Tremblay c. Immeubles Perron ltée | 2024 QCCA 719 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
| QUÉBEC | ||||
N° : | 200-09-010547-229 | ||||
(150-17-004094-196) | |||||
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DATE : | 4 juin 2024 | ||||
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RÉGIS TREMBLAY | |||||
APPELANT – défendeur/demandeur en garantie | |||||
c. | |||||
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LES IMMEUBLES PERRON LTÉE | |||||
INTIMÉE – défenderesse en garantie | |||||
et | |||||
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DANNY MALTAIS ÉMILIE TREMBLAY | |||||
MIS EN CAUSE – demandeurs | |||||
et | |||||
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ADMINISTRATION PORTUAIRE DE SAGUENAY LINDA BEAULAC FÉLIX TREMBLAY | |||||
MIS EN CAUSE – défendeurs | |||||
et | |||||
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ANDRÉ BOUCHARD GAÉTAN BOIVIN JEAN-PIERRE SIMARD MARJOLAINE TREMBLAY | |||||
MIS EN CAUSE – défendeurs en garantie | |||||
et | |||||
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OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS | |||||
MIS EN CAUSE – mis en cause | |||||
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[1] L’appelant porte en appel un jugement du 26 septembre 2022 rendu par l’honorable Martin Dallaire de la Cour supérieure, district de Chicoutimi, qui déclare irrecevable pour cause d’absence de fondement juridique l’appel en garantie qu’il avait déposé contre l’intimée, Les Immeubles Perron ltée (« Immeubles Perron »).
[2] Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Mainville et Beaupré, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec les frais de justice.
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| ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. | |
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. | |
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| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. | |
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Me Sylvain Truchon | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Alexis Gauthier-Turcotte | ||
Me Isabelle Simard (absente) | ||
SIMARD BOIVIN LEMIEUX | ||
Pour l’intimée | ||
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Me Lahbib Chetaibi (absent) | ||
Me Yves Boudreault (absent) | ||
TREMBLAY BOIS MIGNAULT LEMAY | ||
Pour les mis en cause Danny Maltais et Émilie Tremblay | ||
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Me Vincent Doucet-Bouchard Me Martine Tremblay (absente) | ||
CAIN LAMARRE | ||
Pour la mise en cause Administration portuaire de Saguenay | ||
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Me Claude Desmeules | ||
Me Frédérique Langis (absente) | ||
SISKINDS, DESMEULES, AVOCATS | ||
Pour les mis en cause Linda Beaulac, André Bouchard et Gaétan Boivin | ||
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Me Florence Prévost | ||
WEIDENBACH, LEDUC, PICHETTE | ||
Pour le mis en cause Félix Tremblay | ||
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Me Hubert Chiasson | ||
LANGLOIS AVOCATS | ||
Pour le mis en cause Jean-Pierre Simard | ||
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Me Éric Gagnon (absent) | ||
GAGNON AVOCATS | ||
Pour la mise en cause Marjolaine Tremblay | ||
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Date d’audience : | 25 janvier 2024 | |
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MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON |
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[4] L’appelant porte en appel un jugement du 26 septembre 2022 rendu par l’honorable Martin Dallaire de la Cour supérieure, district de Chicoutimi, qui déclare irrecevable pour cause d’absence de fondement juridique l’appel en garantie qu’il avait déposé contre l’intimée, Les Immeubles Perron ltée (« Immeubles Perron »)[1].
[5] Le 21 mars 2003, Immeubles Perron vend une partie du terrain en litige à l’appelant et une autre partie à la mise en cause, Marjolaine Tremblay, ventes qui faisaient suite à une première vente quelques jours plus tôt d’une autre partie du terrain par Immeubles Perron à un tiers, Gercom Construction inc. (« Gercom »). Ces trois ventes se font avec la garantie légale. En mars 2004, l’appelant et Gercom vendent leurs parties de terrain à Marjolaine Tremblay, qui devient ainsi propriétaire des trois parties du lot en litige. Puis, le 17 juillet 2007, Marjolaine Tremblay cède le terrain entier à l’appelant, cette fois sans garantie « quelconque » :
9. Le cédant ne donne aucune garantie quelconque en regard du terrain cédé notamment quant à la qualité des sols et/ou garantie environnementale.
[6] L’acte de cession comporte de plus la mention selon laquelle « [l]e cessionnaire s’oblige à […] prendre l’immeuble dans l’état où il se trouve ».
[7] Le 14 septembre 2015, l’appelant vend le terrain aux mis en cause Danny Maltais et Émilie Tremblay, qui y construisent leur maison. En 2019, alors qu’ils souhaitent revendre leur immeuble, ils apprennent de leur notaire qu’une lisière le traversant et permettant d’accéder à la rivière à partir du chemin public a été acquise par expropriation par le Conseil des ports nationaux le 10 février 1969, l’avis ayant été publié à l’index aux noms, mais pas à l’index aux immeubles, du moins avant que le registrateur ne l’y inscrive 37 ans plus tard, soit le 4 octobre 2006.
[8] Étant d’avis que cette expropriation est nulle pour diverses raisons, Danny Maltais et Émilie Tremblay déposent en 2019 une demande de déclaration d’inopposabilité de l’avis d’expropriation contre l’Administration portuaire de Saguenay (dorénavant aux droits du Conseil des ports nationaux) et en radiation des inscriptions aux deux index. Ils demandent aussi l’annulation de la vente pour vice de titre et des dommages-intérêts de divers intervenants, dont leur vendeur, l’appelant.
[9] En première instance, les parties ont convenu de ne traiter dans un premier temps que de la question de la validité de l’expropriation. Le 18 octobre 2021, la Cour supérieure (l’honorable Martin Dallaire)[2] radie l’inscription de l’avis d’expropriation de l’index aux immeubles pour le motif qu’elle n’était pas nécessaire pour que l’expropriation soit valide et parce que faite en contravention de la procédure prescrite. Le juge déclare toutefois que la publication de l’avis d’expropriation et du plan illustrant le terrain exproprié au seul index aux noms respectait les exigences de la loi sur l’expropriation fédérale en vigueur à l’époque, et déclare donc l’expropriation en faveur de l’Administration portuaire valide et opposable à l’égard de tous. Ce jugement n’a pas été porté en appel.
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[10] L’expropriation ayant été déclarée valide, l’appelant, défendeur dans la demande en annulation de vente et en dommages de ses acheteurs, dépose une demande introductive d’instance en garantie contre sa propre vendeuse Marjolaine Tremblay, contre un arpenteur-géomètre à qui il avait demandé de vérifier une information voulant que le terrain soit grevé d’un droit de passage[3], contre deux notaires, dont le notaire instrumentant, et contre Immeubles Perron, un des propriétaires antérieurs du terrain dans la chaîne de titres, de qui il avait d’ailleurs lui-même acquis – avec la garantie légale – une partie du terrain en litige en mars 2003, avant, comme on l’a vu, de le revendre l’année suivante à Marjolaine Tremblay.
[11] L’appelant allègue dans sa demande introductive d’instance en garantie qu’il est en droit de poursuivre Immeubles Perron à titre de propriétaire antérieur du terrain en litige. Il y admet avoir lui-même acquis le terrain de Marjolaine Tremblay sans aucune garantie (ce qu’il admet à nouveau dans sa déclaration d’appel), mais allègue que cette dernière connaissait le vice de propriété et qu’elle avait l’obligation de le lui dévoiler. Il n’allègue toutefois pas, ni ne propose, qu’elle lui a déclaré ou autrement faussement représenté que le terrain était exempt de ce vice.
* * *
[12] Dans sa demande en irrecevabilité à l’encontre de la demande introductive d’instance en garantie de l’appelant, Immeubles Perron proposait comme principal motif de rejet que, puisque l’appelant a acquis le terrain de Marjolaine Tremblay sans aucune garantie, il a rompu la chaîne de garanties à l’égard de tous les propriétaires antérieurs, desquels Immeubles Perron fait partie. Son recours en garantie contre elle serait donc dépourvu de fondement juridique.
[13] Le juge a fait droit à ce moyen d’irrecevabilité, prenant en cela appui sur les motifs de la Cour dans Blais c. Laforce[4] :
[6] Il peut arriver toutefois que la chaîne de garanties soit rompue pour des raisons juridiques. L’une d’elles consiste dans la vente intermédiaire de l’immeuble faite sans aucune garantie aux risques et périls de l’acheteur intermédiaire. Sur cette question, la Cour adopte les propos de la juge Lavigne dans l’affaire ING :
[17] […] Selon l’article 1442 C.c.Q., ce sont les «droits des parties à un contrat» qui sont transférés comme accessoire du bien lorsqu’ils lui sont intimement liés. Si ces droits comprennent la garantie contre les vices cachés, ils comprennent aussi la renonciation à cette garantie. Le recours direct de l’acquéreur d’un immeuble contre un vendeur précédent existe; il présuppose cependant la preuve que le droit d’action du premier acquéreur contre son vendeur a été transmis aux acquéreurs subséquents, et cela jusqu’au demandeur.
[Italique dans l’original; soulignements ajoutés]
[7] Les auteurs Pierre-Gabriel Jobin et Michelle Cumyn se rallient à cette position. Ils écrivent que, lorsque le sous-acquéreur invoque l’article 1442 C.c.Q. contre un vendeur antérieur profane, « le recours pourrait toutefois échouer si la chaîne de transmission de la garantie d’un propriétaire à l’autre, jusqu’au sous-acquéreur actuel, avait été rompue ; ce serait le cas par exemple si le vice était apparent lors d’une vente antérieure, s’il y avait une clause exonératoire ou de vente aux risques et périls valide, [etc.] ».
[Soulignement dans l’original; renvois omis]
[14] Les auteurs Lluelles et Moore sont du même avis. Ils expliquent :
De même, la théorie du revers de la médaille voulant que l'ayant-cause particulier n'ait pu obtenir plus de droits que le précédent acheteur, conserve sa pertinence. Cette réserve de la Cour suprême, corollaire obligé de la transmission des droits accessoires, ne peut avoir été remise en cause par l'apparent silence de l'article 1442. Ce texte ne peut que la sous-entendre, puisqu'il implique une transmission implicite de droits. Si, entre autres exemples, l'auteur B du sous-acquéreur C avait lui-même acquis un bien d'un vendeur antérieur A, non professionnel, et de bonne foi, dans le cadre d'un contrat excluant la garantie des vices cachés, le sous-acquéreur final C ne saurait avoir de recours contre le vendeur de son vendeur.[5]
[Renvois omis; soulignement ajouté]
[15] L’appelant soutient que le juge a commis une erreur révisable sur cette question puisque sa demande en garantie contre Immeubles Perron prend appui sur l’acte de vente intervenu entre cette dernière et Marjolaine Tremblay le 21 mars 2003, lequel comportait la garantie légale.
[16] Le moins qu’on puisse dire, c’est que les moyens invoqués par l’appelant, tant dans sa demande introductive d’instance que dans sa déclaration d’appel et son mémoire, ne souffrent pas d’excès de clarté. Bien que sa demande introductive d’instance en garantie, rédigée pratiquement en style télégraphique, expose l’objet de son recours et énonce les faits qui le justifient ainsi que les conclusions recherchées (art. 99 C.p.c.), l’appelant n’y qualifie pas ces faits ni n’y indique les liens juridiques et le droit qu’il entend invoquer et qui seraient susceptibles de mener à un jugement favorable. Cette omission est sans l’ombre d’un doute à l’origine de la confusion qui a mené au jugement entrepris.
[17] Le juge rejette d’abord les arguments de l’appelant selon lesquels la clause de renonciation à la garantie légale ne portait que sur les vices environnementaux. Il se dit plutôt d’avis qu’elle couvre à la fois la garantie de qualité et la garantie de titre. Il conclut aussi que la renonciation à la garantie légale prévue à l’article 1733 C.c.Q. est susceptible de s’appliquer aussi bien à la garantie de qualité qu’à la garantie de titre. Devant nous, l’appelant ne conteste pas, à juste titre[6], cette conclusion.
[18] L’appelant soutient plutôt que le juge a omis de tenir compte des allégations de sa demande introductive d’instance en garantie, lesquelles doivent être tenues pour avérées, selon lesquelles son auteur Marjolaine Tremblay connaissait le vice de titre et qu’elle ne le lui a volontairement pas dévoilé avant la cession.
[19] Qu’en est-il?
[20] L’article 1733 C.c.Q. prévoit ceci :
1733. Le vendeur ne peut exclure ni limiter sa responsabilité s’il n’a pas révélé les vices qu’il connaissait ou ne pouvait ignorer et qui affectent le droit de propriété ou la qualité du bien.
Cette règle reçoit exception lorsque l’acheteur achète à ses risques et périls d’un vendeur non professionnel.
[Soulignements ajoutés]
| 1733. A seller may not exclude or limit his liability unless he has disclosed the defects of which he was aware or could not have been unaware and which affect the right of ownership or the quality of the property.
An exception may be made to this rule where a buyer buys property at his own risk from a seller who is not a professional seller. [Emphasis added] |
[21] Comme nous l’avons vu plus haut, le juge conclut à bon droit qu’un vendeur non professionnel qui connaît ou qui ne peut ignorer un vice affectant le droit de propriété et qui ne le révèle pas à l’acheteur peut malgré cela exclure sa responsabilité lorsque l’acheteur achète sans garantie légale et à ses risques et périls. Cette possibilité est expressément prévue à l’article 1733 C.c.Q. La règle de la bonne foi prévue à l’article 6 C.c.Q., de même que la possibilité de se déplacer sur le terrain de l’erreur vice de consentement, doivent être modulées de façon à donner effet à l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article 1733 C.c.Q., dans ce contexte précis où la renonciation à la garantie est doublée d’une déclaration de l’acheteur voulant qu’il reconnaisse qu’elle est faite à ses risques et périls. J’adhère à cet égard à l’approche formulée par les professeurs Jobin et Cumyn selon laquelle « si la vente est faite aux risques et périls de l’acheteur et que le vendeur n’est pas un vendeur professionnel, à notre avis il est complètement libéré par cette clause même quand il connaissait le vice du titre ou ne pouvait l’ignorer et qu’il ne l’a pas dénoncé »[7]. L’acheteur ayant expressément renoncé à toute garantie du droit de propriété, mais ayant reconnu le péril qui s’y rattache et accepté le risque qui en découle, sera forclos de plaider vice de consentement pour motif d’erreur sur l’objet de la prestation ou encore sur un élément essentiel qui aurait déterminé son consentement (art. 1400 C.c.Q.), sauf en cas de dol.
[22] C’est d’ailleurs là un principe reconnu par la Cour. Ainsi, dans Garage Robert [8], la Cour conclut que le second alinéa de l’article 1733 C.c.Q. autorise un vendeur non professionnel à exclure ou limiter sa responsabilité pour les vices qu’il connaît et qu’il ne révèle pas à l’acheteur, sous réserve des règles générales des contrats portant sur le dol. Dans cet arrêt, le juge Chamberland énonce ainsi la règle applicable[9] :
[34] Le vendeur ne peut pas exclure, ou limiter, sa responsabilité s'il n'a pas révélé à l'acheteur les vices qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer et qui affectent le droit de propriété ou la qualité du bien vendu (article 1733, premier alinéa C.c.Q.). Il y a toutefois une exception à cette règle: le vendeur non professionnel qui fait la vente aux risques et périls de l'acheteur peut exclure ou limiter sa responsabilité même s'il ne révèle pas les vices qu'il connaissait ou ne pouvait ignorer et qui affectent le droit de propriété ou la qualité du bien vendu, sous réserve toutefois, comme le souligne à juste titre le juge Rochon, de l'article 1474 C.c.Q. et des règles générales des contrats (article 1733, deuxième alinéa, C.c.Q.).
[23] La juge Bich, écrivant pour la Cour, réitère ce principe dans Théberge c. Durette[10] :
[…]
Au contraire du vendeur professionnel, le vendeur non professionnel, ce qui est le cas de l'intimée, peut exclure sa responsabilité même s'il n'a pas révélé ou ne pouvait ignorer les vices affectant la qualité du bien. Bien sûr, cela n'empêche pas les règles contractuelles ordinaires de s'appliquer et l'on peut penser que l'acheteur d'un bien pourrait, si le vendeur non professionnel lui a délibérément caché l'existence d'un vice important, invoquer l'erreur, erreur provoquée par le dol de l'autre partie (articles 1399-1401 C.c.Q.), et obtenir l'annulation de la clause (ou celle de la vente) pour ce motif. Encore faudrait-il que l'erreur soit déterminante et que l'acheteur ait par ailleurs exercé toute la diligence raisonnable dans les circonstances et n'ait donc pas contribué à s'induire lui-même en erreur, pour ainsi dire, par exemple en se fermant les yeux ou en agissant de façon négligente ou téméraire.
[Renvois omis]
[24] Cela dit, vu l’exception prévue à l’article 1733 al. 2 C.c.Q. à la règle selon laquelle le vice connu du vendeur doit être dénoncé à l’acheteur[11], le seul silence du vendeur, par opposition aux autres formes habituelles de dol (articles 1399-1401 C.c.Q.), comme le mensonge, les manœuvres et les demi-vérités, ne pourra être constitutif de dol permettant d’obtenir l’annulation de la vente pour motif d’erreur. Reprocher son seul silence au vendeur contrecarrerait l’objectif de l’exception prévue au deuxième alinéa de l’article 1733 C.c.Q.
[25] À cette étape préliminaire du dossier, un élément fait toutefois obstacle à la conclusion qu’en renonçant à toute garantie légale, l’appelant a, du même coup, renoncé à tout recours contre son vendeur Marjolaine Tremblay. Cet élément se rattache aux conditions stipulées à l’article 1733 C.c.Q. afin que le vendeur puisse valablement exclure sa responsabilité alors qu’il a connaissance ou qu’il ne peut ignorer le vice. Cela étant, bien que le recours de l’appelant puisse effectivement continuer contre cette dernière pour les motifs ci-devant énoncés et comme le juge de première instance l’a permis, la clause d’exclusion de la garantie incluse dans le contrat de vente a néanmoins pour effet de rompre la chaîne de titres antérieurs et d’exclure tout recours fondé sur une garantie contenue dans un acte de vente antérieur, dont celui par lequel Immeubles Perron a vendu le terrain à l’appelant.
[26] La clause d’exclusion de garantie dans l’acte de cession de Marjolaine Tremblay à l’appelant ne stipule pas que l’appelant achète « à ses risques et périls », tel que requis par le deuxième alinéa de l’article 1733 C.c.Q. J’adhère, ici encore, à l’analyse que font de cette condition additionnelle les professeurs Jobin et Cumyn :
À notre avis, le simple silence, contrairement au mensonge, aux manœuvres et à la réticence dolosive (demi-vérité), devrait être toléré. L’expression « risques et périls de l’acheteur » constitue un avertissement solennel et si grave, donné à l’acheteur, qu’il libère le vendeur de l’obligation qu’il aurait autrement de déclarer spontanément un vice caché. À nos yeux, le législateur tolère ici une certaine dérogation au principe de la bonne foi quand le vendeur n’est pas un professionnel[12].
[Soulignement ajouté]
[27] La Cour, dans Blais, énonce des propos de même nature :
[8] En somme, le vendeur profane d’un bien immeuble poursuivi pour vices cachés qui a acheté « à ses risques et périls » ne pourra espérer obtenir le secours des auteurs profanes de son vendeur même si ces derniers ont vendu l’immeuble avec les garanties légales.
[9] L’exclusion de la garantie au moyen d’une clause expresse de type – vente sans aucune garantie légale aux risques et périls – constitue un avertissement sérieux fait à l’acheteur que le bien est vendu sans aucune garantie en dépit des vices qui peuvent l’affecter. Cette clause permet d’imputer à l’acheteur une connaissance présumée de l’existence des vices qui elle-même constitue une cause d’interruption de la garantie au bénéfice des vendeurs profanes antérieurs.[13]
[Soulignement ajouté]
[28] La condition de stipuler expressément que l’acheteur acquière l’immeuble à ses risques et périls s’ajoute donc à la renonciation à la garantie. Par celle-ci, l’acheteur affirme reconnaître qu’en renonçant à la garantie, il accepte d’encourir les risques qui se rattachent à sa décision. L’exigence d’une telle déclaration se comprend aisément vu l’effet potentiellement drastique que la renonciation à la garantie peut avoir sur les droits, et ultimement sur le patrimoine, de l’acheteur, surtout en matière immobilière. Les deux mentions, soit la renonciation à la garantie et la déclaration de l’acquéreur qu’en ce faisant il encourt un péril et qu’il prend tout de même le risque, doivent s’y retrouver, sans quoi le vendeur non professionnel ne peut prétendre à une exclusion de sa responsabilité s’il connaissait le vice et qu’il ne l’a pas dénoncé à l’acheteur. La présence de ces mentions doit alors être comprise par l’acheteur comme un avertissement qu’il doit lui-même redoubler de vigilance lors de ses vérifications préachat.
[29] Cela dit, il n’existe toutefois pas de façon sacramentelle d’affirmer que l’acquéreur déclare accepter les « risques et périls » susceptibles de découler de sa décision de renoncer à la garantie. L’auteur Denys-Claude Lamontagne écrit à ce sujet que :
La clause d'achat aux risques et périls peut être expresse ou tacite, mais ne doit pas être équivoque. Étant de droit exceptionnel, l’article 1733 C.c.Q. s’interprète restrictivement. : dans le doute, on verra une exclusion de garantie pure et simple (possiblement invalide selon l’article 1732 in fine ou 1733, premier alinéa, C.c.Q.) et non un achat aux risques et péril[14].
[30] L’énumération détaillée des conséquences potentielles d’une telle renonciation, par exemple, pourrait donc vraisemblablement permettre d’atteindre le résultat souhaité et de conclure que l’acheteur a véritablement reconnu et accepté les conséquences de sa renonciation. Il n’en demeure pas moins que l’emploi de la formulation prévue au deuxième alinéa de l’article 1733 C.c.Q. demeure la plus parlante.
[31] En l’espèce, l’acte de cession ne comporte aucune telle stipulation. Ainsi, bien que la renonciation par l’appelant aux garanties de qualité et du droit de propriété puisse être valide en soi, elle pourra ne pas avoir l’effet de permettre à la cédante Marjolaine Tremblay d’exclure sa responsabilité personnelle si la preuve prépondérante démontre que celle-ci connaissait le vice lors de la vente. L’appelant allègue qu’elle en avait connaissance. Cette allégation de fait devait, dans le cadre de la présentation du moyen d’irrecevabilité, être tenue pour avérée à cette étape des procédures[15].
[32] Cela étant, bien que Marjolaine Tremblay puisse potentiellement être tenue responsable pour les vices cachés ou les vices de titre qu’elle connaissait lors de la vente et qu’elle n’a pas dénoncés à l’appelant – la preuve permettra d’en décider au procès – il demeure néanmoins que la clause de renonciation à toute garantie quelconque en regard du terrain cédé à l’appelant continue d’avoir effet à l’égard de tout autre vice caché ou vice de titre, notamment ceux que le vendeur ne connaissait pas ou qu’il ou elle a effectivement dénoncés. Par ailleurs, en achetant le terrain sans garantie, l’appelant renonce à invoquer la garantie qu’un vendeur antérieur dans la chaîne des titres aurait pu fournir.
[33] Ainsi, bien que la clause de renonciation à la garantie puisse être en partie inopposable à Marjolaine Tremblay si elle connaissait le vice de titre allégué et ne l’a pas dénoncé à l’appelant, cette renonciation de garantie demeure toutefois valable tant en regard de ses effets quant aux vices inconnus du vendeur ou qui auraient été dénoncés à l’acheteur, qu’en regard de ses effets libératoires sur la garantie des vendeurs antérieurs dans la chaîne des titres.
* * *
[34] Cela dit, je suis aussi d’avis de rejeter l’appel pour le motif que le recours de l’appelant contre Immeubles Perron est prescrit. Bien que ce moyen n’ait été soulevé pour la première fois qu’en appel, l’appelant n’a pas démontré qu’il subit un préjudice découlant de la présentation du moyen à cette étape des procédures.
[35] Dans sa demande introductive d’instance en garantie, l’appelant allègue que sa cédante, Marjolaine Tremblay, a été mise au courant du vice de titre dès 2006. Il produit au soutien de cette allégation plusieurs lettres entre ce qu’il soutient être son mandataire et l’Administration portuaire de Saguenay, lesquelles semblent lui donner raison, du moins si on y applique la présomption de véracité applicable à l’étape de la présentation d’une requête en irrecevabilité et en rejet fondée sur l’article 168 al. 2 C.p.c.
[36] Le recours basé sur la garantie légale se prescrit par trois ans (art. 2925 C.c.Q.). Le détenteur d’un bien qui laisse prescrire ce recours contre son auteur ne peut transmettre ce droit éteint à l’acquéreur subséquent. Ce dernier ne peut donc faire valoir la garantie contre le vendeur ou les auteurs de ce dernier. Toutefois, ce recours est soumis aux règles générales applicables à de tels recours, c’est-à-dire que pour bénéficier des droits de son vendeur, encore faut-il que ce dernier ne les ait pas perdus avant de lui vendre le bien.
[37] Les professeurs Jobin et Cumyn s’expriment en ces termes sur le sujet :
Par ailleurs, le sous-acquéreur peut également invoquer l'article 1442 contre un vendeur antérieur même profane, i.e. autre que le fabricant, le distributeur, ou un autre vendeur professionnel. Dans un cas comme dans l'autre, le recours pourrait toutefois échouer si la chaîne de transmission de la garantie d'un propriétaire à l'autre, jusqu'au sous-acquéreur actuel, avait été rompue; ce serait le cas par exemple si le vice était apparent lors d'une vente antérieure, s'il y avait une clause exonératoire ou de vente aux risques et périls valide, si le recours était prescrit, ou s'il existait un autre obstacle selon le droit commun de la vente, telle l'ignorance légitime du vice par un vendeur antérieur, laquelle prive son acheteur de la réparation de son dommage[16].
[Renvois omis, soulignements ajoutés]
[38] En l’espèce, l’appelant entend exercer les droits de Marjolaine Tremblay, sa cédante, à l’encontre de son auteur Immeubles Perron de qui elle a acquis en partie, avec les garanties légales, le terrain en litige. Or, si on tient les faits allégués par l’appelant pour avérés, il s’est écoulé plus de 15 ans entre le moment où Marjolaine Tremblay a été informée du vice de propriété (en 2006) et celui où l’appelant a déposé son recours en garantie contre Immeubles Perron, ce qui fait que ce recours contre cette dernière est manifestement prescrit.
[39] Je propose donc de rejeter l’appel, avec les frais de justice.
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. |
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[1] Maltais c. Administration portuaire de Saguenay, 2022 QCCS 3750 [jugement entrepris].
[2] Maltais c. Administration portuaire de Saguenay, 2021 QCCS 4811.
[3] Dans les motifs de son jugement portant sur la validité de l’expropriation, le juge Martin Dallaire note que les propriétaires postérieurs du terrain suivant l’expropriation « [96] […] ne pouvaient pas ignorer une route d’importance avec une emprise sur une assiette spécifique du terrain. [97] La clôture, le ponceau, la surface gravelée, la barrière et ses fossés constituent des repères identifiables et de nature à nécessiter une vérification approfondie ». L’appelant reproche à l’arpenteur-géomètre consulté de ne pas avoir fait les vérifications appropriées.
[4] Blais c. Laforce, 2022 QCCA 858 [Blais].
[5] Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, 3e éd., Montréal, Thémis, 2018, no 2302.
[6] Pierre-Gabriel Jobin et Michelle Cumyn, La vente, 4e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2017, SOQUIJ AZ-40029701, nos 152 et 201; Garage Robert Inc. c. 2426-9888 Québec Inc., [2001] R.J.Q. 865, 2001 CanLII 9967 (QC CA), paragr. 14.
[7] Pierre-Gabriel Jobin et Michelle Cumyn, supra, note 6, no 152. Voir au même effet : Roussel c. Caisse Desjardins de Ste-Foy, J.E. 2004-2021, paragr. 26-32 (C.A.).
[8] Garage Robert Inc. c. 2426-9888 Québec Inc., supra, note 6, aux paragr. 20 (Rochon, j.c.a.) et 34 (Chamberland, j.c.a.). Notons que dans l’arrêt Trois Diamants autos (1987) Ltée c. M.G.B. auto Inc., 2001 CanLII 17945 (QC CA), paragr. 39, le juge Fish énonce qu’il souscrit sans réserve aux motifs du juge Rochon dans l’affaire Garage Robert.
[9] Id., paragr. 34.
[10] Théberge c. Durette, 2007 QCCA 42 (CanLII), paragr. 83.
[11] On ne doit pas perdre de vue que l’acheteur devra dans tous les cas satisfaire à toutes les autres conditions d’ouverture du recours en exécution d’une garantie légale, soit en outre démontrer que le vice est caché et qu’il est grave, en plus de démontrer qu’il a « exercé toute la diligence raisonnable dans les circonstances et n'[a] donc pas contribué à s'induire lui-même en erreur, pour ainsi dire, par exemple en se fermant les yeux ou en agissant de façon négligente ou téméraire » : Théberge, op. cit., paragr. 83.
[12] Jobin et Cumyn, supra, note 6, paragr. 203.
[13] Blais, supra, note 4. Voir au même effet : Lasalle Motors Inc. c. J.A. Martin & Fils ltée, SOQUIJ AZ-94011694, J.E. 94-1083 (C.A.).
[14] Denys-Claude Lamontagne, Droit de la vente, 4e éd., Montréal, Yvon Blais, 2019, no 217.
[15] 9302-9239 Québec inc. (Habitations Mozenco) c. Média QMI inc., 2018 QCCA 846, paragr. 30 et 31.
[16] Jobin et Cumyn, supra, note 6, no 235.
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