Décision

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Plantons A et P inc. c. Delage

2015 QCCA 7

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-023684-137

(750-17-001757-107)

 

DATE :

Le 7 janvier 2015

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

GUY GAGNON, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

LES PLANTONS A ET P INC.,

COOPÉRATIVE DE SOLIDARITÉ DU CENTRE D'INTERPRÉTATION DE L'HORTICULTURE DE LA MONTÉRÉGIE

APPELANTES - Défenderesses

c.

 

CLAIRE DELAGE,

JEAN-PIERRE DEVOYAULT,

MARILYSE DEVOYAULT

INTIMÉS - Demandeurs

et

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

Mise en cause - Mise en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelantes Les Plantons A. et P. inc. et Coopérative de solidarité du Centre d’interprétation de l’horticulture de la Montérégie appellent du jugement de la Cour supérieure (l'honorable Mark G. Peacock), rendu le 27 mai 2013, qui les condamne solidairement à verser 9 500 $ à chacun des intimés Claire Delage et Jean-Pierre Devoyault pour des troubles de voisinage. Pour les mêmes raisons, l’intimée Marilyse Devoyault s’est vue accorder un dédommagement de 7 000 $.

[2]           L’appelante Les Plantons A. et P. inc. est également condamnée à verser à l’intimée Claire Delage 1 000 $ pour les frais de nettoyage extérieur de sa maison. Aussi, les appelantes doivent rembourser aux intimés des frais d’expert établis à 2 887,30 $.

[3]           Finalement, ce jugement ordonne aux appelantes de cesser d’utiliser deux chaudières artisanales et de ne plus employer de combustible de bois accompagné de matière plastique ou d’une autre forme de composés synthétiques.

[4]           Pour les motifs du juge Gagnon, auxquels souscrivent les juges Thibault et Vauclair;

LA COUR :

[5]           Accueille l'appel en partie, mais avec dépens contre les appelantes;

[6]           Raye du dispositif du jugement ses conclusions [335] et [336].

[7]           Substitue à la conclusion [338] du jugement les deux suivantes :

CONDAMNE solidairement les défenderesses Les Plantons A. et P. inc. et   Coopérative de solidarité du Centre d’interprétation de l’horticulture de la Montérégie à payer à chacun des demandeurs Claire Delage et Jean-Pierre Devoyault 6 500,00 $ et à la demanderesse Marilyse Devoyault 5 000,00 $, le tout avec l’intérêt et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec;

CONDAMNE la défenderesse Les Plantons A. et P. inc. à payer à chacun des demandeurs Claire Delage et Jean-Pierre Devoyault 3 000,00 $ et à la demanderesse Marilyse Devoyault 2 000,00 $, le tout avec l’intérêt et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec;

[8]           MAINTIENT les autres conclusions du jugement.

 

 

 

 

FRANCE THIBAULT, J.C.A.

 

 

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

Me François Montfils

Therrien Couture avocats

et

Me Stéphane Forest (avocat-conseil)

Brodeau, Hotte, avocats

Pour les appelantes

 

Me Daniel Dupras

Robichaud & Dupras, avocats

Pour les intimés

 

Date d’audience :

11 novembre 2014


 

 

MOTIFS DU JUGE GAGNON

 

 

[9]           Les appelantes Les Plantons A. et P. inc. (« Plantons ») et Coopérative de solidarité du Centre d’interprétation de l’horticulture de la Montérégie (« Coopérative ») appellent du jugement de la Cour supérieure (l'honorable Mark G. Peacock), rendu le 27 mai 2013[1], qui les condamne solidairement à verser 9 500 $ à chacun des intimés Claire Delage et Jean-Pierre Devoyault pour les troubles de voisinage soufferts par eux, et ce, durant plusieurs années. Pour les mêmes raisons, l’intimée Marilyse Devoyault s’est vue accorder un dédommagement de 7 000 $.

[10]        Plantons est également condamnée à verser à l’intimée Claire Delage 1 000 $ pour les frais de nettoyage extérieur de sa maison. Aussi, Plantons et Coopérative doivent rembourser aux intimés des frais d’expert établis à 2 887,30 $.

[11]        Finalement, il est ordonné à Plantons et à Coopérative de cesser d’utiliser deux chaudières artisanales et de ne plus employer de combustible de bois accompagné de matière plastique ou d’une autre forme de composés synthétiques.

Les faits

[12]        Les intimés demeurent depuis 1969 dans le 1er Rang de la petite municipalité de Sainte-Christine. Ils y coulaient des jours heureux jusqu’au moment d’éprouver des difficultés avec leurs voisins immédiats Plantons et Coopérative. Ils soutiennent qu’à compter de l’hiver 2004, ils ont dû vivre avec des inconvénients anormaux provoqués par une fumée envahissante provenant des cheminées surplombant les installations agricoles de leurs voisins situées à environ 150 mètres au nord-est de leur propriété.

[13]        L’historique des événements fait voir qu’en 1995 Germain Desautels et Yvette Forget ont établi leur résidence dans le voisinage des intimés. Ils y ont aussi aménagé leur entreprise familiale fondée en 1987 (Plantons). Celle-ci est maintenant dirigée par leur fils Patrick Desautels (« M. Desautels »), principal intervenant pour Coopérative et Plantons dans le litige qui oppose ces sociétés aux intimés.

[14]        Plantons exploite une entreprise agricole spécialisée dans le domaine de l’horticulture. Elle s’adonne notamment à la production de conifères. Aux fins de cette exploitation, l’entreprise possède un réseau de serres chauffées à l’eau s’étendant sur une superficie de plus de 1 300 mètres carrés.

[15]        Elle partage les 600 acres de terre qu’elle possède avec l’autre appelante, Coopérative. Cette dernière a pour principal objet l’interprétation de l’horticulture en Montérégie ainsi que la culture de légumes. Elle est dirigée par Germain Desautels, son fondateur.

[16]        Aux dires des parties, ils entretenaient des relations de bon voisinage jusqu’en 2004, année où les manifestations de fumée sont devenues plus persistantes.

[17]        En décembre 2004, Plantons installe deux chaudières artisanales alimentées au bois. Ces appareils étaient censés augmenter la capacité de chauffer l’eau circulant dans des aérothermes placés dans les différentes serres de la société pour ultimement favoriser une plus grande dissémination de la chaleur.

[18]        C’est à compter de l’implantation de ces équipements que les manifestations de fumée deviennent plus intenses et répétitives. Selon l’ampleur des séquences, la fumée que laissent échapper les cheminées de Plantons se répand sur une partie de la propriété des intimés allant même jusqu’à se loger à l’intérieur de leur maison, aux grands désagréments de ses occupants.

[19]        Le 5 novembre 2005, dans une lettre adressée à M. Desautels, l’intimée Marilyse Devoyault se plaint des inconvénients qu’elle et les membres de sa famille subissent en raison de la fréquence et de l’intensité de la fumée provenant des cheminées de Plantons. Loin de nier l’existence de cette nuisance et adoptant un ton plutôt conciliant, M. Desautels fait valoir dans sa réponse écrite qu’il ne ménage pas ses efforts pour trouver une solution aux problèmes dénoncés par ses voisins. Je résume ainsi les principaux passages de cette lettre[2] :

·        M. Desautels y affirme être conscient de l’inconvénient supporté par les intimés;

·        lorsqu’un changement dans la direction des vents survient, la combustion déjà commencée ne peut être arrêtée et il doit alors se résigner à en constater les effets sur ses voisins. Il déplore autant que les intimés les conséquences de cette réalité;

·        il rappelle avoir allongé de vingt pieds une des cheminées reliées aux appareils de chauffage, et ce, à la suggestion même des intimés. Il ajoute que ce changement a amélioré la situation, mais reconnaît du même coup que la mesure n’est pas suffisante;

·        il admet que des modifications plus importantes au système de chauffage devront être apportées en vue de résoudre la situation de manière satisfaisante;

·        il considère que les inconvénients endurés par les intimés résultent de l’émission de fumée qui retombe vers le bas à deux pieds près de la fournaise, pour après emprunter le relief du terrain (la pente) et pour ensuite se diriger vers la propriété des intimés. Ce phénomène se produit les journées de mauvais temps, de pluie ou de neige et lorsque les vents proviennent du nord-est et se dirigent vers le sud-ouest;

·        il les informe qu’une partie de la solution réside dans l’installation d’une soufflerie dans les cheminées, ce qui devrait réduire l’opacité de la fumée. Il écrit : « Cette modification devrait permettre à la fumée de ne pas retomber sur votre propriété : but ultime de notre démarche », et finalement il ajoute :

·        « Nous nous excusons du désagrément et nous sommes confiants, que vous trouverez dans cette réponse, que tout comme vous, nous désirons trouver la solution définitive afin de régler cet inconvénient sporadique, comme vous le dites si bien dans votre lettre pour « notre bon voisinage » et ce depuis dix (10) ans déjà ».

[20]        Insatisfaits des démarches de M. Desautels et de guerre lasse, les intimés se tournent vers le Ministère du Développement durable et de l’Environnement et des Parcs (le « Ministère »). Un organisme lié au Ministère, le Centre de contrôle environnemental de l’Estrie et de la Montérégie, s’intéresse à cette dénonciation.

[21]        Le 19 mars 2009, une inspectrice se rend chez Plantons. M. Desautels la reçoit et lui explique le fonctionnement des appareils de chauffage. Il l’informe que les combustibles utilisés pour alimenter les deux chaudières artisanales sont du pin sec, des palettes de bois et du contreplaqué. Lors de cette rencontre, il se dit bien au fait des récriminations de ses voisins.

[22]        Un mois après cette visite, le Ministère écrit à Plantons pour lui demander de ne plus utiliser comme combustible du bois traité, du contreplaqué ou encore du bois vert. De plus, le Ministère souhaite obtenir l’information nécessaire permettant d’établir la vitesse d’évacuation des deux cheminées de l’entreprise.

[23]        Cette demande marque un changement radical d’attitude chez M. Desautels. Dans sa réponse donnée au Ministère le 6 mai 2009, il conteste la plupart des constatations tirées par l’inspectrice lors de sa visite du 19 mars 2009. Il s’interroge aussi sur la justesse de l’affirmation du Ministère selon laquelle son entreprise émettrait des polluants.

[24]        À la même époque, Plantons loue à Coopérative une serre vitrée. Cette dernière projette d’y produire des légumes sur une base annuelle. Au printemps 2009, Plantons et Coopérative réalisent que le système de chauffage est insuffisant pour maintenir une culture potagère adéquate. Elles devront augmenter sa capacité. Entretemps, elles utilisent les deux chaudières au maximum de leur possibilité.

[25]        À l’automne 2009 et à l’hiver 2010, les émanations de fumée se multiplient. Les intimés notent par écrit toutes les manifestations de fumée nuisant à la qualité de leur environnement et décrivent soigneusement comment leur quotidien s’en trouve affecté. Ils ne manquent pas non plus de les dénoncer à Plantons qui ne réagit plus aux plaintes de ses voisins.

[26]        Un appareil de chauffage répondant aux besoins de Coopérative est finalement trouvé. Il s’agit d’une bouilloire alimentée aux copeaux de bois (biomasse). Le nouveau système est mis en place en avril 2010. Cette installation coïncide avec la fin de l’utilisation des deux chaudières artisanales dont Plantons et Coopérative se sont depuis départies.

[27]        Il ne ressort pas nettement de la preuve que les intimés aient eu à subir des inconvénients anormaux liés à la fumée et à son odeur après l’implantation de ce nouvel équipement.

Le jugement entrepris

[28]        Aux fins de cerner l’assise juridique sur laquelle reposent les prétentions des intimés, le juge considère que le chauffage au bois est partie intégrante à l’activité agricole de Plantons et de Coopérative. Cette détermination initiale l’amène à se demander si, en raison même de leur activité, les immunités prévues à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (ci-après la « LPTAA »)[3] s’appliquent à leur situation.

[29]        Il constate que la fumée ne fait pas partie de l’énumération des nuisances mentionnées à l’article 79.17 pour lesquelles la LPTAA prévoit une immunité relative. Cependant, il se dit d’avis que la preuve ne démontre pas que Plantons et Coopérative ont manqué à une quelconque norme réglementaire dont notamment le Règlement sur la qualité de l’atmosphère[4], qui, à l’époque, était susceptible de s’appliquer à leur situation.

[30]        Ensuite, il fait porter son analyse sur la question des troubles de voisinage (976 C.c.Q.). Il estime que l’ampleur des épisodes de fumée subis par les intimés et les conséquences de cette nuisance sur leur quotidien constituent des troubles anormaux qui excédent les limites de la tolérance.

[31]        Pour parvenir à cette conclusion, le juge retient la version des intimés quant à l’importance des manifestations dévoilées en preuve et aux inconvénients ressentis par eux. Il n’hésite pas à dire que l’origine de ces troubles provient des émanations produites par les chaudières artisanales propriétés de Plantons et utilisées par Coopérative.

[32]        Il s’appuie aussi sur l’opinion de l’expert des intimés qu’il juge probante en dépit de certains irritants quant à sa rigueur scientifique.

[33]        Il reconnaît cependant que l’odeur fait partie des nuisances mentionnées à la LPTAA. Compte tenu de l’immunité relative accordée par la Loi pour cette nuisance, il décide de se pencher sur les conditions nécessaires à son application.

[34]        Il note que la municipalité de Sainte-Christine n’a pas légiféré en matière d’odeur comme le lui permet la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[5]. Cette absence de réglementation municipale portant sur les nuisances de cette nature l’autorise à regarder les allégations des intimés par le prisme de l’article 20 de la Loi sur la qualité de l’environnement[6] :

20. Nul ne doit émettre, déposer, dégager ou rejeter ni permettre l'émission, le dépôt, le dégagement ou le rejet dans l'environnement d'un contaminant au-delà de la quantité ou de la concentration prévue par règlement du gouvernement.

La même prohibition s'applique à l'émission, au dépôt, au dégagement ou au rejet de tout contaminant, dont la présence dans l'environnement est prohibée par règlement du gouvernement ou est susceptible de porter atteinte à la vie, à la santé, à la sécurité, au bien-être ou au confort de l'être humain, de causer du dommage ou de porter autrement préjudice à la qualité du sol, à la végétation, à la faune ou aux biens.

20. No one may emit, deposit, issue or discharge or allow the emission, deposit, issuance or discharge into the environment of a contaminant in a greater quantity or concentration than that provided for by regulation of the Government.

The same prohibition applies to the emission, deposit, issuance or discharge of any contaminant the presence of which in the environment is prohibited by regulation of the Government or is likely to affect the life, health, safety, welfare or comfort of human beings, or to cause damage to or otherwise impair the quality of the soil, vegetation, wildlife or property.

[Je souligne.]

[35]        Se fondant sur un article de doctrine[7], il conclut que le deuxième alinéa de cette disposition présente certaines affinités avec l’article 976 C.c.Q. Selon la preuve qu’il accepte, il détermine que les intimés ont été victimes de manifestations polluantes provenant d’un contaminant (l’odeur) qui a porté atteinte à leur confort. Il juge que les inconvénients mis en preuve excédaient les limites de la tolérance auxquelles sont normalement tenus les voisins.

[36]        Au final, il tient responsables solidairement Plantons et Coopérative pour les conséquences de ces nuisances (fumée et odeur) sur la vie des intimés. En ce qui a trait à leurs récriminations pour les émanations provenant de la nouvelle chaudière à biomasse, il trouve la preuve insuffisante sous ce rapport.

[37]        Enfin, il adjuge les dommages et les ventile selon les troubles subis par chacun des intimés. Il ordonne aussi à Plantons et à Coopérative de cesser d’utiliser les fournaises artisanales ainsi que des combustibles contenant des contaminants synthétiques.

Les questions en litige

[38]        Plantons et Coopérative avancent que le juge s’est trompé en refusant d’appliquer en leur faveur l’immunité prévue à la LPTAA, que la preuve ne l’autorisait pas à recourir au régime de responsabilité de l’article 976 C.c.Q. et, finalement, que les d’ordonnances de nature injonctive prononcées contre elles sont inutiles.

L’analyse

1.   L’immunité prévue à l’article 79.17 LPTAA

[39]        En première instance de même qu’en appel s’est posée la question de la portée véritable de l’article 79.17 LPTAA[8] :

79.17. En zone agricole, nul n'encourt de responsabilité à l'égard d'un tiers en raison des poussières, bruits ou odeurs qui résultent d'activités agricoles, ni ne peut être empêché par ce tiers d'exercer de telles activités si celles-ci sont exercées, sous réserve de l'article 100 :

 1° conformément aux normes réglementaires prises par application de la Loi sur la qualité de l'environnement (chapitre Q-2) en matière de poussières ou de bruits et, en matière d'odeurs, conformément aux normes visant à atténuer les inconvénients reliés aux odeurs inhérentes aux activités agricoles, découlant de l'exercice des pouvoirs prévus au paragraphe 4° du deuxième alinéa de l'article 113 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (chapitre A-19.1);

 2° conformément aux dispositions de la Loi sur la qualité de l'environnement pour ce qui concerne tout élément n'ayant pas fait l'objet de normes réglementaires.

79.17. In an agricultural zone, no person shall incur liability toward a third person by reason of dust, noise or odours resulting from agricultural activities, or shall be prevented by a third person from exercising such agricultural activities, if they are exercised, subject to section 100.

(1) in accordance with the regulatory standards adopted under the Environment Quality Act (chapter Q-2) that relate to dust and noise or, as regards odours, in accordance with the standards aimed at reducing the inconvenience caused by odours resulting from agricultural activities, originating from the exercise of the powers provided for in subparagraph 4 of the second paragraph of section 113 of the Act respecting land use planning and development (chapter A - 19.1);

(2) in accordance with the provisions of the Environment Quality Act as regards any matter not covered by regulatory standards.

[Je souligne.]

[40]        Plantons et Coopérative plaident que le mot « poussières » mentionné à cette disposition inclut l’élément fumée. Si cette interprétation était acceptée, elles seraient en droit d’opposer aux intimés l’immunité relative prévue à la LPTAA.

[41]        Concernant l’odeur de fumée, elles avancent que le juge a commis une erreur en concluant que la règlementation de la municipalité de Sainte-Christine est silencieuse sur cette question. À l’appui de leur position, elles invoquent l’article 36 du Règlement G100 de la municipalité de Sainte-Christine :

L’éjection d’étincelles ou de suie et en général de toute odeur nauséabonde provenant de cheminées ou d’autres sources constitue une nuisance et est prohibée.[9]

[42]        Elles concluent leur raisonnement en soutenant que l’immunité prévue à l’article 79.17 de la LPTAA vise leur situation puisque la réglementation de cette municipalité contient des normes réglementaires en matière d’odeurs et que la preuve ne révèle pas qu’elles les ont enfreintes.

[43]        Les intimés soutiennent pour leur part que l’immunité invoquée par Plantons et Coopérative doit être interprétée de manière restrictive et que, de toute façon, celle-ci ne trouve pas application en l’espèce. Ils avancent que l’analyse du juge sur cette question est sans faille. À l’appui de leur position, ils attirent notre attention sur le passage suivant d’un texte de doctrine : « l’immunité accordée par ces dispositions ne peut s’étendre aux effets sur la santé et le bien-être physique et psychique des citoyens qui résultent de l’exposition constante et prolongée aux odeurs provenant d’activités agricoles, lorsque ces effets dépassent le domaine des seuls inconvénients ou désagréments »[10].

i)    La fumée

[44]        Plantons et Coopérative ont tort de soutenir que le mot poussières contenu à l’article 79.17 de la LPTAA comprend, en toute circonstance, l’élément fumée. Voici pourquoi.

[45]        L’analyse de cette question nécessite de revenir sur les conditions essentielles établies par la LPTAA pour jouir de l’immunité qu’elle crée. Il appartient à celui qui invoque cette immunité d’établir les conditions d’ouverture suivantes :

-        il doit s’agir d’une activité agricole;

-        les nuisances doivent être en lien avec cette activité, et;

-        les nuisances sont celles mentionnées à la Loi, soit la poussière, le bruit ou l’odeur.

[46]        Une fois ces éléments démontrés, il incombe au plaignant de prouver «  que la personne qui exerce ces activités agricoles a contrevenu, selon le cas, aux normes réglementaires applicables ou à la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2) »[11].

[47]        Au départ, Plantons et Coopérative devaient donc établir qu’elles s’adonnent à des activités agricoles.

[48]        La doctrine avance l’idée que la notion d’« activités agricoles » contenue à la LPTAA[12] doit être interprétée généreusement et de manière « extensive »[13]. En l’espèce, il ne fait aucun doute que Plantons et Coopérative sont des entreprises agricoles et que leur système de chauffage est indispensable aux fins d’une production agricole adéquate. Bref, l’un et l’autre sont indissociables pour l’atteinte de cet objectif. D’ailleurs, les intimés ne contestent pas sérieusement cette première étape de l’analyse.

[49]        Ensuite, elles devaient établir que les manifestations nuisibles dont se plaignent les intimés sont intimement liées à leurs activités. C’est la conclusion à laquelle en vient le juge de première instance. Ce constat est aussi implicitement accepté par Plantons et Coopérative puisque toutes les deux recherchent l’immunité prévue à la LPTAA en raison précisément des émissions de fumée produites par leurs chaudières.

[50]        Qu’en est-il maintenant de la nature de la nuisance en cause?

[51]        Il ne fait aucun doute que l’article 79.17 de la LPTAA vise à accorder au milieu agricole une certaine tolérance à l’égard de possibles atteintes à l’environnement. Cependant, le législateur a pris soin de limiter l’étendue de cette tolérance en précisant les nuisances pour lesquelles il a prévu une immunité relative de responsabilité. Cette énumération est exhaustive et elle se limite aux « poussières, bruits ou odeurs ».

[52]        En matière environnementale, les législations de cette nature doivent recevoir une « interprétation favorisant le plein épanouissement du droit à la qualité de l’environnement, à sa protection et à sa sauvegarde »[14].

[53]        Pour les mêmes raisons, il faut convenir qu’un régime d’exemption visant à limiter la responsabilité de ceux qui autrement contreviendraient à une loi à caractère écologique doit voir sa portée restreinte aux seules exceptions qu’il contient, c'est-à-dire être interprété de façon restrictive.

[54]        Cette règle d’interprétation trouve aussi sa justification en raison du fait qu’en principe les régimes juridiques prévoyant une immunité de poursuite privent le citoyen d’un accès aux tribunaux lui permettant d’obtenir le redressement auquel il aurait normalement droit[15].

[55]        Il est également admis que les législations relevant d’une même sphère doivent s’interpréter de manière à se compléter et non à se contredire. Les différences rédactionnelles laissent présumer que l’on a voulu marquer une distinction et, le cas échéant, l’interprétation législative doit refléter cette volonté.

[56]        L’importance de maintenir une cohérence[16] et une harmonie entre les législations de même nature (in pari materia)[17] repose principalement sur la nécessité de tenir compte des philosophies communes ayant présidé à leur adoption.

[57]        À titre d’illustration, le Règlement sur la qualité de l’atmosphère auquel renvoie le paragraphe 2 de l’article 79.17 de la LPTAA apporte sur le plan conceptuel une distinction fondamentale entre la fumée et la poussière. Son article 1.11 définit ainsi la « fumée » :

1.11.    « fumée » : fines particules de cendres, de carbone et de substances combustibles résultant d'une combustion incomplète et en suspension dans un milieu gazeux;

[58]        L’élément poussière, quant à lui, est contenu dans la définition suivante :

1.17.    « matière particulaire » : toute substance, à l'exception de l'eau non combinée, qui existe sous une forme liquide ou solide finement divisée en suspension dans un milieu gazeux;

[59]        En raison de ces distinctions, il faut en déduire que le législateur était animé de la même logique en choisissant de ne pas inclure la fumée parmi les nuisances énumérées à l’article 79.17 de la LPTAA. Les mots employés à cette disposition lorsque replacés dans le contexte global des législations de nature environnementale soutiennent l’idée que le législateur n’a pas ici péché par omission ou par manque de clarté.

[60]        Par ailleurs, l’interprétation proposée par Plantons et Coopérative ignore la cause même de la nuisance dénoncée par les intimés.

[61]        Si on s’attarde au sens grammatical des mots « fumée » et « poussière », on constate que ces deux éléments résultent habituellement de sources différentes. La fumée est définie comme étant le résultat de la combustion incomplète d’un corps[18]. La poussière pour sa part est souvent décrite comme étant le résultat d’une activité mécanique ou la conséquence d’un choc ou d’un frottement entre deux corps[19].

[62]        La réglementation en matière environnementale tient compte de ces distinctions. Ainsi, la lecture des articles 45 et suivants du Règlement sur la qualité de l’atmosphère[20] fait ressortir le souci du législateur de contrôler les émanations provenant de la combustion de bois. Le Règlement sur les appareils de chauffage au bois[21] poursuit une fin semblable. On remarque cependant à lecture de l’article 17 du Règlement sur la qualité de l’atmosphère que le législateur concentre cette fois son attention sur les émissions de poussières qu’il définit ainsi :

17.       « Émission de poussières » : Celui qui procède à la démolition, la construction, la réparation ou l'entretien d'un bâtiment ou d'une voie de circulation, doit épandre de l'eau ou un autre abat-poussière pour prévenir le soulèvement de poussières dans tous les cas où l'exercice de cette activité entraîne des émissions de poussières qui produisent l'un ou l'autre des effets énumérés au deuxième alinéa in fine de l'article 20 de la Loi.

[63]        Tous ces facteurs convergent vers l’obligation de maintenir une distinction entre la poussière et la fumée.

[64]        Je n'ignore pas que certaines activités agricoles seraient susceptibles de produire à la fois de la fumée et de la poussière, ce qui pourrait, selon le cas, soulever des difficultés d'application de l'immunité prévue à l'article 79.17 de la LPTAA. Tel n'est cependant pas l'enjeu du présent pourvoi.

[65]        En l’espèce, les intimés ne soutiennent pas être victimes d’émanations de poussières ni de l’une de ses composantes en particulier, mais plutôt des inconvénients reliés à des nuages de fumée envahissants provenant des cheminées de leurs voisins. Pour leur part, Plantons et Coopérative n’ont pas réussi à démontrer que la nuisance en cause était en fait de la poussière.

[66]        À mon avis, le juge ne s’est pas trompé en déterminant que l’élément fumée n’incluait pas dans les circonstances de l’espèce l’élément poussière mentionné à l’article 79.17 de la LPTAA. Une fois ce constat tiré, il pouvait étudier la responsabilité de Plantons et de Coopérative sous l’angle de l’article 976 C.c.Q. J’y reviendrai.

ii)   L’odeur

[67]        Personne ne conteste que l’élément odeur fait partie des nuisances énumérées à l’article 79.17 de la LPTAA. Pour jouir de l’immunité prévue à cette disposition, les activités de Plantons et de Coopérative devaient être exercées conformément aux normes visant à atténuer les inconvénients reliés aux odeurs inhérentes aux activités agricoles, de telles normes étant adoptées dans le cadre des pouvoirs que détient une municipalité par l’application du paragraphe 4 du deuxième alinéa de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[22].

113. Le conseil d'une municipalité peut adopter un règlement de zonage pour l'ensemble ou partie de son territoire.

Ce règlement peut contenir des dispositions portant sur un ou plusieurs des objets suivants :

[…]

 4° spécifier par zone l'espace qui doit être laissé libre, soit entre les constructions et les usages différents, soit entre les constructions ou entre les usages différents, que ces constructions ou ces usages soient regroupés ou non et que ceux-ci soient situés dans une même zone ou dans des zones contiguës; prévoir, le cas échéant, l'utilisation et l'aménagement de cet espace libre;

113. The council of a municipality may adopt a zoning by-law for its whole territory or any part thereof.

A zoning by-law may include provisions regarding one or more of the following objects:

[…]

(4) to specify, by zones, the open space that must be left between structures and the different uses, between structures or between the different uses, whether the structures or uses are grouped together or not, and whether they are situated in the same zone or in contiguous zones, and to prescribe, where applicable, the use and development of such open space;

[68]        Il appert de la preuve que la municipalité de Sainte-Christine n’a pas adopté de règlement en matière de gestion d’odeurs en vertu de cette disposition.

[69]        De plus, Plantons et Coopérative ne produisent pas en appel le seul règlement invoqué par eux, en l’occurrence le Règlement G100. Il nous est donc impossible d’identifier sa nature véritable ainsi que le contexte de son adoption.

[70]        Par ailleurs, la Directive sur les odeurs causées par les déjections animales provenant d’activités agricoles adoptée par l’autorité compétente[23] ne permet pas de faire avancer le débat. Cette directive porte essentiellement sur les activités d’élevage comme l’a expliqué notre Cour dans l’arrêt Lauzon c. Québec[24]. La nature des inconvénients soulevés par les intimés n’est pas de cet ordre.

[71]        En résumé, je suis d’avis que l’immunité mentionnée à l’article 79.17 de la LPTAA ne s’intéresse pas à l’inconvénient causé par la fumée. Par ailleurs, les conditions donnant ouverture à la protection contre les poursuites judiciaires pour l’odeur de fumée ne sont pas ici réunies. Dans ces circonstances, le juge pouvait faire porter son analyse sur l’article 20 deuxième alinéa in fine de la Loi sur la qualité de l’Environnement pour ensuite, le cas échéant, discuter de l’application de l’article 976 C.c.Q.

2.   Les troubles de voisinage

[72]        Plantons et Coopérative reprochent au juge de ne pas avoir appliqué correctement les enseignements de la Cour suprême[25] en matière de troubles du voisinage, plus précisément en évaluant mal les facteurs de récurrence et de gravité.

[73]        Elles soutiennent que les manifestations de fumée d’avant septembre 2009 (donc antérieures à l’utilisation intensive des chaudières artisanales) étaient quasi inexistantes. Pour ce qui est de la période s’étendant de septembre 2009 à avril 2010, elles avancent que les incidents reliés à des manifestations anormales de fumée et à l’odeur qu’elle comporte se sont produites lorsque les vents provenaient du nord ou du nord-est, ce qui était chose inhabituelle. Enfin, pour ce qui est des incidents postérieurs à l’installation de la chaudière à la biomasse (mai 2010), la preuve de manifestations ayant pu causer des inconvénients excessifs n'a pas été établie par les intimés.

[74]        En ce qui a trait à la gravité des inconvénients, Plantons et Coopérative soulignent qu’aucune preuve médicale n’a été présentée au juge de première instance.

[75]        Le juge traite en parallèle des troubles de voisinage selon le droit commun et de la question de l’atteinte mentionnée au deuxième alinéa de l’article 20 de la Loi sur la qualité de l’Environnement. Sans me prononcer sur l'application de cette disposition à la situation de l'espèce, j'estime que le litige peut ici être résolu sur la seule base de l’article 976 C.c.Q.

[76]        Cet article est ainsi rédigé :

Art. 976. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.

Art. 976. Neighbours shall suffer the normal neighbourhood annoyances that are not beyond the limit of tolerance they owe each other, according to the nature or location of their land or local custom.

[77]        En matière de trouble de voisinage, la preuve doit porter essentiellement sur les conséquences de l’exercice du droit de propriété. Celui qui, même sans avoir commis de faute, occasionne des inconvénients excessifs à son voisin par l’usage du bien sur lequel il exerce un droit de propriété verra sa responsabilité engagée à l’égard de ce voisin[26].

[78]        C’est ce qu’énonce le plus haut tribunal du pays dans l’arrêt Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette[27]. Le juge LeBel écrit au nom de la Cour que « l’élément déterminant majeur est le résultat de l’acte accompli par le propriétaire (c’est-à-dire, le trouble anormal ou l’inconvénient excessif), plutôt que son comportement »[28].

[79]        C’est précisément en raison des conséquences de l’acte accompli sur le voisinage que sa conformité avec les législations et les règlements applicables ne constitue pas pour autant une excuse légitime mettant son auteur à l’abri de sa responsabilité[29]. En cette matière, la seule défense possible est de démontrer la normalité du trouble et son caractère raisonnable.

[80]        La preuve de ce qui est normal ou anormal et excessif ou raisonnable repose principalement sur des considérations d’ordre factuel. Il faut aussi dire que cette preuve est souvent complétée par une preuve d’expert. Il s’agit essentiellement de questions faisant appel au pouvoir d’appréciation du juge de première instance, domaine à l’égard duquel notre Cour doit faire montre d’une grande retenue :

[21]      […] Or, la qualification des inconvénients dont se plaint une partie sur la base de l’article 976 C.c.Q. ressort de la discrétion du juge de première instance. Notre Cour ne doit intervenir à cet égard qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante. […] [30]

[Référence omise.]

[81]        Pour conclure à la présence de troubles du voisinage, deux critères sont centraux dans l’analyse des inconvénients : la gravité[31] et la récurrence[32] de ceux-ci. La récurrence s’entend généralement d’un trouble continu ou répétitif s’étalant sur une durée assez longue, alors que la gravité renvoie à l’idée d’un préjudice réel et sérieux au regard de la nature et de la situation du fonds, des usages locaux, du moment des inconvénients, etc. L’auteur Jean Teboul propose la grille d’analyse suivante pour résoudre ces questions :

1. Récurrence du trouble : Tout d’abord, il convient de déterminer si le trouble en question possède un caractère continu ou répétitif, et s’il s’étale sur une période suffisamment longue. La récurrence doit être appréciée de façon objective, en adoptant le point de vue d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la victime. Un examen du contexte peut alors être mené. Celui-ci n’a toutefois pas besoin d’être aussi approfondi que celui requis pour apprécier la gravité du trouble. Par ailleurs, il convient de souligner l’intérêt de considérer la récurrence en premier. En effet, en plus de son caractère déterminant, il est relativement aisé d’apprécier ce critère, notamment par comparaison avec l’évaluation de la gravité.

2. Gravité de l’inconvénient : Si le critère de récurrence est retenu, l’examen de la gravité du trouble peut alors être entrepris. Deux étapes sont nécessaires à cela.

a. Examen du voisinage : Lors de la première étape, il convient de qualifier le voisinage. Il s’agit de définir l’environnement local en considérant plusieurs éléments liés au temps et au lieu. Les trois facteurs énoncés à l’article 976 C.c.Q. - la nature, la situation des fonds, et les usages locaux - sont alors précieux pour cet exercice. Il est aussi possible de considérer le moment durant lequel le trouble se produit. La préoccupation collective des lieux peut également éclairer, dans une certaine mesure, l’analyse du contexte dans lequel des inconvénients sont subis. En revanche, l’examen du comportement du défendeur doit être évité autant que possible, puisque l’article 976 C.c.Q. établit un régime de responsabilité sans faute. Il est laissé à la discrétion du juge du fond de choisir, en fonction des faits, parmi les facteurs de temps et de lieu disponibles, ceux qui sont le plus pertinents pour apprécier la gravité du trouble. Il lui revient également de pondérer les facteurs sélectionnés.

b. Niveau de gravité : Le voisinage défini, il devient plus aisé d’apprécier le seuil de gravité qui s’applique et de déterminer si les inconvénients en cause sont excessifs. À cette fin, il faut se demander si une personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances que celles de la victime, trouverait les inconvénients subis intolérables. Le niveau de gravité requis pour satisfaire le test est élevé : le trouble doit être insupportable; il ne peut s’agir d’un simple inconfort.

3. Conclusion du test : Si le trouble en question est à la fois récurrent et grave, on peut conclure qu’il dépasse le seuil de normalité que se doivent les voisins, tel qu’énoncé par le législateur à l’article 976 C.c.Q.[33]

[Accentuation conforme à l'original] [Références omises]

[82]        Sans nécessairement souscrire à toutes les conclusions de l'auteur[34], je considère qu'en l'espèce les critères d'analyse qu'il propose sont utiles pour évaluer l'application de l'article 976 C.c.Q. à la présente affaire. Considéré sous l'éclairage de ceux-ci, le juge en a respecté l’esprit et ses déterminations pour conclure à un trouble de voisinage reposent sur des fondements factuels solides.

[83]        Concernant la récurrence des manifestations pour la période antérieure à septembre 2009 (période précédant l’installation de deux chaudières artisanales), les versions des intimés que le juge choisit de retenir démontrent qu’ils ont été victimes d’émanations de fumée et d’odeur de fumée selon des séquences qui appuient l’idée d’une certaine récurrence.

[84]        À ce chapitre, la lettre de Patrick Desautels du 10 novembre 2005 adressée à l’intimée Marilyse Devoyault constitue à elle seule une admission implicite de problèmes de manifestations récurrentes de fumée provenant des cheminées de Plantons[35].

[85]        Pour la période s’étendant de septembre 2009 à mai 2010, la preuve ne souffre d’aucun doute possible sur la survenance régulière d’épisodes de fumée. Ces manifestations nuisibles coïncidaient avec le début de la production potagère qui nécessitait, on se rappellera, une utilisation intensive des deux chaudières artisanales alors que celles-ci étaient d’une capacité insuffisante pour suffire aux besoins des deux entreprises.

[86]        En ce qui a trait à la période suivant l’installation de la chaudière à biomasse (mai 2010), la preuve de manifestations nuisibles était selon le juge insuffisante. Il écrit : « that the Plaintiffs have not met their burden of proof to obtain an injunction against the biomass furnace »[36]. Même si les conclusions du jugement fixant les dommages ne font pas ressortir clairement la période pour laquelle ils ont été accordés, ils ne couvrent pas celle postérieure au retrait des chaudières artisanales.

[87]        Quant à la gravité des inconvénients, les intimés ont relaté plusieurs troubles de santé directement reliés aux nuisances dénoncées par eux - yeux irrités, troubles du sommeil, gorge irritée, sensation d’étouffement, problèmes de sinus, etc. - et le juge qui a vu ces témoins et entendu leur version a choisi de les croire. J’ajoute qu’une preuve profane était suffisante pour démontrer les inconvénients d’ordre physique allégués par les intimés.

[88]        Pour ce qui est de la nature et de la situation du fonds, des usages locaux et du moment des inconvénients, rien ne permet de croire que le juge a erré en refusant de « normaliser » les troubles et les ennuis subis par les intimés.

3.   Les dommages

[89]        Plantons et Coopérative ne contestent pas l’évaluation des dommages faite par le juge. Elles plaident simplement ne pas les devoir. Cela dit, la solidarité entre les appelantes ne pouvait commencer qu’à compter du jour où Coopérative a décidé de se lancer dans la culture de légumes en serre. En conséquence, Coopérative a raison de plaider qu’elle n’aurait pas dû être condamnée solidairement pour les émanations de fumée survenues avant mai 2009, année du lancement de sa production de légumes.

[90]        L’adjudication des dommages fait voir un certain flou concernant la période pour laquelle ils ont été accordés. Sans modifier le montant total de la condamnation, je propose de répartir les dommages de manière discrétionnaire en vue de tenir compte spécifiquement de la période où Plantons et Coopérative ont causé des inconvénients excessifs aux intimés en raison de leurs activités communes.

[91]        Par ailleurs, le juge ne s'est pas trompé en tirant de la preuve le constat que la nécessité de nettoyer l'extérieur de la maison de l'intimée Claire Delage résultait de manifestations récurrentes de fumée provenant des installations de Plantons et de Coopérative.

4.   Les injonctions

[92]        Le juge a prononcé les ordonnances suivantes :

[335]    ORDONNE de façon permanente aux défenderesses, à leurs dirigeants, représentants ou employés de ne pas utiliser le système de chauffage constitué de fournaises alimentées au bois (« fournaises artisanales ») apparaissant aux photographies numéros 1 et 4 de la pièce P-15  aux fins de chauffer les serres situées sur la propriété de la défenderesse, Les Plantons A. & P. inc.;

[336]    ORDONNE de façon permanente aux défenderesses, leurs dirigeants, leurs représentants ou leurs employés de ne pas utiliser pour combustible du bois sous quelque forme auquel est attaché du plastique ou qui est entré en contact avec quelque composé chimique artificiel;

[93]        Une injonction permanente est prononcée lorsque le droit de celui qui la demande paraît clair[37]. La violation des règles de bon voisinage est susceptible de fonder une telle mesure[38]. Lorsque le recours revêt un caractère préventif « il doit y avoir un haut degré de probabilité que le dommage sera effectivement causé[39] ».

[94]        En l’espèce, la preuve révèle, sans contredit, que les chaudières artisanales ne sont plus utilisées depuis avril 2010 et qu’elles ne sont même plus en possession de Plantons et de Coopérative. Il n’existe en l’espèce aucune preuve d’un retour possible à l’ancien système de chauffage.

[95]        En ce qui concerne l’ordonnance enjoignant de ne plus brûler de combustible auquel est attaché du plastique ou qui aurait été en contact avec un composé chimique artificiel, la preuve ne fait pas voir que cette pratique est susceptible d’être maintenue avec l’acquisition du nouveau système de chauffage qui ne peut être alimenté que par des copeaux de bois. Qui plus est, cette conclusion n’était pas recherchée par les intimés[40].

[96]        Il y a donc lieu de rayer du dispositif du jugement entrepris ces deux conclusions dont la nécessité n’a pas été démontrée.

CONCLUSION

[97]        Au final, je suis d’avis que le juge a eu raison de conclure que la fumée n’est pas une nuisance dont les conséquences sont protégées par l’immunité mentionnée à l’article 79.17 de la LPTAA. Il a aussi eu raison de convenir avec les intimés que ces derniers avaient subi des troubles anormaux provenant des activités de leurs voisins.

[98]        Cela dit, je propose l’intervention de la Cour pour tenir compte de la période de solidarité ayant existé entre Plantons et Coopérative. Pour cette raison, il faut substituer à la conclusion [338] les suivantes :

CONDAMNE solidairement les défenderesses Les Plantons A. et P. inc. et Coopérative de solidarité du Centre d’interprétation de l’horticulture de la Montérégie à payer à chacun des demandeurs Claire Delage et Jean-Pierre Devoyault 6 500,00 $ et à la demanderesse Marilyse Devoyault 5 000,00 $, le tout avec l’intérêt et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec;

CONDAMNE la défenderesse Les Plantons A. et P. inc. à payer à chacun des demandeurs Claire Delage et Jean-Pierre Devoyault 3 000,00 $ et à la demanderesse Marilyse Devoyault 2 000,00 $, le tout avec l’intérêt et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec;

[99]        Je propose aussi de retrancher du dispositif du jugement entrepris les conclusions de nature injonctive contenues à ses paragraphes [335] et [336].

[100]     Même si l’appel doit être accueilli en partie, les appelantes devront supporter les dépens vu le sort réservé aux principaux moyens invoqués au soutien de leur contestation.

 

 

 

GUY GAGNON, J.C.A.

 



[1]     Delage c. Plantons A. & P. inc., J.E. 2013-1154 (C.S.), 2013 QCCS 2269 (ci-après « jugement entrepris »).

[2]     Lettre de Patrick Desautels à Marilyse Devoyault datée du 10 novembre 2005, Pièce P-4.

[3]     Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, RLRQ, c. P-41.1 (ci-après « LPTAA »).

[4]     Règlement sur la qualité de l'atmosphère, RLRQ, c. Q-2, r. 38, art. 45 et 46.

[5]     Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, RLRQ, c. A-19.1, art. 113 (4).

[6]     Loi sur la qualité de l'environnement, RLRQ, c. Q-2.

[7]     Lorne GIROUX, « Le droit environnemental et le secteur agricole (prise 2) : La loi agricole de 2001 » dans Service de formation permanente, Barreau du Québec, Développements récents en droit de l'environnement (2002), vol. 175, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 340.

[8]     Art. 79.17 LPTAA.

[9]     Tiré d’un extrait d’un jugement dans Ste-Christine (Municipalité de) c. Les Plantons A & P inc., C.M. St-Hyacinthe, no 10-00036-2, 8 juin 2010, j. Boisvert. Les appelantes n’ont cependant pas jugé opportun de reproduire dans leur mémoire le Règlement G-100 sur les nuisances adopté par la municipalité de Sainte-Christine.

[10]    Lorne GIROUX, supra, note 7, p. 350.

[11]    Art. 79.18 LPTAA.

[12]    Lire à ce sujet la définition d’« activités agricoles » contenue à l’art. 1 LPTAA.

[13]    Lorne Giroux, supra, note 7, p. 339 et 346.

[14]    Québec (Procureur général) c. Gestion environnementale Nord-Sud, 2012 QCCA 357, paragr. 114.

[15]    Lorne Giroux, supra, note 7, p. 345.

[16]    ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, paragr. 27.

[17]    Pierre-André Côté, L’interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 395-402.

[18]    Voir notamment A. Rey et J. Rey-Debove (dir.), Le Petit Robert, Paris, Le Robert, 1985 et Philippe Merlet (dir), Le petit Larousse illustré, 100e éd., Paris, Larousse, 2005.

[19]    Philippe Merlet (dir.), Le petit Larousse illustré, 100e éd., Paris, Larousse, 2005.

[20]    Règlement sur la qualité de l'atmosphère, supra, note 4.

[21]    Règlement sur les appareils de chauffage au bois, c. Q-2, r.1

[22]    Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, supra, note 5.

[23]    Directive sur les odeurs causées par les déjections animales provenant d'activités agricoles, RLRQ, c. P-41.1, r. 5.

[24]    Lauzon c. Québec (Procureure générale), 2010 QCCA 1239, paragr. 35.

[25]    Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, [2008] 3 R.C.S. 392, 2008 CSC 64.

[26]    Wallot c. Québec (Ville de), 2011 QCCA 1165, paragr. 50.

[27]    Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, supra, note 25. Lire également : Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du Banc-de-pêche de Paspébiac, [2009] R.J.Q. 295 (C.A.), 2009 QCCA 257.

[28]    Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, supra, note 25, paragr. 68. Lire également Gourdeau c. Letellier De St-Just, [2002] R.D.I. 236 (C.A.); [2002] R.J.Q. 1195 (C.A.), paragr. 37, citant Adrian Popovic, « La Poule et l'homme : sur l'article 976 C.c.Q. », (1997) 99 R. du N. 214, 227-228.

[29]    Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, supra, note 25.

[30]    Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du Banc-de-pêche de Paspébiac, supra, note 27, paragr. 21.

[31]    Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, supra, note 25, paragr. 77-79; Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du Banc-de-pêche de Paspébiac, supra, note 27, paragr. 19.

[32]    Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette, supra, note 25, paragr. 77-79; Entreprises Auberge du parc ltée c. Site historique du Banc-de-pêche de Paspébiac, supra, note 27, paragr. 20.

[33]    Jean Teboul, « Troubles de voisinage : l’article 976 C.c.Q. et le seuil de normalité », (2012) 71 R. du B. 103, 142-143.

[34]    Notamment sur le caractère intolérable des inconvénients subis par opposition à la norme du trouble anormal ou de l’inconvénient excessif.

[35]    Voir paragr. [20] des présents motifs.

[36]    Jugement entrepris, paragr. 329.

[37]    Danielle Ferron et al., L’injonction et les ordonnances Anton Piller, Mareva et Norwich, Montréal, LexisNexis Canada Inc., 2009, p. 72 et suiv. Lire également : Paul-Arthur Gendreau et al., L’injonction, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 295 et suiv.; Céline Gervais, L'injonction, 2e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2005, p. 11.

[38]    Paul-Arthur Gendreau et al., L’injonction, supra, note 37, p. 68.

[39]    Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, paragr. 35.

[40]    Art. 468 C.p.c.

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