Lafond c. Immeubles Forsa inc. |
2020 QCTAL 9496 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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Nos dossiers : |
459178 31 20190506 G 459191 31 20190506 G 475907 31 20190812 G 487294 31 20191022 G |
Nos demandes : |
2755327 2755357 2825771 2872442 |
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Date : |
04 décembre 2020 |
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Devant la juge administrative : |
Jocelyne Gravel |
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Chantal Lafond Locataire - Partie demanderesse (459178 31 20190506 G) Partie défenderesse (475907 31 20190812 G)
Mohamed D'jouah |
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Locataire - Partie demanderesse (459191 31 20190506 G) Partie défenderesse (487294 31 20191022 G) |
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c. |
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Immeubles Forsa inc. |
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Locateur - Partie défenderesse (459178 31 20190506 G) (459191 31 20190506 G) Partie demanderesse (475907 31 20190812 G) (487294 31 20191022 G) |
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D É C I S I O N
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[1] Dans leurs demandes déposées le 6 mai 2019, les locataires, Chantal Lafond et Mohamed D’jouah, requièrent chacun l’annulation d’une entente de résiliation de bail conclue avec le locateur.
[2] D’autre part, le locateur demande au Tribunal d’entériner l’entente de résiliation de bail conclue avec la locataire Chantal Lafond et d’ordonner l’expulsion de Mohamed D’jouah, à titre d’occupant sans droit.
[3] Les quatre dossiers ont été entendus conjointement.
Les faits communs
[4] Au courant de l’année 2018, le locateur a acquis l’immeuble en cause composé de six logements. La compagnie locatrice et ses administrateurs font le commerce de la location et détiennent plusieurs immeubles comportant environ 100 unités locatives, dont 79 résidentielles.
[5] À la première période de reconduction, les administrateurs décident de rencontrer trois des six locataires de l’immeuble dans le but de conclure une entente de résiliation de bail. Il s’agissait des locataires payant les plus bas loyers. Les administrateurs témoignent avoir ainsi voulu faciliter l’obtention de financement pour exécuter des travaux à l’enveloppe de l’immeuble. On indique que le toit était à refaire et qu’on avait le projet de changer les portes et fenêtres de l’immeuble. Le scénario souhaité était de négocier le départ de ces locataires et les relouer au prix du marché. On indique que le prix du marché d’un logement comparable dans le secteur se loue entre 850 $ et 925 $. Alors que Mme Lafond paie 480 $ et M. D’jouah, 510 $. Bien qu’on n’ait pas connu les revenus de ces locataires, on se doutait bien qu’ils ne pourraient accepter une hausse de loyer aussi substantielle.
[6] Ils prennent donc rendez-vous avec les deux locataires en cause ainsi qu’une autre occupante. On les rencontre à leur logement respectif. On annonce vouloir discuter avec eux de leur bail et des réparations à faire. On admet ne pas avoir annoncé que le but de la rencontre était de négocier une entente de résiliation de bail. On explique que ce n’est pas un sujet à annoncer d’avance, comme il ne serait pas approprié d’annoncer un divorce à notre conjoint dans un restaurant.
[7] La première occupante de l’immeuble rencontrée n’a pas accepté de conclure une entente de résiliation de bail. Elle témoigne du déroulement de sa rencontre du 19 mars 2019 avec l’un des deux administrateurs de la compagnie locatrice. Ce dernier lui a fait part des travaux envisagés et du financement nécessaire pour les exécuter. Ce qui, selon lui, justifiait le besoin de hausser substantiellement les revenus de l’immeuble. On lui offre de quitter moyennant une indemnité de 1 500 $ ou 2 000 $ dépendamment de la date de départ. Elle témoigne avoir indiqué, dès le début de la rencontre, qu’elle n’entendait pas quitter son logement.
[8] Cette rencontre a durée entre 30 et 45 minutes. Elle se serait déroulée de façon civilisée et elle ne se s’est pas sentie menacée. Elle précise avoir cependant senti de la pression, car on essayait de la convaincre de quitter. Il y a eu finalement entente sur une hausse de loyer mensuelle de 15 $ à compter du 1er juillet 2019.
[9] Les deux locataires en l’instance ont, quant à eux, signé une entente de résiliation de bail lors d’une rencontre similaire.
[10] Cette occupante de l’immeuble témoigne avoir constaté le désarroi et la peine de sa voisine Chantale Lafond lorsque cette dernière lui a annoncé en pleurs qu’elle devait quitter son logement.
[11] Ce témoin affirme que les recherches de Mme Lafond lui ont fait réaliser qu’elle ne pourrait pas se trouver un logement dans ses moyens. Elle a également remarqué la peine de sa voisine. Elle croit que cette dernière aurait fait un genre de dépression pour laquelle elle a dû recevoir des soins.
[12] Malgré le retard de leur projet, notamment occasionné par le dépôt des présentes procédures, les administrateurs ont réussi à financer le remplacement de la toiture à l’automne 2020. Ils indiquent ne pas avoir eu le choix afin de protéger leur bien.
Rencontre avec Chantal Lafond
[13] Madame Lafond est la première des deux locataires en l’instance, qui a été rencontrée le 21 mars 2019. À cette date, elle était liée par bail du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 au loyer mensuel de 480 $. Elle occupe un logement de trois pièces, situé au rez-de-chaussée, depuis 1995. Elle a l’usage de la cour.
[14] Elle témoigne de son fort attachement au logement dans lequel sa propre mère aurait grandi. Elle s’y plaît particulièrement à cause de l’usage de la cour et de la très grande proximité des services et de la résidence de sa mère. Étant l’aidante naturelle de sa mère, âgée de 87 ans, elle s’y rend de façon quotidienne. Il lui est donc très pratique que sa mère habite l’immeuble pratiquement voisin du sien. Elle témoigne n’avoir jamais voulu quitter ce logement.
[15] Lorsqu’on l’a appelé pour prendre rendez-vous, elle dit avoir été heureuse qu’on vienne discuter des réparations à faire dans son logement. Dès leur arrivée, il est admis qu’elle a dirigé les administrateurs dans sa salle de bain pour leur indiquer les travaux à faire.
[16] Elle les a ensuite invités à s’assoir à sa table. On lui a alors annoncé qu’elle devait quitter son logement à cause des réparations à faire dans l’immeuble. Elle a demandé pour combien de temps? Et on lui aurait alors répondu pour toujours.
[17] On lui aurait ensuite dit qu’elle n’était pas la seule à devoir partir. Que son loyer était trop bas pour leur permettre de financer les travaux. Que son logement devrait être loué à 850 $ par mois. Ce qu’elle reconnaissait ne pouvoir s’offrir selon ses revenus modestes.
[18] Au cours de cet entretien, la locataire témoigne avoir reçu deux appels téléphoniques de sa mère. Au premier, elle aurait été en larmes en lui annonçant la mauvaise nouvelle. Elle admet avoir refusé que sa vieille mère se déplace pour la soutenir. Le second appel de sa mère aurait été fait pour savoir si la rencontre était terminée. Elle lui aurait dit que les administrateurs étaient toujours présents et qu’ils étaient, malgré tout, humains avec elle. Notamment parce qu’ils lui offraient une lettre de références pour l’aider à se trouver un autre logement.
[19] La locataire explique avoir reçu une masse dans le front. Que ses larmes l’ont empêchée de lire elle-même le texte de l’entente. Que c’est l’un des administrateurs qui la lui a lue. Mais qu’elle était trop perturbée pour se concentrer sur son contenu.
[20] Elle se rappelle avoir offert de déménager dans l’un des logements à l’étage. On lui aurait répondu que le loyer serait aussi à 850 $.
[21] Elle admet avoir signé l’entente, car elle a cru être obligée de quitter. Elle savait que l’immeuble avait besoin de réparations. Elle dit avoir fait confiance aux administrateurs qui lui parlaient calmement et qui s’étaient toujours montrés aimables avec elle par le passé. Elle affirme ne pas avoir eu le temps de réfléchir et de s’informer de ses droits avant de signer. Elle admet cependant ne pas l’avoir demandé.
[22] Ce n’est qu’environ 10 jours plus tard qu’une inconnue à l’arrêt d’autobus s’est informée de sa visible détresse. Elle la dirige vers le comité logement. Madame Lafond y apprend qu’elle n’était pas obligée d’accepter de déménager définitivement lorsque des travaux sont projetés. Le 9 avril 2019, une mise en demeure était transmise au locateur.
[23] En défense, on témoigne que cette rencontre a été très cordiale. Les administrateurs reconnaissent que la locataire a été très surprise par leur offre de résiliation de bail. Ils se sont également rendu compte de son émotivité. Il est admis que la locataire s’est mise à pleurer et l’un des administrateurs justifie la plus longue durée de cette rencontre par le fait qu’ils ont dû lui permettre de se calmer. Ce qu’ils ont réussi en lui parlant de tout et de rien. Par la suite, la discussion a pu avoir lieu en toute sérénité.
[24] Ils expliquent avoir tenu compte de sa longue durée d’occupation au logement en lui offrant 3 000 $ d’indemnité. On a même été ouvert à reporter la date de départ, à sa demande, en janvier 2020 afin de lui permettre de profiter de sa cour et d’une période des fêtes au logement. On lui offrait également du soutien pour se trouver un autre logement, dont la lettre de références.
[25] La locataire leur a dit qu’elle avait déjà visité d’autres logements. Ils en ont déduit qu’elle envisageait déjà un possible départ. Elle reconnaissait aussi le besoin d’amour de l’immeuble.
[26] Malgré sa surprise et son émotivité, ils affirment que la locataire était en pleine possession de ses moyens, notamment lorsqu’elle a refusé de recevoir un chèque pour le premier versement de l’indemnité pour ne pas nuire à ses prestations de la sécurité du revenu.
[27] Bien qu’ils aient eu en leur possession un formulaire de modification des conditions du bail, ils n’ont pas passé à cette étape, vu l’acceptation de quitter. La locataire ne leur a pas non plus offert une hausse de loyer. La rencontre s’est très bien terminée et la locataire les a même remerciés de leur gentillesse.
Rencontre avec Mohamed D’jouah
[28] En mars 2019, ce locataire était lié par bail du 1er juillet 2018 au 30 juin 2019 au loyer mensuel de 500 $ pour un logement qu’il occupe depuis 2014.
[29] Il s’agirait du premier logement au Canada occupé par ce nouvel immigrant. Il témoigne être bien intégré au quartier où résideraient plusieurs de ses amis. Il apprécie tout particulièrement son bas loyer considérant ses faibles revenus.
[30] Le 17 mars 2019, il reçoit un courriel contenant notamment les informations suivantes :
« […]
J’aimerais prendre rendez-vous avec vous concernant votre reconduction de bail. Nous avons aussi des éléments à discuter concernant des travaux qui doivent être faits à l’immeuble dans les prochains mois.
[…] »
[31] Les deux administrateurs témoignent qu’une rencontre, d’au plus 20 minutes, a eu lieu le 21 mars 2019. Après avoir mentionné que la situation financière de l’immeuble exigeait des hausses importantes de loyer pour faire des travaux au toit, portes et fenêtres, le locataire a immédiatement accepté de résilier son bail. Il a également accepté l’offre initiale de 800 $. La discussion aurait plus amplement porté sur la date de départ, qui a été convenue au 1er octobre 2019.
[32] Il est également entendu qu’une hausse de loyer mensuelle de 10 $ (le portant à 510 $) serait applicable à compter du 1er juillet 2019. Il sera de plus possible de résilier le bail avant le 1er octobre 2019 sur simple avis du locataire.
[33] Tout comme pour sa voisine, un formulaire intitulé « Entente de résiliation ou de non reconduction de bail » portant le logo de la compagnie est utilisé. Au texte imprimé, l’un des administrateurs ajoute, sur place, les mentions manuscrites personnalisant l’entente.
[34] Un chèque de 400 $ daté du 21 mars 2019 sera remis au locataire à titre de premier versement de l’indemnité.
[35] On lui offre également une lettre de références afin de faciliter ses recherches de logement. Au document lui ayant été transmis par la suite, on peut y lire l’un des passages suivants :
« […]
Pour des raisons de travaux importants à l’immeuble et au logement de M. Mohamed Djouah, situé au [...] à Montréal, nous avons convenu de mettre fin au bail prématurément.
[…] »
[36] Les administrateurs témoignent avoir été très étonnés de recevoir la mise en demeure du 16 avril 2019 alléguant la nullité de l’entente. Ils contestent la version des faits y étant donnée. Ils affirment que la rencontre s’est déroulée cordialement et que le locataire a eu l’opportunité de lire le texte de l’entente avant de la signer. Il n’aurait fait aucune autre demande avant de signer.
[37] Le locataire donne en effet une version différente de cette rencontre. Il témoigne avoir compris qu’on voulait venir chez lui pour lui parler des travaux envisagés.
[38] Au début, il croyait qu’on lui parlait d’un départ temporaire durant la durée de ces travaux. Il affirme avoir été par la suite choqué lorsqu’il a compris que c’était plutôt un départ définitif qu’on envisageait.
[39] Lorsqu’il a exprimé des réticences, on lui a dit que tous les occupants de l’immeuble devaient quitter afin que des travaux dans l’ensemble du bâtiment puissent se faire.
[40] Lorsqu’on lui a présenté le document à signer, il a demandé un délai de réflexion d’une journée. Ce qu’on lui a refusé en lui disant que tous les autres occupants avaient déjà accepté de quitter et qu’il n’avait pas le choix.
[41] Il affirme qu’on ne lui a jamais indiqué qu’il avait le droit de rester et qu’il n’y a eu aucune discussion relativement au montant du loyer.
[42] Ce locataire ajoute ne pas avoir compris pourquoi on lui offrait de l’argent. Montant qu’il n’a même pas tenté de négocier. Il n’a pas non plus jamais encaissé le chèque lui ayant été remis.
[43] C’est lorsqu’il a parlé à ses voisins, dont Mme Lafond, qu’il a appris qu’il n’était pas obligé d’accepter de quitter. On l’a alors dirigé vers un comité logement où il a reçu l’aide nécessaire pour l’envoi de sa mise en demeure. On peut y lire les mentions suivantes :
« […]
Vous avez toutefois refusé de me laisser réfléchir, me disant qu’il n’y avait aucune autre option ni décision à prendre, que tout le monde doit quitter. J’ai ainsi été forcé de signer une entente à laquelle je n’y comprenais rien, contre mon gré.
[…] »
[44] Les administrateurs contestent avoir tenu ces derniers propos, car ils avaient déjà reconduit le bail d’une autre occupante deux jours avant la rencontre.
Crédibilité des témoins
[45] Le Tribunal juge le témoignage de Mme Lafond crédible. Elle a donné une version directe et sincère des faits sans exagération. Elle a fait la distinction entre ce qui est arrivé lors de la rencontre et ce qu’elle a appris par la suite relativement à ses droits.
[46] Le témoignage de M. D’jouah est jugé en partie exagéré. Il est invraisemblable qu’on l’ait pratiquement forcé à signer une entente en lui disant que tous ses voisins allaient quitter et en lui refusant une période de réflexion. En effet, il aurait été très facile à ce locataire de découvrir qu’une voisine avait refusé de quitter. Les administrateurs n’auraient pas, selon toute probabilité, fait cette erreur stratégique. La version de M. D’jouah est considérée un amalgame de ses souvenirs et des reproches qu’il fait à postériori.
[47] Le Tribunal accepte comme étant très crédible le témoignage désintéressé de l’occupante ayant refusé de quitter. Elle décrit bien, selon toute vraisemblance, le comportement des administrateurs. Ils ont été respectueux tout en exerçant sur elle de la pression afin de la convaincre de quitter. Ils ont cependant accepté facilement un refus ferme de sa part. Ils sont alors passés à leur plan B en négociant une hausse de loyer bien en deçà de ce qu’ils déclarent être le prix du marché.
[48] La version des administrateurs est jugée crédible de façon générale. Ils n’ont pas caché leur intention première ni leur stratégie pour arriver à leur fin. Par contre, leur version n’est pas jugée directe en ce qui concerne leur motivation.
[49] Dans leur témoignage en chef, ils ont déclaré que les réparations envisagées concernaient principalement des réparations urgentes à la toiture et portes et fenêtres ainsi que leur situation financière n’en permettait pas le financement. Leurs réponses ont été vagues lorsqu’on leur a demandé si des travaux aux logements étaient prévus. Ce n’est que lorsqu’ils ont été mis en contradiction devant l’invraisemblance d’exiger un départ pour relouer beaucoup plus cher sans investir dans des rénovations, qu’on a parlé de retaper légèrement les logements.
[50] Or, les deux réponses aux mises en demeure des locataires énoncent le véritable projet comme suit :
« À notre arrivée, nous avons indiqué que nous souhaitions discuter de la situation financière de l’immeuble. Nous avons expressément mentionné qu’il y avait des travaux à faire sur l’immeuble, comme le remplacement de la toiture et le remplacement des fenêtres, et d’autres travaux à faire dans les logements comme les salles de bain et les cuisines. Nous estimons que ces travaux à environ 80 000 $. Afin de pouvoir faire financer ces travaux par une institution financière, nous avons besoin d’améliorer les revenus, donc d’augmenter le coût des loyers.[1] »
[51] Tel était leur véritable projet, soit faire fructifier rapidement leur investissement en rénovant l’ensemble de l’immeuble. À titre d’hommes d’affaires aguerris dans le domaine de la location, ils ont vraisemblablement envisagé les travaux urgents à faire ainsi que les revenus réels dans leur prix d’achat. Et si tel n’en avait pas été le cas, il ne reviendrait pas aux locataires de subir une telle perte financière, selon les règles de la fixation de loyer applicables au Québec.
[52] Le Tribunal partage l’opinion que les motivations des parties ne sont pas au cœur du litige. Par contre, l’évaluation de la vraisemblance et de la sincérité des témoignages rendus sert à évaluer leur force probante. Cette conclusion est en accord avec celle du Tribunal que nous sommes en présence d’hommes d’affaires qui, dans le cadre d’une négociation, exposent les faits de façon stratégique en vue du résultat souhaité. De façon élégante, sans mentir directement, contraindre ou menacer.
La position des parties
[53] Les locataires plaident que leur consentement a été vicié par l’erreur sur un aspect essentiel, à savoir leur fausse impression qu’ils devaient absolument quitter à cause des travaux projetés. On soutient également qu’il y a dol par réticence des administrateurs du locateur lorsqu’ils ne les ont pas détrompés. Ce qui contreviendrait également à leur obligation de renseignement élément essentiel à la bonne foi devant exister entre les parties.
[54] On indique que le contexte de vulnérabilité des locataires face aux administrateurs doit être pris en compte. Surtout lorsqu’il est question de faire renoncer au droit au maintien dans les lieux d’un locataire, disposition d’ordre public de protection. Que la loi prévoie un cadre particulier lors de la reconduction des baux qui donne aux locataires une période de réflexion, justement pour leur permettre de se renseigner.
[55] D’autre part, le locateur plaide qu’une négociation, même insistante et serrée, n’altère pas la qualité du consentement des parties. Qu’il est établi que les locataires ont très bien compris ce à quoi ils s’engageaient. À savoir qu’ils devaient quitter à une certaine date convenue en échange d’un montant d’indemnité offert. Qu’ils ont eu la chance de négocier les modalités de l’entente et n’ont pas demandé de période de réflexion. Et que l’ignorance de la loi ne peut être invoquée pour justifier un vice de consentement. Qu’il s’agirait d’une erreur inexcusable au sens de la Loi.
[56] On soutient finalement que la preuve établit que les locataires ont donné un consentement valide, mais qu’ils ont tout simplement changé d’idée par la suite. Ce qui s’exprime par le délai entre la conclusion de l’entente et la dénonciation du vice de consentement.
Le droit applicable
[57] Les locataires invoquent le vice de consentement lors de la conclusion de leur entente de résiliation de bail. Les articles suivants du Code civil du Québec doivent donc être analysés en l’instance :
1399. Le consentement doit être libre et éclairé.
Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion.
1400. L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.
L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.
1401. L'erreur d'une partie, provoquée par le dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.
1407. Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d'erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s'il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu'il eût été justifié de réclamer.
[58] Dans une analyse détaillée de la question, ma collègue, la juge administrative Manon Talbot, s’exprime comme suit dans la cause Wiedmann-Harland c. Ryan[2] :
« [37] Il ressort de ce qui précède que la validité d'un contrat repose sur le consentement libre et éclairé donné par les parties. Ce consentement peut notamment être vicié par l'erreur sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.
[38] Quant au fardeau de preuve, il est bien établi en doctrine et en jurisprudence qu'il repose sur celui qui invoque que son consentement a été vicié par l'erreur.
[39] En ce qui concerne l'erreur donnant ouverture à la nullité d'un contrat, celle-ci doit rencontrer certaines conditions.
[40] Les auteurs Lluelles et Moore résument les principes juridiques applicables lorsque la qualité du consentement donné est en jeu.[3]
[41] Toujours selon les mêmes auteurs, pour que l'erreur donne ouverture à l'annulation du contrat, elle ne doit pas être grossière ni avoir pu être évité avec un minimum de précautions. Il en est une question de stabilité des contrats. Pour qualifier l'erreur d'inexcusable, celle-ci doit se rapprocher de la notion de « faute lourde »[4].
[42] Ces derniers soulignent également que l'expérience des parties ou la mise en confiance d'un contractant par l'autre partie ou un tiers peuvent avoir une incidence sur la signature d'un contrat sans temps de réflexion au préalable.[5]
[43] De son côté, l'auteur Vincent Karim[6] écrit ce qui suit sur l'évaluation du consentement libre et éclairé :
« 961 En somme, pour être valable, le consentement doit donc respecter les conditions mentionnées à l'article 1399 C.c.Q., c'est-à-dire qu'il doit être libre et éclairé. Pour qu'il en soit ainsi, il doit être donné librement et être exempt de toute influence ou menace, crainte ou contrainte. Par ailleurs, le fait pour une partie d'accorder à son cocontractant une période de réflexion durant laquelle il peut résilier le contrat conclu constitue un élément permettant de qualifier le consentement de réfléchi. Il en est de même, lorsqu'une partie propose de retarder la conclusion du contrat afin de permettre à l'autre partie de prendre la décision de conclure ou non le contrat et ce, en toute connaissance de cause. Il importe de noter que le tribunal peut déclarer un contrat conclu entre les parties nul, s'il conclut que cette entente n'a pas fait l'objet d'une décision éclairée prise en toute connaissance de cause après négociation et mûres réflexions, tel que le prévoient les articles 1400 et 1401 C.c.Q.. »
(Soulignement ajouté)
[44] Quant à l'erreur, l'auteur écrit plus loin :
« 968 L'erreur, qu'elle soit simple ou provoquée par le dol, porte atteinte au caractère éclairé du consentement et donne droit à la nullité du contrat »
[…]
[46] Concernant les deux types d'erreur, la Cour d'appel dans l'affaire Lépine c. Khalid[7] écrit:
« [46] Une partie peut obtenir l'annulation d'un contrat lorsque, même sans en subir de préjudice économique, elle a été induite à contracter par erreur à cause d'une déclaration mensongère de son cocontractant en l'absence de laquelle elle n'aurait pas contracté. Dol et erreur sont donc deux notions qui, bien que distinctes, opèrent souvent de concert. Aussi est-il utile en abordant le problème posé ici de garder deux sous-questions à l'esprit. L'intimé a-t-il contracté par erreur? Cette erreur est-elle la conséquence du dol des appelants?
[...]
[52] Une définition récente de la notion [dol], qui reprend un extrait d'un article de doctrine, mérite d'être citée ici :
« Moyen destiné à tromper une personne dans le but de l'amener à s'engager par un acte juridique ou à s'engager à des conditions différentes de celles qu'elle aurait normalement acceptées. « Pendant longtemps, le dol n'a pu résulter que de gestes positifs posés afin de tromper le contractant. Aujourd'hui, il sanctionne la mauvaise foi du contractant, que celle-ci provienne d'un geste positif, tromperie, mensonge, manœuvre frauduleuse ou d'une omission, réticence ou silence. »
Qu'il consiste ou non en un geste positif, le dol est un moyen tendant vers une fin et il doit toujours s'apprécier en fonction de sa finalité, qui est d'induire quelqu'un en erreur dans le but de l'amener à contracter à son désavantage.
[...] ».
[59] Les mêmes principes ont été énoncés dans la cause Ngo Malabo c. Bourassa[8], où le juge administratif Serge Adam résume comme suit l’interprétation à donner au dol par réticence :
« [14] La doctrine et la jurisprudence[9] enseignent que, même en l'absence d'intention malicieuse, l’omission de renseigner la partie avec laquelle on contracte sur un fait important peut être assimilée à des fausses représentations ou un dol par réticence. »
[60] Quant à l’obligation de renseignement, l’auteur Vincent Karim[10] fait une analyse des principes dégagés par la jurisprudence comme suit :
« B. Obligations de renseignement
962. Pour donner un consentement éclairé, le contractant doit posséder toute l’information nécessaire pour lui permettre de bien juger des éléments essentiels du contrat proposé1480. Le consentement éclairé suppose donc le respect de deux obligations distinctes, soit l’obligation de renseigner1481 et l’obligation de se renseigner1482. Ces deux obligations qui se trouvent à la charge de l’une ou l’autre des parties découlent de l’obligation générale de bonne foi prévue à l’article 1375 C.c.Q.1483.
963. L’obligation de renseigner oblige l’un des contractants à communiquer à l’autre les informations pertinentes à la conclusion du contrat proposé, notamment celles portant sur la nature de l’acte et ses particularités. La proposition de contracter doit indiquer les éléments essentiels du contrat et ce, dans un langage accessible et compréhensible, permettant à la personne qui doit donner son consentement d’apprécier la nature et la portée des droits et obligations à stipuler1484.
Lorsque le tribunal est amené à se prononcer sur un manquement au devoir de renseignement au moment de la formation du contrat, il doit évaluer si l’information qui n’a pas été divulguée (omission volontaire ou involontaire) au cocontractant était importante, voire même déterminante1485, afin que celui-ci donne un consentement libre et éclairé. De même, il est nécessaire de prouver que le cocontractant a subi un préjudice sérieux résultant d’une telle omission1486. Aussi, il importe de noter que l’information non divulguée devait être connue du débiteur de l’obligation de renseignement au moment de la conclusion du contrat1487.
964. Dans certains contrats et compte tenu de l’expérience du débiteur de l’obligation de renseigner, de la nature des relations contractuelles envisagées, notamment le produit et le service offert par ce dernier à son futur cocontractant, l’obligation de renseignement peut être intense et peut même se transformer en obligation de conseil. Dans ce cas, le débiteur ne peut pas se contenter de communiquer les informations pertinentes à son créancier, mais il doit s’assurer que par ses explications ce dernier a bien saisi les informations communiquées et est en mesure de s’en servir pour prendre la décision appropriée de donner ou non son consentement au contrat proposé. Une exécution partielle ou insatisfaisante de l’obligation de renseigner ne permet pas à son créancier de négocier en toute connaissance de cause ses droits et ses obligations ainsi que les termes, les conditions et les modalités de leur exécution1488.
965. De son côté, le contractant doit également faire preuve d’une certaine prudence puisqu’il a l’obligation de se renseigner. Celle-ci constitue une limite à l’obligation de renseignement1489. Ainsi, il est de son devoir de prendre connaissance de l’information dont il dispose1490, de poser les questions nécessaires et d’entreprendre les démarches utiles afin de donner un consentement éclairé1491. Cependant, lorsqu’une partie était en droit d’avoir confiance en son cocontractant en raison soit de son expertise ou de son expérience reconnue dans le domaine faisant l’objet du contrat ou alors en raison de ses relations contractuelles antérieures avec cette personne, on ne peut alors lui reprocher d’avoir manqué à son obligation de se renseigner1492. Il en de même, si le créancier de l’obligation était dans l’impossibilité de se renseigner lui-même1493.
966. Enfin, notons que l’obligation de renseigner son cocontractant est importante surtout lorsqu’il existe un « déséquilibre informationnel »1494. Celui-ci survient, entre autres, lorsqu’une partie est plus expérimentée que l’autre dans le domaine qui fait l’objet du contrat. Il importe toutefois de rappeler que le droit a pour objectif de protéger le cocontractant contre une inégalité situationnelle, mais pas contre sa propre sottise1495, sa négligence1496 ou son aveuglement volontaire. Autrement dit, faire part de négligence ou d’aveuglement volontaire en omettant de se renseigner soi-même constitue une erreur inexcusable qui n’a pas pour effet de vicier le consentement1497. »
Analyse
[61] Madame Lafond a convaincu le Tribunal qu’elle a véritablement cru être obligée de quitter son logement. Qu’il est invraisemblable de penser qu’elle ait voulu aussi facilement quitter un logis auquel elle est aussi attachée. À sa cour dont elle peut profiter avec son chien. Et de la proximité de sa mère. Elle n’avait strictement aucun avantage à accepter de quitter ce logement à bas loyer. Et si elle avait visité d’autres logements au préalable, elle s’était rendu compte qu’elle ne pourrait plus s’offrir ce genre de logement dans son quartier. Elle admet avoir eu une méconnaissance de ses droits et avoir fait confiance aux administrateurs.
[62] Tout comme sa voisine, M. D’jouah a été surpris à sa façon et il a cru devoir quitter par ignorance de ses droits. Il n’a pas versé de larmes, mais il est demeuré impassible devant ce qu’il croyait être l’inévitable. Il n’a pas eu le temps de réagir ni réfléchir. Tout s’est passé rapidement et il n’a même pas pensé négocier le montant de l’indemnité. Il est tout aussi invraisemblable pour lui qu’il ait eu un quelconque avantage à quitter un logement correspondant à ses maigres revenus.
[63] Les locataires ont tous deux démontré avoir consenti à une résiliation de bail sur la base de leur croyance erronée qu’ils n’avaient pas le choix de quitter à cause des travaux importants projetés à l’immeuble. Les administrateurs les ont convaincus qu’ils devaient participer à l’effort de financement des travaux qui les obligeaient à consentir à un loyer hors de prix pour eux ou partir. Les locataires ont donc commis une erreur sur un élément essentiel à la formation du contrat. Ils ont convaincu le Tribunal qu’avoir connu leur droit de décider de rester sans augmentation faramineuse dans l’immédiat, ils n’auraient jamais accepté de consentir à leur départ.
[64] Le Tribunal conclut qu’il ne s’agit, dans les circonstances du présent dossier, d’une erreur inexcusable vu le contexte entourant la conclusion de l’entente. Les locataires ont été surpris d’apprendre que la rencontre ne porterait pas sur le sujet annoncé. Ils faisaient chacun face à deux personnes expérimentées du commerce de la location. Les locataires n’ont pas vraiment eu le temps de réfléchir, notamment, par la pression leur étant faite à consentir. Tel que l’a établi l’occupante, pourtant témoin du locateur.
[65] Les locataires étaient en présence de deux hommes d’affaires expérimentés qui se devaient, selon les règles applicables, de leur exposer toutes les options possibles. Tel était leur obligation d’agir de bonne foi. Les locataires sont des personnes vulnérables selon les constatations faites. Madame Lafond s’exprime avec un vocabulaire restreint et fait preuve de beaucoup d’émotivité donc de peu de logique lorsqu’il est question de son logement. Elle donne facilement sa confiance au point qu’elle remercie les personnes venues lui annoncer une terrible nouvelle pour elle.
[66] Monsieur D’jouah est une personne timide et non combative. Il n’a pas une longue expérience des relations contractuelles québécoises. Ils sont tous les deux des personnes naïves et, de toute évidence, peu expérimentées des règles entourant les travaux majeurs dans un immeuble.
[67] Le Tribunal retient que les administrateurs de la compagnie locatrice ont fait preuve de dol par tromperie et/ou, à tout le moins, par réticence à leur égard. Dans un premier temps, il était trompeur de prétendre que les locataires devaient participer aux efforts de financement de travaux voués, notamment, à leur spéculation immobilière selon la preuve vraisemblable reçue.
[68] Il ne suffit pas d’obtenir une signature au bas d’un contrat, même de façon douce et respectueuse, pour que le consentement soit valide. La bonne foi impose qu’on ajuste les renseignements en fonction de la personne avec laquelle on transige. Plus particulièrement, dans le domaine de la location résidentielle lorsqu’il est question pour un locataire de renoncer à son droit au maintien dans les lieux. En l’instance, les locataires n’avaient aucun avantage notable à quitter leur logement. Et de surcroit, il y avait déséquilibre notable entre les cocontractants. Leur obligation de donner tous les renseignements utiles à la prise d’une décision éclairée était forte en l’instance.
[69] Le délai entre la signature des ententes et les envois des mises en demeure n’est pas jugé significatif. Plutôt que refléter un simple changement de position, ces délais indiquent les difficultés pour les locataires à obtenir du soutien. Il aura fallu les conseils d’une passante à un arrêt d’autobus pour que Mme Lafond soit dirigée vers des ressources d’aide juridique.
[70] Pour l’ensemble de ces motifs, le Tribunal conclut que les locataires ont rencontré leur fardeau de preuve d’établir qu’ils n’ont pas donné un consentement libre et éclairé lors de la conclusion de leurs ententes respectives de résiliation de bail. Elles doivent donc être annulées.
[71] Par conséquent, les locataires ne sont pas devenus des occupants sans droit. Ils pourront poursuivre l’occupation de leur logement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[72] ANNULE l’entente de résiliation de bail du 21mars 2019 entre le locateur et Chantal Lafond;
[73] ANNULE l’entente de résiliation de bail du 21 mars 2019 entre le locateur et Mohamed D’jouah;
[74] REJETTE les demandes du locateur;
[75] Sans frais, vu les exemptions accordées.
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Jocelyne Gravel |
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Présence(s) : |
les locataires Me Marc-André Émard, avocat des locataires le mandataire du locateur Me Alexis Desgagné Hébert, avocat du locateur |
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Date de l’audience : |
24 novembre 2020 |
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[1] Pièces L-3 et P-9.
[2] 2018, QCRDL 33573
[3] D. Lluelles et B. Moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis 2012, par. 594.
[4] Par. 540,541 et 544
[5] Par.549
[6] Karim, Vincent, Les obligations, 4e éd. Volume I, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015.
[7] 2004 CanLI 22206 (QC CA).
[8] 2018 QCRDL 6072.
[9] 1-Creighton c. Grynspan, (C.A.,1987-02-23), AZ-87011105, J.E. 87-343. 1987 CanLII 368 (QC CA), [1987] R.J.Q. 527; Cam-spec international Inc. c. Dominion Textiles Inc., (C.S., 2000-09-22), 2000 CanLII 19187 (QC CS), AZ-50078797, J.E. 2000-2003, [2000] R.D.I. 641.
[10] Karim, Vincent, Les obligations, 4e éd. Volume I, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015.
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