Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Décision

Magdoul c. Ayoubi

2021 QCTAL 3533

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

547163 31 20201201 G

No demande :

3125798

 

 

Date :

11 février 2021

Devant la juge administrative :

Sophie Alain

 

Karim Magdoul

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Abdelatif Ayoubi

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N   I N T E R L O C U T O I R E

 

 

[1]      Le locateur demande l’autorisation de reprendre le logement du locataire pour y loger sa fille, Linda Magdoul, au 1er mars 2021.

[2]      D’entrée de jeu, l’avocat du locataire formule une objection préliminaire quant à la recevabilité de cette demande. Il plaide que la demande doit être rejetée pour deux motifs :

·         Extrait du rôle d’évaluation foncière à l’appui, il allègue que le propriétaire de l’immeuble est Halima Baouahi. Le locateur n’est donc pas aussi le propriétaire de l’immeuble, mettant en échec l’application de l’article 1957 du Code civil du Québec (C.c.Q.); et

·         À sa demande d’être relevé des conséquences de son défaut de respecter le délai, le locateur n’a exposé aucun motif.

[3]      Quant au premier motif, le locateur admet que son épouse est la propriétaire de l’immeuble, mais il précise qu’elle lui a donné un mandat.

[4]      En ce qui concerne le second motif, le locateur plaide avoir peur des juges et qu’il a tout tenté pour convaincre le locataire de quitter le logement et d’éviter de judiciariser le dossier. Il précise ne pas connaître la loi. Enfin, il expose que le confinement dû à la pandémie a compliqué ses démarches.

[5]      Enfin, il ajoute que sa fille habite actuellement chez une amie (avec sa petite-fille) puisqu’elle ne s’entend pas avec sa mère. Il plaide l’urgence humanitaire de la situation.

[6]      Le dossier a été pris en délibéré aux fins de statuer sur cette objection préliminaire, sous réserve de convoquer à nouveau les parties et de statuer sur le fond du litige advenant le rejet de l'objection.

[7]      Les parties sont liées par un bail du 1er mars 2020 au 28 février 2021.


DÉCISION

·         La double qualité : le mandat de la propriétaire du logement, donné au locateur, rencontre-t-il cette condition ?

[8]      Le droit d'un locateur à la reprise de logement constitue une exception au droit au maintien dans les lieux du locataire. Ce droit doit donc être exercé selon les exigences prescrites par la loi, soit le Code civil du Québec.

[9]      Ainsi, l’autorisation de reprendre le logement d’un locataire est soumise à une procédure légale formelle qui relève d'une condition de fond, par opposition à une condition de forme. Le respect des dispositions du Code civil du Québec qui régissent la reprise du logement est impératif et d'ordre public[1] afin de garantir et d'assurer le respect du droit d’un locataire au maintien dans les lieux.

[10]   Par conséquent, tout vice affectant l'avis de reprise ou la demande d’autorisation sera fatal à l'exercice du recours par le locateur. D'ailleurs, les tribunaux sont sévères et interprètent les dispositions relatives à la reprise de logement de façon restrictive.

[11]   D’abord, ce droit n’appartient qu’au propriétaire du logement. En effet, le texte de l'article 1957 C.c.Q. ne pose aucune difficulté d'interprétation lorsqu’il stipule la double qualité requise pour reprendre un logement : le locateur du logement doit aussi en être le propriétaire :

« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. »

[Caractère gras ajouté]

[12]   Force est de constater que le locateur n’est pas le propriétaire de l’immeuble et ne rencontre pas l’exigence de la double qualité imposée par l’article 1957 C.c.Q.[2]

[13]   Le fait que la propriétaire du logement, l’épouse du locateur, lui a fourni un mandat ne change en rien ce constat. Au surplus, même s’il avait une convention de prête-nom entre le locateur et la propriétaire, cela ne changerait pas ce constat[3]. De sorte que le mandat de la propriétaire du logement, donné au locateur, ne rencontre pas la condition de double qualité.

[14]   L’objection préliminaire du locataire est, par conséquent, bien fondée. Le locateur ne rencontre pas les exigences de l’article 1957 C.c.Q. et il y a lieu de rejeter le recours du locateur pour ce motif.

[15]   Mais il y a plus.

·         Le Tribunal peut-il relever le locateur des conséquences de son défaut de respecter le délai ?

[16]   Comme le plaide Me Poulin, en l’absence de faits au soutien de cette demande, le Tribunal doit la rejeter. Néanmoins, le Tribunal a permis au locateur d’expliquer son retard.

[17]   L’avis de reprise est donné le 28 août 2020.

[18]   Le locataire n’a pas répondu. Suivant l’article 1962 C.c.Q., il est réputé avoir refusé de quitter le logement.

[19]   Le locateur doit présenter sa demande dans le mois du refus selon l’article 1963 C.c.Q. :

« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.

Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »


[20]   À l’évidence, le locateur n’a pas respecté ce délai par sa demande du 1er décembre 2020.

[21]   L’article 59 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[4] permet de relever une partie des conséquences de son défaut de respecter un délai :

« 59. Le Tribunal peut, pour un motif raisonnable et aux conditions appropriées, prolonger un délai ou relever une partie des conséquences de son défaut de le respecter, si l’autre partie n’en subit aucun préjudice grave. »

[22]   Les motifs invoqués par le locateur relèvent de sa négligence. Or, la négligence ne permet pas d’obtenir une prolongation de délai[5], comme le mentionne la juge administrative Francine Jodoin dans la décision Van c. Eddarissi[6] : l'omission de respecter une exigence légale dans la mise en œuvre d'un droit lorsqu'elle résulte de la négligence, d’une mauvaise compréhension ou encore de l’ignorance de la loi n'est pas retenue comme motif raisonnable permettant de justifier la prolongation du délai.

[23]   Dans ces circonstances, le Tribunal rejette la demande de reprise du logement[7].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[24]   ACCUEILLE l’objection préliminaire du locataire;

[25]   REJETTE la demande pour être autorisé à être relevé du défaut d'avoir produit la demande dans le délai prescrit;

EN CONSÉQUENCE :

[26]   REJETTE la demande du locateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sophie Alain

 

Présence(s) :

le locateur

le locataire

Me Stéphane Poulin, avocat du locataire

Date de l’audience :  

10 février 2021

 

 

 


 



[1] Forget c. St-Jean, R.L. Montréal, 31-020402-032G, 27 décembre 2012, r. G. Bernard.

[2] Cette exigence est reconnue par la Cour du Québec dans l’affaire Ton c. Bourne, J.E. 2005-1283, [2005] J.L. 305, [2005] R.D.I. 680. Voir aussi Mawassi c. Koty, 2013 QCRDL 15228.

[3] Safouani c. Boulgoul, 2020 QCRDL 12779, j. adm. C. Champeval.

[4] RLRQ, c. T-15.01. 

[5] Voir Louvari c. Bowman, 2014 QCRDL 21110, j. adm. L. Boucher; Rossi c. Garzoni, 2014 QCRDL 26663, j. adm. M. Talbot; Raso c. Veilleux, 2015 QCRDL 14861, j. adm. B. Morin; Rochefort c. Matsouskyi, R.L. Montréal, 31-040303-125G, 13 mai 2004, j. adm. F. Jodoin.

[6] 2015 QCRDL 5708, j. adm. F. Jodoin.

[7] Voir aussi Karunathan c. Brizzi, 2016 QCRDL 598.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.