Spieser c. Procureur général du Canada |
2020 QCCA 42 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
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(200-06-000038-037) |
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DATE : |
17 janvier 2020 |
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NICHOLAS KASIRER, J.C.A. |
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MARIE-PAULE SPIESER |
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APPELANTE/INTIMÉE INCIDENTE - demanderesse |
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c. |
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA au nom de SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA |
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et |
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GD-OTS CANADA INC. |
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et |
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SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE VALCARTIER INC. |
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INTIMÉS/APPELANTS INCIDENTS - codéfendeurs solidaires |
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1. SURVOL DU DOSSIER 5
2. CONTEXTE HISTORIQUE 7
2.1. Le centre de recherches et la base militaire 8
2.2. L’usine de munitions 13
2.3. La documentation historique sur les inquiétudes liées à la qualité de l’eau de la Ville de Québec 24
2.4. La découverte de la contamination 32
2.5. Décembre 2000 et la suite 51
2.6. Le Regroupement des citoyens de Shannon et la preuve d’expert de l’appelante 53
2.7. Les travaux de l’INSPQ 57
2.8. Les expertises hydrogéologiques 63
2.8.1. Les travaux de l’INRS et le Rapport Lefebvre juillet 2010 63
2.8.2. Le Rapport Chapuis 2010 66
2.8.3. Le Rapport Lefebvre décembre 2010 67
3. LE JUGEMENT DONT APPEL 68
3.1. Le lien de causalité 68
3.2. Les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires 71
3.3. Les troubles de voisinage 72
4. LES PROCÉDURES EN APPEL 73
5. LES QUESTIONS EN LITIGE 74
6. LA STRUCTURE DU JUGEMENT 75
7. LA PREUVE SCIENTIFIQUE, LE LIEN CAUSAL ET LES CANCERS 77
7.1. Les prétentions de l’appelante 77
7.2. Les prétentions des intimés 78
7.3. Analyse 79
7.3.1. Le Rapport Tremblay 80
7.3.3.1 Résumé du rapport 80
7.3.3.2 Commentaire critique 83
7.3.2. Le Rapport Van Coillie 2008 86
7.3.2.1. Résumé du rapport 86
7.3.2.2. Commentaire critique 88
7.3.3. Le Rapport Shields 91
7.3.3.1. Résumé du rapport 91
7.3.3.2. Commentaire critique 93
7.3.4. Le Rapport Siemiatycki janvier 2010 95
7.4. Conclusion 97
8. LA PREUVE NOUVELLE 101
8.1. L’historique de la preuve nouvelle 101
8.2. Le Rapport de la DSP 108
8.3. Le Rapport du Dr Tremblay 112
8.4. Le Rapport du Dr Siemiatycki 115
8.5. Analyse 118
9. LA FAUTE 124
9.1. Les prétentions des parties 124
9.2. L’erreur de méthodologie 124
9.3. Rappel des principes applicables 129
9.4. L’analyse de la preuve 130
9.4.1. La preuve experte 130
9.4.2. La preuve documentaire et testimoniale 133
9.4.2.1. Le centre de recherches, le Conseil de recherches pour la défense et le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social 133
a) Le centre de recherches 133
b) Le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social 138
c) Le Rapport Carrier 142
d) Les constats 145
9.4.2.2 Les intimées corporatives 147
9.4.3. La découverte de la contamination 150
9.5. Les articles 1465 et 1467 C.c.Q. 152
10. L’ATTEINTE ILLICITE ET INTENTIONNELLE 153
10.1. Le test de St-Ferdinand 153
10.2. L’atteinte intentionnelle 157
11. LE PRÉJUDICE 163
11.1. La durée de l’exposition au TCE : une mesure de l’intensité du préjudice moral 163
11.1.1. La base d’évaluation 163
11.1.2. La période d’exposition : la preuve hydrogéologique 167
11.2. Le préjudice découlant des troubles et inconvénients occasionnés par le raccordement à l’aqueduc 173
11.3. Les dommages punitifs 174
11.4. Le préjudice matériel 174
11.5. L’appel incident 174
11.6. Tableau résumé 176
12. PRESCRIPTION, INJONCTION, FRAIS D’EXPERTISE ET INTÉRÊTS 177
12.1. La prescription 177
12.2. L’injonction 178
12.3. Les intérêts 179
12.4. Les frais d’expertise 179
12.5. Les frais de justice et frais d’expertise en appel 179
13. CONCLUSION 180
ANNEXE A : Plan d’indeminisation (fondé sur la pièce R-132) 185
[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 21 juin 2012 par l’honorable Bernard Godbout de la Cour supérieure du Québec, district de Québec. Ce jugement accueille en partie une action collective formée au nom des citoyens de la municipalité de Shannon et condamne les intimés à verser aux membres du groupe des dommages-intérêts en réparation du trouble de voisinage causé par la contamination de la nappe phréatique par un solvant industriel, le trichloroéthylène [« TCE »][1]. Pour leur part, les intimés se portent appelants incidents contre certaines conclusions du jugement.
[2] En décembre 2000, la municipalité de Shannon est informée par la Direction de santé publique de la Capitale-nationale [« DSP »] que des analyses ont révélé la présence de TCE dans plusieurs puits de la communauté[2]. La DSP recommande aux résidents de la zone à risque de ne pas consommer l’eau du robinet.
[3] La municipalité de Shannon se trouve à quelques kilomètres à peine de la base militaire de Valcartier, du centre Recherche et développement pour la défense Canada et d’une ancienne usine de munitions opérée à l’origine par le gouvernement fédéral, mais qui appartenait à SNC-Lavalin au moment de sa fermeture en 1991. La preuve a démontré que du TCE a été utilisé sur ces trois sites pendant de nombreuses années, au moins depuis les années 1960. Des expertises hydrogéologiques réalisées par l’Institut national de la recherche scientifique [« INRS »] ont révélé la présence d’un panache de contamination souterraine qui s’étend du centre de recherches et de l’usine de munitions en direction nord-ouest jusqu’à la rivière Jacques-Cartier, en passant sous la ville de Shannon et la base militaire. Une centaine de puits résidentiels sont situés dans la zone du panache.
[4] Le TCE est un produit cancérigène[3].
[5] Le 19 décembre 2003, l’appelante dépose une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif au nom des résidents de Shannon affectés par la contamination. Cette requête est accueillie le 19 mars 2007[4].
[6] En première instance, l’appelante soutenait que les intimés ont fait preuve de négligence dans la manutention du TCE. Du TCE usagé aurait été rejeté dans l’environnement, sans égard pour le risque de contamination qui était, selon elle, connu à l’époque. Elle soutenait également qu’il existe à Shannon un nombre anormal de cas de cancer et d’autres problèmes de santé attribuables à la présence de TCE dans la nappe phréatique. Elle réclamait en conséquence des dommages-intérêts compensatoires en réparation de tous les préjudices subis par les personnes exposées à la contamination, de même que des dommages-intérêts punitifs.
[7] Une abondante preuve documentaire et scientifique a été produite par les parties. La population de Shannon a notamment fait l’objet d’une attention particulière de la DSP, impliquée dans le dossier depuis 1998. La DSP, appuyée par l’Institut national de santé publique du Québec [« INSPQ »], a produit plusieurs rapports et analyses au fil des années sur l’état de santé de la population de Shannon.
[8] Dans son jugement, le juge de première instance rejette les prétentions de l’appelante au sujet de l’existence d’un excès de cancer. Selon lui, « les analyses démontrent que la situation à Shannon, en ce qui concerne la proportion de cancers entre les femmes et les hommes, de même que les types de cancers, s'apparente à la situation de la population canadienne en général »[5], et « la preuve ne démontre pas qu'il est probable que les déversements de TCE sur le sol qui ont contaminé la nappe phréatique sous la municipalité de Shannon puissent être la cause d'un nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises »[6]. Il rejette également la demande de dommages-intérêts punitifs, au motif que la preuve ne démontre pas que les intimés auraient porté atteinte aux droits des citoyens de Shannon de façon illicite et intentionnelle[7]. Il conclut cependant que la contamination de la nappe phréatique constitue un trouble de voisinage au sens de l’article 976 du Code civil du Québec[8]. Il accorde aux personnes qui occupaient une résidence ayant dû être raccordée au réseau d'aqueduc en raison de la présence de TCE dans leur puits un montant de 1 000 $ par mois ou partie de mois d'occupation d'une de ces résidences, pour la période allant du 21 décembre 2000 au 20 décembre 2001, plus un montant forfaitaire pour celles qui avaient un mineur sous leur responsabilité[9].
[9] L’affaire est portée en appel en juillet 2012[10].
[10] En juillet 2010, alors que les procédures judiciaires suivent leur cours en première instance, les représentants des citoyens de Shannon signalent au directeur de la santé publique, le Dr François Desbiens, un nombre apparemment élevé de cas de cancer du cerveau dans leur communauté. En octobre 2010, le Dr Desbiens accepte de réaliser une étude d’incidence de grande envergure. La réalisation de cette étude a pris plusieurs années et le rapport final de la DSP a finalement été publié en avril 2016.
[11] L’admissibilité de cette étude a fait l’objet d’un débat important en appel. L’appelante a produit en 2016 une requête pour permission de présenter une preuve nouvelle afin que la Cour puisse prendre connaissance des conclusions de la DSP de même que de l’analyse d’un des experts de l’appelante, le Dr Claude Tremblay. En réplique, les intimés demandent à faire entendre une contre-expertise.
[12] Le 10 janvier 2017, la Cour d’appel accueille la requête et retourne le dossier en Cour supérieure pour qu’y soit constituée la preuve nouvelle[11]. L’affaire est finalement entendue en octobre 2018.
[13] Les gens de Shannon attendent depuis bientôt 20 ans la fin de cette saga.
[14] La municipalité de Shannon est voisine de trois sites où se trouvent les sources potentielles du TCE ayant contaminé la nappe phréatique.
[15] La base militaire a été établie en 1913. Elle comprend un quartier résidentiel, dit des « logements familiaux », situé sur le territoire de Shannon et approvisionné en eau potable par le réseau d’aqueduc de la base militaire[12]. La municipalité lui fournit ses services et reçoit une compensation de taxes municipales du gouvernement fédéral[13]. En vertu d’un contrat conclu le 10 mai 1999, le gouvernement du Canada vend à la municipalité de Shannon toutes les infrastructures situées sur son territoire, y compris le réseau d’aqueduc[14].
[16] Le centre de recherches a été créé en 1945. Il s’agit à l’époque du Canadian Armament Research and Development Establishment [« CARDE »]. Il deviendra par la suite le Centre de recherches pour la défense de Valcartier [« CRDV »], puis le centre Recherche et développement pour la défense Canada [« RDDC »]. Les expressions CARDE, CRDV et RDDC désignent donc la même entité. Le centre de recherches est subdivisé en deux parties qui se situent de part et d’autre de la route 369 qui mène à Shannon.
[17] L’usine de munitions est construite en 1938. Elle se situe au sud de la route 369, entre RDDC nord et RDDC sud. Elle est d’abord exploitée par le gouvernement fédéral par l'entremise de Dominion Arsenals Ltd., puis, à partir de 1946, par une société d’État, Canadian Arsenals Ltd. En 1966, l'usine est vendue aux Industries Valcartier inc., qui deviendront IVI. En 1980, l’entreprise SNC acquiert les actions d’IVI puis cède l’usine à l’une de ses filiales, Les Produits de défense SNC ltée, qui devient en 1999 SNC Technologies Inc. [« SNC TEC »].
[18] Le 4 janvier 2007, SNC TEC vend l'usine de munitions à l'une des intimés, Société immobilière Valcartier inc. [« SIVI »]. Le 8 janvier 2007, GD-OTS Canada inc. annonce l'acquisition de SNC TEC. Elle admet dans sa défense qu’elle est « aux droits et obligations de SNC-Technologies et de ses auteurs »[15].
[19] Le centre RDDC se compose de trois sites : RDDC nord, RDDC sud et un secteur d’essais situé au nord de Shannon, à un endroit nommé « Green Gate ». On y trouve un champ de tir et une zone d’essais qu’on nomme « le plateau ». La partie nord-est de RDDC nord s’appelle le « complexe expérimental ». C’est là qu’on trouve les laboratoires et que se poursuit la recherche sur les explosifs. Dans ce complexe se trouve une fosse appelée « Lagon bleu » où se jetait le réseau d’égout acide des laboratoires, entre les bâtiments 83 et 71[16]. Complètement à l’ouest se trouve le « parc Lemay », un ancien site d’enfouissement.
[20] À RDDC sud se trouvent notamment les champs de tir. Le centre RDDC possède également un vaste terrain inutilisé au sud-ouest (secteur de Donnacona). Il s’agissait d’une zone de sécurité pour les champs de tir[17]. Dans le coin nord-est de RDDC sud se trouve également le lieu d’enfouissement dit « petit calibre » (« Small Arms »)[18].
[21] Au nord de Shannon et à l’ouest de la rivière Jacques-Cartier se trouve le secteur d’essais, dit « Green Gate », où se trouvaient un champ de tir, un dépôt de matériaux secs, un site de dépôt des matières résiduelles et dangereuses et un site de brûlage des substances explosives[19].
[22] Stéphane Jean, agent d’environnement à RDDC de 1997 à 2002[20], a réalisé entre 2004 et 2006 un rapport historique détaillé[21] sur l’utilisation et l’élimination du TCE à RDDC Valcartier, un mandat qui lui a été confié par les autorités de RDDC Ottawa[22]. C’est sur la base de ce rapport que le procureur général du Canada a établi une liste d’admissions concernant les activités de RDDC Valcartier, qui a été déposée le 20 juin 2011[23]. Le rapport de M. Jean a été admis « uniquement au soutien des admissions du Procureur général du Canada » et des précisions apportées par M. Jean lors de son témoignage[24].
[23] Voici ce qui ressort des admissions du procureur général du Canada, appuyées par le rapport de M. Jean. Le CARDE a été créé en 1945. À Valcartier sont établies les divisions de la balistique, de la chimie et des essais. On y mène des projets de recherche en matière de projectiles, de propergols, d’explosifs, de fusées, de roquettes et de munitions. Quatre projets d’importance ont été documentés par M. Jean au cours de la période pertinente :
- le développement des moteurs-fusées Black Brant entre 1959 et 1985;
- le programme des fusées météorologiques entre 1966 et 1969;
- le développement de la roquette CRV7 entre 1971 et le milieu des années 1980;
- un projet sur les mélanges fumigènes et le développement de grenades fumigènes entre 1970 et 1978 environ.
[24] Selon le procureur général du Canada, il n’existe aucune trace d’utilisation de TCE dans le complexe expérimental avant 1959. Des appareils de dégraissage employant du TCE auraient été utilisés dans plusieurs bâtiments de RDDC nord, dont un « jusqu’aux alentours de 1955 » à l’atelier mécanique. Du TCE aurait également été employé pour le nettoyage des malaxeurs qui servaient à préparer les propergols (produits servant à la propulsion d’une fusée) et de divers autres types de pièces métalliques, dont des mandrins. On s’en serait également servi à plusieurs endroits pour dégraisser des moules et nettoyer du matériel au chiffon. Selon le procureur général du Canada, « les quantités conservées quotidiennement à l’intérieur auraient été de quelques litres seulement ». Le TCE utilisé dans les dégraisseurs était éliminé par évaporation sous des hottes et les résidus étaient incinérés. Selon le procureur général, « il a été impossible » de déterminer les quantités de TCE rejetées.
[25] Les laboratoires de chimie situés dans les bâtiments 55 et 62, le long de la route régionale, possédaient un réseau acide qui se jetait dans une fosse ouverte surnommée « Lagon bleu ». Celui-ci aurait été utilisé de 1959 à 1985 environ; plusieurs bâtiments y étaient raccordés[25]. Du TCE aurait été employé dans ces laboratoires pour « du nettoyage et des analyses ». En 1965, il est « constaté » que des résidus de TCE étaient récupérés dans des bouteilles et déversés dans le lagon et que du TCE aurait également été jeté dans le réseau acide.
[26] De la fin des années 1950 à 1966, on exploite un site de brûlage à RDDC nord. On y aurait éliminé par incinération des résidus d’explosifs et des guenilles de nettoyage, dont certaines imbibées de TCE. On exploite également un site d’enfouissement des déchets situé à l’ouest de RDDC nord, le parc Lemay. Ces deux sites sont fermés en 1966. On commence alors à utiliser le site de disposition des matières dangereuses au secteur d’essais, du côté de Green Gate. De 1966 à 1985, c’est là qu’on se serait débarrassé des solvants usés[26].
[27] Un site d’enfouissement aurait également été exploité à l’extrême est de RDDC sud, à un endroit surnommé « petit calibre » (Small Arms), jusqu’en 1977. Par la suite, des contrats sont alloués pour l’enlèvement des déchets dangereux produits par les laboratoires de chimie et l’atelier mécanique.
[28] Le procureur général du Canada mentionne également de « petits déversements de TCE » à l’extérieur de plusieurs bâtiments de RDDC nord et insiste à plusieurs reprises sur les « petites quantités » en cause.
[29] Richard Leahy a travaillé comme technicien au CARDE (et ses dénominations subséquentes) de 1950 à 1988. Il se souvient dans les années 1950 avoir travaillé sur le projet Heller[27], une arme d’épaule[28] antichar[29]. Les composantes de fusée étaient entreposées dans de la graisse rouge et épaisse. Pour dégraisser les pièces en vue de l’assemblage, une hotte (fume hood) a été installée dans le bâtiment 79. On nettoyait les pièces dans un plateau (tray area) rempli de solvant. Dans les années 1950, il s’agissait de tétrachlorure de carbone (carbon tetrachloride). On utilisa ce produit pendant environ six ans. « Orders come one day that it was never to enter the building again » et on le remplaça par du TCE à partir de 1957 environ[30]. Ce processus de dégraissage nécessitait environ 5 gallons de TCE pour chaque fusée. Le projet Heller se serait poursuivi pendant 10 ans. Il n’est pas facile de déterminer combien de ces fusées auraient été assemblées. M. Leahy dit qu’il pouvait en assembler une dizaine par année[31], mais dit aussi :
So, those components were used... when they come in, we get a shipment, like we get a lot of them in, I might get an order to make up say 50, or 25 or 50, well then we degreased them and fired them.[32]
[30] Les bâtiments où se déroulaient ces travaux n’avaient pas d’égouts à proprement parler. Le solvant usé était jeté dans un drain qui, selon M. Leahy, menait à des tuyaux qui se jetaient dans un des cloaques (« cesspools ») qui se trouvaient sur le site. Il localise une de ces fosses entre les bâtiments 77 et 21 et une autre entre les bâtiments 67 et 70[33]. Ce dernier emplacement correspond grosso modo à la localisation du Lagon bleu :
Q. […] When you would pour these solvents down the drain, where did they go?
R. The only place I can see that they went before we got sewage was into one of those open pit holes. They had to go there because we had plumbing out of the building, there was a pipe out of the building, but with no sewage. That's why I think those holes were made that way, were made there.
Q. So, you think it went on to the ground?
R. It went in the ground, yes. And I'm almost... I mean, I can't testify to it, but there was more than one of those here. There was one... like for certain buildings, there would be one of those to take the overflow or (inaudible).
Q. Well, what he was just pointing tyo, Your Honour, he was pointing to this area here. And could you repeat what you said, please?
R. Yes. Like even the water from the sinks and that had to go some place, so it went to those... what do you call them, sink holes or cesspool holes or... whatever.
Q. And it was your thought that maybe there was more than just one?
R. Oh yes, there was more than one.[34]
[31] Le TCE était également utilisé pour nettoyer les surfaces de travail. Les chiffons imbibés de TCE étaient jetés aux ordures[35].
[32] Donald Patrick Tuppert a travaillé au CARDE de 1965 à 1995, d’abord à la maintenance puis en tant qu’opérateur d’équipement lourd. Ses tâches consistaient à « helping carrying stuff » et « doing all kinds of stuff »[36]. Il se débarrassait de beaucoup de déchets dans le secteur de Green Gate, notamment au lac Woodstock, qu’il décrit comme un dépotoir immense[37]. Il récupérait notamment des barils de produits usés au bâtiment 200 du CRDV sud. Il demandait : « Where do I go and dump that? » et on lui répondait : « Oh, any place at all. But watch it, okay? »[38]. Il ajoute :
R. That was like an oil. They had the machines they used to cut it there with that oil there and the oil would get all contaminated and they used to dump it in the barrel and I would take the barrels and go and dump it on the south side, up in the mountains and all over the place there, okay?
[…]
Q. So, you would pick up a barrel...
R. Right.
Q. …and then you would just throw the whole barrel in the ground?
R. Right on. And they used to call that the big machine, used to dig a hole all around there and I would go up there, back up the truck, dump them down, and the other guys from the garage would come up with a bulldozer and hide them, yes.
Q. Bury them?
R. Bury them, yes.[39]
[33] Il faisait ce travail « [a]ll the time, all over the place » et indique l’avoir fait pendant près de 29 ans.
[34] On sait aussi que du TCE était utilisé à la base militaire, mais peu d’informations sont disponibles à ce sujet. M. Denis Descôteaux a été membre des Forces armées canadiennes de 1978 à 1996; il a été posté à Valcartier de 1978 à 1979, puis à nouveau de 1982 à 1985. Le nettoyage des armes, des véhicules et de l’équipement faisait partie du quotidien des soldats. L’arme était lavée sommairement tous les jours, et de fond en comble une fois par semaine. Chaque pièce était plongée dans un bassin constitué d’un baril de 45 gallons coupé en deux rempli avec un mélange de TCE et de Varsol[40].
[35] Les demi-barils étaient vidés directement dans le drain de l’entrepôt du quartier-maître. Les chiffons et les brosses souillés étaient jetés. Ça représentait une « quantité énorme »[41] de déchets. On ignore où menait le drain. Une ou deux fois par année, les véhicules étaient aussi nettoyés au TCE et au Varsol[42].
[36] M. Descoteaux explique que les procédures de nettoyage n’ont pas changé entre ses deux passages à Valcartier. Entre 1979 et 1982, il a été posté en Allemagne où, selon lui, les procédures de gestion des déchets étaient beaucoup plus strictes :
En Europe, il n'y a aucun produit qui devait être jeté ou quoi que ce soit. Tous les produits qu'on utilisait, autant du Varsol, de l'huile ou n'importe quoi, étaient revidés dans les contenants qu'on avait utilisés, et les chiffons, c'était mis dans des sacs, mais c'était des sacs beaucoup plus épais, puis il n'y a rien qui était disposé dans les poubelles, tout était envoyé... je ne le sais pas à quelle place qu'ils envoyaient ça, mais je sais qu'on avait eu des directives vraiment strictes, en Europe, de ne pas rien jeter. Tout était récupéré.[43]
[37] Il n’existait pas de consigne de sécurité ou de procédure de récupération. Beaucoup de soldats plongeaient leurs mains directement dans le solvant[44]. Tous les déchets étaient emmenés au dépotoir de la base militaire, qui semble être situé au nord-est[45], qui était « plein » de vieux barils de TCE[46].
[38] L’usine de munitions est composée de trois groupes de bâtiments que les employés désignaient sous le nom de « plant » 1, 2 et 3.
[39] Dans le plant 1, situé à l’ouest, on procède aux opérations d'amorçage et d'encartouchage des douilles. C’est là qu’on installe l’explosif et qu’on scelle les cartouches. Le plant 2, à l’est, se compose principalement d’une « douillerie » (usine de douilles), d’une fonderie et d’un atelier où l’on fabrique les composantes de plomb[47]. Le plant 3, situé au milieu du site, face à la route, regroupait différents types d’ateliers mécaniques[48].
[40] L’usine possédait son propre réseau d’aqueduc alimenté par trois puits de même que trois réseaux d’égout distincts. L’égout sanitaire menait les eaux usées vers les bâtiments 56 et 57, au nord-ouest du site, où des pompes les refoulaient vers l’égout sanitaire de la base militaire qui les traitait en vertu d’un échange de services. Le réseau pluvial récupérait les eaux de surface et les dirigeait vers le bâtiment 227 où se trouve un « trunk box » doté d’un séparateur d’huile et de graisse. Ces eaux étaient ensuite pompées vers une usine d’épuration située dans les bâtiments 224 et 226. Ce trunk box était également doté d’un tuyau de 36 pouces pour évacuer les surplus en cas d’orage ou de fonte importante (« storm sewer »). Ce tuyau menait directement au ruisseau situé à l’est de l’usine[49].
[41] Finalement, un égout acide fait de tuiles vitrifiées[50] récupérait les eaux acides et savonneuses du plant 2 et les dirigeait vers l’usine d’épuration des eaux, dans les bâtiments 224 et 226[51].
[42] Cette usine d’épuration a été construite en deux étapes : en 1950 d’abord, pour le traitement des eaux acides, puis en 1957, pour le traitement des eaux huileuses[52]. Les boues de l’usine étaient rejetées dans une lagune qu’on a appelée par la suite « lagune E ». Certains employés l’appelaient « clarifier ». On y versait de la chaux pour neutraliser les acides[53]. Une fois traitées, les eaux s’écoulaient dans le ruisseau derrière l’usine, qui allait se jeter dans les lagunes de sédimentation à l’est de l’usine (lagunes F, G et I)[54].
[43] Quelques fois par année, la lagune E était vidée à la pelle mécanique et les boues étaient transportées dans la lagune A, située près de la route à environ un demi-kilomètre à l’ouest de l’usine[55]. Il s’agit d’une ancienne carrière parfois surnommée « carrière des Vingt Cents » ou même « Vincennes »[56] en référence au salaire quotidien des gens qui y travaillaient à l’époque[57].
[44] L’usine possédait également une usine de filtration des eaux issues des puits d’alimentation, qui en retirait le fer excédentaire avant de l’injecter dans le réseau d’eau potable. Elle se trouvait dans le bâtiment 144[58].
[45] Lise Potvin, opératrice aux industries Valcartier de 1967 jusqu’à la fermeture, en 1991, et André Loiselle, opérateur à l’encartouchage et chargeur d’amorce jusqu’en 1980, décrivent la façon dont le TCE était utilisé au plant 1. Les opérateurs utilisent des presses d’amorçage, surnommées « capeuses », pour poser l’amorce à l’intérieur de la douille, après quoi un poinçon vient appliquer une couche de « vernis asphalté » ou scellant (« Sewall »)[59] sur la bouche de la douille. Ce scellant asphalté, trop épais pour les capeuses, était additionné de TCE pour le clarifier[60]. Les employés désignaient le TCE sous le nom de « Blacosolv » ou de « Trilux ». Pour les besoins de cette opération, M. Loiselle indique qu’il commandait environ un baril de 45 gallons de TCE par mois[61].
[46] Mme Potvin décrit avec précision les différents usages du Blacosolv dans ce département. Chaque capeuse est dotée d’un petit bain dans lequel trempe le poinçon. En dehors des heures de travail, ce bain est rempli de Blacosolv pour nettoyer le poinçon. En arrivant au travail, on remplit les bains d’un mélange de TCE et de scellant. Selon Mme Potvin, on pouvait passer un litre de scellant par jour par capeuse[62] et peut-être un total de 40 à 50 litres de mélange par jour pour l’ensemble des machines[63].
[47] Le département des presses d’amorçage utilisait de plus un grand bain d’au moins 15 gallons[64] de Blacosolv pour nettoyer le matériel. Des mécaniciens venaient y nettoyer leurs outils et leurs pièces métalliques[65]. Le TCE qui s’y trouvait devait être remplacé toutes les semaines lorsque l’usine fonctionnait à plein rendement. Le Blacosolv est aussi utilisé pour nettoyer les machines avec des guenilles et des pinceaux[66].
[48] Le Blacosolv usé devenait noir et inutilisable[67]. Un baril de 45 gallons de produits liquides usés se trouvait à l’extérieur du département des capeuses, dans le corridor[68]. C’est là qu’on déversait le solvant lorsqu’il devenait trop sale pour être efficace, tant celui dans lequel baignaient les poinçons des capeuses que celui du grand bain de nettoyage. Des employés du garage venaient ensuite chercher le baril de TCE sale quand il était plein.
[49] Il n’y avait pas de procédure particulière pour l’utilisation du TCE. Quand on en avait besoin, pour la préparation du mélange de scellant ou pour le nettoyage, on allait en chercher, tout simplement. Les guenilles et les pinceaux étaient jetés aux ordures[69].
[50] Dans un autre département de capeuses qui fabriquaient des « 50 » (des munitions de calibre supérieur), Mme Potvin mentionne avoir vu des employés jeter carrément le TCE par les fenêtres[70]. Quand des incidents semblables se produisaient, toutefois, « le boss n’était jamais là »[71].
[51] Une fois la douille amorcée, on procède à l’assemblage des cartouches. Ce procédé n’utilisait pas de Blacosolv, mais on s’en servait pour nettoyer les machines[72]. Une fois assemblées, les cartouches doivent être nettoyées pour enlever les éclaboussures de scellant, qui a la consistance de la gomme de sapin. Les cartouches sont placées dans des cuves rotatives dotées d’une vis sans fin. On y ajoute du TCE et de la criblure de maïs (Corn Cob Grit). La criblure absorbe le TCE et, à l’intérieur de la cuve rotative, le brassage nettoie les cartouches[73]. Chaque cartouche militaire produite passait à cette opération de nettoyage. Dans les mots de M. Loiselle, « [s]i on avait vingt-cinq millions (25 M) de cartouches de 762 durant l'année à faire, il y en avait vingt-cinq millions (25 M) qui étaient nettoyées, sans oublier les neuf millimètres (9 mm), les 5.56, le calibre 50, 303 »[74]. La cuve rotative pouvait contenir une poche de criblure de maïs et une boîte ou deux de cartouches. La quantité de solvant dépendait de l’état des cartouches, mais M. Loiselle semble suggérer qu’elle se comptait en litres[75].
[52] M. Loiselle explique que l’usage du TCE pour les opérations d’amorçage était à l’époque imposé par les spécifications du client, soit le ministère de la Défense. Il n’y avait pas de produit de remplacement[76].
[53] Selon Michel Gamache qui travaillait à la maintenance, le TCE était aussi utilisé en grande quantité à la douillerie (plant 2), où l’on procédait à l’étirage du métal pour la fabrication des douilles. En cours de fabrication, le métal doit être étiré en plusieurs étapes. Pour ce faire, il est enduit d’une solution lubrifiante savonneuse et graisseuse. Après chaque opération d’étirage, les douilles sont nettoyées dans des bassins de Blacosolv. Elles tombent dans de grands paniers en treillis métallique et on les nettoie dans des « tumblers », des appareils dans lesquels elles tournent à la façon d’un baril de sécheuse[77]. Michael Gingras, qui a occupé plusieurs fonctions à l’usine à partir de 1976, décrit aussi un gros bassin de TCE dans les ateliers où travaillaient les machinistes et les mécaniciens, vraisemblablement au plant 3, pour nettoyer les pièces les plus volumineuses[78]. Omer Dion, qui fabriquait des « clips » (chargeurs), mentionne une machine de nettoyage dotée d’un réservoir qui pouvait contenir jusqu’à 5 à 7 barils de 45 gallons de TCE. On utilisait une centrifugeuse pour récupérer le maximum de solvant lorsqu’il contenait trop d’huile. Les résidus étaient jetés dans le lagon près du département[79].
[54] De multiples témoignages confirment l’utilisation quasi universelle du TCE pour nettoyer. Dans les mots de Michael Gingras :
Il y avait des centaines de presses et de machineries. Puis toutes les pièces en mouvement, ça prenait de la graisse. Puis aussitôt qu'il fallait faire un entretien de cette machine-là, tu ne pouvais rien faire avec une pièce graisseuse, engraissée, donc le TCE était utilisé sur une base régulière partout, partout, partout, dans tous les départements de l'usine, dans tous les secteurs, plant 1, plant 2, plant 3.[80]
[55] Selon Jean-Pierre Beaumont, à partir de 1978 environ[81], un alambic était employé pour récupérer le Blacosolv utilisé au plant 1. Les résidus d’alambic étaient envoyés « dans la lagune à côté de la bâtisse »[82], ce que la carte annotée par M. Beaumont indique être la lagune H ou B[83]. Il n’a « aucune espèce d’idée » de ce que les « gars de la cour » faisaient avec les barils de Blacosolv contaminé avant l’alambic, et explique qu’il n’existait aucune autre méthode pour se débarrasser des résidus[84]. L’alambic a fonctionné jusqu’en 1982, à un moment où l’on se préoccupait de plus en plus des vapeurs de TCE qui causaient des étourdissements. Une série de documents internes datant de 1978 à 1981 font état d’une ventilation inadéquate du Blacosolv et indiquent que les vapeurs incommodaient les employés. On y trouve une soumission pour un système de ventilation et un document qui recommande d’installer une hotte fermée dans le bâtiment 41, au département des presses d’amorçage[85].
[56] L’usine opérait dans les années 1960 un incinérateur du côté est, à un endroit indiqué sur certaines cartes comme le « dépôt des cendres d’incinération et dépotoir est »[86]. Tous les déchets de l’usine y étaient brûlés[87]. Après un incident survenu en 1969, l’incinérateur a été désaffecté. Le site a continué d’être utilisé comme dépotoir pendant un certain temps, et l’usine a aussi commencé à exploiter une « aire de brûlage des déchets » où l’on brûlait à ciel ouvert les huiles usées et les déchets industriels et domestiques. Éventuellement, le CRDV s’est plaint des odeurs et des fumées produites. C’est à partir de ce moment, vers 1972, que l’usine a commencé à exploiter le site d’enfouissement sanitaire situé à l’ouest, au bout d’un chemin boisé derrière le plant 1[88]. Ce dépotoir a été utilisé jusqu’à la fermeture de l’usine.
[57] Les employés réfèrent fréquemment à ce dépotoir comme à la « montagne »[89]. Selon M. Gingras, « [t]out, tout allait là »[90]. Tous les résidus solides, y compris les guenilles et la criblure de maïs imbibées de TCE, y étaient enfouis[91]. Il pouvait y avoir jusqu’à sept ou huit transports de déchets par jour[92].
[58] À droite du chemin qui mène au dépotoir, environ à mi-distance, se trouve la lagune C. C’était une aire de disposition des résidus liquides tels que les huiles et les graisses[93]. Elle avait l’aspect d’un grand lac noir[94]. Selon une évaluation environnementale produite en 1992, la lagune C aurait été utilisée approximativement de 1963 à 1970[95]. C’est là, notamment, qu’on déversait les barils remplis de solvants usés dans lesquels les employés vidaient le Blacosolv inutilisable un peu partout à l’usine. C’est ce qui est ressorti de l’historique réalisé par M. Denis Beaudet, qui agissait à titre de directeur de l’usine au début des années 1990, au moment où l’on a entrepris la caractérisation du site en vue de sa décontamination[96] :
R. Avant 1976, la pratique, je ne l'ai pas constaté moi-même là, mais ce que j'ai entendu dire, c'est que la pratique de déverser le Blacosolv usé dans des barils était en cours. Mais là, est-ce qu'on remonte, si on remonte 20 ans ou 30 ans en arrière là, je ne peux pas vous répondre.
Q. Mais que faisait-on avec les barils remplis de solvants usés?
R. Ils étaient évidemment déversés…
Q. Quelque part sur le terrain?
R. Sur, entre autres, la lagune C.
Q. À la lagune C?
R. Oui. Quand on a découvert notre taux élevé de contamination en TCE à la lagune C, moi, j'ai été encore en contact avec monsieur Joe Tardif. Quand on a découvert des surprises comme ça, moi, mon contact privilégié, c'était monsieur Tardif parce qu'il en avait tellement vu. Et puis oui, il m'a dit à ce moment-là : « C'est là qu'on jetait l'huile sur la lagune C. » Puis j'ai dit : « Des barils de TCE, de Blacosolv? » Il dit : « Probablement qu'on les envoyait là aussi en même temps que les barils d'huile. » [97]
[59] Marcel Paquet a travaillé comme chauffeur à l’usine de Valcartier de 1961 à 1991. Il est décédé le 21 août 2008. Le 22 janvier 2009, l’appelante a obtenu[98] l’autorisation de produire à titre de témoignage une déclaration solennelle recueillie le 16 novembre 2007. M. Paquet écrit que « dans "la montagne", ils nous avaient fait faire un trou d'environ 100 pieds de long par 20 pieds de large, dans lequel toute la vieille huile était rejetée ». Il décrit également le rejet de certains déchets dans le « clarifier », soit la lagune E située derrière l’usine d’épuration, et le transport occasionnel de son contenu vers la lagune A. Toutes les vidanges étaient acheminées à la « montagne », dont les guenilles imbibées de Blacosolv. Selon M. Paquet, l'usine recevait environ 10 à 12 barils de 45 gallons de Blacosolv par mois. Dans les trois « plants », les employés nettoyaient les pièces de métal dans des bassins d’environ 40 gallons de Blacosolv[99].
[60] Michael Gingras a travaillé comme journalier et s’occupait notamment de la collecte des vidanges. Il décrit ainsi la lagune C :
R. […] il y avait un genre de lagoon, un genre de swamp. Puis l'eau de ça là, c'était noir. Il y avait des barils renversés dans ça là, des barils de 45 gallons. Puis, on voyait ça à travers les arbres.
Q. Combien vous en avez vu, de mémoire?
R. Il y en avait une dizaine, une quinzaine, 10, 15 barils, là. Il fallait aller, mais plus que tu approchais, tu en voyais d'autres. C'était comme abandonné là depuis plusieurs années. Moi, je n'ai jamais vu... je ne sais pas comment qu'ils se sont rendus là ces barils-là, mais ils étaient là. Ils étaient là parmi la swamp, dans le liquide. Ils comme flottaient en haut, en haut de ça.
Q. Vous voulez dire dans la swamp. Quel aspect avait ce dont vous nous parlez?
R. C'était noir puis ça brillait là. Ça brillait, le soleil frappait ça là puis ça brillait comme un miroir. C'était une swamp. Une swamp ordinaire, il y a de la végétation qui passe à travers ça. Mais il n'y en avait pas de végétation, c'était comme un miroir. Le soleil frappait ça là, puis ça faisait une réflexion, malgré le fait que le liquide était noir.[100]
[61] La plupart des témoins rapportent qu’il n’y avait pas, à proprement parler, de consignes de sécurité ni de formation quant à la manipulation et l’élimination du TCE[101]. On apprenait à pied d’œuvre, et par bouche à oreille, comment aller se procurer et se débarrasser du TCE.
[62] Denis Beaudet a occupé des fonctions importantes à l’usine de 1967 jusqu’après sa fermeture. Il a d’abord été ingénieur, gérant de l’ingénierie, directeur d’entretien, puis a remplacé le directeur de l’usine après sa fermeture pour superviser les travaux de caractérisation et de décontamination dans les années 1990. Il explique que des changements importants sont survenus en matière de gestion des déchets vers le milieu des années 1970, après l’entrée en vigueur du Règlement concernant la disposition des déchets chimiques et combustibles adopté en 1972 en vertu de la Loi de l’hygiène publique[102]. Le département d’ingénierie dont il était responsable a été chargé de veiller à l’application du Règlement. M. Beaudet se souvient d’avoir pris connaissance du Règlement et confié à un de ses ingénieurs la tâche d’effectuer des démarches auprès de compagnies spécialisées pour faire enlever les barils de produits usés[103]. Il décrit ainsi la situation à ce moment-là :
[…] on avait des huiles et graisses, du trichloroéthylène, des... en général, c'est surtout ça, des huiles et graisses surtout, à disposer et c'était en général entreposé dans des barils. On avait aussi des réservoirs où on accumulait l'huile de coupe usée, l'huile de coupe qui était utilisée sur les machines, soit de l'huile d'étirage ou de l'huile pour les tours puis les fraiseuses. Donc, à ces endroits-là, il y avait des réservoirs où on accumulait l'huile usée et puis quand ce n'était pas entreposé dans des barils, des compagnies comme... de disposition qu'il y avait, ils venaient avec un camion vacuum pour pomper puis récupérer ces produits-là […]
Un des premiers problèmes, c'était bien souvent les... les barils n'étaient pas bien identifiés, il fallait faire venir des soumissionnaires qui prenaient un échantillon de ce qu'il y avait dans le baril, on lui disait ce qu'on pensait après avoir parlé aux contremaîtres qu'est-ce qu'il devait y avoir dans le baril.[104]
[63] La pratique a été adoptée progressivement. Une procédure a été établie et le département des achats faisait régulièrement venir les entrepreneurs. On s’est mis à identifier correctement les barils afin d’économiser les coûts d’échantillonnage. Les contremaîtres et les employés ont été informés des nouvelles façons de faire verbalement[105].
[64] Les pièces DC-4 à DC-8, qui contiennent des bons de commande et des notes décrivant les quantités de produits à faire enlever par les compagnies Tricil et Sani Mobile, témoignent de cette démarche. Le 11 novembre 1976, il est question de 10 barils de 45 gallons de « Black-o-Sol »[106]. Le 15 mars 1977, on parle d’un autre 10 barils de 45 gallons[107]. Puis, le 4 novembre 1977, on parle de 675 gallons[108]. M. Beaudet explique qu’il y a eu des accumulations de barils alors que la procédure était mise en place : ça ne veut pas nécessairement dire qu’on passait 450 gallons de TCE en quatre mois. Il pouvait s’agir de vieux barils accumulés, « mais c’est certain que ce n’est pas un par année ». M. Beaudet explique que l’impulsion initiale est venue de l’interne. Selon lui, « le ministère de l’Environnement n'est pas venu à notre porte cogner puis dire : "Là, on a un nouveau règlement, vous avez à l'appliquer." »[109].
[65] Quant aux procédures d’élimination des déchets qui prévalaient avant la mise en place de cette pratique, M. Beaudet s’exprime ainsi :
R. […] quand on allait à l'usine d'épuration, il y a une lagune à côté, on jette des boues là. Bon. En prenant des marches sur le dîner, en dînant l'été, une journée d'été, on savait qu'il y avait la lagune C. On ne l'appelait pas la lagune C, mais il y avait un trou d'huile puis on trouvait ça, bon, pas trop... mais ils n'avaient pas le choix, on n'avait pas d'autres manières d'en disposer.
Q. O.K.
R. Donc, c'était peu accepté de la part de tout le monde, mais on ne se posait pas de questions, à ce moment-là, on n'était pas sensibilisés à ça, donc au danger que ça pouvait représenter.[110]
[66] Un document rédigé en 1983 par Jean-Jacques Landry, technicien en chimie, fait l’inventaire des déchets industriels de l’usine et de leur mode de disposition. M. Beaudet explique que cet inventaire a été préparé à l’occasion d’une série de rencontres avec le comité santé-sécurité et de certaines interventions faites par le centre local de services communautaires (CLSC), qu80i s’inquiétait de la santé des travailleurs[111]. On peut y lire les choses suivantes :
- Les solvants non combustibles : Trichloroéthylène (Blak-o-Sol ou Trilux-A), trichloroéthane (chlorathène VG) et tétrachlorure de carbone sont récupérés dans un contenant de 5 gallons que l’on transvide un des barils de 45 gallons « SCRAP » à l’assemblage de la .50 cal ou au chargement des calibres militaires. […]
- Les solvants non-combustibles : Trichloroéthylène (Black-O-Sol ou Trilux-A), trichloroéthane [...] sont récupérés dans un contenant de 5 gallons pour être éliminés par Sani-Mobile.
Quantité : 6 gallons/année
[…]
9. Polissage des balles
- Trichloroéthylène (Black-O-Sol ou Trilux-A), huile de charbon et acide starique: ces produits sont entièrement absorbés par les grains de maïs (corn cob grit), lequel est envoyé aux vidanges.
Quantité : 6,250 lb/année[112]
[Soulignements dans l’original]
[67] On aurait donc continué d’ensevelir la criblure de maïs imbibée de TCE au dépotoir ouest au moins jusqu’en 1983, et selon M. Beaudet jusqu’à la fin des années 80[113].
[68] Le 4 avril 1985, André Chamberland, directeur régional de Québec du ministère de l’Environnement, écrit à Jacques Proulx, ingénieur vice-président à l’exploitation des Industries Valcartier, pour l’aviser « d’irrégularités relativement à la disposition de vos résidus inorganiques » :
Des boues provenant du traitement des eaux de procédé sont rejetées dans un puisard (trou) à proximité de l'usine de traitement. Ces boues s'épaississent par percolation dans le sol (sable) et sont ensuite transportées pour élimination dans un autre trou localisé au nord-ouest de votre terrain. Ces boues sont fortement contaminées par des eaux polluées contenant entre autre du cuivre et du zinc.
De ce fait nous vous avisons que ce mode d'entreposage et d'élimination est inadéquat, non sécuritaire pour l'environnement et se pratique par surcroît illégalement n'ayant jamais fait l'objet d'une autorisation du Ministère.[114]
[Transcription textuelle]
[69] M. Chamberland recommande également M. Proulx à la compagnie Stablex, seul établissement autorisé à traiter ce type de résidus au Québec, advenant le cas où les Industries Valcartier ne désireraient pas procéder elles-mêmes à leur traitement. Après la réception de cette lettre, M. Beaudet indique que l’usine a fait l’acquisition d’un décanteur lamellaire et d’un presse-boue pour filtrer les boues et en retirer l’excédent d’eau avant de les placer dans des conteneurs et les expédier chez Stablex[115]. Les premiers envois auraient eu lieu en 1985 ou en 1986 et se seraient poursuivis jusqu’à la fermeture de l’usine. Le 29 mai 1986, Benoit Chassé, ingénieur chimiste au département technique, transmet au ministère la documentation relative aux nouveaux équipements[116]. M. Beaudet indique avoir à cette occasion discuté de la situation avec M. Chassé: c’est le moment où il a été sensibilisé aux problèmes environnementaux pour la première fois[117]. Incidemment, 1985 est aussi l’année où l’usine d’épuration est passée sous la responsabilité de M. Beaudet[118]. À partir de ce moment, on remplit également des « manifestes de transport » pour s’assurer que les transporteurs n’allaient pas déverser les produits dans la nature. Un rapport annuel pour le ministère de l’Environnement du Québec (MEQ) devait aussi être produit[119].
[70] D’autres témoignages confirment que de gros changements se sont produits en 1985. Selon M. Loiselle, qui travaillait comme contremaître de production à ce moment, il y a eu une « prise de conscience ». Il a pris l’initiative à cette occasion de faire appel à la compagnie « Sani quelque chose » pour faire enlever des barils de TCE usés qui traînaient à l’extérieur du département 40 depuis « je ne sais pas combien d'années ». Cependant, il soutient que c’était la première fois, en 1985, qu’il voyait des entrepreneurs venir récupérer des barils de produits usés et que cela n’a pas modifié la façon de disposer des résidus solides, qui étaient toujours enfouis au dépotoir, notamment la criblure de maïs[120].
[71] Les autres témoignages ne reflètent pas tous cette évolution des procédures d’élimination des déchets. Notamment, Marcel Paquet soutient dans sa déclaration solennelle n’avoir « constaté aucun changement dans la manière dont on disposait des différents types de résidus » pendant la période 1961-1991[121]. D’un autre côté, M. Gingras, qui a travaillé à la santé et à la sécurité dans les années 1980, confirme qu’il y a eu des changements « formidables » dans ce domaine à partir de 1987, et que les accidents ont « baissé drastiquement »[122]. Jean-Pierre Beaumont, contremaître, mentionne un incident de déversement de Blacosolv qui se serait produit entre 1985 et 1988, lors de la réparation d’une machine qui en contenait. Selon lui, auparavant, la plupart des départements possédaient des valves extérieures qui permettaient de « pitcher ça dehors », mais, après 1985, « c'était clair dans la directive de la compagnie » qu’on n’avait plus le droit de « garrocher ça dans la nature ». Il explique que des bassins ont été installés pour récupérer les huiles et que cet incident en particulier a été traité comme une urgence et pris en charge promptement[123].
[72] La preuve révèle qu’à une certaine époque on a craint que les déversements d’eaux usées et de déchets au CARDE ne contaminent l’aqueduc de la Ville de Québec. L’essentiel de cette preuve se trouve sous forme d’onglets dans la pièce PGC-83, ainsi que dans les documents déposés en annexe du rapport de l’expert Anthony Travis (pièce R-168). Ces documents ne font pas directement référence à l’élimination du TCE. Ils jettent toutefois un éclairage important sur l’état des connaissances quant aux risques de contamination associés aux modes d’élimination des déchets industriels en vigueur à l’époque, notamment sur le risque de contaminer la nappe phréatique.
[73] Le 28 septembre 1953, M. Dominique Gauvin, chef des laboratoires du Département de santé publique de la Ville de Québec, écrit au superintendant en chef du CARDE, le Dr H. M. Barrett, pour porter à son attention un danger pour la santé publique (« public health hazard »). Dans cette lettre, il est question à la fois des eaux usées du CARDE, de l’usine de munitions, de même que des divisions « Small Arms » et « Artillery Proof ». M. Gauvin note que la crique Nelson, qui se jette dans la rivière Nelson, draine les eaux de surface du CARDE et de l’usine de munitions. Bien que l’Arsenal soit doté d’une usine de filtration qui traite de façon adéquate les eaux usées issues des procédés de fabrication de munitions, la crique est également hautement contaminée par les eaux de drainage et de lavage qui ne passent pas par l’usine de filtration. De plus, les laboratoires du CARDE rejettent leurs eaux usées dans un canal ouvert, où elles sont absorbées par le sol sablonneux[124].
[74] Dans une lettre adressée à M. Laurier Belleville, ingénieur superviseur de l’ancien ministère fédéral de la Santé et du Bien-être social (Health & Welfare Canada), un chimiste de l’Arsenal écrivait que la nature sablonneuse du sol à Valcartier entraîne un danger de contamination des puits de l’Arsenal par le fossé ouvert (« open ditch ») du CARDE nord[125]. Les autorités du CARDE confirment que des déchets industriels très dilués sont rejetés dans une fosse ouverte et absorbés par le sol sablonneux avant d’atteindre la rivière Nelson. Toutefois, il n’est pas possible d’affirmer que ces résidus n’atteindront jamais la rivière[126].
[75] En novembre 1953, M. Belleville confirme que les autorités fédérales entendent enquêter sur la situation[127]. Une étude approfondie est réalisée de juillet 1953 à mars 1954, en collaboration avec la Ville de Québec, le ministère de la Défense et le Bureau de recherche en défense (Defence Research Board) responsable du CARDE. Ses résultats sont consignés dans un document intitulé Memorandum Re Waste Effluents from Dept. of National Defence and Defence Research Board Plants - Valcartier P.Q. [« Mémorandum de 1954 »][128]. On peut y lire les conclusions suivantes :
The results […] have not indicated any actual contamination by chemical substances, other than the presence of oils and acids in some of the wastes.
However, there are undesirable features in the procedures used for disposing of liquid wastes at some of the plants. Changes should be made to the methods of disposal and additional treatment should be applied to remove oils and to neutralize acids […].
Although there has not been, in the past, any serious disturbances of the quality of Quebec City water, it is always possible, as long as the effluents from the plants are discharged into its source of supply, that severe nuisances and health hazards may be created.
[76] Au sujet du CARDE nord :
The effluents from the laboratories should be segregated from surface drainage. The liquid wastes from the laboratories and the pilot plants, if any, should be piped to and discharged into a concrete-lined and covered pit, located at least 1,000 feet from the nearest well used as a supply of potable water and also at 2,000 feet or more of the Nelson River.
[77] Plus loin:
The laboratories, at CARDE North, dispose of their liquid wastes into an open ditch running parallel to the road, in direction of the Nelson River which it joins, less than ½ mile from the plant.
The limited amounts of laboratory wastes and the nature of the soil make it nearly impossible for the wastes to flow down as far as the river. […] However, after heavy rains and during the thawing season, all liquid wastes are washed down to the river.
[…]
[…] disposal of wastes from all sources into the Nelson Creek has not caused any severe nuisance in the immediate area of the receiving ditches. […]
[78] Le 15 mars 1954, le maire Wilfrid Hamel écrit au surintendant du CARDE pour faire le point sur la situation et insister pour que les travaux correctifs recommandés soient exécutés, soit la construction d’un bassin de rétention ou d’une fosse filtrante à même un lit de sable, avec murs et toit en béton armé, et situé à bonne distance des puits des Arsenaux canadiens et de la rivière Nelson[129]. La documentation[130] indique que des démarches sont entreprises pour la mise en œuvre des recommandations contenues dans le Mémorandum de 1954, notamment l’installation d’une fosse en ciment pour le traitement des eaux usées des laboratoires du CARDE et la construction d’une usine d’épuration pour le traitement des boues et des huiles aux Arsenaux canadiens. Dans une lettre du 24 août 1954, M. Gauvin avise ses supérieurs que « la situation s’est sensiblement améliorée ». Il écrit notamment :
La plus grande difficulté à surmonter dans le traitement semble être l'élimination des boues (sludge), car on ne voudrait pas prendre le risque de contaminer la nappe d'eau souterraine qui sert à l'alimentation locale en eau potable.[131]
[79] Il semble que ce procédé de traitement des huiles et des boues ait été finalement mis en place en 1957, lors de la deuxième étape de construction de l’usine d’épuration des eaux de l’Arsenal[132].
[80] Il apparaît donc qu’à cette époque l’on était davantage préoccupé par la possibilité que les rejets des laboratoires du CARDE ne contaminent la rivière Nelson qui se jette dans la rivière Jacques-Cartier.
[81] Le 16 mai 1955, les ingénieurs-conseils des Arsenaux canadiens, McDougall & Friedman, écrivent à leurs clients au sujet de l’usine de traitement des huiles. Les auteurs de la lettre expriment l’importance que tous les établissements de la région prennent les précautions nécessaires pour éviter les risques de contamination liés à la pratique du lagunage (« lagooning ») :
[…] We have, in the case of the acid neutralizing plant, the sewers and the water treatment plant, taken every precaution to insure that no lagooning is done of any waste which might possibly find its way into the underground water system. [...]
We consider it imperative that all other establishments in the area concern themselves with the same problem so that we eliminate all known possible sources of water contamination. The whole area being predominantly sand could easily permit surface contamination to reach the underground wate. (20 to 100 feet below surface).
If such contamination did occur it would probably show up gradually and last for an indefinite period, sufficiently long in all probability to require further water treatment of a nature and at a cost which could be very serious. It is also possible that the water could become unfit for use until treatment could be ascertained and installed.[133]
[82] Cette lettre semble avoir déclenché une certaine inquiétude de la part des autorités de l’Arsenal quant à la possibilité que leurs puits ne soient contaminés par les rejets du CARDE. Dans une lettre du 24 novembre 1955, M. Laurier Belleville fait part aux autorités du CARDE des préoccupations du Dr J. Kane, chimiste en chef de l’Arsenal, quant au « proposed lagooning of industrial wastes ». Il écrit la chose suivante :
[…] It is our opinion, however, that if the major contaminants from your laboratory wastes are not in excess of what they were during our survey of 1953, no trouble can be expected from lagooning.
[…]
We would not, however, consider the discharge of highly toxic wastes advisable until experience has indicated that no wastes effluent finds its way to the source of the Canadian Arsenals water.[134]
[83] Une lettre du 4 février 1957 adressée aux autorités de l’Arsenal par les ingénieurs McDougall & Friedman donne toutefois un autre son de cloche. On peut y lire :
We cannot but be disturbed at the method adapted by C.A.R.D.E. of disposing of their laboratory wastes in the manner described. This is "Lagooning" on a small scale and, while not an unusal practice is one to be seriously questioned as to safety in this locality. […] the nature of the soil, natural water level and the fact that wells are the only existing water supply to the whole area, it becomes obvious that any action which has even a remote possibility of contaminating the water supply could have the most serious consequences. […]
[…]
Furthermore, The Arsenal has considered it necessary in the development of their industrial waste treatment plants (one for acid contaminated waste and one for oil contaminated waste) to go to the extent of releasing to the ditches or the lagoons no product which could leach into the soil and re-enter the water supply as a contaminent. This procedure has involved considerable expense.
Should a contaminent find its way into the water supply with the possibility of effecting the life of the underground piping system, or to render the water unfit for either domestic or process use the cost of correction would be enormous and could cause partial or complete shut down of all the establishments while corrective measures were being devised and put into effect.
While this might sound a minor possibility we feel that a potential hazard has been created and should not be continued.[135]
[84] La firme d’ingénieurs recommande ainsi à l’Arsenal de mettre ses installations de traitement des eaux à la disposition du CARDE.
[85] Une lettre d’avril 1957 rédigée par le président du Conseil de recherches pour la défense clarifie la situation. Il semble en effet que ce soit le mode de disposition des eaux usées des laboratoires du CARDE par lagunage, adopté à la suite du Mémorandum de 1954, qui ait soulevé les inquiétudes des autorités de l’Arsenal :
1. It is noted by reference to the report forwarded with your letter dated 2nd April, 1954, that the recommendation was to segregate the effluents from the laboratories at CARDE North from surface drainage. The liquid wastes were to be piped to and discharged into a concrete lined and covered pit [...] These recommendations were complied with satisfactorily [...].
2. The Dominion Arsenal Division of Canadian Arsenals Ltd. had apparently not fully accepted this method of waste disposal and arranged for a further study by independent consultants. These consultants have a fairly comprehensive knowledge of water levels and flows at Valcartier and their views appear to have some merit.[136]
[86] La documentation subséquente indique que M. Belleville croit toujours qu’il existe un très faible danger de contamination[137]. Après une visite d’inspection sur les lieux, il écrit dans une note du 9 août 1957 :
It was found that there appeared to be very little reason to be alarmed about the potential danger of contamination of the ground water and indirectly of the Arsenal wells.
The pilot plants were not in operation. A change in the research project had called for discontinuation of the use of the leaching pits. Only one still received the floor wash water from building 67 […]. All solvents were recovered. Solid particles washed to the pit were retained on screens and fine sand. There were defenitely no liquid wastes to be disposed of. [...]
Finally, assurance was given by C.A.R.D.E. that it is quite improbable that, at any time, ground water could become contaminated as the result of their operations and of the wilful discharge of effluents containing toxic elements in dangerous concentrations.[138]
[87] M. Belleville indique toutefois qu’il entend procéder à des tests pour déterminer la direction d’écoulement des eaux souterraines. Ses résultats se trouvent dans un document intitulé Memorandum re: Tracing Underground Flows, Laboratory Wastes, Lagoon, CARDE North, D.R.B., Valcartier, P.QUE. [« Mémorandum de 1958 »][139] du 24 octobre 1958. Il explique sa méthode ainsi : une teinture est déversée chaque jour, avant que ne commencent les travaux aux laboratoires, dans la fosse où sont rejetées les eaux usées. Le déversement des eaux usées par les laboratoires fait déborder la fosse, et entraîne cette teinture dans le lagon. En prélevant des échantillons d’eau souterraine tout autour du lagon à des distances variables, à la recherche de traces de teinture, M. Belleville est en mesure de conclure que l’eau souterraine s’écoule du lagon en direction du nord-ouest, c’est-à-dire en direction de Shannon, et a parcouru environ 50 pieds en 11 jours. Selon lui, il est permis de conclure que la pénétration des contaminants dans l’eau souterraine est très faible, et qu’ils restent en surface. Il estime la quantité d’eaux usées rejetées quotidiennement aux alentours de 2 000 gallons. Ces déchets ne sont pas neutralisés.
[88] Il conclut avec les recommandations suivantes :
Since the movement of ground water is in the direction of the wells, since research work at CARDE may lead to the discharge of toxic wastes, since it is not possible to foresee the penetration of wastes into the deeper zones, and since C.A.L. have, at repeated intervals, objected to the use of the lagoon for disposal of the laboratory wastes, it is recommended to:
1) discontinue the use of the lagoon for disposal of the laboratory wastes
2) use the present wet well, from which the wastes are pumped to the lagoon, as a neutralizing reservoir
[…]
4) direct the effluent line, from the wet well, to the domestic sewage line for further disposal in the Valcartier Camp sewage treatment plant
[…]
6) collect all odour and tastes producing compounds in separate containers and to dispose of them in areas remote from any source of water supply.
Moreover [...], it is herewith urgently suggested that immediate action be taken to neutralize the wastes prior to disposal to the lagoon [...].[140]
[89] M. Belleville mentionne à deux reprises que les eaux rejetées par les laboratoires font déborder la fosse bétonnée construite pour les recevoir et s’écoulent ensuite dans un lagon ouvert. Il semble donc que le problème du lagunage soit causé par les mesures correctives adoptées en réponse aux recommandations du Mémorandum de 1954.
[90] Dans une lettre du 19 novembre 1958, le surintendant du CARDE avise le Conseil de recherches pour la défense qu’il entend suivre les recommandations de M. Belleville[141].
[91] En 1960, Dominique Gauvin, de la Ville de Québec, tout en reconnaissant les travaux effectués pour remédier au problème, constate qu’il existe toujours une « menace sérieuse » et demande au CARDE de détourner dans une rivière ou un bassin situé à l'extérieur du territoire de la ville « toutes les eaux pompées du sol, utilisées pour fins industrielles, domestiques ou de chaufferie et déversées directement ou indirectement dans le ruisseau de Valcartier »[142]. La documentation subséquente suggère que cette exigence ne sera finalement pas mise en œuvre.
[92] En 1968, Dominique Gauvin soumet à son supérieur un rapport sur la qualité des eaux résiduaires des Industries Valcartier. Il soutient que les opérations industrielles ont sensiblement augmenté. L’usine d’épuration rejette dans le ruisseau Valcartier près de 700 000 gallons d’eau par jour, soit le double de ce qu’elle rejetait au début de ses opérations dans les années 1950. L’eau qui en sort est huileuse et trouble[143].
[93] En 1978, la firme d'ingénieurs-conseils Carrier, Trottier, Aubin, Sohier et associés réalise, pour le compte du ministère des Pêches et de l'Environnement, une étude dont le rapport s’intitule Étude - Rejet des eaux résiduaires des laboratoires au Cendre de Recherches pour la Défense de Valcartier[144] [« Rapport Carrier »]. On peut notamment y lire :
Les eaux résiduaires des laboratoires sont rejetées dans un réseau d'égout spécial appelé "réseau acide" et sont dirigées dans un étang creusé dans le sable; le niveau de liquide dans l'étang varie en fonction du niveau de la nappe phréatique. L'étang fait partie du bassin de drainage de la rivière St-Charles et est localisé à quelque 10.6 kilomètres en amont de la prise d'eau de la ville de Québec qui possède une usine de traitement d’eau.
[...]
L'échantillonnage des rejets a révélé que les eaux usées des laboratoires du C.R.D.V. dépassaient les normes pour les huiles et les graisses, les phénols, la DCO, les solvants chlorés[[145]], le cuivre, le plomb, le mercure et le chrome.
[...]
Le traitement actuel qui consiste à déverser les eaux dans un étang perméable qui baigne dans la nappe phréatique est inacceptable et on devra songer à un traitement plus efficace.[146]
[Renvoi ajouté]
[94] On recommande notamment que les solvants chlorés soient emmagasinés et incinérés par un entrepreneur autorisé, et qu'un réservoir de 24 000 litres soit construit. Les auteurs précisent que « les travaux préconisés sont prioritaires et devraient être effectués au cours de 1978 »[147].
[95] Un document intitulé Authorization for Project daté du 6 février 1979 fait suite à ces recommandations. Il y est question de l’installation d’un système d’élimination chimique au CRDV qui comprend notamment la construction d’un réservoir de 24 000 litres. On peut y lire :
Presently, all wastewaters from propulsion division laboratories are drained into a special sewer arrangement and directed thereafter into a sand excavated pond; levels of wastewaters in the pond vary directly with the ground water levels. […] Analysis of samples of wastewaters produced by propulsion complélaboratories has indicated that many of its constituents such as oils and fats, phenols, [...] and chlorinated solvents showed levels above the acceptable limits.
Because of the high permeability of the walls and bottom of the pond no acceptable period of retention is possible thereby causing an immediate contamination of the surrounding body of ground water. The present method of treatment is therefore unacceptable and a more efficient system is required.[148]
[96] La documentation subséquente indique que les travaux ne commencent pas avant 1984. Une nouvelle autorisation de projet est signée le 30 août 1984 : on y réitère que « toutes les eaux contaminées […] sont dirigées par la suite vers un bassin de rétention creusé à même un lit de sable »[149]. Un document révèle que les travaux auraient été menés à terme le 26 mai 1986, pour une durée totale de 18 mois[150].
[97] Il ressort donc clairement que le lagunage s’est poursuivi au CRDV jusqu’en 1986, malgré un avis de 1958 recommandant sa cessation.
[98] En 1986, SNC acquiert les usines des Arsenaux canadiens à Le Gardeur et Saint-Augustin. L’entreprise est alors propriétaire de trois usines de munitions, en comptant celle de Valcartier. À partir de ce moment, différents programmes de rationalisation sont envisagés. Le projet finalement retenu, baptisé « projet Igloo », consiste à déménager les installations de fabrication de douilles et la fabrication métallique à Saint-Augustin, alors que les procédés utilisant des explosifs seraient déménagés à Le Gardeur[151].
[99] C’est dans ce contexte que commence la caractérisation du site, en 1989. Selon M. André Breton, vice-président des opérations, la conscientisation environnementale a commencé dans les années 1980. Les autorités de SNC auraient demandé à connaître la condition des terrains notamment pour « s’assurer que les banques soient en confiance avec [eux], qu'on prenait soin de notre terrain et qu'on prenait soin de nos bâtiments »[152].
[100] M. Denis Beaudet, qui était à ce moment-là directeur d’entretien, explique que ses patrons entendent faire appel à la division SNC-Lavalin Environnement pour décontaminer les terrains. En collaboration avec M. Guy Jérémie, un ingénieur de la division Environnement, M. Beaudet fait l’inventaire des sites problématiques. Deux sites en particulier figurent sur une liste tenue par le Groupe d’étude et de restauration des lieux d’élimination de déchets (GERLED) du MEQ. Il s’agit des sites de ce qu’on appellera par la suite les lagunes A et C. Plusieurs autres sites sont considérés comme problématiques, notamment ceux de la lagune E, située derrière l’usine d’épuration du plant 2, et des lagunes F, G et I situées près de l’ancien ruisseau où s’écoulaient les eaux rejetées par l’usine[153].
[101] Le TCE n’est pas un sujet de préoccupation à ce moment-là : on s’inquiète surtout pour les métaux lourds comme le cuivre, le zinc et le plomb. Le TCE est un produit hautement volatil qui s’évapore pratiquement à vue d’œil : on n’imaginait pas qu’il puisse contaminer le sol[154].
[102] M. Beaudet est chargé de documenter les pratiques passées d’élimination des déchets en réalisant des entrevues avec les anciens employés. Cet exercice a notamment permis de révéler l’existence de la lagune H (située au coin nord-ouest du site de l’usine) et de la lagune J (tout près de l’usine d’épuration), deux autres endroits où des boues issues de l’usine d’épuration avaient été enfouies. M. Beaudet explique que le mot « lagune » utilisé par SNC-Lavalin Environnement désigne certains sites qui se présentaient en réalité sous la forme de terrains plats couverts de végétation[155].
[103] Une caractérisation initiale est réalisée pendant l’été 90, au moyen de carottage et de sondes[156]. Il semble que ce soit dans ce rapport qu’apparaît pour la première fois la nomenclature des « lagunes » identifiées par des lettres[157]. Ce rapport mentionne à de multiples reprises le risque « connu ou potentiel » d’une contamination de la nappe phréatique. Par exemple, on peut lire dès les premières pages : « il est possible que le sol et la nappe phréatique soient contaminés dans la périphérie du site d'enfouissement des déchets dits domestiques »[158]. Au sujet de la lagune C, on peut y lire : « Évaluer l'impact de la lagune et du dépôt de sédiments huileux sur la nappe phréatique. Ce site pourrait être une source principale qui contribue à la contamination de la nappe phréatique sise sous les bâtiments du groupe no 1 »[159].
[104] Au sujet du dépotoir ouest, on peut lire :
Cependant, il est évident que ce site d'enfouissement sanitaire des déchets domestiques et industriels d’IVI ne semble pas conforme en tous points au règlement sur les déchets solides (Q-2, r.14, janvier 1989) quant à l'aménagement (ex.: captage et traitement des eaux de lixiviation, ségrégation des eaux de ruissellement des eaux de lixiviation) et à l'exploitation du site (ex.: recouvrement journalier, vérification de la qualité de la nappe phréatique, recouvrement final). Il est généralement admis qu'un site d'enfouissement sanitaire qui ne traite pas ses eaux de lixiviation, qui ne contrôle pas de façon satisfaisante son site, qui ne vérifie pas l'impact des eaux de lixiviation non traitées sur la qualité de la nappe phréatique, s'expose à des conséquences environnementales qui pourraient être importantes.[160]
[105] Un premier contact est établi avec M. Réjean Fréchette du MEQ à cette époque, lorsqu’on découvre une fuite d’huile à chauffage dans le secteur du bâtiment 208 du plant 2[161].
[106] En août 1991, le piézomètre F-11 détecte dans la lagune C une quantité de 26 130,8 ug/L de HHT (hydrocarbures halogénés totaux, qui comprennent le TCE)[162]. Le rapport indique que « [l]es résidus d'hydrocarbures déversés dans la lagune C ont un impact environnemental sur la qualité des sols et de l'eau souterraine [...] Le volume de sols contaminés a été estimé à 3 000 m3 »[163]. On peut également lire :
[…] Les résidus d'hydrocarbures sont situés dans l'eau sous forme de sédiments huileux. Les travaux de caractérisation réalisés sur ce site [lagune C] ont permis de constater que ces résidus ont contaminés les sols directement situés sous la lagune. La contamination périphérique semble par contre limitée. Les résidus ont aussi altéré la qualité des eaux souterraines de façon significative (supérieure au critère C).
[...]
La restauration de la lagune C est jugée prioritaire puisque le sol et l'eau souterraine sont affectés par les résidus d'hydrocarbures.[164]
[Transcription textuelle]
[107] Selon la Politique de réhabilitation des terrains contaminés adoptée par le MEQ en 1988, la concentration maximale acceptable (critère « C ») d’hydrocarbures chlorés dans l’eau souterraine était de 50 ug/L[165].
[108] M. Beaudet explique :
R. Oui, c'est une surprise. Donc, en voyant ça, pour nous, la lagune C, c'est un endroit de disposition des huiles, soit les huiles des véhicules des garages, les huiles des boîtes de transmission des différentes machines qu'on avait et puis on se demande comment ça se fait que... en voyant ça, moi, des HHT, c'est quoi? Ça fait que j’ai demandé…
Q. À qui avez-vous demandé ça?
R. Au technicien de SNC-Lavalin Environnement. Là, on m’explique que ça fait partie… on m’explique qu’est-ce que c’est et puis là, on…
Q. Qu’est-ce qu’on vous explique?
R. On m'explique que ce sont des... en général, des solvants chlorés et puis là, on essaie de faire le lien avec si on utilise ça dans l'usine. On dit : « Oui, on utilise ça à différents endroits. » On explique, là, puis... donc, on arrive à la conclusion que il a dû y avoir des dispositions de TCE dans cette lagune-là en même temps que l'huile.[166]
[109] La contamination semble confinée dans la lagune C, parce que le piézomètre F-30, situé en aval par rapport à l’écoulement de la nappe, montre très peu de contamination[167]. Dans un document intitulé Évaluation environnementale du secteur de la lagune C daté de juin 1992, on peut lire :
- Tenant compte du contexte global, une priorité d'intervention devrait être accordée à la lagune "C" dans le cadre du programme de réhabilitation du site.
- Dans un premier temps, la lagune "C" devrait être d'abord asséchée afin de pouvoir excaver les sédiments et les sols contaminés.
Avant de décider du mode de disposition de l'eau de pluie stagnante à la surface de la lagune, des échantillons devront être prélevés à nouveau pour vérifier la qualité.
- En ce qui concerne l'eau souterraine de cette partie de l'aquifère, un suivi environnemental sera réalisé périodiquement depuis cette année afin de déterminer l'efficacité de l'intervention.
- Les résidus d'hydrocarbures devront être excavés et éliminés; ils sont actuellement submergés (lagune "C") et se présentent sous forme semi-liquide. […][168]
[110] Le 5 novembre 1992, M. Fréchette du MEC écrit à M. Beaudet au sujet des boues de la lagune C. Il recommande notamment d’« évaluer le sens et la vitesse de migration des eaux souterraines dans le secteur de la lagune C en relation avec les sites à proximité, dépotoirs, sites de brûlage des douilles, cylindres pressurisés enfouis, et cetera »[169]. Plus d’un an plus tard, le 26 novembre 1993, il lui écrit à nouveau :
Considérant les risques actuels associés au fait que les boues présentes dans la lagune « C » imposent une contamination des sols sous-jacents et par le fait même une migration potentielle des contaminants via les eaux souterraines, nous recommandons que des mesures d'intervention soient menées dans les plus brefs délais afin de contrer les répercussions négatives ainsi imposées sur le milieu récepteur.[170]
[111] Plusieurs scénarios sont envisagés pour la gestion des sols contaminés de la lagune C[171]. On opte finalement pour la construction d’une « cellule à sécurité maximale », qui sera complétée en novembre 1994 et recouverte en 1995[172]. Un rapport technique préliminaire sur le choix d’un site pour la cellule à sécurité maximale est produit en février 1994. Cinq sites différents sont envisagés. Dans le Tableau 8.2, on voit une estimation de la vitesse d’écoulement de l’eau souterraine à chaque site. Les vitesses vont de 265 m/an à 680 m/an[173].
[112] M. Breton décrit ainsi la cellule :
[…] vous avez une couche de sable, vous mettez une toile, vous rajoutez un trois pieds de sable. Et à l'intérieur de cette épaisseur-là, entre deux toiles, vous avez de la tuyauterie témoin. C'est la protection pour être certain qu'elle ne coule pas. Là, vous remplissez par-dessus la deuxième toile, vous remettez du sable. Et là, vous mettez votre tuyauterie pour vider de l'eau pour assécher la cellule donc. Et c'est là que vous transportez, avec vos camions, toute la terre contaminée dans ça.
Lorsque vous avez fini, 10 000 voyages de camions, là, ce qu'on a fait, c'est qu'on a mis une toile par-dessus. On a mis notre sable, une toile par-dessus, notre sable. Et après ça, on a mis de la pelouse, pour qu'il ne rentre plus d'eau dans la cellule.[174]
[113] On fait de plus appel à un entrepreneur pour traiter les boues de la lagune C avant de les enfouir dans la cellule[175]. M. Beaudet soutient qu’à l’époque, les échantillons d'eau souterraine prélevés sur le site indiquaient qu’aucune contamination ne migrait en dehors des terrains de l’usine. Il précise :
Donc, on s'est dit : à long terme, ça va finir par migrer, donc il faut prendre action puis sortir les déchets. Donc, la solution de la cellule était... on a concentré nos efforts là-dessus tout en sachant que la... en étant rassurés qu'il n'y avait pas de migration en dehors de notre site.[176]
[114] Des gens de Shannon et de Saint-Gabriel ont visité le chantier au cours de cette période[177]. Des piézomètres sont installés tout autour de la cellule afin de détecter d’éventuelles fuites.
[115] En août 1995, on détecte au piézomètre PZ-3794 une concentration de 14 308 µg/L de TCE sous le secteur 214, situé immédiatement au sud de la cellule. En novembre 1995, ce chiffre s’élève à 46 900 µg/L : il atteindra 71 000 µg/L en juillet 1997[178]. On s’active pour trouver la source de cette contamination : il apparaît rapidement qu’il ne s’agit pas d’une fuite de la cellule[179]. De nouveaux piézomètres sont installés. Le 7 mai 1996, Ted Wyglinski écrit à M. Beaudet pour lui transmettre les résultats des échantillonnages. Il écrit : « Il est connu que les HHT, à cause de leur densité, ont tendance à migrer vers le fond de la nappe d’eau souterraine »[180].
[116] Un rapport de novembre 1996 indique ceci :
· Les eaux souterraines sont contaminées par plusieurs hydrocarbures aliphatiques chlorés (HAC) mais principalement le trichloroéthylène dans plusieurs puits du secteur 214, jusqu'à des profondeurs atteignant 20 m sous la surface du terrain. Cette contamination est particulièrement élevée dans les puits PZ-37-95 (17 m) et PZ-46-95 (20 m) où les concentrations mesurées atteignaient 49 000 et 40 000 ug/L en juin 1996.
· Le panache de contamination (concentration dépassant le niveau C) tel qu'actuellement identifié mesure environ 30 000 m2 dans lequel, il y a une zone de 10 000 m2 hautement contaminée en TCE et DCE. Tout près, il existe le puits PZ-52-95 qui est contaminé en TCE à un niveau de 61 mg/L.
· Aucune source probable de contamination n'a pu être identifiée aux moyens des levés géophysiques.
· La direction de l'eau souterraine se fait en direction nord-ouest, avec une vitesse horizontale moyenne estimée à environ 1 à 7 m/an.[181]
[117] Selon M. Beaudet, c’est un hasard que l’on ait détecté du TCE dans le secteur 214 : c’est le piézomètre de contrôle de la cellule qui a révélé cette contamination[182]. Il explique ainsi pourquoi les municipalités environnantes ou les établissements fédéraux ne sont pas avisés :
Q. Est-ce que vous avisez la base militaire ou les autorités du CRDV à ce moment?
R. Non, non.
Q. Pourquoi?
R. Il n'y a pas de contamination à la limite de nos terrains, nos frontières, la contamination est pratiquement inexistante, puis on sait que l'écoulement est très lent. On ne les a pas avisés.
Q. Est-ce que vous avisez des gens de Val-Bélair?
R. Non plus.
Q. Pourquoi?
R. Ça ne s'écoulait pas en direction de Val-Bélair. Puis la contamination, là, encore là, à la limite de nos terrains avec eux était basse, donc...
Q. Est-ce que - oui?
R. … on n’a pas avisé Val-Bélair non plus.
Q. Est-ce que vous avisez la municipalité de Shannon?
R. Pas du tout. Shannon est complètement à l'opposé, à l'ouest, puis donc...
Q. Mais là, Shannon, ça fait deux (2) contaminations au TCE que vous trouvez. Il y en a une à la lagune C, en mil neuf cent quatre-vingt-onze (1991), puis là, vous venez de découvrir, en mil neuf cent quatre-vingt-quinze (1995), le secteur 214.
R. Oui. Il n'y a aucun lien entre les deux (2), c'est deux (2) secteurs complètement différents. Pour nous, la lagune C, c'est réglé. On a excavé en quatre-vingt-quatorze (94). Le suivi sur le piézomètre F-30 nous dit qu'il n'y a pas de contamination. Pour nous, on n'en parle plus de la lagune C, c'est réglé. C'est-à-dire on fait le suivi annuel tel que demandé par le ministère de l'Environnement, tel qu'entendu avec eux, mais pour nous, il s'agit d'une question de routine, il n'y a pas... la lagune C, on n'y pense même pas.
[…]
Q. Donc, vous, vous vous dites, là, bon, vous dites : « On détecte du TCE, mais la direction de la nappe n'est pas en direction de Val-Bélair, donc on ne parle pas. »
R. Oui.[183]
[118] En 1996 et 1997, on fait l’essai d’un « air stripper », un appareil visant à extraire le TCE de l’eau par désorption en y faisant passer de grandes quantités d’air[184]. La méthode fonctionne bien[185] et on obtient l’autorisation en 1999 d’opérer des « air strippers » à long terme[186].
[119] En 1997, de nouveaux piézomètres sont installés afin de déterminer l’étendue de la contamination. Pour ce faire, on utilise une technique de forage à la boue pour laquelle on utilise de l’eau puisée à l’une des bornes-fontaines[187] de la base militaire[188]. En octobre 1997, on découvre du TCE dans un échantillon qui n’était pas censé être contaminé. On se demande alors s’il ne pourrait pas s’agir de l’eau de l’aqueduc de la base. Des vérifications subséquentes confirment que cette eau contient une quantité de TCE légèrement supérieure à la norme réglementaire[189]. M. Beaudet communique alors avec Stéphane Jean, officier d’environnement à RDDC, pour l’aviser de la situation et lui transmettre les résultats de deux analyses différentes[190].
[120] Dès le 24 octobre, un avis est transmis aux résidents et employés du centre de recherches leur demandant de ne pas boire l’eau du réseau[191]. M. Jean transmet les résultats des analyses à Santé Canada et demande un avis[192]. Le 5 novembre 1997, Santé Canada produit un document intitulé Enquête concernant la présence de trichloroéthylène dans l'eau potable du Centre de recherches pour la défense Valcartier. On peut y lire ceci :
Malgré le drainage des conduites, les résultats obtenus, dépasse la norme de 0.050 mg/l. De plus, ceci nous indique que la contamination est généralisée puisque le C.R.D.V. et la base de Valcartier ont des résultats similaires excédant la norme. En plus, cela nous indique que la contamination provient de la source utilisée lors de l'enquête, soit le puits #5. [...]
[...] Présentement, on ne dispose pas de suffisamment de données épidémiologiques pour évaluer le pouvoir cancérigène du trichloroéthylène pour les humains. [...] il n'y aurait pas de risque pour la santé des utilisateurs à court et moyen terme avec les niveaux mesurés, puisque la CMA [concentration maximale acceptable] est basé sur une consommation à vie [...] Une augmentation de 20 % pour une courte période de temps, quelques mois ou années, ne peut donc aucunement être considérée comme étant vraisemblablement nocive. Par conséquent, aucune mesure de restriction ou de non consommation de l'eau n'est présentement nécessaire.[193]
[Transcription textuelle]
[121] Le 31 octobre 1997, M. Stéphane Jean informe Mme Claudie Tremblay, officier d’environnement de la Garnison Valcartier, de la présence de TCE dans le réseau d’aqueduc de la base militaire[194]. Une rencontre a lieu le 18 décembre 1997 à Saint-Augustin. Sont présents M. Beaudet, M. Ted Wyglinski de SNC-Lavalin Environnement, Mme Claudie Tremblay, et M. Michael Hodgson qui travaille avec elle[195]. MM. Beaudet et Wyglinski expliquent qu’à leur avis la contamination de l’aqueduc ne peut pas provenir du secteur 214.
[122] Une première réunion d’information a lieu à la base militaire le 27 janvier 1998[196]. Sont présents Claudie Tremblay et Stéphane Jean, de même que des représentants de l’agence des logements familiaux de la base militaire et de Santé Canada. Un plan d'action en trois étapes est adopté :
1. Étude historique des activités et installations (mars 1998);
2. Étude de caractérisation et recommandations (novembre 1998);
3. Mise en place de mesures de protection (mars 1999).[197]
[123] Pour la phase 1, la firme Bio Géo Environnement inc. réalise, à la demande du CRDV, une étude environnementale visant à identifier les sources de la contamination. Elle dépose en mars 1998 deux rapports, l’un sur le CRDV[198] et l’autre sur la base militaire[199].
[124] Pour la phase 2, on retient les services de Consultants HGE, une firme spécialisée en hydrogéologie, pour la préparation d’un rapport de caractérisation hydrogéologique. Initialement prévu pour novembre 1998, son dépôt est reporté au mois de mars 1999. Entretemps, Claudie Tremblay et Stéphane Jean décident de faire appel à des experts supplémentaires pour obtenir un deuxième avis sur les rapports en cours de préparation, notamment ceux de Consultants HGE. Ils retiennent les services des experts de l’INRS[200]. Le 25 novembre 1998, deux experts de l’INRS, René Lefebvre et Richard Martel, déposent un rapport dans lequel ils commentent les conclusions préliminaires de Consultants HGE[201].
[125] Le 22 septembre 1998, Mme Tremblay parle au téléphone avec M. Fréchette du MEQ. Elle lui demande si les municipalités voisines ont été avisées de la situation. On lui répond qu’il n’y a pas d’indication de débordement[202].
[126] Le 1er décembre 1998, les autorités de la base militaire rencontrent des représentants de la DSP, MM. Denis Gauvin et Pierre Ayotte. On leur remet une copie de l’enquête réalisée par Santé Canada. Dans un courriel résumant la rencontre, Mme Tremblay écrit :
2. Ils ne recommandent pas d'action immédiate en terme d'information à la population; la norme étant calculée avec un large facteur de sécurité (pour les initiés 10 000 fois le NOAEL- no adverse effect limit).
3. Compte tenu des valeurs mesurées nous ne sommes pas "coupables" de ne pas informer la population. Lors du changement d'équipements (quand la solution sera identifiée), il pourrait être approprié d'informer les gens de l'interruption de service et du pourquoi, le cas échéant. Malgré tout, les gens seront informés.[203]
[Transcription textuelle]
[127] Le 7 décembre 1998, la DSP publie un communiqué sur le « Dépassement de la recommandation sur l'eau potable pour le trichloroéthylène à la Base militaire de Valcartier ». On peut y lire :
Bien que dépassant légèrement la recommandation fédérale sur la qualité de l'eau potable pour le TCE, l'eau de la Base militaire de Valcartier ainsi que du Centre de Recherche du ministère de la Défense ne représente pas une menace pour la santé de la population, que ce soit pour les adultes, les enfants ou les femmes enceintes. Ainsi, l'utilisation de l'eau sur la Base militaire de Valcartier peut se faire sans restriction, que ce soit pour la consommation de l'eau potable, la prise de douche ou tout autre utilisation domestique. Néanmoins, afin de distribuer une eau de la meilleure qualité possible, des intervenants de la Base militaire sont à étudier diverses solutions afin de réduire les concentrations observées de TCE. […][204]
[128] L’Adsum, le journal distribué sur la base militaire, publie le 16 décembre 1998 un article qui résume ces conclusions[205].
[129] Le même jour, a lieu une réunion au cours de laquelle les experts de l’INRS et de Consultants HGE débattent des travaux hydrogéologiques[206]. Le compte rendu de cette réunion indique ceci : « Mme Tremblay informe l'auditoire qu'une recherche à l'interne a permis de mettre en évidence des résultats, notamment une valeur de 101 ppb en 1995 (Puits 5) »[207].
[130] Mme Tremblay explique ainsi d’où viennent ces résultats. En décembre 1998, elle a demandé au Laboratoire LCQ, avec qui la base militaire avait une entente d’offre permanente, de lui transmettre toutes les analyses d’eau potable effectuées depuis le début de leur partenariat[208]. Cette recherche dans les archives révèle l’existence de tests effectués en avril 1995 ayant détecté 101 µg/L de TCE dans un échantillon d’eau prélevé au bâtiment 516 (le gym de la Garnison, selon Mme Tremblay), et 85,8 µg/L de TCE dans un échantillon prélevé au bâtiment 601 (l’usine d’épuration de la base militaire)[209].
[131] Mme Tremblay a pris connaissance de ces résultats en décembre 1998 et elle ignore dans quel contexte et pourquoi ces tests ont été effectués[210]. Elle indique avoir effectué plusieurs démarches pour identifier qui avait demandé ces tests en 1995 et pourquoi, sans succès[211].
[132] À ce sujet, Michael Hodgson émet l’hypothèse suivante :
R. En fait, là-dessus, je vous avoue que pour moi c'est comme la Caramilk, là, c'est une énigme, là, pour moi...
Q. Oui.
R. ... qu'est-ce qui s'est passé. C'est qu'il faut savoir qu'à cette époque-là, encore une fois, le système de distribution d'eau potable géré par une autre équipe, […] ça fait qu'il y a quelqu'un à quelque part, pour des raisons qu'on ignore, a probablement demandé une analyse probablement EPA 624[[212]] pour regarder un paramètre, qui n'est peut-être pas en lien pantoute avec le TCE, puis justement, la personne, quand elle a reçu le résultat d'analyse, elle, elle a regardé l'autre paramètre puis elle n'a pas du tout regardé ce paramètre-là. C'est la seule explication que je peux voir. C'est malheureux, mais c'est ça. Parce qu'on ne cherchait pas ça.
Q. Et à votre souvenir, savez-vous comment madame Tremblay découvre cette valeur-là?
R. […] C'est un pur hasard que ça ait été trouvé parce que dans les recherches que madame Tremblay avait fait faire, ça ne ressortait pas. [213]
[Renvoi ajouté]
[133] Quand on lui demande des précisions sur le « mystère de la Caramilk », M. Hodgson précise qu’à son avis, on n’a probablement pas demandé en 1995 une analyse sur le TCE, mais plutôt une analyse standardisée qui comprenait le TCE. Ce résultat en particulier serait ensuite passé sous le radar[214].
[134] Stéphane Jean indique que c’est la première fois, le 16 décembre 1998, qu’il entendait parler de ces résultats[215]. Il s’entretient ainsi avec le juge :
Q. Mais, moi, cette affaire-là de 95, ça revient, là, puis ça revient puis ça revient mais il a dû y avoir quelqu'un qui a commandé une analyse. Il a dû y avoir un technicien qui a fait une analyse. Il a dû y avoir quelqu'un qui a reçu le rapport du technicien. Puis il a dû y avoir quelqu'un qui a fait quelque chose avec ça.
R. Oui, oui.
Q. Mais tout ce que je sais à date, c'est qu'à un moment donné, on a eu... on a fait une analyse en 95.
R. Oui.
Q. Puis…
R. Mais je ne peux pas parler…
Q. ... la Terre tournait, là, avant 98, là?
R. Oui. Mais en 95, ce suivi-là a été effectué par la garnison puis les questions d'eau potable je ne m'en occupais pas. Puis je pense que c'est Daniel Godbout qui était chef du génie construction à ce moment-là…
[…]
R. … il a dû couvrir le point. Chose certaine, c'est qu'à RDDC il n'y a personne qui a été informé de ça puis, moi, pas du tout.[216]
[135] Daniel Godbout, officier de génie de construction[217] à Valcartier de 1994 à juin 1997, affirme n’avoir jamais entendu parler de problème de TCE durant son passage sur la base militaire[218]. Quand on lui présente les certificats d’analyse de 1995, il affirme avoir pris connaissance de ces documents uniquement lors de la préparation du procès. Au sujet des analyses d’avril 1995, où apparaissent les chiffres de 101 et 85,8 µg/L de TCE, il commente ainsi :
R. Certaines de ces analyses-là ne reflètent pas les demandes qu'on devait... les analyses qu'on devait faire à ce temps-là. Selon les analyses qu'on devait faire on ne nous demandait pas de faire des analyses de volatiles dans l'eau potable dans ces années-là. Je ne sais pas pourquoi les analyses ont été faites et par qui elles ont été demandées chez nous. [...].
[...]
R. [...] Donc, je ne peux pas vous dire qui a demandé les études. Je sais aussi qu'on faisait beaucoup d'analyses au niveau environnemental, qu'on faisait beaucoup de recherches de sites contaminés. Puis je ne sais pas c'est quel des éléments qui a demandé que des études soient faites.
[…]
R. […] Si on faisait une analyse, dans ce temps-là si on faisait une analyse spécifique en vertu d'un contaminant spécifique, on remarquait, on prenait les résultats spécifiques de ce contaminant-là et on le comparait à un critère soit en eau potable ou en égout dépendamment qu'est-ce qu'on analyse. On ne regardait pas nécessairement tous les éléments qui étaient indiqués sur l'analyse. Les analyses qui sont faites pour les éléments volatiles est une analyse spécifique, une méthode spécifique, donc les laboratoires, eux, donnent tous les résultats qui sortent de la méthode.[219]
[Transcription textuelle]
J'ai demandé un échantillon parce que... je... je trouvais que dans la situation générale, le ministère de l'Environnement du Québec avait été peu vigilant vis-à-vis nos puits d'observation... nos puits d'alimentation en eau potable et je me suis dit qu'ils avaient peut-être eu le même manque de vigilance vis-à-vis Shannon.[220]
[137] Les résultats des tests de février 1999 indiquent une concentration de 0,41 µg/L chez M. Brisson, soit une concentration environ 100 fois inférieure à la norme alors en vigueur, et comparable aux concentrations mesurées à la ville de Québec. Rassurée, Mme Tremblay n’entreprend donc pas d’autres échantillonnages[221].
[138] Le rapport final de Consultants HGE est déposé en mars 1999[222]. Il est accompagné d’un « Rapport des solutions » présentant diverses possibilités pour régler le problème de contamination[223]. Sur la base des recommandations de Consultants HGE, on modifie le plan de pompage afin d'utiliser les puits P-2 et P-4, moins contaminés, pour alimenter le réseau, alors que le puits P-5, plus lourdement atteint, continue d’être exploité en tant que piège hydraulique. Cette opération commence dès décembre 1998, avec une utilisation accrue du puits P-4 et une diminution de celle du puits P-5[224], et se termine en mars 2000, avec le raccordement des puits P-2 et P-4 en tête de réseau[225].
[139] Une rencontre a lieu le 27 août 1999[226]. Y sont présents MM. Beaudet et Wyglinski, Mme Tremblay, M. Jean, les autorités de la base militaire et les responsables du CRDV. On veut former un groupe de collaboration pour mieux gérer le problème de contamination. On se demande si la lagune C ne pourrait pas être responsable de la situation[227] : en effet, un relevé environnemental de janvier 1999 indique que des concentrations de TCE de 836 µg/L y ont été détectées en mai 1998[228]. Selon M. Beaudet, ces résultats sont effectivement surprenants : on croyait que le problème de la lagune C était réglé[229]. L’analyse a même été refaite parce qu’on l’estimait suspecte : le ré-échantillonnage du 4 juin 1998 montre en effet une concentration beaucoup moins élevée de 130 µg/L.
[140] À la page 5 du compte rendu préparé par M. Beaudet, on peut lire :
J. Dufour [Jacques Dufour, chef de service à la recherche au CRDV] propose que les municipalités environnantes (Val-Bélair, St-Gabriel-de-Valcartier, Shannon) soient avisés de façon prudente et diplomate sur le potentiel de contamination des puits situés à proximité des terrains CRDV, USS Valcartier et IVI.
C. Tremblay dit qu'ils ne peuvent pas parler directement aux municipalités et au Ministère de l'Environnement Québec; ils peuvent parler seulement à Environnement Canada mais ils veulent éviter que ça devienne une chicane de clocher entre Environnement Canada et le MEF. Le L.-C. Têtu demande à C. Tremblay d'évaluer la situation et de faire une proposition.[230]
[Transcription textuelle]
[141] Il semble que ce soit la première fois que cette possibilité soit envisagée. À ce sujet, M. Beaudet commente ainsi :
R. […] on était satisfait que l'eau ne sortait pas de nos terrains. Nos voisins immédiats qui nous inquiétaient c'était le ministère de la Défense nationale puis nos puits démontraient que ça ne sortait pas de ce côté-là. Shannon, les puits de Shannon sont au moins à plus qu'un kilomètre de nos terrains, un kilomètre vers l'ouest, puis l'écoulement de l'eau n'est pas vers l'ouest, il est plutôt vers notre voisin au nord. Donc, Shannon n'était pas du tout dans la mire à ce moment-là. Il y avait une certaine inquiétude par contre pour Val-Bélair à cause de la présence de TCE qu'on avait constatée dans le secteur du dépotoir est. Il y a des chiffres qui n'étaient pas très très élevés mais on avait quand même des chiffres qui dépassaient le 50 microgrammes par litre, on avait une couple de lectures. Mais par contre, c'étaient des chiffres relativement bas, on n'avait pas de chiffres astronomiques là comme dans le secteur 214. Mais l'idée d'aviser les municipalités, on n'était absolument pas contre.[231]
[142] Le 7 décembre 1999 a lieu une rencontre des intervenants externes[232]. Outre les autorités du CRDV et de la base militaire, y sont présents des représentants d'Environnement Canada, de Santé Canada, du ministère de l’Environnement du Québec, de la Santé publique de Québec et de l'INRS. On peut lire dans le compte rendu l’intervention de M. Denis Gauvin de la Santé publique :
54. M. Gauvin félicite l'équipe pour la transparence démontrée à l’égard de ce dossier. Une meilleure caractérisation des puits #2 et #4 ainsi qu'une coordination avec Val-Bélair et Shannon sont requises. Il aimerait avoir une copie des documents qui seront transmis aux médias.[233]
[143] Il commente ainsi :
R. Lors de la rencontre de décembre quatre-vingt-dix-neuf (99), bon, il n'y avait pas sur... à cette rencontre-là, il n'y avait pas de représentants de la Ville de Val-Bélair et de Shannon et, comme je considérais, bon, les logements familiaux étaient sur le territoire de Shannon et on avait mentionné, entre autres, bon, la présence de trichloroéthylène à proximité des limites, des zones limitrophes des villes de Va-Bélair et de Shannon, comme j'ai mentionné tout à l'heure, donc je trouvais à propos que ces deux villes-là puissent participer à ce comité-là pour être informées. […]
[…]
R. […] mais je n'ai pas contacté personnellement ni la municipalité de Shannon, ni Val-Bélair relativement à cet élément d'information là.[234]
[144] Après de longs efforts, une « entente de collaboration » est finalement signée en juillet 2000[235]. En novembre 2000, l’INRS dépose le rapport de son étude hydrogéologique[236]. On peut y lire :
Les données disponibles [...] semblent indiquer que de l'eau souterraine contaminée est susceptible de migrer à l'extérieur des terrains de l'USS Valcartier et du CRDV. Cette migration pourrait se faire à la fois du côté sud-est en direction de Val-Bélair et du côté ouest en direction de Shannon. Ces deux municipalités utilisent l'eau souterraine comme source d'approvisionnement. La situation du côté de Shannon est préoccupante à première vue car 1) les niveaux de contamination en TCE détectés de ce côté sont élevés et 2) les débits pompés par les puits résidentiels sont relativement faibles et donc peu susceptibles de permettre une dilution.[237]
[145] Ses résultats sont présentés lors d’une réunion le 2 novembre 2000[238]. M. Beaudet s’exprime ainsi :
R. […] on voit la proximité des puits situés à l'ouest de leur terrain qui sont dangereusement près de la limite de Shannon, où il y a des habitations. Ça fait que là on est inquiet. […]
[…]
R. […] on était inquiet pour Shannon aussi et puis on a dit: « Coudon là, ça se peut-tu que ça aille jusqu'à Shannon? », et puis indépendamment... ça fait que là, Ted [Wyglinski] m'a suggéré: « Bien, pourquoi qu'on ne va pas prendre un échantillon d'eau à Shannon? » Ma première réaction, j'ai dit: « Voyons, ça ne se fait pas, on le demande aux gens puis... » Ted a insisté, il dit: « Écoute, là, on a assez d'évidence, je pense qu'il faut faire notre due diligence... » pour employer son expression là, l'expression qu'il dit, donc une vérification complète. Et puis finalement il n'a pas eu de misère à me convaincre et puis on a décidé de prendre un échantillon d'eau à Shannon chez monsieur Poulin, qui était un de nos anciens employés puis qui travaillait pour nous comme... pour faire des travaux à forfait d'entretien. Et puis on a pris un autre échantillon chez monsieur Jacques Charlesbois qui demeurait à Shannon puis qui travaillait avec moi aussi à St-Augustin. D'ailleurs, c'est moi-même qui a demandé à Jacques Charlesbois la permission d'aller prendre un échantillon chez lui. Puis on a mandaté Jean-Noël Blanchette pour aller prendre les échantillons.[239]
[146] Questionné quant à savoir pourquoi cette idée ne lui était jamais venue avant, il s’exprime ainsi :
R. Parce qu’avant on avait - on parle de la lagune C là puis du 214 - le 214, pour nous autres, c'était clair qu'il n'y avait pas de contamination qui s'en allait vers notre voisin. Le secteur est, le dépotoir est aussi, le degré de contamination était... il y avait des lectures en haut de 50 mais les plus hautes lectures étaient peut-être à 80 microgrammes par litre et puis c'était... on ne constatait pas une contamination élevée comme au 214. Donc, pour nous, 214 c'était sous contrôle, on le traitait, on faisait un suivi des piézomètres aussi régulier à la frontière. On a dit: « Si jamais ça veut déborder, on va faire un piège hydraulique pour empêcher la contamination. » Mais pour nous, la lagune C, tout ce temps-là, bien, c'était réglé. En 1994 on avait excavé la contamination, on avait pompé l'eau de surface, on avait pompé des quantités énormes d'eau souterraine aussi pour... et puis pour nous il n'y en avait plus de contamination. Puis notre piézomètre témoin, le F-30, il démontrait une faible contamination. Donc, pour nous, la lagune C ce n'était pas un... pendant toutes ces années-là ce n'était pas un problème.[240]
[147] À ce sujet, M. Breton commente ainsi :
Q. […] Pourquoi vous avez laissé les gens de Shannon dans l'ignorance?
R. Les gens de Shannon ont été informés de la situation aussitôt qu'on l'a connue. C'est le mieux qu'on peut dire. On a connu la situation rendu là en 2000, décembre 2000, on les a avisés en décembre 2000.
Q. Pourquoi pas avant?
R. Lorsque vous analysez en arrière comme ça, vous voyez bien que vous aviez des indices, mais de dire qu'on a allumé sur ces indices-là, non. La réponse, c'était qu'on n'allumait pas sur ces indices-là dans l'année 1990, définitivement pas dans l'année 80... On a allumé en TCE en 1995. Et à partir de ce moment-là, on continuait à croire fermement que c'était localisé et on a mis les mesures en place pour l'éliminer, mais ça a dégénéré. Donc, ce qui est dit là [dans la demande introductive] est faux, on a avisé le monde aussitôt qu'on l'a su.[241]
[148] Quand on l’invite à lire les paragraphes 238 et 239[242] de la demande introductive d’instance, M. Beaudet tient les propos suivants :
R. Je lis ça puis j'ai de la difficulté à concevoir que les gens pensent ça. Ce n'est absolument pas ce qui s'est passé. Je me sens personnellement accusé dans tout ça parce que c'est moi qui gérais le dossier avec Ted Wyglinski et puis on a... à chaque fois qu'on a eu l'opportunité d'aviser les gens d'un danger quelconque, on l'a fait. Quand on a trouvé de l'eau sur la base en 1997, aussitôt qu'on l'a trouvée on avise[[243]]. Et puis aussitôt qu'on a l'évidence, on prend action puis on est proactif pour aviser les gens du danger potentiel. Et puis on a le souci des gens, on connaît du monde à Shannon, on ne permettrait pas laisser ces gens-là boire de l'eau, risquer leur santé puis tout ça si on était au courant d'un danger potentiel. La chose humaine à faire c'est de les aviser le plus rapidement possible, indépendamment du restant là, tu sais. Ça ne se fait pas, quand on connaît une situation dangereuse, on agit. On a toujours été habitué à travailler dans l'industrie nous autres en santé sécurité et puis s'il y a une situation potentielle hasardeuse on corrige la situation puis immédiatement. Donc, quand je lis ça, je trouve que c'est faux, ce n'est pas ce qui s'est passé. Les gens qui ont écrit ça, ils font... ils agissent comme gérants d'estrade d'après moi. Ils regardent une situation après coup et puis: « Ils auraient dû faire ci, ils auraient dû faire ça. » Mais il faut comprendre que les décisions qui ont été prises à ce moment-là ont été prises avec les connaissances du moment. Puis les décisions ont été prises en fonction des faits qui étaient connus à ce moment-là.
[…]
R. […] c’est une accusation injuste.[244]
[Renvoi ajouté]
[149] Le 6 décembre 2000, M. Beaudet écrit à M. Fréchette, du ministère de l’Environnement du Québec, pour l’informer des résultats des tests effectués chez M. Poulin[245]. Ils révèlent une concentration de 160 à 178 µg/L de TCE[246].
[150] Le 11 décembre, M. Beaudet reçoit un appel de M. Normand Légaré, qui travaille à la municipalité de Shannon. Ce dernier a été avisé de l’existence d’une contamination[247]. M. Légaré procède immédiatement à de nouveaux tests sur des échantillons d’eau prélevés chez 10 résidents de Shannon[248].
[151] Une réunion a lieu au ministère le 12 décembre[249]. M. Beaudet continue de soutenir que la contamination est peut-être de nature locale, mais il sent que l’usine de munitions est « au banc des accusés lors de cette réunion »[250]. Il est convenu de procéder à un échantillonnage plus exhaustif, mais le lendemain on apprend que la municipalité a déjà fait analyser une dizaine de puits. Les résultats sont connus vers le 19 décembre : plusieurs autres puits sont contaminés[251] :
R. Donc, on s'est dit : «Oups! On a un problème, il y a... ça ne se limite pas à un seul puits, mais il semble y avoir une contamination un peu plus extensive du TCE dans la nappe phréatique à Shannon.»
Du fait que la Ville nous avait identifié, bon, où étaient les puits qui avaient été échantillonnés, là, on pouvait... ce n'était pas concentré jusque à un endroit, mais il semblait y avoir présence un peu plus marquée... un peu plus étendue, là, de la contamination du TCE sur leur territoire.[252]
[152] Le 19 décembre, la DSP publie un avis de santé publique. Il est transmis aux citoyens concernés avec une lettre de la municipalité de Shannon dans les jours qui suivent. On recommande aux gens de ne pas consommer l'eau du robinet si elle n'a pas subi un traitement permettant l'enlèvement du TCE[253]. L’affaire fait l’objet d’une couverture médiatique intense au retour des fêtes[254].
[153] Une rencontre a lieu le 10 janvier 2001 à Shannon. Les notes prises lors de cette réunion contiennent plusieurs passages sur la difficulté d’identifier les sources de la contamination :
§ Les sources de contamination en TCE d'origine ne seront peut-être jamais identifiées. [...]
· L'historique sur les quantités de TCE utilisées, les endroits où ce solvant a été utilisé et le mode de gestion de ce produit est difficile à obtenir [...];
· Dans le passé, l'utilisation du TCE était fréquente pour dégraisser des pièces métalliques ou d'autres usages, et ce, probablement à différents endroits et établissements qui ne sont pas tous connus de notre part;
· Les pratiques de gestion des solvants usés et des autres résidus se faisaient « à la va comme je te pousse » durant une bonne partie du 20e siècle, donc comment savoir où ces solvants étaient disposés et de quelle façon si aucun registre n'en fait mention; […][255]
[Transcription textuelle]
[154] Un périmètre regroupant 76 maisons à risque est établi par le MEQ[256]. En janvier 2001, on procède à l’analyse de l’eau de ces résidences[257]. Une cinquantaine de maisons présentent des traces de TCE, dont trente-trois à des concentrations supérieures à 5 µg/L[258], une vingtaine à des concentrations supérieures à 50 µg/L et une dizaine à des concentrations supérieures à 200 µg/L[259]. Dans un communiqué diffusé le 5 février 2001, on peut lire :
Globalement, les résultats montrent une contamination importante de la nappe phréatique. La concentration maximale mesurée en TCE était de 985 µg/L (recommandation canadienne: 50 µg/L; recommandation américaine : 5 µg/L). D'autres contaminants [...] ont également été constatés dans quelques puits [...]. Chaque citoyen a été avisé des résultats concernant leur propre puits par la municipalité ou la DSP.[260]
[155] Après un bref exposé sur les effets cancérigènes du TCE, on peut lire :
Nous avons vérifié à partir du fichier des tumeurs du Québec les statistiques de cancer pour la municipalité de Shannon, et il n'y a aucun excès pour les cancers en relation possible avec l'exposition au TCE (lymphome non Hodgkinien, leucémie, foie, rein) pour la période de 1984 à 1996.[261]
[156] Des recommandations sont faites aux citoyens en fonction du niveau de contamination détecté dans leur eau potable, et les citoyens exposés ont été rencontrés personnellement[262]. Le 12 mars, les résidents des 76 résidences situées à l’intérieur du périmètre à risque sont convoqués par la Santé publique à une réunion au CLSC[263]. Une cinquantaine de personnes y prennent part[264]. Un document offrant de l’aide psychosociale leur est distribué[265].
[157] Lors d’une réunion du comité de concertation le 4 décembre 2001, à laquelle est présente Mme Marie-Paule Spieser, représentante du Regroupement des citoyens de Shannon, le Dr René Lefebvre de l’INRS a l’occasion de présenter les résultats préliminaires des travaux hydrogéologiques en cours. On peut lire dans le compte rendu de cette rencontre :
15. On s'entend entre M. Juneau et Dr Lefebvre qu'en conclusion, il est possible que la contamination soit rendue à Shannon depuis environ 20 ans, ce qui pourrait coïncider avec le remplissage des lagunes de SNC TEC Inc. car on n'a pas de date précise du début des travaux.[266]
[158] Le 10 juin 2002, un citoyen de Shannon signale une possible contamination à un endroit situé dans le coin nord-ouest du terrain de l’usine de munitions, tout près de la lagune A. Ce site fut par la suite baptisé « lagune X » et a fait l’objet d’une caractérisation environnementale à l’été 2002[267]. On pouvait y voir un étang de résidus huileux[268].
[159] Le Regroupement des citoyens de Shannon est fondé le 14 février 2001[269]. Vers la fin de 2003 ou vers janvier 2004, les avocats qui représentent le Regroupement contactent le Dr Claude Shields, hémato-oncologue à l'Hôpital de l'Enfant-Jésus, pour lui proposer de réaliser une enquête sur la survenance du cancer à Shannon[270]. Ce travail culmine en janvier 2009 avec la production de son rapport d’expertise, intitulé Effets d'une exposition au TCE et ses sous-produits de dégradation sur la santé des résidents de Shannon [Rapport Shields][271].
[160] Pour la réalisation de cette étude, le Dr Shields a recruté deux infirmières, Mmes Michèle Giroux et France Trottier, qui ont été chargées de prendre contact avec des patients atteints de cancer et de confirmer leur diagnostic en obtenant leur dossier médical. Les circonstances précises de la réalisation de cette enquête ne sont pas tout à fait claires. Dans le rapport final, il est question d’une « investigation réalisée de porte à porte »[272]. Le Dr Shields s’exprime ainsi :
R. D’abord, on a recruté deux infirmières, là, en santé au travail qui ont rencontré des gens, qui ont effectué d'abord une investigation, non pas sommaire, mais de dépistage. Et à partir d'informations de survenue de cas de cancer, on a procédé à l'obtention d'éléments nécessaires et essentiels, à partir de dossiers médicaux, pour établir la véracité de ces cas de cancer là.
[...]
R. Bien, les infirmières devaient, après contact personnel ou téléphonique ou par la poste avec les patients, obtenir l'autorisation de faire venir les dossiers médicaux.
[...]
R. Mais le but de la requête, Monsieur le juge, ce n'était pas de faire une étude épidémiologique, c'était de procéder à l'identification des gens affectés et de vérifier si... de vérifier si les affections étaient vraiment celles attendues comme le cancer ou d'autres effets.
Alors, c'est une enquête, là, de la même façon qu'on fait une enquête sur la survenue... dans la survenue d'événements anormaux, ce n'est pas une étude épidémiologique, je ne contrôlais pas... on ne contrôlait pas les paramètres de la situation, c'était un événement naturel qu'on investigue pour avoir davantage d'"insight", là, de visionnement de ce phénomène-là.[273]
[161] Lors de la rédaction de son rapport en janvier 2009, le Dr Shields se fondait sur les données récoltées jusqu’en octobre 2008 :
R. Par la suite… lorsqu'on a fait ce rapport-là, en octobre deux mille huit (2008), il était bien évident que tous les cas de cancer survenus n'y étaient pas, pour plusieurs raisons.
La première raison, il y en a qui ne s'étaient pas déclarés, il y en a qui ne voulaient pas se déclarer. Il y en a qui n'avaient pas eu connaissance du processus et puis ça prenait du temps pour compléter un dossier, ça prend à peu près comme sept, huit (7-8) mois des fois de communications entre l'hôpital, le bureau puis la compilation.
Ça fait que dans le temps, on avait deux cent neuf cas... deux cent six (206), pardon, cas de cancer chez cent quatre-vingt-deux (182) individus. En octobre deux mille huit... en octobre deux mille huit (2008), au-delà de cette date-là, nous sont parvenus des dossiers médicaux...[274]
[162] Le rapport du Dr Shields porte donc sur 206 cas de cancer recensés chez 182 individus[275]. Dans une série de 20 tableaux, il analyse ces données et explique que, selon lui, l’incidence du cancer à Shannon est de 2 à 3 fois plus élevée que l’incidence attendue, et près de 4 fois plus élevée dans le « secteur rouge », aussi surnommé « triangle rouge », délimité par la rue de la Station, la rue King et le boulevard Jacques-Cartier. Il soutient de plus que le nombre de cancers observés sur la rue King et le boulevard Jacques-Cartier, rapporté sur 100 000 personnes, donnerait une incidence d’environ 20 000 cas, alors que l’incidence normale attendue devrait être de 467. Selon lui, « il ne fait aucun doute qu’un facteur extérieur a contribué à augmenter l’incidence des cas de cancer dans cette population »[276].
[163] En novembre 2008, le Dr Raymond Van Coillie a produit une expertise toxicologique et épidémiologique intitulée Toxicologie reliée à la contamination de trichloroéthylène (TCE) dans l'eau souterraine à Shannon [Rapport Van Coillie 2008][277]. Ce rapport contient deux parties : une évaluation des risques toxicologiques associés à l’exposition au TCE et un relevé des cancers et autres maladies dans la zone exposée (« triangle rouge ») comparativement à une zone témoin. En résumé, le Dr Van Coillie parvient à la conclusion que les personnes ayant habité dans la zone rouge auraient été exposées à un risque toxicologique susceptible de causer un excès de 4,69 cas de cancer sur 1 million de personnes. Ensuite, en s’appuyant sur les données récoltées par les deux infirmières, il compare le nombre de cancers rapportés dans un groupe de 55 résidences situées dans la zone exposée et le nombre de cancers rapportés dans un groupe témoin de 55 résidences non exposées. Il calcule sommairement qu’il existe entre 3,1 et 3,6 fois plus de cancers dans la zone exposée, ce qu’il attribue au TCE.
[164] Ce rapport a été mis à jour en 2010, sous le titre Mise à jour (fin 2009) de la toxicologie reliée à la contamination de trichloroéthylène (TCE) dans l'eau souterraine à Shannon [Rapport Van Coillie 2010][278].
[165] Les données récoltées par le Regroupement des citoyens de Shannon ont également servi à la réalisation d’une étude dite de « morbidité proportionnelle », par le Dr Claude Tremblay, expert en épidémiologie, qui s’intitule Expertise épidémiologique portant sur la fréquence des cancers dans la population de Shannon [Rapport Tremblay 2010][279]. Cette étude vise à calculer la proportion de cas d’un certain type de cancer par rapport au nombre total de cas de cancer dans la population exposée, et de comparer cette proportion avec la proportion observée dans une population de référence. L’avantage de ce type d’étude tient au fait qu’il n’est pas nécessaire, pour la réaliser, de connaître avec précision la taille de la population à l’étude : le Dr Tremblay se contente de comparer les cas de cancer recensés par les citoyens avec les données provinciales pour la période qui va de 1992 à 2005.
[166] Selon le Dr Tremblay, cette étude « a permis de confirmer la présence de cancers en excès dans la population de Shannon pour la période 1992-2005 » et « de démontrer l'existence d'un excès statistiquement significatif de cancer de l'estomac [...], de cancer du cerveau [...] et de mélanomes » et que l’hypothèse d’un lien avec la contamination environnementale « s’avère des plus plausibles »[280].
[167] Finalement, les Drs Michel Charbonneau et Sydney Finkelstein ont produit en janvier 2009 une Expertise de toxicologie moléculaire des cancers observés chez les gens de la population de Shannon exposés au trichloroéthylène (TCE) [Rapport Charbonneau Finkelstein], visant à démontrer la présence, dans l’ADN de certains résidents de Shannon atteints du cancer, d’une « signature génotoxique » indiquant que ces cancers ont été causés par le TCE[281].
[168] La collecte des données par le Regroupement des citoyens de Shannon s’est poursuivie jusqu’en octobre 2010[282], portant le compte final à 489 cas de cancer détectés chez 414 personnes[283]. Cependant, le Dr Shields indique qu’au moment de son témoignage, en mars 2011, « on [recevait] peut-être encore à peu près dix nouveaux cas de cancer par mois »[284].
[169] Les expertises de l’appelante ont toutes été critiquées en détail par le Dr Siemiatycki, expert des intimés, dans un rapport déposé en janvier 2010 intitulé Report on the risks of cancer and other diseases resulting from exposure to TCE in Shannon, Quebec[285] [Rapport Siemiatycki janvier 2010]. Le Dr Siemiatycki a par la suite déposé un rapport supplémentaire en mai 2010 pour répondre spécifiquement à l’expertise du Dr Tremblay : Revue du document intitulé "Expertise épidémiologique portant sur la fréquence des cancers dans la population de Shannon" préparé par Claude Tremblay, 31 mars 2010, version corrigée, mai 2010 [Rapport Siemiatycki mai 2010][286]. D’autres contre-expertises ont également été produites. La méthodologie de ces différents rapports d’expertise est décrite et commentée plus en détail dans l’analyse de la preuve scientifique.
[170] Le 26 mars 2004, le Dr Henri Prud'homme de la DSP écrit au maire de Shannon. Il lui explique que la DSP de la Capitale-nationale a fait appel aux services de l’INSPQ pour analyser les données d’incidence du cancer disponibles dans le Fichier des tumeurs du Québec, ainsi que les données sur la mortalité du Fichier des décès du ministère de la Santé, afin d’évaluer l’état de santé de la population de Shannon. Les données disponibles couvrent à ce moment-là la période 1984-1999. Il écrit :
Avant la présentation des résultats, nous devons préciser que ces données doivent être interprétées avec beaucoup de prudence. En effet, le nombre de cancers pour chaque site de cancer demeure relativement petit, limitant ainsi l'interprétation statistique de ces données qui pourrait entraîner une sous ou sur-évaluation du risque associé [...].
[...]
Pour l'incidence du cancer, bien que l'on constate que les cancers du foie et les myélomes multiples ont un indice comparatif plus élevé que celui de la province, aucun excès ne rencontre le seuil de signification statistique de 0,01. En effet, tous les intervalles de confiance établis chevauchent la valeur 1,00. Pour l'ensemble des tumeurs malignes [...], l'indice comparatif est inférieur à 1,00 (donc inférieur au niveau provincial) mais là encore il est non significatif sur le plan statistique. Les renseignements du fichier des décès vont également dans le même sens avec des différences non significatives [...].
[...].
Les données actuelles [...] ne nous permettent pas de mettre en lien une exposition résidentielle au TCE résultant de la contamination de la nappe phréatique et un excès particulier de cancer [...].[287]
[171] En septembre 2005, l’INSPQ publie un avis intitulé Pertinence et faisabilité d'une étude épidémiologique visant à évaluer les effets nocifs de la contamination du réseau d’eau portable par du trichloroéthylène dans la municipalité de Shannon [Rapport INSPQ 2005]. Dans ce document, les experts de l’INSPQ se disent d’avis que de nouvelles études sur l’état de santé des personnes exposées au TCE ne permettraient pas d’établir avec une certitude suffisante la présence ou l’absence d’un quelconque effet nocif causé par cette exposition. Non seulement la durée et le niveau d’exposition des personnes exposées au TCE sont inconnus, mais la petite taille de la population à l’étude ne permettrait ni de confirmer ni d’écarter une augmentation de l’incidence du cancer parmi les personnes exposées[288].
[172] Ils écrivent :
Une analyse des cas de répertoriés entre 1984 et 2000 dans le fichier provincial des tumeurs a été réalisée par la Direction de santé publique de la Capitale nationale. Un total de 84 cas de cancer ont été identifiés chez les personnes résidant dans la municipalité de Shannon, alors que près de 97 cas étaient attendus, en fonction de l’incidence des cancers dans l’ensemble de la population québécoise et en ajustant pour l’âge et le sexe.[289]
[Transcription textuelle]
[173] Les experts concluent que « [t]oute nouvelle étude, même si elle est techniquement possible, n’aboutirait qu’à accroître l’anxiété et ne saurait être justifiée dans un contexte de priorisation de l’utilisation des ressources de santé publique au Québec »[290].
[174] Le 2 février 2007, le Dr Prud’homme transmet au maire Clive Kiley une mise à jour de l’analyse d’incidence réalisée à partir du Fichier des tumeurs du Québec, incluant cette fois-ci les données couvrant la période de 1984 à 2002. Il écrit :
Pour la période 1984-2002, les cancers du foie et les myélomes multiples demeurent avec un indice comparatif plus élevé que celui de la province. Toutefois, aucun de ces excès ne rencontre le seuil de signification statistique de 0,01 (les intervalles de confiance établis chevauchent la valeur 1,00). Pour l'ensemble des tumeurs malignes (100 cas entre 1984 et 2002), l'indice comparatif est encore inférieur au niveau provincial, sans toutefois être significatif sur le plan statistique.
L’examen des dossiers médicaux nous a permis de constater que deux cas de cancer du foie et un cas de myélomes multiples présentaient un facteur de risque reconnu selon la littérature scientifique, autre que l’exposition au TCE, pour expliquer la maladie. […]
Parmi l'ensemble des 23 cas de cancers recensés sur le territoire de Shannon entre 1984 et 2002[[291]] [...], 8 résidaient au-dessus du panache de contamination au TCE tel que délimité par l'INRS (2003). De ce nombre, 3 personnes habitaient dans des résidences où la contamination du puits d'alimentation en eau potable avait dépassée 5 µg/l de TCE. Pour les 5 autres cas, la concentration était soit non détectée, soit inférieure à 1,5 µg/l. Aucun cas de cancer du foie ne résidait au-dessus du panache alors qu'un cas de myélomes multiples y résidait (concentration de TCE inférieure à 0,2 µg/l).
Les données issues du « Ficher des tumeurs du Québec » ainsi que les informations sur les cas, dont celles obtenues dans les dossiers médicaux pour certains cas, ne nous permettent pas de faire un lien entre la présence de TCE dans la nappe d'eau souterraine et un excès particulier de cancer.[292]
[Renvoi omis; renvoi ajouté; transcription textuelle]
[175] En 2009, le Dr François Desbiens, directeur régional de santé publique, sollicite les services de l’INSPQ pour mettre à jour l’avis sur la « pertinence et faisabilité d'une étude épidémiologique » de 2005, poursuivre l’analyse des données issues du Fichier des tumeurs du Québec, et intégrer à cette analyse une cartographie détaillée des cas de cancer observés, afin d’évaluer la possibilité de mettre en évidence un lien entre les cancers et la contamination au TCE[293].
[176] L’avis sur la pertinence et la faisabilité d’une étude épidémiologique est mis à jour en 2010, avec les mêmes conclusions[294]. L’INSPQ produit également des rapports commentant les travaux des experts de l’appelante[295].
[177] Finalement, l’INSPQ publie en 2011 une Analyse spatio-temporelle des cas de cancer à Shannon répertoriés dans le Fichier des tumeurs du Québec en relation avec la contamination de la nappe d’eau souterraine dans le secteur Valcartier [Rapport INSPQ 2011][296]. Dans cette étude, les experts de l’INSPQ ont réalisé deux analyses distinctes.
[178] Dans un premier temps, les experts ont calculé les ratios standardisés d’incidence (« SIR » pour standardized incidence ratios) des sièges de cancer qui peuvent potentiellement être causés par le TCE, selon une méta-analyse publiée en 2000[297]. Il s’agit des cancers du foie, du col de l’utérus, du rein, des lymphomes non hodgkiniens, de la maladie de Hodgkin, du myélome multiple et des leucémies. Le ratio d’incidence est calculé en divisant le nombre de nouveaux cas observés dans la population de Shannon par le nombre de cas attendus[298]. Le nombre de cas attendus est obtenu en multipliant les taux d’incidence provinciaux par les effectifs de la population de Shannon par sexe et groupe d’âge quinquennal. Les données sur les cas observés sont issues du Fichier des tumeurs du Québec et portent sur la période allant de 1984 à 2006; les effectifs de la population proviennent des recensements de Statistique Canada. Ces calculs ont été effectués pour l’ensemble de la municipalité et pour chacune des « aires de diffusion » (AD), soit la plus petite région géographique pour laquelle les données de recensement sont diffusées par Statistique Canada.
[179] Les auteurs écrivent :
Les SIR indiquent des fréquences de cancer du foie et de myélome multiple statistiquement plus élevées qu’attendues à Shannon comparativement au Québec.
Nous avons vérifié si des excès de cancer étaient également détectables à l’échelle des aires de diffusion pour la période de 1996 à 2006. Cette analyse indique une fréquence de myélome multiple statistiquement plus élevée qu’attendue dans une des aires de diffusion (no 24220024) qui est située au sud de la municipalité […]. On constate que ce secteur ne correspond pas à la zone la plus contaminée selon les données du ministère de la Défense nationale du Canada (Fouchécourt, 2003)[[299]]. D’autre part, la moyenne des concentrations maximales de TCE mesurées par le MDDEP de 2000 à 2009 dans les puits privés de cette même aire de diffusion est de 0,17 μg/l (maximum = 10,0 μg/l) […]. Dans cette AD, seulement trois résidences présentent une concentration maximale supérieure à 5 μg/l, et 181 des 229 résidences échantillonnées de 2000 à 2009 ont des concentrations de TCE inférieures au seuil de détection.[300]
[Renvoi ajouté]
[180] Ensuite, les experts ont cherché à établir une association entre la fréquence des nouveaux cas de cancer potentiellement associés au TCE et la présence de TCE dans l’eau des résidences des personnes touchées. Pour ce faire, l’INSPQ disposait des concentrations de TCE mesurées lors des campagnes d’échantillonnage réalisées par le MEQ entre 2000 et 2009. À l’aide de ces données, chaque nouveau cas de cancer a été associé à une concentration maximale de TCE détectée à l’adresse de l’individu au moment du diagnostic. Au moyen de cet exercice, les auteurs ont pu regrouper les cancers en différentes catégories selon (1) leur association potentielle, selon la littérature scientifique, à une exposition au TCE et (2) la concentration maximale de TCE mesurée à l’adresse de l’individu touché.
Concentration maximale de TCE détectée |
Nombre de nouveaux cas de cancer pour les sièges associés au TCE |
% |
Nombre de nouveaux cas de cancer des autres sièges |
% |
Nombre total de nouveaux cas de cancer |
% |
Non détecté |
20 |
69,0 |
62 |
56,9 |
82 |
59,5 |
< 1,0 µg/L |
4 |
13,8 |
19 |
17,4 |
23 |
16,7 |
1,0 à 4,9 µg/L |
1 |
3,4 |
4 |
3,7 |
5 |
3,6 |
5,0 à 49,8 µg/L |
1 |
3,4 |
1 |
0,9 |
2 |
1,4 |
≥ 50 µg/L |
3 |
10,3 |
23 |
21,1 |
26 |
18,8 |
Total |
29 |
100 |
109 |
100 |
138 |
100 |
[181] En regroupant ces cancers selon la présence (≥ 1,0 µg/L) ou l’absence (< 1,0 µg/L) de TCE, on observe donc 24 cas de cancer associés au TCE dans des résidences non contaminées, 5 cas de cancer associés au TCE dans des résidences contaminées, 81 cas de cancer des autres sièges dans des résidences non contaminées et 28 cas de cancer des autres sièges dans des résidences contaminées. Au moyen de ces chiffres, les experts ont calculé un rapport de cotes (odds ratio) exprimant le rapport entre la cote (odds) [301] que l’un des cancers, parmi les sièges potentiellement associés au TCE, soit détecté dans une résidence contaminée (5/24), et la cote qu’une autre forme de cancer soit détectée dans une résidence contaminée (28/81). Ce calcul - (5/24) ÷ (28/81) = 0,60… - indique une association négative entre le fait qu’un cancer soit potentiellement associé avec le TCE et le risque d’en détecter un cas dans une résidence contaminée, avec un intervalle de confiance très large (0,21 à 1,73 à 95 %).
[182] Les auteurs écrivent :
[…] Les résultats de cette analyse ne permettent pas de conclure à la présence d’une association statistiquement significative entre les concentrations maximales de TCE et la fréquence des nouveaux cas de cancers potentiellement reliés à une exposition au TCE selon Wartenberg et al. (Wartenberg et al., 2000). En fait, pour la majorité (n = 24/29; 82,8 %) des nouveaux cas de cancer potentiellement associés à une exposition au TCE, les concentrations mesurées de 2000 à 2009 au domicile ou à proximité du domicile des personnes atteintes sont inférieures à 1 μg/l (dont 61,5 % sous la limite de détection). De plus, le rapport de la cote de l’exposition, pour les sièges de cancer potentiellement reliés au TCE selon Wartenberg et al., par rapport à la cote de l’exposition pour les autres sièges de cancer est de 0,60, et son intervalle de confiance comprend la valeur nulle (1,00). Nous ne sommes pas en mesure de conclure à la présence d’une association significative entre les concentrations de TCE et l’incidence des cancers potentiellement reliés à une exposition au TCE selon Wartenberg et al. (Wartenberg et al., 2000) dans la municipalité de Shannon.[302]
[183] Après une discussion approfondie des nombreuses limites de l’étude, ils concluent ainsi :
Pour l’ensemble des sièges de cancer, les données du FiTQ ne permettent pas d’identifier d’excès de cancer à Shannon par rapport à l’ensemble du Québec. Les analyses par siège de cancer révèlent cependant des fréquences statistiquement plus élevées qu’attendues pour le cancer du foie et le myélome multiple comparativement à la province de Québec. Notons cependant que toutes les concentrations maximales de TCE mesurées au domicile ou à proximité du domicile des 11 nouveaux cas de cancer répertoriés dans le FiTQ pour ces deux sièges étaient inférieures à 1 μg/l. De plus, l’analyse exploratoire utilisant les mesures de TCE dans les puits ne permet pas de conclure à la présence d’une association statistique significative entre l’incidence des cancers potentiellement reliés à une exposition au TCE selon Wartenberg et al. (Wartenberg et al., 2000) et les concentrations maximales de TCE mesurées au domicile ou à proximité du domicile des personnes atteintes.[303]
[184] Depuis 1998, l’INRS-ETE[304] fournit au ministère de la Défense nationale des avis scientifiques sur le contexte hydrogéologique de Shannon et de Valcartier. Un grand nombre de rapports ont été déposés au fil des années[305].
[185] En 2003, un rapport intitulé Caractérisation et modélisation numérique de l'écoulement et de la migration de la contamination en TCE dans l’eau souterraine du secteur Valcartier a permis de révéler la présence d’un panache de contamination d'environ 4 kilomètres de long sur 650 mètres de large, qui s’écoule à partir des zones sources de RDDC nord et de l'usine de munitions[306].
[186] En 2010, l’INRS a publié trois rapports synthèses[307] sur l’interprétation des données de caractérisation recueillies à Shannon (Lefebvre et al. 2010[308]), sur la caractérisation géochimique de l’eau souterraine du secteur Valcartier (Murphy 2010) [309] et une synthèse du contexte hydrographique (Ouellon 2010) [310]. Le Dr Lefebvre, qui a participé à plusieurs de ces études, a témoigné à titre d’expert pour les intimés. Il a produit un rapport d’expertise en juillet 2010 où il résume les travaux accomplis[311].
[187] Lefebvre décrit sommairement le contexte hydrogéologique de la région de Shannon et de Valcartier. En résumé :
- Il existe à Shannon deux aquifères et deux aquitards. Un aquifère est une formation géologique perméable qui permet un écoulement significatif d’eau souterraine, constitué de sables ou de graviers (aquifère granulaire) ou de roc fracturé (aquifère fracturé). Un aquitard est une unité saturée d’eau, mais peu perméable, composée de sédiments fins qui ne laissent pas circuler l’eau. Un aquifère possède une conductivité hydraulique élevée; un aquitard possède une conductivité hydraulique faible. Un aquifère est « captif » lorsqu’il est confiné entre deux aquitards (comme un plafond et un plancher). Un aquifère est « libre » lorsqu’il n’est pas emprisonné par un plafond imperméable : sa limite supérieure est définie par la « surface libre », soit la limite entre la zone saturée et la zone non saturée.
- Selon Lefebvre, la vallée qui s’étend entre Shannon et Valcartier se compose principalement d’un « aquifère régional deltaïque » composé de sables et de graviers. Du côté est du secteur de Valcartier, soit le plus éloigné de Shannon, se trouve au milieu de l’aquifère un « aquitard prodeltaïque ». Sous cet aquitard, la nappe d’eau de l’aquifère est « semi-captive ».
- Plus profondément, on trouve un « aquitard glaciomarin » déposé sur une nappe de « diamictons » d’épaisseur irrégulière (sédiments de tailles très variables, qui vont du sable aux rochers). Dans le centre de la vallée, en dessous de l’aquitard glaciomarin, la nappe des diamictons est captive entre le socle rocheux et l’aquitard.
[188] On a donc une nappe d’eau dans l’aquifère deltaïque, entrecoupé par l’aquitard prodeltaïque dans le secteur de Valcartier, et une nappe d’eau dans les diamictons, coincée entre l’aquitard glaciomarin et le socle rocheux.
[189] Quatre zones sources principales de TCE ont été identifiées. Il s’agit d’anciens sites d’utilisation de TCE près desquels de fortes concentrations en TCE ont été détectées dans l’eau souterraine et se sont maintenues à long terme, situés en amont du panache :
- le RDDC nord, plus particulièrement les bâtiments B98 et B67 ainsi que l’ancien Lagon bleu;
- la lagune C située sur les terrains de l’usine de munitions;
- le secteur 214;
- le dépotoir situé à l’ouest de l’usine de munitions, au bout du chemin de la lagune C[312].
[190] Lefebvre décrit ensuite les conditions d’exposition des puits résidentiels de Shannon. Il explique que seuls les puits qui sont localisés à l’intérieur du panache et qui captent l’eau souterraine à partir d’une unité géologique dans laquelle se trouve du TCE sont susceptibles d’être contaminés.
[191] Il existe trois types de puits à Shannon, selon leur profondeur : les puits qui plongent dans le socle rocheux (l’unité géologique la plus profonde), ceux qui plongent dans les diamictons (aquifère captif) et ceux qui puisent dans les sables deltaïques (aquifère libre). Quelques conclusions préliminaires au sujet des puits :
- Les puits au roc ne devraient pas être exposés.
- Les puits dans les diamictons (aquifère captif) captent de l’eau qui contient des concentrations généralement inférieures à 5 µg/L.
- Les puits dans l’aquifère deltaïque libre captent de l’eau plus fortement contaminée, excédant parfois 50 µg/L[313].
[192] Quatre cent quarante-trois puits ont été échantillonnés, dont 295 étaient situés dans la partie de Shannon à l’est de la rivière où se trouve le panache[314]. Parmi les 212 puits situés à l’extérieur du panache principal, 141 (67 %) ne semblaient contenir aucun TCE et les 71 autres montraient des concentrations inférieures à 5 µg/L. Les 15 puits situés dans le panache secondaire montraient des concentrations de TCE inférieures à 5 µg/L. Finalement, parmi les 68 puits situés dans le panache principal, 19 montraient des concentrations situées entre 50 et 590 µg/L et un seul montrait une concentration supérieure à 590 µg/L.
[193] Lefebvre s’intéresse également aux concentrations selon le type de puits. Sur les 68 puits situés dans le panache, seuls 57 ont une profondeur connue. Sur ces 57 puits, 4 puisent dans le roc et montrent des concentrations de TCE inférieures à 5 µg/L et 13 puisent dans les diamictons et montrent des concentrations relativement faibles. Les 40 puits dans l’aquifère deltaïque sont les plus affectés; 14 d’entre eux montrent des concentrations supérieures à 50 µg/L[315].
[194] Comme les mesures de terrain ne permettent pas d’estimer directement le temps de migration du TCE entre les zones sources et Shannon, les experts de l’INRS ont développé un modèle numérique d’écoulement décrit plus précisément dans le rapport Ouellon 2010. Le modèle a été calibré par la comparaison entre les niveaux d’eau observés dans les puits et les niveaux prédits par le modèle[316]. De plus, les temps de résidence de l’eau souterraine sont comparables aux âges de l’eau souterraine mesurés par Murphy 2010. Selon le Dr Lefebvre, cette validation assure la représentativité des temps de migration calculés par le modèle.
[195] Les conclusions essentielles du Dr Lefebvre sont ainsi rédigées :
- Sur 4 puits au total captant au roc, le TCE n'a pas été détecté dans 3 puits et il a détecté en trace (0.06 µg/L) dans un autre puits;
- Sur 13 puits au total captant dans les diamictons, le TCE n'a pas été détecté dans 2 puits, tandis que les détections ont été les suivantes : inférieures à 5 µg/L pour 7 puits, entre 5 et 50 µg/L pour 1 puits et excédant 50 µg/L pour 3 puits;
- Sur 40 puits au total captant dans la nappe deltaïque régionale, le TCE n'a pas été détecté dans 6 puits, tandis que les détections ont été les suivantes : inférieures à 5 µg/L pour 9 puits, entre 5 et 50 µg/L pour 10 puits et excédant 50 µg/L pour 15 puits […];
- Pour les zones sources B98 et B67 localisées à RDDC Nord, le TCE émis par ces zones sources n'aurait pas atteint Shannon en 2001, tandis que le TCE émis par la zone source du Lagon Bleu aurait pu atteindre Shannon en 1992 (depuis 9 ans en 2001);
- Dans le cas du TCE émis par la zone source du Secteur 214 localisée sur les terrains de la SIVI, le TCE aurait pu atteindre Shannon en 1978 (depuis 23 ans en 2001);
- Pour la zone source de la Lagune C située sur les terrains de la SIVI, le TCE émis aurait pu atteindre Shannon en 1982 (depuis 19 ans en 2001) […].[317]
[196] Le rapport Chapuis constitue un vaste contrôle de qualité des travaux scientifiques réalisés sur la situation hydrogéologique de Shannon. Dans un rapport préliminaire déposé en 2009[318], il s’attaquait plus particulièrement au rapport déposé par l’INRS en 2003. Dans son rapport de 2010, intitulé Expertise sur les conditions hydrogéologiques - Rapport d’expertise [Rapport Chapuis 2010], Chapuis se penche sur une masse importante de documents qu’il désigne par une cote allant de D1 à D56, parmi lesquels se trouvent le rapport Lefebvre 2010 (D18) ainsi que ses trois annexes, Lefebvre et al. 2010 (D17), Ouellon 2010 (D19) et Murphy 2010 (D26).
[197] Selon Chapuis, plusieurs problèmes affectent le calcul du temps de migration de l’eau et du TCE et sont « anormalement nombreux » pour une étude de cette importance[319]. De façon générale, le Dr Chapuis reproche aux experts de l’INRS l’absence de vérification des valeurs des paramètres utilisés dans leurs différents rapports.
[198] Le Dr Chapuis présente sa propre estimation de la durée de migration du TCE depuis différentes zones sources[320]. C’est là qu’on retrouve les chiffres de 18 et 45 ans cités dans le jugement de première instance : il s’agit de la durée d’exposition au TCE issu de la zone source ayant le plus rapidement contaminé Shannon (le dépotoir de l’usine de munitions) et celui issu de la zone la plus tardive (secteur 214), calculée en fonction des mêmes périodes d’utilisation du TCE données dans le rapport Lefebvre.
[199] Dans cet addendum à son rapport de juillet 2010, intitulé Contre-expertise hydrogéologique sur le TCE dans l'eau souterraine à Shannon, Québec, Canada [Rapport Lefebvre décembre 2010], Lefebvre révise les temps de migration du TCE pour tenir compte des nouvelles informations dont il dispose. C’est dans ce rapport que se trouvent les chiffres de 4 à 11 ans cités dans le jugement de première instance[321]. Il s’agit de la durée d’exposition maximale des citoyens de Shannon au TCE issu de la zone source du bâtiment B98, et la durée maximale d’exposition au TCE issu de la lagune X. Selon Lefebvre, du TCE déversé dans la Lagune X aurait atteint Shannon en 1995, pour une durée d’exposition de six ans jusqu’en 2001, suivi par du TCE de la lagune A en 1998, soit une exposition de trois ans, et finalement, de la lagune C en 2000, soit une exposition d’un an. Ce sont les seules zones sources qui auraient causé la contamination des puits : le TCE émis ailleurs n’aurait pas encore atteint la municipalité en 2000. C’est la conclusion principale de Lefebvre.
[200] Le juge prend soin, d’entrée de jeu, de préciser le fardeau de preuve dont devait s’acquitter l’appelante. Il cite l’arrêt Lafrenière c. Lawson dans lequel la Cour suprême a établi que la causalité en droit n’a pas à être établie en fonction d’un consensus scientifique, mais selon la prépondérance des probabilités à la lumière de toute la preuve disponible.
[201] La preuve permet de conclure que du TCE a été utilisé du début des années 1940 jusqu'en 1985 à RDDC nord et à l'usine de fabrication de munitions, et déversé à divers endroits dans l’environnement. Le juge écrit :
[583] On peut dès lors s'interroger à savoir si ce comportement constitue une faute, c'est-à-dire s'il enfreint « les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi », s'imposaient alors.
[584] Par ailleurs, la preuve démontre aussi que des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon ont été atteints de cancers, de maladies ou autres malaises, c'est d'ailleurs admis.
[585] À ce moment-ci, la question n'est pas tant de savoir si le fait d'avoir déversé sur le sol du TCE constitue ou non une faute. Mais, la question est davantage de déterminer si la preuve démontre un lien de causalité entre la présence du TCE dans la nappe phréatique et, selon ce que prétend Mme Spieser, le nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises parmi la population de Shannon.
[202] Le juge reste donc silencieux sur l’existence d’une faute à cette étape, et passe directement à l’analyse de la preuve scientifique.
[203] Selon le juge, l’analyse comparative des rapports des experts en hydrogéologie n’est pas probante[322]. Bien que les études aient permis de déterminer les contours du panache de contamination et la quantité de TCE dans l’eau souterraine au moment des tests, il n’est pas possible de déterminer à quel moment le TCE a atteint les puits d'approvisionnement du réseau d'aqueduc de la base militaire et ceux des résidences de la municipalité de Shannon. Il n’est pas non plus possible de connaître les quantités de TCE présentes dans l’eau avant l’année 2000[323].
[204] Selon le juge, ni Chapuis ni Lefebvre ne parvient à prouver ses résultats avec une force probante suffisante. Ce constat « ne résulte pas des divergences qui existent entre ces deux rapports, mais bien de l'incertitude des données de base avec lesquelles l'un et l'autre des modèles numériques ont été construits »[324] :
[617] À quel moment précisément le TCE a-t-il atteint ces différentes sources d'approvisionnement? On l'ignore toujours, tout comme on ignore toujours la concentration passée de TCE dans l'eau. La preuve hydrogéologique ne permet même pas de présumer une date ou une concentration probable qui découlerait de circonstances graves, précises et concordantes.
[205] Dans cette situation d’incertitude, la question consiste alors à déterminer si la preuve révèle l’existence d’une situation anormale à Shannon en matière de santé publique qui, dans le contexte de la présence du TCE dans la nappe phréatique, permettrait de conclure à l’existence d’un lien de causalité[325].
[206] Or, les rapports d’expert présentés par l’appelante ne convainquent pas le juge de la présence d’un nombre anormal de cancers à Shannon qui serait probablement attribuable au TCE.
[207] Le Rapport Charbonneau Finkelstein visait à démontrer la présence, dans l’ADN de certains résidents de Shannon atteints du cancer, d’une « signature génotoxique » indiquant que ces cancers ont été causés par le TCE. Or, cette seule preuve ne démontre donc pas que c'est le TCE qui est la cause du processus cancérogène constaté dans les cellules que le Dr Finkelstein a observées[326]. De l'aveu même du Dr Finkelstein, sa méthode de dépistage ne lui permet pas d'identifier l'agent qui a causé le cancer[327].
[208] Le rapport du Dr Van Coillie visait à établir le risque toxicologique additionnel associé à la concentration moyenne de TCE détectée en 2000 dans les résidences de la zone de Shannon la plus exposée au TCE, dite « triangle rouge ». Le Dr Van Coillie parvient à la conclusion que les résidents de cette zone, s’ils avaient bu de l’eau contenant 214,19 μg/L de TCE durant 30 ans, auraient été exposés à un risque susceptible de causer 4,69 cas de cancer supplémentaires sur 1 million de personnes. Le juge remarque que cette conclusion repose sur une prémisse dont l’appelante n’a pas fait la preuve, puisqu’on ignore à quel moment le TCE a atteint Shannon de même que la façon dont sa concentration a évolué au fil des années[328].
[209] Finalement, la preuve épidémiologique souffre de lacunes similaires. L’étude de morbidité proportionnelle réalisée par le Dr Tremblay repose sur les cas de cancer autodéclarés par les citoyens de Shannon, et les résultats de ses calculs s'apparentent aux statistiques du Québec sur le cancer. Une étude épidémiologique ne peut à elle seule établir un lien de causalité, en l’absence de données probantes sur l’exposition[329]. Le juge note par ailleurs que les conclusions des Drs Tremblay et Shields sont à peu près identiques à ce que l'on retrouve parmi la population canadienne en général[330].
[210] Au sujet des données colligées par Mmes Giroux et Trottier, le juge remarque que la façon dont on a recensé les personnes qui ont habité ou qui habitent encore la municipalité de Shannon, plus particulièrement « le triangle rouge », mine la fiabilité des comparaisons effectuées avec les données statistiques issues du Fichier des tumeurs du Québec ou des Statistiques canadiennes sur le cancer[331].
[211] Le juge écrit :
[684] De plus, malgré la façon d'effectuer ce recensement, les analyses démontrent que la situation à Shannon, en ce qui concerne la proportion de cancers entre les femmes et les hommes, de même que les types de cancers, s'apparente à la situation de la population canadienne en général.
[685] On le constate, les analyses des Drs Van Coillie, Trembley et Shield ne sont donc pas de véritables études épidémiologiques. Ce sont, comme ils le confirment d’ailleurs, des exercices de calculs dont les résultats seront toujours tributaires des faiblesses ou des biais des données de base, faisant en sorte que les conclusions qu’elles proposent ne rencontrent pas le critère de la prépondérance des probabilités.[332]
[Transcription textuelle]
[212] Plus loin, il conclut :
[689] Même si l'on considère que le fait d'avoir déversé du TCE sur le sol, contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable, puisse constituer une faute, d'autres questions demeurent :
- La preuve démontre-t-elle qu'il y a un nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises parmi la population de la municipalité de Shannon?
- Si tel est le cas, la preuve démontre-t-elle que cette situation est causée par la présence du TCE dans la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable?
[690] Il n'y a pas au dossier de véritable preuve épidémiologique qui démontre le caractère anormal de la situation de la population de la municipalité de Shannon.
[691] Par ailleurs, la preuve ne démontre pas davantage que la présence du TCE dans la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable puisse être la cause des cas de cancer allégués.
[692] D'une part, il faut bien le reconnaître, la preuve hydrogéologique ne révèle pas, selon le critère de la probabilité, les conditions d'exposition des citoyens de la municipalité de Shannon.
[…]
[698] En somme, la preuve ne démontre pas qu'il est probable que les déversements de TCE sur le sol qui ont contaminé la nappe phréatique sous la municipalité de Shannon puissent être la cause d'un nombre anormalement élevé de cas de cancer, maladies et autres malaises allégués par Mme Spieser, d'autant plus que la preuve sur ce dernier aspect ne rencontre pas elle-même le critère de la probabilité.
[699] Il résulte donc de l'analyse de l'ensemble de la preuve que Mme Spieser n'a pas démontré de façon prépondérante, soit par une preuve directe ou par présomption, que le déversement de TCE qui a contaminé la nappe phréatique soit la cause d’un nombre de cas de cancer, maladies et autres malaises qu'elle considère anormalement élevé parmi les anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon.
[213] Pour obtenir des dommages exemplaires, le juge retient que l’appelante devait démontrer que les membres du groupe ont été victimes d’une atteinte illicite et intentionnelle à l’un des droits protégés par la Charte.
[214] Citant la définition donnée par la Cour suprême dans Hôpital St-Ferdinand, selon laquelle il y a atteinte illicite et intentionnelle « lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera »[333], le juge tranche ainsi de cette question :
[710] Également à ce chapitre, même si l'on considérait que le fait d'avoir déversé du TCE sur le sol, contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable, puisse constituer une atteinte illicite au «droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens», cette atteinte illicite, dans les circonstances que la preuve démontre, n'est certainement pas intentionnelle au sens du second alinéa de l'article 49 de la Charte.
[711] En effet, même si l'on qualifie le comportement des préposés des défendeurs «d'insouciant», la preuve ne démontre pas que les défendeurs et leurs préposés ont agi dans «un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences (de leur conduite fautive) ou encore (qu'ils ont agi) en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probable, que cette conduite engendrera».[334]
[Transcription textuelle]
[215] Le juge est d’avis que la contamination des puits d’alimentation en eau potable par du TCE est un trouble de voisinage au sens de l’article 976 C.c.Q., mais que la preuve ne permet pas d'établir un partage de responsabilité entre les défendeurs[335].
[216] Le juge constate que les résidences raccordées au réseau de l'aqueduc municipal de Shannon au cours de la phase 1[336], qui s'est terminée au mois de décembre 2001, sont situées dans le même secteur que celui où l’on a constaté aux mois de décembre 2000 et janvier 2001 la présence de TCE dans les puits d'alimentation en eau potable. Il décide d’accorder une indemnisation aux personnes qui occupaient une résidence raccordée au réseau d'aqueduc de la municipalité de Shannon au cours de cette période[337].
[217] Quant aux résidents des logements familiaux, le juge estime qu’on ne peut parler de trouble de voisinage dans leur cas, puisque les concentrations de TCE détectées dans le réseau d’aqueduc tournaient autour de la valeur règlement de 50 µg/L, et qu’on s’est par la suite rapidement assuré d'un approvisionnement de qualité en eau potable[338].
[218] Le juge accorde donc à chacune des personnes physiques majeures dont la résidence a été raccordée au réseau d'aqueduc au cours de la phase 1[339] un montant de 1 000 $ par mois ou partie de mois d'occupation d'une résidence pour la période du 21 décembre 2000 au 20 décembre 2001, soit un montant maximal de 12 000 $ par personne. Par ailleurs, les personnes ayant eu sous leur garde un ou plusieurs enfants âgés de moins de 18 ans qui vivaient avec elles dans l’une des résidences concernées obtiennent aussi un montant forfaitaire de 3 000 $, l'indemnité pouvant ainsi atteindre la somme de 15 000 $[340].
[219] Finalement, il rejette la demande d’injonction de l’appelante visant à obliger les intimés à décontaminer la nappe phréatique, estimant que des efforts considérables avaient déjà été entrepris et se poursuivaient au moment du jugement. Il rejette de plus la demande des défenderesses corporatives visant à faire déclarer abusive la demande en dommages-intérêts exemplaires ou punitifs[341].
[220] Le 20 juillet 2012, l’affaire est portée en appel[342].
[221] Le 14 février 2014, le juge François Pelletier écrit aux parties pour leur exprimer sa préoccupation quant au fait qu’un élément de preuve potentiellement important se profilait à l’horizon. En effet, en 2010, la DSP acceptait de réaliser une étude d’agrégat visant à déterminer s’il existait un excès de cancer parmi la cohorte constituée des gens ayant résidé à Shannon depuis 1987. Le 19 mars 2014, la Cour décide de reporter l’audience.
[222] En juin 2015, la Cour avise les parties que l’affaire sera finalement entendue dans la semaine du 22 février 2016.
[223] Le 18 janvier 2016, le procureur de l’appelante écrit à la Cour. Il explique que le Dr Claude Tremblay, qui siégeait à un comité d’experts indépendant formé par la DSP pour l’appuyer dans la réalisation de l’étude d’incidence, a réalisé une analyse des données préliminaires contenues dans une version de travail du rapport à venir. Il avise la Cour que l’appelante entend déposer une requête pour permission de présenter une preuve nouvelle afin que la Cour puisse prendre connaissance des résultats du Dr Tremblay.
[224] Le 22 janvier 2016, l’appelante dépose sa requête pour permission de présenter une preuve nouvelle. Le 8 février 2016, la Cour reporte les audiences et avise l’appelante qu’elle devra présenter une nouvelle requête une fois le rapport final de la DSP publié.
[225] Le rapport final est publié en avril 2016 et une nouvelle requête est finalement produite le 18 novembre 2016, accompagnée du rapport du Dr Tremblay, intitulé Évaluation du risque de développer le cancer dans Ia population de Shannon en lien avec l’exposition au trichloréthylène [Rapport Tremblay janvier 2016][343].
[226] Le 10 janvier 2017, la Cour accueille la requête pour permission de présenter une preuve nouvelle et renvoie le dossier devant la Cour supérieure pour la constitution de cette preuve et l’audition des experts[344]. La preuve nouvelle est reçue par l’honorable juge Godbout en mai et juin 2017. Un cahier de 16 volumes totalisant près de 6 000 pages est finalement produit en juin 2017.
[227] Le pourvoi est finalement entendu au cours des semaines du 22 et du 29 octobre 2018.
[228] Quant à l’appel principal, les questions en litige sont les suivantes. Le juge a-t-il commis une erreur révisable :
· En omettant de se prononcer sur la faute, de même que sur l’application des régimes de responsabilité fondés sur le fait du bien (art. 1465 C.c.Q.) et la ruine de l’immeuble (1467 C.c.Q.)?
· Dans son analyse du caractère illicite et intentionnel de l’atteinte aux droits des membres du groupe, aux fins de l’octroi de dommages punitifs?
· En omettant de se prononcer sur les préjudices devant être indemnisés en vertu des régimes de responsabilité civile (1457 C.c.Q.) et des régimes de responsabilité sans faute des articles 1465 et 1567 C.c.Q.?
· Dans la définition du groupe ayant droit à une réparation en vertu du régime de responsabilité fondé sur le trouble de voisinage (976 C.c.Q.)?
· Dans son analyse de la preuve épidémiologique et du lien causal entre la présence de TCE dans la nappe phréatique et l’état de santé des citoyens de Shannon, et du fardeau de preuve dont devait s’acquitter l’appelante sur ce point?
· En refusant d’accorder l’injonction demandée par l’appelante?
· Quant à la date à partir de laquelle couraient les intérêts et l’indemnité additionnelle?
· Quant au calcul des frais d’expertise accordés à l’appelante?
[229] À ces questions s’ajoutent celle de l’admissibilité de la preuve nouvelle et l’appel incident formé par le procureur général du Canada, qui conteste la décision du juge d’accorder une indemnité à toutes les personnes dont la résidence a été raccordée au réseau d’aqueduc entre décembre 2000 et décembre 2001, que du TCE ait été détecté ou non dans l’eau de leur puits[345].
[230] L’action collective de l’appelante repose sur plusieurs sources de responsabilité, de même que sur plusieurs formes de préjudice. Elle prétend que le juge a commis une erreur :
- En omettant de se prononcer sur la faute, de même que sur l’application des régimes de responsabilité prévus par les articles 1465 (fait des biens) et 1467 (ruine de l’immeuble) du Code civil du Québec;
- En omettant d’analyser l’ensemble de la preuve afin de déterminer si les membres du groupe ont subi une atteinte illicite et intentionnelle à leurs droits, aux fins de l’octroi de dommages punitifs;
- En omettant de statuer sur les différents chefs de préjudice, notamment le préjudice moral et psychologique;
- Dans l’analyse de la preuve scientifique sur l’existence d’un excès de cancer dans la communauté, de même que sur le fardeau de preuve.
[231] La Cour est d’accord avec l’appelante pour dire que le juge a commis une erreur de méthode en omettant de se prononcer sur la faute. Le juge semble avoir considéré que sa conclusion quant à l’absence du lien de causalité entre le TCE et le nombre de cancers à Shannon, de même que sa conclusion quant à l’existence d’un trouble de voisinage, le dispensaient de se prononcer sur l’existence d’une faute. En limitant son analyse du préjudice indemnisable aux « inconvénients anormaux » causés par le trouble de voisinage, le juge semble avoir négligé les autres chefs de préjudice allégués par l’appelante. Son analyse du caractère intentionnel et illicite de l’atteinte alléguée aux droits des membres du groupe présente des lacunes semblables.
[232] La Cour estime donc nécessaire de reprendre l’analyse de la preuve afin de déterminer si les intimés ont commis une faute donnant ouverture à l’indemnisation de l’ensemble des préjudices subis, et non seulement le dérangement occasionné par le raccordement des résidences à l’aqueduc. Les motifs de cette décision sont traités plus longuement dans la sous-section « 9.2. Erreur de méthodologie ».
[233] Cependant, avant de plonger dans l’analyse de la faute et, le cas échéant, des dommages indemnisables, la Cour est d’avis de régler d’abord la question des cancers.
[234] La présence d’un nombre anormal de cancers à Shannon semble être la question qui préoccupe le plus les citoyens et elle soulève des enjeux scientifiques complexes. La Cour doit également se prononcer sur l’admissibilité d’une preuve nouvelle que l’appelante prétend être de nature à changer les conclusions du juge de première instance.
[235] La Cour est d’avis de régler d’abord les questions liées à l’analyse de la preuve scientifique et de la preuve nouvelle. Une fois cette question tranchée, il y aura lieu de se prononcer sur la question de savoir si une faute a été commise et, le cas échéant, l’étendue du préjudice indemnisable, en tenant compte de la conclusion de la Cour quant au lien entre le TCE et les problèmes de santé détectés à Shannon.
[236] En principe, en présence d’une preuve nouvelle, la question que doit se poser une Cour d’appel consiste à déterminer si le juge a commis une erreur de fait à la lumière de la preuve nouvelle admissible. Cette approche oblige la Cour à trancher l’admissibilité de la preuve nouvelle avant d’examiner en détail les conclusions factuelles du juge.
[237] Une approche différente s’impose ici. Étant donné la chronologie des événements et la complexité des questions scientifiques en jeu, il est plus facile de comprendre la preuve nouvelle après avoir bien saisi les conclusions des experts de première instance et la décision du juge. La preuve nouvelle risque d'être difficile à comprendre pour le lecteur qui ne sait pas dans quel contexte elle a été produite et quel était l’état des connaissances scientifiques préalables.
[238] D’autre part, l'appelante ne s'appuie pas uniquement sur la preuve nouvelle: elle allègue également des erreurs dans l'analyse de la preuve scientifique dont disposait le juge de première instance.
[239] Par conséquent, la Cour procédera de la façon suivante :
- Dans la section 7, la Cour analysera la preuve scientifique et la présence d’un nombre anormal de cancers dans la communauté de Shannon, afin de déterminer si le juge a commis une erreur en rejetant les allégations de l’appelante à ce sujet sur la base de la preuve dont il disposait en première instance.
- Dans la section 8, la Cour retracera l’historique de la preuve nouvelle afin de déterminer si les travaux scientifiques réalisés depuis le jugement de première instance permettent de remettre en question les conclusions du juge, et s’il y a lieu de prêter foi aux arguments de l’appelante quant à l’existence d’un risque accru de cancer dans le secteur de la municipalité désigné par les codes postaux G0A 4N0 et G0A 4N1 (secteur de Shannon, par opposition au secteur de Courcelette).
- Section 9 : une fois la question des cancers et de la preuve nouvelle réglée, la Cour abordera la question de la faute afin de remédier à l’erreur méthodologique commise par le juge et de déterminer si, oui ou non, les intimés ont commis une faute engageant leur responsabilité envers les membres du groupe.
- La section 10 traitera de la question de l’atteinte illicite et intentionnelle.
- La section 11 portera sur la détermination des dommages. Les arguments soulevés dans l’appel incident seront abordés dans cette partie.
- La section 12 réglera les questions de la prescription, de l’injonction, des frais d’expertise et des intérêts.
[240] L’appelante soutient que le juge aurait commis une erreur de droit en appliquant une norme de preuve trop sévère. La causalité n’a pas à être prouvée avec une précision scientifique : elle doit être établie selon la prépondérance des probabilités. Le juge aurait erronément exigé un fardeau de preuve trop élevé en concluant que les expertises réalisées par les Drs Van Coillie, Shields et Tremblay ne permettaient pas d’établir, avec une certitude scientifique, l’existence d’un excès de cancer attribuable au TCE dans la population de Shannon.
[241] Ce faisant, il aurait confondu la « causalité scientifique » et la « causalité juridique », une erreur contre laquelle la Cour suprême met en garde dans les décisions Snell c. Farrell [346], Laferrière c. Lawson[347], St-Jean c. Mercier[348] et, plus récemment, dans Benhaim c. St-Germain[349].
[242] L’appelante invoque également l’arrêt Morin c. Blais selon lequel, lorsqu’un défendeur manque à une norme de prudence et que cette faute est immédiatement suivie d’un accident dommageable que la norme avait justement pour but de prévenir, il est raisonnable de présumer qu’il y a un rapport de causalité entre la faute et l’accident[350].
[244] L’appelante reproche notamment au juge d’avoir rejeté les conclusions du Dr Van Coillie en s’appuyant sur des hypothèses de son cru. En effet, aux paragraphes 676 à 685, le juge se livre à un exercice visant à démontrer la faiblesse méthodologique de l’analyse réalisée par le Dr Van Coillie. Il tient notamment pour acquis que le « triangle rouge », la zone la plus exposée, se situe dans la partie la plus ancienne de la municipalité fondée en 1947. La preuve ne révèle rien sur la date de construction des résidences de la municipalité, ni sur l’impact de cette observation sur les conclusions du Dr Van Coillie, qui prétend avoir recensé 2,5 fois plus de cas de cancer dans les résidences de la zone rouge par rapport à une zone témoin située de l’autre côté de la rivière Jacques-Cartier. Le juge aurait ainsi écarté sans raison un élément essentiel de la preuve du lien causal, en s’appuyant sur des hypothèses injustifiées.
[245] Elle lui reproche enfin de s’être livré à un exercice « malhabile » visant à démontrer que les constats des Drs Tremblay et Shields quant à la fréquence de différents types de cancer se rapprochent de ce que l'on observe parmi la population canadienne en général[351]. Cet exercice relevait de l’épidémiologie et le juge ne pouvait s’improviser expert pour contredire les conclusions des Drs Shields et Tremblay.
[246] Le procureur général du Canada soutient que le juge avait raison de considérer comme non concluantes les études réalisées par les experts de l’appelante, notamment en raison de leurs lacunes méthodologiques et des nombreux problèmes qui affectent la base de données constituée par l’enquête des infirmières. En particulier, le Dr Shields semble avoir admis, dans son témoignage, que l’enquête s’est concentrée sur le secteur de la municipalité le plus exposé au TCE, ce qui cause un biais important dans la détection des cancers[352].
[247] Quant au fardeau de preuve, il souligne que l’épidémiologie exprime ses conclusions en termes probabilistes. Il appartenait au juge d’apprécier la force probante des expertises, et il n’a pas commis d’erreur quant au fardeau de preuve.
[248] Les intimées corporatives citent notamment l’arrêt Nadon c. Montréal (Ville de), dans lequel la Cour écrit :
[3] La sympathie qu'engendrent les inconvénients dont souffrent l'appelante et les membres du groupe ne peut malheureusement suppléer aux règles de droit applicables.
[…]
[33] Le véhicule procédural choisi par l'appelante n'était pas sans conséquence. Dès le jugement d'autorisation du recours, notre collègue Thérèse Rousseau-Houle a rappelé le caractère particulièrement complexe du recours. Elle entrevoyait déjà la difficulté de faire la preuve de la faute et du lien de causalité : […]
[…]
[35] Elle se devait de prouver un lien de causalité adéquat entre la faute de chacune des municipalités intimées et le préjudice subi par elle-même et par chacun des membres du groupe.
[36] Les règles générales de la responsabilité civile et le droit de la preuve ne sont pas modifiés en raison du caractère collectif du recours.
[…]
[38] Bref, le recours collectif n'a pas pour effet d'alléger ou de modifier d'une quelconque façon le fardeau de la partie demanderesse d'établir, à l'aide des règles habituelles de preuve, les éléments nécessaires à son recours.[353]
[Renvois omis]
[249] Le juge n’a pas commis d’erreur quant au fardeau de preuve. Il a correctement énoncé la norme applicable[354]. Comme le rappelle la Cour suprême dans Laferrière c. Lawson[355] et Snell c. Farrell[356], la causalité en droit n'est pas identique à la causalité scientifique. D’autre part, l’évaluation de la preuve du lien de causalité appartient au juge des faits : c’est à lui qu’il appartenait de déterminer si, en l’absence d’une preuve scientifique concluante, d’autres éléments de preuve, même circonstanciels, lui permettaient de conclure à l’existence du lien de causalité.
[250] Le juge a estimé, notamment, qu’en raison des faiblesses méthodologiques de la preuve scientifique de l’appelante, ces expertises ne permettent pas de conclure que l’exposition au TCE a causé des cancers à Shannon.
[251] Après avoir soigneusement analysé la preuve, dont la preuve d’expert, la Cour estime que l’appelante n’a pas réussi à démontrer que le jugement est entaché d’une erreur déterminante sur ce point.
[252] Pour s’en convaincre, il vaut la peine d’examiner en détail les rapports d’expert de l’appelante, et expliquer pourquoi la preuve ne supporte tout simplement pas les prétentions de l’appelante sur l’existence d’un excès de cancer dans la population de Shannon.
[253] Le rapport Tremblay se divise en deux parties principales. Dans un premier temps, le Dr Tremblay analyse les données récoltées par la DSP et l’INSPQ dans le cadre de la surveillance de l’état de santé de la population de Shannon. Il présente ensuite les résultats de sa propre analyse de morbidité proportionnelle.
[254] En 2004, le Dr Henri Prud’homme, coordonnateur à la DSP de la Capitale-nationale, envoie au maire de Shannon les résultats d’une analyse d’incidence et de mortalité réalisée par l’INSPQ à partir des données issues du Fichier des tumeurs du Québec et du fichier des décès du ministère de la Santé[357]. La période à l’étude va de 1984 à 1999. En 2007, une mise à jour incluant les cas de cancer survenus entre 1984 et 2002 est transmise au maire Kiley[358]. Le Dr Prud’homme écrit dans sa lettre :
Pour la période 1984-2002, les cancers du foie et les myélomes multiples demeurent avec un indice comparatif plus élevé que celui de la province. Toutefois, aucun de ces excès ne rencontre le seuil de signification statistique de 0,01 (les intervalles de confiance établis chevauchent la valeur 1,00). Pour l'ensemble des tumeurs malignes (100 cas entre 1984 et 2002), l'indice comparatif est encore inférieur au niveau provincial, sans toutefois être significatif sur le plan statistique.
[…]
Les données issues du « Ficher des tumeurs du Québec » ainsi que les informations sur les cas, dont celles obtenues dans les dossiers médicaux pour certains cas, ne nous permettent pas de faire un lien entre la présence de TCE dans la nappe d'eau souterraine et un excès particulier de cancer.
[255] Sur la base des données de l’INSPQ, le Dr Tremblay écrit ceci :
À partir de la documentation soumise par l’INSPQ quant aux données sur l’incidence du cancer dans la population de Shannon, nous retenons la présence d’un excès de risque de cancer de l’estomac chez les femmes, du foie et du mélanome chez les hommes et chez les femmes, du myélome multiple chez les hommes, ce dernier étant statistiquement significatif (p < 0,01) ce, pour les trois périodes d’investigation (1984-1999, 1984-2000, 1984-2002).[359]
[256] Le Dr Tremblay présente ensuite les résultats de sa propre analyse. Il s’agit d’une étude de type morbidité proportionnelle qui consiste à calculer la proportion de cas d’un certain type de cancer par rapport au nombre total de cas de cancer dans une population exposée, et de diviser cette proportion par la proportion observée dans une population de référence. Ce calcul donne le ratio de morbidité proportionnelle (RMP). Un RMP supérieur à 1 indique une proportion relativement plus élevée d’un type de cancer par rapport à la population de référence. Par exemple, si 2 % de tous les cancers au Québec étaient des cancers du rein, et que les cancers du rein comptaient pour 4 % de tous les cancers à Shannon, le ratio de morbidité proportionnelle serait égal à 4 % ÷ 2 % = 2, soit une proportion deux fois plus élevée.
[257] L’idée fondamentale de ce type d’étude est que l’exposition à un facteur de risque associé à certains types de cancer est susceptible d’augmenter la proportion de ces cancers. L’avantage d’une étude de morbidité proportionnelle, c’est qu’il n’est pas nécessaire de connaître la taille exacte de la population à l’étude : il suffit de connaître tous les cas de cancer recensés.
[258] Le Dr Tremblay explique qu’en raison des « limites inhérentes au simple calcul du ratio de morbidité proportionnelle », il propose plutôt d’estimer le risque par le calcul du rapport de cotes (« odds ratio »).
[259] Le Dr Tremblay n’explique pas comment il calcule le rapport de cotes. La cote « odds » réfère au ratio entre la probabilité qu’un événement se produise et la probabilité qu’il ne se produise pas. Si quatre individus sont atteints de cancer dans une population de 100 personnes, la probabilité qu’un individu pris au hasard soit atteint de cancer est de 4 % alors que la probabilité qu’il n’en soit pas atteint est de 96 %. Par conséquent, la cote qu’un individu de cette population soit atteint de cancer est de 4 : 96 (4 % : 96 %), soit 1 : 24 (la cote est généralement exprimée sous la forme a : b).
[260] Dans le contexte d’une étude de proportionnalité, la Cour présume que le calcul du rapport de cotes ressemble à ceci. Supposons qu’il y ait au total 100 cas de cancer à Shannon, indépendamment de la population totale. Sur ces 100 cas de cancer, 4 sont des cancers du rein. La proportion de cancer du rein est donc de 4 %, mais la cote qu’un cancer donné soit un cancer du rein est de 4 : 96, soit 0.041666... (légèrement supérieure à 4 %).
[261] Si, dans la population de référence de 1 000 personnes victimes du cancer, 20 personnes sont atteintes d’un cancer du rein, la proportion est de 2 %, mais la cote est de 20 : 980 (20/1000 ÷ 980/1000), soit 0.0204081… (légèrement supérieure à 2 %). Le rapport de cotes, dans ce cas, serait égal à 4/96 ÷ 20/980, soit 3920/1920, soit 2.04166… En comparaison, le calcul du simple ratio de proportionnalité (4/100 ÷ 2/100) aurait donné 2.
[262] Le calcul du rapport de cotes ne change pas fondamentalement la nature de l’étude réalisée par le Dr Tremblay : il s’agit toujours d’une étude de proportionnalité. Les avantages de cette méthode ne sont pas tout à fait clairs : le Dr Tremblay écrit que « le OR [odds ratio] s’avère un meilleur estimateur que le RMP, car il réfère au risque »[360].
[263] Le Dr Tremblay s’intéresse aux cas de cancer autodéclarés par les citoyens de Shannon entre 1992 et 2005[361]. Le Dr Tremblay a choisi la période d’inclusion 1992-2005 en fonction de la disponibilité des données provinciales[362].
[264] Parmi les 307 dossiers médicaux confirmant des cas de cancer survenus chez les gens de Shannon, le Dr Tremblay en retient 163 concernant des cancers survenus dans la période à l’étude. Sur ces 163 personnes, 79 étaient des femmes et 84 étaient des hommes. Au total, on observe 88 diagnostics de cancer chez les femmes et 98 chez les hommes (certaines personnes ont été atteintes de plus d’un cancer)[363]. Le Dr Tremblay indique que tous les cancers ont été validés par l’étude des dossiers médicaux.
[265] Le Dr Tremblay consigne ses résultats dans quatre tableaux. Dans le Tableau 1[364], le Dr Tremblay montre la distribution des cas de cancer qu’il recense entre 1992 et 2005 entre les hommes et les femmes. Dans les Tableau 2 et Tableau 3[365], il indique les rapports de cotes pour 10 types de cancer chez les femmes et 9 types de cancer chez les hommes, respectivement. Dans le Tableau 4, finalement, il rapporte les trois rapports de cotes les plus élevés chez les femmes (estomac, rein et cerveau) et chez les hommes (estomac, cerveau et mélanome), et ajoute les rapports de cotes calculés pour la période 1999-2005.
[266] Le Dr Tremblay conclut ainsi :
Les analyses répétées de l’INSPQ ont montré l’existence d’un risque accru de cancers de l’estomac (femmes), du foie (femmes et hommes), du mélanome (femmes et hommes) et du myélome multiple (hommes) dans la population de Shannon. Il s’agit d’une étude de l’incidence réalisée à partir des cas de cancers diagnostiqués chez les personnes vivant à Shannon au moment du diagnostic, en comparaison avec ceux observés dans la province de Québec pour la période 1984-2002.
En complément, notre étude a démontré une augmentation du risque de cancer de l’estomac (femmes et hommes), du rein (femmes), du cerveau (femmes et hommes) et du mélanome (hommes).[366]
[267] En mai 2010, le Dr Siemiatycki a déposé une contre-expertise pour critiquer l’analyse du Dr Tremblay[367] (Rapport Tremblay 2010). Dans un premier temps, il commente et interprète les chiffres de l’INSPQ présentés dans les documents transmis en 2007 au maire Kiley. Le tableau comparatif fourni par le Dr Prud’homme montre, à la dernière page, que le ratio standardisé d’incidence [« RSI »] pour l’ensemble des cancers était de 0,97. Autrement dit, le risque général de cancer semblait être de 3 % inférieur à Shannon que dans le reste du Québec, avec un large degré d’incertitude[368].
[268] Le Dr Siemiatycki reproche au Dr Tremblay son interprétation imprudente de résultats non significatifs. Par exemple, le Dr Tremblay soutient, à la page 13 de son rapport[369], que « le cancer de l’estomac demeure augmenté chez les femmes (4,00; l’intervalle de confiance à 99 % allant de 0,45 à 14,65) ». Le Dr Siemiatycki explique que cet intervalle de confiance indique que le risque de cancer de l’estomac chez les femmes pourrait être inférieur de moitié au reste du Québec ou jusqu’à 16 fois plus élevé. Cette imprécision s’explique par le fait que ce résultat se fonde sur un nombre infime de cas.
[269] Le Dr Siemiatycki écrit :
To claim that such imprecise and non-significant results as those quoted above by Tremblay constitute a proof of a risk would be like flipping a coin once and if it falls on heads, concluding that the coin is biased towards heads. It would in fact have no statistical meaning.[370]
[270] Le Dr Siemiatycki remarque que l’argument selon lequel tout RSI supérieur à 1 indique la présence d’un excès de risque est un couteau à double tranchant. Environ la moitié des cancers présentent des RSI inférieurs à un. Faut-il en conclure que le fait de vivre à Shannon protège les gens contre ces types de cancer?[371]
[271] Qu’en est-il des résultats statistiquement significatifs? Grossièrement, un résultat est dit significatif s’il avait moins de 5 % de chances de se produire en l’absence de toute différence de risque entre la population à l’étude et la population de référence. Cependant, si de multiples tests sont effectués, la probabilité qu’au moins l’un de ces tests soit significatif par le simple effet du hasard augmente. C’est exactement comme lancer un dé à plusieurs reprises. Sur un seul lancer de dé, il n’y a qu’une chance sur six d’obtenir un six. Cependant, la probabilité de n’observer aucun six au bout de vingt lancers est inférieure à 3 % (5/620 = 0.026…).
[272] Dans le cas des chiffres présentés par l’INSPQ, plus de 90 RSI ont été calculés. Les probabilités de ne détecter aucun RSI significatif, même si le risque de cancer était exactement le même à Shannon qu’ailleurs, étaient inférieures à 1 % (0,9590 = 0.0098…)[372]. Il s’agit de ce qu’on appelle le problème des inférences multiples.
[273] Le Dr Siemiatycki est d’ailleurs surpris qu’il y ait eu si peu de résultats significatifs étant donné le grand nombre de cancers analysés :
[…] The fact that there were two or three significant SIRs out of 90 that were tested is not in itself a demonstration of any real excess risks in Shannon. In fact it is surprising that there were so few significant SIRs. Just by the play of chance it would be almost certain that there would be some statistically significant SIRs in such a broad screening analysis. Statistical significance is partly a function of the underlying reality as to whether or not there is a causal association, partly a function of the size of the study population and partly a function of the number of statistical tests carried out.[373]
[274] Par conséquent, le Dr Siemiatycki approuve les conclusions du Dr Prud’homme selon qui les données ne permettent pas d’établir l’existence d’un excès de cancer.
[275] Quant à l’analyse de morbidité proportionnelle, le Dr Siemiatycki identifie plusieurs problèmes dans l’approche du Dr Tremblay. Premièrement, il ne définit pas Shannon de façon rigoureuse. On ne peut que présumer que les cas de cancer qu’il recense incluent ceux qui sont survenus dans des résidences contaminées et non contaminées.
[276] Le Dr Tremblay se base sur des cas de cancer autorapportés par les citoyens. Le recensement de cas de cancer mené par les deux infirmières n’a manifestement pas été conduit selon des normes d’investigation rigoureuses. La méthodologie suivie n’est décrite nulle part. Le Dr Siemiatycki a établi une longue liste des problèmes qui minent la fiabilité de cette base de données : selon lui, l’autodéclaration de cancer est sujette à des taux d’erreurs d’environ 40 %[374]. Le Dr Tremblay ne discute même pas des biais de sélection ayant peut-être influencé le nombre de cas de cancer rapportés. Il soutient que ces cas ont été vérifiés par l’analyse des dossiers médicaux : il n’explique pas qui l’a fait et comment. À lui seul, ce silence est une erreur qui mine la crédibilité scientifique des résultats obtenus.
[277] A priori, en l’absence d’autres informations, les résultats du Dr Tremblay peuvent être expliqués par le hasard et les défauts de la base de données. Il est impossible de conclure à un problème particulier dans la communauté de Shannon si on ne peut contrôler, au moins minimalement, les possibles biais introduits par la méthode de recensement. Les données requises pour le faire ne sont pas disponibles.
[278] Par ailleurs, une analyse de proportionnalité est considérée comme « la plus faible » de tous les types d’études épidémiologiques, pour plusieurs raisons. Par exemple, si le risque de cancer de l’estomac est le même à Shannon qu’au Québec, mais que le taux de mortalité de ce type de cancer est plus faible à Shannon qu’au Québec, l’analyse de proportionnalité va indiquer un risque plus élevé de cancer de l’estomac à Shannon[375].
[279] Le Dr Siemiatycki critique finalement le calcul du rapport de cotes (odds ratio) en ces termes :
Tremblay acknowledges the weakness of the PMR analyses, and he uses a variation of the PMR approach that was discussed by Rothman and by others, whereby, instead of computing the PMR, one computes the odds ratio. This is a slight deviation from the PMR which may have some minor advantages over the PMR. There has been some disagreement whether this tactic is in fact more reliable. […] But what Tremblay seems to misunderstand is that the simple arithmetic operation of computing an odds ratio instead of PMR does not fundamentally change the nature of the study as a measure of proportionality rather than of risk.
[…]
Nor is it clear whether Tremblay computed the odds ratio correctly. He does not provide enough detail for a reviewer to understand what he did exactly. Namely in Tableau 2 and Tableau 3, he shows odds ratios for nine (males) or ten (females) types of cancer. For each type of cancer, what was the reference group used? […] Whatever his choice was, how does he defend his choice? This is essential material for an epidemiologic report.[376]
[280] Selon le Dr Siemiatycki, le Dr Tremblay commet à nouveau une erreur d’interprétation dans l’analyse de ses résultats en ignorant le problème des inférences multiples. Le Dr Tremblay a calculé les rapports de cotes pour 19 cancers (10 chez les femmes et 9 chez les hommes). Avec 19 tests, même si les risques de cancer étaient exactement les mêmes à Shannon qu’au Québec, les probabilités de n’obtenir aucun résultat significatif n’étaient que de 37 % environ (0,9519 = 0.3773…). Autrement dit, il y avait environ 63 %[377] de chances d’obtenir au moins un résultat significatif purement par hasard. Selon le Dr Siemiatycki, « this is simply a function of statistical chance and has no biological significance »[378]. Il conclut en écrivant :
[…] If the Tremblay report were submitted to a credible journal with peer review, it would not be accepted for publication. The design is inappropriate. The data used are not validated. The methods of analysis are not fully described and are probably wrong. The results are not credible. The inferences are not justified.
In my opinion, if this report was presented to a panel of experts reviewing the evidence of carcinogenicity of TCE, the results of this report would be ignored in the panel's deliberations because they are patently unreasonable and unreliable.[379]
[281] Le rapport du Dr Van Coillie contient deux parties : une évaluation des risques toxicologiques associés à l’exposition au TCE et un relevé des cancers et autres maladies dans la zone exposée (triangle rouge) comparativement à une zone témoin.
[282] Le Dr Van Coillie cherche à calculer la concentration moyenne de TCE à laquelle ont été exposés les gens de Shannon. Pour ce faire, il présente dans une série de quatre tableaux[380] les concentrations détectées dans les résidences de Shannon entre 2000 et 2003. Il semble que les données proviennent de la pièce R-11.1[381], qui présente, pour chaque résidence, les résultats obtenus lors de dix périodes d’échantillonnage entre 2000 et 2003.
[283] En analysant l’ensemble de ces résultats, le Dr Van Coillie remarque que les concentrations supérieures à 5 µg/L se situent dans les maisons qui se trouvent dans le « triangle rouge ». Ce qu’il définit comme le triangle rouge n’est pas clair. Il mentionne à plusieurs reprises le nombre de 55 résidences[382], mais le tracé qu’il indique semble regrouper environ 90 numéros et il mentionne ailleurs 120 résidences[383].
[284] Quoi qu’il en soit, le Dr Van Coillie calcule une concentration moyenne en additionnant l’ensemble des valeurs mesurées dans les résidences du triangle rouge, divisé par le nombre total de concentrations mesurées. Les pages où il présente ces calculs se trouvent en annexe. Il obtient le résultat suivant : « 75 610,95/353 = 214,19 = 214 µg de TCE/l »[384].
[285] Selon la preuve, le nombre de 75610,95 correspond à la somme de 353 mesures de concentrations de TCE dans un certain nombre de résidences. Le Dr Van Coillie n’explique pas à quoi correspondent précisément ces 353 mesures. Il est important de noter que, selon les tableaux qu’il présente, certaines résidences semblent avoir été échantillonnées à plusieurs reprises et le Dr Van Coillie n’explique pas comment il tient compte de cette variation, ni s’il tient compte des tests n’ayant détecté aucune trace de TCE.
[286] Ensuite, le Dr Van Coillie calcule l’exposition d’une personne qui boit cette eau contaminée en quantité de TCE par kilogramme de masse corporelle par jour. Pour ce faire, il multiplie la concentration moyenne de TCE dans l’eau (214 µg/L) par le nombre de litres d’eau ingérés en moyenne par jour, divisé par le poids corporel moyen. Il effectue ce calcul selon le poids moyen et la consommation d’eau moyenne de plusieurs groupes d’âge. Par exemple, pour le groupe d’âge des gens âgés de 19 et plus, cela donne une exposition moyenne de 4,79 µg de TCE par kilogramme de masse corporelle par jour :
De = 15,55 µg de TCE/kg p.c./j pour la classe d’âge de < 0,5 an
9,44 µg de TCE/kg p.c./j pour la classe d’âge de < 0,5 à 4 ans
6,41 µg de TCE/kg p.c./j pour la classe d’âge de > 4 à 11 ans
4,42 µg de TCE/kg p.c./j pour la classe d’âge de < 11 à 19 ans
4,79 µg de TCE/kg p.c./j pour la classe d’âge de > 19 ans[385]
[287] Ensuite, le Dr Van Coillie calcule l’exposition moyenne pendant les 30 premières années de la vie en multipliant l’exposition associée à chaque groupe d’âge par le nombre d’années pendant lesquelles chaque individu se trouve dans chaque groupe, selon la formule suivante :
(15,55 × 0,5) + (9,44 × 3,5) + (6,41 × 7) + (4,42 × 8) + (4,719 × 11) ÷ 30 ans = une exposition moyenne, en trente ans, de 5,79… µg de TCE/kg/j[386], soit 0,00579 mg/kg/j.
[288] Le Dr Van Coillie utilise alors un coefficient de cancérogénicité calculé par Santé Canada dans un rapport de 2005[387]. Ce coefficient, égal à 0,00081, correspond à un taux d’augmentation de 81 cas de cancer sur 100 000 personnes pour chaque augmentation de 1 mg/kg/j de l’exposition d’une population exposée sa vie durant, soit pendant 70 ans. En multipliant ce coefficient par l’exposition moyenne des résidents de la zone rouge - 0,00579 mg/kg/j × 0,00081 = 0.0000046899 - le Dr Van Coillie calcule un risque additionnel de 4,69 × 10-6 parmi les résidents de la zone rouge. Autrement dit, les personnes ayant habité dans la zone rouge auraient été exposées à un risque toxicologique susceptible de causer un excès de 4,69 cas de cancer sur 1 million de personnes exposées pendant 70 ans.
[289] Le Dr Van Coillie cherche ainsi à démontrer que cette augmentation du risque toxicologique se traduit par un nombre anormalement élevé de cancers dans la zone rouge. Pour ce faire, il établit, à partir du recensement de cancers, une liste préliminaire de 29 personnes cancéreuses dans les 55 résidences de la zone rouge. Il limite cette liste aux personnes ayant été exposées pendant dix ans « après 1970-1980 »[388]. Un autre « inventaire » de cancers a été établi dans une population témoin située à l’est de la rivière Jacques-Cartier, théoriquement non exposée au TCE. Huit cas de cancer ont été recensés dans 55 résidences[389].
[290] Pour le Dr Van Coillie, cela indique qu’il y aurait entre 3,1 et 3,6 fois plus de cancers dans la zone exposée que dans la zone non exposée, ce qu’il attribue au TCE.
[291] Dans une mise à jour de son rapport, déposée en janvier 2010, le Dr Van Coillie répète cette analyse en élargissant la zone contaminée de 55 à 84 résidences. En comparant cette zone à une zone témoin de 84 résidences, il conclut qu’il y a 2,5 fois plus de cas de cancer dans la zone contaminée[390].
[292] En plus des commentaires du Dr Siemiatycki, deux documents principaux ont été déposés pour critiquer l’analyse du Dr Van Coillie : un rapport produit par l’INSPQ en mars 2010 [Analyse critique de Van Coillie][391] et un rapport déposé par le Dr Robert Tardif en janvier 2010 [Rapport Tardif 2010][392]. Ces critiques ont considérablement affaibli sa force probante.
[293] Selon les tableaux qui montrent les concentrations de TCE mesurées dans les résidences de Shannon, certains puits semblent avoir été échantillonnés beaucoup plus souvent que d’autres. Or, les résidences qui ont été testées le plus souvent sont celles qui présentent les concentrations de TCE les plus élevées[393]. L’utilisation de toutes ces valeurs sans tenir compte du nombre d’analyses par résidence conduit à une surestimation importante de l’exposition. Le Dr Van Coillie n’explique pas comment il a tenu compte de cette variation. Les experts de l’INSPQ expliquent qu’ils ont été incapables de recréer ses calculs.
[294] Le Dr Tardif a procédé différemment : il a d’abord fait la moyenne des concentrations mesurées dans chaque résidence du triangle rouge, puis calculé une moyenne globale. La moyenne globale est alors estimée à 108 µg/L. Or, sur les 53 résidences que le Dr Tardif situe dans le triangle rouge, 32 présentent des concentrations inférieures à la moyenne et 19 présentent des concentrations inférieures à 5 µg/L. La moyenne n’est donc pas représentative[394]. L’INSPQ s’est livré à un exercice semblable et calcule une moyenne de 125,2 µg/L. Selon ses experts, étant donné la distribution statistique irrégulière, c’est la médiane qui aurait dû être prise en compte : en effet, 50 % des résidences ont été exposées à des concentrations inférieures à 32,4 µg/L[395].
[295] Le coefficient de cancérogénicité utilisé par le Dr Van Coillie s’applique à une exposition moyenne durant la vie entière. Par conséquent, l’exposition moyenne pendant 30 ans aurait dû être rapportée sur une durée de 70 ans, ce qui diminue sensiblement la dose. Sur la base de leurs propres calculs, l’INSPQ estime un risque additionnel, parmi les résidents de la zone rouge, de 0,99 à 1,19 × 10-6, ce qui correspond à 10 ou 12 cas supplémentaires sur 10 millions d’individus exposés pendant 30 ans. Ce niveau de risque est très similaire à la valeur seuil de 1 × 10-6 recommandée comme « risque négligeable »[396]. Le Dr Tardif parvient à des conclusions semblables : pour 40 des 53 résidences qu’il examine, le risque est inférieur à 1 × 10-6, et seules quelques résidences ont un risque légèrement supérieur, soit plus d’un cas de cancer supplémentaire sur 1 million de personnes exposées pendant 30 ans[397].
[296] Ce passage suivant de l’analyse de l’INSPQ donne une idée des ordres de grandeur en jeu :
[…] À titre d'exemple, si l'on compare deux populations « A » et « B » de 10 millions d’individus en tout point identiques, mais avec la population « A » qui est exposée au TCE à une concentration de 126,9 µg/l dans l'eau potable durant 30 ans alors que la population « B » n'est pas exposée, un risque cancérigène de 1,2 x 10-6 signifie que 12 cas de cancer de plus sera observés dans la population « A » lorsque 70 ans se seront écoulés. Considérant qu'à la base, environ 30 % de la population pourrait être atteint d’un cancer durant la vie, cela signifie qu'au bout de 70 ans, dans la population « A », exposée au TCE à 126,9 µg/l durant 30 ans, théoriquement 3 000 012 cas de cancer seraient observés alors que dans la population « B », non exposée au TCE, ce serait 3 000 000 de cas qui seraient dénombrés. Cela signifie aussi qu’en assumant que toute la population de Shannon (moins de 10 000 individus) serait exposée durant 30 ans, il faudrait plusieurs générations d'individus pour voir apparaître un cancer dû au TCE.[398]
[Transcription textuelle]
[297] Quant au « relevé de cas de cancer » dans la zone rouge, les experts des intimés font remarquer que le Dr Van Coillie compare des nombres de cancers plutôt que des taux d’incidence. La population à l’étude n’est pas définie. On ne sait pas combien de personnes ont vécu dans ces résidences ni comment les résidences de la zone témoin ont été choisies. On ne connaît pas le profil démographique des résidents (âge, sexe, etc.) Les facteurs de confusion ne sont pas pris en compte. Aucun détail n’est donné sur la vérification des cas de cancer. On ne sait pas comment le recensement a été mené par les deux infirmières - aussi bien les experts de l’INSPQ[399] que le Dr Siemiatycki[400] mentionnent la possibilité que le recensement ait été mené différemment dans la zone exposée et dans la zone non exposée, une crainte que le témoignage du Dr Shields semble confirmer[401].
[298] Quant à l’association avec le TCE, le Dr Tardif fait remarquer que parmi les 29 personnes de la zone exposée, 11 seulement ont habité des résidences où du TCE a été détecté à une concentration de plus de 50 µg/L, et 12 autres ont habité des maisons où du TCE a été détecté en quantité infime. Cela tendrait plutôt à démontrer une absence de lien entre l’exposition au TCE et les cancers survenus dans la zone rouge[402]. De plus, le Dr Siemiatycki note que la comparaison entre 55 résidences de la zone rouge et 55 résidences situées à l’extérieur de cette zone semble reconnaître tacitement qu’à l’exception de la zone rouge, la vaste majorité de la municipalité ne souffre d’aucun risque excédentaire de cancer[403].
[299] Il ajoute :
e. The relative risk results he purports to calculate do not make sense. There have been several epidemiological studies of workers exposed to TCE at much higher levels and probably for longer periods of time than the residents of Shannon or of the red zone. If the risk of cancer truly was three times greater among red zone residents than among other residents and this is due to TCE, then the differential cancer risk between heavily exposed TCE workers and the general population would be much greater than threefold. But in scores of studies throughout the world and in the conclusions of the various expert panels that have reviewed TCE, there has never been even a trace of evidence that the relative risk of all cancers combined could be detectably above 1.0, never mind over 3.0. That is, even though there is some room to argue that in some studies of workers there was an excess risk of one or two types of cancer, these cancers comprise only a small fraction of all cancers. There is absolutely no empirical support for the thesis that all cancers combined show an excess risk in heavily exposed workers. A relative risk of 3.0 or more is very large. If there really were such large risks of all cancers combined due to TCE, it could not have been missed in every serious study conducted in the past.[404]
[Soulignement dans l’original]
[300] Finalement, il est impossible de passer sous silence la discordance entre l’analyse de risque toxicologique et le relevé des cas de cancer. Il est plutôt étrange de soutenir, comme le fait le Dr Van Coillie, qu’un excès de risque susceptible de causer 4,69 cas de cancer supplémentaires sur 1 million de personnes en 70 ans pourrait être responsable d’une vingtaine de cas de cancer supplémentaires dans la population ayant habité 55 résidences pendant 30 ans.
[301] Dans une série de 20 tableaux, le Dr Shields présente ses conclusions quant à la surabondance de cancers à Shannon. Il se base sur les données recueillies lors de l’investigation réalisée par les deux infirmières. Bien que le Dr Shields soit un hémato-oncologue, son expertise est en réalité de nature épidémiologique.
[302] Selon le Dr Shields, on peut diviser la municipalité de Shannon en cinq zones :
- le « triangle rouge sud », la plus exposée, qui comptait 454 habitants en 2003;
- une « zone verte nord-sud » et une « zone orange sud », moins exposées;
- une « zone bleue nord » qui comptait 638 habitants en 2003, peu ou pas exposée;
- et une « zone magenta sud » qui en comptait 1 282[405].
[303] Dans le Tableau 1A[406], le Dr Shields présente les cas de cancer survenus dans l’ensemble de la municipalité, hormis le secteur bleu. Selon lui, il y aurait 206 cas de cancer ayant affecté 182 personnes dans cette population. Il écrit :
Si l'on se base sur l'incidence générale de 455 cas de cancer pour 100 000 individus par année, nous aurions dû observer dans cette population que si on la fixe à 1 000 individus véritablement exposés, une incidence de 4.5 cas de cancer par mille individus par année et pour une période de 20 ans nous aurions dû obtenir 90 cas de cancer. Dans ce cas, l'incidence du cancer observé est de 2.2 fois l'incidence prédite, soit une augmentation de 120 % des cas de cancer observés.[407]
[Caractères gras dans l’original]
[304] Dans le Tableau 1B, le Dr Shields montre que 42 cas de cancer sont survenus chez 18 individus, ce qu’il juge « anormalement élevé ».
[305] Dans le Tableau 1C, le Dr Shields montre le nombre de cancers par décennie. De la décennie 1960 à 1969 jusqu’à la décennie 2000 à 2008, il se trouve dans le recensement, respectivement, 8 cas de cancer, 12, 25, 68 et 95 cas de cancer. Selon le Dr Shields, « ce tableau parle de lui-même : on note une augmentation notable des cas de cancer pour chaque décennie », avec une augmentation de 800 % entre 1970 à 2000[408].
[306] Le Tableau 4A montre les cas de cancer survenus dans la zone rouge. Le Dr Shields relève 60 cas de cancer chez 51 individus, dont 4 ont présenté plus d’un cancer. Considérant que ce secteur comptait 450 habitants en 2003, il estime que ce nombre de cancers représente une incidence 2,25 fois plus élevée que l’incidence attendue[409].
[307] Le Tableau 4B montre les mêmes cancers par année de survenance. On voit que 45 cancers sont apparus après 1990, ce qui selon Dr Shields est trois fois plus que le nombre attendu[410]. Il note une « explosion » de cas de cancer après 1990.
[308] Le Tableau 4D montre le détail des cancers survenus chez les individus ayant souffert de plus d’un cancer, soit 14 cancers survenus chez 5 individus qui habitaient sur les rues King, Jacques-Cartier et Conway. Selon le Dr Shields, il est exceptionnel que tant de cas de cancers soient rapportés dans un si petit secteur[411].
[309] Le Tableau 4I montre les cas de cancer observés par rue du secteur rouge. Le Dr Shields écrit que « ces observations soulignent le danger de simplement sous-estimer d’une façon grossière le rôle du [TCE] dans la survenue des cas de cancer si l’on dilue l’incidence de ces cas de cancer dans une population plus importante qui n’a pas été exposée aux mêmes agents toxiques »[412]. Selon lui, 20 cas de cancer sur une rue et 23 sur une autre sont des chiffres exceptionnels : en admettant que chacune des huit habitations de la rue King ait abrité entre 40 et 50 personnes au total, cela signifierait un taux d’incidence d’environ 50 %.
[310] Le Tableau 5A montre le nombre de cancers dans le secteur bleu, soit la zone témoin du Dr Shields. Il dénombre 17 cas de cancer dans un secteur qui comptait 628 habitants en 2003, soit trois fois moins de cancers que dans le secteur rouge.
[311] En conclusion, le Dr Shields estime que l’incidence du cancer à Shannon est de 2 à 3 fois plus élevée que l’incidence attendue, et près de 4 fois plus élevée dans le secteur rouge. Le Dr Shields soutient de plus que le nombre de cancers observés sur les rues King et Jacques-Cartier, rapporté sur 100 000 personnes, donnerait une incidence d’environ 20 000 cas, alors que l’incidence normale attendue devrait être de 467. Selon lui, « il ne fait aucun doute qu’un facteur extérieur a contribué à augmenter l’incidence des cas de cancer dans cette population », et qu’il faut « prendre garde de ne pas diluer cette incidence en l’englobant dans une population plus importante, plus jeune, non exposée, qui donne à la baisse une incidence réelle qui se rapproche de la normale »[413].
[312] Le Dr Siemiatycki signale la présence d’une erreur méthodologique majeure à la page 2 du rapport du Dr Shields[414]. Dans le Tableau 1A, il présente les 206 cancers survenus dans l’ensemble de la municipalité, à l’exception du « secteur bleu ». Le Dr Shields indique lui-même que le secteur bleu comptait 628 habitants en 2003[415] et que l’ensemble de la municipalité en comptait 3416. Par soustraction, on comprend que la population de Shannon à l’exclusion du secteur bleu devait être de 2 788 personnes en 2003 (le Dr Shields ne tient pas compte de la variation de la population dans le temps). Le Dr Shields écrit :
Si l'on se base sur l'incidence générale de 455 cas de cancer pour 100 000 individus par année, nous aurions dû observer dans cette population que si on la fixe à 1 000 individus véritablement exposés, une incidence de 4.5 cas de cancer par mille individus par année et pour une période de 20 ans nous aurions dû obtenir 90 cas de cancer. Dans ce cas, l'incidence du cancer observé est de 2.2 fois l'incidence prédite, soit une augmentation de 120 % des cas de cancer observés.[416]
[313] Le Dr Shields explique lui-même qu’il considère l’ensemble des cancers survenus dans la municipalité à l’exception du secteur bleu, soit 2 788 personnes, et non pas les cancers survenus chez les personnes « véritablement exposées ». Il aurait donc dû utiliser un dénominateur de 2 788 personnes, et non de 1 000[417]. Selon sa propre méthode, le nombre de cancers attendus dans cette population devrait être de 253 cas (0,00455 × 2 788 × 20)[418]. Le nombre de cancers observé, soit 206, est moins élevé.
[314] Les Drs Siemiatycki et Bélanger critiquent également les conclusions du Dr Shields sur l’augmentation du nombre de cancers dans le temps. La base de données a été constituée dans les années 2000, au moyen d’une enquête réalisée auprès de la population qui résidait à Shannon à ce moment-là. Cette population a vieilli et il est normal qu’elle présente plus de cancers en 2000 qu’en 1970. Les cas de cancer identifiés en 1970 concernent des gens qui vivaient encore à Shannon en 2000, ou encore connaissaient des gens qui se souvenaient d’eux en 2000. Les personnes décédées ou ayant déménagé sans qu’on se souvienne d’elles n’ont pas été prises en compte et ce biais s’aggrave plus on remonte loin dans le passé. Finalement, la détection des cancers s’est beaucoup améliorée au cours de cette période. L’augmentation temporelle que relève le Dr Shields reflète simplement les défauts de la base de données et le fait que le risque de cancer augmente avec l’âge : il s’agit d’un artefact méthodologique[419].
[315] Le Dr Shields soutient que l'incidence des cas de cancer chez les citoyens qui ont habité la rue King et la rue Jacques-Cartier se rapproche d'un individu sur deux, ce qu’il semble considérer comme tout à fait anormal[420]. En réalité, ce nombre n’est pas si éloigné de la proportion de la population qui sera atteinte du cancer au cours d’une vie entière. En l’absence d’informations sur le profil démographique de la population à l’étude, il est impossible de conclure à un problème particulier, et encore moins de conclure que le TCE y est pour quelque chose. Le témoignage du Dr Shields fait par ailleurs craindre que l’enquête se soit concentrée sur le secteur de la municipalité le plus affecté par la contamination[421], ce qui introduirait un biais important dans le recensement des cancers.
[316] Finalement, il vaut la peine de répéter qu’on ne peut pas tirer de conclusions statistiques fiables à partir de populations minuscules. De petites unités d’observations sont, par nature, plus susceptibles de donner des résultats extrêmes. À ce sujet, le Dr Siemiatycki écrit :
[…] The smaller the unit of observation, the greater will be the observable relative risks. To give an extreme example, we may ask what the relative risk was for each person in Canada last year. For every person who did not get cancer the empirical relative risk was 0. For each person who did get cancer, the relative risk of getting cancer was about 200 (i.e., his risk of cancer is 1.0 once he got the disease and in the general population it is about 1 per 200 per year). This does not mean anything. Relative risk estimates should not be built around small ostensible clusters of cases.[422]
[317] En résumé, plus on rétrécit l’unité d’observation, plus les résultats seront extrêmes, et moins ils renseigneront sur la valeur du paramètre qu’on cherche à étudier.
[318] En plus de son rapport de mai 2010 qui répondait directement au Dr Tremblay, le Dr Siemiatycki a déposé en janvier 2010 son propre rapport d’expertise. Dans ce rapport, il passe en revue les rapports des experts de l’appelante de même que divers documents scientifiques contenus dans la preuve. C’est de là que proviennent les commentaires cités dans les sections ci-dessus.
[319] Parmi les documents qu’il analyse, le Dr Siemiatycki estime que le rapport de l’INSPQ publié en 2005 sur la pertinence et la faisabilité d’une étude épidémiologique[423] est le seul qui possède une quelconque valeur scientifique[424]. Il commente ainsi :
Of all the documents I have reviewed on the risks of cancer of Shannon, this is the only one that has scientific credibility. Its tone is objective and scientific. It lays out its limitations clearly. The clear description of what kind of epidemiological data would be needed and the feasibility of collecting such information is in stark contrast to the confused efforts by Van Coillie, Shields, and Charbonneau/Finkelstein to shed light on cancer risks in Shannon.[425]
[320] Ainsi, selon le Dr Siemiatycki, l’information empirique la plus importante dont on disposait à ce moment-là se trouvait tout entière dans un paragraphe de ce rapport :
Une analyse des cas de répertoriés entre 1984 et 2000 dans le fichier provincial des tumeurs a été réalisée par la Direction de santé publique de la Capitale nationale. Un total de 84 cas de cancer ont été identifiés chez les personnes résidant dans la municipalité de Shannon, alors que près de 97 cas étaient attendus, en fonction de l'incidence des cancers dans l'ensemble de la population québécoise et en ajustant pour l'âge et le sexe. […][426]
[Transcription textuelle]
[321] Le Dr Siemiatycki se livre ensuite à une évaluation sommaire des données sur l’exposition. En se basant sur les concentrations de TCE mesurées dans 462 résidences de Shannon, le Dr Siemiatycki observe que 8,7 % seulement des résidences présentaient des taux de contamination supérieurs à 5 µg/L.
[322] Le Dr Siemiatycki rappelle que les maladies survenues chez la majorité des résidents n’ayant pas habité une résidence contaminée, ou survenues avant l’arrivée du panache de contamination à Shannon, ne peuvent pas être attribuées au TCE. Or, les données sur l’exposition semblent indiquer que presque personne (« hardly anybody ») à Shannon n’a été exposé au TCE[427].
[323] Le Dr Siemiatycki se prononce ensuite sur les risques de cancer à Shannon. Il écrit :
In the experience of thousands of workers exposed to TCE at much higher levels than the exposure levels in Shannon, there has never been a demonstration of a general increase in all types of cancers. No respected authority concludes that there is a general cancer risk among such heavily exposed workers. If no excess risks were detected for the entire set of cancers among workers exposed to high levels and long duration of exposure to TCE, it is inconceivable that residents of Shannon, experiencing much less exposure, would be subjected to much higher risks than all other populations.[428]
[324] Il rappelle que le risque général de cancer au Canada est assez élevé, approximativement 40 % au cours d’une vie entière. Si le nombre total de personnes ayant vécu à Shannon se trouvait quelque part entre 5 000 et 10 000, on s’attendrait à observer entre 2 000 et 4 000 cas de cancer. Avec de tels chiffres, il n’est pas surprenant que, dans certains cas, plusieurs cancers aient été déclarés dans la même résidence : c’est malheureusement vrai pour toutes les communautés[429].
[325] Le Dr Siemiatycki admet que même s’il n’existe aucune preuve indiquant que le TCE ait causé des cancers à Shannon, il s’agit d’une possibilité dans certains cas qui satisfont les deux conditions suivantes :
1) un diagnostic confirmé de cancer du rein, du foie ou d’un lymphome non hodgkinien;
2) la personne concernée a résidé dans une habitation dont le puits était contaminé par le TCE.
[326] De tous les cas qui satisfont à ces deux conditions, seule une petite fraction aura été causée par le TCE. Si, par exemple, le risque relatif de cancer du rein associé aux niveaux d’exposition des citoyens de Shannon est connu, il serait possible d’estimer le nombre de cas de cancer attribuables au TCE, mais on ne connaît ni ces risques relatifs ni le nombre de personnes exposées atteintes du cancer du rein. Le Dr Siemiatycki cite une méta-analyse indiquant un risque relatif, chez des travailleurs fortement exposés au TCE, d’environ 1,2 à 1,4[430]. Il estime que le niveau d’exposition des gens de Shannon était beaucoup moins élevé; toutefois, en postulant un risque relatif de 1,3, on peut calculer que 23 % des cas de cancer du rein observés chez les personnes ainsi exposées seraient attribuables au TCE[431], sans pouvoir déterminer lesquels[432].
[327] Il convient de noter que, selon ce même raisonnement, n’importe quel cas individuel de cancer du rein, du foie ou de LNH observé parmi des citoyens exposés à un risque relatif de 1,3 n’aurait que 23 % de chances d’avoir été causé par le TCE. En effet, la probabilité qu’un cas de cancer donné soit causé par une exposition associée à un risque relatif connu est calculée de la même façon que la proportion des cancers attribuables au facteur de risque dans la population ainsi exposée[433].
[328] L’appelante a raison de reprocher au juge certaines maladresses dans ses explications. Toutefois, il n’a pas commis d’erreur en concluant que la preuve scientifique ne démontre pas l’existence d’un problème de santé particulier dans la population de Shannon qui serait attribuable au TCE.
[329] L’établissement d’un lien de causalité entre l’exposition au TCE et les cancers observés à Shannon requérait la preuve d’un excès statistique qui était plus probablement attribuable au TCE qu’au hasard. Cette preuve n’a jamais été faite.
[330] La distinction entre la causalité scientifique et juridique n’est d’aucun secours à l’appelante. Même analysée à la lumière du fardeau de preuve approprié, soit la prépondérance des probabilités, la preuve ne démontre pas que le TCE a probablement causé un excès de cancer à Shannon. En réalité, elle tend plutôt à démontrer le contraire.
[331] Il existe une asymétrie dans la qualité de la preuve d’expert présentée par les parties. D’un côté, les expertises invoquées par l’appelante sont fortement biaisées, parfois difficilement compréhensibles, et elles présentent des erreurs méthodologiques nombreuses et flagrantes. Elles ont été méticuleusement critiquées et contredites par les experts des intimés. De plus, elles s’appuient sur une base de données dont la fiabilité est extrêmement faible. Le recensement de cas effectués sous la direction du Dr Shields n’a pas été effectué de façon suffisamment rigoureuse pour servir d’appui à des analyses épidémiologiques. Le Dr Shields lui-même admet que ce n’est pas dans ce but que l’enquête a été menée. Il semble également que les experts de l’appelante aient eu recours à cette base de données à différentes étapes de sa complétion - le premier rapport Van Coillie, par exemple, a été déposé en novembre 2008 (Rapport Van Coillie 2008), le Rapport Shields en janvier 2009, et le Rapport Tremblay en mars 2010, alors que la collecte s’est terminée en octobre 2010[434]. C’est ce qui explique que les chiffres rapportés par ces experts sont tous différents. À ce sujet, le Dr Siemiatycki notait :
· There is no fixed master list of disease subjects because new ones are being added and perhaps some are being dropped, as time goes on.
· Depending on when they accessed the list of cases, and perhaps because of different selection criteria that are not explained in any of those reports, there may be different cases in the three Reports (Van Coillie, Shields, Charbonneau/Finkelstein).[435]
[332] Par ailleurs, certaines des réponses données par le Dr Shields en contre-interrogatoire suggèrent que l’enquête, y compris l’établissement de zones témoins, a été menée en tenant compte de l’exposition au TCE, ce qui introduit un biais important dans les résultats :
Q. […] afin de colliger ces cas, avez-vous déterminé si, oui ou non, il y a eu présence de TCE avant d'inclure un cas quelconque dans la collection des cas que vous avez rapportés dans votre rapport du mois de janvier deux mille neuf (2009)? […]
R. Non. Non, non, non, je comprends votre sens de question, là : est-ce qu'il pourrait y avoir eu un biais, en ce sens qu'on serait allés chercher juste des cas qui ont vécu dans des zones exposées, et pas de cas qui ont vécu dans les zones non-exposées? Ce n'était pas une expérience ou une étude épidémiologique, ou ce n'était pas une expérience où on pouvait contrôler les variables, on faisait juste aller voir où étaient les cas. Et on ne pouvait pas fausser les données, en cherchant dans un secteur puis en ne cherchant pas dans l'autre. Des cas, ils se sont tous avérés... c'est comme un petit peu une maladie contagieuse, tu sais, il y a eu tant de cas de rougeole dans ce secteur-là puis pas dans l'autre. […]
Quand on a évalué ça, la première approche c'était : on ne voulait pas... on ne voulait pas aller faire enquête dans les secteurs où il n'y en avait pas, présumément, on est allés faire enquête dans des secteurs où il y en avait. Alors, c'est ça le problème.[436]
[Transcription textuelle]
[333] Par opposition, l’INSPQ et la DSP ont effectué un suivi attentif de la population de Shannon et réalisé plusieurs analyses fondées sur des bases de données provinciales telles que le Fichier de tumeurs du Québec (FiTQ) et le Registre québécois du cancer (RQC). Ces données, sans être parfaites, présentent d’énormes avantages par rapport à l’enquête réalisée par les citoyens de Shannon. Les analyses réalisées au moyen de ces données, y compris celles qui ont tenté d’établir un lien entre la distribution spatiale des cancers et la présence de TCE dans l’eau courante, sont toutes parvenues à la même conclusion : non seulement le nombre de cancers à Shannon n’est pas anormal, mais il est impossible d’établir un lien entre l’exposition au TCE et la survenance du cancer.
[334] Cela suggère que certains des experts de l’appelante ont présumé que le TCE devait nécessairement avoir causé des problèmes de santé dans la communauté de Shannon et se sont attelés à la tâche en vue de démontrer l’existence d’un fait dont ils tenaient l’existence pour acquise. Cette façon de procéder n’est pas objective. La question qu’ils devaient se poser consistait à déterminer si, oui ou non, il existe un excès de cancer à Shannon et, le cas échéant, si cet excès peut être attribué au TCE. Ils semblent plutôt avoir cherché à déterminer de quelle manière les données statistiques pouvaient être interprétées pour appuyer cette conclusion. Le fait qu’aucun d’entre eux n’a discuté des limitations de leurs analyses (facteurs de confusion, base de données incomplète ou biaisée, etc.) renforce cette conclusion. Le biais méthodologique des experts de l’appelante entache la fiabilité et l’utilité de leurs résultats, ainsi que celles de leurs conclusions.
[335] La preuve scientifique révèle que l’incidence du cancer dans la population générale est effroyablement élevée. Au Canada, près d’une personne sur deux sera atteinte du cancer au cours de sa vie et une personne sur quatre en mourra. Une panoplie de facteurs environnementaux et génétiques peut influencer les proportions et l’incidence de différents types de cancer. Le simple hasard garantit presque que des excès statistiquement significatifs de certains types de cancer seront détectés dans n’importe quelle communauté. À la lumière de ces considérations, les données dont on dispose sur Shannon n’ont rien d’anormal.
[336] Du point de vue des citoyens de Shannon, l’association causale entre la contamination au TCE et les problèmes de santé détectés dans leur communauté semble aller de soi - et c’est fort compréhensible. Pourtant, sur la base de la preuve scientifique dont il disposait, le juge de première instance avait raison de conclure que l’appelante n’a pas démontré l’existence de ce lien de causalité.
[337] D’autre part, il règne une certaine confusion dans ce que cherchait à prouver l’appelante exactement. Dans le présent dossier, la preuve du lien de causalité et celle du préjudice étaient entremêlées. En l’absence de tout facteur de risque anormal, un nombre important de cancers seraient apparus dans la communauté de Shannon, comme n’importe où ailleurs. Comme il est impossible de déterminer la cause d’un cas de cancer en particulier[437], l'appelante avait le fardeau de prouver qu’il existe à Shannon un nombre anormal de cancers, dont certains d’entre eux pouvaient, selon la prépondérance des probabilités, être attribués au TCE.
[338] C’est également la raison pour laquelle l’appelante a tort d’invoquer la présomption de causalité énoncée par la Cour suprême dans Morin c. Blais[438]. Les cancers détectés à Shannon ne peuvent être tacitement considérés comme un préjudice en l’absence de preuve d’une situation anormale.
[339] Or, le mode de réparation proposé par l’appelante, qui s’appuie sur un « système de pointage » mis au point par le Dr Shields[439], présume implicitement que tous les cancers recensés dans la « zone rouge », de même qu’une grande variété d’autres problèmes de santé, peuvent être attribués à l’exposition au TCE[440]. En réalité, même si l’appelante était parvenue à prouver l’existence d’un nombre anormal de cancers à Shannon, la question de savoir quels cas de cancer pouvaient être attribués au TCE, et ainsi donner ouverture à des réparations pour certains membres du groupe, serait restée entière.
[340] La preuve épidémiologique et la preuve toxicologique convergent vers la même solution. Au moyen d’une étude qui surestimait largement le degré d’exposition des résidents de la zone rouge, le Dr Van Coillie a calculé un risque additionnel de 4,69 cas sur 1 million de personnes[441]. Le Dr Tardif et les experts de l’INSPQ ont révisé à la baisse ces calculs, et ont illustré à quel point il est improbable que les quantités infinitésimales de TCE qui ont été détectées dans l’eau des puits résidentiels de Shannon aient causé l’apparition d’un nombre anormal de cancers. Les conclusions du Dr Ritter, expert en toxicologie, vont dans le même sens[442]. Moins d’une centaine de puits résidentiels se trouvaient dans la zone du panache[443], et la moitié des 53 résidences de la « zone rouge » montrait des concentrations inférieures à 32,4 µg/L au début des années 2000[444].
[341] Le juge n’a donc pas commis d’erreur en concluant que l’appelante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve. Le seul reproche qu’on pourrait lui faire, c’est de ne pas avoir été assez ferme dans ses conclusions et d’avoir laissé planer une certaine ambiguïté. Or, il n’y a pas d’ambiguïté. S’il existe un excès de risque dans la population de Shannon lié à l’exposition au TCE, cet excès est trop faible pour être détectable et ne s’est assurément pas manifesté par un nombre anormal de cancers.
[342] En juillet 2010, des représentants des citoyens de Shannon ont exprimé au directeur de la DSP leurs préoccupations relatives à un nombre anormal de cas de cancer du cerveau dans leur communauté. Cet excès aurait été détecté lors de la collecte de données réalisée à l’appui du recours collectif. Le directeur de la DSP, le Dr François Desbiens, a alors accepté de mener, en vertu de ses pouvoirs légaux[445], une étude d’agrégat visant à confirmer ou infirmer l’existence d’un excès de cancers chez les résidents de la municipalité de Shannon[446]. L’ensemble du projet « doit permettre de comparer des taux d’incidence de cancer dans une population dite ouverte aux taux provinciaux pour évaluer s’il y a ou non présence d’un excès de cas de cancer »[447].
[343] Le manuel d’organisation du projet[448] décrit en détail la démarche envisagée. Le projet prévoit notamment que la DSP sollicitera l’aide de l’INSPQ et d’un comité-conseil pour le soutenir dans la réalisation de l’étude d’agrégat. Le comité-conseil avait pour mandat de conseiller le directeur régional de santé publique, le Dr François Desbiens, de valider et d’approuver le protocole proposé et les analyses, de proposer des pistes de travail et d’analyse subséquentes et d’approuver les recommandations de la DSP[449].
[344] En 2011, l’Agence de protection environnementale américaine (USEPA) déclarait que le TCE est un cancérigène avéré pour l’être humain. En 2014, le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC, en anglais IARC) publiait une monographie concluant ceci :
There is sufficient evidence in humans for the carcinogenicity of trichloroethylene. Trichloroethylene causes cancer of the kidney. A positive association has been observed between exposure to trichloroethylene and non-Hodgkin lymphoma and liver cancer.[450]
[345] À la lumière de ces résultats, la DSP a décidé d’étudier non seulement l’incidence du cancer du cerveau, mais également celle du cancer du rein, du cancer du foie et des voies biliaires et du lymphome non hodgkinien[451].
[346] En mars 2014, un document intitulé Suspicion d’un agrégat de cancers du cerveau dans la municipalité de Shannon et dans le secteur de Courcelette - Protocole d’analyse descriptive est déposé[452]. Il s’agit du protocole de l’étude à venir[453]. Le 7 avril 2014 a lieu une réunion au cours de laquelle certains désaccords se révèlent[454]. Le Dr Desbiens précise que l’enquête en cours n’a pas de visée étiologique, c’est-à-dire qu’elle ne vise pas à étudier l’augmentation du risque en fonction du degré d’exposition au TCE[455]. Le Dr Kosatsky rétorque que ne pas tenir compte de la présence de TCE est un « gaspillage de temps ». La Dre Takser critique l’argument selon lequel une étude étiologique manquerait de puissance statistique.
[347] En septembre 2014, un premier rapport, intitulé Évaluation sommaire du signalement de cas de cancer du cerveau dans la municipalité de Shannon[456], est déposé. Ce rapport conclut la première étape de l’étude d’agrégat. Il indique que, puisqu’il n’est pas possible d’exclure la présence d’un excès de cancer, la DSP a décidé de poursuivre les travaux[457].
[348] Une version préliminaire du rapport de l’étude d’incidence est présentée au comité-conseil en mai 2015[458]. Cette version préliminaire contient une section intitulée Évaluation de la pertinence et de la faisabilité d’utiliser les données de la cohorte pour calculer le risque de cancer chez les résidents du secteur de Shannon exposés au TCE[459]. Le Dr Desbiens explique que cette analyse a été réalisée pour donner suite aux discussions avec le comité-conseil qui réclamait la réalisation d’une étude sur l’exposition au TCE. Elle n’a pas été incluse dans le rapport final en raison de ses faiblesses scientifiques[460].
[349] En juin 2015, le comité-conseil soumet une « proposition d’analyse » visant à remédier aux lacunes de l’étude d’agrégat menée par la DSP. Cette proposition recommande notamment la réalisation d’une étude étiologique tenant compte de l’exposition au TCE[461]. Selon le comité-conseil, l’approche préconisée est « simple et requiert peu de travail supplémentaire » à la DSP. Il s’agit de calculer les ratios standardisés d’incidence en référence à l’exposition au TCE et ses sous-produits de dégradation[462]. L’analyse devrait porter sur la population de Shannon dans son ensemble pour la période 1987-2000, en incluant et en excluant le secteur de Courcelette, de façon à comparer le groupe non exposé (à l’ouest de la rivière Jacques-Cartier) avec le groupe exposé. Le comité souligne que d’autres schémas d’analyse sont possibles, tels qu’une étude de type « cas-témoin ». Selon le comité-conseil, cette approche permettrait de répondre aux questionnements légitimes des citoyens et d’estimer le risque associé à l’exposition au TCE. Des précisions succinctes sont apportées en ces termes :
[…] De cette façon, il faudra construire une matrice « résidence - exposition », calculer l’indicateur (dose d’exposition) pour tous les cas dans la cohorte et faire l’analyse par stratification et par le biais d’une analyse de régression logistique. On pourrait estimer le risque associé (RR ou OR) à cet indicateur d’exposition (dose d’exposition), évaluer le risque attribuable (RA), la fraction du risque attribuable (% RA), celle-ci étant le reflet de la prépondérance (compensation proportionnelle).[463]
[350] Cette proposition d’analyse a été envoyée au Dr Desbiens le 2 juin 2015 par le Dr Band, président du comité-conseil, qui précise qu’elle a été acceptée à l’unanimité par les membres du comité[464] : elle a ensuite fait l’objet de discussions lors d’une rencontre le 5 juin 2015[465].
[351] Le 29 juillet 2015, le comité-conseil soumet un document intitulé Évaluation par le comité-conseil du rapport de la Direction régionale de santé publique de la Capitale-Nationale[466]. Cette évaluation porte sur la version préliminaire du rapport de la DSP de mai 2015. Le Dr Desbiens a répondu à leurs questions et leurs commentaires dans un document déposé en novembre 2015[467].
[352] Le comité-conseil soutient que le rapport de la DSP devrait tenir compte de l’exposition au TCE et de son association possible avec certains cancers. La Dre Takser souligne qu’en raison des effets toxiques du TCE sur la promotion des tumeurs et la suppression du système immunitaire, il ne faut pas limiter l’analyse aux seuls sites de cancer dont l’association avec le TCE a été reconnue par la littérature scientifique[468]. Le Dr Kosatsky critique le recours au Registre des tumeurs du Québec qui exclut les cas de cancer diagnostiqués à l’extérieur de la province. Il parle d’une « sous-estimation critique de l’incidence relative du cancer » et d’une « erreur conceptuelle majeure » dans l’exécution de l’étude[469].
[353] Un point contentieux semble être la décision de ne pas tenir compte des données colligées par le Regroupement des citoyens de Shannon. Le comité-conseil s’oppose en précisant que « tous les cancers incidents de la cohorte retrouvés dans le Fichier des tumeurs du Québec doivent être inclus, qu’ils fassent ou non partie des données colligées par le RCS ou la DSP »[470]. Le Dr Desbiens explique qu’il s’agit d’un malentendu : tous les cas de cancer dans la cohorte inscrits dans le Registre québécois du cancer (RQC) ont été pris en compte, qu’ils fassent ou non partie des données colligées par les citoyens. Ce sont les cas détectés par le Regroupement qui ne figurent pas dans le Registre qui ont été exclus.
[354] Le 27 août 2015, l’INSPQ réagit à la proposition d’analyse présentée par le comité-conseil en juin 2015[471]. Ce document expose pourquoi, selon l’INSPQ, une étude étiologique visant à déterminer s’il existe une augmentation du risque associée à l’exposition au TCE n’est pas possible. Trois raisons sont données :
- l’impossibilité d’identifier les personnes exposées au TCE. Pour réaliser une étude étiologique, il faudrait être en mesure de quantifier l’exposition au TCE des personnes ayant habité à Shannon de 1950 à 2001. Pour ce faire, il faudrait identifier les personnes ayant résidé à une adresse dont l’eau du puits était contaminée, mais aussi l’importance de la contamination. Or, les bases de données disponibles ne le permettent pas. L’adresse complète, incluant le numéro et le nom de la rue, n’est disponible qu’à partir de 1997; pour la période allant de 1987 à 1996, seul le code postal est connu. Pour les 137 220 personnes-années entre 1987 et 2001, 44 % concernent des personnes dont l’adresse exacte n’est pas connue. Pour ces individus, le code postal permet de distinguer le secteur de Shannon et de Courcelette, mais ne permet pas d’identifier les individus ayant résidé dans la zone rouge ou de distinguer les individus ayant habité à l’est ou à l’ouest de la rivière Jacques-Cartier. Il n’est donc pas possible de constituer un échantillon de résidents ayant été exposés au TCE;
- en raison de la petite taille de la population étudiée, une étude à visée étiologique ne posséderait pas la puissance statistique requise pour produire des résultats significatifs;
- l’impossibilité d’obtenir les informations requises : afin de mener une étude étiologique, il est indispensable de tenir compte des facteurs de confusion. Pour ce faire, il faudrait procéder à des entrevues auprès des personnes à l’étude pour recueillir de l’information sur leurs habitudes de vie. Étant donné le temps écoulé, les informations récoltées seraient biaisées et imprécises; par ailleurs, plusieurs des personnes visées sont décédées[472].
[355] En novembre 2015, une nouvelle version du rapport de l’étude d’agrégat est remise au comité-conseil[473]. Une rencontre finale a lieu le 18 décembre 2015. Étaient présents sept membres du comité-conseil, cinq membres de l’équipe de projet et trois représentants de l’INSPQ[474]. Trois documents ont été soumis par le directeur de la DSP en vue des discussions :
- Avis scientifique de l’INSPQ sur la « Proposition d’analyse » du comité-conseil[475];
- les réponses fournies par le directeur aux questions et commentaires formulés par le comité-conseil dans son évaluation de juillet 2015[476];
- la version de novembre 2015 du rapport de l’étude d’incidence[477].
Ces trois documents sont les « trois rapports soumis par la Direction régionale de la Capitale-Nationale » dont il est question dans le dispositif de la décision de la Cour d’appel autorisant la constitution de la preuve nouvelle[478].
[356] À la suite de cette réunion, une rencontre à huis clos du comité-conseil a lieu. Lors de cette rencontre, il en a été convenu que le rapport final du comité-conseil serait celui du président, soit le Dr Band. Cette proposition aurait été adoptée à l’unanimité[479].
[357] Le 4 janvier 2016, le Dr Band dépose un document intitulé Évaluation finale du président du comité-conseil des 3 rapports soumis par la direction régionale de la Capitale-Nationale [Rapport Band janvier 2016][480]. Ce document a été mis à jour le 18 février 2016 pour tenir compte de la nouvelle version du rapport de la DSP, reçue le 29 janvier 2016 [Rapport Band février 2016][481]. Le Dr Band y réitère que la DSP n’a pas suivi les recommandations du comité-conseil et que l’étude ne permet pas de savoir s’il existe un excès de cancer du rein, du foie et de lymphomes non hodgkiniens dans la population exposée, comparativement à la population non exposée. Elle ne répond pas non plus aux préoccupations des citoyens de Shannon, qui ont demandé à la DSP de réaliser une étude sur le lien entre l’exposition au TCE et le risque d’être atteint du cancer[482].
[358] En janvier 2016, le Dr Claude Tremblay réalise une analyse indépendante des données présentées par la DSP dans son rapport préliminaire de novembre 2015. Ce rapport [Rapport Tremblay janvier 2016][483]. est déposé à la Cour accompagné d’une requête pour présenter une preuve nouvelle. Dans deux déclarations sous serment produites les 3 et 5 février 2016, il apporte des précisions sur le contexte de confection de son rapport et défend certains choix méthodologiques[484].
[359] Dans un document daté du 26 février 2016, l’INSPQ fait connaître son avis officiel sur la validité et la pertinence de l’analyse réalisée par le Dr Tremblay[485]. Les experts de l’INSPQ sont formels : les analyses du Dr Tremblay « sont basées sur des prémisses erronées », « renferment plusieurs erreurs méthodologiques » et ses résultats « sont invalides et ne devraient pas être pris en considération par le directeur de santé publique »[486].
[360] Le 26 février 2016, le Dr François Desbiens envoie aux membres du comité-conseil une lettre dans laquelle il indique que, puisque le rapport Band n’a pas fait l’objet d’une consultation auprès de l’ensemble des membres du comité-conseil avant sa transmission, il ne peut le considérer comme l’expression de l’opinion du comité-conseil[487]. Par conséquent, et comme le Dr Band considère son mandat terminé, le Dr Desbiens avise le comité-conseil qu’il a demandé à la Dre Florence Kermarec, une des membres du comité, de préparer une proposition d’avis final tenant compte des commentaires de tous et de l’évaluation du Dr Band.
[361] Dans une lettre datée du 27 février envoyée à ses collègues du comité-conseil, le Dr Band réagit à cette lettre et proteste contre ce qu’il considère être une ingérence du Dr Desbiens dans les activités du comité[488].
[362] L’« évaluation finale » colligée par la Dre Kermarec a été déposée en mars 2016[489]. On y apprend que le comité-conseil était divisé sur la question de savoir si la DSP aurait dû poursuivre ses travaux et la possibilité de réaliser une étude étiologique.
[363] Le 6 avril 2017, le Dr Siemiatycki, expert des intimés, dépose un nouveau rapport dans lequel il commente les travaux réalisés par la DSP et critique l’analyse du Dr Tremblay[490].
[364] La version finale de l’étude de la DSP est finalement publiée en avril 2016[491].
[365] Jusqu’à la réalisation de cette étude, les tentatives précédentes d’établir l’existence d’un excès de cas de cancer chez les citoyens de Shannon ont été menées en analysant le nombre de cas survenus parmi les personnes résidant à Shannon au moment du diagnostic. En raison de la mobilité de la population, il est possible que ces études n’aient pas permis de détecter les effets d’une exposition passée[492].
[366] L’étude réalisée par la DSP visait donc à constituer une cohorte rétrospective regroupant toutes les personnes ayant résidé dans la municipalité de Shannon entre le 1er janvier 1987 et le 28 février 2001, quelle que soit la durée de résidence.
[367] Il s’agit d’une étude d’agrégat[493]. Le principe d’une étude d’agrégat réside dans l’idée qu’un regroupement de cas d’une maladie non infectieuse[494] suggère la possibilité que les personnes atteintes aient été exposées à un facteur de risque commun[495]. Une étude d’agrégat vise à déterminer :
- s’il existe un excès de pathologie dans la population observée;
- si cet excès existe, s’il existe une ou plusieurs causes à ce regroupement de cas autres que le hasard.
[368] Le 1er janvier 1987 correspond à la date la plus éloignée à partir de laquelle les données disponibles permettent d’identifier les personnes ayant résidé dans la municipalité de Shannon. Le 28 février 2001 est la date à laquelle a été fixée, aux fins de l’étude, la fin de l’exposition des citoyens de Shannon à l’eau contaminée. Le jugement de première instance indique que la première phase de raccordements des résidences à l'aqueduc municipal de Shannon a pris fin vers le 19 ou le 20 décembre 2001[496].
[369] Les personnes visées ont été identifiées au moyen du Ficher d’inscription des personnes assurées de la RAMQ (FIPA) et de l’Index des bénéficiaires. Le FIPA contient l’historique des adresses de chaque personne depuis 1997. Avant 1997, lors d’un changement d’adresse, seule l’adresse courante et l’adresse précédente étaient conservées[497].
[370] L’index des bénéficiaires, de son côté, est disponible depuis 1987 et permet d’identifier chaque individu enregistré au moyen de son code postal au 1er juillet de chaque année. Toutefois, l’adresse précise n’est pas conservée. La RAMQ a transmis au DSP un fichier initial comprenant 27 831 individus ayant habité à Shannon entre 1987 et 2013[498]. De ce nombre, 17 397 personnes ont déclaré à la RAMQ une adresse dans la municipalité de Shannon entre le 1er janvier 1987 et le 28 février 2001. Dans cette cohorte, 13 938 personnes ont habité dans le secteur de Courcelette et 4 254 dans le secteur de Shannon[499]. La somme de ces deux nombres n’est pas égale au nombre total d’individus parce que quelques personnes ont résidé dans les deux secteurs.
[371] Pour les enregistrements de 1987 à 1996, la date réelle d’emménagement dans la municipalité se situe au cours des 365 jours précédant le 1er juillet de l’année. La date d’inclusion dans la cohorte a été fixée au 1er janvier de chaque année. Autrement, c’est la date du changement d’adresse qui définit la date d’inclusion dans la cohorte. En résumé, la date d’inclusion correspond à la date précise d’inscription à la RAMQ lorsqu’elle est connue, ou au 1er janvier de l’année dans le cas contraire[500].
[372] Les membres de la cohorte ont été suivis pour la survenance des cancers suivants :
- cancer du cerveau;
- cancer du rein;
- cancer du foie;
- cancer du foie et des voies biliaires intrahépatiques;
- lymphome non hodgkinien;
- tous les autres sièges, excluant les cancers de la peau autres que le mélanome[501].
[373] Le suivi de chaque personne commence à la date d’inclusion dans la cohorte : cela signifie que les cancers enregistrés dans le RQC avant la date d’inclusion dans la cohorte ne sont pas pris en compte. Le suivi se termine lors de la survenance de l’un des cancers à l’étude ou encore lors du décès, de l’émigration hors de la province de Québec, ou à la fin de la période de suivi au 31 décembre 2010. La période de suivi correspond à la période pendant laquelle la personne est à risque de développer un cancer à la suite de son arrivée à Shannon, qu’elle réside à Shannon ou ailleurs au Québec[502].
[374] Le Regroupement des citoyens de Shannon a identifié 639 cas de cancer survenus entre 1956 et 2011. Quatre cent quatre-vingt-neuf cas associés à 414 personnes ont pu être confirmés par leur dossier médical[503]. Pour étudier les 150 cas manquants, le DSP a fait parvenir des questionnaires aux personnes visées. Soixante-deux questionnaires ont été remplis, ce qui a permis d’ajouter 57 individus à la liste de cas de cancer validés[504].
[375] L’étude du Fichier des tumeurs du Québec (FiTQ) a permis d’identifier, pour la période allant de 1984 à 2010, 56 individus supplémentaires qui ont développé un cancer et qui résidaient à Shannon au moment du diagnostic, mais qui ne figuraient ni dans les données du regroupement des citoyens ni dans les questionnaires obtenus.
[376] Les questionnaires et l’étude du FiTQ ont donc permis d’ajouter 113 cas aux 489 cas confirmés, portant le total à 527. Parmi ces 527 cas, 258 personnes ont résidé à Shannon entre le 1er janvier 1987 et le 28 février 2001 et sont donc susceptibles de se retrouver dans la cohorte rétrospective[505].
[377] Or, dans la cohorte, 446 personnes ayant résidé dans la municipalité de Shannon durant la période à l’étude ont eu un diagnostic de cancer enregistré au Registre québécois du cancer. Les données du RQC semblent donc plus exhaustives que celles qui ont été colligées par la DSP et les citoyens de Shannon.
[378] L’objectif de l’étude est de calculer les ratios standardisés d’incidence (RSI) des cancers suivis. On obtient un ratio d’incidence en divisant le nombre de cas observés par le nombre de cas attendus dans la cohorte. Le nombre de cas attendus est établi en fonction d’une population de référence : par exemple, si dans une population de référence, on sait que 2 % des individus vont développer un cancer donné dans une période donnée, on postule que 2 % des individus dans la population à l’étude (ici, la cohorte rétrospective) vont développer ce cancer au cours de cette période (toutes choses étant égales par ailleurs), ce qui donne notre nombre de cas attendus. Sur une population de 100 personnes, un taux d’incidence de 2 % dans la population de référence signifierait un nombre de cas attendus égal à deux dans la période à l’étude. Si trois cas sont ensuite observés, le ratio d’incidence est égal à 3/2.
[379] Par conséquent, les RSI doivent être interprétés de la manière suivante. Un RSI égal à 1 signifie que le nombre de cancers observés est égal au nombre de cancers attendus. Un RSI égal à 2 signifie que le nombre de cas observés est deux fois plus élevé que le nombre attendu. Un RSI de 0,5 signifie qu’il y a deux fois moins de cancers observés que de cancers attendus.
[380] Dans ce cas-ci, deux populations de référence ont été utilisées, soit la province de Québec et la région de la Capitale-Nationale[506].
[381] La standardisation vise à contrôler les variables susceptibles de fausser la comparaison entre la population de référence et la population à l’étude. En effet, les taux bruts d’incidence du cancer à Shannon et dans le reste du Québec ne sont pas directement comparables en raison des différences de distribution selon l’âge et le sexe. Pour comparer les groupes, une méthode de standardisation indirecte a été employée. Elle consiste à multiplier les taux annuels d’incidence de la population de référence par groupe d’âge, par genre et par période de temps par le nombre de personnes-années de la cohorte dans chacune de ces strates[507].
[382] Les RSI ont été calculés pour la cohorte incluant l’ensemble des personnes ayant résidé au moins un jour à Shannon dans la période à l’étude et, en guise d’étude complémentaire, pour les individus ayant résidé au moins trois ans dans la municipalité, cette durée représentant un compromis entre une durée conséquente d’exposition au TCE et un nombre conséquent de personnes dans la cohorte[508].
[383] Les RSI ont aussi été calculés pour l’ensemble de la municipalité et pour chacun des secteurs de la municipalité (Courcelette et Shannon), identifiés au moyen du code postal. Les RSI ont également été calculés par groupe d’âge et par période de quatre ans[509].
[384] Les RSI calculés indiquent que l’incidence du cancer du cerveau observée dans la municipalité de Shannon n’est pas supérieure à l’incidence attendue; par conséquent, les étapes subséquentes de l’étude d’agrégat deviennent non pertinentes[510]. Un excès significatif de cas de cancer du foie et des voies biliaires a été observé pour le secteur de Shannon. À ce sujet la DSP écrit :
[…] les informations disponibles pour chacun des 6 cas de cancer du foie (carcinome hépatocellulaire) et des 2 cas de cancer des voies biliaires survenus chez les personnes ayant résidé dans le secteur de Shannon montrent qu’un seul cas (voies biliaires) a habité une résidence où du TCE a été détecté dans le puits à un niveau relativement élevé après décembre 2000 (200 - 500 µg/l). Il n’a pas été possible de localiser un des cas de cancer du foie (seul le code postal étant disponible); nous savons toutefois qu’il a habité une seule année dans le secteur de Shannon, avant 1997. Les six cas restants ont habité une résidence où la présence de TCE n’a pas été détectée dans l’eau du puits résidentiel, sinon à une concentration largement inférieure à 5 µg/l.[511]
[385] Selon le rapport, pour déterminer si une exposition environnementale est en cause, « il faudrait mener une étude qui tienne compte de l’exposition individuelle passée ainsi que d’autres facteurs de risque de cancer du foie. Il apparaît toutefois impossible d’obtenir des données précises sur l’exposition passée des citoyens, notamment en ce qui concerne le TCE »[512] parce que, d’une part, l’information sur la contamination des puits résidentiels avant 2000 n’est pas disponible et il existe encore de l’incertitude quant au moment de l’arrivée du panache de contamination.
[386] Selon le Dr Tremblay, le travail amorcé en 2012 par la DSP en vue de la production de l’étude d’incidence visait deux objectifs :
- évaluer si le nombre de cas de cancers observés dans la population de Shannon est supérieur au nombre attendu selon les taux québécois (ratios standardisés d’incidence ou RSI);
- évaluer s’il existe une différence de l’incidence du cancer selon le lieu d’habitation (secteur de Courcelette ou de Shannon) et la durée d’exposition, ce qui constitue une analyse du risque relatif (RR)[513].
[387] À son avis, le rapport de la DSP n’aborde aucunement le second objectif; bien que les données nécessaires pour réaliser une analyse de risque soient disponibles dans le rapport, elles sont ignorées dans l’analyse[514].
[388] Le rapport du Dr Tremblay vise donc à combler cette lacune. Il consiste en une analyse de risque fondée sur les données recueillies par la DSP et présentées dans l’étude d’incidence[515]. Il est à noter qu’au moment où il prépare son rapport, le Dr Tremblay travaille avec la version préliminaire du rapport de novembre 2015.
[389] Le Dr Tremblay s’intéresse aux trois cancers dont l’association avec le TCE a été reconnue par la littérature scientifique, soit le cancer du rein, le cancer du foie et le lymphome non hodgkinien. Selon lui, le calcul du risque relatif indique que les habitants du secteur Shannon ont 3,49 fois plus de chances de développer l’un de ces cancers que les habitants du secteur de Courcelette, soit une augmentation de 249 %.
[390] Afin de comprendre le raisonnement du Dr Tremblay, il faut différencier le ratio standardisé d’incidence et le taux d’incidence. Le ratio standardisé d’incidence, qui correspond au ratio entre le nombre de cas observés et le nombre de cas attendus selon une population de référence, permet d’évaluer s’il existe un surplus de cas dans la population cible. Il s’agit d’un indicateur qui signale l’existence d’une situation anormale[516]. Si le RSI est égal à 1, cela signifie qu’il n’y a pas de différence entre la population cible et la population de référence; s’il est égal à 1,10, cela équivaut à une augmentation de 10 % des cas observés.
[391] Le taux d’incidence, quant à lui, indique la probabilité, pour une personne dans une population donnée, de contracter une maladie donnée pendant une période donnée. Il correspond au nombre de cas observés de cette maladie pendant cette période, divisé par le nombre d’individus composant cette population. Une analyse de risque consiste à comparer le taux d’incidence dans une population exposée à un facteur de risque et une population non exposée. Elle permet d’évaluer l’association entre le facteur de risque et le risque de développer une maladie. Selon le Dr Tremblay, la causalité en épidémiologie est « nécessairement abordée à la lumière des résultats de l’analyse de risque »[517].
[392] L’analyse de risque du Dr Tremblay se fonde sur la comparaison entre les taux d’incidence dans le secteur de Courcelette et le secteur de Shannon. Le Dr Tremblay part de l’hypothèse que le secteur de Courcelette a été « moyennement exposé au TCE » alors que le triangle rouge, la zone la plus exposée, se situe dans le secteur de Shannon[518].
[393] Il s’agit donc de comparer les taux d’incidence des deux groupes composés des personnes ayant habité l’un ou l’autre des secteurs entre le 1er janvier 1987 et le 28 février 2001, selon les données récoltées par la DSP.
[394] Le Dr Tremblay explique qu’il y a deux façons de mesurer le taux d’incidence : l’incidence cumulative et la densité d’incidence. L’incidence cumulative correspond au nombre de cas observés divisé par le nombre de personnes dans la population étudiée (population à risque) pendant une période donnée. La densité d’incidence se calcule plutôt en divisant le nombre de cas observés par le nombre de personnes-années, soit le nombre de personnes multiplié par le nombre d’années de leur présence dans la population. L’emploi de « personnes-années » est utile lorsque la population varie dans le temps et que la durée d’inclusion dans cette population n’est pas la même pour chaque individu.
[395] Un exemple concret. Sur une population de 1 000 personnes, si 14 personnes contractent une maladie donnée sur une période de deux ans, l’incidence cumulative est égale à 14/1 000 (0,014) sur deux ans. La densité d’incidence, quant à elle, est égale à 7/1 000 personnes-années, puisqu’il faut considérer que chaque personne dans la population contribue pour deux « personnes-années », ce qui donne une densité d’incidence de 14/2 000 personnes-années, soit 7/1 000.
[396] Le calcul de la densité d’incidence repose sur le postulat que le taux d’incidence reste constant dans le temps. Autrement dit, si on a une densité d’incidence de 7/1 000 personnes-années, on s’attend à ce que 14 personnes sur 1 000 contractent la maladie en 2 ans, ou encore 7 personnes sur 50 en 20 ans.
[397] Le Dr Tremblay soutient toutefois que lorsque les périodes d’observation sont relativement courtes, comme c’est le cas ici, les deux méthodes sont équivalentes et les résultats devraient être comparables[519].
[398] Le calcul du risque relatif consiste à diviser le taux d’incidence dans le groupe exposé par le taux d’incidence dans le groupe non exposé. Il permet de déterminer, en pourcentage, à quel point le groupe exposé est plus à risque de contracter la maladie étudiée par rapport à l’autre groupe. Si le risque relatif est égal à 1, cela signifie qu’il n’y a pas de différence de risque :
RR = |
Taux d’incidence du groupe exposé |
|
|
Taux d’incidence du groupe non exposé |
|
[399] Quant au risque attribuable, il correspond à la différence entre le taux d’incidence du groupe exposé et le taux d’incidence du groupe non exposé. Le concept de risque attribuable repose sur l’idée que si les deux groupes comparés ne diffèrent que par l’exposition à un facteur de risque, la différence de risque sera « attribuable » à ce facteur. Le risque attribuable peut également être exprimé en pourcentage de l’incidence[520] selon la forme suivante :
RA % = |
RA |
x 100 |
|
Incidence du groupe exposé |
|
[400] Essentiellement, un risque attribuable de 5 % signifie que 5 % du taux d’incidence est attribuable au facteur qui distingue le groupe exposé au groupe non exposé.
[401] La conclusion du Dr Tremblay est la suivante : l’étude des membres de la cohorte ayant résidé plus de trois ans à Shannon pendant la période de suivi montre que la population du secteur de Shannon a un risque de 3,49 fois supérieur à celui de la population de Courcelette de développer l’un des trois cancers désignés par l’IARC comme liés à l’exposition au TCE (rein, foie et LNH)[521].
[402] Quant au risque attribuable, le Dr Tremblay l’évalue à 64 %[522].
[403] Le Dr Siemiatycki ne mâche pas ses mots pour critiquer la méthodologie du Dr Tremblay. Selon lui, « there is considerable confusion and obfuscation in Tremblay’s report about some epidemiologic concepts »[523]. Il s’en prend particulièrement aux aspects suivants.
[404] L’hypothèse selon laquelle la population du secteur de Shannon constitue le groupe exposé et la population du secteur de Courcelette, le groupe non exposé[524] est imprécise et ne s’appuie sur aucune documentation. Le fait que la zone rouge se trouve principalement dans le secteur de Shannon ne signifie pas que tous les habitants du secteur ont été exposés au TCE, et qu’aucun habitant du secteur de Courcelette n’y a été exposé.
[405] L’affirmation selon laquelle le calcul de la densité d’incidence et celui de l’incidence cumulative sont comparables[525] suggère qu’il est possible d’ignorer sans risque la variabilité de la période de suivi des membres de la cohorte. Au contraire, la variabilité est considérable (de 0 à 24 ans, avec une médiane de 15,8 ans et 26,5 % de la cohorte ayant été suivie moins de 10 ans)[526]. Par conséquent, le Tableau 1 du rapport Tremblay, qui utilise la densité d’incidence, serait plus fiable que les Tableaux 2 et Tableau 3, s’il avait été capable de calculer les intervalles de confiance; or, ces intervalles ne figurent pas dans le Tableau 1[527].
[406] Plus grave encore, le Dr Tremblay ignore le fait que la durée de suivi varie considérablement entre les secteurs de Shannon et Courcelette. La proportion des membres de la cohorte ayant été suivie moins de dix ans est de 28,9 % à Courcelette et 15,4 % à Shannon, une différence suffisamment large pour qu’il soit déraisonnable de comparer l’incidence cumulative dans ces deux secteurs.
[407] Selon le Dr Siemiatycki, l’erreur fatale commise par le Dr Tremblay, c’est qu’il ne tient pas compte des différences démographiques entre les secteurs de Shannon et de Courcelette[528]. Ajuster les résultats pour tenir compte des différences de distribution du sexe et de l’âge entre les populations est l’une des étapes les plus importantes de toute étude épidémiologique : en l’absence de données sur ces différences, il ne faut pas tenir pour acquis qu’elles n’existent pas. Or, dans ce cas-ci, les données récoltées par la DSP révèlent des différences significatives. La population du secteur de Shannon est beaucoup plus âgée que celle de Courcelette : par exemple, 30 % des sujets étaient âgés de plus de 45 ans dans le secteur de Courcelette à la fin de la période de suivi, comparativement à 45 % pour le secteur de Shannon[529]. En pratique, cela signifie qu’une faible proportion des personnes-années dans le secteur de Courcelette provenait de gens ayant atteint l’âge où les cancers étudiés se manifestent le plus souvent : les trois cancers liés au TCE (rein, foie, LNH) se manifestent rarement avant 45 ans et les taux d’incidence augmentent rapidement après 60 ans. Ce biais rend les calculs du Dr Tremblay « complètement inutiles » : il est tout à fait prévisible que la population de Courcelette, qui compte plus de jeunes adultes et d’enfants, présente des taux d’incidence inférieurs quant aux maladies qui touchent principalement les personnes âgées.
[408] Le même raisonnement s’applique au sexe : bien que les différences dans la répartition des sexes ne soient pas aussi grandes, elles sont tout de même significatives, car les hommes présentent des taux d’incidence beaucoup plus élevés que les femmes.
[409] Dans sa déclaration sous serment faite en février 2016[530], le Dr Tremblay soutient que le fait de ne pas tenir compte des différences d’âge n’a pas d’importance, car tous les cas de cancer, dans les deux secteurs, concernaient des gens âgés de plus de 50 ans. Selon le Dr Siemiatycki, la question n’est pas de savoir si la distribution de l’âge des cas de cancer (le numérateur) est la même dans les deux secteurs, mais si la répartition selon l’âge des deux populations (au dénominateur) est la même. Le dénominateur du taux d’incidence dans les deux secteurs inclut des personnes qui ne sont pas susceptibles de souffrir du cancer, et le secteur de Courcelette en compte beaucoup plus, créant ainsi l’illusion d’un taux d’incidence moins élevé[531].
[410] Le Dr Siemiatycki souligne que le nombre de cas observés est si petit que le Dr Tremblay ne parvient à aucun résultat statistiquement significatif, hormis en ce qui a trait à l’excès de cancer du foie déjà signalé par la DSP et en regroupant les cancers entre eux. Notamment, les intervalles de confiance très larges qui figurent dans le Tableau 3 du Rapport Tremblay janvier 2016[532] indiquent que les résultats obtenus sont compatibles avec l’hypothèse d’un effet protecteur associé au fait de vivre dans le secteur de Shannon. Autrement dit, ces résultats ne seraient pas surprenants même si les habitants du secteur de Shannon étaient moins à risque de développer un cancer que la population du secteur de Courcelette. Même si les résultats n’étaient pas biaisés par les différences démographiques, ils ne démontreraient pas de façon concluante l’existence d’un excès de risque lié au fait d’habiter dans le secteur de Shannon.
[411] Bien qu’il soit impossible d’identifier et de contrôler tous les possibles facteurs de confusion, il est inacceptable d’ignorer ce problème comme le fait le Dr Tremblay. Toute différence d’incidence entre les populations étudiées pourrait être due à d’autres facteurs de risque, tels que la consommation de tabac ou d’alcool, et cette possibilité aurait dû être mentionnée[533].
[412] Finalement, les risques relatifs rapportés par le Dr Tremblay, avec un risque relatif combiné de 3,49, sont invraisemblables compte tenu des connaissances actuelles sur l’exposition au TCE :
In the experience of thousands of workers exposed to TCE in different countries at much higher levels than the exposure levels among residents in Shannon, there has never been a demonstration of a general increase in all types of cancers. No respected authority concludes that there is a general cancer risk among such heavily exposed workers. If no excess risks have been detected for the entire set of cancers among workers exposed to high levels and long duration of exposure to TCE, it is inconceivable that residents of Shannon, experiencing much less exposure, or perhaps no exposure, would be subjected to much higher risks than all other populations.[534]
[413] Il convient de souligner que ces critiques coïncident presque parfaitement avec les commentaires exprimés par les experts de l’INSPQ dans leur avis sur le rapport Tremblay[535].
[414] À lire les témoignages contenus dans la preuve nouvelle, on pourrait croire que le présent litige porte davantage sur la mésentente survenue entre le comité-conseil et le directeur de santé publique lors de la réalisation de l’étude d’agrégat. Les experts dissèquent par le menu détail tous les documents rassemblés afin de déterminer si la DSP a respecté son mandat, si le directeur s’est ingéré dans les affaires du comité-conseil, si une étude étiologique était possible, etc.
[415] En soi, cette controverse n’est pas pertinente ici. Le présent litige n’oppose pas le comité-conseil au Dr Desbiens. La question dont la Cour est saisie ne consiste pas à déterminer si la DSP aurait pu, ou dû, réaliser une étude à visée étiologique. Cela ne change rien au fait qu’elle n’a pas été, dans les faits, réalisée. La Cour ne peut se prononcer en fonction des résultats hypothétiques d’une étude qui n’a pas été faite. Elle doit plutôt se concentrer sur les documents qui se trouvent dans le dossier.
[416] L’appelante soutient que la preuve nouvelle satisfait aux conditions de recevabilité énoncées à l’article 380 du Code de procédure civile. La décision du juge de première instance s’appuyait notamment sur le fait que le dossier ne comportait pas de « véritable preuve épidémiologique qui démontre le caractère anormal de la situation de la population de la municipalité de Shannon »[536]. L’appelante soutient que la preuve nouvelle, notamment l’expertise du Dr Tremblay, est en lien direct avec l’objet du litige et qu’elle entraîne nécessairement des conclusions différentes de celles du juge de première instance.
[417] Selon l’appelante, les données collectées par la DSP permettent de tirer des conclusions probantes quant au lien de causalité entre l’exposition au TCE et un excès de cas de cancer chez la population exposée. Elle rappelle que l’exposition au TCE peut contribuer à l’apparition du cancer à plusieurs sites. Elle cite à ce sujet de longs extraits de la preuve nouvelle, notamment quant au fait que le TCE est un cancérigène génotoxique.
[418] Répondant ensuite aux critiques formulées envers le Dr Tremblay, elle soutient que le fait de ne pas tenir compte des différences démographiques entre les deux sous-secteurs de la municipalité n’invalide pas les résultats obtenus, car ces différences ne sont pas des facteurs de confusion à proprement parler. Elle rajoute que même s’il existait des facteurs de confusion, aucune preuve de leur impact sur les résultats du Dr Tremblay n’a été faite par l’intimé.
[419] L’intimé s’oppose à la production de la preuve. Il souligne que l’analyse de l’admissibilité de la preuve nouvelle doit notamment tenir compte de sa force probante, car la preuve doit être de nature à changer le résultat du procès. Selon lui, le rapport de la DSP et le témoignage de son directeur, le Dr Desbiens, n’auraient pas influé sur le résultat en première instance, étant donné que l’étude n’a pas révélé l’existence d’un excès de cancer à Shannon. La DSP a par ailleurs jugé qu’il n’était pas possible d’établir l’existence d’un lien entre l’exposition au TCE et le risque d’être atteint du cancer. Quant à l’expertise du Dr Tremblay, elle est viciée par des erreurs méthodologiques qui anéantissent sa force probante. Son postulat quant au degré d’exposition relatif des secteurs de Shannon et de Courcelette n’est pas appuyé par la preuve. De plus, le fait de ne pas avoir ajusté les résultats pour tenir compte de la distribution différente de l’âge dans les deux secteurs est une erreur fatale.
[420] Qu’en est-il?
[421] Les résultats de l’étude réalisée par la DSP en 2016, notamment ceux que présente le Tableau 5[537], constituent certaines des données épidémiologiques les plus importantes de toute la preuve. Ils confirment les travaux scientifiques réalisés antérieurement, selon lesquels le nombre de cancers à Shannon n’est pas anormal si on le compare au reste de la population du Québec. Elle a permis de constater l’existence d’un excès de cancer du foie dans la cohorte constituée des gens ayant habité le secteur de Shannon (6 cas contre 1,8 attendus, pour un ratio d’incidence de 3,27, l’intervalle de confiance à 95 % allant de 1,20 à 7,12)[538].
[422] Au sujet de cet excès de cancer, la DSP écrit :
[…] les informations disponibles pour chacun des 6 cas de cancer du foie (carcinome hépatocellulaire) et des 2 cas de cancer des voies biliaires survenus chez les personnes ayant résidé dans le secteur de Shannon montrent qu’un seul cas (voies biliaires) a habité une résidence où du TCE a été détecté dans le puits à un niveau relativement élevé après décembre 2000 (200 - 500 µg/l). Il n’a pas été possible de localiser un des cas de cancer du foie (seul le code postal étant disponible); nous savons toutefois qu’il a habité une seule année dans le secteur de Shannon, avant 1997. Les six cas restants ont habité une résidence où la présence de TCE n’a pas été détectée dans l’eau du puits résidentiel, sinon à une concentration largement inférieure à 5 µg/l.[539]
[423] Dans la lettre envoyée par le Dr Henri Prud’homme au maire Kiley en 2007, il écrivait :
L’examen des dossiers médicaux nous a permis de constater que deux cas de cancer du foie et un cas de myélomes multiples présentaient un facteur de risque reconnu selon la littérature scientifique, autre que l’exposition au TCE, pour expliquer la maladie.[540]
[424] Le Dr Tremblay soutient que les données recueillies par la DSP permettent de détecter une augmentation de 249 % du risque de cancer dans le secteur de la municipalité exposé au TCE. Il s’agit d’une conclusion surprenante. Bien que la DSP n’ait pas comparé directement les deux secteurs de la municipalité, elle a calculé les ratios d’incidence pour chacun d’entre eux comparativement à la population du Québec. Si on accepte l’hypothèse du Dr Tremblay selon qui le secteur de Courcelette n’a pas été exposé au TCE, il n’y a pas de raison de s’attendre, a priori, à ce que le secteur de Courcelette présente des taux d’incidence différents que ceux de la province en général. Il s’agit, dans les deux cas, de populations de référence non exposées.
[425] Où donc apparaît cette augmentation de 249 % du risque dans les résultats de la DSP? Par rapport à l’incidence générale du cancer au Québec, Courcelette montre un risque légèrement inférieur (RSI = 0,91), ce qui n’a rien de statistiquement significatif. Quant au secteur de Shannon, le RSI de 1,10 pour tous les sièges de cancer indique une augmentation de 10 % par rapport à l’ensemble du Québec. On peut se demander comment les mêmes chiffres, utilisés pour effectuer une comparaison directe entre Shannon et Courcelette, pourraient faire apparaître une augmentation de risque de 249 % entre ces deux secteurs.
[426] Il faut également remarquer que l’analyse spatio-temporelle réalisée par l’INSPQ en 2011 présentait des ratios standardisés d’incidence pour chacune des aires de diffusion de la municipalité, et qu’aucun excès de cancer significatif n’a été détecté dans l’aire de diffusion qui recouvre le secteur le plus contaminé (soit l’aire de diffusion 24220023[541]). Il faut se demander pourquoi la nette augmentation du risque dans le secteur contaminé détectée par le Dr Tremblay n’est apparue nulle part ailleurs dans les travaux scientifiques antérieurs.
[427] En réalité, le fait que le Dr Tremblay n’a pas ajusté les résultats selon l’âge constitue une explication suffisante. L’appelante est incapable de minimiser les impacts de cette erreur. Dans son témoignage lors des audiences sur la preuve nouvelle, le Dr Tremblay donne une explication succincte du concept de facteur de confusion qui, de l’avis de la Cour, est inexacte. Lorsqu’on lui demande si l’âge est un facteur de confusion, il répond :
R. O.K. Alors, est-ce que l'âge est en lien avec le fait que vous allez boire de l'eau contaminée? C'est ça la relation qu'il faut regarder. Alors, c'est ça un facteur confondant. Est-ce que l'âge est en lien avec la maladie puis est-ce que l'âge est en lien avec le fait que vous buvez de l'eau? Monsieur le juge, qu'on ait 10 ans, 30 ans ou 40 ans ou 50 ans ou 60 ans, on boit de l'eau, et le contexte étant, si l'eau est contaminée, on boira de l'eau contaminée, peu importe la structure... notre âge, O.K.? Alors, dans le contexte premier, si on regarde ça de façon intuitive, ce n'est pas un facteur confondant.
[…]
R. Est-ce que l'âge est un facteur confondant? Est-ce que l'âge est en lien directement, encore une fois, avec le fait d'être malade? Mais en même temps il faut qu'il y ait la double association, avec la maladie, avec l'exposition également. Est-ce que le fait d'avoir un âge particulier fait en sorte que vous aurez accès à de l'eau contaminée, par exemple? Alors, il vient perturber la relation entre l'exposition et la maladie.[542]
[428] Cette explication n’est pas convaincante. Un facteur de confusion est un facteur qui, étant associé de façon indépendante avec l’exposition et l’effet, risque de causer une distorsion de l’effet mesuré[543]. La question ne consiste pas à savoir si l’âge est en lien avec le fait de boire plus d’eau, mais d’être exposé au TCE ou à davantage de TCE. L’analyse de risque repose sur l’idée que certains membres de la population à l’étude ont été exposés au TCE, et d’autres non. Quelle que soit la variable employée pour mesurer l’exposition, il était indispensable de vérifier si cette variable d’exposition était corrélée avec l’âge du groupe étudié, car une telle corrélation aurait causé de la confusion dans l’effet mesuré de l’exposition.
[429] Or, le Dr Tremblay ne s’intéresse pas à la consommation d’eau : il s’intéresse au lieu d’habitation, en présumant que les résidents du secteur de Shannon ont été exposés au TCE, et que ceux du secteur de Courcelette ne l’ont pas été. La population de Shannon est plus âgée que celle de Courcelette. Il y a donc une association entre la variable d’exposition (le lieu d’habitation) et l’âge, de même qu’il y a un lien entre le risque de cancer et l’âge. L’âge est définitivement un facteur de confusion.
[430] Dans sa déclaration sous serment du 5 février 2016, le Dr Tremblay écrit :
18. À partir des dossiers médicaux du Regroupement des citoyens de Shannon (RCS), nous avons pu vérifier la structure d’âge au diagnostic pour le cancer du rein (14 cas identifiés), le cancer du foie (5 cas identifiés) et le lymphome non hodgkinien (11 cas identifiés).
19. Il est reconnu que le risque de développer le cancer augmente de façon importante après 50 ans. Ainsi, en dichotomisant en fonction de cet âge (< 50 ans, ≥ 50 ans), on constate que tous les cas de cancers (rein, foie, LNH) se retrouvent dans le même groupe d’âge, tant dans le secteur de Courcelette que dans le secteur Shannon.
20. Puisque les personnes atteintes de l’un ou l’autre cancer ont à peu près le même âge au diagnostic, ils ont nécessairement la même probabilité de faire un cancer, tant dans le secteur de Courcelette que dans le secteur Shannon. Ainsi, les résultats observés ne sont aucunement modifiés par l’âge […].[544]
[431] Selon le Dr Siemiatycki, ce n’est pas l’âge des personnes atteintes de cancer qui est pertinent : ce qui est important, c’est la distribution par âge de la population sous-jacente. Supposons que tous les cancers surviennent au même âge, disons 50 ans. Dans une population qui compte davantage de personnes âgées, on s’attend à observer davantage de cas de cancer, puisqu’il y a plus de personnes âgées de 50 ans et plus.
[432] Le Dr Siemiatycki écrivait en 2017 :
In a Déclaration sous serment dated 5 fev 2016, Claude Tremblay attempts to address the criticism that he did not take into account the demographic differences between the two secteurs. On the one hand he explains that he did not have access to such data, which is partly correct. On the other hand he argues that it does not matter because all the cases in both secteurs were over 50 years of age. That is a unscientific and untenable argument. The important point is not whether the age distribution of cases (ie.e. the numerator) is the same in the two secteurs; the important point is whether or not the age distribution of the populations in the denominators is the same. And we know, as I showed above from the data in tableau 3 of the DSP 2016 report, that the population of secteur Shannon (the denominator for Tremblay's so-called incidence rate) was older than the population of secteur Courcelette. Thus, Tremblay has artificially inflated the denominators of the two secteurs by including irrelevant numbers of people who are not in the age group that gets cancer, and he has inflated more in secteur Courcelette than in secteur Shannon, thereby creating the illusion of lower incidence rates" in secteur Courcelette.[545]
[Soulignements dans l’original]
[433] Dans son témoignage, il ajoutait :
Pour moi, c'est encore un argument pourquoi il ne faut pas gonfler le dénominateur des deux régions, y compris Courcelette et Shannon, avec des personnes et des personnes-années où le cancer n'arrive pas, et ce gonflage avec les jeunes était beaucoup plus important à Courcelette qu'à Shannon, et donc le résultat que les taux présumés étaient plus élevés à Shannon qu'à Courcelette. On augmente le dénominateur artificiellement, bien sûr le taux va diminuer. Donc, le taux diminue à Courcelette parce qu'il y a plus d'enfants et plus de jeunes personnes dedans.[546]
[434] En principe, pour être admissible, la preuve nouvelle doit être susceptible d’entraîner un jugement différent[547]. Dans G.M. c. R., le juge en chef Robert écrivait : « Quant à la plausibilité de la nouvelle preuve, il suffit qu’il soit démontré que la déposition possède une vraisemblance suffisante pour que le juge du fond puisse raisonnablement y ajouter foi »[548].
[435] L’analyse du Dr Tremblay ne satisfait pas à ces critères. En raison de sa faible valeur probante, la Cour ne peut lui prêter foi et constate qu’elle n’aurait aucun impact sur le sort du dossier.
[436] Quant au rapport Band, cette preuve porte principalement sur le désaccord scientifique survenu entre le comité-conseil et le Dr Desbiens, qui ne fait pas l’objet du présent litige. Le Dr Band y soutient qu’une autre étude aurait dû être réalisée, mais les préoccupations qu’il exprime ne remettent pas en question l’état des connaissances scientifiques sur la santé de la population de Shannon et ne permettent pas de conclure que les résultats d’une telle étude, si elle était réalisée, appuieraient les prétentions de l’appelante. Cette preuve n’est donc pas pertinente.
[437] La Cour estime que les documents ayant la plus grande valeur probante, soit le rapport de la DSP, les analyses de l’INSPQ et le rapport d’expert du Dr Siemiatycki, ne remettent pas en doute les conclusions du juge de première instance. La preuve nouvelle n’est donc pas susceptible d’entraîner un jugement différent et ne satisfait pas aux conditions énoncées par l’article 380 C.p.c.
[438] L’appelante remarque que le juge omet complètement de se prononcer sur la faute. En limitant son analyse à la question des troubles de voisinage, qui ne donnent ouverture qu’à la réparation des inconvénients anormaux, le juge aurait ignoré plusieurs formes de préjudices pour lesquels les résidents de Shannon avaient le droit d’être indemnisés.
[439] L’appelante soutient également que les intimés auraient également engagé leur responsabilité en vertu des articles 1465 et 1467 du Code civil du Québec, qui prévoient l’obligation de réparer le préjudice causé par le fait autonome d’un bien ou par la ruine d’un immeuble. Elle reproche aux intimés, non seulement d’avoir déversé du TCE dans la nappe phréatique et d’avoir fait défaut d’entretenir leurs immeubles correctement, mais aussi d’avoir omis d’aviser les citoyens de Shannon de l’existence d’une contamination en temps opportun.
[440] Le procureur général du Canada soutient que le juge n’avait pas besoin de se prononcer sur la faute. En l’absence d’un lien causal entre la faute et les dommages allégués par l’appelante, l’action collective était vouée à l’échec. Selon les intimées corporatives, au contraire, il ressort du jugement que le juge a tout simplement conclu à l’absence d’une faute, après avoir soigneusement analysé une preuve fort volumineuse.
[441] Les intimées corporatives soutiennent de plus que même si le juge avait conclu à la responsabilité sous le régime des articles 1457, 1465 ou 1467 C.c.Q., les dommages accordés n’auraient pas été différents de ceux qu’il a octroyés en réparation du trouble de voisinage, puisqu’il a refusé de conclure que la présence de TCE dans la nappe phréatique a causé un nombre anormal de problèmes de santé. Bref, le résultat aurait été le même.
[582] La preuve démontre donc, du moins en ce qui concerne l'usine de fabrication de munitions, qu'on aurait utilisé du TCE en grande quantité et qu'une fois usé, on en disposait en le déversant sur le sol.
[583] On peut dès lors s'interroger à savoir si ce comportement constitue une faute, c'est-à-dire s'il enfreint «les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi», s'imposaient alors.
[584] Par ailleurs, la preuve démontre aussi que des anciens et actuels résidants de la municipalité de Shannon ont été atteints de cancers, de maladies ou autres malaises, c'est d'ailleurs admis.
[585] À ce moment-ci, la question n'est pas tant de savoir si le fait d'avoir déversé sur le sol du TCE constitue ou non une faute. Mais, la question est davantage de déterminer si la preuve démontre un lien de causalité entre la présence du TCE dans la nappe phréatique et, selon ce que prétend Mme Spieser, le nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises parmi la population de Shannon.
[443] À la fin de cette section, au moment d’expliquer pourquoi il rejette les prétentions de l’appelante quant à la présence de problèmes de santé anormaux dans la population de Shannon, il écrit :
[688] La faute serait le déversement de TCE sur le sol et la contamination qui en a résulté de la nappe phréatique et des puits d'alimentation en eau potable. Le préjudice serait le nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises parmi le population de la municipalité de Shannon. Enfin, on devrait démontrer un lien de causalité entre la contamination des puits et le nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises.
[689] Même si l'on considère que le fait d'avoir déversé du TCE sur le sol, contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable, puisse constituer une faute, d'autres questions demeurent:
- La preuve démontre-t-elle qu'il y a un nombre anormalement élevé de cas de cancers, maladies et autres malaises parmi la population de la municipalité de Shannon?
- Si tel est le cas, la preuve démontre-t-elle que cette situation est causée par la présence du TCE dans la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable?
[Transcription textuelle]
[444] Ayant conclu que l’appelante n'a pas démontré que le déversement de TCE ait causé un nombre anormal de cas de cancer, le juge s’attaque à la question des dommages punitifs. Il rappelle au lecteur qu’une partie ne peut obtenir de dommages punitifs à moins de démontrer avoir été victime d’une atteinte illicite et intentionnelle à un droit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. Il écrit :
[710] Également à ce chapitre, même si l'on considérait que le fait d'avoir déversé du TCE sur le sol, contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable, puisse constituer une atteinte illicite au «droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens», cette atteinte illicite, dans les circonstances que la preuve démontre, n'est certainement pas intentionnelle au sens du second alinéa de l'article 49 de la Charte.
[711] En effet, même si l'on qualifie le comportement des préposés des défendeurs «d'insouciant», la preuve ne démontre pas que les défendeurs et leurs préposés ont agi dans «un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences (de leur conduite fautive) ou encore (qu'ils ont agi) en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probable, que cette conduite engendrera».
[Transcription textuelle]
[445] Avec égards pour le juge de première instance, la Cour estime qu’il a commis une erreur de méthode. Ses motifs, tels que rédigés, ne permettent pas de tirer une conclusion sur le caractère fautif ou non fautif du comportement des intimés. Son analyse de la preuve historique, brièvement survolée au début de jugement, n’est pas non plus suffisante pour déterminer si les citoyens de Shannon ont été victimes d’une atteinte illicite à leurs droits.
[446] La structure du jugement et les passages cités ci-dessus suggèrent que le juge a estimé que son analyse du lien de causalité entre les déversements de TCE et les cancers survenus à Shannon, ainsi que sa conclusion quant à l’existence d’un trouble de voisinage, le dispensaient de se prononcer sur l’existence d’une faute. La Cour est d’avis que cette approche a faussé l’analyse de la responsabilité des intimés.
[447] L'appelante insiste sur l'analyse de la faute et de la responsabilité en vertu des articles 1457, 1465 et 1467 du Code civil du Québec. Elle reproche également au juge de ne pas avoir convenablement analysé la preuve du préjudice, et d'avoir « regroupé différents types de préjudices sous un poste général de trouble de voisinage, privant ainsi les plaignants de la compensation qui aurait dû découler de cet exercice ». Ces deux arguments sont distincts. Existe-t-il un désaccord déterminant sur la source de la responsabilité, et non un simple désaccord sur l'évaluation du préjudice que les intimés devaient de toute façon réparer en tant qu’inconvénient anormal résultant du trouble de voisinage? Peut-on soutenir, comme l’a fait le procureur général du Canada à l’audience, que c’est du pareil au même (« it’s a wash »)?
[448] La Cour est d’avis qu’il existe un tel désaccord et que le juge ne pouvait tenir pour acquis que sa conclusion quant au trouble de voisinage suffisait pour assurer à l’appelante l’indemnisation du préjudice qu’elle prétendait avoir subi. Il est vrai qu’en présence d’un trouble de voisinage selon l’article 976 C.c.Q., l’inconvénient anormal dont une partie peut exiger réparation peut coïncider, en partie, avec les dommages auxquels elle aurait droit si elle parvenait à prouver la faute du défendeur. Cependant, ces deux recours sont autonomes, et les dommages-intérêts auxquels ils donnent droit, bien qu’ils puissent parfois se recouper, ne sont pas identiques[549].
[449] La partie qui invoque l’article 976 C.c.Q. n’a pas à établir la commission d’une faute ou d’un abus de droit, mais seulement le caractère anormal des inconvénients que lui cause son voisin. Dans ces conditions, le préjudice dont elle peut exiger réparation est limité par la notion d’ « inconvénient anormal » et par la tolérance que se doivent les voisins.
[450] En revanche, une partie qui invoque avec succès l’article 1457 a droit à la réparation du préjudice intégral qui constitue une suite directe et immédiate de la faute, sans se limiter aux seuls « inconvénients anormaux ». Ces deux notions ne coïncident pas. Dans Ciment St-Laurent, la Cour suprême clarifiait ainsi l’interaction entre les deux régimes de responsabilité :
[31] La constatation d’inconvénients anormaux ne suffira donc pas pour établir la commission d’une faute dans l’exercice d’un droit. Cependant, si un propriétaire commet une faute, il pourra être tenu responsable des dommages causés, même s’ils n’atteignent pas le niveau des inconvénients anormaux. L’article 976 C.c.Q. ne lui garantira pas l’immunité contre les conséquences d’une faute civile. Selon les professeurs G. Viney et P. Jourdain, si l’on acceptait une telle immunité, « elle ferait du trouble du voisinage une sorte de fait justificatif de responsabilité de portée absolue jouant même en cas de faute prouvée et encouragerait les pollueurs à ne pas respecter les réglementations dans l’espoir que les nuisances qu’ils causent seront jugées supportables » (Traité de droit civil — Les conditions de la responsabilité (2e éd. 1998), p. 1086). Si l’article 976 C.c.Q. incorpore un devoir de tolérance à l’égard des inconvénients normaux liés au voisinage, il n’autorise pas pour autant les comportements fautifs.[550]
[451] Les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore notent ceci :
[…] Si l’avantage pour le demandeur d’invoquer l’article 976 C.c. semble évident, il peut en aller différemment dans certains cas où la faute pourrait aisément [être] établie alors qu’il n’en irait pas de même pour le caractère anormal des inconvénients. De même, le demandeur pourrait vouloir, en cas d’atteinte intentionnelle, réclamer des dommages punitifs aux termes des articles 6 et 49 de la Charte, ce qu’exclut un recours sur la base de 976 C.c. Pour ces raisons la dualité des recours est justifiée et les tribunaux devraient éviter d’utiliser les deux fondements de manière indifférenciée.[551]
[Renvoi omis]
[452] L’économie du jugement de première instance fait craindre à la Cour que le juge, s’estimant dispensé de trancher la question de la faute en raison de sa conclusion sur la preuve épidémiologique et le trouble de voisinage, ait fait une analyse trop étroite du préjudice indemnisable. Il a limité son analyse de « l’inconvénient anormal » aux dérangements subis par les citoyens à l’occasion des mesures prises après la découverte de la contamination.
[453] Bien que le juge reconnaisse que les citoyens de Shannon ont été perturbés et ont éprouvé de l'inquiétude, de la frustration et de la crainte après l’annonce de la contamination[552], il n’a accordé des dommages qu’aux personnes qui occupaient une résidence raccordée au réseau d'aqueduc entre décembre 2000 et décembre 2001. Cette base d’indemnisation, indubitablement liée au dérangement occasionné par les travaux, ne rend pas adéquatement compte du préjudice moral et psychologique que les citoyens soutiennent avoir subi. Les citoyens de Shannon estiment avoir été exposés à un risque pour leur santé par la faute des intimés. La preuve a révélé que des déversements de TCE ont eu lieu sur une très longue période et encore aujourd’hui, les gens de Shannon ignorent pendant combien de temps de l’eau contaminée s’écoulait de leur robinet à leur insu.
[454] D’autre part, l’appelante réclame également des dommages punitifs et l’analyse sommaire du juge ne lui donne pas de réponse satisfaisante quant à l’existence d’une atteinte illicite et intentionnelle aux droits des membres du groupe. Il n’y a aucun doute que les dommages punitifs sont indépendants du recours en trouble de voisinage et que ce moyen d’action réclamait une analyse de la preuve en bonne et due forme.
[455] Sur l’interaction entre ces deux recours, les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore écrivent :
On constate par ailleurs en jurisprudence un nombre croissant de situations où le tribunal accorde des dommages punitifs sur la base de l’article 49 de la Charte québécoise notamment pour violation du droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens (art. 6). Or, il y a incompatibilité entre un recours sur la base de l’art. 976 C.c., qui n’implique pas l’établissement d’une faute et l’octroi de dommages punitifs aux termes de la Charte, lequel exige, au contraire, la preuve d’une atteinte intentionnelle. En fait, bien souvent, les affaires où sont accordés des dommages punitifs concernent des situations qui dénotent une intention de nuire, notamment dans les cas d’harcèlement ou de propos injurieux, et relèvent en fait d’une action pour abus de droit aux termes des articles 7 et 1457 C.c. Certes rien n’empêche techniquement une victime de cumuler un recours sous l’article 976 C.c. et sous l’article 49 de la Charte, mais puisque, dans ce dernier cas, la victime doit établir une atteinte intentionnelle, le recours pour troubles de voisinage, dont l’avantage principal est de ne pas avoir à établir de faute, ne présente plus d’intérêt. En tout état de cause il s’agit d’un motif supplémentaire qui devrait inciter les tribunaux de bien distinguer le recours pour troubles de voisinage de celui pour abus de droit lesquels n’impliquent pas le même fardeau de preuve.[553]
[Renvois omis]
[456] Par conséquent, il était nécessaire, afin de répondre adéquatement aux arguments de l’appelante quant aux comportements reprochés et aux chefs de dommages réclamés, d’analyser la preuve afin de parvenir à une conclusion sur la commission d’une faute et d’une atteinte illicite aux droits des membres du groupe. Conclure à la présence d’un trouble de voisinage ne pouvait s’y substituer.
[457] En de telles circonstances, la déférence n’est pas de mise[554]. Dans une affaire de droit familial, la juge Bich, au nom de la Cour, écrit que l’absence de motifs peut imposer à la Cour de faire un exercice qui s’apparente à celui qu’aurait dû faire le juge de première instance[555].
[459] La loi impose à chacun le devoir de prendre des précautions raisonnables de manière à éviter de causer préjudice à autrui. Cette règle n’oblige personne à prévenir la survenance de tous les accidents possibles[556]. Des incidents malheureux peuvent se produire sans que quiconque puisse en être tenu responsable : des circonstances inhabituelles ou une simple malchance constituent souvent des explications suffisantes, sans devoir présumer que quelqu’un a manqué aux règles ordinaires de prudence qui s’appliquaient à lui. En règle générale, une personne n’est pas tenue responsable de son fait non fautif.
[460] La question de la prévisibilité du dommage est, pour cette raison, au cœur de la notion de faute civile. Dans la plupart des cas, une personne ne peut être tenue responsable d’un préjudice qu’elle ne pouvait raisonnablement prévoir. Rappelons les enseignements du professeur Crépeau quant à la pertinence du contexte à l’application de la norme de la personne raisonnable :
La diligence objective s’apprécie selon la conduite d’un type abstrait : le "bon père de famille" ou, en langage moderne, une "personne raisonnable". […] Mais encore faut-il préciser que la "personne raisonnable" doit être tirée de la catégorie des personnes à laquelle le débiteur appartient et placée dans des circonstances semblables à celles où se trouve ce dernier.[557]
[461] Ce principe est particulièrement important en matière de responsabilité professionnelle : en effet, la conduite d’un professionnel doit être appréciée en fonction des connaissances qu'il aurait raisonnablement dû posséder à l'époque de la négligence alléguée[558].
[462] Deux experts ont témoigné sur l’évolution des connaissances historiques quant au risque de contamination de l’eau souterraine et des propriétés toxiques du TCE.
[463] Robert Murray, ingénieur chez Stantec Experts-Conseil et expert en évaluation environnementale de la gestion des produits chimiques et de la contamination des sols et des eaux souterraines[559], a rédigé un rapport intitulé Revue de l'évolution de la gestion du TCE [Rapport Murray amendé]. Selon Murray, les propriétés narcotiques et toxiques du TCE, lorsque de fortes concentrations sont inhalées, sont connues depuis 1910 en Europe. La première étude portant sur la cancérogénicité du TCE date de 1976. Il écrit :
Avant l'ère des connaissances environnementales actuelles sur la gestion des résidus, les solvants usés, tels que le TCE, étaient généralement éliminés dans les réseaux d'égout (sanitaires ou de procédés), déversés directement sur le sol, déversés dans des lagunes ou mis en barils et enfouis dans les décharges.
Un guide pour les laboratoires chimiques, préparé en 1972 par la Manufacturing Chemist Association, indique que les résidus des laboratoires peuvent être éliminés par 1) brûlage à ciel ouvert, 2) incinération, 3) déversement dans les égouts ou 4) par enfouissement. Jusqu’à la fin des années 1980, les fiches techniques sur le TCE recommandaient de déverser le TCE sur un sable sec et de le laisser s'évaporer. Ceci est également conforme aux recommandations de I’American Insurance Association et de l’American Society for Metals, lesquelles proposaient comme options l'évaporation et le brûlage à ciel ouvert.[560]
[Renvois omis]
[464] Pour Murray, ce n’est que dans les années 1980 que la communauté scientifique américaine a découvert que du TCE avait « réussi à infiltrer l’eau souterraine et donc les puits d’eau potable »[561].
[465] Anthony Travis a été reconnu comme expert de l’appelante en chimie et en histoire des technologies chimiques[562]. Son rapport [Rapport Travis] se divise en deux parties : la première porte sur l’évolution des connaissances sur les propriétés et la toxicité du TCE, la seconde sur l’utilisation du TCE dans les établissements de Valcartier[563].
[466] Selon le Dr Travis, la toxicité du TCE est connue depuis les années 1930. Il cite notamment à ce sujet une série d’études de 1932 à 1963 qui établissent les risques pour la santé associés à l’exposition au TCE[564]. En 1976, le National Cancer Institute signale pour la première fois les propriétés cancérigènes du TCE chez les souris.
[467] Selon le Dr Travis :
By the late 1940s, contamination of water with waste TCE through discharge into bodies of water by any mechanism was a foreseen and unsurprising event.[565]
[468] Il cite notamment une étude publiée en 1949 intitulée Contamination of water by trichloroethylene rapportant deux cas de contamination de puits à proximité d’usines qui faisaient un usage intensif de TCE. Les auteurs écrivent : « From these two cases it is evident that contamination by compounds of this nature is likely to be very persistent and there is some evidence of toxicity at very low concentrations »[566].
[469] Quant aux prétentions de Murray selon qui la communauté scientifique américaine n’aurait découvert le danger de contamination de l’eau souterraine par le TCE que dans les années 1980, le Dr Travis critique le fait que Murray s’appuie presque exclusivement sur une seule étude, réalisée par les auteurs Pankow et Cherry en 1996[567], qui selon lui souffre de lacunes en matière d’analyse historique[568]. Il ajoute :
Discussion regarding the early knowledge of groundwater contamination by TCE requires reference to and familiarity with the vast amount of literature addressing the broad issue of the contamination of groundwater caused by the disposal of wastes, particularly synthetic organic chemicals, in general. A detailed list of some 24 papers addressing this subject is found in Practical Environmental Forensics. Included in the list are publications by the American Water Works Association, the Manufacturing Chemists' Association, the U.S. Public Health Service, and articles and chapters in Sewage and Industrial Waste, and Proceedings of the Purdue Industrial Waste Conference. These papers range in date from 1923 to 1967. In fact, Peckston, as far back as 1841 described the contamination of a well caused by releases from a nearby waste coal tar source - with the contamination travelling along with the groundwater flow.
By the end of the nineteenth century this type of problem was widely known, not just through the daily experience of distasteful water, but also through publication, particularly in the United States, and in the courts. Detailed summaries of American reports that appeared in 15 volumes published as US. Geological Survey Water-Supply and Irrigation, based on over a decade of hydrogeological studies, reached the wider scientific and technical community through journals such as the weekly Nature. The papers included pollution of streams and subsurface waters, the latter from oil wells, monitoring of sewage in porous strata with added chlorine, and measurement of underground currents with electrolytes.[569]
[Renvois omis]
[470] Le Dr Travis procède ensuite à l’analyse détaillée de la preuve historique et épistolaire retraçant les inquiétudes liées à la contamination de l’aqueduc de la Ville de Québec, ainsi que des déclarations sous serment des employés de l’Arsenal et du CARDE. Il conclut ainsi :
[…] disposal by pouring waste TCE directly on sandy or permeable soils, or into unlined lagoons, caused extensive groundwater and well contamination. The hazards associated with this practice, and the long-term contamination that it caused, was well documented at the Valcartier site, included through reports from its consulting engineers, from the early 1950s. Disposal was over the shallow water table and led to contamination of wells on site and wells at some distance away that were all used as sources of potable water. These conditions existed at the Valcartier site until the late 1980s, and long before, as evidenced by various documents dating from the 1950s. Given the prior knowledge and forewarnings of unfit disposal at the site, going back to the 1950s, and the lack of action, despite these warnings, to prevent contamination of soil and groundwater, it was inevitable that extensive, long term groundwater contamination occurred[570].
[471] Il insiste également sur la sophistication scientifique et technique des autorités fédérales, qui comptaient parmi leurs rangs certains des « experts les plus qualifiés du Canada ». Ceux-ci comprenaient les risques associés au déversement de produits chimiques dans l’environnement et possédaient les compétences requises pour détecter et mesurer de faibles niveaux de contamination dans le sol et l’eau souterraine[571]. Il est d’avis que les autorités des établissements à Valcartier se sont montrées « apathiques et négligentes » dans la mise en place de procédures d’élimination des déchets[572].
[472] Il n’appartient pas aux experts de se prononcer sur le caractère fautif ou négligent du comportement d’une partie : cette question relève du juge des faits. Toutefois, dans ce dossier en particulier, les témoignages de Murray et de Travis sont essentiels, car l’appréciation du devoir de diligence qui incombait aux intimés dépend de la connaissance du risque que l’on pouvait raisonnablement exiger d’eux à l’époque des faits. Pour reprendre l’expression du juge Rochon dans Dicaire c. Chambly (Ville), « il faut se méfier de la sagesse rétrospective »[573]. Le juge chargé de déterminer si une conduite donnée constitue une faute ne doit pas se laisser influencer par la connaissance des conséquences que cette conduite a effectivement entraînées, mais uniquement par celles que la personne concernée pouvait raisonnablement prévoir[574].
[473] Dans les années 1950, le centre de recherches (CARDE ou CRDV) est sous la responsabilité du Conseil de recherches pour la défense créé par les articles 53 à 55 de la Loi concernant la défense nationale[575]. À la fin des années 1970, le Conseil de recherches pour la défense devient un organisme purement consultatif et la responsabilité de la recherche dans les domaines qui intéressent la défense est dévolue au ministre de la Défense qui assume la direction et la gestion des Forces armées canadiennes[576].
[474] Dès le début des années 1950, les impacts environnementaux des eaux usées industrielles, tant du centre de recherches que de l’usine de munitions, sont source de préoccupation pour les autorités de la Ville de Québec. Même si ces préoccupations portent alors surtout sur les eaux de surface d’où la Ville puise l’eau pour son aqueduc, la protection de la nappe phréatique qui sert à l’alimentation en eau potable est également présente à l’esprit des autorités de la Ville[577].
[475] Les Arsenaux canadiens, qui exploitent l’usine de munitions, s’inquiètent également à propos des puits qu’ils ont forés et qui servent à la fois à l’alimentation en eau à des fins de consommation humaine et à des fins industrielles. En octobre 1953, un chimiste de l’entreprise écrit à M. Laurier Belleville au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Il lui décrit les caractéristiques des puits et lui signale que les sols sablonneux de Valcartier et la proximité des puits constituent un danger potentiel émanant du canal ouvert (open ditch) dans lequel le centre de recherches rejette ses déchets industriels[578]. Cette situation est d’ailleurs confirmée par le surintendant en chef du CARDE dans une lettre adressée à M. Belleville[579].
[476] M. Belleville répond qu’il y aura une enquête dans un proche avenir. Il précise cependant que le nombre limité d’échantillons de déchets industriels prélevés dans le fossé où ils sont rejetés « […] does not actually permit to recommend any adequate treatment ». De plus, l’information obtenue de l’analyse de ces échantillons « […] has not to-date revealed too unsatisfactory conditions ». Il reconnaît toutefois qu’en période de pluie ou de neige abondantes, ces résidus industriels chimiquement contaminés pourraient atteindre la rivière Nelson[580].
[477] L’étude promise par M. Belleville est réalisée de juillet 1953 à mars 1954. Cette étude dont il a déjà été question[581] est importante à plus d’un titre. D’une part, parce qu’y ont participé des représentants du CARDE, des Arsenaux canadiens, de la Ville de Québec et les ministères de la Santé, tant du Québec que du Canada[582]. D’autre part, le rapport préparé par M. Belleville révèle, dès cette époque, que tous ces acteurs sont clairement informés que les déchets liquides rejetés par le centre de recherches contiennent des solvants miscibles[583].
[478] Le sommaire qui figure à la fin du Mémorandum de 1958 de M. Belleville fait bien voir que ce dernier attache une importance toute relative au sérieux de la contamination :
SUMMARY
Therefore, five different sources of contamination are said to contribute polluting substances to the Nelson Creek, secondary tributary to the St. Charles River, source of Quebec City Water Supply.
The contamination is not severe. The dilution is great and concentration of contaminants in the St. Charles River water is negligible and much below accepted tolerances.
Projects for correction include an oil recovery plant at the Val Rose Plant and a new septic tank at Small Arms. No remedial measures are contemplated at CARDE South. More supervision and better control of operations is planned for the Arsenal Wastes Treatment Plant.
A decision on treatment and disposal of laboratories wastes and surface drainage at CARDE North will be reached, if necessary, when recommendations are made for adequate procedures.[584]
Fear of contamination of underground supplies had been source of much concern to officers of the Val Rose Plant, responsible for the quality of the water supplied in the plant for culinary and drinking purposes. Water for the Arsenal is obtained from three wells, located on the south side of the road, less than 250 feet from the main ditch and not too far from the outfall of the laboratory sewer.
It is feared that liquid wastes might seep down into the ground, severely contaminate the source of the supply and render it unusable for years to come. In view of the actual findings, this is considered much improbable and there does not appear to be any immediate danger.[585]
[480] La solution retenue pour les eaux usées des laboratoires du CARDE nord consiste en la construction d’un bassin de rétention ou d’une fosse filtrante à même un lit de sable, mais avec murs et toit en béton armé, et situés à bonne distance des puits des Arsenaux canadiens et de la rivière Nelson[586].
[481] Cette solution soulève l’inquiétude des ingénieurs-conseils pour les Arsenaux canadiens. Dans une lettre à leur cliente du 16 mai 1955, ils mettent en garde contre la pratique du rejet de déchets industriels dans des fosses ou lagons (lagooning). Ils craignent que ces rejets ne se fraient un chemin jusqu’aux eaux souterraines. Selon eux, puisque le sol est sablonneux, la contamination de surface peut se rendre jusqu’à l’eau souterraine, entre 20 et 100 pieds de la surface[587].
[482] En septembre de la même année, M. Belleville écrit à M. Bate du Conseil de recherches pour la défense à ce sujet. Selon lui, il est nécessaire de disposer des déchets industriels en lagons jusqu’à ce que l’usine de traitement de la base militaire soit disponible. Confirmant que cette opinion est également celle du ministère provincial de la Santé, il affirme : « It is our opinion that there is very little possibility that the Arsenals’ wells might become contaminated with wastes from your plants »[588].
[483] À la suite d’une rencontre avec le Dr John Kane, chimiste en chef aux Arsenaux canadiens, M. Belleville écrit à nouveau à M. Bate le 24 novembre 1955. Après avoir noté les inquiétudes insistantes du Dr Kane, M. Belleville écrit d’abord que, en l’absence de renseignements sur les produits chimiques qui seront déversés dans le lagon, « […] it appears impossible to predict what conditions will be in the future ». Il déclare ensuite ce qui suit :
[…] It is our opinion, however, that if the major contaminants from your laboratory wastes are not in excess of what they were during our survey of 1953, no trouble can be expected from lagooning.
En conclusion, toutefois, il exprime une opinion plus prudente sur le rejet éventuel de résidus toxiques :
We are sure that, should dangerous conditions gradually develop through use of the lagoon, other means of disposal should be investigated.
We would not, however, consider the discharge of highly toxic wastes advisable until experience has indicated that no wastes effluent finds its way to the source of the Canadian Arsenals water.[589]
[485] Quatorze mois plus tard, le 4 février 1957, les ingénieurs-conseils des Arsenaux canadiens reviennent à la charge dans une nouvelle lettre adressée à leur cliente[590]. Tout en reconnaissant que le rejet de déchets de laboratoire dans un lagon n’est pas une pratique inhabituelle, ce rejet doit être sérieusement remis en question à l’endroit choisi, et ce, pour des motifs de sécurité. La nature du sol, le niveau naturel de la nappe phréatique et le fait que les puits des Arsenaux canadiens constituent la seule source d’eau pour tout le voisinage font en sorte qu’il est évident que toute action qui est le moindrement susceptible de contaminer l’eau aurait les plus sérieuses conséquences.
[486] Les ingénieurs-conseils des Arsenaux canadiens fournissent également des renseignements précis sur l’hydrogéologie, notamment qu’il y a très peu de distance entre le niveau de l’eau dans le lagon et celui de la nappe phréatique et que le faible rabattement du niveau de la nappe à la suite d’un pompage intensif révèle que l’eau circule rapidement. Ils signalent de plus que la nature de la contamination n’est pas connue.
Should a contaminant find its way into the water supply with the possibility of effecting the life of the underground piping system, or to render the water unfit for either domestic or process use the cost of correction would be enormous and could cause partial or complete shut down of all the establishments while corrective measures were being devised and put into effect.
While this might sound like a minor possibility we feel that a potential hazard has been created and should not be continued.[591]
Enfin, les ingénieurs-conseils proposent à leur cliente qu’elle mette à la disposition du centre de recherches ses facilités de traitement des eaux usées à deux conditions : que le centre de recherches livre ses déchets en les séparant selon leur nature et informe les Arsenaux canadiens de leur composition.
[488] Il est difficile d’imaginer un avertissement plus clair et plus spécifique du danger pour les usages domestiques et industriels de l’eau souterraine résultant de la contamination de la nappe phréatique par le rejet dans le sol sablonneux des déchets chimiques produits par le CARDE.
[490] Le 1er avril 1957, le président du Conseil de recherches pour la défense, responsable du centre de recherches, écrit à M. J.R. Menzies, chef de la Division de l’ingénierie et de la santé publique au ministère de la Santé et du Bien-être social. Il l’informe d’abord que les travaux recommandés pour CARDE nord ont été réalisés, notamment le dépôt des rejets dans une fosse, et ce, à la satisfaction de M. Belleville, l’ingénieur responsable de la région de l’Est pour le Ministère. Il signale ensuite les inquiétudes exprimées par les Arsenaux canadiens avec la solution retenue et transmet une copie de la lettre des ingénieurs-conseils du 4 février précédent. Il constate que ces derniers ont une bonne connaissance des niveaux et de l’écoulement des eaux à Valcartier et que leurs opinions ont un certain mérite. Il remarque enfin que si la proposition des ingénieurs-conseils d’acheminer les rejets du centre de recherches vers l’usine de traitement des Arsenaux canadiens était suivie, il en résulterait des dépenses supplémentaires de 10 000 $ pour le centre de recherches et 8 400 $ de travaux déjà faits pour le système en place devraient être radiés. Il demande au personnel du Ministère d’étudier ce problème pour eux[592].
[491] À cette époque, en effet, en vertu de la Loi sur le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social[593], les devoirs, pouvoirs et fonctions du ministre de la Santé nationale et du Bien-être social s’étendent, en les comprenant, aux questions visant le progrès ou la sauvegarde de la santé de la population du Canada et qui ressortissent au Parlement du Canada[594]. Ces devoirs, pouvoirs et fonctions visent notamment l’amélioration des installations sanitaires et les conditions sociales et industrielles concernant la vie et la santé des personnes[595] ainsi que la coopération avec les autorités provinciales en vue de coordonner les efforts faits ou envisagés pour sauvegarder et améliorer la santé publique[596].
[492] En l’espèce, il a d’ailleurs été reconnu par le Conseil de recherches pour la défense et le centre de recherches que le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social était l’organisme responsable pour intervenir à l’égard des plaintes formulées par la Ville de Québec pour des eaux-vannes et des rejets industriels provenant d’une propriété fédérale[597].
[493] Dans les années 1950, M. J.R. Menzies est chef de la division de la santé publique et du génie au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social et M. Laurier Belleville est ingénieur superviseur pour la région Atlantique.
[494] Comme on le verra maintenant, la réaction du Ministère aux inquiétudes formulées par les Arsenaux canadiens et leurs ingénieurs-conseils s’avère clairement inadéquate. C’est en particulier ce que révèlent les rapports soumis par M. Belleville, l’ingénieur responsable pour la région, à son supérieur à Ottawa.
[495] Après une rencontre avec les représentants des Arsenaux canadiens et une visite au bureau du chimiste en chef à Québec, M. Belleville écrit à son supérieur le 16 avril 1957. Il se livre à une critique des deux rapports des ingénieurs McDougall & Friedman et exprime l’opinion que des renseignements additionnels sont requis « […] on the nature, the volume, the frequency of discharge of chemicals disposed of into the lagoon ». Il ne formule cependant aucune demande auprès du centre de recherches de lui fournir les renseignements qui s’avèrent requis, selon lui, notamment quant à la caractérisation de ces produits chimiques. Sa conclusion ne fait pas davantage voir d’empressement à tenir compte des préoccupations des Arsenaux canadiens quant à la protection des sources d’eau potable :
It is believed, however, that Canadian Arsenals will always be concerned with lagooning and that efforts must be made to find other means of waste disposal, including both the plant and the laboratory wastes. At the present time, there does not appear to be too much urgency. It is proposed to look into the matter as soon as time will permit, possibly during early Summer.[598]
[496] Dans une autre correspondance interne au même destinataire, ce même jour, il exprime son opinion personnelle qu’il y a très peu de danger de contamination des puits. Toutefois, « for good public relations […] » et vu l’insistance des Arsenaux canadiens de faire disparaître cette source potentielle de pollution, il pense qu’il vaudrait mieux explorer d’autres moyens de disposition des déchets du centre de recherches. Il note que la détermination du type d’usine de traitement des rejets requis au centre de recherches pourrait nécessiter un travail considérable, et possiblement de lourdes dépenses pour CARDE. Au final, il laisse transparaître son impatience envers les exigences du Dr Kane, le chimiste en chef des Arsenaux canadiens :
[…] Dr. Kane, of Canadian Arsenals, has asked me to give him immediate assurance that there will never be any contamination entering the underground water. This is the kind of statement I can not give. Anything might happen in the future: displacement of the sand, earthquake, wash-outs, and what else…[599]
[Soulignement dans l’original]
[497] Finalement, à compter de novembre 1957, M. Belleville décide de procéder à des expertises sur le terrain pour déterminer la direction des eaux souterraines adjacentes au lagon qui reçoit les rejets du centre de recherches, et ce, en rapport avec une pollution potentielle résultant de ce rejet. Le Mémorandum de 1958 préparé au terme de ces expertises contient plusieurs déterminations factuelles importantes. Le document n’est pas daté, mais il a certainement été rédigé autour de l’été 1958 puisqu’il révèle que les expériences ont duré huit mois à compter du début novembre 1957. Il est toutefois important de noter que, du propre aveu de M. Belleville, les observations sur lesquelles est fondé le rapport n’ont pas été faites pendant les mois d’hiver[600].
[501] Il est utile de citer les recommandations de ce Mémorandum de 1958 :
Recommendation
Since the movement of ground water is in the direction of the wells, since research work at GARDE may lead to the discharge of toxic wastes, since it is not possible to foresee the penetration of wastes into the deeper zones, and since C.A.I. have, at repeated intervals, objected to the use of the lagoon for disposal of the laboratory wastes, it is recommended to:
1) discontinue use of the lagoon for disposal of the laboratory wastes
2) use the present wet well, from which the wastes are pumped to the lagoon, as a neutralizing reservoir
3) install a dry lime automatic feeder over the wet well, so as to raise the pH to the 7.5 - 8.0 range. If necessary, automatic control could be used.
4) direct the effluent line, from the wet well, to the domestic sewage line for further disposal in the Valcartier Camp sewage treatment plan
5) refrain from discharging into this system any solution toxic to sewage bacteria, so as to prevent detrimental action on the operation of the plan, although it is believed that the dilution will be extremely high
6) collect all odour and tastes producing compounds in separate containers and to dispose of them in areas remote from any source of water supply.
Moreover, as implementation of these recommendations may not be possible before some time, it is herewith urgently suggested that immediate action be taken to neutralize the wastes prior to disposal to the lagoon and to prepare a list of the chemicals which can or can not be discharged. Oil and odour-producing substances should not be discharged either to the lagoon or to the treatment plant.[601]
[502] La recommandation no 4 de conduire les déchets de laboratoire dans la conduite d’égout domestique et de les faire traiter par l’usine de traitement des eaux usées du Camp Valcartier fait l’objet d’une note de service de M. Belleville à son supérieur le 24 octobre 1958. Il lui signale que la réalisation de cette recommandation va requérir des discussions avec le ministère de la Défense. Il exprime l’opinion que les possibilités que le traitement des déchets industriels interfère avec le traitement des eaux usées domestiques sont très faibles à cause de l’importante dilution[602].
3. As the cost of installation is influenced by these requirements we will study the problem thoroughly and recommend what will be required at a later date.
En attendant, le surintendant en chef explique qu’un traitement partiel des effluents est effectué en y ajoutant de la chaux hydratée[603].
[505] À partir de la fin de 1958 et jusqu’en 1978, le dossier documentaire est muet sur les rejets des eaux usées industrielles au centre de recherches.
[506] Malgré cette carence documentaire, la preuve ne laisse aucun doute quant à la persistance de ces rejets malgré les avertissements clairs donnés en 1955 et 1958 sur les dangers de contamination de la nappe phréatique résultant de ces pratiques.
[507] En 1971, le ministère fédéral de l’Environnement est créé par la Loi de 1970 sur l’organisation du gouvernement[604]. En vertu de cette Loi, les fonctions et pouvoirs du ministre de l’Environnement englobent toutes les questions relatives à la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement naturel, notamment celle de l’eau, de l’air et du sol[605]. Le ministre doit notamment favoriser et encourager l’adoption de pratiques et attitudes tendant à protéger et améliorer davantage la qualité de l’environnement[606].
[508] En 1977, ce ministère confie aux ingénieurs-conseils Carrier, Trottier, Aubin, Sohier et associés une étude portant sur le rejet des eaux résiduaires des laboratoires du centre de recherches pour la défense de Valcartier[607]. Ces laboratoires sont regroupés dans les bâtiments 78, 55, 55A, 71 et 71A.
[509] Le devis préliminaire préparé en août 1977 par Environnement Canada fait bien voir qu’avant même de demander des soumissions aux consultants pour l’étude à faire, le ministère connaît la situation qui prévaut au CRDV. En effet, le devis préliminaire énonce que les résidus acides provenant des laboratoires « […] sont acheminés par deux conduites jusqu’à un étang d’environ 12 mètres de diamètre creusé dans un sol sablonneux à proximité des édifices ». Ce devis révèle de plus que le ministère « […] désire faire évaluer l’ampleur globale des problèmes environnementaux pouvant être causés par la présence de l’étang d’acides et connaître les différentes solutions qui s’offrent pour corriger les aspects qui seront jugés inacceptables »[608].
II - Système existant
Les eaux résiduaires des laboratoires sont rejetées dans un réseau d’égout spécial appelé "réseau acide" et sont dirigées dans un étang creusé dans le sable; le niveau de liquide dans l’étang varie en fonction du niveau de la nappe phréatique.[609]
[511] Toujours selon ce Rapport, l’échantillonnage des rejets révèle que les eaux usées des laboratoires du CRDV dépassent les normes pour les huiles et graisses, les phénols, le DCO (demande chimique en oxygène), les solvants chlorés, le cuivre, le plomb, le mercure et le chrome[610]. De plus, afin de mieux évaluer quantitativement et qualitativement quelles substances étaient susceptibles de se retrouver un jour ou l’autre dans les effluents des laboratoires, les auteurs du Rapport se sont tournés vers la liste des achats. Ainsi, entre novembre 1976 et novembre 1977, le méthanol, l’hexane et le TCE sont achetés en quantité supérieure à 10 gallons[611].
[512] Sur une période de 7 jours, le débit moyen des effluents qui a été mesuré est de 14,6 litres/minute ou 3,21 gallons impériaux/minute, soit 4 622 gallons par jour[612]. Ce volume de rejets représente plus du double de celui indiqué dans le Mémorandum de 1958 de M. Belleville[613].
[513] Le Rapport Carrier fait également le constat que les puits des Industries Valcartier (usine de munitions) se situent à 1 700 mètres au sud-ouest de l’étang et que celui de la base militaire est localisé à environ 1 750 au nord-ouest[614]. Cette direction est celle de la circulation de l’eau souterraine mesurée par M. Belleville en 1958[615]. De plus, des sondages jusqu’à 20 pieds de profondeur portent les auteurs du Rapport Carrier à conclure à la présence de contaminants chimiques dans l’eau souterraine[616].
[514] Après ces constats, les conclusions des auteurs du Rapport Carrier sont sans équivoque :
Le traitement actuel qui consiste à déverser les eaux dans un étang perméable qui baigne dans la nappe phréatique est inacceptable et on devra songer à un traitement plus efficace.[617]
[515] Il faut comprendre en effet que le « réseau acide » drainant les eaux résiduelles des laboratoires est en place depuis 1944[618] et que l’étang ou le lagon, connu sous le nom de « Lagon bleu », a été mis en place en 1957-1958, comme on l’a déjà vu. Au moment où les auteurs du Rapport Carrier font leur étude, la contamination causée par les rejets à l’environnement des eaux usées des laboratoires du CRDV se poursuit sans interruption depuis au moins 20 ans et fort probablement depuis plus de 30 ans.
[516] Dans un premier temps, les auteurs du Rapport Carrier recommandent que les autorités du centre de recherches devraient émettre des directives écrites pour les laboratoires de chimie sur les produits chimiques qui peuvent être déversés dans le réseau d’égout spécial. De plus, les solvants chlorés ou non ne devraient pas être acheminés dans le réseau d’égout. Ils devraient être emmagasinés dans des récipients et incinérés par la suite par un entrepreneur privé qui disposerait d’un permis des Services de Protection de l’Environnement du Québec[619].
[517] Ils recommandent ensuite la construction d’un nouveau réseau gravitaire étanche, d’un bassin tampon de 24 000 litres et d’un poste de traitement comprenant un filtre au sable, un filtre au charbon activé et un échangeur d’ions. Après ce traitement, l’effluent devrait être acheminé à l’usine d’épuration de la base militaire. L’étang actuel devrait être abandonné et rempli de matériaux d’emprunt du même type que les matériaux avoisinants[620].
[518] Les auteurs du Rapport Carrier ayant eux-mêmes constaté la persistance de la pollution précisent que « […] les travaux préconisés sont prioritaires et devraient être effectués au cours de 1978 »[621]. Pourtant, comme on le verra plus tard[622], rien n’est alors fait et les rejets vont perdurer encore huit ans avant que l’ouvrage recommandé par les auteurs du Rapport ne soit complété.
[519] Quels constats doit-on tirer de cette revue de la preuve documentaire?
[520] De façon générale, la preuve démontre que, dès le milieu des années 1950, tant le CRDV que le Conseil de recherches pour la défense, les Arsenaux canadiens et le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social savent que les eaux usées industrielles du CRDV sont rejetées dans l’environnement et que ces rejets sont constitués de produits chimiques, notamment de solvants[623]. Dès 1953, ils sont également informés que ces rejets risquent de contaminer la nappe phréatique dans laquelle sont creusés des puits servant à l’alimentation humaine[624].
[521] La pratique de rejeter l’effluent du CRDV dans un réservoir qui se déverse dans un lagon fait l’objet d’une mise en garde claire de la part des ingénieurs-conseils des Arsenaux canadiens. Cette mise en garde porte spécifiquement sur le danger de contamination des eaux souterraines qui alimentent des puits destinés à la consommation humaine[625]. De plus, les caractéristiques de la nappe phréatique sont non seulement indiquées par ces ingénieurs, elles sont confirmées par les propres expertises de M. Belleville du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, à la fois en ce qui concerne la direction de l’écoulement de l’eau souterraine et sa vitesse[626].
[522] En ce qui concerne le Conseil de recherches pour la défense et le centre de recherches, si le Conseil se rend à la recommandation du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social portant sur la construction d’une fosse filtrante à même un lit de sable et le rejet de l’affluent dans un lagon et accepte de la mettre en œuvre, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit de faire d’autres travaux pour pallier les lacunes de cette solution qui ont été soulevées par les ingénieurs, en 1957-1958. Le Conseil et les autorités du CRDV se préoccupent davantage du coût de ces travaux et justifient déjà en 1958 leur défaut de remédier à la contamination de la nappe phréatique qui va perdurer jusqu’en 1986[627].
[523] Il importe peu que, à l’époque des rejets dans l’environnement de l’effluent des laboratoires du centre de recherches, il n’existait pas de norme de rejet applicable au TCE. Les utilisateurs du TCE savaient qu’il s’agissait d’un solvant puisqu’ils s’en servaient à cette fin. Ces utilisateurs, des scientifiques souvent détenteurs de doctorat et des ingénieurs, avaient été avertis par d’autres ingénieurs qualifiés des risques pour l’eau potable susceptibles de résulter des rejets de telles substances chimiques dans une nappe phréatique dans laquelle on puisait de l’eau destinée à la consommation humaine. Puisqu’il s’agissait de gens compétents et instruits, ils connaissaient très bien les risques encourus par de telles pratiques et c’est en pleine connaissance de cause qu’ils les ont continuées ou laissé se continuer pendant 30 ans.
[524] Il ne s’agit pas ici de troubles de voisinage, mais bien d’une faute caractérisée de pollution qui a perduré de 1958 à 1986. Cette faute tenait à un comportement déraisonnable, même au regard des normes de l’époque. De plus, cette faute était causale puisque le Lagon bleu, dans lequel ces effluents toxiques ont été rejetés, a été reconnu par l’expert des intimés, le Dr Lefebvre, comme étant une des zone sources de la contamination de la nappe phréatique par le TCE[628].
[525] La preuve révèle aussi qu’une faute contributoire doit également être imputée aux responsables du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social.
[526] L’étude de la correspondance et des rapports déjà mentionnés permet de tirer certaines conclusions au sujet de la façon dont les officiers du ministère, particulièrement M. Laurier Belleville, l’ingénieur superviseur de la région Atlantique de la Division de la santé publique et de l’ingénierie, se sont acquittés de leur devoir de protection de la santé publique :
- dès les premières inquiétudes manifestées par les Arsenaux canadiens et leurs ingénieurs-conseils au sujet de la contamination de la nappe phréatique et de l’eau potable, M. Belleville s’emploie à minimiser le danger potentiel[629]. Il refuse de considérer sérieusement les avertissements répétés des représentants des Arsenaux canadiens quant à la vulnérabilité des puits servant à la fourniture de l’eau potable. Il considère que les exigences des Arsenaux canadiens à ce sujet sont exagérées et que ces derniers ne seront jamais satisfaits[630];
- son défaut de procéder ou de faire procéder à la caractérisation précise des rejets industriels contribue à son aveuglement à l’égard des conséquences prévisibles de ces rejets sur l’environnement en général et sur la nappe phréatique en particulier[631];
- lorsque M. Belleville recommande finalement que des mesures soient prises, il le fait non sans avoir d’abord donné son opinion sur l’innocuité des rejets de produits chimiques[632], en invoquant des motifs de relations publiques[633] ou pour faire taire les représentants des Arsenaux canadiens[634] et en faisant valoir qu’une autre solution pourrait impliquer d’importantes dépenses pour le centre de recherches[635];
- enfin, et surtout, les dernières recommandations contenues dans le Mémorandum de 1958[636] ne font l’objet d’aucun suivi de la part du Ministère au regard de leur mise en œuvre, de telle sorte que, 21 ans plus tard, au moment du Rapport Carrier, les rejets de solvants chlorés dans la nappe phréatique se continuent de la même façon et vont même perdurer jusqu’en 1986.
[527] Ces fautes du CRDV et du Conseil de recherches pour la défense qui ont contaminé l’aqueduc de la Base de Valcartier et les puits individuels de Shannon et celle du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social qui a fait défaut d’exercer ses devoirs de surveillance et de protection de la santé publique engagent la responsabilité du procureur général du Canada.
[528] L’usine de munitions a été exploitée de 1938 à 1991. Elle a été privatisée en 1966[637]. Le juge de première instance a retenu de la preuve que cette usine a utilisé une plus grande quantité de TCE que celle utilisée à RDDC nord[638].
[529] La preuve documentaire est beaucoup plus succincte quant à la gestion des rejets industriels de l’usine de munitions. On notera cependant que, dès 1952, M. Charles Boily, lors d’une étude de l’usine entreprise à la demande des Arsenaux canadiens, signalait une forte odeur de « Blacosolv », le nom commercial du TCE, émanant d’un trou d’homme dans le système d’égout pluvial au sud-ouest du « Plant No. 3 ». Il signale que des employés auraient rejeté des solvants dans le système de drainage, mais que cette pratique aurait cessé[639].
[530] C’est davantage la preuve testimoniale et la preuve matérielle de la découverte des sols contaminés au TCE à partir de 1990-1991 qui révèlent qu’avant le milieu des années 1985, et même après, il n’y avait aucune directive ou politique en vigueur chez les intimées corporatives qui ont exploité l’usine de munitions au sujet des modes d’utilisation et surtout des modes de disposition du TCE après usage.
[531] En conséquence de ces lacunes, il est possible d’identifier plusieurs sites de rejets de TCE dans l’environnement qui ont engendré la contamination des sols et de l’eau souterraine.
[532] C’est le cas en premier lieu pour la zone source identifiée comme la Lagune C. Le juge de première instance a déterminé qu’elle a été utilisée de 1963 à 1976 approximativement, donc pendant que l’usine de munitions était exploitée par les intimées corporatives[640]. Cette lagune a été décrite comme une excavation dans le sable en vue d’être utilisée comme dépôt pour les huiles usées. Avec le temps, le fond de la lagune s’est colmaté formant une couche noire épaisse ayant l’apparence de goudron ou de graisse. Les résidus étaient recouverts d’eau pour une profondeur moyenne de 1,5 mètre[641].
[533] Les témoignages de M. Denis Beaudet, un ingénieur qui a été à l’emploi des intimées corporatives de 1967 jusqu’à la fermeture de l’usine, en 1991, et la déclaration solennelle de M. Marcel Paquet qui a travaillé à l’usine de 1961 à 1991[642] révélent qu’on a déversé dans la lagune C des barils remplis de solvants dans lesquels les employés vidaient le Blacosolv devenu inutilisable[643].
[534] Ces révélations de rejets de solvants, dont le TCE dans la Lagune C, sont cohérentes avec les résultats de travaux de caractérisation des eaux souterraines à la Lagune C. Un rapport préliminaire de décembre 1991 conclut que les résidus ont altéré la qualité de l’eau souterraine de façon significative[644]. En septembre 1991, un rapport d’analyse révèle une concentration de TCE de l’ordre de 25 000 μg/L dans l’eau souterraine[645]. La lagune C est une zone source de migration du TCE selon le Dr Lefebvre, l’expert des intimés[646].
[535] Une autre source identifiée de contamination au TCE est celle de la lagune A[647]. Il s’agit d’une excavation dans une ancienne carrière de pierre dans laquelle étaient rejetées les boues fortement contaminées provenant de l’usine d’épuration des eaux de la SIVI[648]. En 1985, ce site a fait l’objet d’une mise en demeure de la part du directeur régional de Québec du ministère de l’Environnement du Québec aux Industries Valcartier inc. [IVI] au motif que le mode d’entreposage et d’élimination était inadéquat, non sécuritaire pour l’environnement et qu’il se pratiquait illégalement n’ayant jamais fait l’objet d’une autorisation du ministère. De plus, le ministère a constaté que l’entreprise n’a pas de régime spécifique indiquant la nature et la quantité des résidus inorganiques qu’elle produit ainsi que le nom de la personne qui enlève ces résidus le cas échéant[649].
[536] En novembre 2000 et mai 2001, on a décelé 98 μg/L et 118,6 μg/L pour l’ensemble des HHT (TCE et ses produits de dégradation) dans l’eau souterraine à la lagune A[650]. Interrogé sur la question de savoir pourquoi ces vérifications n’avaient pas été faites plus tôt, M. Denis Beaudet a répondu qu’il n’y avait pas de témoignage révélant que du TCE avait été rejeté dans la lagune A et que c’étaient des métaux lourds qui étaient ciblés à cet endroit. Il ajoute que le piézomètre F-26 déjà existant a été échantillonné pour les HHT à la suite d’une réunion du 2 novembre 2000 au ministère de la Défense nationale où il a été demandé à SNC de mieux caractériser la frontière nord de ses terrains. La conviction de M. Beaudet de l’absence de rejets de TCE dans la lagune A était manifestement erronée[651].
[537] Une autre zone source de contamination au TCE reconnue par l’expert René Lefebvre est celle du dépotoir situé à la limite ouest des terrains de la SIVI[652]. Ce dépotoir, également connu sous le nom de « montagne », recevait tous les déchets de l’usine, notamment les guenilles imbibées de TCE et la criblure de maïs (Corn Cob Grit) utilisée avec le TCE pour le nettoyage des cartouches[653]. La criblure était ensuite rejetée au dépotoir, sale, graisseuse et humide de TCE[654]. Ce dépotoir a été utilisé jusqu’à la fermeture de l’usine en 1991[655].
[538] Dès février 1991, l’évaluation préliminaire des lieux les plus susceptibles d’être contaminés par les activités industrielles d’IVI révèle des pratiques incompatibles avec l’exploitation d’un lieu d’enfouissement de déchets et leurs conséquences :
un (1) site d’enfouissement de déchets lits domestiques se retrouve sur le site :
· au niveau de ce site d'enfouissement, des barils de métal étaient sur le point d'être enfouis. Il est plus que probable que ces barils contenaient des solvants et/ou de l'huile. Par conséquent, il est possible que le sol et la nappe phréatique soient contaminés dans la périphérie du site d'enfouissement des déchets dits domestiques;[656]
[539] De plus, même si en raison de difficultés de forage à ce site, aucun travail de caractérisation n’avait été effectué pour ce site, comme des forages ou l’installation de piézomètre, les seules observations effectuées lors de la visite des lieux portaient à croire que la gestion du dépotoir était non conforme aux exigences du MEQ pour ce type de dépôt et que divers contenants ou barils de produits chimiques y avaient été enfouis, ce qui pourrait représenter une source de contamination du milieu[657].
[540] Ces quelques exemples tirés de la preuve suffisent à démontrer que, dans leur exploitation de l’usine de munitions, les intimées corporatives ont fait preuve d’un laxisme généralisé dans la gestion des solvants en général et du TCE en particulier. Ce laxisme était inacceptable au regard du comportement attendu de la personne raisonnable, dans les circonstances des intimées corporatives. Ces dernières savaient qu’elles exploitaient elles-mêmes des puits d’alimentation en eau et que, jusqu’en 1991, ces puits servaient à la consommation humaine. Depuis 1957-1958, les propres ingénieurs-conseils des divers exploitants de l’usine de munitions avaient clairement averti ces derniers du danger de rejeter des déchets chimiques et en particulier des solvants dans la nappe phréatique. En permettant que ces rejets se continuent sur le site d’exploitation pendant la période où les intimées corporatives en étaient propriétaires, ces dernières ont commis les mêmes fautes de pollution que celles commises par les autorités fédérales au CRDV. Puisque ces fautes extracontractuelles ont contribué au préjudice subi par l’appelante, les intimées corporatives sont solidairement responsables avec le procureur général du Canada pour les dommages en résultant, conformément à l’article 1480 C.c.Q.[658].
[541] Si l’existence du risque de contamination était bien comprise, le témoignage de Denis Beaudet montre que les responsables de l’usine n’ont pas réalisé qu’il s’étendait à la possibilité de contaminer l’eau des municipalités avoisinantes. M. Beaudet explique qu’après l’excavation des boues de la lagune C, le problème était considéré « réglé »[659]. La découverte subséquente de la contamination du secteur 214 leur est apparue comme un problème indépendant.
[542] La preuve ne contient aucune information suggérant que quiconque à Valcartier ait pensé à Shannon avant septembre 1998, lorsque Mme Tremblay communique avec M. Fréchette du MEQ pour savoir si les municipalités voisines ont été avisées de la situation. À ce moment, on lui répond qu’il n’y a pas d’indication de débordement[660]. En février 1999, elle fait également analyser un échantillon d’eau potable prélevé chez un employé qui habitait à Shannon[661]. Il semble qu’elle ait été la première à réaliser le danger pour la municipalité. En août 1999, Jacques Dufour, chef de service à la recherche au CRDV, mentionne qu’il faudrait peut-être aviser les municipalités avoisinantes du problème de contamination[662]. Même à ce moment-là, on ne considère pas sérieusement la possibilité que la contamination se rende si loin.
[543] C’est seulement en novembre 2000, soit au moment où Ted Wyglinski et Denis Beaudet prennent connaissance des conclusions préliminaires de l’INRS sur le panache de contamination, qu’ils commencent à s’inquiéter. À plusieurs reprises au cours de son témoignage, M. Beaudet explique que tout au long du processus de décontamination des terrains de l’usine de munitions, Shannon n’a jamais été un sujet de préoccupation. Comme M. Beaudet l’explique, Shannon est complètement à l’ouest, bien loin des sites où du TCE a été détecté; de plus, lors de la détection de TCE dans la lagune C, les piézomètres semblent indiquer que le problème est de nature locale et étroitement limité dans l’espace.
[544] MM. Breton et Beaudet ont raison de souligner que les responsables de l’usine ont avisé les autorités de la base militaire en 1997 dès que du TCE fut détecté dans l’eau tirée de l’aqueduc et ont avisé le MEQ en décembre 2000 après les premiers tests effectués sur les puits privés de Shannon. Cependant, les documents et les témoignages portant sur les activités de décontamination démontrent que dès 1991, les rapports de caractérisation des terrains de l’usine de munition font état d’une préoccupation quant à une possible contamination de la nappe phréatique[663]. On peut notamment lire dans le rapport de février 1991 qu’« il est possible que le sol et la nappe phréatique soient contaminés dans la périphérie du site d'enfouissement des déchets dits domestiques »[664] et, au sujet de la lagune C, que « ce site pourrait être une source principale qui contribue à la contamination de la nappe phréatique sise sous les bâtiments du groupe no 1 »[665]. En 1992 et 1993, la correspondance entre M. Fréchette du MEQ et M. Beaudet fait également mention d’un risque de contamination des eaux souterraines[666].
[545] Dans ces conditions, le défaut de vérifier l’existence d’une contamination, d’en vérifier l’étendue et, le cas échéant, d’aviser les municipalités susceptibles d’être affectées est une forme de négligence constitutive d’une faute civile.
[546] Du côté des autorités du centre de recherches et de la base militaire, la découverte de résultats d’analyse montrant des concentrations anormales de TCE dans l’eau de l’aqueduc en 1995 demeure un mystère. Ces résultats, qui ont été portés à l’attention de Mme Tremblay en 1998, n’ont vraisemblablement pas été remarqués lors de la réalisation des tests, qui selon les témoignages semblent avoir été demandés pour d’autres raisons. Cependant, la détection de TCE dans l’eau de l’aqueduc de la base militaire en 1997 aurait dû constituer un indice alarmant quant à l’étendue d’une éventuelle contamination, compte tenu de l’emplacement des puits qui l’alimentent.
[547] Bien que ces éléments en particulier ne soient pas déterminants, la Cour note également l’existence de deux détails troublants. Dans le compte rendu d’une réunion ayant eu lieu le 1er février 2001 à la base militaire, on peut lire la phrase suivante : « Le problème de la contamination de l’eau, à Valcartier, a été reconnu il y a 15 ans […] »[667].
[548] Par ailleurs, les représentants de la municipalité MM. Légaré et Kiley se plaignent en particulier de ne pas avoir été avisés de la détection de TCE dans l’eau de l’aqueduc au moment du transfert des infrastructures à la municipalité en 1999[668].
[549] L’ensemble de ces éléments de preuve amène la Cour à conclure que le défaut d’aviser la municipalité de Shannon de la découverte de TCE dans l’eau de l’aqueduc avant l’an 2000 constitue une faute civile de la part du gouvernement fédéral.
[550] L’appelante soutient également que le juge a commis une erreur en omettant de se prononcer sur l’application des articles 1465 et 1467 du Code civil du Québec. Elle affirme que la contamination de l’eau souterraine a été causée par le défaut des intimés d’entretenir leurs immeubles, et que les dommages causés par le TCE constituent un « fait autonome » du bien au sens de l’article 1465.
[551] Il n’est pas nécessaire de répondre de ces arguments. La faute étant établie, la responsabilité des intimés est engagée pour l’ensemble des préjudices causés par la contamination sur la base de l’article 1457 C.c.Q.
[552] L’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[669] est ainsi rédigé :
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.
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49. Any unlawful interference with any right or freedom recognized by this Charter entitles the victim to obtain the cessation of such interference and compensation for the moral or material prejudice resulting therefrom.
In case of unlawful and intentional interference, the tribunal may, in addition, condemn the person guilty of it to punitive damages. |
[553] Depuis l’arrêt St-Ferdinand, il est entendu que le caractère illicite de l’atteinte renvoie à la notion de comportement fautif au sens du droit commun[670].
[554] Une atteinte illicite sera qualifiée d’intentionnelle lorsque son auteur a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera[671].
[555] L’appelante soutient qu’il s’agit de deux tests distincts, dont chacun suffit à établir l’existence d’une atteinte intentionnelle. Elle est d’avis que le juge n’a pas correctement analysé la preuve en fonction du deuxième test, soit la connaissance des conséquences immédiates engendrées par la conduite illicite.
[556] Le juge a conclu qu’il n’était pas nécessaire de déterminer si les citoyens de Shannon ont été victimes d’une atteinte illicite à leurs droits, puisque, quand bien même ce serait le cas, cette atteinte ne saurait être qualifiée d’intentionnelle selon l’un ou l’autre des critères énoncés dans l’arrêt St-Ferdinand[672]. Il ne donne pas davantage d’explications à ce sujet.
[557] Le juge écrit :
[710] Également à ce chapitre, même si l'on considérait que le fait d'avoir déversé du TCE sur le sol, contaminant ainsi la nappe phréatique et les puits d'alimentation en eau potable, puisse constituer une atteinte illicite au «droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens», cette atteinte illicite, dans les circonstances que la preuve démontre, n'est certainement pas intentionnelle au sens du second alinéa de l'article 49 de la Charte.
[711] En effet, même si l'on qualifie le comportement des préposés des défendeurs «d'insouciant», la preuve ne démontre pas que les défendeurs et leurs préposés ont agi dans «un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences (de leur conduite fautive) ou encore (qu'ils ont agi) en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probable, que cette conduite engendrera».
[Transcription textuelle]
[558] À cet égard, le juge a commis deux erreurs de droit. Premièrement, dans le cas du deuxième volet du test de l’arrêt St-Ferdinand, il n’était pas possible de parvenir à une conclusion quant au critère de la connaissance des conséquences extrêmement probables sans faire l’analyse de la faute et de l’atteinte illicite. En effet, il existe un lien logique étroit entre le concept d’insouciance ou de négligence, pertinent pour établir l’atteinte illicite, et le deuxième volet de l’analyse de St-Ferdinand, quant à son caractère intentionnel. Sans faire l’analyse du caractère illicite de l’atteinte, le juge n’a pas tiré de conclusions factuelles suffisantes pour lui permettre d’évacuer la possibilité d’une atteinte intentionnelle au sens de l’article 49 al. 2 de la Charte.
[559] Deuxièmement, le juge a limité son analyse des dommages punitifs à l’atteinte alléguée à l’article 6 de la Charte, soit le droit à la jouissance paisible et la libre disposition de ses biens. En effet, le juge y fait référence aux paragraphes 703 et 705 de ses motifs et il conclut ainsi :
[707] Les résidents de la municipalité de Shannon ont été privés de leur puits d'alimentation en eau potable. Sans qu’il soit nécessaire de décider ici du caractère illicite de cette atteinte au sens de la Charte, on doit reconnaître que ces puits ont été remplacés par la construction d'un réseau d'aqueduc entièrement payé par le gouvernement du Canada. Il y a donc «réparation du préjudice matériel» au sens du premier alinéa de l'article 49 de la Charte et de l'article 1457 C.c.Q.
[Soulignement dans l’original]
[560] L’appelante estime cependant que les membres du groupe ont également été victimes d’une atteinte à leur droit à la vie, à la sûreté et à l’intégrité de la personne, protégé par l’article 1 de la Charte. Le juge a omis d’analyser cette prétention.
[561] Depuis l’arrêt St-Ferdinand, il est entendu que l’article 1 de la Charte protège à la fois l’intégrité psychologique, morale et sociale[673]. Il ne fait pas de doute, comme le conclut le juge de première instance, que les citoyens de Shannon ont subi des répercussions émotionnelles et psychologiques en raison des actes des intimés[674]. En particulier, ils ont été profondément affectés, sur le plan psychologique, par la découverte tardive de la contamination de leurs puits d’eau potable, par la privation de leurs puits, par la crainte des impacts possibles de la contamination sur leur santé et celle de leurs proches, et par les longues procédures judiciaires qui ont suivi.
[562] Il y a toutefois plus. L’article 1 de la Charte protège également le droit à la sûreté de la personne. Dans Imperial Tobacco, notre Cour écrit ceci :
[978] Le droit à la sûreté de la personne (personal security) est également prévu par l’article 1 de la Charte. En droit québécois, on peut le situer à proximité des droits à la vie et à l’intégrité en ce sens qu’une situation factuelle qui menace la personne physiquement de façon sérieuse, sans nécessairement menacer sa vie, pourra constituer une atteinte à sa sûreté. Notre Cour a déjà, par exemple, autorisé la désignation anonyme d’une partie qui avait fait l’objet de menaces sérieuses pour protéger son droit à la sûreté. Elle a également confirmé une décision voulant que l’intervention musclée de l’escouade tactique constitue une violation des droits à la vie, à la sûreté et à l’intégrité de personnes tuées ou blessées. La jurisprudence relative à l’article 7 de la Charte canadienne aide également à bien cerner ce droit. Par exemple, la Cour suprême a décidé que le fait d’interdire indirectement l’embauche de gardes du corps par une prohibition du fait de vivre des fruits de la prostitution ou encore l’imposition de procédures inutilement complexes préalables à l’avortement thérapeutique constituaient des atteintes à la sécurité au sens de l’article 7. De la même façon, une atteinte à la sûreté peut résulter d’une situation factuelle qui incite une personne à craindre raisonnablement pour sa vie ou encore qui menace son droit de ne pas être soumise à la violence, à des blessures ou au danger.[675]
[Renvois omis]
[563] Cette notion prend tout son sens ici. Les citoyens de Shannon ont été exposés à un risque important dont ils ignoraient l’existence et la magnitude. Leur sécurité a été compromise sans qu’ils soient en mesure de réagir à cette menace. Le fait que la menace à leur santé ne se soit pas concrétisée, dans la mesure où l’appelante n’a pas été capable de démontrer l’existence d’un problème de santé causé par le TCE dans la population de Shannon, n’est pas déterminant quant à l’existence d’une atteinte donnant ouverture à l’octroi de dommages punitifs.
[564] En effet, dans l’arrêt de Montigny c. Brossard[676], la Cour suprême a exposé le principe de l’autonomie des dommages punitifs par rapport aux dommages compensatoires. Dans cette affaire, la question consistait à déterminer si l’octroi de dommages punitifs dépend de l’octroi de dommages compensatoires et requiert pour ce faire la démonstration des éléments constitutifs de la responsabilité civile. Le juge LeBel, au nom de la Cour, écrit que « rien n’empêche de reconnaître le caractère autonome des dommages exemplaires et, partant, de donner à cette mesure de redressement toute l’ampleur et la flexibilité que son incorporation à la Charte commande »[677]. L’arrêt de Montigny c. Brossard a ainsi établi que des dommages-intérêts punitifs peuvent être octroyés même en l’absence de dommages-intérêts compensatoires, par exemple, en l’absence de préjudice.
[565] Quant à l’exigence du lien causal, le juge Gascon écrit au nom de la majorité dans Lonardi :
[80] Je rappelle à ce sujet que si une faute qu’aucun lien de causalité ne rattache au dommage invoqué ne peut fonder une obligation de réparer le préjudice, elle peut néanmoins justifier l’octroi de dommages-intérêts punitifs. En effet, de tels dommages-intérêts n’obéissent pas à la logique compensatoire du régime de responsabilité civile. Il importe d’ailleurs peu que le juge de première instance qualifie différemment la faute qui justifie l’octroi des dommages-intérêts compensatoires du comportement qui justifie l’octroi des dommages-intérêts punitifs. Dans l’arrêt de Montigny c. Brossard (Succession) […], notre Cour a mis fin à une longue controverse jurisprudentielle et consacré le caractère autonome des dommages-intérêts punitifs […]. Des dommages-intérêts de cette nature peuvent ainsi être octroyés même en l’absence d’une condamnation à payer des dommages-intérêts compensatoires en relation avec la faute qui les concerne.[678]
[566] Dans la présente affaire, la Cour a reconnu l’existence d’un préjudice moral qui donne droit à des dommages-intérêts compensatoires. Toutefois, en ce qui concerne l’octroi de dommages punitifs, il convient de souligner que, si l’appelante a échoué à faire la preuve d’un préjudice corporel associé à l’exposition au TCE, cela n’exclut pas la possibilité d’obtenir des dommages punitifs pour atteinte au droit à la sûreté des membres du groupe.
[567] L’interprétation du droit à la sûreté, consacré dans la Charte québécoise, qui se dégage de l’arrêt Imperial Tobacco, conjuguée à l’autonomie des dommages punitifs par rapport aux dommages compensatoires, signifie qu’une atteinte illicite et intentionnelle qui fait courir à autrui un danger pour sa vie ou son intégrité physique, sans pour autant que ce danger se réalise, pourra donner ouverture à l’octroi de dommages punitifs selon les articles 1 et 49 al. 2 de la Charte.
[568] Quant au premier test de l’arrêt St-Ferdinand, rien dans la preuve ne permet de remettre en question la conclusion du juge selon laquelle les défendeurs et leurs préposés n’ont pas agi dans un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de leur conduite fautive. Autrement dit, personne, chez les intimés, n’avait l’intention de contaminer la nappe phréatique, ni d’empoisonner quiconque à Shannon.
[569] Selon l’appelante, c’est au regard du deuxième volet du test proposé par l’arrêt St-Ferdinand, c’est-à-dire l’insouciance, que la conclusion du juge semble ignorer certains aspects particulièrement accablants de la preuve. De l’avis de l’appelante, l’analyse du juge est entachée, à ce titre, d’erreurs révisables qui commandent l’intervention de la Cour.
[570] Qu’en est-il?
[571] Trois aspects particuliers de la preuve administrée au procès sont pertinents à l’évaluation de l’atteinte illicite intentionnelle. L’analyse doit être faite dans le contexte de l’identification d’un droit protégé par la Charte. En l’espèce, comme on vient de le voir, l’analyse doit porter sur une atteinte intentionnelle au droit à la sûreté de l’article 1 et au droit à la jouissance paisible et la libre disposition de ses biens de l’article 6.
[572] Au moment de l’entrée en vigueur de la Charte québécoise, la contamination de la nappe phréatique qui alimente l’aqueduc de la base et les puits individuels des résidents de Shannon perdure malgré les avertissements non équivoques donnés en 1957-1958[679]. Dans le cas du centre de recherches alors sous le contrôle du ministère de la Défense nationale[680], c’est notamment la situation qui prévaut au Lagon bleu où les eaux usées des laboratoires sont rejetées dans une fosse filtrante à même un lit de sable en contact avec la nappe phréatique.
[573] En 1977, cette situation est déjà connue d’Environnement Canada, comme on l’a vu plus tôt, puisqu’elle justifie la préparation du devis d’une étude sur l’ampleur des problèmes environnementaux causés par la situation qui prévaut au Lagon bleu[681].
[574] Le résultat de cette étude est le Rapport Carrier[682] qui, après avoir caractérisé les rejets des laboratoires et avoir conclu à la présence de contaminants chimiques dans l’eau souterraine, condamne en des termes on ne peut plus clairs ces actes de pollution qui sont déclarés inacceptables[683].
[575] En conclusion de leur Rapport, les auteurs proposent dix recommandations et prévoient même un programme d’investissements pour les travaux devant être faits[684]. Ils précisent que « […] les travaux préconisés sont prioritaires et devraient être effectués au cours de 1978 »[685].
[576] Cette dernière recommandation s’explique par la volonté des auteurs du Rapport d’éviter la construction d’ouvrages temporaires pour remédier aux lacunes du système en place jugé « inadéquat »[686].
[577] Malgré ces recommandations précises et le caractère urgent des travaux requis pour mettre fin à la pollution causée par les effluents des laboratoires, le ministère de la Défense a mis plus de huit années pour les réaliser puisqu’ils ne seront terminés qu’en mai 1986[687].
[578] La preuve ne fait voir aucune mesure temporaire qui aurait été prise pendant ce délai pour mettre fin aux rejets contaminés dans le Lagon bleu. Au contraire, le cahier des charges afférentes à la construction du nouveau réseau gravitaire et du bassin tampon recommandés par le Rapport Carrier prévoit expressément que « l’étang », qui reçoit les eaux contaminées des laboratoires, ne peut être vidangé et ensuite remblayé que lorsque le nouveau réseau sera en opération[688], ce qui va prendre huit ans.
Presently all wastewaters from propulsion division laboratories are drained into a special sewer arrangement and directed thereafter into a sand excavated pond; levels of wastewaters in the pond vary directly with the ground water levels. […] Analysis of samples of wastewaters produced by propulsion laboratories has indicated that many of its constituents such as oil and fats, phenols, DCO, Cu, Pb, Hg, Cr and chlorinated solvents showed levels above the acceptable limits.
Because of the high permeability of the walls and bottom of the pond no acceptable period of retention is possible thereby causing an immediate contamination of the surrounding body of ground water. The present method of treatment is therefore unacceptable and a more efficient system is required.[689]
[580] Deuxièmement, les circonstances de la découverte, en décembre 1998, de résultats de l’analyse de l’eau de l’aqueduc de la Base de Valcartier faite en 1995 révélant des teneurs en TCE excédant la norme fédérale recommandée pour l’eau potable ont été déjà expliquées[690].
[581] À cette époque, c’est le Service de l’ingénierie à la Garnison Valcartier qui est responsable de l’aqueduc. Le fait qu’en 1995 des résultats de tests faits par le laboratoire qui avait une entente permanente avec la Garnison ont été ignorés par les autorités responsables de fournir l’eau potable à la Base et à des bâtiments de Shannon, notamment des logements familiaux, est inexcusable[691].
[582] Cette ignorance est encore plus inexcusable lorsqu’on considère qu’en août 1994 une vérification de conformité environnementale faite par Tecsult pour le CRDV signalait que les analyses d’eau fournie par la BFC Valcartier se limitaient à certains paramètres, créant ainsi un risque de contamination due aux paramètres non analysés. Ce risque était classé dans la catégorie de première priorité comme représentant un « [d]anger immédiat pour l’environnement » requérant une action immédiate. La recommandation était la suivante :
Faire régulièrement des analyses plus complètes de la qualité de l’eau à des endroits stratégiques. Faire un suivi pour plusieurs années et se conformer à la réglementation pertinente.[692]
[583] L’incurie des autorités de la Base de Valcartier qui ont ignoré des signes évidents de contamination généralisée de l’eau potable au TCE a eu pour effet de retarder d’au moins deux années la prise de mesures destinées à mettre les utilisateurs de l’aqueduc de la base militaire à l’abri de l’exposition au TCE.
[584] Troisièmement, les circonstances de la découverte de la contamination de l’eau potable de l’aqueduc de la base militaire ont déjà été exposées[693].
[585] L’aqueduc de la base militaire fournit également de l’eau potable à Shannon. C’est le cas notamment pour le secteur des logements familiaux destinés aux militaires et à leurs familles, soit près de 700 unités d’habitation et environ 2 200 personnes[694], en plus de la bibliothèque, des bureaux de la municipalité, de ceux de la MRC, de deux écoles, d’un centre communautaire et d’un petit commerce[695].
[586] Mme Claudie Tremblay, officier d’environnement de la base de Valcartier, a été informée le 31 octobre 1997 par M. Stéphane Jean de la présence de TCE dans le réseau d’aqueduc de la base militaire[696].
[587] À l’occasion d’une conférence que Mme Tremblay donne à Toronto au début du mois de novembre 1998, Mme Ginger Stones, directrice générale de la protection de l’environnement au ministère de la Défense nationale, lui recommande d’informer les personnes desservies en eau potable par l’aqueduc de la base militaire des résultats obtenus au sujet de la contamination au TCE[697].
[588] Le maire Kiley et M. Normand Légaré, inspecteur municipal pour Shannon, font état des négociations avec la Garnison Valcartier qui voulait transférer à la municipalité les infrastructures fédérales situées sur le territoire municipal. Ces négociations ont duré de 1996 à 1999. Les témoins déclarent que les représentants de la Garnison se faisaient tirer l’oreille lorsqu’il leur était demandé de fournir de l’information sur la qualité de l’eau et que ce sujet était souvent reporté de réunion en réunion. Les représentants de la municipalité n’ont jamais obtenu de données sur la présence du TCE dans le réseau. Il n’en a jamais été question. Le témoignage de M. Légaré, l’inspecteur municipal, est particulièrement éclairant sur cette question :
R. Oui. En fait, à titre de directeur des Travaux publics, j'assistais aux réunions suite à une demande la Garnison Valcartier, Défense nationale, de nous transférer les infrastructures de rue de loyers familiaux qui appartiennent, qui sont sur le territoire de Shannon, mais qui appartiennent à la Défense nationale. Ça, ça a commencé en 1996, puis ça s'est bouclé en 1999. Après beaucoup de discussions et de tractations, on a fini par accepter, avec protocole, en 1999.
Q. Vous acceptiez le protocole?
R. De prendre les rues et leur réseau d'aqueduc à notre entretien. Ça comprenait aussi le réseau d'égouts, l'entretien du réseau d'égouts et l'entretien des stations de pompage pour le réseau d'égouts, ainsi que le déneigement, la cueillette des ordures ménagères et le programme de recyclage qui va avec. Alors, ça comprenait tout ça. En fait, l'eau venait de Garnison Valcartier, était produite par eux autres, mais nous autres, on s'occupait du transport, en fait, de la tuyauterie.
[…]
Q. Pendant cette période de négociations au niveau du transfert des infrastructures, quelle information aviez-vous relativement à la qualité de l'eau desservie?
R. On a demandé des études côté état des tuyaux, ils avaient passé des caméras à des endroits, tout ça. Après ça, on a constaté qu'il y avait beaucoup de dépôts sédimentaires, c'est de la fonte ductile, donc il y avait possibilité de sédimentation. Et il y avait aussi, ce qu'on a découvert, ce qu'on avait, on avait du fer puis du manganèse pas mal dans l'eau. C'est ça. Et à plusieurs reprises, on leur demandait la qualité de l'eau, on s'interrogeait beaucoup sur la qualité de l'eau. Nos spécialistes nous disaient: « Bon, bien, il y a du fer, du manganèse, est-ce que vous pouvez préciser s'il y a autre chose? » Alors, ça tirait l'oreille un petit peu. C'était reporté de réunion en réunion très souvent. Mais on n'a jamais eu d'autres informations sur la qualité de l'eau que celle du fer, du manganèse. Ils nous avaient aussi donné l'assurance qu'ils installeraient dans la tuyauterie un produit, c'est un genre de glaze, de matière qui fait qui enrobe l'effritement pour ne plus avoir de sédimentation. Ça n'a jamais été fait.
Q. Quelle information, à cette époque-là, quelle information aviez-vous, quelles données aviez-vous relativement à la présence de TCE dans le réseau?
R. Aucune. Il n'en a jamais été question.[698]
[589] Or, à cette époque, et depuis octobre 1997, la Défense nationale savait que l’eau de l’aqueduc était contaminée au TCE. De plus, elle avait en main des rapports d’analyse qui démontraient que cette contamination existait dès 1995. Elle savait également que cette contamination perdurait en 1999, au moment de la cession du réseau d’aqueduc. En effet, ce n’est qu’en mars 2000 qu’est débranché du réseau d’aqueduc le puits P-5 qui était à l’origine de la contamination[699].
[590] La Cour est d’avis que le défaut du ministère de la Défense de mettre en œuvre les recommandations du Rapport Carrier pendant huit ans, alors qu’il savait que la contamination au TCE se continuait pendant cette période, son inaptitude à tenir compte de la présence prouvée du TCE au-delà des normes admissibles dans l’eau de l’aqueduc dès 1995 et son défaut de révéler cette contamination lorsqu’il a cédé les infrastructures de l’aqueduc à la municipalité en 1999 démontrent l’existence d’une atteinte illicite intentionnelle au sens de l’arrêt de la Cour suprême Québec (Curateur public c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand [700]. Ces comportements démontrent que les autorités du ministère de la Défense et du centre de recherches ont agi « […] en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera »[701]. Il s’agit en effet de comportements « […] dont les conséquences sont susceptibles d’être évitées, c’est-à-dire dont les conséquences étaient soit voulues soit connues par l’auteur de l’atteinte illicite »[702]. Il est également à noter que selon le compte rendu d’une réunion ayant eu lieu le 1er février 2001 à la base militaire, le problème de la contamination de l’eau était connu depuis 15 ans[703].
[591] L’accumulation des signaux d’alarme à partir de 1978, leur caractère urgent, la poursuite consciente d’une pratique polluante inadmissible pendant une longue période et l’indifférence[704] des autorités responsables au regard des conséquences d’une telle pratique sur la population visée obligent à conclure qu’il y a eu une atteinte illicite intentionnelle au sens du second critère de l’arrêt St-Ferdinand à un droit reconnu par la Charte, tout particulièrement au droit à la sûreté de l’article 1 ainsi qu’au droit à la jouissance paisible de ses biens de l’article 6.
[592] Cette atteinte illicite intentionnelle à un droit reconnu par la Charte justifie une condamnation à des dommages punitifs dont doit répondre le procureur général du Canada.
[593] Il va de soi que plus longtemps est exposé un citoyen à la présence de TCE dans l’eau qu’il boit, plus grandes seront ses inquiétudes lorsqu’il comprendra que l’eau qu’il consommait était contaminée.
[594] Voici ce que le juge de première instance retient des témoignages donnés par les citoyens de Shannon.
[132] Dix-sept personnes, dont Mme Spieser, ont témoigné au sujet des cancers, maladies ou autres malaises qu'elles-mêmes, un membre de leur famille, un proche parent ou un ami ont éprouvés.
[133] On ne peut être insensible face à l'épreuve que chacune de ces personnes a traversée et dans certains cas vit encore. Emprunt de sérénité, chaque témoignage exprime toute la souffrance et les inquiétudes associées à cette grave maladie qu'est le cancer, à ses conséquences et aux difficiles traitements pour le vaincre.
[134] À l'écoute de chacun de ces témoignages, on constate que trois éléments se démarquent.
[135] Chacune de ces personnes éprouve de sérieux doutes et quelques fois se dit convaincue que ce qu'elle a vécu a été causé par la seule présence du TCE dans son eau de consommation.
[136] On reproche aussi aux responsables des différentes entreprises et organismes publics concernés de ne pas avoir informé la population de la municipalité de Shannon dès qu'ils ont eu connaissance de la présence de TCE dans la nappe phréatique. Quelques-uns de ces témoins se sont même sentis «trahis» de ne pas avoir été informés.
[137] Enfin, certains témoins vivent encore aujourd'hui avec la crainte des conséquences d'avoir été exposés au TCE. Cette crainte est quelques fois exacerbée par le fait qu'ils ont déjà été atteints d'un cancer.
[…]
[731] La preuve démontre que la population de Shannon, et plus particulièrement les personnes résidant dans le secteur identifié «le triangle rouge» ont été perturbées par la présence de TCE dans certains puits d'alimentation en eau potable. Les témoignages entendus à l'audience démontrent que plusieurs personnes, à l'instar de Mme Spieser, ont éprouvé de l'inquiétude, de la frustration et de la méfiance, sans compter tous les inconvénients que cette situation leur a occasionnés.
[Transcription textuelle]
[595] La Cour est d’avis que les témoignages suffisent à établir que les citoyens affectés par la contamination ont subi un préjudice moral indemnisable, distinct du dérangement occasionné par le raccordement à l’aqueduc. Ces deux formes de préjudice, liées d’un côté au dérangement et de l’autre aux craintes et angoisses ressenties, ont touché différents groupes de citoyens. Rappelons que, dans Laferrière c. Lawson, la Cour suprême a reconnu les souffrances psychologiques d’une personne, décédée au cours de l’instance, que son médecin n’avait pas avisée de son état cancéreux. Sans qu’il ait été possible de démontrer que la faute de son médecin avait causé son décès, la Cour a jugé qu’il était néanmoins responsable du stress psychologique ressenti par sa patiente en apprenant qu'elle avait vécu pendant quatre ans sans savoir qu'elle souffrait d'un cancer et sans bénéficier du traitement qui aurait été indiqué dans son cas[705].
[596] Il est important de rappeler que la Cour ne peut indemniser les citoyens de Shannon pour les effets directs de l’exposition au TCE. L’appelante n’a fait la preuve d’aucun préjudice causé par le TCE lui-même. Le préjudice moral que les citoyens de Shannon ont subi leur a été causé par le fait d’apprendre l’existence de la contamination, et par l’ensemble des craintes et des angoisses qui en ont découlé.
[597] Pour cette raison, les concentrations de TCE mesurées dans l’eau potable importent moins que les craintes ressenties par les gens de Shannon après la découverte de la contamination. À ce titre, une personne qui a vécu dans une maison dont l’eau potable contenait une concentration élevée de TCE a droit à la même réparation que son voisin chez qui aucune trace de TCE n’a été détectée, si les craintes, le trouble et l’atteinte psychologique causés par la contamination étaient les mêmes.
[598] L’avis de santé publique transmis aux citoyens de Shannon en décembre 2000 indiquait ceci :
Aux résidents propriétaires de puits dont les concentrations en TCE sont inférieures à 50 µg/L et à ceux qui habitent la zone désignée à risque par le ministère de l'Environnement
- Étant donné que nous ne pouvons être garants de l'évolution de la contamination, nous vous recommandons de ne pas consommer l'eau du robinet et d'utiliser une alternative telle que l'eau embouteillée tant que la situation n'aura pas été évaluée adéquatement.[706]
[Caractères gras dans l’original]
[599] Denis Gauvin explique ainsi cette recommandation :
[…] Pour les résidents qui avaient une concentration inférieure à cinquante microgrammes par litre (50 μg/l), on recommandait également de ne pas consommer leur eau, même s'ils étaient inférieurs à la recommandation, du fait, entre autres, qu'on ne savait pas l'évolution de cette contamination-là. Peut-être qu'une journée c'était... vous étiez à quarante (40) puis le lendemain, ça pouvait être à deux cents (200) ou à deux (2), on n'avait aucune espèce d'idée de quelle façon la contamination pouvait évoluer dans le temps. Donc, on avait dit aux gens : «Même si vous êtes inférieurs à cinquante microgrammes par litre (50 μg/l) et même à la limite, même si vous avez zéro dans votre puits, si vous avez été identifiés dans la zone jugée à risque, on recommandait d'utiliser une alternative à l'utilisation de cette eau-là, là, soit l'eau embouteillée.»[707]
[600] On le constate, une grande incertitude régnait à ce moment-là quant à l’étendue de la contamination et au groupe de citoyens affectés.
[601] Il n’est pas réaliste, sur la base de la preuve incomplète dont la Cour dispose, d’évaluer le préjudice moral de façon individualisée, en fonction des craintes et des frustrations effectivement subies. Il n’est pas non plus possible de chercher à définir les réparations auxquelles aurait droit un citoyen en fonction de la position géographique de sa résidence par rapport au panache ou encore en fonction des concentrations moyennes détectées dans sa résidence. De tels modes de réparation ne manqueraient pas de causer d’innombrables difficultés au moment du recouvrement. La Cour doit adopter un plan de réparation qui soit à la fois raisonnablement équitable et puisse être mis en œuvre de façon efficace.
[602] Dans The Gazette c. Valiquette, le juge en chef Michaud rappelait que l’évaluation du préjudice moral est « un exercice imprécis et arbitraire [qui] se prête difficilement à une évaluation mathématique »[708]. Il citait également les propos du juge Dickson dans l’arrêt Andrews, selon qui l'évaluation monétaire des pertes non pécuniaires relève davantage d’un « exercice philosophique et social que juridique ou logique »[709]. Certes, l’évaluation de ce préjudice est un exercice difficile. Toutefois, la difficulté à déterminer le montant des dommages-intérêts ne constitue pas un motif pour refuser d’accorder des dommages-intérêts considérables.
[603] Forte de ces enseignements, et en l’absence d’une évaluation complète par le juge, la Cour doit déterminer sur quelle base elle doit s’appuyer pour déterminer qui, à Shannon, a subi un préjudice moral.
[604] Un point de départ évident est le périmètre de 76 résidences établi par le MEQ lors de la réception des premiers résultats d’analyse en décembre 2000. Ces résidences sont énumérées dans la pièce PGC-59, onglet 63, qui montre les résultats des tests effectués en janvier 2001. Les résidents de ces 76 maisons ont été convoqués à une réunion organisée par la DSP en mars 2000[710].
[606] Ces résidences forment un périmètre qui englobe les rues King, de la Station et Sioui, une partie du boulevard Jacques-Cartier, une partie des rues Conway et Juneau, de même que certaines autres résidences isolées. La zone s’étend un peu au nord du triangle formé par la rue King et le boulevard Jacques-Cartier, environ jusqu’à la moitié des rues Juneau et Conway, et comprend certains numéros du côté sud. Sur ces 76 résidences, une cinquantaine de maisons présentaient des traces de TCE, dont 33 à des concentrations supérieures à 5 µg/L[711], une vingtaine à des concentrations supérieures à 50 µg/L, et une dizaine à des concentrations supérieures à 200 µg/L[712]. Les quantités les plus élevées sont concentrées dans les rues King et de la Station, ainsi que sur la section du boulevard Jacques-Cartier qui va du numéro 417 à 435.
[607] Ce périmètre recoupe en bonne partie le groupe de résidences raccordées à l’aqueduc lors de la phase 1, décrit par la pièce R-132, que retient le juge aux fins de l’octroi de réparations pour troubles de voisinage[713]. Il s’agit essentiellement du même groupe qui peut raisonnablement prétendre avoir subi un préjudice moral. La Cour remarque toutefois que certaines résidences raccordées à l’aqueduc durant la phase 1 ne se trouvent pas dans le périmètre à risque, notamment les résidences de la rue Gosford, de même qu’une partie des rues Conway et Juneau.
[608] La Cour remarque aussi que le périmètre à risque comprend également, peut-être à titre exploratoire, certaines résidences isolées du côté sud, notamment sur les rues Birch et des Mélèzes, dans le secteur situé le plus près du panache. Les tests ultérieurs n’ont révélé qu’une contamination minime, voire inexistante dans ce secteur.
[609] La Cour est d’avis de retenir, tout comme l’a fait le juge de première instance aux fins de l’octroi de réparations pour troubles de voisinage, le groupe d’adresses décrit dans la pièce R-132 sous l’en-tête « Phase 1 » comme étant celui dont les résidents peuvent prétendre avoir subi un préjudice moral résultant de l’exposition au TCE. Selon le maire Kiley, ce secteur regroupe au total 161 résidences[714].
[610] Techniquement parlant, le préjudice moral ne s’est manifesté qu’à partir de décembre 2000, c’est-à-dire à partir du moment où les citoyens de Shannon ont pris connaissance de la contamination. Cependant, la Cour est d’avis que les réparations individualisées doivent nécessairement refléter les craintes liées à l’exposition passée pour constituer une mesure adéquate de l’ampleur du préjudice moral subi. En effet, plus la période d’exposition est longue, plus la personne raisonnable craindra ses effets dommageables sur sa santé et celle de ses proches.
[611] Pour déterminer la période d’exposition pour laquelle il est raisonnable d’octroyer des réparations aux résidents de Shannon desservis par des puits privés, il est nécessaire de revisiter la preuve hydrogéologique[715].
[612] Sur cette question, le juge de première instance fait le constat que les opinions des experts Chapuis pour l’appelante et Lefebvre pour les intimés sont inconciliables tant en ce qui concerne les durées d’exposition au TCE des résidents de Shannon que la concentration en TCE contenue dans les puits des résidences de la municipalité avant 2000[716].
[613] Confronté aux expertises contradictoires sur la question de l’hydrogéologie, le juge a considéré que cette preuve n’était pas probante parce qu’elle s’inscrivait davantage dans un contexte de possibilité que de probabilité. Son constat résulte « […] de l’incertitude des données de base avec lesquelles l’un et l’autre des modèles numériques [sur lesquelles se fondent les experts] ont été construits »[717]. En décidant ainsi, il a fait succomber l’appelante sur qui reposait la charge de la preuve quant à la durée d’exposition des citoyens de Shannon au TCE.
[614] D’emblée, la Cour se heurte à des difficultés majeures. D’abord, celle de tenter de retracer dans le passé l’orientation et la vitesse d’écoulement de l’eau souterraine[718]. Les résultats des tests effectués à partir de décembre 2000 ne permettent pas de révéler l’étendue spatiale et la gravité de la contamination dans le passé. À cet élément majeur d’incertitude, s’ajoute le fait qu’il n’est pas possible de connaître le volume total de TCE qui a été déversé dans la nappe phréatique à partir des zones sources puisqu’on ne connaît même pas la quantité qui a été utilisée tant au centre de recherches qu’à l’usine de munitions.
[615] Cependant, si la preuve hydrogéologique ne permet pas de déterminer le moment précis d’arrivée du TCE à Shannon, elle permet assurément de conclure que les résidents de Shannon ont été exposés avant l’an 2000. Le Dr Chapuis, l’expert de l’appelante, soutenait que les puits de Shannon auraient été atteints par la contamination à partir de 1956, mais auraient pu l’être dès 1951, pour une exposition de 45 à 50 ans avant 2001[719]. Selon ses calculs, le TCE émis au bâtiment B98 de RDDC nord aurait atteint Shannon en 1974; le TCE émis au bâtiment B67, en 1981; le TCE déversé dans le Lagon bleu, en 1970; le TCE émis au secteur 214, en 1956; finalement, le TCE déversé dans la lagune C aurait atteint Shannon en 1969. Dans le cas de la source de contamination du dépotoir de la SIVI, la contamination aurait atteint les puits résidentiels de Shannon en 1983[720].
[616] Quant au Dr Lefebvre, l’expert des intimés, il faut souligner que son opinion a évolué de façon significative au cours des années. Lors d’une réunion de décembre 2001 où sont présents des représentants des citoyens de Shannon, il déclare qu’en raison de la vitesse d’écoulement des eaux souterraines estimée à environ 200 mètres par année, il est possible que le TCE ait atteint Shannon depuis 20 ans[721].
[617] Dans le rapport cosigné par le Dr Lefebvre en 2003, les experts de l’INRS expliquent que selon leur modèle, en postulant une période de migration de 60 ans, seul le TCE émis dans la lagune C aurait atteint Shannon en 2001, alors que le TCE émis au secteur 214 et à RDDC nord n'aurait atteint que les environs des puits de la Garnison. Les experts estiment une période d’exposition de 10 ans des puits résidentiels. Ils écrivent :
[…] Considérant une erreur probable du modèle de l'ordre de 25 % et l'incertitude liée au modèle autour de la Lagune C, la durée de la contamination des puits privés de Shannon est donc susceptible de s'être produite depuis environ 5 à 15 ans.[722]
[618] Dans son rapport de juillet 2010, soumis aux avocats du ministère de la Défense nationale et de Justice Canada, le Dr Lefebvre formule les conclusions suivantes :
En considérant le temps de migration initial du TCE avant d’atteindre l’aquifère deltaïque et la période d’émission potentielle aux zones sources, les durées moyennes d’exposition potentielle des puits résidentiels de Shannon a été estimées comme suit pour chaque zone source :
· Pour les zones sources B98 et B67 localisées à RDDC Nord, le TCE émis par ces zones sources n’aurait pas atteint Shannon en 2001, tandis que le TCE émis par la zone source du Lagon Bleu aurait pu atteindre Shannon en 1992 (depuis 9 ans en 2001);
· Dans le cas du TCE émis par la zone source du Secteur 214 localisée sur les terrains de la SIVI, le TCE aurait pu atteindre Shannon en 1978 (depuis 23 ans en 2001);
· Pour la zone source de la Lagune C située sur les terrains de la SIVI, le TCE émis aurait pu atteindre Shannon en 1982 (depuis 19 ans en 2001);
· Du TCE aurait aussi pu atteindre Shannon à partir de zones sources potentielles situées à la limite ouest de la propriété de la SIVI et qui sont présumées être en relation avec l’émergence de TCE dans la nappe deltaïque régionale en amont de Shannon. La possibilité que ces sites soient des zones sources doit cependant être vérifiée.[723]
[Transcription textuelle]
[619] Finalement, dans sa contre-expertise de décembre 2010, le Dr Lefebvre modifie substantiellement ses conclusions. Il explique que de nouvelles informations sur le débit des puits exploités à la Garnison et à l’usine de munitions ont été portées à sa connaissance. Ces informations lui ont permis de définir les conditions d’exploitation de l’eau souterraine dans le secteur de Valcartier de 1940 à nos jours. Il a modélisé les effets de ce pompage sur les conditions d’écoulement ainsi que sur la migration du TCE à partir des zones sources jusqu’à Shannon[724].
[620] Le résultat de cette nouvelle analyse est frappant. Ainsi, pour les sources de contamination des bâtiments B98 et B67 de RDDC nord, la contamination au TCE n’aurait atteint Shannon qu’en 2007. Ce serait la même chose pour la source du Lagon bleu de RDDC nord alors que, dans son rapport de juillet 2010, il concluait que la contamination issue de ce secteur aurait pu atteindre les puits résidentiels de Shannon en 1992, pour une durée d’exposition de 9 ans en 2001.
[621] Ces écarts importants entre les deux rapports de l’expert Lefebvre tiennent essentiellement à l’impact du pompage de la nappe phréatique pendant toutes les années d’exploitation, d’abord celui des puits de la Garnison Valcartier qui servaient à fournir l’eau potable à la Garnison et à certains bâtiments situés sur le territoire de Shannon, notamment les logements familiaux, et surtout celui des puits des Industries Valcartier en exploitation de 1940 à 1991.
[622] En définitive, comme le font voir le Tableau 2 de son rapport du 20 décembre 2010[725] et les explications qu’il donne lors de son interrogatoire en chef[726], l’expert Lefebvre postule qu’entre 1940 et 1991 le pompage des puits des Industries Valcartier a eu pour effet d’empêcher totalement la migration vers Shannon du TCE provenant des zones sources du Secteur 214, du Lagon bleu et des zones sources B98 et B67 de RDDC.
[623] La question des débits historiques de pompage dans le secteur Valcartier est cruciale, car pour justifier un arrêt complet de la migration du TCE vers les puits résidentiels de Shannon, comme le postule l’expert Lefebvre, encore faut-il que les débits de pompage soient conséquents. Dans le cas des puits des Industries Valcartier, si les périodes d’exploitation sont bien connues, il n’en va pas de même pour les débits de pompage. Dans son Rapport du 20 décembre 2010, le Dr Lefebvre explique la méthode qu’il a suivie pour estimer les débits pompés par les puits nos 2, 3 et 4 de la SIVI pour la période d’exploitation de 1940 à 1991 :
McCormack (1983) précise aussi la consommation totale des Industries Valcartier en 1980 (6364 m3/j). Comme c’est la seule référence sur cette consommation, cette valeur a été présumée s’appliquer de 1940 à 1991, tant que les puits des Industries Valcartier ont été en opération. Entre 1940 et 1950, avant que le Puits No. 4 soit en opération, le débit total d’exploitation a été divisé entre les deux autres puits au pro rata de leur capacité d’exploitation;[727]
[624] La Cour est d’avis que ce postulat, quant aux débits des puits de la SIVI pour la période de 1940 à 1991, qui a été retenu par le juge de première instance[728] et sur lequel le Dr Lefebvre fonde son expertise de décembre 2010, est contredit par la preuve factuelle tant documentaire que testimoniale administrée au procès.
[625] Plusieurs motifs justifient cette conclusion. En premier lieu, le Tableau 1 du Rapport Lefebvre décembre 2010[729] se fonde sur l’addition des débits en m3/j des trois puits pour toute la période 1940-1991 alors qu’il n’y avait en réalité que deux puits en exploitation, le troisième étant toujours gardé en réserve[730].
[626] En second lieu, les débits mentionnés au Tableau 1 du Rapport du 20 décembre 2010 ne valent que pour les années pendant lesquelles les Industries Valcartier inc. étaient exploitées au régime maximum, que ce soit en termes de contrats ou d’effectifs[731]. Or, la preuve révèle clairement qu’il n’en a pas toujours été ainsi. À partir de 1946, lors du remplacement de la vieille usine, la période initiale était « à production bien modérée ». Elle avait beaucoup augmenté en 1957, mais, en décembre 1966, lors de la privatisation de l’usine, il y eut un grand ralentissement de la production pendant plus d’une année, suivie d’une reprise accélérée[732]. En 1988, il y a eu une grève de huit mois et, après cette grève, plusieurs employés ont perdu leur emploi à la suite d’une décision de cesser la production de munitions sportives. Ainsi, alors que l’usine employait de 700 à 800 employés avant la grève, ce nombre avait diminué de moitié à l’époque de la fermeture en 1991[733].
[627] En troisième lieu, les débits présumés constants par l’expert Lefebvre ne tiennent pas compte des baisses significatives de rendement des puits de la SIVI, par suite du colmatage de la crépine de chaque puits par le fer présent en abondance dans l’eau de la nappe phréatique. Selon M. Denis Beaudet, il en résulte que « […] le débit réduit considérablement » puisque l’eau ne réussit plus à rentrer dans la crépine[734].
[628] Cette situation est bien illustrée par un rapport de la Compagnie internationale des eaux qui, en vertu d’une entente avec les Industries Valcartier inc., venait tous les trois, quatre ou cinq ans pour procéder à la réhabilitation des puits. Ce rapport du 31 mars 1981[735] fait voir une baisse substantielle de rendement des puits nos 3 et 4 depuis leur construction en 1941 et 1951, et ce, même si le potentiel de la nappe phréatique n’a pas baissé de façon significative[736]. Comme il y avait trois puits et qu’ils n’étaient pas réhabilités en même temps, il pouvait s’écouler entre huit et dix ans pour que chaque puits soit réhabilité[737].
[629] Quatrièmement, enfin, le puits no 4 a été mis en exploitation en 1951 alors que les puits nos 2 et 3 ont été construits respectivement en 1940 et 1941. Étant donné que le puits no 4 a été conçu pour un débit supérieur au total des débits des puits nos 2 et 3[738], l’expert Lefebvre n’explique pas ce qui lui permet de répartir rétroactivement à 1940 entre les puits nos 2 et 3 le débit du puits no 4 qui n’a été mis en exploitation que 10 ans plus tard. Par ailleurs, la preuve ne fournit aucun appui à cette présomption qui ne tient pas compte des baisses de production des puits nos 2 et 3 à cause de leur colmatage jusqu’à ce qu’ils soient réhabilités quelques années plus tard. De plus, les débits retenus ne valent que pour les années de production intensive. Or, on a vu qu’à partir de 1946 la production était « bien modérée »[739].
[630] Ces éléments de la preuve administrée au procès démontrent que l’hypothèse postulée par l’expert Lefebvre dans son rapport du 20 décembre n’est pas fondée, car elle n’est pas conforme à la preuve factuelle. Le juge a commis une erreur révisable en acceptant cette hypothèse voulant que le débit de 6 364 m3/j indiqué par McCormack en 1983 pour les trois puits des Industries Valcartier s’appliquait de 1940 à 1991. La preuve révèle plutôt que les débits totaux pour cette période étaient certainement moins élevés et, parfois même, de beaucoup.
[631] En conséquence, les effets du pompage sur la vitesse de migration des contaminants depuis les zones sources jusqu’aux puits résidentiels de Shannon ont été surévalués par l’expert. Il en résulte que les périodes d’exposition au TCE retenues par l’expert pour les résidents de Shannon étaient certainement plus longues que celles qu’il a déterminées en décembre 2010.
[632] S’il n’est pas possible de déterminer de façon précise à quelle date la nappe phréatique contaminée au TCE a atteint Shannon, la faiblesse des hypothèses sur lesquelles s’est fondé le Dr Lefebvre pour calculer les débits du pompage permet à tout le moins d’utiliser la marge d’incertitude que l’expert reconnaît lui-même[740] et qui selon lui se situerait entre 5 à 10 ans[741]. L’ensemble de la preuve hydrogéologique permet de conclure, au minimum, que la période d’exposition des résidents de Shannon dont les puits ont été contaminés peut, aux fins de l’octroi de dommages moraux, être fixée à cinq ans, soit de janvier 1996 à décembre 2000.
[633] Il faut également tenir compte de la situation particulière des personnes qui habitaient dans le secteur des logements familiaux, qu’il convient de distinguer de celle des résidents dont les puits ont été contaminés. Le juge a estimé qu’on ne pouvait parler, à leur égard, de troubles de voisinage au même titre qu'à l'égard des résidents de la zone contaminée de la municipalité[742]. Toutefois, on sait que le réseau d’aqueduc qui alimentait ces résidences est contaminé par le TCE depuis au moins 1995, comme en témoignent les résultats d’analyses mystérieux découverts par Claudie Tremblay en 1998. On sait également que la contamination était généralisée et que l’exposition n’a cessé qu’en mars 2000 lorsque le puits #5 a été débranché du réseau d’aqueduc. La Cour est d’avis que les personnes ayant habité une résidence alimentée par le réseau d’aqueduc de la base militaire ont elles aussi subi un préjudice moral en raison de la contamination de leur eau potable. Ce secteur regrouperait environ 700 unités d’habitation[743].
[634] Aux fins de déterminer la compensation appropriée au préjudice moral subi par les résidents des logements familiaux, la Cour conclut donc que la preuve permet d’établir une période d’exposition qui va d’avril 1995 à mars 2000.
[635] Dans les deux cas, les périodes d’exposition retenues totalisent 60 mois (d’avril 1995 à mars 2000 et de janvier 1996 à décembre 2000). Rappelons que cette période d’exposition est retenue à titre de mesure du préjudice moral. Il ne s’agit pas d’estimer les effets du TCE lui-même, mais plutôt l’étendue des inquiétudes et angoisses subies par les résidents affectés lors de la découverte de la contamination.
[636] Toutes les personnes ayant habité dans l’une des résidences visées par la phase 1 du raccordement, de même que celles ayant habité dans l’un des logements alimentés par l’aqueduc de la base, au cours de la période d’exposition pertinente, auront droit à un montant de 750 $ par mois d’occupation.
[637] Finalement, la Cour est d’avis d’accorder, comme le faisait le juge de première instance, un montant forfaitaire de 3 000 $ à toute personne, parmi les deux groupes ayant droit aux dommages moraux liés à l’exposition, ayant eu sous sa garde ou sa responsabilité un ou plusieurs enfants âgés de moins de 18 ans qui vivaient avec elle au cours de la période d’exposition pertinente.
[638] La Cour doit également tenir compte des dérangements et inconvénients subis à l’occasion du raccordement à l’aqueduc, préjudice déjà reconnu par le juge de première instance. Or, ce préjudice ne concerne pas uniquement les citoyens visés par la première phase de raccordement.
[639] La Cour est d’avis d’accorder, selon le modèle employé par le juge de première instance, une réparation à chacune des personnes physiques majeures un montant de 250 $ par mois d'occupation d'une résidence lors de l’une ou l’autre des phases de raccordement à l’aqueduc décrites par la pièce R-132. Cela inclut le groupe de la phase 1 déjà visé par les réparations versées pour le préjudice moral lié à l’exposition au TCE.
[640] Il faut toutefois noter que la pièce R-132 indique simplement « décembre 2001 » pour ce qui est de la phase 1. En réalité, cette phase de raccordement s’est déroulée de septembre 2001 à décembre 2001, soit pour une période de quatre mois[744].
[641] Finalement, quant aux dommages punitifs auxquels est condamné le procureur général du Canada, la Cour est d’avis de les octroyer au même groupe de citoyens qui ont droit aux dommages moraux liés à l’exposition, c’est-à-dire les résidents visés par la phase 1 du raccordement, et les résidents des logements familiaux. La Cour accorde à ces personnes 250 $ par mois d’occupation au cours de la période d’exposition.
[642] En vertu d’un accord de subvention conclu en 2001, le ministère de la Défense nationale a accepté de financer la construction d’un réseau d’aqueduc pour alimenter les résidences du secteur touché par la contamination[745]. Le juge a estimé que le raccordement des résidences couvre le préjudice matériel que constitue la perte des puits artésiens[746]. L’appelante ne soulève aucun argument justifiant de réviser cette conclusion.
[643] Quant au préjudice matériel allégué de 500 $ réclamé pour compenser l’achat d’équipements et d’eau embouteillée, la preuve révèle que ces dépenses ont été payées par la municipalité[747] au moyen de subventions accordées par le ministère de l’Environnement du Québec, qui semblent avoir été ultimement remboursées par le ministère de la Défense nationale[748]. La Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’intervenir sur cette question.
[644] Dans le cadre de l’appel incident des intimés, le procureur général soutient que le juge a commis une erreur en accordant des dommages aux citoyens dont la maison a été raccordée à l’aqueduc lors de la phase 1, indépendamment de la concentration de TCE mesurée dans l’eau de leurs puits.
[645] Selon le procureur général, le juge se contredit. D’une part, il explique que les résidents des logements familiaux n’ont pas subi d’inconvénient anormal, parce que la concentration de TCE mesurée dans l’eau de l’aqueduc se situait autour de la norme réglementaire de 50 µg/L et qu’on s’est rapidement assuré d’un approvisionnement de qualité en eau potable[749]. D’autre part, il accorde des réparations pour troubles de voisinage aux résidents visés par la phase 1 du raccordement des résidences à l’aqueduc, alors que chez plusieurs d’entre elles, les concentrations de TCE mesurées étaient inférieures à la norme réglementaire.
[646] Le procureur général du Canada soutient donc que seuls les résidents de 19 maisons, identifiées au moyen de la pièce R-11.1, où des concentrations de TCE supérieures à 50 µg/L ont été détectées peuvent prétendre avoir subi des inconvénients anormaux. Le juge aurait commis une erreur en retenant la liste de résidences visées par la phase 1 du raccordement à l’aqueduc, parce que la plupart de ces résidences sont situées à l’extérieur du panache et du périmètre à risque établi par le MEQ, et que dans la majorité d’entre elles, aucune trace de TCE n’a été détectée.
[647] À cela, l’appelante, à titre d’intimée incidente, rétorque que le seul fait d’être exposé, à son insu et contre son gré, à une substance toxique et cancérigène constitue un inconvénient anormal et excessif, et que la constatation ultérieure du fait qu’un membre du groupe à risque n’a pas été exposé au TCE n’élimine pas le dommage moral et psychologique subi.
[648] La décision de la Cour quant au préjudice moral règle le sort de l’appel incident. Le critère de l’inconvénient anormal ne rend pas adéquatement compte du préjudice subi par les citoyens de Shannon, et la concentration de TCE détectée dans l’eau des puits privée n’est pas une mesure adéquate de ce préjudice.
[649] Le plan d’indemnisation retenu se décompose donc comme ceci. Les groupes d’adresses visés sont présentés plus en détail dans l’ANNEXE A : Plan d’indemnisation (fondé sur la pièce R-132).
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Dommages moraux : exposition au TCE |
Dommages moraux : troubles et inconvénients liés au raccordement |
Dommages punitifs |
Groupe 1 : |
750 $ par mois d’occupation pendant la période d’exposition (janvier 1996 à décembre 2000) |
250 $ par mois d’occupation pendant la phase de raccordement 1 |
250 $ par mois d’occupation pendant la période d’exposition (janvier 1996 à décembre 2000) |
Groupe 2 : (phases 2, 3 et 4) |
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250 $ par mois d’occupation pendant la phase de
raccordement propre à chaque groupe de résidences |
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Groupe 3 : |
750 $ par mois d’occupation pendant la période d’exposition (avril 1995 à mars 2000) |
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250 $ par mois d’occupation pendant la période d’exposition (avril 1995 à mars 2000) |
Parmi les groupes 1 et 3 : Les personnes ayant eu sous leur garde un ou des enfants âgés de moins de 18 ans pendant la période d’exposition |
3 000 $ |
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[650] À l’audience, les intimés ont insisté pour plaider la prescription libératoire, mais seulement en ce qui concerne les résidents des logements familiaux. Le procureur général du Canada fait valoir qu’il a invoqué l’argument dans sa défense réamendée du 5 juillet 2011. Le jugement de première instance n’en fait aucune mention.
[651] Selon les intimés, le recours des occupants des logements familiaux intenté le 19 décembre 2003 était prescrit depuis le 16 décembre 1998 par l’effet de l’article 2925 C.c.Q. Ils plaident en effet que le point de départ de la prescription extinctive est le 16 décembre 1998, date de publication de l’ADSUM, le journal hebdomadaire du Groupe de Soutien de Secteur et de l’Unité de Soutien de Secteur Valcartier[750].
[652] En matière extracontractuelle, la prescription ne peut commencer à courir avant que la partie demanderesse ait connaissance des trois éléments de la responsabilité, soit la faute, le dommage et le lien de causalité. Il est donc primordial que la partie demanderesse connaisse la nature de la conduite fautive, l’identité de son auteur ainsi que l’existence d’un lien causal entre cette faute et le dommage[751].
[653] En l’espèce, l’article de l’ADSUM ne fait qu’informer ses lecteurs de la présence « en faible quantité » de TCE dans l’eau potable de la Garnison Valcartier. La concentration demeure « sous la norme recommandée par Santé Canada » et l’ensemble des intervenants, notamment ceux de la DSP, d’Environnement Canada et de Santé Canada, « sont d’avis qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter puisque les concentrations détectées sont trop faibles pour être nocives ». L’article ajoute que la consommation de cette eau ne représente pas de menace pour la santé de la population et qu’il n’y a donc aucun problème à consommer l’eau potable et aucune nécessité de boire de l’eau en bouteille ou encore d’utiliser des filtres à eau.
[654] Non seulement l’article ne révèle-t-il pas comment et par qui l’eau potable a été contaminée au TCE, mais sa teneur est de nature à dissimuler aux occupants des logements familiaux l’ampleur et la cause réelles de la contamination. Rien dans ce texte ne leur permet de connaître les éléments de la responsabilité justifiant d’y voir le point de départ de la prescription extinctive. Par ailleurs, parmi les occupants des logements familiaux entendus au procès, aucun n’a appris la contamination de l’eau potable par le biais de cette publication.
[655] Pour sa part, l’appelante explique que les occupants des logements familiaux à Shannon n’ont eu une connaissance réelle de la situation qu’en février 2001 alors qu’ils ont été conviés à une réunion d’information au Centre récréatif de Shannon devant se tenir le 8 février 2001. Un premier avis de convocation a été donné le 2 février[752] et un second, le 7 février[753]. À ce second avis était joint un avis de santé publique de la DSP faisant état d’une « évolution imprévisible de la contamination de l’eau souterraine »[754]. Près de 500 personnes ont assisté à cette assemblée d’information au cours de laquelle les problèmes de migration de l’eau souterraine contaminée ont été évoqués[755].
[656] L’avis de santé publique du 5 février 2001 reprenait un communiqué de la DSP portant la même date faisant état d’une « contamination importante de la nappe phréatique »[756]. Même à cette date du 5 février 2001, on remarquera que l’une des recommandations que la DSP adresse au MEQ et à la municipalité de Shannon propose : « Que des actions soient entreprises afin de localiser la source de contamination et déterminer l’évolution de cette contamination de la nappe phréatique ». On voit donc que, moins de trois ans avant la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif, il n’était pas encore possible pour les occupants des logements familiaux de déterminer qui était responsable de la contamination.
[657] En conséquence, le moyen de prescription invoqué par les intimés est sans valeur et doit être rejeté.
[658] L’appelante plaide que « l’atteinte au droit de propriété et à l’intégrité et à la sûreté de la personne » justifiait l’octroi d’une injonction permanente, faute de quoi les intimés « continueront de contrevenir aux dispositions réglementaires et législatives applicables en l’espèce ».
[659] Le juge est parvenu à la conclusion que les travaux entrepris en 2001 ont permis d’assurer aux gens de Shannon un apport en eau de qualité. De plus, les différentes parties concernées ont entrepris les efforts requis pour identifier les sources de contamination et trouver des solutions. Ces travaux se poursuivaient à l’époque du jugement en juin 2012.
[660] L’appelante ne soulève aucun argument justifiant de prononcer une injonction permanente à ce stade.
[661] L’appelante plaide que le juge a commis une erreur en accordant les intérêts et l’indemnité additionnelle à partir du 16 juillet 2007, date de la signification de la requête introductive d'instance, plutôt qu’à compter de la date de la requête pour autorisation d’exercer le recours collectif.
[662] Un juge de première instance jouit d’une large discrétion pour déterminer la date de départ du calcul des intérêts aux termes de l’article 1618 C.c.Q., et la Cour n’intervient pour modifier sa décision que si elle résulte d’un exercice discrétionnaire déraisonnable[757]. Ce n’est pas le cas en l’espèce.
[663] L’appelante soutient que le juge a commis une erreur matérielle dans le calcul des sommes accordées en remboursement des frais d’expertise, « tel que détaillé à la requête en rectification de jugement ».
[664] Il y a bel et bien eu une requête en rectification de jugement[758]. Cette requête a été accueillie le 17 janvier 2013 et l’erreur a été corrigée[759].
[665] Quant aux frais de justice et aux frais d’expertise engagés par les parties en appel, la Cour doit tenir compte des circonstances inusitées de ce dossier.
[666] En juillet 2010, alors que les procédures judiciaires suivent leur cours en première instance, les représentants des citoyens de Shannon signalent un nombre apparemment élevé de cas de cancer du cerveau dans leur communauté au directeur de la santé publique, qui accepte alors de réaliser une étude d’incidence de grande envergure. Le jugement de première instance est porté en appel en juillet 2012, avant que la DSP ne dépose son rapport.
[667] En février 2014, des reportages parus dans les médias suggèrent que les résultats préliminaires de l’étude remettent en cause la position défendue par les autorités de la santé publique au procès, selon laquelle il n’y a pas plus de cancers à Shannon qu’ailleurs. La Cour décide alors de convoquer les parties à une audience de gestion afin de connaître leur réaction à cette situation préoccupante portant sur une des questions centrales du pourvoi dont l’audition devait avoir lieu quelques semaines plus tard.
[668] Il est alors convenu de retarder l’audition de l’appel jusqu’au dépôt du rapport final de la DSP, qui n’est toutefois publié qu’en avril 2016.
[669] C’est dans ce contexte que la Cour accueille, le 10 janvier 2017, une demande de l’appelante et autorise la constitution d’une preuve nouvelle comprenant notamment une analyse préparée par l’expert de l’appelante et la contre-expertise de celui des intimés.
[670] S’ajoute à ces circonstances déjà particulières le fait que la Cour accueille en partie l’appel, mais considère que la preuve nouvelle ne satisfait pas aux exigences de l’article 380 C.p.c. pour être admise.
[671] Dans ces conditions, il apparaît approprié de condamner les intimés au paiement des frais de justice, à l’exclusion des honoraires des experts respectifs des parties, engagés pour la constitution de la preuve nouvelle, que chacune devra elle-même assumer.
Pour ces motifs, la Cour :
[672] REJETTE la requête pour preuve nouvelle;
[673] ACCUEILLE l’appel, aux fins de :
· MODIFIER la description du groupe de façon qu’elle se lise dorénavant ainsi :
toutes les personnes physiques, âgées de 18 ans et plus le 21 décembre 2000, ayant subi un préjudice découlant de la contamination de la nappe phréatique au trichloroéthylène (TCE) et ses sous-produits de dégradation issue des immeubles propriété du gouvernement du Canada au centre RDDC Valcartier et de la Société immobilière Valcartier inc. (maintenant GD-OTS Canada inc.) ou du dérangement occasionné par les travaux de raccordement à l'aqueduc, qui ont résidé, à Shannon :
a) de janvier 1996 à décembre 2000, dans l'une des résidences raccordées au réseau d'aqueduc lors de la phase des travaux ayant eu lieu de septembre à décembre 2001;
b) lors de l'une des phases de raccordement à l'aqueduc ayant eu lieu de 2001 à 2006, décrites par la pièce R-132, dans l'une des résidences raccordées au réseau d'aqueduc au cours de cette phase;
c) d'avril 1995 à mars 2000, dans l'une des unités d’habitation alimentées par le réseau d’aqueduc de la base militaire;
· DÉCLARER que les intimés ont, pendant une période indéterminée qui va des années 1950 aux années 1990, commis une faute en déversant dans l’environnement des déchets industriels, dont du TCE, sans égard au risque connu et compris de contamination de la nappe phréatique;
· DÉCLARER que, dans le cas du gouvernement du Canada, de cette faute découle une atteinte illicite et intentionnelle aux droits consacrés par les articles 1 et 6 de la Charte des droits et libertés de la personne des résidents de la municipalité de Shannon subséquemment atteints par la contamination;
· CONDAMNER solidairement les intimés, le procureur général du Canada, GD-OTS Canada inc. et la Société immobilière Valcartier inc., à payer :
- à toute personne âgée de 18 ans et plus le 21 décembre 2000 ayant résidé à Shannon dans l’une des habitations raccordées au réseau d’aqueduc au cours des travaux effectués entre septembre et décembre 2001, tel qu’indiqué en annexe du présent arrêt, la somme de 750 $ de dommages-intérêts par mois d’occupation pendant la période qui va de janvier 1996 à décembre 2000 (60 mois);
- à toute personne âgée de 18 ans et plus le 21 décembre 2000 ayant résidé à Shannon dans l’une des unités d’habitation alimentées par le réseau d’aqueduc de la base militaire, la somme de 750 $ de dommages-intérêts par mois d’occupation pendant la période d’exposition d’avril 1995 à mars 2000 (60 mois);
- à toute personne âgée de 18 ans et plus le 21 décembre 2000 ayant résidé à Shannon dans l’une des habitations raccordées au réseau d’aqueduc au cours des phases 1, 2, 3 et 4, telles que décrites en annexe du présent arrêt, la somme de 250 $ par mois d’occupation pendant la période où ont duré les travaux, soit, respectivement, 4 mois (Phase 1), 2 mois (Phase 2), 4 mois (Phase 3) et 1 mois (Phase 4), à titre de dédommagement pour les troubles et inconvénients;
- à toute personne âgée de 18 ans et plus le 21 décembre 2000 ayant résidé à Shannon, pendant la période d'exposition pertinente, dans l’une des habitations raccordées au réseau d’aqueduc au cours des travaux effectués entre septembre et décembre 2001, ou encore dans l’une des unités d’habitation alimentées par le réseau d’aqueduc de la base militaire, ayant eu sous sa garde ou sa responsabilité, lors de cette période, un ou plusieurs enfants âgés de moins de 18 ans, un montant de 3 000 $ supplémentaire.
· CONDAMNER le procureur général du Canada à payer, à titre de dommages punitifs, à toute personne âgée de 18 ans et plus le 21 décembre 2000 ayant résidé à Shannon dans l’une des habitations raccordées au réseau d’aqueduc au cours des travaux effectués entre septembre et décembre 2001, tel qu’indiqué en annexe du présent arrêt, ou encore dans l’une des unités d’habitation alimentées par le réseau d’aqueduc de la base militaire, la somme de 250 $ par mois d’occupation pendant la période d’exposition pertinente;
· BIFFER les conclusions des paragraphes [761], [762], et [763] du jugement de première instance;
[674] Toutes les autres conclusions du jugement de première instance demeurent inchangées;
[675] REJETTE l’appel incident;
[676] ORDONNE que les réclamations des membres du groupe fassent l'objet de réclamations individuelles;
[677] ORDONNE que le dossier soit transmis à la Cour supérieure du Québec pour qu’elle se prononce sur les réclamations individuelles des membres.
[678] DÉCLARE que, lorsque le présent arrêt aura acquis l'autorité de la chose jugée, les membres du groupe pourront, à la suite de publication de l'avis prévu par l'article 591 C.p.c., produire leur réclamation individuelle selon les modalités qui auront alors été déterminées sur demande de l'une ou l'autre des parties.
[679] Le tout, avec les frais de justice, à l’exception des frais d’expertise en appel (preuve nouvelle).
Phase 1
Toute personne ayant habité l’une de ces adresses a droit à :
- 750 $ de dommages moraux par mois d’occupation pendant la période d’exposition de janvier 1996 à décembre 2000 (60 mois);
- 250 $ de dommages punitifs par mois d’occupation pendant la période d’exposition;
- ainsi qu’à 250 $ par mois d’occupation de septembre à décembre 2001, jusqu’à concurrence de 1 000 $.
Toute personne, dans ce groupe, ayant eu sous sa garde ou sa responsabilité un ou plusieurs enfants âgés de moins de 18 ans pendant la période d’exposition a droit à un montant de 3 000 $ supplémentaire.
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Chemin de Gosford Rue de la Station Rue Juneau Rue Sioui Rue Conway Rue des Pins* Rue King Boul. Jacques-Cartier Rue Saint-Patrick
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numéros 3 à 49 numéros 8 à 30 numéros 3 à 405 numéros 1 à 17 numéros 3 à 58 numéros 377 à 389 numéros 1 à 31 numéros 415 à 435 numéros 10 à 105 |
Phase 2
Toute personne ayant habité l’une de ces adresses a droit à 250 $ par mois d’occupation de novembre à décembre 2004, jusqu’à concurrence de 500 $ :
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Rue Birch Rue des Mélèzes Boul. Jacques-Cartier Rue Lilac Rue Maple Rue Oak Rue Willow Chemin de Dublin Chemin de Gosford Rue William
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numéros 5 à 23 numéros 1 à 21 numéros 361 à 364 numéros 2 à 22 numéros 4 à 24 numéros 24 numéros 2 à 5 numéros 430 à 433 numéros 61 à 135 numéros 3 à 9 |
* Aussi
appelée « Pine » dans la pièce R-11.1.
Phase 3
Toute personne ayant habité l’une de ces adresses a droit à 250 $ par mois d’occupation de septembre à décembre 2005, jusqu’à concurrence de 1 000 $ :
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Rue Birch Rue des Mélèzes Rue Elm Rue Maple Rue Oak Rue Cedar Boul. Jacques-Cartier Rue William
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numéros 25 à 39 numéros 23 à 101 numéros 6 à 30 numéros 28 à 43 numéros 25 à 38 numéros 1 à 14 numéros 280 à 346 numéros 11 |
Phase 4
Toute personne qui habitait l’une de ces adresses en juin 2006 a droit à 250 $ :
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Rue Hillside Boul. Jacques-Cartier Rue McCarthy
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numéros 5 à 50 numéros 294, 296, 309, 333 et 335 numéros 1 à 7 |
Logements familiaux
- Toute personne qui résidait dans une unité d’habitation alimentée par le réseau d’aqueduc de la base militaire pendant la période d’exposition d’avril 1995 à mars 2000 (6 mois) a droit à 750 $ de dommages moraux par mois d’occupation pendant la période d’exposition;
- 250 $ de dommages punitifs par mois d’occupation pendant la période d’exposition.
- Toute personne, dans ce groupe, ayant eu sous sa garde ou sa responsabilité un ou plusieurs enfants âgés de moins de 18 ans pendant la période d’exposition a droit à un montant de 3 000 $ supplémentaire.
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[1] Spieser c. Canada (Procureur général), 2012 QCCS 2801.
[2] Pièce R-12, Avis de santé publique, 19 décembre 2000.
[3] Jugement dont appel, paragr. 67-69; Pièce R-142, IARC Technical Publication - Identification of research needs to resolve the carcinogenicity of high priority IARC carcinogens, 2009.
[4] Spieser c. Canada (Procureur général), 2007 QCCS 1207.
[5] Jugement dont appel, paragr. 684.
[6] Jugement dont appel, paragr. 698.
[7] Jugement dont appel, paragr. 710-711.
[8] Jugement dont appel, paragr. 715.
[9] Jugement dont appel, paragr. 734-735.
[10] Inscription en appel, 20 juillet 2012.
[11] Spieser c. GD-OTS Canada inc., 2017 QCCA 58.
[12] Témoignage de Clive Kiley, 4 mai 2011, p. 26.
[13] Témoignage de Clive Kiley, 4 mai 2011, p. 28-29.
[14] Pièce R-199, Contrat de transfert des infrastructures, 10 mai 1999; Témoignage de Normand Légaré, 12 mai 2011, p. 9-13.
[15] Défense des défenderesses corporatives, 29 janvier 2010, paragr. 31.1.
[16] Voir la pièce PGC-198, Sites MDR, # bâtiment et année de construction.
[17] Témoignage de Stéphane Jean, 6 septembre 2011, p. 142.
[18] Voir la pièce PGC-198, Sites MDR, # bâtiment et année de construction. Voir aussi la pièce R-172, Photos et plans CRDV Nord et Sud et secteur d'essais. À la troisième page, on voit à l’est le « lieu d’enfouissement F.2 qui correspondait au secteur Small Arms.
[19] Témoignage de Stéphane Jean, 6 septembre 2011, p. 146-149; Pièce PGC-198, Sites MDR, # bâtiment et année de construction, p. 5.
[20] PGC-197, Curriculum vitae de Stéphane Jean.
[21] Pièce PGC-85, onglet 1, Utilisation et disposition antérieures du TCE à RDDC Valcartier, 20 décembre 2010, accompagné de ses annexes, onglets 2 à 140.
[22] C’est notamment dans le cadre de cette recherche qu’ont été assemblés les documents qu’on retrouve dans les pièces PGC-76 (Documents historiques Arsenaux canadiens & RDDC) et PGC-83 (Documents historiques concernant la qualité de l’eau) : témoignage de Stéphane Jean, 6 septembre 2011, p. 83-88.
[23] Admissions du Procureur général du Canada (Employés RDDC), 20 juin 2011.
[24] Témoignage de Stéphane Jean, 6 septembre 2011, p. 115.
[25] Témoignage de Stéphane Jean, 6 septembre 2011, p. 207-208.
[26] Témoignage de Stéphane Jean, 6 septembre 2011, p. 238-239.
[27] Témoignage de Richard Leahy, 21 avril 2011, p. 161.
[28] Témoignage de Richard Leahy, 21 avril 2011, p. 183.
[29] Témoignage de Richard Leahy, 21 avril 2011, p. 169.
[30] Témoignage de Richard Leahy, 21 avril 2011, p. 161-163.
[31] Témoignage de Richard Leahy, 21 avril 2011, p. 186-187.
[32] Témoignage de Richard Leahy, 21 avril 2011, p. 175.
[33] Témoignage de Richard Leahy, 21 avril 2011, p. 173-174.
[34] Témoignage de Richard Leahy, 21 avril 2011, p. 180-181.
[35] Témoignage de Richard Leahy, 21 avril 2011, p. 176-177.
[36] Témoignage de Donald Patrick Tuppert, 21 avril 2011, p. 17-18.
[37] Témoignage de Donald Patrick Tuppert, 21 avril 2011, p. 72-73.
[38] Témoignage de Donald Patrick Tuppert, 21 avril 2011, p. 31-32.
[39] Témoignage de Donald Patrick Tuppert, 21 avril 2011, p. 32-34.
[40] Témoignage de Denis Descoteaux, 2 mai 2011, p. 216-218.
[41] Témoignage de Denis Descoteaux, 2 mai 2011, p. 226.
[42] Témoignage de Denis Descoteaux, 2 mai 2011, p. 240-243.
[43] Témoignage de Denis Descoteaux, 2 mai 2011, p. 249.
[44] Témoignage de Denis Descoteaux, 2 mai 2011, p. 257-260.
[45] Voir la pièce R-175, carte annotée par Patrick Firreri.
[46] Témoignage de Denis Descoteaux, 2 mai 2011, p. 256.
[47] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 189.
[48] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 190-191.
[49] Témoignage de Denis Beaudet, 5 octobre 2011, p. 91-94.
[50] Témoignage de Denis Beaudet, 5 octobre 2011, p. 67.
[51] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 138-140 et 175-190.
[52] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 133; Pièce PGC-76, onglet 2, lettre de Dominique Gauvin au Dr Jacques Roussell, 13 mars 1969.
[53] Pièce R-16.2, déclaration solennelle de Marcel Paquet, 16 novembre 2007.
[54] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 140-141.
[55] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 205.
[56] Pièce R-16.2, déclaration solennelle de Marcel Paquet, 16 novembre 2007.
[57] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 224-226.
[58] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 163-167.
[59] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 8.
[60] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 16-17.
[61] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 193-194.
[62] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 14.
[63] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 19.
[64] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 32-33.
[65] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 21-22.
[66] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 15-23.
[67] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 28.
[68] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 201-202; témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 27.
[69] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 36.
[70] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 47-48.
[71] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 62.
[72] Témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 40-41.
[73] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 195-198; voir aussi Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 221-223.
[74] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 199.
[75] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 199-200; voir aussi Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 223.
[76] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 200-201.
[77] Témoignage de Michel Gamache, 24 mars 2011, p. 17-20. Ce témoignage a été contredit : selon M. Denis Beaudet, il est tout à fait inexact que les douilles produites au plant 2 étaient lavées au Blacosolv. Il est possible que M. Gamache fasse référence au nettoyage des cartouches tel que décrit par M. Loiselle. Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 154-155.
[78] Témoignage de Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 232.
[79] Témoignage d’Omer Dion, 24 février 2011, p. 16-27. La carte employée par M. Dion (pièce R-147) pour indiquer la disposition des lieux est incompréhensible : il désigne des bâtiments situés au CRDV. Le lagon auquel il fait référence était probablement le « clarifier » près de l’usine d’épuration des eaux, soit la lagune E.
[80] Témoignage de Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 231.
[81] Témoignage de Jean-Pierre Beaumont, 2 mai 2011, p. 123-125.
[82] Témoignage de Jean-Pierre Beaumont, 2 mai 2011, p. 112.
[83] Pièce R-174, carte annotée par Jean-Pierre Beaumont.
[84] Témoignage de Jean-Pierre Beaumont, 2 mai 2011, p. 109-113 et 132.
[85] Pièce DC-93, EDB-2, documentation relative au problème de ventilation.
[86] Voir la carte dans la pièce DC-62, p. 33.
[87] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 219-223.
[88] Pièce DC-9, p. 1-12.
[89] Témoignage de Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 224.
[90] Témoignage de Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 225.
[91] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 215-216; témoignage de Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 221-222; témoignage de Jean-Noël Blanchette, 27 septembre 2011, 62-67.
[92] Témoignage de Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 235.
[93] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 200; témoignage d’André Breton, 26 septembre 2011, p. 77-78.
[94] Témoignage de Jean-Noël Blanchette, 27 septembre 2011, 71-72.
[95] Pièce DC-19, Évaluation environnementale du secteur de la lagune C, juin 1992, p. 1.1. Le juge de première instance dit qu’elle aurait été utilisée de 1963 à 1976 : jugement dont appel, paragr. 169.
[96] Témoignage de Denis Beaudet, 11 octobre 2011, p. 24-25; témoignage d’André Breton, 26 septembre 2011, p. 49-50.
[97] Témoignage de Denis Beaudet, 11 octobre 2011, p. 24-25.
[98] Plumitif no 200-06-000038-037, entrée 126.
[99] Pièce R-16.2, déclaration solennelle de Marcel Paquet, 16 novembre 2007.
[100] Témoignage de Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 229-230.
[101] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 208; témoignage d’Omer Dion, 24 février 2011, p. 31-32; témoignage de Michael Gingras, 21 avril 2011, 235-236; témoignage de Lise Potvin, 3 mai 2011, p. 48-49.
[102] M. Beaudet confond ce règlement avec le Règlement sur les déchets dangereux adopté en 1985 : témoignage de Denis Beaudet, 5 octobre 2011, p. 164-168.
[103] Témoignage de Denis Beaudet, 5 octobre 2011, p. 152-159.
[104] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 88-90.
[105] Témoignage de Denis Beaudet, 5 octobre 2011, p. 159-161.
[106] Pièce DC-4, document manuscrit intitulé Tricil Inc., 11 novembre 1976.
[107] Pièce DC-7, note manuscrite non datée.
[108] Pièce DC-8, reçu de livraison, 4 novembre 1977.
[109] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 37-46.
[110] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 51-52.
[111] Témoignage de Denis Beaudet, 5 octobre 2011, p. 163-164.
[112] Pièce DC-93, EDB-15, Liste des déchets industriels et leur disposition, 5 octobre 1983.
[113] Témoignage de Denis Beaudet, 5 octobre 2011, p. 203 et 212.
[114] Pièce R-95, lettre d’André Chamberland à Jacques Proulx, 4 avril 1985. Aussi la pièce PGC-76, onglet 4.
[115] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 205-208; 11 octobre 2011, p. 244-245.
[116] Pièce DC-97, lettre de Benoît Chassé à René Laprise, 29 mai 1986.
[117] Témoignage de Denis Beaudet, 5 octobre 2011, p. 148-151.
[118] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 54-55.
[119] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 91-95. On peut voir des exemples de ce rapport annuel dans la pièce DC-93, EDB-17.
[120] Témoignage d’André Loiselle, 24 mars 2011, p. 212-216.
[121] Pièce R-16.2, déclaration solennelle de Marcel Paquet, 16 novembre 2007, paragr. 36.
[122] Témoignage de Michael Gingras, 21 avril 2011, p. 240-242.
[123] Témoignage de Jean-Pierre Beaumont, 2 mai 2011, p. 142-146.
[124] Pièce PGC-83, onglet 1, lettre de Dominique Gauvin au Dr H. M. Barrett, 28 septembre 1953.
[125] Pièce PGC-83, onglet 2, lettre de G. Racine à Laurier Belleville, 23 octobre 1953.
[126] Pièce PGC-83, onglet 3, lettre de C.B. Bate à Laurier Belleville, 2 novembre 1953.
[127] Pièce PGC-83, onglet 4, lettre de Laurier Belleville au superintendant en chef du CARDE, 12 novembre 1953.
[128] Pièce R-168 B), onglet 60, Memorandum Re Waste Effluents from Dept. of National Defence and Defence Research Board Plants - Valcartier P.Q., mars 1954 [Mémorandum de 1954].
[129] Pièce PGC-83, onglet 5, lettre du maire Wilfrid Hamel au Dr H. M. Barrett, 15 mars 1954.
[130] Pièce PGC-83, onglet 9, mémo daté du 11 mai 1954.
[131] Pièce PGC-83, onglet 10, lettre de Dominique Gauvin à Berchmans Paquet, 24 août 1954.
[132] Pièce PGC-76, onglet 2, lettre de Dominique Gauvin au Dr Jacques Roussell, 13 mars 1969. Voir aussi témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 133.
[133] Pièce PGC-83(b), lettre de McDougall & Friedman à Dominion Arsenal, 16 mai 1955.
[134] Pièce PGC-83, onglet 12, lettre de Laurier Belleville, 24 novembre 1955.
[135] Pièce PGC-83, onglet 13, lettre de McDougall & Friedman, 4 février 1957.
[136] Pièce PGC-83, onglet 14, lettre du Président du Conseil de recherches pour la défense à J.R. Menzies, Departement of National Health and Welfare, 1er avril 1957.
[137] Pièce PGC-83, onglets 15 à 17.
[138] Pièce PGC-83, onglet 17, Preliminary Investigations - Disposal of Laboratory Waste by Lagooning - C.A.R.D.E. Valcartier - Québec, 9 août 1957.
[139] Pièce PGC-83, onglet 18, Memorandum re: Tracing Underground Flows, Laboratory Wastes, Lagoon, CARDE North, D.R.B., Valcartier, P.QUE., octobre 1958 [Mémorandum de 1958].
[140] Pièce PGC-83, onglets 18 et 19, Mémorandum de 1958.
[141] Pièce PGC-83, onglet 20, lettre du 19 novembre 1958.
[142] Pièce PGC-83, onglets 21 et 22.
[143] Pièce R-168 B), onglet 32, lettre de Dominique Gauvin à Jean-Paul Bourret et rapport concernant la qualité des eaux résiduaires des Industries de Valcartier, 11 novembre 1968.
[144] PGC-64, onglet 1, Étude - Rejet des eaux résiduaires des laboratoires au Cendre de Recherches pour la Défense de Valcartier, Carrier, Trottier, Aubin, Sohier et associés, ingénieurs-conseils, février 1978 [Rapport Carrier].
[145] Le TCE est un solvant chloré.
[146] Pièce PGC-64, onglet 1, Rapport Carrier, p. VI-VIII.
[147] Pièce PGC-64, onglet 1, Rapport Carrier, p. IX-4.
[148] Pièce PGC-83, onglet 27.
[149] Pièce PGC-83, onglet 33.
[150] Pièce PGC-83, onglet 36.
[151] Témoignage d’André Breton, 26 septembre 2011, p. 36; témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 57-70.
[152] Témoignage d’André Breton, 26 septembre 2011, p. 47-49.
[153] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 63-68.
[154] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 69-70.
[155] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 80-82.
[156] Pièces DC-9 et DC-10. Travaux préliminaires en vue de la restauration du site IVI à Val-Bélair, rapport de février 1991 en deux volumes.
[157] Pièce DC-9, p. 1-7.
[158] Pièce DC-9, p. 1-5.
[159] Pièce DC-9, p. 5-19.
[160] Pièce DC-9, p. 1-12.
[161] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 89-91.
[162] Pièce DC-14, Rapport préliminaire - Évaluation environnementale du site IVI - Val Bélair, décembre 1991, tableau 4.2.
[163] Pièce DC-14, Rapport préliminaire - Évaluation environnementale du site IVI - Val Bélair, décembre 1991, p. 5-7.
[164] Pièce DC-14, Rapport préliminaire - Évaluation environnementale du site IVI - Val Bélair, décembre 1991, p. 5-2.
[165] Pièce PGC-127, onglet 8, Politique de réhabiliation des terrains contaminés, 1988, p. 34; jugement dont appel, paragr. 56-57.
[166] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 109.
[167] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 110.
[168] Pièce DC-19, Évaluation environnementale du secteur de la lagune C, juin 1992, p. 5.1-5.2.
[169] Pièce R-96, lettre de Réjean Fréchette à Denis Beaudet, 5 novembre 1992, p. 3.
[170] Pièce R-97, lettre de Réjean Fréchette à Denis Beaudet, 26 novembre 1993.
[171] Voir l’appel d’offres d’août 1992, pièce DC-21.
[172] Pièce DC-202, certificat d’autorisation de construction d’une cellule à sécurité maximale, 13 juin 1994. Les pièces DC-43 à DC-56 documentent la construction de la cellule. Voir les contrats de construction, pièces DC-40 à DC-42.
[173] Pièce DC-33, Cellule à sécurité maximale proposée, février 1994, p. 32.
[174] Témoignage d’André Breton, 26 septembre 2011, p. 65. Voir aussi témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 132-133.
[175] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 134.
[176] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 139.
[177] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 187-188.
[178] Pièce DC-69, Suivi environnemental des eaux souterraines du site des Technologies Industrielles SNC (TISNC) à Val-Bélair - 1997 et 1998, janvier 1999, p. 45.
[179] Témoignage d’André Breton, 26 septembre 2011, p. 131.
[180] Pièce DC-58, Contamination en HHT du secteur 214, 7 mai 1996.
[181] Pièce DC-60, Documents de travail - Travaux - Été 1996, novembre 1996, p. 6. Voir aussi la pièce DC-61, de février 1997 : on peut y lire « La vitesse moyenne de l'écoulement est estimé […] à environ 1 à 7 m/an ».
[182] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 244-245.
[183] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 260-266. Voir aussi témoignage d’André Breton, 26 septembre 2011, p. 141-142, sur la nature locale de la contamination.
[184] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 257.
[185] Pièce DC-68, Essais de démonstration - Pompage et traitement des eaux souterraines contaminées par des hydrocarbures aliphatiques chlorés (HAC), mai 1998, p. 31.
[186] Demandes d’autorisation : pièces DC-121 (mai 1998), DC-127 (demande amendée décembre 1998) et DC-128 (demande amendée mars 1999). Autorisation obtenue en avril 1999 : pièce DC-202.
[187] Une borne d’incendie portant le numéro FH-59 : témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 295.
[188] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 287-288.
[189] Pièce PGC-60, onglet 14, rapports d’Envirolab, 27 octobre 1997.
[190] Pièce PGC-7, fax du 30 octobre 1997.
[191] Pièce PGC-60, onglet 12; témoignage de Stéphane Jean, 7 septembre 2011, p. 108-110.
[192] Pièce PGC-10, fax de Stéphane Jean, 30 octobre 1997.
[193] Pièce PGC-11, Enquête concernant la présence de trichloroéthylène dans l'eau potable du Centre de recherches pour la défense Valcartier, 5 novembre 1997, p. 9.
[194] Pièce PGC-60, onglet 22.
[195] Pièce DC-94A, EDB-37, onglet 10, notes de la rencontre du 18 décembre 1997.
[196] Pièce PGC-58, onglet 34, procès-verbal de la réunion d’information du 27 janvier 1998, 6 février 1998.
[197] Pièce PGC-58, onglet 34, procès-verbal de la réunion d’information du 27 janvier 1998, 6 février 1998, p. 5.
[198] Pièce R-16.1, Étude environnementale phase 1 - Source de contamination des eaux souterraines - Consortium CRDV-BFCV - CRDV, mars 1998.
[199] Pièce PGC-12, Étude environnementale phase 1 - Source de contamination des eaux souterraines - Consortium CRDV-BFCV - BFCV, mars 1998.
La pièce PGC-75, onglet 11 contient le même document, accompagné d’une annexe rassemblant les « documents consultés ».
[200] Témoignage de Claudie Tremblay, 26 mai 2011, p. 234-235.
[201] Pièce PGC-58, onglet 48, Revue des études en relation avec l’alimentation en eaux souterraines au USS Valcartier et au CRDV, 24 novembre 1998.
[202] Pièce PGC-58, onglet 43; témoignage de Claudie Tremblay, 26 mai 2011, p. 241-242.
[203] Pièce PGC-73, onglet 2, courriel à tous de Claudie Tremblay, 1er décembre 1998.
[204] Pièce PGC-15, Dépassement de la recommandation sur l'eau potable pour le trichloroéthylène à la Base militaire de Valcartier, 7 décembre 1998.
[205] Pièce PGC-14, Adsum, « Pour une eau de meilleure qualité », 16 décembre 1998.
[206] Pièce PGC-58, onglet 64, compte rendu de la session de travail du 16 décembre 1998, 3 février 1999.
[207] Pièce PGC-58, onglet 64, compte rendu de la session de travail du 16 décembre 1998, 3 février 1999, p. 8, point 54.
[208] Témoignage de Claudie Tremblay, 6 juin 2011, p. 76-87.
[209] Pièce PGC-58, onglet 66. Un tableau sommaire des résultats des analyses effectuées sur l’eau du réseau d’aqueduc de 1995 à 2010 apparaît dans la pièce PGC-45, accompagné de certificats d’analyse.
[210] Témoignage de Claudie Tremblay, 6 juin 2011, p. 81.
[211] Témoignage de Claudie Tremblay, 7 juin 2011, p. 81-82.
[212] EPA 624 désigne une méthode standardisée d’analyse de l’eau potable établie par l’U.S. Environmental Protection Agency.
[213] Témoignage de Michael Hodgson, 23 juin 2011, p. 88-92.
[214] Témoignage de Michael Hodgson, 23 juin 2011, p. 104.
[215] Témoignage de Stéphane Jean, 8 septembre 2011, p. 172-173 et 13 septembre 2011, p. 14-17.
[216] Témoignage de Stéphane Jean, 13 septembre 2011, p. 18-19.
[217] Responsable de l'entretien des bâtiments, de l'environnement, de l'électricité, de la fourniture d'eau, des égouts, de la protection incendie et des affaires immobilières. L'officier d'environnement de la base de Valcartier (Mme Tremblay et M. Hodgson, à l'époque pertinente) répondait à l'officier de génie construction. Témoignage de Daniel Godbout, 29 juin 2011, p. 367-369.
[218] Témoignage de Daniel Godbout, 30 juin 2011, p. 12 et 14-15.
[219] Témoignage de Daniel Godbout, 30 juin 2011, p. 17-19 et 22.
[220] Témoignage de Claudie Tremblay, 6 juin 2011, p. 105-106.
[221] Pièce PGC-20, rapport d’analyse de février 1999, p. 10 (le même document se retrouve dans la pièce PGC-58, onglet 128); témoignage de Claudie Tremblay, 6 juin 2011, p. 107-108.
[222] Pièce PGC-75, onglet 17, Rapport de caractérisation hydrogéologique - Version finale, mars 1999.
[223] Pièce PGC-75, onglet 16, Rapport des solutions - Version finale, mars 1999.
[224] Témoignage de Claudie Tremblay, 6 juin 2011, p. 124.
[225] Témoignage de Claudie Tremblay, 6 juin 2011, p. 151. Voir les cartes des pièces PGC-174 et PGC-175.
[226] Pièce DC-94A, EDB-37, onglet 13, compte rendu de la rencontre du 27 août 1999. Voir aussi les notes de Claudie Tremblay : pièce DC-94A, EDB-37, onglet 12.
[227] Pièce DC-94A, EDB-37, onglet 13, Compte rendu de la rencontre du 27 août 1999, p. 3.
[228] Pièce DC-69, Suivi environnemental des eaux souterraines du site des Technologies Industrielles SNC (TISNC) à Val-Bélair - 1997 et 1998, janvier 1999, tableau 3, p. 17.
[229] Témoignage de Denis Beaudet, 4 octobre 2011, p. 67.
[230] Pièce DC-94A, EDB-37, onglet 13, compte rendu de la rencontre du 27 août 1999, p. 5.
[231] Témoignage de Denis Beaudet, 4 octobre 2011, p. 83-84.
[232] Pièce PGC-16, procès-verbal de la rencontre du 7 décembre 1999.
[233] Pièce PGC-16, procès-verbal de la rencontre du 7 décembre 1999, paragr. 54.
[234] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 89-90.
[235] Pièce DC-94, EDB-36, Protocole d’entente entre le ministère de la Défense nationale et SNC Technologies inc. concernant la collaboration volontaire sur la gestion des eaux souterraines du secteur Valcartier, juillet 2000.
[236] Pièce PGC-19, Caractérisation complémentaire des contextes géologique et hydrogéologique du secteur Valcartier, novembre 2000.
[237] Pièce PGC-19, Caractérisation complémentaire des contextes géologique et hydrogéologique du secteur Valcartier, novembre 2000, p. 96-97.
[238] Pièce PGC-60, onglet 56.
[239] Témoignage de Denis Beaudet, 4 octobre 2011, p. 130 et 134-135.
[240] Témoignage de Denis Beaudet, 4 octobre 2011, p. 142-143.
[241] Témoignage d’André Breton, 26 septembre 2011, p. 160.
[242] « [Les intimés] ont également, en pleine connaissance de cause, négligé ou refusé d'aviser les membres du groupe de la situation de contamination dont ils connaissaient pourtant l'existence ainsi que des risques et dangers qu'encouraient la demanderesse et les membres du groupe; […] Les demandes des membres du groupe prennent aussi appui sur l'insouciance et la négligence dont ont fait preuve les codéfendeurs alors qu'ils savaient ou ne pouvaient ignorer que ces produits polluants et toxiques qui pénétraient dans le sous-sol de leurs immeubles et contaminaient progressivement la nappe phréatique par le trichloroéthyléne (TCE) et par ses sous-produits de dégradation, étaient nocifs pour la santé des humains et dommageables pour l'environnement ».
[243] M. Beaudet fait référence au fait que les autorités de l’usine de munitions ont avisé les responsables de RDDC lors de la découverte de TCE dans l’eau de l’aqueduc.
[244] Témoignage de Denis Beaudet, 4 octobre 2011, p. 149-151.
[245] Pièce R-60, lettre de Denis Beaudet à Réjean Fréchette, 6 décembre 2000.
[246] Pièce DC-94, EDB-40, certificats d’analyse de Bodycote et Maxxam, 15 et 17 novembre 2000.
[247] Témoignage de Normand Légaré, 12 mai 2011, p. 5-6.
[248] Témoignage de Normand Légaré, 12 mai 2011, p. 13-15.
[249] Pièce DC-211, notes manuscrites de Denis Beaudet, 12 décembre 2000.
[250] Témoignage de Denis Beaudet, 4 octobre 2011, p. 183-193.
[251] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 99-102.
[252] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 103-104.
[253] Pièce R-12, avis de santé publique du 19 décembre 2000.
[254] Voir notamment les articles de journaux compilés dans la pièce PGC-72.
[255] Pièce PGC-73, onglet 11, notes de la rencontre du 10 janvier 2001.
[256] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 110.
[257] Ces résultats apparaissent dans la pièce PGC-59, onglet 63 : témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 127. Les résultats des différentes phases d’échantillonnage sont tous regroupés dans la pièce R-11.1
[258] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 117-118.
[259] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 127-128.
[260] Pièce PGC-73, onglet 13, communiqué de la DSP du 5 février 2001.
[261] Pièce PGC-73, onglet 13, communiqué de la DSP du 5 février 2001.
[262] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 167-168.
[263] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 190, 191 et 223.
[264] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 241-242.
[265] Pièce PGC-73, onglet 1B, dépliant intitulé Vous venez de vivre un évènement stressant; témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 187-188.
[266] Pièce PGC-65, onglet 5, compte rendu de la réunion du comité de concertation du 4 décembre 2001, p. 5.
[267] Pièce DC-82, Caractérisation préliminaire et travaux d'enlèvement des sols contaminés de la Lagune X, décembre 2002.
[268] Témoignage de Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 217-218.
[269] Témoignage de Claude Juneau, 24 février 2011, p. 91.
[270] Témoignage de Claude Shields, 8 mars 2011, p. 21.
[271] Pièce R-31.1A, Effets d'une exposition au TCE et ses sous-produits de dégradation sur la santé des résidents de Shannon, janvier 2009 [Rapport Shields].
[272] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, deuxième page, non numérotée (lettre adressée à Me Veilleux).
[273] Témoignage de Claude Shields, 8 mars 2011, p. 78-81.
[274] Témoignage de Claude Shields, 8 mars 2011, p. 81-82.
[275] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 2.
[276] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 23-25.
[277] Pièce R-15.2, Toxicologie reliée à la contamination de trichloroéthylène (TCE) dans l'eau souterraine à Shannon, novembre 2008 [Rapport Van Coillie 2008].
[278] Pièce R-15.3, Mise à jour (fin 2009) de la toxicologie reliée à la contamination de trichloroéthylène (TCE) dans l'eau souterraine à Shannon, janvier 2010 [Rapport Van Coillie 2010].
[279] Pièce R-125, Expertise épidémiologique portant sur la fréquence des cancers dans la population de Shannon, mars 2010 [Rapport Tremblay 2010].
[280] Pièce R-125, Rapport Tremblay 2010, p. 31.
[281] Pièce R-31.5, Expertise de toxicologie moléculaire des cancers observés chez les gens de la population de Shannon exposés au trichloroéthylène (TCE), janvier 2009 [Rapport Charbonneau Finkelstein].
[282] Témoignage de Claude Shields, 8 mars 2011, p. 84-85.
[283] La compilation finale se trouve dans la pièce R-31.4A, Liste globale des cas de cancers confirmés, 31 octobre 2010.
[284] Témoignage de Claude Shields, 8 mars 2011, p. 85-86.
[285] Pièce DC-141, Report on the risks of cancer and other diseases resulting from exposure to TCE in Shannon, Quebec, janvier 2010 [Rapport Siemiatycki janvier 2010].
[286] Pièce DC-141A, Revue du document intitulé "Expertise épidémiologique portant sur la fréquence des cancers dans la population de Shannon" préparé par Claude Tremblay, 31 mars 2010, version corrigée, mai 2010 [Rapport Siemiatycki mai 2010].
[287] Pièce PGC-73, onglet 42A, lettre de Henri Prud’homme à Clive Kiley, 26 mars 2004. La même pièce comprend une mise à jour datant de 2005, couvrant les données jusqu’à 2000, accompagnée d’un communiqué de presse réitérant les mêmes conclusions.
[288] Pièce PGC-35, INSPQ, Pertinence et faisabilité d'une étude épidémiologique visant à évaluer les effets nocifs de la contamination du réseau d’eau portable par du trichloroéthylène dans la municipalité de Shannon, septembre 2005 [Rapport INSPQ 2005].
[289] Pièce PGC-35, Rapport INSPQ 2005, p. 6.
[290] Pièce PGC-35, Rapport INSPQ 2005, p. 9.
[291] Ce nombre de 23 fait référence à la somme des cancers du foie, du rein, de lymphomes non Hodgkinien, de myélomes multiples, de leucémie, du col de l'utérus, et de lymphomes de Hodgkin.
[292] Pièce PGC-73, onglet 59, lettre de Henri Prud’homme à Clive Kiley, 2 février 2007.
[293] Pièce PGC-73, onglets 72A et 72B, lettres de François Desbiens à Daniel Bolduc et Luc Boileau, 16 et 25 juin 2009.
[294] Pièce DC-91, INSPQ, Pertinence et faisabilité d'une étude épidémiologique […] mise à jour, février 2010.
[295] Pièces PGC-38, INSPQ, Analyse critique du document Rapport final : expertise de toxicologie moléculaire des cancers observés chez les gens de la population de Shannon exposés au trichloroéthylène, mars 2010; Pièce PGC-37, INSPQ, Trichloroéthylène dans l'eau souterraine à Shannon : commentaires sur le rapport intitulé Toxicologie reliée à la contamination de trichloroéthylène (TCE) dans I'eau souterraine à Shannon, mars 2010 [Analyse critique de Van Coillie].
[296] Pièce DC-92.1, INSPQ, Analyse spatio-temporelle des cas de cancer à Shannon répertoriés dans le Fichier des tumeurs du Québec en relation avec la contamination de la nappe d’eau souterraine dans le secteur Valcartier, février 2011 [Rapport INSPQ 2011].
[297] Wartenberg et al., Trichloroethylene and cancer: epidemiologic evidence, Environ Health Perspect, vol. 108, suppl. 2, 2000, p. 161-176.
[298] Ce concept sera expliqué plus en détail dans la section sur la preuve scientifique et la preuve nouvelle.
[299] Il semble que cette étude ne fasse pas partie de la preuve.
[300] Pièce DC-92.1, Rapport INSPQ 2011, p. 13.
[301] Le mot odds signifie couramment « chances ». Il s’agit également d’un concept de probabilité qui désigne le ratio entre la probabilité qu’un évènement se produise et la probabilité qu’il ne se produise pas. Le terme français correct pour désigner ce concept est « cote ».
[302] Pièce DC-92.1, Rapport INSPQ 2011, p. 13-14.
[303] Pièce DC-92.1, Rapport INSPQ 2011, p. 21.
[304] L'Institut national de la recherche scientifique, centre Eau, Terre et Environnement.
[305] Pièce DC-147, Expertise hydrogéologique sur le TCE dans l'eau souterraine à Shannon, Québec, Canada, juillet 2010 [Rapport Lefebvre juillet 2010], p. 1-2.
[306] Pièce R-30, INRS, Caractérisation et modélisation numérique de l'écoulement et de la migration de la contamination en TCE dans l'eau souterraine du secteur Valcartier, Québec, Canada, mai 2003, [Rapport INRS 2003], p. i-ii..
[307] Ce sont les trois rapports dont il est question au paragraphe 252 du jugement de première instance.
[308] Pièce DC-147 (en annexe), Lefebvre et al., 2010, Interprétation de la caractérisation du TCE dans l’eau souterraine à Shannon.
[309] Pièce DC-147 (en annexe), Murphy 2010, Tritium-Helium Dating and Geochemical Characterization of Groundwater in the Valcartier Deltaic Aquifer System.
[310] Pièce DC-147 (en annexe), Ouellon 2010, Synthèse du contexte hydrogéologique et de la problématique du TCE dans le secteur Valcartier.
[311] Pièce DC-147, Expertise hydrogéologique sur le TCE dans l'eau souterraine à Shannon, Québec, Canada, juillet 2010 [Rapport Lefebvre juillet 2010].
[312] Pièce DC-147 (en annexe), Lefebvre et al., 2010, Synthèse du contexte hydrogéologique et de la problématique du TCE dans le secteur Valcartier, Québec, Canada, p. 43-46 et la planche 5.9 en annexe; Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. 11-12.
[313] Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. 15.
[314] Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. 16.
[315] Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. 18.
[316] Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. 19.
[317] Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. 36-37.
[318] Pièce R-126, Expertise sur les conditions hydrogéologiques - Rapport préliminaire, juin 2009 [Rapport Chapuis 2009].
[319] Pièce R-126A, Expertise sur les conditions hydrogéologiques - Rapport d’expertise, septembre 2010 [Rapport Chapuis 2010], p. 31.
[320] Pièce R-126A, Rapport Chapuis 2010, p. 148.
[321] Pièce DC-147A, Contre-expertise hydrogéologique sur le TCE dans l'eau souterraine à Shannon, Québec, Canada, décembre 2010 [Rapport Lefebvre décembre 2010], p. 20.
[322] Jugement dont appel, paragr. 587.
[323] Jugement dont appel, paragr. 592.
[324] Jugement dont appel, paragr. 606.
[325] Jugement dont appel, paragr. 626-632.
[326] Jugement dont appel, paragr. 639.
[327] Jugement dont appel, paragr. 636.
[328] Jugement dont appel, paragr. 651.
[329] Jugement dont appel, paragr. 659-660.
[330] Jugement dont appel, paragr. 667.
[331] Jugement dont appel, paragr. 683.
[332] Jugement dont appel, paragr. 684-685.
[333] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, paragr. 121.
[334] Jugement dont appel, paragr. 710-711.
[335] Jugement dont appel, paragr. 715-716.
[336] Pièce R-132, phases de raccordement à l’aqueduc, 12 août 2010.
[337] Jugement dont appel, paragr. 726-727.
[338] Jugement dont appel, paragr. 728.
[339] Pièce R-132, phases de raccordement à l’aqueduc, 12 août 2010.
[340] Jugement dont appel, paragr. 734-735.
[341] Jugement dont appel, paragr. 736-744.
[342] Inscription en appel, 20 juillet 2012.
[343] Pièce PN-PGC-3, onglet 32, Évaluation du risque de développer le cancer dans Ia population de Shannon en lien avec l’exposition au trichloréthylène, janvier 2016 [Rapport Tremblay janvier 2016].
[344] Spieser c. GD-OTS Canada inc., 2017 QCCA 58.
[345] Jugement dont appel, paragr. 726-727.
[346] Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311.
[347] Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541.
[348] St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491, 2002 CSC 15.
[349] Benhaim c. St-Germain, [2016] 2 R.C.S. 352, 2016 CSC 48.
[350] Morin c. Blais, [1977] 1 R.C.S. 570.
[351] Jugement dont appel, paragr. 660-667.
[352] Témoignage de Claude Shields, 10 mars 2011, p. 261-262.
[353] Nadon c. Montréal (Ville de), 2008 QCCA 2221, paragr. 3 et 33-38.
[354] Jugement dont appel, paragr. 542 à 545.
[355] Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541, p. 606-609.
[356] Snell c. Farrell, [1990] 2 R.C.S. 311, p. 328-330.
[357] Pièce PGC-73, onglet 42A, lettre de Henri Prud’homme à Clive Kiley, 26 mars 2004. La même pièce comprend une mise à jour datant de 2005, couvrant les données jusqu’à 2000, accompagnée d’un communiqué de presse réitérant les mêmes conclusions.
[358] Pièce PGC-73, onglet 59, lettre de Henri Prud’homme à Clive Kiley, 2 février 2007.
[359] Pièce R-125, Rapport Tremblay 2010, p. 16-17.
[360] Pièce R-125, Rapport Tremblay 2010, p. 24.
[361] La liste des cas de cancer recensés se trouve dans la pièce R-31.4A.
[362] Pièce R-125, Rapport Tremblay 2010, p. 23.
[363] Pièce R-125, Rapport Tremblay 2010, p. 25.
[364] Pièce R-125, Rapport Tremblay 2010, p. 35.
[365] Pièce R-125, Rapport Tremblay 2010, p. 36-37.
[366] Pièce R-125, Rapport Tremblay 2010, p. 29-30.
[367] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010.
[368] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 7.
[369] Pièce R-125, Rapport Tremblay 2010, p. 13.
[370] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 9.
[371] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 9-10.
[372] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 11.
[373] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 11.
[374] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 37-40.
[375] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 15.
[376] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 15-16.
[377] Le Dr Siemiatycki fait une erreur de calcul en écrivant que 1,00 - 0,37 = 0,73 plutôt que 0,63 : pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 18.
[378] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 18.
[379] Pièce DC-141A, Rapport Siemiatycki mai 2010, p. 22.
[380] Pièce R-15.2, Rapport Van Coillie 2008, p. 29-35.
[381] Pièce R-11.1, Relevés provenant de la municipalité de Shannon.
[382] Pièce R-15.2, Rapport Van Coillie 2008, p. 23, 36 et 41.
[383] Pièce R-15.2, Rapport Van Coillie 2008, p. 37.
[384] Pièce R-15.2, Rapport Van Coillie 2008, p. 36.
[385] Pièce R-15.2, Rapport Van Coillie 2008, p. 37.
[386] Pièce R-15.2, Rapport Van Coillie 2008, p. 39.
[387] Pièce PGC-4, Santé Canada, Recommandations pour la qualité de l’eau potable au Canada : Documentation à l’appui — Le trichloroéthylène, 2005, p. 34-35.
[388] Pièce R-15.2, Rapport Van Coillie 2008, p. 42.
[389] Pièce R-15.2, Rapport Van Coillie 2008, p. 46.
[390] Pièce R-15.3, Rapport Van Coillie 2010, p. 19.
[391] Pièce PGC-37, INSPQ, Analyse critique de Van Coillie, mars 2010.
[392] Pièce DC-140A, Évaluation critique d'une analyse de risque toxicologique, janvier 2010 [Rapport Tardif 2010].
[393] Pièce DC-140A, Rapport Tardif 2010, p. 18; Pièce PGC-37, INSPQ, analyse critique du Rapport Van Coillie 2008, p. 3.
[394] Pièce DC-140A, Rapport Tardif 2010, p. 19.
[395] Pièce PGC-37, INSPQ, analyse critique du Rapport Van Coillie 2008, mars 2010, p. 5.
[396] Pièce PGC-37, INSPQ, analyse critique du Rapport Van Coillie 2008, mars 2010, p. 7.
[397] Pièce DC-140A, Rapport Tardif 2010, p. 27-28.
[398] Pièce PGC-37, INSPQ, analyse critique du Rapport Van Coillie 2008, mars 2010, p. 7.
[399] Pièce PGC-37, INSPQ, analyse critique du Rapport Van Coillie 2008, mars 2010, p. 10.
[400] Pièce PGC-37, INSPQ, analyse critique du Rapport Van Coillie 2008, mars 2010, p. 42.
[401] Témoignage de Claude Shields, 10 mars 2011, p. 261-262.
[402] Pièce DC-140A, Rapport Tardif 2010, p. 30.
[403] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 42.
[404] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 42.
[405] Voir la carte qui figure à la toute fin du Rapport Shields, pièce R-31.1A.
[406] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009.
[407] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 2.
[408] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 3-4.
[409] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 16-17.
[410] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 17.
[411] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 18.
[412] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 20.
[413] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 23-25.
[414] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 2; Voir pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 44.
[415] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 1.
[416] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 2.
[417] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 44.
[418] Le Dr Siemiatycki calcule 244 personnes : pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 44.
[419] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 45; Pièce DC-2a), Commentaires concernant le rapport du Dr Claude Shields, février 2010, p. 1-2.
[420] Pièce R-31.1A, Rapport Shields, janvier 2009, p. 25.
[421] Témoignage de Claude Shields, 10 mars 2011, p. 261-262.
[422] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 47.
[423] Pièce PGC-35, Rapport INSPQ 2005.
[424] Il est à noter que Rapport INSPQ 2011 (pièce DC-92.1) a été publiée en 2011, après le dépôt du Rapport Siemiatycki janvier 2010.
[425] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 54.
[426] Pièce PGC-35, Rapport INSPQ 2005, p. 6.
[427] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 57-58.
[428] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 60.
[429] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 61.
[430] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 62-63, citant Michael A. Kelsh et al., « Occupational Trichloroethylene Exposure and Kidney Cancer: A Meta-analysis », Epidemiology, vol. 21, no. 1, janvier 2010, p. 95-102.
[431] Un risque relatif de 1,3 signifie que l’on s’attend à observer 130 cas de cancer dans une population qui, sans exposition, en aurait présenté 100. Dans cette situation, 30 cas de cancer sont attribuables au facteur de risque : 30/130 = 23 %.
[432] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 62-63.
[433] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 11.
[434] Témoignage de Claude Shields, 8 mars 2011, p. 84-85.
[435] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 37.
[436] Témoignage de Claude Shields, 10 mars 2011, p. 252-262.
[437] Pièce DC-141, Rapport Siemiatycki janvier 2010, p. 49; Pièce DC-143, rapport Drouin Castonguay 2010, p. 9-10.
[438] Morin c. Blais, [1977] 1 R.C.S. 570.
[439] Pièce R-31.1B, Rapport d'évaluation du préjudice corporel, 25 juin 2009.
[440] Requête introductive d’instance en dommages-intérêts amendée, 15 novembre 2011. En réalité, l’appelante va plus loin : elle demande des dommages pour les personnes atteintes d’un cancer chez qui le test « RedPath Integrated Pathology », utilisé par les Drs Charbonneau et Finkelstein, a donné un résultat positif, ainsi que pour toutes les personnes ayant habité dans une résidence alimentée par le réseau d’aqueduc de la base militaire.
[441] Pièce R-15.2, Rapport Van Coillie 2008, p. 39.
[442] Pièce DC-142, Shannon Report, mars 2010; Pièce DC-142-A, Assessment of Exposures Related to a Report Prepared by Dr Tremblay, juin 2010.
[443] Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. 16.
[444] Pièce PGC-37, INSPQ, analyse critique du Rapport Van Coillie 2008, mars 2010, p. 5.
[445] Loi sur la santé publique, RLRQ, c. S-2.2, art. 96 et suiv.
[446] Pièce PN-PGC-3, onglet 1, lettre du Dr François Desbiens à Mme Marie-Paule Spieser, 26 octobre 2010.
[447] Pièce PN-PGC-1, onglet 1, mandat du comité-conseil.
[448] Pièce PN-PGC-1, onglet 5, manuel d’organisation de projet, juin 2012.
[449] Pièce PN-PGC-1, onglet 1, mandat du comité-conseil, p. 1; Pièce PN-PGC-1, onglet 5, manuel d’organisation de projet, juin 2012, p. 25; Pièce PN-PGC-3, onglet 3, lettre du Dr François Desbiens à Mme Marie-Paule Spieser, 30 novembre 2012.
[450] Pièce PN-PGC-4, onglet 23, IARC, Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans, no 106, « Trichloroethylene, Tetrachloroethylene, and Some Other Chlorinated Agents », 2014, p. 189.
[451] Pièce PN-PGC-1, onglet 1, mandat du comité-conseil, p. 2.
[452] Pièce PN-PGC-3, onglet 17, Suspicion d'un agrégat de cancers du cerveau dans la municipalité de Shannon et dans le secteur de Courcelette, mars 2014.
[453] Témoignage du Dr Desbiens, 30 mai 2017, p. 93.
[454] Pièce PN-PGC-3, onglet 18, compte rendu de la rencontre du 7 avril 2014.
[455] Étiologie : étude des causes et des facteurs d'une maladie. Cette façon d’utiliser l’expression « étude étiologique » est ambigüe : dans un certain sens, une étude d’incidence, en définissant une cohorte ou une population exposée, vise à mettre en évidence une cause de la maladie. Dans l’ensemble de la preuve, les experts utilisent l’expression « étude étiologique » pour parler d’une étude visant à quantifier le risque selon le niveau d’exposition à un facteur environnemental.
[456] Pièce PN-PGC-3, onglet 19, Évaluation sommaire du signalement de cas de cancer du cerveau dans la municipalité de Shannon à partir de données autorapportées auprès du Regroupement des Citoyens de Shannon, septembre 2014.
[457] Pièce PN-PGC-3, onglet 19, Évaluation sommaire du signalement de cas de cancer du cerveau dans la municipalité de Shannon à partir de données autorapportées auprès du Regroupement des Citoyens de Shannon, septembre 2014, p. 32.
[458] Pièce PN-PGC-3, onglet 21, Évaluation de l'incidence des cancers du cerveau chez les personnes ayant habité la municipalité de Shannon (Québec, Canada) entre 1987 et 2001: étude de cohorte rétrospective, mai 2015 [Rapport DSP - version de travail de mai 2015].
[459] Pièce PN-PGC-3, onglet 21, Rapport DSP - version de travail de mai 2015, p. 34-36.
[460] Témoignage du Dr Desbiens, 30 mai 2017, p. 99-102.
[461] Pièce PN-PGC-3, onglet 22, proposition d’analyse, juin 2015.
[462] Pièce PN-PGC-3, onglet 22, proposition d’analyse, juin 2015, paragr. 7.
[463] Pièce PN-PGC-3, onglet 22, proposition d’analyse, juin 2015, paragr. 11.
[464] Pièce PN-PGC-3, onglet 22, proposition d’analyse, juin 2015.
[465] Pièce PN-PGC-3, onglet 23, compte rendu de la rencontre du 5 juin 2015.
[466] Pièce PN-PGC-3, onglet 21.1, Évaluation par le comité-conseil du rapport de la Direction régionale de santé publique de la Capitale-Nationale, juillet 2015.
[467] Pièce PN-PGC-3, onglet 26, Réponses du Directeur de santé publique aux questions et commentaires du comité conseil sur la version de travail de mai 2015 du rapport, novembre 2015.
[468] Pièce PN-PGC-3, onglet 21.1, Évaluation par le comité-conseil du rapport de la Direction régionale de santé publique de la Capitale-Nationale, juillet 2015, annexe 1.
[469] Pièce PN-PGC-3, onglet 21.1, Évaluation par le comité-conseil du rapport de la Direction régionale de santé publique de la Capitale-Nationale, juillet 2015, annexe 2.
[470] Pièce PN-PGC-3, onglet 26, Réponses du Directeur de santé publique aux questions et commentaires du comité conseil sur la version de travail de mai 2015 du rapport, novembre 2015, p. 10.
[471] Pièce PN-PGC-3, onglet 25, Avis scientifiques de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) sur la "Proposition d'analyse" par le comité conseil dans le cadre de l'étude d'agrégat des cas de cancer à Shannon, août 2015.
[472] Pièce PN-PGC-3, onglet 25, Avis scientifiques de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) sur la "Proposition d'analyse" par le comité conseil dans le cadre de l'étude d'agrégat des cas de cancer à Shannon, août 2015, p. 5.
[473] Pièce PN-PGC-3, onglet 27, Étude de l'incidence des cancers du cerveau, du rein, du foie et du lymphome non hodgkinien chez les personnes ayant habité la municipalité de Shannon (Québec, Canada) entre 1987 et 2001: étude de cohorte rétrospective, novembre 2015 [Rapport DSP - version de travail de novembre 2015].
[474] Pièce PN-PGC-3, onglet 28, compte rendu de la rencontre du comité-conseil du 18 décembre 2015.
[475] Pièce PN-PGC-3, onglet 25, Avis scientifiques de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) sur la "Proposition d'analyse" par le comité conseil dans le cadre de l'étude d'agrégat des cas de cancer à Shannon, août 2015.
[476] Pièce PN-PGC-3, onglet 26, Réponses du Directeur de santé publique aux questions et commentaires du comité conseil sur la version de travail de mai 2015 du rapport, novembre 2015.
[477] Pièce PN-PGC-3, onglet 27, Rapport DSP - version de travail de novembre 2015.
[478] Spieser c. GD-OTS Canada inc., 2017 QCCA 58, paragr. 12.
[479] Témoignage du Dr Band, 7 juin 2017, p. 45-46; témoignage du Dr Tremblay, 8 juin 2017, p. 210-211.
[480] Pièce PN-PGC-3, onglet 31, Évaluation finale du président du comité-conseil des 3 rapports soumis par la Direction régionale de la Capitale-Nationale, janvier 2016 [Rapport Band janvier 2016].
[481] Pièce PN-PGC-3, onglet 37.1, Évaluation finale du président du comité-conseil des rapports de la Direction régionale de la Capitale-Nationale sur la contamination de la nappe phréatique, Shannon (Québec), février 2016 [Rapport Band février 2016].
[482] Pièce PN-PGC-3, onglet 37.1, Rapport Band février 2016, p. 12.
[483] Pièce PN-PGC-3, onglet 32, Évaluation du risque de développer le cancer dans Ia population de Shannon en lien avec l’exposition au trichloréthylène, janvier 2016 [Rapport Tremblay janvier 2016].
[484] Pièce PN-PGC-3, onglets 32.1 et 32.2, déclarations sous serment du Dr Tremblay, 3 et 5 février 2016.
[485] Pièce PN-PGC-3, onglet 46, avis de l’INSPQ sur le rapport Tremblay, 26 février 2016.
[486] Pièce PN-PGC-3, onglet 46, avis de l’INSPQ sur le rapport Tremblay, 26 février 2016, p. 3.
[487] Pièce PN-PGC-3, onglet 37.2, lettre du Dr Desbiens aux membres du comité-conseil à la suite de l’évaluation finale du Dr Band, 26 février 2016.
[488] Pièce PN-PGC-3, onglet 38, lettre du Dr Band adressée aux membres du comité-conseil, 27 février 2016.
[489] Pièce PN-PGC-3, onglet 39, Évaluation de mars 2016 du Comité-conseil du rapport "Étude de l'incidence des cancers du cerveau, du rein, du foie et du lymphome non hodgkinien chez les personnes ayant habité la municipalité de Shannon (Québec, Canada) entre 1987 et 2001", rapport produit par le directeur de santé publique de la Capitale-Nationale en janvier 2016, mars 2016.
[490] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Evaluation of new documents and analyses and opinions presented in the case of the Class Action of residents of Shannon Québec, avril 2017 [Rapport Siemiatycki avril 2017].
[491] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Étude de l’incidence des cas de cancer du cerveau, du rein, du foie et de lymphome non hodgkinien chez les personnes ayant habité la municipalité de Shannon (Québec, Canada) entre 1987 et 2001, avril 2016 [Rapport final de la DSP].
[492] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 13.
[493] Il s’agit en réalité d’une étude de conception mixte qui comporte des éléments d’une étude de cohorte et d’une étude écologique : témoignage de Jack Siemiatycki, 20 juin 2017, p. 139-140.
[494] Un regroupement de cas d’une maladie infectieuse s’explique aisément par l’infection, et non par l’exposition à un facteur de risque commun.
[495] Pièce PN-PGC-1, onglet 11, Institut de Veille Sanitaire, Guide méthodologique pour l’évaluation et la prise en charge des agrégats spatio-temporels de maladie non infectieuses, mai 2005, p. 16-17; Voir également pièce PN-PGC-1, onglet 12, CDC, Guidelines for Investigation Cluster of Health Events, 27 juillet 1990.
[496] Jugement dont appel, paragr. 117 et 734.
[497] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 27.
[498] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 27.
[499] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 38.
[500] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 29.
[501] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 30.
[502] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 31.
[503] Il s’agit des cas énumérés dans la pièce R-31.4 A), Liste globale des cas de cancer confirmés.
[504] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 28.
[505] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 35.
[506] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 32.
[507] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 31 et 69.
[508] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 32.
[509] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, annexe 3, p. 71-74.
[510] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 55.
[511] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 48.
[512] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 47.
[513] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 1-2.
[514] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 2.
[515] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 3.
[516] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 12.
[517] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 12.
[518] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 13.
[519] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 14.
[520] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 15.
[521] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 21.
[522] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 21.
[523] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Rapport Siemiatycki avril 2017, p. 15.
[524] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 13, paragr. 30.
[525] PN-APP-4, Rapport Tremblay janvier 2016, p. 14, paragr. 32.
[526] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Rapport Siemiatycki avril 2017, p. 16.
[527] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Rapport Siemiatycki avril 2017, p. 19-20.
[528] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Rapport Siemiatycki avril 2017, p. 17.
[529] Voir la description de la cohorte dans le rapport de la DSP : Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 39.
[530] Pièce PN-PGC-3, onglet 32.2, déclaration sous serment du Dr Tremblay, 5 février 2016, p. 5.
[531] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Rapport Siemiatycki avril 2017, p. 18.
[532] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Rapport Siemiatycki avril 2017, p. 26.
[533] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Rapport Siemiatycki avril 2017, p. 19.
[534] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Rapport Siemiatycki avril 2017, p. 20.
[535] Pièce PN-PGC-3, onglet 46, avis de l’INSPQ sur le rapport Tremblay, 26 février 2016.
[536] Jugement dont appel, paragr. 690.
[537] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 42.
[538] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 42.
[539] Pièce PN-PGC-3, onglet 40, Rapport final de la DSP, p. 48.
[540] Pièce PGC-73, onglet 59, lettre de Henri Prud’homme à Clive Kiley, 2 février 2007.
[541] Pièce DC-92.1, Rapport INSPQ 2011, p. 9 et 13.
[542] Témoignage du Dr Tremblay, 8 juin 2017, p. 148-149.
[543] Voir l’encadré « Properties of a confounding factor » dans pièce PN-PGC-4, onglet 28, Kenneth J. Rothman, Epidemiology : An introduction, New York, Oxford University Press, 2002, p. 108.
[544] Pièce PN-PGC-3, onglet 32.2, déclaration sous serment du Dr Tremblay, 5 février 2016, p. 5.
[545] Pièce PN-PGC-4, onglet 26, Rapport Siemiatycki avril 2017, p. 18.
[546] Témoignage du Dr Siemiatycki, 21 juin 2017, p. 64.
[547] Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), 2015 QCCA 1820, paragr. 9; Fillion c. Chiasson, 2005 QCCA 1154, paragr. 10; Fillion c. Chiasson, 2007 QCCA 570, paragr. 78; Klepper c. Westmount (Ville de), 2015 QCCA 169, paragr. 2, Painchaud c. Usinage MD (2006) inc., 2012 QCCA 169, paragr. 1, Goumbarak c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1701, paragr. 3.
Sous le nouveau Code, voir Gestions Shilaem inc. c. Agence du revenu du Québec, 2017 QCCA 1568, paragr. 37-40; Homans c. Gestion Paroi inc., 2017 QCCA 480, paragr. 57.
[548] G.M. c. R., 2007 QCCA 699, paragr. 33.
[549] Jean-Louis Baudouin et al., La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 242, paragr. 1-251; Roussel c. Gosselin, 2016 QCCA 1461, paragr. 9-12.
[550] Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392, 2008 CSC 64, paragr. 31.
[551] Jean-Louis Baudouin et al., La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 242, paragr. 1-251
[552] Jugement dont appel, paragr. 731-732.
[553] Jean-Louis Baudouin et al., La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 2014, p. 251-252, paragr. 1-259.
[554] Droit de la famille — 122252, 2012 QCCA 1481, paragr. 35-40.
[555] Droit de la famille — 091541, 2009 QCCA 1268, paragr. 41.
[556] Ouellet v. Cloutier, [1947] R.C.S. 521, p. 526.
[557] Paul-André Crépeau, L’intensité de l’obligation juridique, Montréal, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec & Yvon Blais, 1989, p. 8, no 14.
[558] Voir, à titre d’exemple, Stations de la vallée de St-Sauveur inc. c. M.A., 2010 QCCA 1509, paragr. 41.
[559] Témoignage de Robert Murray, 14 avril 2011, p. 215-216.
[560] Pièce DC-144A, Revue de l'évolution de la gestion du TCE, 21 mai 2010, [Rapport Murray amendé], p. 7.
[561] Pièce DC-144A, Rapport Murray amendé, 21 mai 2010, p. 10.
[562] Témoignage d’Anthony Travis, 11 avril 2011, p. 62.
[563] Pièce R-168, The Disposal, Toxicity and Fate of the Organochlorine Compound Trichloroethylene (TCE), with Special Reference to Disposal Practices at the Canadian Arsenals/IVI/SNC-TEC Ammunition Plant; the Defence Research and Development Canada-Valcartier (DRDC) (Department of National Defence) Facility; and Valcartier Garrison Military Base, 29 juillet 2010 [Rapport Travis].
[564] Pièce R-168 B), onglets 56, 36, 13, 39, 55, 46, 15, 57, 28, 37, 47, 70, et 64.
[565] Pièce R-168, Rapport Travis, 29 juillet 2010, p. 13.
[566] Pièce R-168 B), onglet 52, F.A. Lyne et T. McLachlan, « Contamination of Water by Trichloroethylene », Analyst 74, septembre 1949, p. 513.
[567] Pièce PGC-133, James F. Pankow et John A. Cherry, Dense Chlorinated Solvents and other DNAPLs in Groundwater : History, Behavior, and Remediation, Ontario, Waterloo Press, 1996.
[568] Pièce R-168, Rapport Travis, 29 juillet 2010, p. 14.
[569] Pièce R-168, Rapport Travis, 29 juillet 2010, p. 15.
[570] Pièce R-168, Rapport Travis, 29 juillet 2010, p. 31.
[571] Pièce R-168, Rapport Travis, 29 juillet 2010, p. 31-32 et 40.
[572] Pièce R-168, Rapport Travis, 29 juillet 2010, p. 41.
[573] Dicaire c. Chambly (Ville de), 2008 QCCA 54, paragr. 23.
[574] Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, [1992] 1 R.C.S. 351; voir aussi Hôpital général de la région de l'amiante Inc. c. Perron, [1979] C.A. 567, AZ-79011153 (C.A.).
[575] S.R.C. 1952, c. 184.
[576] Loi d’action scientifique du gouvernement (1976), L.C. 1976-77, c. 24, art. 62 et 63, en vigueur le 1er mai 1978.
[577] Pièce PGC 83, onglet 1, Lettre de M. Dominique Gauvin, chef des laboratoires, Ville de Québec, au Dr H. M. Barrett, surintendant en chef, Conseil de recherches pour la défense, CARDE, 28 septembre 1953; Pièce PGC-83, onglet 10, Lettre de M. Dominique Gauvin au Dr Berchmans Paquet, Département de la Santé publique, Ville de Québec, le 24 août 1954; Pièce PGC-83, onglet 5, Lettre de M. Wilfrid Hamel, maire de la Ville de Québec, au Dr H.M. Barret, surintendant en chef, Conseil de recherches pour la défense, 15 mars 1954.
[578] Pièce PGC-83, onglet 2.
[579] Pièce PGC-83, onglet 3.
[580] Pièce PGC-83, onglet 4, Lettre de M. Belleville au surintendant en chef du CARDE, 12 novembre 1953.
[581] Pièce R-168 B), onglet 60, Mémorandum de 1954.
[582] Pièce R-168 B), onglet 60, Mémorandum de 1954, voir le Foreword, p. 139-140.
[583] Id., p. 151.
[584] Id., p. 171.
[585] Id., p. 170.
[586] Pièce PGC-83, onglets 5, 9 et 10.
[587] Pièce PGC-83(b).
[588] Pièce PGC-83, onglet 11.
[589] Pièce PGC-83, onglet 12.
[590] Pièce PGC-83, onglet 13, Lettre de M. D.W. Heywood du cabinet McDougall & Friedman à M. John Kane de Canadian Arsenal, 4 février 1957.
[591] Id., p. 3.
[592] Pièce PGC-83, onglet 14.
[593] Loi sur le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, S.R.C. 1952, c. 74.
[594] Id., art. 5, al. introductif.
[595] Id., art. 5(h).
[596] Id., art. 5(i).
[597] Pièce PGC-83, onglet 3, Lettre de M. C.B. Bate au nom du surintendant en chef du CARDE à M. Belleville du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, 2 novembre 1953.
[598] Pièce PGC-83, onglet 15, p. 2.
[599] Pièce PGC-83, onglet 16.
[600] Pièce PGC-83, onglet 18, Mémorandum de 1958. Il appert que certaines annexes sont manquantes, voir la p. 3, in fine.
[601] Id., p. 5-6.
[602] Pièce PGC-83, onglet 19.
[603] Pièce PGC-83, onglet 20.
[604] Loi de 1970 sur l’organisation du gouvernement, S.R.C. 1970 (2e supp.) c. 14, art. 2 (en vigueur le 11 juin 1971).
[605] Id., art. 5a.
[606] Id., art. 6b.
[607] Pièce PGC-64, onglet 1, Rapport Carrier.
[608] Pièce R-38, Lettre de Mme P. Marchand, ingénieur de projet, Division - Entreprises fédérales à Environnement Canada à M. P. Croteau, directeur, Division des services techniques au CRDV, 4 août 1977, et projet de devis descriptif de l’étude.
[609] Pièce PGC-64, onglet 1, Rapport Carrier, Sommaire, p. VI.
[610] Id., paragr. 4.5, p. IV-9 à IV-12 et paragr. 6.2, p. VI-1 et VI-2.
[611] Id., paragr. 4.4, p. IV-8 et IV-9.
[612] Id., paragr. 3.3, p. III-3 et III-4.
[613] Pièce PGC-83, onglet 18, Mémorandum de 1958.
[614] Pièce PGC-64, onglet 1, Rapport Carrier, paragr. 6.1, p. VI-1.
[615] Supra, paragr. [499].
[616] Pièce PGC-64, onglet 1, Rapport Carrier, paragr. 6.3, p. VI-2.
[617] Id., voir le paragr. V du Sommaire, p. VII et VIII et les Conclusions du Rapport Carrier, paragr. 9.1, p. IX-1.
[618] Id., paragr. 3.1, p. III-1.
[619] Id., paragr. 9.2, p. IX-2.
[620] Id., paragr. 9.2, p. IX-3.
[621] Id., paragr. 9.2, p. IX-4.
[622] Voir infra, paragr. [572]-[579].
[623] Supra, paragr. [477] et [498].
[624] Supra, paragr. [475].
[625] Supra, paragr. [480]-[481] et [485]-[487].
[626] Supra, paragr. [497]-[500].
[627] Supra, paragr. [490] et [503]-[504].
[628] Jugement dont appel, paragr. 274 et Annexe A.
[629] Supra, paragr. [479], [482], [496] et [501].
[630] Supra, paragr. [495] et [496].
[631] Supra, paragr. [484], [495], [496] et [500].
[632] Supra, paragr. [482] et [499].
[633] Supra, paragr. [496].
[634] Supra, paragr. [495] et [496]
[635] Supra, paragr. [496].
[636] Supra, paragr. [501].
[637] Supra, paragr.17 et 18; Jugement dont appel, paragr. 78 à 89.
[638] Jugement dont appel, paragr. 292.
[639] Pièce DC-132, Charles Boily, Survey Report of Val Rose Area, 18 novembre 1952, p. 2.
[640] Jugement dont appel, paragr. 169.
[641] Pièce DC-19, Évaluation environnementale du secteur de la lagune "C", Site IVI - Val Bélair, Lavalin Environnement (1991) Inc., juin 1992.
[642] La déclaration solennelle de Marcel Paquet a été admise par un jugement du juge du procès rendu le 22 janvier 2009 (A.I., vol. 3-A, p. 942.192).
[643] Voir supra, paragr. [59]-[61] et [63].
[644] Pièce DC-14, Rapport préliminaire, Évaluation environnementale du site IVI - Val Bélair (Tome I), SNC-Lavalin inc., Division environnement, décembre 1991, paragr. 5.2, p. 5-2.
[645] Pièce DC-19, Évaluation environnementale du secteur de la lagune "C" Site IVI - Val Bélair, Lavalin Environnement (1991) inc., juin 1992, Rapport no 5, p. 39. Voir aussi le jugement de première instance, paragr. 169-172.
[646] Jugement dont appel, paragr. 274 et Annexe A; René Lefebvre, Expertise hydrogéologique sur le TCE dans l’eau souterraine à Shannon, Québec, Canada, Rapport final révisé, juillet 2010, p. 11-12.
[647] Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. 12; Jugement dont appel, paragr. 274.
[648] Pièce DC-9, Travaux préliminaires en vue de la restauration du site IVI à Val-Bélair, février 1991, paragr. 1.3.1 et Tableau 1.3.1, p. I-6 à I-8. Voir aussi la déclaration solennelle de M. Marcel Paquet, Pièce R-16.2, paragr. 10-16.
[649] Pièce R-95, Lettre de M. André Chamberland, directeur régional de Québec, ministère de l’Environnement du Québec, à M. Jacques Proulx, ingénieur, vice-président à l’exploitation, Les Industries Valcartier Inc. 4 avril 1985.
[650] Pièce DC-95, ETW-12, Suivi environnemental des eaux souterraines du site de SNC Technologies Inc. (SNC TEC) À Val-Bélair 2004, juillet 2005, SNC-Laval Environnement, Annexe B, Tableau B-3.
[651] Témoignage de M. Denis Beaudet, 11 octobre 2011, p. 132-134.
[652] Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. 11-12.
[653] Supra, paragr. [51].
[654] Témoignage de M. Micheal Gingras, 21 avril 2011, p. 224-226; Témoignage de M. André Loiselle, 24 mars 2011, p. 215-216; Pièce R-16.2, Déclaration solennelle de M. Marcel Paquet, paragr. 28-29.
[655] Témoignage de M. Jean-Noël Blanchette, 27 septembre 2011, p. 66.
[656] Pièce DC-9, Travaux préliminaires en vue de la restauration du site IVI à Val-Bélair, Phase IA, Tome 1, février 1991, paragr. 1.2, p. I-5.
[657] Id., paragr. 1.3.4, p. 1-12 et paragr. 5.1.4.2, p. 5-12 et 5-13.
[658] St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491, paragr. 118-120, p. 532-533.
[659] Témoignage de Denis Beaudet, 3 octobre 2011, p. 261-262.
[660] Pièce PGC-58, onglet 43; témoignage de Claudie Tremblay, 26 mai 2011, p. 241-242.
[661] Témoignage de Claudie Tremblay, 6 juin 2011, p. 105-106.
[662] Pièce DC-94A, EDB-37, onglet 13, compte rendu de la rencontre du 27 août 1999, p. 5.
[663] Pièces DC-9 et DC-10, Travaux préliminaires en vue de la restauration du site IVI à Val-Bélair, rapport de février 1991 en deux volumes.
[664] Pièce DC-9, p. 1-5.
[665] Pièce DC-9, p. 5-19.
[666] Pièce R-96, lettre de Réjean Fréchette à Denis Beaudet, 5 novembre 1992; pièce R-97, lettre de Réjean Fréchette à Denis Beaudet, 26 novembre 1993.
[667] Pièce R-18 A), Aide-mémoire du chef d'État-major de l'armée de terre par intérim - réunion quotidienne de la direction du 1er février 2001.
[668] Pièce R-199, contrat de transfert des infrastructures, 10 mai 1999. Voir infra, paragr. [584]-[589].
[669] Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 49.
[670] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, paragr. 116; voir aussi Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés, [1996] 2 R.C.S. 345, paragr. 119-120.
[671] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, paragr. 121.
[672] Jugement dont appel, paragr. 710-711.
[673] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, paragr. 95; de Montigny c. Brossard (Succession), [2010] 3 R.C.S. 64, 2010 CSC 51, paragr. 67; Cinar Corporation c. Robinson, [2013] 3 R.C.S. 1168, 2013 CSC 73, paragr. 115.
[674] Jugement dont appel, paragr. 731.
[675] Imperial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2019 QCCA 358, paragr. 978.
[676] de Montigny c. Brossard (Succession), [2010] 3 R.C.S. 64, 2010 CSC 51.
[677] de Montigny c. Brossard (Succession), [2010] 3 R.C.S. 64, 2010 CSC 51, paragr. 45.
[678] Montréal (Ville) c. Lonardi, [2018] 2 R.C.S. 103, 2018 CSC 29, paragr. 80.
[679] Voir l’analyse de la preuve sur la faute, supra, chapitre 9.
[680] Supra, paragr. [473].
[681] Supra, paragr. [509].
[682] Supra, note 607.
[683] Supra, paragr. [510]-[515].
[684] Les principales recommandations sont décrites, supra, paragr. [516]-[518].
[685] Pièce PGC-64, onglet 1, Rapport Carrier, paragr. VI du Sommaire, p. VIII et IX et paragr. 9.2 et 9.3 des Conclusions, p. IX-2 à IX-5.
[686] Id., paragr. VI du Sommaire, p. IX.
[687] Pièce PGC-83, onglet 36.
[688] Pièce PGC-83, onglet 32, art. 3.1.
[689] Pièce PGC-83, onglet 27.
[690] Supra, paragr. [130]-[136]; Pièce PGC-58, onglet 64, Compte rendu de la session de travail du 16 décembre 1998, 3 février 1999, point 54, p. 8.
[691] Au procès, le juge de première instance a d’ailleurs manifesté son étonnement devant l’incapacité des témoins à expliquer pourquoi les résultats des tests de 1995 avaient été ignorés pendant trois ans. Voir le contre-interrogatoire de M. Stéphane Jean, 13 septembre 2011, p. 16-17 et 18-19.
[692] Pièce PGC-5a, Vérification de conformité environnementale de référence, Centre de recherches pour la défense, Valcartier (CRDV), vol. 1, Rapport final, Tecsult inc., mars 1994, Tableau S-5.0 : Grille d’impact et mesures à prendre selon la priorité, p. 11.
[693] Supra, paragr. [120]-[129] et [139].
[694] Témoignage du maire Clive Kiley, 4 mai 2011, p. 26-28.
[695] Id., p. 46-53; Témoignage de M. Normand Légaré, 12 mai 2011, p. 11-12.
[696] Supra, paragr. [121]; Pièce PGC-60, onglet 22.
[697] Pièce R-199; Témoignage du maire Kiley, 4 mai 2011, p. 147-150.
[698] Témoignage de Normand Légaré, 12 mai 2011, p. 9-11 et 12-13. Dans le même sens, voir le témoignage du maire Kiley, 4 mai 2011, p. 147-150.
[699] Jugement dont appel, paragr. 149-150.
[700] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211.
[701] Id., paragr. 121, p. 262.
[702] Id., paragr. 122, p. 262-263.
[703] « Le problème de la contamination de l’eau, à Valcartier, a été reconnu il y a 15 ans, et les autorités locales y ont fait face de façon exceptionnelle au cours des deux dernières années. », Pièce R-18A) Aide mémoire du chef d’état-major de l’armée de terre par intérim - réunion quotidienne de la direction du 1er février 2001.
[704] Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac c. Expert-conseils RB inc., 2017 QCCA 381, paragr. 81-82.
[705] Laferrière c. Lawson, [1991] 1 R.C.S. 541.
[706] Pièce R-12, avis de santé publique du 19 décembre 2000.
[707] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 135-136. Voir aussi p. 156-157.
[708] The Gazette c. Valiquette, [1997] R.J.Q. 30. Repris récemment dans Ville de Sainte-Marthe-sur-le-Lac c. Expert-conseils RB inc., 2017 QCCA 381, paragr. 50.
[709] Andrews c. Grand Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229, p. 261.
[710] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 190-191 et 223.
[711] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 117-118.
[712] Témoignage de Denis Gauvin, 13 juin 2011, p. 127-128; Pièces R-11.1 et PGC-59, onglet 63.
[713] Témoignage de Normand Légaré, 12 mai 2011, p. 136-137.
[714] Témoignage de Clive Kiley, 4 mai 2011, p. 129-152.
[715] Voir supra, paragr. [184]-[199].
[716] Jugement dont appel, paragr. [323].
[717] Jugement dont appel, paragr. [605].
[718] Jugement dont appel, paragr. [243].
[719] Pièce R-126A, rapport Chapuis, septembre 2010, p. 152.
[720] Pièce R-126A, rapport Chapuis, septembre 2010, p. 148.
[721] Pièce PGC-65, onglet 5, compte rendu de la réunion du comité de concertation du 4 décembre 2001, p. 4-5.
[722] Pièce R-30, rapport INRS 2003, p. 55-56.
[723] Pièce DC-147, Rapport Lefebvre juillet 2010, p. ii-iii.
[724] Pièce DC-147A, Rapport Lefebvre décembre 2010, p. i.
[725] Pièce DC-147A, Rapport Lefebvre décembre 2010, Tableau 2, p. 19.
[726] Témoignage du Dr Lefebvre, 20 octobre 2011, p. 120-121 et 125-127.
[727] Pièce DC-147A, Rapport Lefebvre décembre 2010, paragr. 3.1, p. 7. Voir : Pièce PGC-86, onglet 19. Renald McCormack, Étude hydrogéologique Rive Nord du Saint-Laurent, 1983.
[728] Jugement dont appel, paragr. 295 et 299.
[729] Pièce DC-147A, Rapport Lefebvre décembre 2010, Tableau 1, p. 18.
[730] Témoignage de M. Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 171.
[731] Témoignage de M. Denis Beaudet, 4 octobre 2011, p. 268-269.
[732] Pièce PGC-76, onglet 2, Mémoire de M. Dominique Gauvin, chef des laboratoires, Cité de Québec, au Dr Jacques Roussel, directeur du Service de santé, 13 mars 1969.
[733] Témoignage de M. Denis Beaudet, 28 septembre 2011, p. 65-66.
[734] Témoignage de M. Denis Beaudet, 4 octobre 2011, p. 272-273.
[735] Pièce DC-95, UTW-22, Relevé des conditions hydrogéologiques dans le secteur des propriétés des Industries Valcartier inc., Compagnie internationale des eaux ltée, 31 mars 1981.
[736] Id., voir l’historique des puits aux p. 13-14 et l’interprétation des résultats, p. 19.
[737] Témoignage de M. Denis Beaudet, 4 octobre 2011, p. 272-273.
[738] Rapport du 31 mars 1981 de la Compagnie internationale des eaux.
[739] Supra, paragr. [627].
[740] Témoignage du Dr Lefebvre, 20 octobre 2011, p. 117. Dans le même sens : Témoignage du Dr Lefebvre, 21 octobre 2011, p. 284-285.
[741] Pièce DC-147A, Rapport Lefebvre décembre 2010, Tableau 3, p. 20.
[742] Jugement dont appel, paragr. 728.
[743] Témoignage de Normand Légaré, 12 mai 2011, p. 11 et 36.
[744] Témoignage de Normand Légaré, 12 mai 2011, p. 136.
[745] Pièce R-136, accord de subvention conclu par la municipalité de Shannon et le ministère de la Défense nationale, 2 octobre 2001. Voir aussi pièce R-132, phases de raccordement à l’aqueduc, 12 août 2010.
[746] Jugement dont appel, paragr. 707.
[747] Témoignage de Normand Légaré, 12 mai 2011, p. 175-177.
[748] Pièce PGC-31, lettre d’Alain Cloutier à Holmer Berthiaume, 29 octobre 2004.
[749] Jugement dont appel, paragr. 728.
[750] Pièce PGC-14, Adsum, « Pour une eau de meilleure qualité », 16 décembre 1998.
[751] Céline Gervais, La prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 106-107; Banque de Commerce Canadienne Impériale c. Coopérative fédérée du Québec, [1998] R.J.Q. 2261 (C.A.), p. 2265-2266; Air Transat AT inc. c. Taillefer, 2006 QCCA 18.
[752] Pièce R-177.
[753] Pièce R-13.
[754] Pièce PGC-73, onglet 7.
[755] Pièce PGC-73, onglet 14.
[756] Pièce PGC-73, onglet 13.
[757] Homans c. Gestion Paroi inc., 2017 QCCA 480, paragr. 143; SNC-Lavalin inc. c. Société québécoise des infrastructures (Société immobilière du Québec), 2015 QCCA 1153, paragr. 95; Roch Lessard 2000 inc. c. Saint-Augustin (Municipalité de), 2013 QCCA 1606, paragr. 96-101; Clément c. Painter, 2013 QCCA 99, paragr. 27.
[758] Requête de la demanderesse en rectification de jugement, 18 juillet 2012.
[759] Jugement sur la requête de la demanderesse en rectification de jugement, 17 janvier 2013.
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