il s’agit ici de déterminer les soins dont aura besoin X à l’avenir. Bien entendu ceux-ci doivent découler de la faute commise.
- L’étendue de ce chef de réclamation est vaste.
- Comme on l’a vu, la démonstration du lien direct entre la détermination des soins futurs repose sur un fardeau de preuve en fonction de la balance des probabilités: la certitude en cette matière n’étant pas possible[61].
- Précisons que tous s’entendent pour dire que X aura besoin d’une aide personnelle tous les jours et pour tous les aspects de la vie quotidienne, et ce, pour toute sa vie[62].
- Personne ne conteste non plus qu’en vertu de la Loi sur l’instruction publique[63], des services scolaires seront offerts à X jusqu’à l’âge de 21 ans et que, dans ce cadre, divers services professionnels lui sont fournis. Il est admis que X est à l’école sept heures par jour, cinq jours par semaine. Il faut donc tenir compte de ce temps passé à l’école pour déterminer le nombre d’heures d’aide à être prodiguée à son domicile.
- Cela étant, les parties ne s’entendent pas sur plusieurs points. Ainsi, la majorité des divergences d’opinions entre les parties reposent sur l’intensité des soins à prodiguer à X, telle que la nécessité ou non de fournir une surveillance de nuit, les soins à prodiguer après l’âge de 21 ans, le type de services professionnels auquel X a droit, l’adaptation du domicile, le tarif à utiliser, l’impact des soins offerts par le régime public et la nécessité de tenir compte des subventions gouvernementales. En outre, les parties ne s’entendent pas sur la nécessité d’octroyer des frais de gestion sur le montant des dommages qui sera octroyé et une provision pour impôts.
- Il y a lieu d’examiner chacun de ces items.
- Précisons d’entrée de jeu que les parents de X ont respectivement fourni des témoignages sincères, fort crédibles et convaincants à l’égard de leur réalité quotidienne depuis les sept dernières années.
- Incidemment, il y a lieu ici de traiter d’une objection soulevée dans le cadre du témoignage de Madame Beaudoin. En effet, à la fin de cet exercice, celle-ci a voulu produire ses notes personnelles[64] et le défendeur a formulé une objection.
- À la lumière des articles 2843 du C.c.Q. et de 279 du C.p.c, cette objection doit être maintenue.
- Le principe en cette matière établit que le témoignage se fait à l’audience devant le juge qui entend la cause. De cette manière, le juge évalue la crédibilité du témoin.
- C’est ce que nous enseignent les auteurs Royer et Piché, dans leur ouvrage sur la preuve[65] :
En droit privé québécois, un document utilisé comme aide-mémoire ne peut, en principe, constituer une preuve des faits qu'il contient, vu la règle générale formulée au deuxième alinéa de l'article 2843 du Code civil du Québec. Cependant, une déclaration antérieure d'un témoin relatée dans un tel document sera admise, à titre de témoignage, si elle présente des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier.
- En l’espèce, il n’y a pas lieu de compléter ou d’ajouter au témoignage de Madame Beaudoin.
5.3.1 Le soutien à domicile de jour
- En ce qui concerne le soutien à domicile de jour, la preuve démontre que malgré l’offre théorique de soins et de services par le régime public, les délais d’accès à ceux-ci sont déraisonnables et ne couvrent qu’une petite partie des besoins de X.
- À cet effet, et à titre d’exemple, Madame Beaudoin explique qu’après avoir déposé une demande au CLSC afin de pouvoir accéder au Programme Chèque-Emploi-Service (Programme CES), une travailleuse sociale s’est présentée au domicile des demandeurs afin d’évaluer les besoins de X.
- Au terme de l’évaluation, la travailleuse sociale a déterminé que X avait droit, selon des barèmes prédéfinis, à une aide à domicile de 29 heures par semaine, réparties sur 7 jours selon des périodes du jour strictement prédéterminées. Elle a informé Madame Beaudoin qu’aucune aide de nuit n’est disponible dans le cadre dudit programme.
- Une fois cette évaluation complétée, la famille a dû attendre des mois avant de pouvoir commencer à bénéficier de l’aide en question, en raison de restrictions budgétaires. On a alors expliqué à Madame Beaudoin qu’elle devait attendre que les besoins d’un autre usager cessent, afin de pouvoir éventuellement obtenir du soutien.
- Lorsque le budget est enfin devenu disponible, les demandeurs se sont alors butés à plusieurs restrictions relativement aux horaires, et ce, en dépit des besoins exprimés et constatés. En effet, les partenaires du Programme CES assurant la gestion du personnel n’arrivaient pas à trouver du personnel acceptant de se déplacer au domicile des demandeurs selon l’horaire déterminé par la travailleuse sociale, en fonction des barèmes prédéfinis du Programme CES[66]. Notamment, on devait trouver quelqu’un qui était prêt à se rendre chez la famille Beaudoin-Hayes tous les jours pour fournir de l’aide le matin pendant une période de 45 minutes. Or, tout ce que le CLSC pouvait offrir à Madame Beaudoin comme aide était un préposé qui se présentait en toute fin de journée, 4 fois par semaine.
- Devant cette situation, Madame Beaudoin a alors entrepris de se tourner vers l’autre alternative disponible en vertu du Programme CES, soit de trouver elle-même le personnel et leur verser un salaire en fonction du budget leur étant octroyé dans le cadre du Programme CES. Toutefois, le taux horaire accordé lorsque ce sont les parents qui jouent le rôle de l’employeur n’est que de 20,54$ alors que celui-ci oscille entre 36$ et 39$ de l’heure si les préposés sont embauchés directement par le CLSC.
- Incidemment, malgré ses démarches et le fait qu’elle s’engageait alors à gérer tout l’aspect administratif du Programme CES (recrutement, gestion de la paie, déclarations aux autorités fiscales, etc.), Madame Beaudoin n’a réussi à trouver qu’une seule personne prête à exécuter le travail à ce taux et seulement pour 15 à 18 heures soit beaucoup moins que les 29 heures que ce programme est censé leur accorder.
- La mère de X ajoute que cette personne ne traite toutefois pas son dossier de manière prioritaire, puisqu’elle a d’autres occupations et obligations, mais elle accepte néanmoins de garder la famille Beaudoin-Hayes comme cliente, vraisemblablement en raison de son attachement à X.
- En outre, Madame Beaudoin souligne que cette aide est strictement limitée à la période diurne, malgré les besoins de X qui se manifestent à toute heure du jour et de la nuit.
- De part et d’autre, les parties ont fait appel à des professionnels pour établir le niveau de soins requis par l’état de santé de X.
- Les demandeurs ont retenu les services de Mira Miller pour témoigner à titre d’experte[67]. Celle-ci a été reconnue comme experte en Life care planning and occupational therapy. Elle a obtenu ses certifications en Ontario, mais agit à titre d’experte à travers le Canada. Madame Miller explique qu’un Life care planner voit à développer des plans d’action pour les personnes souffrant de conditions médicales chroniques.
- Du côté du défendeur, on a choisi France Verville, une ergothérapeute inscrite à l’Ordre des ergothérapeutes du Québec depuis plus de 30 ans, pour évaluer les besoins de X[68].
- Il est nécessaire de parler du poids relatif à donner à leur témoignage respectif puisque le défendeur remet en question la force probante de l’opinion de Madame Miller en tant que Life care planner, étant donné qu’il ne s’agit pas d’un ordre professionnel reconnu au Québec.
- Rappelons que pour être qualifié comme expert sur un sujet, il suffit d'avoir des connaissances techniques, une expérience particulière dans un domaine précis ou d’être dûment enregistré à un ordre professionnel[69] :
498 - Définition de l'expert et rôle - Le témoin expert est celui qui possède une compétence spécialisée dans un secteur donné d'activité et qui a pour rôle d'éclairer le tribunal et de l'aider dans l'appréciation d'une preuve portant sur des questions scientifiques ou techniques. Cette définition atteste de l'existence des conditions préalables à la recevabilité de ce témoignage, soit la nécessité de l'expertise, la qualification et l'impartialité du témoin.
- Les articles 22 et 235 du C.c.Q. précisent que la mission de l’expert est d’éclairer le tribunal dans sa prise de décision avec objectivité, impartialité et rigueur et d’informer le tribunal de ses compétences professionnelles.
- En l’espèce, Madame Miller est une Life care planner certifiée par l’International Commission on Health Care Certification (l’ICHCC). Bien qu’il ne s’agisse pas d’un ordre reconnu au Québec soumis au Code des professions[70] ou à un Code de déontologie, les tribunaux dans le passé ont permis à des représentants de cette profession de donner leur opinion quant aux besoins et coûts des soins liés à une personne en situation de handicap principalement dans les provinces de juridiction de common law[71], mais également au Québec[72].
- Comme le prévoit l’article 2845 du C.c.Q., la force probante du rapport d’expert relève de l’appréciation du tribunal[73] :
527 - Devoir du tribunal - La valeur probante du témoignage d'un expert relève de l'appréciation du tribunal, conformément à l'article 2845 C.c.Q. celui-ci n'est pas lié par l'opinion d'un expert. Cependant, il ne peut l'écarter sans raison sérieuse, particulièrement lorsqu'elle n'est pas contredite. Il doit évaluer et peser sa déposition, s'il y a lieu, de la même manière que celle des témoins ordinaires. Ainsi, comme le relèvent les auteurs Ferland et Emery, le tribunal peut, à titre d'illustration, estimer plus probant le témoignage du médecin traitant que celui d'un expert médical neutre.
Dans l'arrêt Shawinigan Engineering Company c. Naud, la Cour suprême du Canada déclare que :
la loi ne fait aucune distinction entre les professionnels et les autres témoins. Leurs témoignages doivent être appréciés comme les autres, et le tribunal est tenu de les examiner et de les peser comme toute autre preuve faite dans la cause.
(soulignements ajoutés et références omises)
- Il appartient donc au Tribunal de statuer sur la pertinence, l’utilité, la nécessité et la valeur probante d’un rapport d’expertise de même que sur les qualifications de l’expert[74]. Autrement dit, l'étendue des qualifications n'est pas une question qui touche à l'acceptation du témoin comme expert ou à la recevabilité de l'expertise, mais plutôt à la force probante de son témoignage. Il n’existe d’ailleurs pas de règle voulant qu’on accorde une plus grande importance à un témoin expert qui est membre d’un ordre professionnel qu’à un témoin expert qui n’est pas membre d’un tel ordre.
- En somme, la valeur probante à donner au témoignage dépend de sa crédibilité, comme ce serait le cas pour un témoin ordinaire.
- Cela étant, il y a lieu d’examiner de plus près les opinions fournies par Madame Miller et Madame Verville.
- Le défendeur avance qu’en raison du peu de travail de terrain en ergothérapie et de la méthodologie suivie par Madame Miller, le poids relatif à donner à l’expertise de cette Life care planner devrait être moindre que celui de Madame Verville.
- Le Tribunal ne partage pas cette vision des choses.
- Le fait que Madame Miller n’ait pas pratiqué comme ergothérapeute au Québec et qu’elle n’ait jamais eu à travailler comme ergothérapeute avec des enfants lourdement handicapés, n’enlève rien au fait qu’elle bénéficie d’une forte expérience en Life Care Planning qui l’a menée à préparer plus de 800 rapports d’experts dans des dossiers judiciarisés, tant en demande qu’en défense.
- Il est vrai cependant que Madame Miller paraît ne pas avoir revu l’ensemble des dossiers médicaux de X comme le suggère son association. Elle s’est par ailleurs fiée sur les rapports du Dr Shevell, les faits rapportés par les parents et sur ce qu’elle a pu constater elle-même lors de ses visites au domicile de X, ainsi que sur ses propres recherches.
- Cette façon de faire, bien que s’éloignant de la méthodologie suggérée par son association, n’entache pas la qualité du travail accompli.
- Cela étant, Madame Miller explique qu’en raison de la condition de X, il est nécessaire que l’aide à domicile soit fournie par des Personnal Support Workers, soit par du personnel formé spécifiquement pour répondre aux besoins d’une personne lourdement handicapée comme X. L’experte justifie sa recommandation en raison du fait que X est non verbal et n’a pas la capacité d’exprimer clairement ses besoins, qu’il est incapable de se déplacer ou de bouger volontairement et qu’il est à risque de crises d’épilepsie[75].
- Madame Miller explique qu’en tant qu’experte appelée à se prononcer sur l’étendue des soins à fournir, elle doit déterminer si les besoins d’un enfant handicapé s’inscrivent dans le cadre des obligations parentales traditionnelles (normal parenting) ou s’ils constituent des soins extraordinaires dépassant ce cadre.
- En outre, l’experte Miller recommande de faire appel à des agences privées plutôt que d’attendre continuellement après le support du système public. Elle explique que l’avantage de faire affaire avec les agences privées consiste au fait que celles-ci s’occupent de toute l’administration relative au personnel : elles recrutent, font les entrevues, procèdent aux embauches, gèrent les horaires et s’acquittent des autres charges administratives.
- Cette recommandation de Madame Miller n’est pas remise en question par Madame Verville. Cette dernière reconnaît la difficulté d’avoir accès à de l’aide à domicile via le réseau public. Elle admet également qu’il n’existe pas d’aide à domicile de nuit via le réseau public et elle confirme qu’elle recommande toujours, lorsque les fonds sont disponibles, d’utiliser les agences privées.
- Madame Verville admet également qu’il est difficile pour une famille d’effectuer la coordination entre le Programme CES et les agences privées et que d’ailleurs, plusieurs agences privées n’acceptent pas les taux horaires du Programme CES et, en conséquence, n’offrent aucun service à ces taux.
- Madame Verville ne remet pas en question non plus le fait que X a besoin de soutien durant le jour et reconnaît que cette aide doit être offerte par une personne qualifiée[76].
- À la lumière de la preuve administrée, il est manifeste que même en tenant pour acquis qu’une aide de jour à raison de 29 heures par semaine est requise et pourrait être obtenue, cette aide est insuffisante et non adaptée aux besoins de X.
- Madame Beaudoin déclare que si la Cour accorde à sa famille une indemnité pour des soins futurs de X, elle souhaite ne plus jamais avoir recours au Programme CES. Elle ajoute qu’elle n’a tout simplement plus l’énergie pour gérer tout le volet administratif inhérent à ce programme et continuer à combler à la pièce les besoins de X qui ne sont pas couverts.
- Le Tribunal a bien saisi le désarroi et la détresse des parents face à l’ampleur de la tâche et au peu de support offert. Il s’agit d’une situation qui dépasse largement la charge normale d’un parent et ce préjudice découle de la faute du défendeur.
- Cette conclusion est conforme à l’état du droit.
- En effet, dans l’arrêt Andrews, la Cour suprême refuse la proposition que l’obligation de réparation intégrale d’un créancier soit réduite parce que les soins extraordinaires requis par l’état d’une victime pourraient être fournis gratuitement par des membres de son entourage :
Même si la mère d’Andrews avait été en mesure de prendre soin de lui chez elle, la doctrine et la jurisprudence s’accordent maintenant pour dire que les épouses et les mères dévouées qui choisissent de sacrifier leur vie à prendre soin d’un époux ou d’un enfant infirme ne doivent plus être considérées comme des infirmières bénévoles.[77]
(Soulignements ajoutés)
- Le plus haut tribunal réitère cette interprétation, dans l’arrêt Arnold c. Teno, en ces termes :
Traitons donc en premier lieu des soins futurs. Selon le rapport du Dr Prichard que j’ai cité en entier, la mineure demanderesse aura besoin de soins continuels pendant le reste de sa vie. Comme on l’a souligné devant les tribunaux d’instance inférieure, c’est la mère, Yvonne Teno, qui, au prix d’énormes sacrifices personnels, a prodigué ces soins à plein temps, à partir du moment où l’enfant a quitté l’hôpital jusqu’à la date du procès. Indubitablement, le savant juge de première instance était d’avis qu’il était matériellement impossible de laisser cette situation se perpétuer. En conséquence, il a examiné la preuve et accepté les calculs faits par les différents témoins. Ces derniers estiment que des soins à domicile, jusqu’à ce que la mineure atteigne l’âge de 19 ans, prodigués par un seul préposé, de service 24 heures sur 24, cinq jours par semaine, remplacés par des préposés se relayant en trois postes de huit heures par jour pendant les deux autres jours de la semaine, coûteraient environ $21,000 par an. Le juge Zuber a cité cette conclusion, l’a acceptée et a ajouté:
[TRADUCTION] En se fondant sur toute la preuve soumise, il serait raisonnable d’estimer que lorsque Diane atteindra l’âge adulte et s’installera chez elle, les soins à plein temps coûteront approximativement $27,000 par an.[78]
(Soulignements ajoutés)
- Dans l’arrêt PGQ c. Boyd[79], la Cour d’appel abonde dans le même sens.
- En outre, à la lumière de ce qui précède, le Tribunal ne peut que constater que les demandeurs se retrouvent exactement dans la situation à laquelle fait référence la Cour d’appel dans l’arrêt M.G. c. Pinsonneault : des délais déraisonnables pour accéder aux services du système public et une couverture partielle et insatisfaisante des besoins de la victime.
- Par conséquent, il n’y a pas lieu, dans le contexte du présent dossier, de soustraire de la valeur des soins futurs que X est en droit de réclamer, la valeur de soins qu’il pourrait obtenir auprès du CLSC, ou d’autres programmes publics, puisque ceux-ci n’ont pas été à même de répondre, ou si peu, au lourd cas de X.
- Bien qu’une revue de la doctrine et de la jurisprudence permette de constater que traditionnellement, les tribunaux ont généralement refusé de faire supporter au débiteur le choix de la victime de recevoir des soins au privé alors que ces soins étaient offerts au public, à la lumière de l’obiter de la Cour d’appel dans l’affaire M.G. c. Pinsonneault, et vu les faits très particuliers de la présente affaire, il y a lieu de donner droit à l’indemnisation de tels frais. Cette façon de faire est cohérente avec la proactivité inhérente à une bonne et diligente exécution de l’obligation de minimisation des dommages qui incombe à toute victime d’un préjudice en sus d’être en adéquation avec le principe de la réparation intégrale dans un contexte où il est fait la démonstration qu’il n’est pas possible de recevoir des soins au système public en temps utile au Québec.
- Le Tribunal accorde donc les frais reliés aux soins à domicile reliés aux activités de la vie quotidienne.
- En prenant en considération les autres moments de la journée où X est à l’école, ce qui représente une période de sept heures, cinq jours par semaine, et le fait qu’il faille déduire une durée moyenne de trois heures pour les soins prodigués par les parents, il demeure que l’aide de jour s’établit donc à deux heures pour les jours de semaine et neuf heures pour les week-ends.
5.3.2 La nécessité d’une surveillance de nuit
- Sur le thème du sommeil, le témoignage des parents ne laisse place à aucun doute sur les difficultés vécues par le couple, nuit après nuit, depuis la naissance de X. Les problématiques entourant cette période de la journée sont nombreuses.
- Le récit factuel et détaillé de Madame Beaudoin permet de saisir les nombreux défis auxquels Monsieur Hayes et elle font face durant la période nocturne et les difficultés de X de trouver le sommeil et de passer des nuits sans écueil.
- On retient que malgré le fait que X soit maintenant âgé de près de 7 ans, il ne fait toujours pas ses nuits. Les raisons sont nombreuses.
- Tout d’abord, en raison de sa paralysie cérébrale, X bouge beaucoup dans son sommeil, ce qui l’amène à s’enchevêtrer dans ses couvertures dans une position inconfortable et fait en sorte qu’il se réveille en pleurs. En effet, puisque X souffre de spasmes involontaires, il se retrouve souvent dans des positions précaires (tête sous les couvertures, déplacements dans le lit) qui peuvent l’empêcher de respirer ou qui lui causent des inconforts physiques. X étant non verbal et n’ayant aucun contrôle de ses mouvements, il est entièrement dépendant de l’intervention de ses parents pour le replacer dans son lit.
- En outre, comme il souffre également d’hypersalivation, il lui arrive souvent d’être affligé de quintes de toux qui interrompent son sommeil. Les parents doivent fréquemment aspirer ses sécrétions pour dégager ses voies respiratoires.
- À cela s’ajoute la possibilité que X puisse avoir une crise d’épilepsie. Les crises peuvent se manifester de façon aussi subtile que le clignement anormal des paupières ou un tremblement au niveau du menton.
- Lorsqu’une crise d’épilepsie survient, X doit être pris en charge immédiatement. On doit alors le transporter sur une surface plate, dégagée et sur laquelle il doit être positionné sur le côté, afin de s’assurer que tout liquide puisse s’écouler hors de sa bouche durant la crise[80]. Les parents doivent alors partir un chronomètre. Si après 5 minutes la crise n’est pas terminée, ils doivent administrer à X une médication d’urgence par le rectum (le Diastat) et communiquer avec les services d’urgence.
- Afin de les aider dans leur vigie, Madame Beaudoin et Monsieur Hayes ont installé une caméra dans la chambre de X. L’image captée est renvoyée sur un moniteur se trouvant dans la chambre des parents.
- Madame Beaudoin explique comment, de manière générale, les nuits de X se déroulent :
- X est généralement couché par l’un de ses parents autour de 18h30. Il ne s’endort qu’après avoir pris minimalement une dose de mélatonine;
- dans la première portion de la nuit, avant minuit, survient souvent un épisode de toux. À chaque fois que X tousse, sa mère ou son père doivent se lever et aller lui porter assistance. Ils s’assurent de dégager ses sécrétions, le nettoyer et le cas échéant, lui administrer des pompes. X a généralement besoin d’une heure pour se rendormir après ce premier éveil;
- dans la deuxième portion de la nuit, X se réveille une nouvelle fois. Il peut rester éveillé entre 2 et 4 heures. Lors du deuxième éveil de X, son humeur est variable: souvent il est en pleurs, parfois il est dans un état de grande agitation. L’un des deux parents reste alors à son chevet, pour tenter de le réconforter et lui permettre de se rendormir.
- La partie adverse ne nie pas que X puisse avoir de mauvaises nuits, mais plaide que cela n’est pas aussi fréquent que ne le laissent entendre les parents. On en a pour preuve certaines notes apparaissant au dossier médical de X[81].
- Les notes médicales auxquelles réfère le défendeur mentionnent en effet certaines améliorations au niveau du sommeil, mais celles-ci sont loin de faire contrepoids aux périodes de perturbations.
- C’est ce qui ressort de nombreuses notes au dossier médical de X ainsi que des échanges entre Madame Beaudoin et différents professionnels gravitant autour de X[82].
- En outre, même lors de ces apaisements dans la vie de X, ses parents doivent tout de même demeurer vigilants et continuer de veiller sur lui avec le moniteur ouvert et le volume au maximum afin de pouvoir entendre le signe avant-coureur qui leur permettra d’arriver à temps, si une crise d’épilepsie devait survenir.
- Dans le contexte de la présente affaire, Madame Miller considère que les besoins de X la nuit constituent des soins extraordinaires et qu’il serait déraisonnable pour Madame Beaudoin et Monsieur Hayes de continuer de les fournir.
- Madame Miller évalue qu’en moyenne, un parent prodigue trois heures de soins par jour. Ainsi, les soins nocturnes excèdent les obligations parentales normales ou habituelles. Pour cette raison, elle recommande, en plus de l’assistance de jour, une assistance de nuit pour X, de 18 h 30 jusqu’à 6 h 30.
- Dans le cadre de son rapport, Madame Verville, ne prévoit quant à elle aucun soin durant la nuit, soulignant au passage qu’il est de la compétence d’un médecin de faire une telle recommandation et non d’un professionnel en réadaptation[83]. Celle-ci est par ailleurs d’opinion qu’il est du rôle des parents de prendre soin de leurs enfants en dehors des heures productives de travail[84].
- Cela étant, dans le cadre de son contre-interrogatoire, Madame Verville précise à plusieurs reprises qu’elle n’est pas en mesure d’évaluer la question de l’aide la nuit non pas parce qu’elle ne croit pas que cette aide soit nécessaire, mais bien plutôt parce qu’en temps qu’ergothérapeute, elle ne s’estime pas habileté à fournir une telle opinion.
- Néanmoins, après avoir entendu les témoignages de Madame Beaudoin et de Monsieur Hayes, Madame Verville reconnaît qu’il y a effectivement un problème durant la nuit. Dans ce contexte, et devant l’épuisement des parents, elle recommande une ou deux nuits d’aide par mois et un mois de répit pendant l’été.
- En plus du rapport d’expertise de Madame Verville qui ne recommande pas les services de nuit, le Dr Michel Sylvain soutient également que la supervision nocturne n’est pas nécessaire. L’utilisation d’un système audio-vidéo pour alerter les parents en cas de crise étant suffisante, selon lui[85].
- Il reconnaît cependant qu’en cas de crise d’épilepsie, la rapidité de réaction des gens de l’entourage demeure un élément clé pour placer l’enfant adéquatement et lui administrer le médicament en temps opportun.
- À la lumière de l’ensemble de la preuve, on retient que la possibilité réelle d’une crise d’épilepsie mettant la vie de l’enfant en jeu demeure présente en tout temps, incluant la nuit.
- À ce sujet, en demeurant nuit après nuit en mode écoute, les deux parents paraissent complètement dépassés et au bout de leur rouleau.
- Non seulement Madame Beaudoin consacre tout son temps pour s’assurer que X puisse bénéficier des soins que son état requiert, jour après jour, depuis sept ans, mais en plus, une fois couché, X continue d’être au centre de ses préoccupations. Monsieur Hayes n’est pas en reste. Il demeure également alerte tout au long de la nuit et doit être en forme le lendemain matin pour aller travailler[86].
- En raison de l’ensemble de la preuve entourant le niveau de soins que requiert X durant la nuit, le Tribunal conclut qu’il y a lieu de donner droit à la demande de fournir la surveillance de nuit. Le niveau de surveillance que requiert X constitue des soins extraordinaires et il serait déraisonnable d’exiger des parents de X qu’ils continuent de les prodiguer.
- Ce préjudice découle directement de la faute commise par le Dr Jarcevic et il y a lieu de le compenser.
- Rappelons que le droit québécois interdit tout simplement au défendeur de diminuer sa responsabilité à l’égard de X en faisant reposer sur les épaules de ses parents la prestation de soins extraordinaires requise par son état.
- Dans les circonstances, il y a donc lieu de donner droit à cette partie de la demande et d’accorder le remboursement de soins de surveillance de 18h30 à 6h30, et ce, tous les jours de la semaine.
5.3.3 L’intensité des soins à donner après l’âge de 21 ans
- Précisons que les deux expertes ne remettent pas en question le fait que, même si X continue d’habiter avec ses parents après l’âge de 21 ans, ceux-ci ne devraient plus avoir à prodiguer trois heures de soins par jour.
- Dans son rapport, Madame Miller prévoit de la surveillance 24 heures sur 24, 7 jours par semaine à compter du moment où X aura atteint l’âge de 21 ans.
- De son côté, Madame Verville indique que X aura plutôt besoin d’une aide personnelle limitée puisqu’il pourrait avoir accès à des activités de loisir adapté avec transport adapté pour des périodes comparables à celles prévues par le calendrier scolaire[87]. Elle réduit donc le besoin d’aide personnelle de X de 7 heures pour les jours du calendrier scolaire où il pourrait participer à de telles activités.
- En outre, dans le cadre de son témoignage, Madame Verville fait valoir que lorsque X cessera d’aller à l’école, il pourrait intégrer une classe spécialisée.
- Questionnée sur la nature de ce service, Madame Verville explique qu’il s’agit d’un projet pilote, qui n’existait pas au moment de la rédaction de son rapport. Elle précise qu’il s’agit d’un programme en développement et ignore combien il accueillera de personnes. Elle ajoute que les parents pourraient également faire une demande auprès de l’école pour tenter d’obtenir une dérogation pour que X puisse continuer de recevoir des services, mais elle reconnaît que ce n’est pas ce que la loi prévoit.
- Le Tribunal ne retient pas cette piste de solution. L’incertitude entourant ce projet pilote pouvant accueillir X et lui fournir un environnement adéquat ne permet pas de le prendre en considération.
- En outre, X a le droit de recevoir des soins à domicile plutôt que quelque part ailleurs, par l’entremise d’un quelconque programme dont l’existence demeure incertaine.
- C’est ce qui ressort de l’extrait suivant tiré de l’œuvre de l’auteur Gardner :
342. Les soins à domicile et l’État. Le principe des soins à domicile étant admis, la bataille a été transportée sur la question des coûts réels de tels soins. Dans l’affaire Rayner précitée, les défendeurs ont tenté d’échapper à leurs obligations en plaidant l’existence d’un programme provincial gratuit de soins à domicile. Le juge Campbell refusa d’aller en ce sens, en soulignant le caractère partiel des soins offerts et l’absence de certitude quant à la pérennité du programme. La même année, la Cour suprême a adopté une position identique en rétablissant une décision de première instance.[88]
- Dans les circonstances, étant donné qu’il n’existe aucun programme gouvernemental pouvant accueillir X, et qu’un projet pilote ne représente pas le degré de prévisibilité requis pour conclure à l’existence d’un service, il y a lieu de conclure que X a le droit de recevoir une indemnité couvrant sa surveillance, 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, à compter de l’âge de 21 ans.
5.3.4 Le tarif horaire à utiliser
- Afin de déterminer le taux horaire approprié pour calculer le coût de l’aide à domicile, il y a lieu de préciser, à la lumière de la preuve, la nature de cette aide.
- Pour ce faire, il faut garder à l’esprit que l’objectif consiste à s’assurer que X recevra la qualité de soins que son état exige.
- Comme pour les soins à prodiguer le jour, Madame Miller recommande que lesdits soins soient prodigués par du personnel qualifié[89].
- Madame Verville reconnaît aussi que les besoins de X requièrent que l’aide à domicile de jour soit offerte par un préposé ou un auxiliaire de santé[90]. Toutefois, elle s’éloigne de cette recommandation durant la nuit, étant plutôt d’avis que des soins de gardiennage devraient suffire.
- À la lumière de l’ensemble des problèmes de santé de X et plus particulièrement en raison des risques entourant sa condition épileptique et les problèmes de sécrétions, le Tribunal préfère l’opinion de l’experte Miller qui reflète, plus justement, la réalité de la famille. Ainsi, toutes les heures d’aide à domicile requises par X doivent être fournies par du personnel qualifié.
- Cette solution est conforme à ce qui a été retenu par la Cour supérieure de l’Ontario dans un dossier de responsabilité ayant laissé l’enfant avec une paralysie cérébrale :
[304] Dr. Karen Smith (physical and rehabilitation medicine) testified on behalf of the Defendants. Her proposal is that Melissa’s parents should provide eight hours of care per day, a further eight hours would be provided by a personal service worker (PSW) and the remaining eight hours would be provided by a registered practical nurse (RPN). In my view, this is not good enough. First of all, as aforesaid, there is no legal basis upon which to impose this burden on Melissa’s parents, even though that they have and probably will continue to provide whatever care and comfort they are able to give her. Secondly, given Melissa’s physical problems, the caregiver must, at least, possess the qualifications of an RPN registered practical nurse.[91]
(Soulignements ajoutés)
- Cela étant, il faut maintenant déterminer, à la lumière de la preuve, quel est le taux horaire raisonnable de ce personnel qualifié.
- L’auteur Gardner s’exprime ainsi à ce sujet :
348. Lignes directrices. Que ce soit en droit commun ou dans les régimes étatiques d’indemnisation, deux règles de base devraient gouverner l’octroi d’une indemnité (ou d’un remboursement) pour les frais et débours engagés par la victime d’un préjudice corporel. D’une part, la dépense doit avoir été rendue nécessaire par la survenance de l’accident; c’est la question du lien de causalité. D’autre part, la victime doit éviter de réclamer des sommes trop élevées par rapport à celles qu’une personne raisonnable aurait choisi d’engager dans une situation semblable; c’est la question de l’aggravation du préjudice, qui ne peut être mise à la charge du responsable de l’accident.
350. Autres frais et débours indemnisables. De façon générale, seront accordés tous les frais et débours rendus nécessaires par la conduite fautive du défendeur, pourvu qu’ils soient raisonnables et prouvés à la satisfaction du tribunal.[92]
(Soulignements ajoutés)
- Les deux expertes recommandent de faire appel à des agences privées.
- Madame Miller avance que ce taux horaire devrait être de 46,85$, taxes incluses[93].
- La défense tente de miner la crédibilité des démarches effectuées par Madame Miller à ce sujet, en soulevant le fait que l’agence consultée n’offre pas de services à Québec.
- Lors de son réinterrogatoire, Madame Miller affirme qu’après avoir entendu le témoignage de Madame Verville, elle a à nouveau communiqué avec l’agence en question qui lui a confirmé qu’à l’heure actuelle, aucune équipe n’est mobilisée à Québec, mais que si une demande en ce sens lui était faite, l’agence était capable de constituer une équipe pour offrir des services 24h/24.
- Par ailleurs, en ce qui a trait au taux horaire exigé par l’agence privée, Madame Miller fait valoir que les deux agences consultées facturent un taux horaire oscillant entre 38$ et 40$ plus taxes, ce qui n’est pas très différent de celui rapporté par Madame Verville, qui est de 35,41$ plus taxes. Les deux expertes expliquent que ces taux, bien que paraissant élevés, sont le résultat de la hausse de la demande et d’un exode du personnel depuis la pandémie.
- Dans les circonstances, le Tribunal conclut qu’il est raisonnable de faire une moyenne des taux fournis par les deux expertes et de retenir le taux de 37,20$ de l’heure, plus les taxes applicables.
5.3.5 Les équipements spécialisés et les services professionnels auxquels X a droit
Équipements spécialisés
- Madame Beaudoin fait également état des importants délais et des dédales administratifs pour l’obtention d’équipement essentiel à la condition de X.
- Elle donne l’exemple concret de la nécessité d’obtenir un siège de bain adapté (splashy) permettant de laver X dans la dignité malgré sa condition. Elle n’a pu obtenir ce siège qu’après des démarches laborieuses découlant de problèmes administratifs qui l’ont amené à porter plainte[94].
- Madame Beaudoin explique également comment elle doit s’y prendre pour obtenir quelque équipement que ce soit pour répondre aux besoins de X, dans le cadre du Programme AVQ-AVD. Tout se fait par demandes écrites et celles-ci font l’objet d’un va-et-vient entre le centre de réadaptation et le CLSC. L’ensemble des demandes reçues, pour quelque type de clientèle que ce soit, reçoit une cote de priorité.
- La mère de X constate que les demandes d’un enfant handicapé, comme son fils, entrent en compétition avec les demandes de personnes âgées dont on souhaite le maintien à domicile.
- Le récit de Madame Beaudoin permet de comprendre que toute demande pour l’obtention d’une pièce d’équipement spécialisé constitue un combat. Les efforts déployés pour obtenir un fauteuil adapté dépassent le caractère raisonnable. La lourdeur du système et le roulement de personnel rendent la tâche très difficile pour les proches aidants.
- Le défendeur plaide, quant à lui, qu’avec les services offerts par l’IRDPQ et les différents programmes gouvernementaux pour l’octroi d’équipements spécialisés, l’ensemble des besoins de X sont couverts et le demeureront dans le futur.
- Madame Verville reconnaît par ailleurs l’existence de certains retards pour obtenir les équipements spécialisés. Elle fait valoir toutefois que les délais sont surtout vécus au début, mais que ceux-ci tendent à s’amenuiser une fois que le bénéficiaire est intégré dans le système. Elle énumère de manière exhaustive une série de programmes gouvernementaux offrant non seulement ce type de produit, mais également le service d’évaluation des besoins. En outre, elle soutient qu’il n’existe pas d’autres spécialistes qui pourraient fournir de tels services.
- Malgré cette énumération exhaustive, la preuve administrée démontre le manque d’efficacité de ces programmes et les délais déraisonnables pour obtenir les services en question. Dans ce contexte, le Tribunal conclut qu’il y a lieu d’inclure ces dépenses dans les dommages de X, sans appliquer la subrogation légale.
Services professionnels
- Il n’est pas nié que pour l’heure, X reçoit des soins via l’IRDPQ dans son milieu scolaire, toutefois Madame Beaudoin soutient qu’il pourrait y en avoir plus. La mère de X fait valoir qu’aucun plan personnalisé n’a été confectionné pour répondre aux besoins de X. En outre, comme les éducateurs spécialisés qui travaillent à l’école ont plusieurs enfants à leur charge, les soins offerts à X sont sous-optimaux.
- Madame Miller appuie la demande des parents de X et avance que l’enfant a besoin de services de différents professionnels pour répondre à l’ensemble de ses besoins, maximiser sa qualité de vie et prévenir une détérioration de sa condition. Selon elle, de tels services seront requis tout au long de la vie de X. Elle précise que bien que X puisse bénéficier de certains services lorsqu’il est à l’école, il demeure que des interventions additionnelles sont et seront requises afin de répondre à l’ensemble de ses besoins et maintenir une régularité et une fréquence que ne peut assurer le cadre scolaire ou les programmes gouvernementaux disponibles[95].
- Le défendeur fait tout d’abord valoir que Madame Miller ne peut témoigner sur ce sujet puisqu’elle n’est pas une experte dans chacun des domaines spécifiques. En outre, il souligne que personne dans l’équipe traitante de X ne recommande un tel niveau de services.
- Par ailleurs, le Dr Jarcevic, par l’entremise du témoignage de Madame Verville, soutient qu’avec les services offerts par l’IRDPQ et les différents programmes gouvernementaux l’ensemble des besoins de X sont couverts et le demeureront dans le futur.
- En outre, Madame Verville explique que les services reçus de l’IRDPQ sont complets et ne se limitent pas à la situation de X à l’école. Elle a par ailleurs expliqué que la quantité d’heures de services professionnels est supérieure à l’âge de la petite enfance, mais que par la suite les services sont davantage de maintien puisque les personnes souffrant de paralysie cérébrale comme X atteignent un plateau.
- En ce qui concerne la recevabilité du témoignage de Madame Miller sur cet aspect de la preuve, le Tribunal ne partage pas l’opinion du défendeur.
- Madame Miller a été reconnue comme experte en Life care planning et cette spécialité porte justement sur la détermination des besoins multidisciplinaires dont une personne handicapée a besoin. Il y a donc lieu de recevoir cette partie de son témoignage.
- Cela étant, le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas lieu de donner droit à cette partie de la réclamation. Les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve. Leur demande paraît être l’expression de parents qui souhaitent décrocher la lune pour leur enfant. Ce comportement est compréhensible, mais ne correspond pas à un besoin réel constaté par l’équipe traitante de X.
- Les dossiers de X ne font pas état d’un quelconque manquement au niveau de son développement. Sur ce point, le témoignage de Madame Verville paraît plus que conforme à la réalité de X.
5.3.6 Les coûts d’adaptation du domicile
- Madame Miller soutient que des coûts de 350 000$ sont nécessaires pour adapter le domicile[96].
- En défense, on fait valoir que la famille bénéficie de l’aide du programme d’adaptation du domicile offert par la Société d’habitation du Québec (SHQ).
- Madame Beaudoin affirme qu’elle et son conjoint avaient décidé de ne pas adapter leur domicile parce qu’ils ne souhaitaient pas voir leur salon éventré et que les coûts du programme n’étaient pas suffisants pour couvrir les coûts d’adaptation. Elle reconnaît en être arrivée à cette conclusion, croyant que la somme octroyée était de $12 000 à $16 000$. Elle réalise aujourd’hui que, selon les recommandations formulées par l’ergothérapeute mandatée par la SHQ, ils pourraient bénéficier d’une somme de $50 000.
- Contrairement à l’identification des soins requis pour X, le Tribunal considère que la preuve du coût des aménagements à apporter à la maison familiale ne constitue pas une preuve prépondérante sur laquelle il est possible de se fier. De plus, l’absence de démarche concrète auprès de la SHQ pour adapter la maison, ne permet pas d’en faire abstraction.
- En outre, bien que Madame Miller possède une vaste expertise à titre de Life Care Planner et qu’elle a, dans le cadre de ses nombreux rapports, procédé à plusieurs évaluations de maisons devant être adaptées, il demeure que pour le Tribunal, cet exercice d’approximation ne convainc pas. Il ne tient pas compte des particularités de cette maison et des exigences en matière de structure.
- Par conséquent, il n’y a pas lieu de donner suite à cette conclusion.
Calculs actualisés en date du jugement
- À la suite de suggestions formulées par les procureurs des parties dans le cours du procès, le Tribunal, dans le cadre d’une courte réouverture d’enquête, a transmis aux parties, le 11 novembre 2024, les conclusions auxquelles il arrivait, sans par ailleurs fournir une copie de son jugement, afin que les experts puissent effectuer de nouveaux calculs et actualiser les montants, le cas échéant.
- À la suite de la transmission des calculs effectués par M. Perreault, M. Guertin a analysé le tout et formulé certaines réserves[97].
- Après avoir été invitées par le Tribunal à indiquer si cela constituait l’ensemble de leurs représentations, le 26 novembre 2024, les parties ont déclaré que c’était le cas[98].
- Dans les circonstances, on retient des échanges entre les experts que M. Guertin critique le fait que M. Perreault calcule des taxes sur le taux horaire fourni par le Tribunal.
- Il ne s’agit pas d’une erreur puisque c’est la conclusion à laquelle le Tribunal arrive et cela ressort autant du rapport de Madame Miller que celui de Madame Verville.
- Dans les circonstances, le Tribunal conclut que la valeur actualisée des soins futurs pour X s’élève à 8 451 095$.
● La discussion
- Il n’est pas contesté que X ne pourra jamais travailler, et ce, en raison des importantes séquelles résultant de la faute commise par le Dr Jarcevic.
- Les deux parties ont retenu les services d’actuaires pour évaluer la perte des revenus futurs de X, soit Julien Perreault, pour les demandeurs et Denis Guertin, pour le défendeur.
- Le raisonnement suivi par les deux experts repose sur les mêmes prémisses. Ils ont tous deux pris en compte le fait que les parents de X sont détenteurs d’un diplôme universitaire. Toutefois, leur opinion respective diverge sur l’utilisation des hypothèses.
- Monsieur Perreault fait ses calculs en considérant les revenus d’emploi moyens des personnes avec des études universitaires. Au soutien de cette position, il réfère à un document de recherche de Statistiques Canada qui y conclut que dans l’hypothèse où les parents d’un garçon ont tous les deux fait des études universitaires, le taux de participation à des études universitaires est de l’ordre de 57,3 %[99]. Pour les fins de ses calculs, il utilise donc la balance des probabilités.
- Pour sa part, Monsieur Guertin ajoute à cette statistique le fait que 42,7 % des personnes dont les deux parents ont fait des études universitaires n’en compléteront pas eux-mêmes. Ainsi, il utilise un salaire pour X correspondant à 57,3 % des salaires moyens des Québécois détenant un diplôme universitaire plus 42,7 % des salaires moyens des Québécois n’en détenant pas[100].
- En suivant la méthodologie avancée par les demandeurs, il faut conclure que X avait 57,3 % de chances de faire des études universitaires sur la base d’une seule étude statistique et d’un seul élément factuel, soit le fait que les deux parents ont fait des études universitaires.
- Cette façon de faire paraît moins précise que celle où on tient compte de toutes les possibilités de parcours académiques des enfants de parents ayant fait des études universitaires.
- Dans les circonstances, le Tribunal préfère la méthode de calcul de l’actuaire Guertin.
- En outre, les experts utilisent des pourcentages différents pour le calcul des avantages sociaux. Monsieur Perreault retient un taux de 6% tandis que Monsieur Guertin est d’avis qu’il faut plutôt retenir 4 % parce qu’il ne faut pas inclure, dans le présent dossier, la partie portant sur le coût de l’assurance invalidité.
- Le Tribunal retient également le raisonnement suivi par l’expert Guertin, pour la détermination du coût des avantages sociaux.
Calculs actualisés en date du jugement
- Suivant les calculs actualisés effectués dans le cadre de la courte réouverture d’enquête décrite ci-haut, le Tribunal conclut que la valeur de la perte de revenus futurs de X s’élève à 1 019 909$.
● Le droit applicable
- Cette question soulève deux situations distinctes.
- Il y a une situation où des frais médicaux ont effectivement été encourus, mais qui ne fait pas l’objet d’une preuve documentaire et celle où aucuns frais n’ont été encourus parce qu’un proche a offert ces soins.
- En ce qui concerne le premier angle, soit celui où des frais ont été encourus sans toutefois s’être manégé une preuve documentaire, il est possible d’accorder, sur la foi d’une preuve testimoniale, un montant qui soit raisonnable et lié à des soins requis par la condition de la victime[101].
- S’il s’agit d’une dépense ponctuelle ou limitée, le tribunal accorde souvent le poste de réclamation demandé en s’autorisant du simple témoignage de la victime[102]. Si le montant est plus important, le tribunal peut devoir recourir à une méthode plus objective. C’est dans ce cas de figure que s’inscrit la décision Lavoie c. Stein[103] qui est citée dans l’ouvrage de Baudouin, Deslauriers et Moore[104] :
[135] Pour les coûts passés, M. Lavoie a produit une série de factures de divers débours qui totalisent 48 009,92 $. Ces factures ne représentent qu’une partie de la totalité des coûts réellement encourus par M. Lavoie. Ce ne sont que les factures qu’il a réussi à produire au Tribunal.
[136] Par ailleurs, il n’est pas contesté que M. Lavoie a bénéficié de subventions du ministère de la Santé et des Services sociaux à raison d’environ 4 500 $ par année pour ses médicaments.
[137] Le Tribunal n’a donc pas une preuve détaillée qui lui permet d’évaluer les dépenses encourues par M. Lavoie. Cependant, il serait inéquitable d’évaluer que les coûts qu’il a réellement prouvés, alors qu’il n’est pas contesté que sa condition requiert des soins et des médicaments importants.
[138] En s’inspirant des besoins qui ont été identifiés par [l’experte] Mme Lacroix aux pages 15 et 16 de son rapport, le Tribunal évalue, de façon minimaliste, les besoins annuels de M. Lavoie à 12 182 $, selon le détail suivant :
• aide à la préparation de repas (0.5/j – 15 $/h)...........2 732,00 $
• aide pour entretien léger (1.5 h/semaine – 15 $/h)........1 170,00 $
• aide pour entretien lourd (28 h/année – 15 $/h)...........420,00 $
• entretien gazon, neige, etc.........................1 000,00 $
• médication non assurée (30 $/mois)..................360,00 $
• produits pour vidange de la vessie/intestins 11 000 $ moins subvention du ministère de la Santé et des Services sociaux de 4 500 $ 6 500,00 $
• TOTAL......................................12 182,00 $
[139] Ainsi, pendant 9 ans, M. Lavoie a encouru, au minimum, des coûts de l’ordre [de] 109 638 $.[105]
- L’autre angle qui découle de cette question vise les situations où aucuns frais n’ont été encourus, parce que les soins concernés ont été prodigués par un proche aidant agissant bénévolement. L’enjeu ici en est un de causalité et non simplement de preuve des dommages, puisqu’en l’absence d’un déboursé de la victime, on peut avancer que ce n’est pas cette dernière qui, à strictement parler, subit une perte[106], mais plutôt le proche aidant qui doit investir temps et efforts dans les soins.
- La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que de tels soins gratuits peuvent être indemnisés[107], généralement au chapitre des dommages pécuniaires[108].
- L’auteur Gardner note, à la lumière de la jurisprudence à ce sujet, que les indemnités qui dépassent 60 000$ paraissent exceptionnelles. Pourtant, précise-t-il, il y aurait lieu d’appliquer les mêmes critères d’évaluation pour ces dommages que ceux dégagés pour fixer le coût des dépenses extraordinaires futures accordées à la victime immédiate: niveau de soins requis, application d'un taux horaire raisonnable, durée de l'indemnisation, prise en compte des aléas de la vie[109].
- Enfin, comme l’écrit Gardner, il importe que les réclamations présentées simultanément par la victime et par son proche aidant ne mènent pas à une double indemnisation[110].
● La discussion
- En l’espèce, Madame Beaudoin et Monsieur Hayes réclament, à titre de tuteurs à leur fils X, la somme de 424 087 $ pour les biens et services passés prodigués à leur fils. Ce montant représente essentiellement le temps consacré auprès de X pour la période allant du moment où l’enfant avait 6 mois jusqu’au 22 septembre 2020, soit la date retenue par l’expert retenu par les demandeurs[111].
- Le défendeur s’oppose à cette réclamation au motif que le fondement juridique pour réclamer des dépenses qui n’ont pas été réellement engagées est ténu. Il ajoute que X n’a pas l’intérêt juridique pour réclamer des dommages non pécuniaires liés aux inconvénients subis personnellement par ses parents[112].
- La question de l’intérêt juridique de X est, dans les circonstances, un débat circulaire, considérant que son droit aux dommages-intérêts n’est pas atténué par le fait qu’il a reçu le service gratuit de tiers non subrogés dans ses droits[113] et qu’à tout événement, ses parents sont eux-mêmes partis à l’instance en leur qualité personnelle.
- L’enjeu entourant les soins passés en est également un de causalité et non simplement de preuve des dommages, puisqu’en l’absence d’un déboursé de la victime, on pourrait avancer que ce n’est pas cette dernière qui, à strictement parler, subit une perte[114], mais plutôt le proche aidant qui doit investir temps et efforts dans les soins.
- En l’espèce, la réclamation de 424 087$ des demandeurs à titre de tuteurs à leur fils X pour les « soins passés » correspond en l’espèce au temps et aux efforts qu’ils ont investis eux-mêmes bénévolement pour leur fils.
- Dans les circonstances, il n’y a pas lieu d’accorder la somme réclamée au bénéfice de X, mais le Tribunal traitera plus à fond du bien-fondé de la réclamation dans le cadre de la question portant sur l’aide et l’assistance extraordinaires pour laquelle les parents réclament respectivement une somme de 400 000$.
● Le droit applicable
- L’indemnisation des pertes non pécuniaires sert à fournir une consolation raisonnable. C’est en ces termes que la plus haute Cour du Canada traite cette question :
La troisième, l’approche «fonctionnelle», adopte le point de vue individuel de la deuxième approche, mais au lieu de tenter d’évaluer en termes monétaires la perte des agréments de la vie, elle vise à fixer une indemnité suffisante pour fournir à la victime «une consolation raisonnable pour ses malheurs». Le terme «consolation» n’a pas ici le sens de sympathie, mais il désigne plutôt certains moyens matériels de rendre la vie de la victime plus supportable. À mon avis, cette dernière conception est la plus valable en ce qu’elle justifie l’indemnisation monétaire de pertes non pécuniaires, comme la perte des agréments de la vie, les souffrances physiques et morales et la diminution de l’espérance de vie. L’argent servira donc à compenser, de la seule manière possible, la perte subie, puisqu’il faut accepter le fait que cette perte ne peut en aucune façon être réparée directement.
(…) Si l’on considère l’indemnisation des pertes non pécuniaires selon la conception «fonctionnelle», il va de soi qu’on ne peut allouer un montant élevé à la victime qui a été convenablement indemnisée, en termes de soins futurs, pour ses blessures et son invalidité. Les sommes allouées pour les soins futurs assureront à la victime l’aide, l’équipement et les installations rendus nécessaires par ses blessures. Toute somme additionnelle visant à rendre la vie plus supportable est alors consacrée à d’autres moyens matériels plus généraux d’organiser la vie de la victime. Le concept d’indemnisation sous ses divers aspects repose ainsi sur des principes équilibrés et interdépendants et il en résulte une justification plus logique de l’indemnisation des pertes non pécuniaires.[115]
(Soulignements ajoutés)
- Comme le rappelait le juge Dickson dans ce même arrêt, les dommages-intérêts ne visent pas à indemniser intégralement les pertes non pécuniaires :
Le bonheur et la vie n’ont pas de prix. L’évaluation monétaire des pertes non pécuniaires est plus un exercice philosophique et social qu’un exercice juridique ou logique. L’indemnité doit être équitable et raisonnable, l’équité étant mesurée à l’aide des décisions antérieures; mais l’indemnité est aussi nécessairement arbitraire ou conventionnelle. Le préjudice n’est pas intégralement réparable en argent. L’argent permet d’obtenir les soins nécessaires et c’est pourquoi j’estime que la préoccupation majeure des tribunaux, en matière d’indemnisation du préjudice corporel, doit être de s’assurer que la victime sera en mesure d’obtenir ces soins dans l’avenir. [116]
(Soulignements ajoutés)
- Toujours, selon le juge Dickson, en cette matière, la modération est de mise. Il ne doit pas y avoir de disparités dans les indemnités accordées à titre de dommages non pécuniaires à travers les juridictions canadiennes[117].
- En 1995, la Cour suprême du Canada a réitéré le plafond des dommages non pécuniaires, ajusté en fonction de l’inflation, qu’elle a qualifiée de règle de droit en refusant de le majorer[118].
● La discussion
- En l’espèce, Dr Jarcevic reconnaît que X a droit au maximum du montant pouvant être accordé.
- Le Tribunal se permet d’ajouter néanmoins qu’il en serait venu à la même vu les tragiques circonstances de la présente affaire.
- Ce montant de dommages non pécuniaires doit s’évaluer en prenant comme base de calcul le plafond fixé par la Cour suprême du Canada pour les pertes de ce genre[119] indexé à la date de la demande introductive auquel doivent s’ajouter l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle depuis cette date.
Actualisation des calculs en date du jugement
- Suivant les calculs actualisés effectués dans le cadre de la courte réouverture d’enquête décrite ci-haut, le Tribunal conclut que les dommages non pécuniaires de X se chiffre à 390 028$ en date de l’introduction de la demande.
● Le droit applicable
- Comme expliqué par la Cour suprême dans l’arrêt Townsend[120], le montant de l’indemnité accordée au titre des coûts futurs est en fait inférieur aux coûts projetés, car on tient pour acquis que la somme reçue sera placée et produira des revenus avant d’être utilisée pour combler les besoins futurs.
- Puisque le montant de l’indemnité forfaitaire se trouve réduit en raison du fait qu’il tient compte de la valeur actuelle de l’argent et de l’inflation, il est crucial que ce montant soit correctement investi, administré, déboursé et surveillé.
- Dans les dossiers de préjudice corporel, des frais de gestion sont accordés lorsqu’il est démontré que la victime est incapable d’administrer une somme forfaitaire obtenue pour compenser ses pertes.
- La provision pour impôts représente quant à elle le montant qui est accordé pour compenser l’impôt qui sera payé sur les intérêts de placement générés sur la somme forfaitaire octroyée.
- L’arrêt de principe en cette matière prévoit :
1 LA JUGE DESCHAMPS — Les questions dont traite le présent pourvoi sont fréquemment soulevées dans les affaires de préjudice corporel de grande envergure. Ces questions portent sur les honoraires pour services de gestion et la majoration pour impôt accordé aux victimes dans les poursuites en responsabilité civile délictuelle. (…)
5 L’indemnisation vise à replacer la victime dans la situation où elle se trouverait, n’eût été la perte subie. L’indemnisation prend la forme d’une somme forfaitaire. Le montant de l’indemnité accordée au titre des coûts futurs est en fait inférieur aux coûts projetés, car on tient pour acquis que la somme reçue sera placée et produira des revenus avant d’être utilisée pour combler les besoins futurs. Le même raisonnement s’applique à la perte de revenus futurs. La somme accordée à la victime au titre du revenu est inférieure au revenu qu’elle aurait réellement gagné plus tard. En d’autres termes, on réduit ces sommes pour qu’elles correspondent à la valeur actualisée des dépenses qui seront engagées ou des revenus qui seraient gagnés à une date ultérieure, en tenant compte des rajustements requis relativement à l’inflation. (…)
6 Le même raisonnement guide l’attribution des honoraires pour services de gestion et de la majoration pour impôt. Le droit vise à garantir que les sommes accordées aux victimes ne soient pas dévalorisées au fil du temps. En droit de la responsabilité civile délictuelle, les victimes de préjudices corporels se voient accorder des honoraires pour services de gestion lorsque leur capacité de gérer la somme reçue est diminuée en raison de la conduite délictuelle. Cette partie de l’indemnité vise à garantir que la somme accordée aux victimes au titre des soins futurs ne s’épuisera pas prématurément en raison de leur incapacité à gérer leurs affaires. L’aide nécessaire peut être plus ou moins importante selon les besoins des victimes. L’évaluation est effectuée suivant les faits propres à chaque espèce : […]. De même, comme les revenus générés par le capital accordé sont assujettis à l’impôt sur le revenu, on accorde une somme, appelée « majoration pour impôt », afin que l’impôt à payer n’érode pas le capital.[121]
(soulignements ajoutés)
● La discussion
- En l’espèce, il n’est pas contesté par le défendeur que X ne jouit pas et qu’il ne jouira jamais des capacités intellectuelles nécessaires pour administrer les montants d’indemnités octroyés par la Cour.
- La gestion d’un capital de plusieurs millions obtenus soudainement va bien au-delà des obligations parentales normales qui incombent aux parents d’un enfant[122]. On ne peut faire supporter les risques liés à l’investissement de sommes d’argent significatives sur les parents d’un enfant lourdement handicapé.
- Dans les circonstances, il y a lieu de donner droit à la provision pour frais de gestion pour X, au montant à être établi par les actuaires en fonction du montant total qui sera octroyé suivant le présent jugement.
- En ce qui concerne la provision pour impôts, X y a également droit. Cela est conforme avec la jurisprudence sur ce sujet[123].
- Enfin, considérant la nature de ce dommage, il y a lieu de faire courir le calcul de l’intérêt légal et de l’indemnité additionnelle à compter du présent jugement.
Actualisations des calculs en date du jugement
- Suivant les calculs actualisés effectués dans le cadre de la courte réouverture d’enquête décrite ci-haut, l’expert des demandeurs conclut que la provision pour frais de gestion s’élève à 1 255 346$. L’expert du défendeur n’est pas d’accord avec ce chiffre, mais ne fournit pas de détails pour expliquer sa divergence d’opinions.
- Dans les circonstances, le Tribunal se déclare satisfait du calcul effectué par les demandeurs et conclut que la provision pour frais de gestion s’élève à 1 255 346$.
- En ce qui concerne la provision pour impôt, vu les opinions concordantes des experts, et vu les conclusions précédentes, le Tribunal retient le calcul de M. Perreault et conclut que celle-ci s’établit à 691 317$.
● Le droit applicable
- Le préjudice futur dont parle l’alinéa 2 de l’article 1611 C.c.Q. n’a pas à être d’une certitude absolue ou scientifique[124]. Le degré de certitude recherché est celui de la certitude relative et de la probabilité[125].
- Comme le rappelle l’auteur Gardner, les pertes salariales futures subies par les parents d’une victime d’une faute sont indemnisables[126].
- Dans M.G. c. Pinsonneault[127], la Cour d’appel cite avec approbation les propos du professeur Claude Masse voulant que le législateur n’exige pas ici une certitude absolue, mais une probabilité sérieuse que le préjudice apparaisse selon l’évolution normale des choses ou d’une vie.
● La discussion
- Ce point comporte plusieurs sous-questions.
- Il convient tout d’abord d’établir la perte de gains préalablement à la présente demande introductive d’instance. Puis, il faut examiner la question de manière prospective et se demander quelle aurait été la trajectoire de carrière de Madame Beaudoin, n’eut été la faute de Dr Jarcevic. Enfin, il y a lieu de déterminer si Madame Beaudoin a une capacité de gains résiduelle.
- Comme mentionné ci-haut, chaque partie a retenu les services d’un actuaire pour calculer les différents préjudices dont les pertes de revenus de Madame Beaudoin : Monsieur Perreault, pour les demandeurs et Monsieur Guertin pour le défendeur.
- Monsieur Perreault produit un premier rapport actuariel, en date du 6 juin 2022, dans lequel il évalue les pertes de revenus de Madame Beaudoin pour le passé à 272 212$ et pour le futur, à 15 639 363$[128]. Son évaluation s’effectue à la date introductive d’instance, soit le 22 septembre 2020. Au moment où il signe son rapport, il fournit également le calcul de l’intérêt légal et de l’indemnité additionnelle.
- Monsieur Guertin signe quant à lui un rapport daté du 17 mars 2023 dans lequel il conclut que les pertes de gains passées de Madame Beaudoin s’élèvent à 602 292$[129] et celles pour le futur à 3 246 131$[130]. Ses calculs sont effectués en date du 6 juin 2022[131].
- Les deux actuaires produisent des mises à jour de leur rapport dans lesquelles ils effectuent des calculs actualisés et commentent les façons de faire de l’autre expert[132].
- Outre la date à laquelle ce chef de réclamation doit être évalué et la détermination de l’existence d’une capacité de gains résiduelle, les parties reconnaissent que Madame Beaudoin a droit à des dommages représentant sa perte salariale.
- Pour les fins du présent jugement, le Tribunal retient que les pertes de revenus passés doivent être déterminées en date du présent jugement. L’intérêt légal et l’indemnité additionnelle s’ajouteront à ce montant à compter de la date de la demande introductive d’instance.
Actualisation des calculs en date du jugement
- Suivant les calculs effectués dans le cadre de la courte réouverture d’enquête décrite ci-haut, le Tribunal conclut que les pertes salariales pour le passé s’élèvent 272 212$.
- Les prémisses fournies par chacune des parties à leur actuaire respectif diffèrent grandement, ce qui explique la grande disparité entre leurs évaluations des pertes.
- Rappelons que Monsieur Perreault évalue qu’à ce chapitre, Madame Beaudoin aurait droit à 15 639 363$[133] tandis que Monsieur Guertin estime que cette perte s’élève à 3 246 131$[134].
• Le parcours professionnel de Madame Beaudoin
- Pour les fins de la détermination de ce montant, Madame Beaudoin allègue qu’en raison de son parcours, il est plus probable qu’elle serait devenue une associée en équité au sein du grand cabinet d’avocat (le Cabinet) pour lequel elle travaillait depuis ses années universitaires que le contraire.
- En défense, on plaide la position inverse, soit qu’il y plus de chance que Madame Beaudoin aurait quitté le Cabinet et qu’en conséquence, il faut plutôt retenir, pour les fins de calculs de cette question, le salaire moyen d’un avocat au Québec.
- Pour trancher cette question, on doit faire appel à la preuve par présomption.
- À cet égard, le Tribunal fait siens les propos de l’auteure Piché[135]:
Valeur probante - Selon l'article 2849 C.c.Q., «les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes». Cette discrétion judiciaire n'est donc pas absolue. Le législateur a ainsi codifié des critères qui étaient déjà retenus par les tribunaux. Dans l'arrêt Longpré c. Thériault, Monsieur le Juge Lamer déclara ce qui suit:
Pour conclure ainsi, j'ai fait mienne la notion qu'avait Larombière de la norme qui s'applique en l'espèce et qu'il énonça ainsi dans son traité des obligations. Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l'existence de l'un établit, par une induction puissante, l'existence de l'autre [...].
Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S'il était également possible d'en tirer les conséquences différentes et même contraires, d'en inférer l'existence de faits divers et contradictoires, les présomptions n'auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute et l'incertitude.
Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu'il s'agit de prouver [...] Si [...] elles se contredisent [...] et se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l'esprit du magistrat.
Pour la Cour d'appel, l'analyse de l'article 2849 C.c.Q. se fait en deux étapes distinctes:
La première, établir les faits indiciels. Dans cette première étape, le juge doit, selon la balance des probabilités, retenir de la preuve certains faits qu'il estime prouvés. Dans une deuxième étape, il doit examiner si les faits prouvés et connus l'amènent à conclure, par une induction puissante, que le fait inconnu est démontré.
De plus, le tribunal doit se poser trois questions:
1. Le rapport entre les faits connus et le fait inconnu permettent-ils, par induction puissante, de conclure à l'existence de ce dernier?
2. Est-il également possible d'en tirer des conséquences différentes ou même contraires? Si c'est le cas, le fardeau n'est pas rencontré.
3. Est-ce que dans leur ensemble, les faits connus tendent à établir directement et précisément le fait inconnu?
Une présomption de fait ne peut être déduite d'une pure hypothèse, de la spéculation, de vagues soupçons ou de simples conjectures. Le fait inconnu qu'un plaideur veut établir ne sera pas prouvé, si les faits connus rendent plus ou moins vraisemblable un autre fait incompatible avec celui que l'on veut prouver ou s'ils ne permettent pas d'exclure raisonnablement une autre cause d'un dommage subi. En cette matière, il n'y a pas de renversement du fardeau de la preuve. Les indices connus doivent rendre probable l'existence du fait inconnu, et non seulement possible, et sans qu'il soit nécessaire toutefois d'exclure toute autre possibilité. Le fardeau de preuve par présomption ne requiert pas de dégager une certitude scientifique ou absolue.
Alors que les tribunaux estimaient traditionnellement qu'une Cour d'appel était aussi bien placée qu'un juge de première instance pour tirer une inférence de faits prouvés, les cours d'appel sont maintenant tenues à une plus grande retenue qui les appelle à intervenir uniquement en cas d'erreur manifeste et déterminante.
(Soulignements ajoutés)
- Comme base factuelle non contestée, on retient que Madame Beaudoin termine son baccalauréat en droit avec une moyenne cumulative de 3,92 sur 4,30[136].
- Dans le cadre du programme Coop de l’Université de Sherbrooke, Madame Beaudoin effectue 4 stages auprès du Cabinet situé à Montréal. Puis, elle présente sa candidature pour un poste dans le cadre de la course au stage et sa candidature est retenue. Il importe de noter que Madame Beaudoin n’a offert ses services que dans ce seul bureau.
- Cette dernière explique que dès ses débuts au sein du Cabinet, elle est sollicitée par plusieurs associés pour fournir des opinions juridiques dans des dossiers d’envergure complexes, faisant souvent l’objet d’une grande attention médiatique.
- La lecture de quelques évaluations et de son plan de carrière permet de constater une progression constante[137].
- Madame Beaudoin fait valoir également qu’avant de partir en congé de maternité, elle avait consacré en une seule année plus de 100 heures au développement des affaires en participant à de multiples événements. En outre, elle était déjà responsable de 48 dossiers et faisait partie de l’équipe stratégique d’intervention du Cabinet. Dans son plan de carrière, elle indiquait spécifiquement vouloir obtenir une position lui permettant d’avoir des relations avec les clients.
- Elle explique qu’au fil des années, sa pratique l’a mené graduellement vers le litige en droit bancaire, en droit de la faillite et de l’insolvabilité. C’est dans ce contexte qu’elle est alors appelée à collaborer de manière plus intense avec l’associé responsable du groupe exerçant en litige bancaire.
- Celui-ci est venu témoigner relativement au travail de Madame Beaudoin et aux chances de cette dernière d’accéder au statut d’associée en équité.
- Cet associé cumule plus de 30 ans d’expérience comme avocat pratiquant principalement dans le domaine de l’insolvabilité et du droit bancaire. Il a pratiqué dans d’importants bureaux d’avocats de Montréal et est associé du présent cabinet depuis février 2014. Il a siégé au conseil d’administration de cette firme en 2018-2019.
- Cet avocat sénior témoigne qu’au fil de sa carrière, il a été appelé à travailler de façon étroite avec une vingtaine de jeunes avocats sous sa supervision.
- Il affirme être un patron exigeant, puisqu’il a développé avec le temps une grande clientèle qu’il souhaite servir en offrant un travail rapide et de hautes qualités. Dans ce contexte, il cherche à s’entourer de jeunes avocats en qui il voit un potentiel à long terme qui sauront répondre à ses standards.
- Madame Beaudoin a été l’une de ses jeunes avocates avec qui il a travaillé durant quelques années.
- Il affirme que cette dernière a démontré des aptitudes extraordinaires et qu’en moins de deux ans, elle est devenue une ressource incontournable pour l’équipe de droit bancaire. En outre, il souligne à quel point le travail de Madame Beaudoin était apprécié de tous.
- Cet avocat explique également que Madame Beaudoin a rapidement pris la place de l’avocate qui la précédait et qu’au bout de quelques mois, elle a pris en charge une partie du travail généré par un de ses clients les plus importants. Il souligne à quel point la prise en charge d’un client institutionnel était une tâche difficile, puisque les personnes contacts étaient souvent d’anciens banquiers ou d’anciens avocats pouvant exercer beaucoup de pression.
- Il affirme en outre que Madame Beaudoin a su faire preuve de la fermeté nécessaire à relever ce défi avec brio et gagné la confiance du client.
- Enfin, il témoigne qu’il lui a été difficile de trouver quelqu’un pour remplacer Madame Beaudoin suivant le départ de cette dernière.
- Un autre associé du cabinet vient témoigner. Celui-ci a agi à titre d’associé directeur de 2019 à 2023 et est membre du comité exécutif depuis plus de 20 ans.
- Cet ancien associé directeur affirme que le Cabinet est particulièrement sélectif dans son processus de recrutement de jeunes avocats : dans le cadre de la course aux stages, le Cabinet reçoit en moyenne 500 curriculum vitae, pour ne retenir qu’entre 5 ou 6 candidats. Madame Beaudoin était l’un d’entre eux.
- Voilà donc le portrait du parcours de Madame Beaudoin avant son départ en congé de maternité.
• Les probabilités que Madame Beaudoin atteigne le statut d’associé en équité
- En ce qui concerne les capacités et les probabilités de Madame Beaudoin d’accéder à la société en équité du Cabinet, les demandeurs font entendre les mêmes témoins.
- Tout d’abord, Madame Beaudoin précise que lorsqu’elle tombe enceinte, elle opte pour le congé de maternité court dans l’optique de revenir rapidement au travail.
- Celle-ci soutient que ses aspirations professionnelles à son retour de son congé de maternité étaient claires : elle voulait prendre de plus en plus de responsabilités pour continuer à monter dans la hiérarchie du bureau et devenir associée : moi, je voulais faire ce que mes mentors faisaient.
- Malheureusement, les choses ne se déroulent pas comme elle l’avait souhaité. Elle convertit donc son congé de maternité par la version longue, puis elle tombe en congé de maladie en raison d’un diagnostic de dépression. Elle reçoit alors des prestations d’invalidité.
- Au moment où les prestations d’invalidité de courte durée prennent fin, l’assureur convie Madame Beaudoin à se présenter chez un psychiatre pour vérifier si la dépression est toujours présente, mais celle-ci décline l’offre puisque selon elle, elle était rétablie de sa dépression, même si les tâches pour s’occuper de X demeuraient tout aussi énormes.
- C’est dans ce contexte qu’elle remet sa démission auprès de son employeur.
- L’associé responsable du groupe de litige bancaire affirme que Madame Beaudoin représentait une valeur sûre. Il la voyait devenir associée au sein du Cabinet après sept ou huit ans de pratique. Son confrère abonde dans le même sens.
- À titre d’ancien associé directeur, ce dernier explique tout d’abord ce que le Cabinet attend d’un avocat avec 4 années d’ancienneté. Il précise que la société n’a aucune attente particulière à l’égard du développement de clientèle. Ce qui importe cependant, c’est que l’avocat soit intelligent, intègre et débrouillard: toutes des qualités que Madame Beaudoin possède.
- Ce dernier poursuit son témoignage en précisant qu’au sein du Cabinet, il n’est pas obligatoire qu’un associé possède sa propre clientèle. En effet, il affirme que sur les 87 associés actuels de la firme, seulement une vingtaine d’entre eux génère la vaste majorité de la clientèle (« rain makers »). Les autres associés peuvent soit servir la clientèle existante, soit agir comme experts dans leur domaine de pratique.
- Il déclare également que de plus en plus, son cabinet représente des clients institutionnels qui n’appartiennent plus nécessairement à « un » associé, mais bien plutôt à la firme.
- En défense, on tente d’attaquer la crédibilité de Madame Beaudoin[138] et la dépeindre comme une personne socialement anxieuse et n’ayant pas d’aptitudes en développement de la clientèle, mais sans succès.
- Le Tribunal ne constate aucune faille quant à la crédibilité de Madame Beaudoin. Son témoignage était nuancé, sincère et authentique.
- Quant à ses habiletés sociales et professionnelles, tant le témoignage de Madame Beaudoin que celui de l’associé responsable du groupe en litige bancaire ainsi que la preuve documentaire démontrent que Madame Beaudoin était une avocate déterminée et capable de gérer un niveau de pression élevé.
- Le fait que Madame Beaudoin ait pu verbaliser à son thérapeute que la pratique du droit ne lui manquait pas ne permet pas de mettre de côté qu’elle avait, avant le drame entourant la naissance de X, les qualités et les aptitudes nécessaires pour espérer gravir les échelons du Cabinet[139].
- La défense soutient qu’en raison du fait que Madame Beaudoin n’avait pas de clients et qu’elle n’avait pas d’intérêt pour développer sa clientèle, il est improbable qu’elle soit devenue associée en équité au sein du Cabinet.
- À la lumière des témoignages de deux associés du Cabinet ainsi que celui de Madame Beaudoin, cette théorie n’est pas fondée.
- Cela étant, la preuve documentaire émanant du Cabinet démontre qu’un avocat qui gravit les échelons accède normalement au statut d’associé délégué avant sa 10e année de Barreau[140]. Le statut d’associé délégué est un statut de transition vers celui d’associé en équité[141].
- Madame Beaudoin étant un Barreau 2012, elle serait donc devenue éligible au statut d’associée déléguée à partir de l’année 2019-2020.
- La preuve démontre également que :
- pour la promotion 2020, 15 candidats étaient admissibles au statut d’associé délégué. Ils ont tous été nommés[142];
- Pour la promotion 2021, sept candidats étaient admissibles au statut d’associé délégué. Six d’entre eux ont été nommés[143];
- Pour la promotion 2022, trois candidats étaient admissibles au statut d’associé délégué. Ils ont tous été nommés[144];
- Même si le statut d’associé délégué n’a été créé qu’il y a cinq ans, l’ancien associé directeur affirme qu’il est exceptionnel qu’un associé délégué demeure dans ce poste sans ne jamais être nommé associé en équité. On apprend en outre qu’une des avocates ayant été embauchée au même moment que Madame Beaudoin est aujourd’hui associée en équité au sein du Cabinet.
- Dans le cadre de son interrogatoire, l’ancien associé directeur explique avoir fait des démarches avant l’audition afin de connaître le cheminement professionnel des avocats qui faisaient partie de la même cohorte que celle de Madame Beaudoin. Il déclare que ses recherches lui ont permis de constater qu’un seul d’entre eux a quitté la profession pour aller en politique, que cinq pratiquent toujours en cabinet privé et qu’un autre pratique pour une grande institution financière.
- Lors de son contre-interrogatoire, celui-ci a eu l’opportunité de parler des politiques entourant l’accession des femmes au titre d’associé en équité. On retient de sa réponse que le Cabinet pratique une politique d’équité en ce domaine. Malgré le fait qu’il ne lui était pas possible de spécifier le pourcentage exact d’associées au sein du Cabinet, il confirme qu’en 2024, le Cabinet est composé à plus de 68% de femmes.
- En dépit de cette preuve, le défendeur soutient qu’il est plus probable que Madame Beaudoin aurait quitté le Cabinet en 2022 et qu’elle aurait par la suite gagné le salaire moyen d’une avocate travaillant à temps plein au Québec.
- Au soutien de cette affirmation, il plaide que les statistiques fournies par le Cabinet démontrent que ce n’est qu’un nombre restreint d’avocats qui accèdent au poste d’associé en équité dans le département de litige[145]. En outre, il n’y a présentement qu’un seul associé en équité dans le département dans lequel évoluait Madame Beaudoin. Enfin, un seul des sept avocats de la cohorte de Madame Beaudoin pratique toujours au sein du Cabinet comme associé en équité.
- Dans ce contexte, le défendeur invite le Tribunal à conclure que le parcours de Madame Beaudoin n’aurait pas suivi la trajectoire mise de l’avant par les demandeurs, mais plutôt celle d’un avocat se situant dans la moyenne québécoise.
- Ainsi, l’expert Guertin soutient que la détermination de la perte de revenus futurs de Madame Beaudoin devrait être effectuée sur la base du salaire moyen d’un avocat au Québec, soit 149 900$[146].
- À la lumière de la preuve, l’affirmation du défendeur selon laquelle Madame Beaudoin aurait quitté le Cabinet en 2022, à la veille de devenir associée, paraît moins probable. En outre, l’hypothèse de calcul du défendeur apparaît plutôt réductrice vu le cheminement de carrière de Madame Beaudoin et considérant qu’au moment où celle-ci part en congé de maternité, en 2017, elle faisait déjà près de 120 000$ par année[147].
- Par conséquent, considérant le parcours académique et le cheminement de carrière de Madame Beaudoin jusqu’à son départ pour son congé de maternité, le Tribunal conclut que les demandeurs démontrent par une induction puissante que Madame Beaudoin aurait continué de gravir les échelons jusqu’à devenir une associée déléguée en 2022 et une associée en équité en 2024.
• L’évaluation des pertes de revenus
- Il y a lieu maintenant de déterminer quels auraient été les revenus de Madame Beaudoin.
- Les demandeurs administrent une preuve du quantum des pertes salariales futures de Madame Beaudoin en s’appuyant sur les données salariales internes du Cabinet et sur le rapport de l’actuaire Perreault, lesquelles sont produites sous pli confidentiel.
- Cette preuve démontre que Madame Beaudoin aurait gagné les salaires annuels suivants à titre d’avocate au sein du cabinet : [...] (2018); [...] (2019); [...] (2020) et [...] (2021)[148].
- Sur la base de ces informations, l’actuaire Perreault calcule, par extrapolation, que le salaire annuel de Madame Beaudoin à titre d’avocate auprès du Cabinet en 2022 aurait été de [...][149].
- En outre, en 2022, les salaires des associés délégués du Cabinet, ayant entre 8 et 10 ans de Barreau, étaient [...][150].
- Sur la base de ces chiffres, l’actuaire des demandeurs retient comme salaire moyen d’un associé délégué au sein du Cabinet, le montant de [...].
- Finalement, en vertu des calculs de Monsieur Perreault, la rémunération annuelle moyenne des associés en équité du cabinet exerçant en litige en 2021, pour la région de Montréal, est de [...][151]. C’est avec cette donnée que l’actuaire calcule les pertes de revenus. Afin de prendre en considération l’atteinte graduelle de ce salaire et pour éviter toute surindemnisation, l’actuaire Perreault prévoit une progression linéaire sur une période de 10 ans.
- En outre, l’expert actualise toutes les pertes salariales futures de Madame Beaudoin afin de respecter les prescriptions de l’article 1614 C.c.Q.
- Ainsi, selon les demandeurs, les pertes salariales futures de Madame Beaudoin, actualisées et incluant les avantages sociaux perdus, s’élèvent à 15 639 363$[152].
- Le défendeur plaide que la moyenne retenue par l’expert Perreault ne devrait pas être suivie parce qu’on y voit là la rémunération de deux associés qui est beaucoup plus élevée que les autres, ce qui tire la moyenne vers le haut. En outre, il souligne que la médiane ne devrait pas non plus être retenue, considérant que l’échantillon (sept associés en équité) est trop petit pour donner une valeur représentative.
- Le Tribunal est d’accord avec les remarques du défendeur et considère que la preuve des pertes futures doit être pondérée.
- En effet, l’ancien associé directeur du cabinet indique qu'en gros, il situerait le salaire moyen d’un associé en équité à [...][153], quoique selon lui, ce chiffre demeure conservateur[154].
- À la lumière de la preuve, des remarques de l’expert Guertin et du témoignage de l’ancien associé directeur du Cabinet, il apparaît qu’une rémunération moyenne de 500 000$ à compter de l’année 2024 constitue le chiffre à retenir pour les fins du calcul de la perte de gains futurs de Madame Beaudoin, soit le moment où Madame Beaudoin serait devenue éligible à accéder au statut d’associé en équité.
- Maintenant, précisons que la perte de gains doit prendre en considération une retraite à l’âge de 65 ans, comme l’ont retenu les deux experts dans leur rapport.
- Actualisation des calculs en date du jugement
- Suivant les calculs actualisés effectués dans le cadre de la courte réouverture d’enquête décrite ci-haut, M. Perreault détermine que les pertes salariales futures actualisées de Madame Beaudoin s’élèvent à 9 839 989$.
- M. Guertin soulève trois éléments qui devraient, selon lui, réduire ce montant.
- Tout d’abord, il critique le fait que le pourcentage utilisé par M. Perreault pour les avantages sociaux ne devrait pas être pris en compte puisque celui-ci ne faisait pas partie de paramètres fournis par le Tribunal.
- À cet égard, le Tribunal note que dans le cadre du rapport produit au dossier de la Cour, un pourcentage, bien que différent, est utilisé[155]. Les paramètres fournis par le Tribunal n’ont rien changé à ce sujet, mais il y a lieu d’appliquer le bon taux en fonction des revenus annuels retenus, soit 1,5% plutôt que 0,7% pour les revenus suggérés.
- Par ailleurs, M. Guertin soulève également que des déductions supplémentaires devraient être prises en compte dans la détermination des pertes salariales futures. Ainsi, il est d’avis qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la cotisation de l’employeur au Régime de rentes du Québec et il recommande de déduire la valeur d’un congé de maternité d’une année en raison de l’arrivée d’un deuxième enfant au sein de la famille.
- En raison du fait que le Tribunal arrive à la conclusion que Madame Beaudoin serait devenue associée en équité en 2024, la prise en compte de la cotisation de l’employeur au RRQ à compter de ce moment n’est pas justifiée. Il y a donc lieu de déduire d’un montant de 81 400$ la somme établie par M. Perreault, comme le suggère M. Guertin.
- Enfin, le Tribunal ne retient pas la déduction pour le congé de maternité puisqu’aucune preuve n’a été administrée à ce sujet.
- Ainsi, la perte de revenus futurs de Madame Beaudoin s’élève à 9 758 589$.
5.8.3 La capacité résiduelle de gains
- Madame Beaudoin déclare ne pas pouvoir retourner sur le marché du travail et estime qu’il est complètement illusoire et déraisonnable d’exiger une telle chose de sa part.
- Selon Madame Beaudoin, la condition de X, malgré toute l’aide qu’on pourrait lui offrir, demeure une préoccupation de tous les instants. C’est elle qui voit à coordonner l’ensemble des rendez-vous, des déplacements et des achats requis par la condition de l’enfant. Si X fait une crise d’épilepsie ou qu’il s’étouffe, même si elle a de l’aide, elle devra néanmoins intervenir et aller à l’hôpital.
- Elle ne sait pas comment elle pourrait conjuguer un emploi avec les enjeux que la condition de X apporte.
- En outre, la condition de X implique beaucoup plus qu’une aide physique ou de surveillance dans son milieu naturel. Elle nécessite une implication constante d’une personne ayant les intérêts de X à cœur, dans des sphères qui vont bien au-delà de la vie quotidienne.
- En effet, X étant incapable de prendre quelque décision que ce soit pour son bien-être, tant au niveau du médical, de la réadaptation, de l’éducation, de la médication que de l’alimentation, elle doit être à même de prendre ces décisions pour lui.
- Cela implique des déplacements et une participation aux rendez-vous médicaux et avec les professionnels offrant du soutien à X[156], de la recherche d’équipements adaptés, des communications avec les intervenants impliqués dans la vie de X et un travail de coordination entre ceux-ci.
- Toutes ces démarches, cet investissement de temps et ces prises de décisions continueront d’exister et demeureront nécessaires pour le bien-être de X, même en présence d’une aide personnelle.
- Le défendeur soutient quant à lui que puisque Madame Beaudoin en a la capacité, elle se doit de retourner sur le marché du travail et reprendre un emploi dans le domaine du droit. Il reconnaît cependant que ce travail ne pourra être qu’à temps partiel, soit 4 jours par semaine[157].
- Madame Beaudoin répond que même si on concluait à une capacité de gains résiduelle, il lui serait impossible de travailler comme avocate en litige, à temps partiel.
- À cet égard, précisons que cette possibilité de travail à temps partiel a été abordée avec les témoins de l’ancien employeur de Madame Beaudoin et ceux-ci ont confirmé que le travail à temps partiel n’était pas une option au sein de leur cabinet.
- En outre, l’ancien associé directeur a témoigné qu’il n’existe aucune politique au sein du cabinet permettant à un avocat de travailler à temps partiel. Il a expliqué que cette formule ne permettrait pas à un avocat de gérer adéquatement les dossiers et de respecter les délais rapides exigés par la profession. Par ailleurs, il a précisé qu’en 30 ans de carrière, il n’a jamais vu un avocat retourner à la pratique du droit après 7 ans d’absence.
- Les demandeurs ont également fait appel à Madame Miller pour témoigner sur ce sujet.
- Toutefois, le défendeur a formulé une objection faisant valoir que l’experte ne pouvait témoigner sur ce sujet étant donné qu’elle n’en avait pas traité dans son rapport et que de toute manière cet aspect de la demande déborde son champ de compétence.
- Le Tribunal a pris cette objection sous réserve et a entendu le témoignage de Madame Miller à ce propos.
- L’objection est rejetée.
- Le défendeur sait depuis le début que Madame Beaudoin fait valoir qu’elle est incapable de retourner au travail. D’ailleurs, l’actuaire Guertin traite de ce sujet dans son rapport daté du 17 mars 2023[158].
- En outre, le défendeur ne peut plaider qu’il est pris par surprise puisque les articles produits le 13 mars 2024 au soutien du rapport de Madame Miller portent sur cette thématique.
- Le fait que Madame Miller commente une situation à la lumière de témoignages de faits et ajoute d’une certaine manière aux conclusions de son rapport relève du devoir de l’expert d’éclairer le Tribunal.
- Madame Miller avance que, selon son expérience, le fait qu’un enfant soit multihandicapé implique souvent que l’un des parents ne retournera pas travailler après sa naissance. Dans la vaste majorité des cas qu’elle a observés, la mère abandonne sa carrière pour prendre soin de son enfant.
- Elle a de plus souligné le grand impact émotionnel lié au fait de vivre avec un enfant lourdement handicapé, fait en sorte qu’il est extrêmement difficile pour un parent de se concentrer sur son occupation professionnelle.
- Cette situation n’est pas sans rappeler les conclusions tirées par le juge Riordan, dans l’affaire Liss c. Watters[159].
[296] It is important to understand Marcy's career path up until Jacob's birth, at which time she was 33 years old. She has two Master's degrees, including an MBA. She was a marketing specialist working with investment firms and had moved up the ladder to a point where she was earning a salary of around $151,283 in 2002 (Exhibit P-13B-2). It was her intention to take a four-month maternity leave and return to work full time. She and Andrew planned a second child and expected to follow the same procedure. She wanted and expected to work "into her sixties".
(…)
[301] The positions of the parties after that date are diametrically opposed. Marcy takes the position that she should not be expected to work for financial gain ever again, arguing that her job is to care for Jacob and that this is a full-time occupation. Defendants maintain that, with the excellent nursing care and other services that will be provided as a result of this judgment, she could and should return to work immediately, and full time.
[302] With respect, the Court cannot imagine how, during Jacob's life, this woman could return full-time to the type of high-powered job she formerly held, no matter how fine the services she is able to afford. She is a most devoted mother, directing a great portion of her energy and time to Jacob's needs. It is true that not all people would be so devoted, but that is to her credit and she should not be penalized financially for fulfilling her parental role in such a laudatory fashion.
(Soulignements ajoutés)
- Dans les circonstances de la présente affaire, le Tribunal conclut que Madame Beaudoin n’a pas l’obligation de mitiger ses dommages en retournant sur le marché du travail puisque X demeure totalement dépendant de ses parents et que c’est Madame Beaudoin qui a abandonné sa carrière pour s’occuper de lui. Exiger que cette mère retourne sur le marché du travail à titre d’avocate n’est tout simplement pas possible. Elle ne doit pas être pénalisée pour remplir son rôle de parent dévoué.
- Comme mentionné ci-haut, dans la section portant sur l’évaluation des dommages non pécuniaires de X, il faut rechercher ce qui apparaît raisonnable, équitable et juste par rapport aux jugements antérieurs des tribunaux.
- Selon les demandeurs, Madame Beaudoin a droit à 250 000$ tandis que le défendeur plaide qu’une somme de 200 000$ paraît plus raisonnable.
- Les deux parties ont soumis un corpus de jurisprudence pour soutenir leur position respective.
- Le tableau fourni par le défendeur fait état des montants accordés par les tribunaux pour des dommages non pécuniaires de la victime d’un préjudice corporel et à ses parents. On remarque de ce tableau que les dommages non pécuniaires accordés aux parents de la victime sont généralement largement inférieurs à ceux octroyés à la victime elle-même, ce qui se comprend aisément puisque c’est la victime qui subit les conséquences les plus importantes de la faute du défendeur[160].
- En l’espèce, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’accorder un montant de 250 000$ à Madame Beaudoin à titre de dommages non pécuniaires. Voici pourquoi.
- La vie de Madame Beaudoin a complètement basculé le jour de la naissance de X, le [...] 2017. Ce qui aurait dû être l’événement le plus heureux de sa vie a tourné au cauchemar.
- Madame Beaudoin restera marquée à jamais de l’accouchement de X.
- Elle a témoigné en détail et avec aplomb sur les heures qui ont précédé la naissance de X et plus particulièrement durant la dernière heure avant d’être transportée de manière urgente au bloc opératoire pour y subir une césarienne.
- Une fois X extirpé de son ventre, Madame Beaudoin ne l’entendait pas pleurer. Elle se souvient du choc qu’elle a eu lorsque, couchée sur la table d’opération, elle a tourné la tête pour entrevoir X dans les mains du personnel médical : il était complètement bleu. Un médecin lui a alors dit que son bébé n’allait vraiment pas bien.
- X a été transféré d’urgence à l’hôpital Sainte-Justine, sans qu’elle ne puisse ni le voir ni le prendre. Il y est demeuré pendant plusieurs semaines, couché dans une tente d’hypothermie sur un petit matelas.
- Dans les premières semaines qui ont suivi la naissance de X, un médecin a mentionné à Madame Beaudoin que l’implication des parents serait extrêmement importante, puisque le développement de X était directement lié à la stimulation qu’il recevrait.
- À partir de ce moment, Madame Beaudoin a tout donné pour que X ait la meilleure vie possible, malgré sa condition. Le point central de la vie de Madame Beaudoin est devenu de répondre aux besoins de son enfant lourdement handicapé.
- Ainsi, depuis sept ans maintenant, la vie de Madame Beaudoin est entièrement dédiée aux besoins de X.
- Jour après jour, elle prépare sa nourriture, l’habille, le déshabille, le lave, lui brosse les dents, change ses couches, l’amène à la toilette, lui donne les autres soins d’hygiène, s’occupe de ses repositionnements et le transporte. Ses nuits sont également très hypothéquées par le fait qu’elle doit demeurer vigilante pour répondre aux besoins de X.
- Malgré le fait qu’elle partage ces tâches nocturnes avec Monsieur Hayes, il ne fait aucun doute que Madame Beaudoin demeure dévouée à X, à chaque instant.
- En plus de devoir s’occuper de X au quotidien, Madame Beaudoin gère également l’organisation de ses services scolaires et de réadaptation, embauche et coordonne le personnel offrant l’aide à domicile et synchronise tous ses rendez-vous médicaux.
- Après la naissance de X, Madame Beaudoin et Monsieur Hayes ont vendu leur maison de Montréal, puisqu’il était trop difficile de transporter X sur 3 étages. La nécessité d’acquérir un bungalow devenait évidente. Il fallait par ailleurs prendre en considération la proximité avec les services médicaux, de réadaptation et scolaires.
- Les moyens financiers de la famille Beaudoin-Hayes étant limités par le fait que Madame Beaudoin ne travaillait désormais plus, la famille a déménagé à Québec, seul endroit où elle a pu trouver une maison abordable convenant aux besoins de X.
- Ce faisant, Madame Beaudoin s’est isolée de tous ses repères, de toute sa vie d’avant. Ses cercles sociaux sont quasi inexistants.
- Elle explique que cette distanciation s’est faite graduellement. En raison du fait qu’elle éprouvait énormément de tristesse, elle s’est peu à peu éloignée pour ne pas imposer la lourdeur de son quotidien à ses proches. Elle comprend aujourd’hui qu’il s’agissait assurément d’un moyen pour elle de se protéger et de ne pas être confrontée à la réalité des membres de son entourage qui continuaient de s’épanouir dans leurs vies personnelles et professionnelles.
- Sa détresse conjuguée à l’aide extraordinaire constante qu’elle procure à X l’a fait sombrer dans une profonde dépression pour laquelle elle a dû consulter et être médicamentée[161].
- En outre, sa vie intime avec son conjoint a été bouleversée. La dernière fois que Monsieur Hayes et elle ont eu un souper de couple au restaurant remonte à l’été 2022, il y a bientôt 2 ans. Et, la dernière fois qu’ils ont effectué un voyage date d’avant la naissance de X, en 2016, il y a maintenant 8 ans.
- Le Tribunal a été à même de constater le désarroi de Madame Beaudoin ainsi que celui du couple.
- Dans une affaire où les faits peuvent s’apparenter à ceux de la présente affaire, en 1984, on a octroyé un montant de 60 000$ à la mère, ce qui représente aujourd’hui un montant de plus de 296 000$[162].
- Il est vrai par ailleurs que peu de jugements ont octroyé des sommes aussi considérables. Néanmoins, dans les circonstances très particulières de la présente affaire, reconnaissant que l’exercice auquel se livre le Tribunal est loin d’être une science exacte et qu’il ne s’agit pas non plus de suivre un barème établi par des jugements précédents, il y a lieu d’octroyer le montant réclamé de 250 000$ qui représente une indemnité équitable pour Madame Beaudoin.
- Tout comme Madame Beaudoin, Monsieur Hayes a livré un témoignage hautement crédible, authentique et sincère.
- Il a expliqué qu’avant la naissance de X, il partageait une vie épanouie avec Madame Beaudoin et poursuivait une carrière exigeante, mais passionnante, dans le domaine de la finance, plus particulièrement des régimes de retraite.
- Monsieur Hayes a témoigné que le jour de la naissance de X le hante encore et le hantera pour toujours.
- Il se souvient d’avoir accompagné en courant la civière transportant Madame Beaudoin jusqu’au bloc opératoire. L’image de Madame Beaudoin en train de pleurer, vomir et en panique, demeure vive.
- Il se revoit au bloc opératoire lorsque, sous les regards d’une rangée de résidents alignés le long du mur, X a été sorti du ventre de Madame Beaudoin, complètement bleu.
- Aujourd’hui il affirme qu’une bonne nuit de sommeil, ça n’existe pas. Après bientôt sept ans de surveillance nocturne, il se dit complètement exténué. L’entièreté de la vie familiale est consacrée à prendre soin de X.
- Selon Monsieur Hayes, sa conjointe et lui mènent une vie de pure abnégation de leurs propres vies. Comme Madame Beaudoin, il a perdu ses amis, ses cercles sociaux, ses repères.
- Il relate également les raisons qui l’ont empêché de conserver son emploi dans le domaine de la finance, en dépit du fait que ce travail le stimulait grandement. Les horaires de travail et le temps passé à l’extérieur de la maison alors que les besoins de X demeuraient entiers ont eu raison de cette carrière. Il s’est depuis tourné vers l’informatique, sans y trouver une quelconque passion.
- Monsieur Hayes est actuellement en dépression majeure. Le stress aigu et chronique engendré par la condition de X l’a mené au bout du rouleau[163].
- Il témoigne avec émotion et sincérité comment il lui est difficile d’accepter qu’il ne pourra jamais avoir une conversation avec son fils, qu’il ne pourra jamais jouer aux échecs avec lui, qu’il ne pourra jamais effectuer d’excursion dans la nature et qu’il n’entendra jamais son fils lui dire je t’aime.
- Tout comme pour Madame Beaudoin, il est difficile d’imaginer, pour le parent d’un enfant victime d’une erreur médicale, une situation pire que celle de Monsieur Hayes.
- Pour toutes ces raisons, la réclamation de Monsieur Hayes de 200 000 $ à titre de dommages moraux est tout à fait appropriée.
L’évaluation des dommages au bénéfice des deux parents:
- Il n’y a pas lieu de reprendre ce qui a déjà été dit dans la section des réclamations de X portant sur les soins passés, où le cadre juridique d’une telle demande a déjà été traité.
- Retenons que la jurisprudence reconnaît depuis longtemps que des soins gratuits peuvent être indemnisés.
- Il découle de l’arrêt Kysen inc. c. Boucher[164] que pour accorder des dommages sur une période précédant le procès, le tribunal doit être convaincu a posteriori, selon la balance des probabilités, qu’une perte a été réellement subie, et non simplement anticipée depuis une date antérieure.
- La méthode d’évaluation exposée par l’auteur Gardner consiste à établir les soins prodigués requis par la condition de la victime, puis, dans la mesure où ils dépassent le niveau de soins ordinaires attendus d’un parent envers son enfant, établir leur durée et y appliquer un taux horaire raisonnable.
- Pour arriver à leur réclamation, les demandeurs s’appuient sur le rapport de Madame Miller. L’experte évalue le coût des soins prodigués par les parents depuis le moment où Madame Beaudoin devait retourner sur le marché du travail jusqu’à la date introductive d’instance. Madame Miller retient que de l’âge de 6 mois jusqu’à ce que X fasse son entrée à la garderie, en septembre 2021, l’enfant a nécessité 21 heures de soins par jour étant donné qu’un parent avec un enfant ne requérant pas de soins particuliers, dédie trois heures par jour. Puis, à partir du moment où X intègre la garderie, elle enlève sept heures supplémentaires par jour.
- L’actuaire Perreault évalue ces services à 424 087$.
- Le Tribunal est conscient que l’évaluation de Madame Miller, chiffrée par l’expert Perreault, s’inscrit dans le cadre de l’évaluation des dommages de X, mais dans la mesure où les parents font également des demandes pour aide et assistance extraordinaire, il y a lieu de suivre le même raisonnement.
- Soulignons que Monsieur Hayes, contrairement à sa conjointe, est demeuré au travail de telle sorte qu’on doit tenir compte de ce fait dans l’évaluation de cette réclamation.
- En ce qui concerne Madame Beaudoin, le Tribunal indemnise déjà la demanderesse pour sa perte complète de salaire depuis la naissance de X jusqu’au jugement et pour le reste de la durée de vie de l’enfant.
- Les soins passés sont donc en partie compensés par l’indemnité accordée pour perte de salaire, mais on doit également conclure qu’une somme supplémentaire doit être accordée pour le temps et les efforts mis par les parents à s’occuper de leur fils dépassent les heures de travail.
- Pour la détermination de ce montant, le Tribunal prend en considération que les parents auraient ou ont été à l’extérieur du domicile entre 10 et 12 heures par jour, au travail. Dans ce contexte, le Tribunal estime qu’il y a lieu d'indemniser pour la période au-delà de laquelle ces parents n’étaient pas au travail. En outre, il faut déduire une période de 3 heures correspondant à la moyenne de temps consacré par un parent d’un enfant ne requérant pas de soins particuliers.
- En raison de ce qui précède, en utilisant un taux horaire de 21$ de l’heure, soit celui retenu par Monsieur Perreault et en retenant une dizaine d’heures par jour, pour les jours de semaine et 21 heures pour les jours de week-end, le Tribunal estime qu’un montant de 75 000$ pour chaque parent correspond à une juste compensation.
- Ce montant correspond à la valeur des soins depuis que X a 6 mois jusqu’à la date du présent jugement. À ce montant il faut ajouter l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle depuis la demande introductive d’instance, soit le 6 juin 2020.
6. CONCLUSIONS
- ACCUEILLE en partie la demande introductive d’instance re-re-modifiée en date du 16 avril 2024;
- DÉCLARE que l’espérance de vie de X est de 45 ans;
- DÉCLARE que le nombre d’heures de soins jusqu’à l’âge de 21 ans est de 14 heures par jour durant les jours de semaine;
- DÉCLARE que le nombre d’heures de soins jusqu’à l’âge de 21 ans est de 21 heures par jour les samedis et dimanches;
- DÉCLARE que le nombre d’heures de soins à compter de l’âge de 21 ans est de 24 heures par jour;
- DÉCLARE que X est en droit de recevoir des soins de nuit;
- DÉCLARE que le taux horaire pour ces soins est de 37,20$ plus les taxes applicables;
- DÉCLARE que X est en droit de se faire rembourser les équipements spécialisés requis en raison de sa condition médicale;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Caroline Beaudoin et Jean-Michel Hayes, en leur qualité de tuteurs à leur fils X, à titre de soins futurs, la somme de 8 451 095$ avec l’intérêt légal et l'indemnité additionnelle à compter de la date d’assignation;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Caroline Beaudoin et Jean-Michel Hayes, en leur qualité de tuteurs à leur fils X, à titre de revenus futurs, la somme de1 019 909$ avec l’intérêt légal et indemnité additionnelle à compter de la date d’assignation;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Caroline Beaudoin et Jean-Michel Hayes, en leur qualité de tuteurs à leur fils X, à titre de dommages non pécuniaires, la somme de 390 028$ avec l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle à compter de la date d’assignation;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Caroline Beaudoin et Jean-Michel Hayes, en leur qualité de tuteurs à leur fils X, à titre de frais de gestion la somme de 1 255 346$ avec l’intérêt légal et indemnité additionnelle à compter du présent jugement;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Caroline Beaudoin et Jean-Michel Hayes, en leur qualité de tuteurs à leur fils X, à titre de provisions pour impôts, la somme de 691 317$ avec l’intérêt légal et l'indemnité additionnelle à compter du présent jugement;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Caroline Beaudoin, à titre de perte de revenus passés, la somme de 272 212$ avec l’intérêt légal et l’intérêt additionnel à compter de la date d’assignation;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Caroline Beaudoin, à titre de dommages pour perte de revenus futurs, la somme de 9 758 589$ avec l’intérêt légal et l’intérêt additionnel à compter de la date d’assignation;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Caroline Beaudoin, à titre de dommages non pécuniaires, la somme de 250 000$ avec l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle à compter de la date d’assignation;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Jean-Michel Hayes, à titre de dommages non pécuniaires la somme de 200 000$ avec l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle à compter de la date d’assignation;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Caroline Beaudoin la somme de 75 000$, à titre de dommages pour les soins passés, avec l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle à compter du 6 juin 2020;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Jean-Michel Hayes la somme de 75 000$, à titre de dommages pour les soins passés, avec l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle à compter du 6 juin 2020;
- CONDAMNE le Dr Radomir Jarcevic à payer à Madame Beaudoin et Monsieur Hayes, en leur qualité de tuteurs à leur fils X, ainsi qu’en leur qualité personnelle, les frais d’experts, soit les frais des médecins, le Dr Milner et le Dr Shevell, de la Life Care Planner, Madame Mira Miller ainsi que de l’actuaire, Monsieur Julien Perreault;
- LE TOUT, avec frais de justice.
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_______________________________ MARIE-CLAUDE LALANDE, J.C.S. Me Arthur J. Wechsler / Me Alexandre Brosseau-Wery / Me Jérémie Longpré KUGLER KANDESTIN S.E.N.C.R.L., L.L.R. | |
Avocats des demandeurs | |
Me Emmanuelle Poupart / Simon Chamberland MCCARTHY TÉTRAULT S.E.N.C.R.L., S.R.L. | |
Avocats du défendeur | |
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Dates d’audience : 29, 30 avril, 1er, 2, 6, 7, 8 et 10 mai 2024 Réouverture d’enquête : 11 novembre 2024 Reprise du délibéré : 26 novembre 2024 | |
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[1] L’utilisation du prénom vise à alléger le texte et on voudra bien n’y voir là aucun manque de courtoisie.
[10] Daniel GARDNER, Le préjudice corporel, 5e éd., Montréal, Yvon Blais, 2024, p. 489; Jean-Louis
BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 9e éd, Yvon Blais,
Montréal, 2021, p. 553, par. 1-464.
[11] Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541, p. 599, 608 et 609; St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15,
par. 56.
[12] St-Jean c. Mercier, 2002 CSC 15, par. 56. Le droit des présomptions est régi par les art. 2846,
2847 et 2849 du C.c.Q.
[13] Patrice DESLAURIERS et Emmanuel PRÉVILLE-RATELLE, «L’indemnisation résultant d’un
préjudice corporel», dans Collection de droit 2023-2024, École du Barreau du Québec, vol. 5,
Responsabilité, Yvon Blais, 2023, p. 229 et pp 232-233.
[14] J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, préc., note 10, p. 559-561, par. 1-471 à 1-474. Voir
également D. GARDNER, préc., note 10, p. 495, par. 385.
[15] Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd, [1978] 2 R.C.S. 229, Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287 et Thornton
c. Board of School Trustees of School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267.
[16] Rapports d’expertise du Dr Shevell daté du 18 novembre 2021, pièce P-6, daté du 11 avril 2023, pièce
P-6A et daté du 3 avril 2024, pièce P-6C .
[17] Rapports d’expertise du Dr Sylvain daté du 14 mars 2023, pièce D-1 et daté du 10 avril 2024, pièce D‑1A.
[18] Curriculum vitae du Dr Shevell, pièce P-6E et curriculum vitae du Dr Sylvain, pièce D-1K.
[19] Curriculum vitae du Dr Shevell, pièce P-6E, p. 84 et suiv.
[20] Pièce D-1K et témoignage du Dr Sylvain.
[21] Rapport du Dr Shevell daté du 18 novembre 2021, pièce P-6.
[23] Pièce P-6Bi) Life Expentancy of Children with cerebral palsy.
[24] Pièce P-6Bii) Recent trends in cerebral palsy survival. Part ll: individual survival prognosis.
[25] 12 709 individus souffrant de paralysie cérébrale, sur une période de 15 ans, soit de 1980 à 1995.
[26] Rapport du Dr Shevell daté du 18 novembre 2021, pièce P-6, pp. 3-4.
[27] Rapport du Dr Sylvain daté du 14 mars 2023, pièce D-1, p. 4.
[29] Rapport du Dr Shevell daté du 11 avril 2023, pièce P-6A.
[30] Rapport du Dr Shevell daté du 3 avril 2024, pièce P-6C.
[31] Rapport du Dr Shevell daté du 3 avril 2024, pièce P-6C, p. 3.
[32] Rapport du Dr Sylvain daté du 10 avril 2024, pièce D-1A.
[33] Il sera question de la problématique de sommeil dans la section portant sur les soins futurs de X.
[34] Pièce D-17, pages 1087-1088.
[35] Pièce D-17, pages 1087-1088.
[36] Rapport du Dr Sylvain daté du 14 mars 2023, pièce D-1, p. 2.
[38] Pièce D-1D, p. 1068, Table II, Lifts head and chest, partial rolling – Fed orally by others.
[39] Pièce D-1D, p. 1070.
[40] Pièces P-6Bi), les auteurs indiquent avoir suivi un bassin de 12 709 enfants vivant en Californie et
souffrant de paralysie cérébrale, et Pièce P-6B ii), les bassins de population étudiés sont tout aussi
important, mais diminuent au fil des ans.
[41] Samuel Grondin, « Indemnité additionnelle, discrétion et démesure : pour une actualisation des paramètres de l’exception de la réclamation grossièrement exagérée », (2022-2023) 54 Revue de droit d’Ottawa. 63. Cet extrait a été mentionné à plusieurs reprises en jurisprudence. Voir à cet effet : Dubois c. Robert, 2010 QCCA 775, par. 179; RW c. Industrielle Alliance, 2011 QCCS 3314, par. 120; Blais c. Guillemette, 2007 QCCS 5731, par. 74. Dans Giguère c. Chambre des notaires du Québec, 2004 CSC 1, par. 41, la CSC affirme que «[l]es articles 1617 et 1619 visent tous deux à indemniser les créanciers privés des sommes qui leur sont dues et à inciter les débiteurs à leur remettre ces sommes promptement».
[42] D. GARDNER, préc., note 10, par. 884-885 et 891-907.
[43] J-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, préc., note 10, p. 677.
[45] D. GARDNER, préc., note 10, par. 883-910.
[47] Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd, préc., note 15.
[48] Arnold c. Teno, préc., note 15, et Thornton c. Board of School Trustees of School District No. 57
(Prince George), préc., note 15.
[49] Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd, préc., note 15, p. 242.
[50] D. GARDNER, préc., note 10, par.132-133.
[51] J-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, préc., note 10, par. 357.
[52] 2017 QCCA 607, voir également Stations de la vallée de St-Sauveur inc. c. M. A., 2010 QCCA
1509, par. 60.
[53] Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice - Le Code civil du Québec, t. 1,
Québec, Les Publications du Québec, 1993, art. 1608.
[55] Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd., préc., note 15, p. 242.
[56] D. GARDNER, préc., note 10, par. 132-134.
[58] D. GARDNER, préc., note 10, par. 162.
[59] M. G. c. Pinsonneault, préc., note 51, par. 297.
[60] Patrice DESLAURIERS, Sebastian FERNANDEZ et Geoffroy GUILBAULT, « La réparation intégrale : ni
plus, ni moins ou Libres propos sur la subrogation (art. 1608 C.c.Q.) et l’obligation de minimisation des
dommages (art. 1479 C.c.Q.)», dans S.F.C.B.Q., vol. 524 , Développements récents en droit de la santé
(2022), Montréal, Éditions Yvon Blais, p. 154.
[61] D. GARDNER, préc. note 10, par. 369.
[62] Rapport de Mira Miller daté du 18 mai 2022, pièce P-7A, p. 32 et rapport de France Verville daté du 14
mars 2023, pièce D-2, p. 8, 9 et 14.
[65] Jean-Claude ROYER et Catherine PICHÉ, La preuve civile, 6e édition, Montréal, Éd. Yvon Blais, 2020,
par. 596.
[66] Tarif oscillant entre 36$ à 39$ de l’heure.
[67] Rapport de Mira Miller daté du 23 mars 2022, pièces P-7 et Rapport révisé de Mira Miller daté du 18 mai
2022, pièce P-7A.
[68] Rapport de France Verville daté du 14 mars 2023, pièces D-2, D-2A et Rapport de France Verville
daté du 12 avril 2024, pièce D-2A.
[69] J.-C. ROYER et C. PICHÉ, préc., note 65, par. 498.
[70] Code des professions, RLRQ, c. C-26.
[71] Noiles et al. v. MTD Products et al., 2018 ONSC 5984, par. 12-15;40; Andreason v. Thunder Bay (City),
2014 ONSC 709, par. 29 et 33 Jarmson v. Jacobsen, 2013 BCCA 285.
[72] Clendenning c. Club de motoneigistes MRC Rouyn-Noranda inc. 2023 QCCS 1520, par. 264-266, 274-
275.
[73] J.-C. ROYER et C. PICHÉ, préc., note 65, par. 527.
[74] Burla c. Canadian Pacific Railways, J.E. 2003-421, par. 1-2 (C.A.).
[75] Rapport d’expertise de Mira Miller du 18 mai 2022, pièce P-7A, p. 33.
[76] Addendum au rapport de France Verville daté du 12 avril 2024, pièce D-2A, p. 2.
[77] Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd., préc., note 15, p. 243.
[78] Arnold c.Teno, préc., note 15, p. 320.
[79] J.E. 85-256 (C.A.), voir au même effet : Woodbury v. Woodbury, 2021 ONSC 8620 et Crawford (Litigation
Guardian of) v. Penney, [2003] O.J. No. 116 (C.S. Ont.) (appel rejeté par Crawford (Litigation Guardian
of) v. Penney, [2004] O.J. No. 3669 (C.A. Ont.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême
rejetée, 27 janvier 2005, no 30602).
[80] Témoignage de Caroline, corroboré par les témoignages des Dr Shevell et Dr Sylvain.
[81] Extraits des pièces D-16 et D-17 produits dans le cadre des plaidoiries.
[82] Pièces D-15, p. 110, 128, 146, 165-166, D-16, p. 12, 260, 264, 273, 279,-280, 294, 428, 443, 553, 555,
611 et D-17, p.418-422, 463, 600, 604, 611, 631, 634-635, 1023, 1067-1068, 1088-1089, 1127, 1258,
1260, 1263-1264, 1120-1121, 1125 1283-1287 et 1405-1406.
[83] Rapport de France Verville daté du 12 avril 2024, pièce D-2A, p. 2.
[84] Rapport de France Verville daté 14 mars 2023, pièce D-2, p. 19.
[85] Rapport du Dr Sylvain daté du 10 avril 2024, pièce D-1A, pp. 4-7.
[86] Au moment du procès, le poste de Jean-Michel venait d’être aboli alors qu’il recevait depuis quelques
mois, des prestations d’assurance invalidité en raison d’une dépression majeure.
[87] Rapport de France Verville, pièce D-2, p. 21.
[88] D. GARDNER, préc., note 10, par. 342.
[90] Addendum au rapport de France Verville du 12 avril 2024, pièce D-2A, p. 2.
[91] Crawford (Litigation Guardian of) v. Penney, [2003] O.J. No. 116 (C.S. Ont.) (appel rejeté par Crawford
(Litigation Guardian of) v. Penney, [2004] O.J. No. 3669 (C.A. Ont.), demande d’autorisation d’appel à la
Cour suprême rejetée, 27 janvier 2005, no 30602).
[93] Lettre de Mira Miller datée du 3 avril 2024, pièce P-7C.
[95] Rapport d’expert de Madame Miller daté du 18 mai 2022, pièce P-7A, p. 27 et suiv.
[97] Lettre de M. Perreault datée du 21 novembre 2024 et lettre de M. Guertin datée du 22 novembre 2024.
[98] Lettre des procureurs des demandeurs datée du 26 novembre 2024.
[99] Rapport de Julien Perreault daté du 15 avril 2024, pièce P-9B, p. 6, 7 et 17.
[100] Rapport de Denis Guertin daté du 1er mai 2024, pièce D-3A, p. 4.
[101] D. GARDNER, préc., note 10, par. 355.
[102] Voir par exemple Mainville c. Cité de la Santé de Laval, 1998 CanLII 11848, par. 103 (C.S.) (500$ en
frais de médicaments et pansements de 500$); Lessard c. Norgroupe, compagnie d’assurances
générales, 2000 CanLII 18131, par. 31 (C.S.) (1 500$ en frais de déplacement vers l’hôpital); Parisien
c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 4483, par. 196-201 (2 800$ par demandeur en frais de
thérapie).
[103] 2013 QCCS 3471 (appel rejeté sans aborder cette question : 2015 QCCA 301).
[104] J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, préc., note 10, par. 1-476.
[105] Sur lesquels 48 009,92$ fait l’objet de factures produites au dossier.
[106] Art. 1607, 1611 al. 1 C.c.Q.
[107] Voir Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd., préc., note 15, p. 243; O.B. Canada Inc. c. Lapointe,
1986. CanLII 3710, p. 25-27 (C.A.); P.G. du Québec c. Boyd, J.E. 85-256, p. 40-41 (C.A.).
[108] D. GARDNER, préc., note 10, par. 579-580. Voir Stéfanik c. Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis, 1997 CanLII
8479 (C.S.); M.A. c. Stations de la Vallée de St-Sauveur inc., 2008 QCCS 240, par. 88-103 (appel rejeté,
2010 QCCA 1509, par. 92-94); C.L. c. Arnaud, 2011 QCCS 2360, par. 459 (appel rejeté, 2013 QCCA
981; demande d’autorisation d’appel rejetée, C.S.C., 2014-01-16, 35495); Welsh c. Trépanier, 2015
QCCS 376, par. 62-64.
[109] D. GARDNER, préc., note 10, par. 370 et suiv.
[110] Voir C.S.R. Honoré-Mercier c. St-Onge, [1980] C.A. 248, par. 14, 15 (cité par l’auteur).
[111] Rapport de Julien Perreault daté du 15 avril 2024, pièce P-9 B, p. 2.
[112] Plan d’argumentation des défendeurs, par. 36-41.
[114] C.c.Q., art. 1607 et 1611 al. 1.
[115] Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., préc., note 15, p. 262.
[116] Id, p. 261., voir également Arnold c. Teno, préc., note 15, p. 332.
[117] Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., préc., note 15, p. 261 à 264.
[118] Ter Neuzen c. Korn, [1995] 3 R.C.S. 674 (motifs du juge Sopinka).
[119] Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., préc., note 15, Thornton c. Prince George School Dist.
No. 57, préc., note 15; Arnold c. Teno, préc., note 15.
[120] Townsend c. Kroppmanns, 2004 CSC 10.
[121] Townsend c. Kroppmanns, préc., note 120, par. 1-5.
[122] L’Écuyer c. PGQ, 2014 QCCS 5889.
[123] Watkins c. Olafson, 1989 2 RCS 750, pp. 766 et 768.
[124] SNC-Lavalin inc. c. Deguise, 2020 QCCA 495.
[125] Bourassa c. Germain, [1997] R.R.A. 679 (C.A.).
[126] D. GARDNER, préc., note 10, par. 580.
[127] M.G. c. Pinsonneault, préc., note 52, p. 44.
[128] Rapport de Julien Perreault daté du 6 juin 2022, pièce P-9.
[129] Il retient des revenus potentiels bruts de 594 088$ auxquels il déduit un montant de 25 712$ pour des
revenus résiduels bruts et ajoute des intérêts de 33 916$.
[130] Il retient une capacité potentielle de gains futurs actualisés à 3 246 131$ à laquelle il déduit un montant
de 2 921 518$ à titre de capacité de gains futurs actualisés.
[131] Rapport de Denis Guertin daté du 17 mars 2023, pièce D-3.
[132] Rapport de Julien Perreault daté du 10 janvier 2024, pièce P-9A, Rapport de Julien Perreault daté du
15 avril 2024, pièce P-9B et pièce P-9C et Rapport de Denis Guertin daté du 17 mars 2023, pièce D-3
et pièce D-3B datée du 10 mai 2024.
[133] Rapport de Julien Perreault daté du 15 avril 2024, pièce P-9B.
[134] Rapport de Denis Guertin daté du 17 mars 2023, pièce D-3, p. 9.
[135] J.-P. ROYER et C. PICHÉ, préc., note 65, par. 1036.
[138] Pièces D-34 et D-24.
[139] Pièce D-24, p. 212.
[140] Lettre du Cabinet datée du 24 mars 2022, Pièce P-8, p. 2.
[141] Interrogatoire écrit de l’ancien associé directeur, Pièce P8-A, réponse #2 b).
[142] Pièce P-8B, réponse # 8.
[146] Pièce D-32. En cours de procès, et suivant des questions du Tribunal, l’expert a ajusté ses calculs en
tenant compte de la réalité montréalaise.
[148] Lettre de l’ancien associé directeur du Cabinet daté du 24 mars 2022, Pièce P-8.
[149] Rapport révisé de l’actuaire Julien Perreault daté du 15 avril 2024, Pièce P-9B.
[150] Lettre de l’ancien associé directeur du Cabinet datée du 24 mars 2022, Pièce P-8, p. 2.
[151] Lettre de l’ancien associé directeur du Cabinet datée du 6 mai 2024, Pièce P-8C.
[152] Rapport de Julien Perreault du 15 avril 2024, Pièce P-9B.
[154] Témoignage de l’ancien associé directeur du Cabinet.
[155] Rapport de M. Perreault daté du 15 avril 2024, pièce P-9 B, p. 18.
[156] Pédiatrie, ORL, physiothérapie, physiatrie, médecine dentaire, optométrie, réadaptation (référence :
témoignage de Madame Beaudoin).
[157] Rapport de Denis Guertin daté du 3 mai 2024, pièce D-3.
[159] Liss c. Watters, 2010 QCCS 330, jugement infirmé sur la responsabilité uniquement par Watters c.
White, 2012 QCCA 257 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée).
[160] Notes et autorités du défendeur, p. 9 et 10.
[161] Dossier de Caroline Beaudoin auprès de la psychologue Dr. Arlène Caplan, pièce D-24, p. 27.
[162] Gravel c. Hôtel-Dieu D’Amos, J.E. 84-804, confirmé par la Cour d’appel [1989] R.J.Q. 64 (C.A.).