Lauzon-Foresterie (Fiducie) c. Municipalité de L'Ange-Gardien | 2024 QCCA 506 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(550-17-011040-191) | |||||
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DATE : | 25 avril 2024 | ||||
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ÉRIC HARDY, J.C.A. | |||||
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LAUZON-FORESTERIE (FIDUCIE) DAVID LAUZON, en sa qualité de fiduciaire de Lauzon-Foresterie (Fiducie) MARIO THERRIEN, en sa qualité de fiduciaire de Lauzon-Foresterie (Fiducie) DAVID JR BÉLANGER-LAUZON, en sa qualité de fiduciaire de Lauzon-Foresterie (Fiducie) | |||||
APPELANTS – demandeurs | |||||
c. | |||||
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MUNICIPALITÉ DE L’ANGE-GARDIEN | |||||
INTIMÉE – défenderesse | |||||
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[1] Les appelants portent en appel un jugement rendu le 20 juillet 2022 par l’honorable Jean Faullem de la Cour supérieure (district de Gatineau), lequel a rejeté leur pourvoi en contrôle judiciaire visant à faire annuler les règlements de taxation 2019‑04 et 2021‑005 de la Municipalité de L’Ange-Gardien intimée, à obtenir le remboursement des taxes payées, et à faire déclarer faux le procès-verbal corrigé de la résolution (no 2021-04-1873) d’adoption du Règlement 2021-005.
[2] Pour les motifs de la juge Lavallée, auxquels souscrivent les juges Gagné et Hardy, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel avec les frais de justice.
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |
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| ÉRIC HARDY, J.C.A. | |
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Me Marc Tremblay | ||
DEVEAU DUFOUR MOTTET AVOCATS | ||
Pour les appelants | ||
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Me Axel Fournier | ||
PRÉVOST FORTIN D’AOUST | ||
Pour l’intimée | ||
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Date d’audience : | 26 janvier 2024 | |
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MOTIFS DE LA JUGE LAVALLÉE |
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[4] Lauzon Foresterie (Fiducie) (« Fiducie ») et ses trois fiduciaires recherchent la réformation d’un jugement rendu le 20 juillet 2022 par l’honorable Jean Faullem de la Cour supérieure (district de Gatineau), lequel a rejeté leur pourvoi en contrôle judiciaire visant à faire annuler les règlements 2019‑04 et 2021‑005 sur la taxation des immeubles vacants de la Municipalité de L’Ange-Gardien intimée, à obtenir le remboursement des taxes payées en vertu de ces règlements, et à faire déclarer faux un procès-verbal adopté lors d’une séance du conseil municipal en lien avec ces règlements[1].
[5] Pour les motifs qui suivent, je propose de rejeter l’appel.
[6] Les règlements attaqués ont été adoptés en vertu des nouveaux pouvoirs généraux de taxation accordés aux municipalités par les articles 1000.1 et s. du Code municipal du Québec[2] (« C.m. »). La Cour a conclu dans Plessis-Panet inc. c. Ville de Montréal[3] que de nouveaux pouvoirs habilitants similaires, prévus dans la Loi sur les cités et villes[4] (« L.c.v. »), sont distincts, tant par leur formulation que par leur objet, des pouvoirs généraux de taxation prévus dans la Loi sur la fiscalité municipale[5] (« L.f.m. »), et s’y ajoutent à titre de pouvoirs de taxation complets et autonomes. Je suis d’avis que le même raisonnement prévaut en l’espèce.
[8] Je conclus également que les règlements attaqués ne sont ni arbitraires ni discriminatoires. La décision d'exclure les zones agricoles de l'application des règlements attaqués s'appuie sur un raisonnement raisonnable, l’intimée ayant décidé d’exempter les terrains vacants en zone agricole afin de ne pas accroître le fardeau fiscal des agriculteurs, et ce, de façon à favoriser la redynamisation de ce secteur de l'économie. Quant aux terrains vacants situés en zones d'extraction, ils sont déjà taxés en vertu du fonds pour les carrières et sablières établi conformément à la Loi sur les compétences municipales[6] (« L.c.m. »). Les exclusions prévues par les règlements attaqués sont donc justifiées et ne sont pas déraisonnables.
[9] Enfin, le juge n’a pas erré relativement à l’exigibilité des taxes pour l’année 2021. Certes, il aurait dû, comme les appelants le plaident, déclarer faux le procès‑verbal corrigé de la résolution (no 2021-04-1873) d’adoption du Règlement 2021‑005, lequel affirme erronément que la liste des immeubles vacants a bien été déposée au conseil municipal. J’estime toutefois que cette erreur est sans conséquence sur l’issue de l’appel.
Contexte
[10] En 2018, la Municipalité de L’Ange-Gardien voit sa quote-part payable à la Municipalité régionale de comté des Collines-de-l’Outaouais (« MRC ») augmenter de 10 %. Souhaitant réduire sa dépendance à la taxe foncière générale en diversifiant son assiette fiscale, elle se prévaut alors des nouvelles dispositions de l’article 1000.1 du C.m. pour adopter, le 13 décembre 2018, le Règlement 2019-04 sur la taxation des immeubles vacants.
[11] Ce règlement est abrogé et remplacé le 17 décembre 2020 par le Règlement 2021-004, lequel sera, quant à lui, abrogé par le Règlement 2021-005, le 6 avril 2021.
[12] L’objectif de ces trois règlements est d’imposer une taxe visant exclusivement les immeubles vacants de 10 acres ou plus situés dans les zones visées. Ces règlements prévoient des dispositions qui, malgré leur libellé qui a été modifié dans le Règlement 2021-005, ont le même effet, soit d’exempter de cette taxe les propriétaires d’immeubles vacants de plus de 10 acres, utilisés à des fins de carrières ou sablières, de même que les immeubles visés situés en zone agricole.
[13] Le montant de la taxe est de 5 $ l’acre pour l’année 2019, 5,14 $ l’acre pour l’année 2020 et 4,435 $ l’acre pour l’année 2021. Pour les années subséquentes, le taux de taxation est indexé en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation pour le Québec, tel qu’établi par Statistique Canada.
[14] Ces nouvelles taxes permettent à l’intimée de percevoir près de 75 000 $ de revenus annuels versés au fonds général de la Municipalité.
[15] L’appelante Fiducie est une société par actions de fiducie de placements immobiliers. Elle est propriétaire d’une douzaine de terrains vacants d’une superficie de plus de 10 acres, situés sur le territoire municipal, qui ne font l’objet d’aucune exploitation forestière ni d’autre exploitation.
[16] Au mois de février 2019, les appelants constatent l’augmentation des comptes de taxes de la Fiducie, lors de leur réception. Le dépôt au procès-verbal du conseil de la liste des immeubles assujettis à cette taxe avait eu lieu le 7 janvier précédent[7]. La Fiducie se voit finalement imposer des taxes non seulement pour l’année 2019, mais également pour les années 2020 et 2021, lesquelles sont respectivement de 37 749,99 $, 37 135,65 $ et 34 209,24 $[8].
[17] Les appelants se pourvoient en contrôle judiciaire, demandant à la Cour supérieure de déclarer ces règlements nuls, invalides ou inopérants. Ils réclament que les comptes de taxes reçus par la Fiducie soient déclarés illégaux et nuls, et que lui soient remboursées toutes les sommes versées à ce jour avec intérêts au taux légal majoré d’une indemnité additionnelle, calculés à compter de la date de paiement des comptes de taxes.
[18] Lors de la seconde journée d’audition, l’intimée reconnaît que les taxes réclamées pour l’année 2021 en vertu du Règlement 2021-004 n’étaient pas exigibles, puisque le règlement prévoyait leur exigibilité seulement en 2022. La Municipalité consent alors à annuler les comptes de taxes découlant de ce règlement et à rembourser les sommes que l’intimée lui a déjà versées pour l’année 2021.
[19] Or, l’intimée adopte alors le Règlement 2021-005, et facture de nouveau une taxe à la Fiducie pour l’année 2021, mais cette fois en vertu de son nouveau règlement[9].
[20] La question de la validité du Règlement 2021-004 devient dès lors théorique, puisqu’aucune perception de taxes n’en découle, et ce, en raison de son remplacement par le Règlement 2021-005.
[21] La Fiducie demande à la Cour supérieure de déclarer invalides le Règlement 2019-04 et le Règlement 2021-005, estimant que l’intimée ne disposait d’aucun pouvoir habilitant pour les adopter. Elle plaide également que les deux règlements sont arbitraires et discriminatoires.
[22] Elle soulève en outre l’inexigibilité des nouveaux comptes de taxes pour l’année 2021 que lui a fait parvenir la Municipalité en vertu du Règlement 2021-005, puisque celui-ci exige, pour son entrée en vigueur, le dépôt de la liste des immeubles vacants assujettis à la taxe, lors de la première séance du conseil municipal suivant l’établissement de la liste. Or, le dépôt de la liste devant le conseil n’aurait jamais été effectué. Enfin, la Fiducie demande que la Cour supérieure déclare faux le procès-verbal corrigé de la résolution (no 2021-04-1873) d’adoption du Règlement 2021-005, procès‑verbal qui déclare que la liste des immeubles vacants a bien été déposée au conseil municipal, alors qu’elle soutient que tel n’est pas le cas.
Jugement de première instance
[23] Le juge de première instance est d’avis que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle judiciaire de l’interprétation que fait un conseil municipal de la loi et des pouvoirs qui l’autorisent à adopter un règlement[10]. Il ajoute que cette même norme s’applique à la question de la validité des règlements ainsi qu’à l’analyse de leur caractère arbitraire, discriminatoire ou raisonnable[11].
[24] Le juge explique que les deux règlements attaqués ont été adoptés en vertu du pouvoir habilitant conféré par l’article 1000.1 du C.m.[12]. Il souligne que les appelants tentent en vain de distinguer le cas à l’étude de celui de l’affaire Plessis-Panet[13], en plaidant que les taxes imposées entrent en conflit avec celles déjà prévues par la L.f.m. et qu’elles constituent en fait une tarification déguisée visant à taxer des terrains vagues[14]. Les appelants soutiennent en outre que le Code municipal ne permet pas que les règlements imposent une taxe sur une partie seulement du territoire de l’intimée[15].
[25] Le juge rejette la prétention des appelants selon laquelle le pouvoir de taxer un immeuble en fonction de sa superficie selon l’article 1000.1 C.m. est complémentaire aux dispositions impératives de la L.f.m. qui prévoit déjà la taxation de terrains vagues. Il explique qu’il n’y a pas incompatibilité entre ces moyens de taxation et que leurs objets sont distincts[16]. Il estime que tout comme l’article 500.1 de la L.c.v. dont il était question dans l’affaire Plessis-Panet, l’article 1000.1 C.m. crée un nouveau régime de taxation complet et autonome permettant aux municipalités de bénéficier d’une nouvelle source de revenus généraux[17].
[26] Par conséquent, il conclut que la validité des règlements de l’intimée n’a pas à être examinée au regard de la L.f.m., étant donné le caractère spécifique et indépendant du nouveau régime de taxation adopté en vertu des articles 10001. C.m. et s., sans compter que ces nouveaux règlements de l’intimée basent la taxation sur la superficie des terrains vagues et non sur leur valeur imposable d’unité d’évaluation comme prévu à la L.f.m.[18]. Cette loi distingue aussi les immeubles desservis de ceux qui ne le sont pas, distinction que ne comportent pas les règlements contestés[19].
[27] Le juge estime donc qu’il est question de deux taxes distinctes ne visant pas le même objet ni totalement la même catégorie d’immeubles. Il explique qu’il n’est pas question d’un règlement de tarification puisque les règlements créent une taxe directe, en fonction de la superficie des immeubles vacants, dans le but de générer des revenus généraux[20].
[28] Quant au pouvoir habilitant l’intimée à adopter les règlements en cause, le juge explique que les règlements prévoient des prélèvements qui constituent une taxe dite « directe » au sens de l’article 1000.1 C.m. et de la jurisprudence[21]. Ainsi, les règlements sont valides puisqu’ils déterminent l’objet des taxes, leur taux et leur moyen de perception, et qu’ils ne portent sur aucune des exclusions qu’impose l’article 1000.1 C.m.[22].
[29] Le juge ne retient pas les prétentions des appelants selon lesquelles les taxes sont prohibées[23]. Il est plutôt d’avis que les nouvelles taxes visent à pallier le peu de taxes foncières que génèrent les terrains vacants de grande superficie, et à inciter conséquemment les propriétaires de tels terrains situés en zones résidentielles, commerciales ou industrielles, à les développer et à les exploiter davantage[24]. Pour ceux situés en zone forestière, le conseil municipal a considéré plusieurs facteurs aux fins d’adopter les règlements[25].
[30] Il explique que les appelants n’exploitent pas leurs lots vacants ni n’y exercent d’activité, hormis des coupes d’éclaircissement à chaque période de 25 ans qui ne nuisent pas au réseau routier ni ne nécessitent l’intervention de l’intimée[26]. Il conclut néanmoins au caractère raisonnable et rationnel du processus décisionnel ayant conduit l’intimée à adopter les règlements prévoyant la taxation[27]. Celle-ci vise à financer de manière générale les services fournis par l’intimée.
[31] S’agissant du caractère discriminatoire et arbitraire des règlements, le juge ne considère pas que l’intimée a implicitement admis avoir fait preuve de discrimination en supprimant, par l’adoption du Règlement 2021-005, la notion de « zones visées » qui était auparavant prévue au Règlement 2021-004[28]. Il est d’avis que le nouveau libellé du Règlement 2021-005, qui prévoit que « sont exemptés du paiement de la taxe les propriétaires d’immeubles vacants utilisés à des fins de carrières ou sablières, de même que les immeubles visés en zone agricole au sens de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles » (« L.p.t.a.a. »)[29], se limite à formuler autrement certaines des exceptions qui étaient déjà prévues dans l’ancien règlement. L’objectif visé demeure par conséquent le même, en l’occurrence la taxation des immeubles vacants de plus de 10 acres[30], et celui-ci est justifié par le besoin d’augmenter les revenus de l’intimée.
[32] Enfin, le juge estime que l’omission du conseil municipal de déposer officiellement la liste des immeubles visés par le Règlement 2021-005 ne rend pas ce dernier nul, mais a pour effet de retarder l’exigibilité de la taxe concernée[31]. Il est d’avis que le secrétaire‑trésorier n’aurait pas dû dresser le procès-verbal corrigé de la résolution d’adoption du Règlement 2021-005, mais que cette omission est une irrégularité couverte par l’article 23 C.m.[32]. Il en est de même en ce qui a trait à l’exigibilité des comptes de taxes de 2021 datés du 9 avril 2021, alors que le règlement est entré en vigueur le 15 avril 2021, vu son adoption le 6 avril 2021[33]. Selon lui, ces irrégularités sont également sans conséquence, compte tenu de l’article 23 C.m.
Moyens d’appel
[33] Les appelants soutiennent que le juge a erré :
3) en estimant que le Règlement 2019-04 et le Règlement 2021-005 ne sont pas arbitraires et discriminatoires;
4) en jugeant que les taxes étaient exigibles pour l’année 2021 malgré une irrégularité procédurale, soit d’avoir omis de déposer la liste des immeubles vacants assujettis à la taxe en même temps que le règlement, tel que requis par certaines dispositions du règlement attaqué.
Analyse
1. La norme de contrôle
[34] Dans leur mémoire, les appelants affirment que lorsqu’il s’agit d’analyser le pouvoir habilitant d’imposer une taxe, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, alors que celle de la décision raisonnable s’applique à l’analyse de l’exercice de ce pouvoir. Ils s’appuient sur les arrêts Plessis-Panet[34] et Catalyst Paper[35], lesquels sont antérieurs à l’arrêt Vavilov[36]. À l’audience toutefois, leur position est plus nuancée. Elle consiste à affirmer que bien que l’arrêt Vavilov n’ait pas écarté la présomption de la raisonnabilité en ce qui a trait à l’examen de l’exercice du pouvoir de réglementer, il y a une « zone grise » qui demeure quant à l’examen de l’habilitation législative de réglementer ou non, et la déférence issue de la norme de la décision raisonnable s’applique avec moins de vigueur puisqu’une municipalité a le pouvoir de réglementer ou ne l’a pas.
[35] Dans Vavilov, la Cour suprême a écarté la « catégorie de questions touchant "véritablement" à la compétence »[37], et a énoncé une présomption « [v]oulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative »[38].
[36] Suivant la jurisprudence de notre Cour, postérieure à l’arrêt Vavilov, la norme de la décision raisonnable s’applique lorsque l’existence du pouvoir habilitant d’adopter un règlement est contestée :
[45] Les enseignements de l’arrêt Catalyst demeurent donc valables après Vavilov. À l’occasion de la contestation d’un règlement municipal, il s’agit de déterminer s’il est raisonnable « eu égard au processus qui a mené à son adoption, et s’il s’inscrit dans un éventail d’issues possibles raisonnables ». Le règlement sera annulé s’il « n’aurait pas pu être adopté par un organisme raisonnable en considérant la grande variété de facteurs dont les conseillers municipaux élus peuvent légitimement tenir compte lorsqu’ils adoptent des règlements », s’il est « manifestement injuste, empreint de mauvaise foi ou qu’il aurait constitué “une immixtion abusive ou gratuite dans les droits des personnes qui y sont assujetties”, au point d’être injustifiable aux yeux [de personnes] raisonnables [référence omise] »[39].
[37] La présomption énoncée dans Vavilov selon laquelle est applicable, de manière générale, la norme de la raisonnabilité n’étant pas repoussée en l’espèce, cette norme s’applique tant à l’examen de la question de savoir si le règlement attaqué est ultra vires qu’à l’analyse de l’exercice du pouvoir de réglementer de l’intimée.
[38] Le contrôle judiciaire de la décision doit alors se faire en vérifiant si le raisonnement du décideur administratif est intrinsèquement cohérent et si sa décision est justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles ayant une incidence sur sa décision[40]. Il s’agit alors de s’assurer que son interprétation est raisonnable en fonction du contexte, du texte et de l’objet de la Loi[41].
2. L’habilitation législative d’imposer une taxe sur les immeubles vacants situés sur une partie du territoire municipal
[39] En appel, les appelants ne contestent plus que l’article 1000.1 C.m. habilite le conseil municipal à adopter de nouveaux pouvoirs généraux de taxation comme en l’espèce. Ils soutiennent toutefois que cette disposition n’habilite pas l’intimée à prévoir des exemptions pour des immeubles vacants situés dans certaines zones seulement du territoire municipal.
[40] Les appelants ne contestent plus, sur le fondement de la L.f.m., que l’article 1000.1 C.m. accorde un nouveau pouvoir de taxation directe à l’intimée, similaire à celui prévu à l’article 500.1 L.c.v. que la Cour a qualifié comme étant un pouvoir habilitant de taxation général, autonome et distinct de celui prévu dans la L.f.m., dans l’arrêt Plessis‑Panet[42].
[41] Il convient néanmoins d’expliquer quelle est la teneur du pouvoir habilitant prévu à l’article 1000.1 C.m., avant d’aborder le moyen d’appel selon lequel il ne permettait pas à l’intimée d’adopter les exemptions prévues pour les immeubles vacants de moins de 10 acres et celles pour les terrains de plus de 10 acres en l’espèce, situés dans certaines zones de son territoire.
[42] Les règlements attaqués ont été adoptés en vertu des nouveaux pouvoirs généraux de taxation accordés aux municipalités par l’article 1000.1 C.m. Ce régime correspond à celui de l’article 500.1 L.c.v. au sujet duquel la Cour a conclu, dans Plessis‑Panet[43], qu’il créait un pouvoir de taxation complet, autonome et distinct des pouvoirs traditionnels déjà prévus par la L.f.m. :
[34] Que le législateur ait voulu créer un régime de taxation distinct de ceux traditionnellement accordés aux municipalités apparaît aussi du cinquième alinéa de l’article 500.1 LCV, qui permet à la municipalité de prévoir l’objet de la taxe, son taux ou le montant à payer, des exonérations de la taxe, son mode de perception et la désignation des personnes qui sont autorisées à la percevoir, les intérêts et les pénalités payables en cas de défaut, des pouvoirs de vérification, d’inspection et d’enquête, la mise en œuvre et l’utilisation de mécanismes de règlement des différends, et même l’assimilation de la créance pour taxe impayée à une créance prioritaire sur les immeubles ou meubles en raison de laquelle elle est due. En somme, le régime de taxation établi par les nouveaux pouvoirs généraux de taxation de l’article 500.1 et s. LCV est complet et autonome.
[…]
[38] Puis, lors des débats parlementaires entourant l’adoption l’année suivante du projet de loi 122 intitulé Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs, il est une fois de plus fait mention de cette intention de renouveler la fiscalité municipale. Le législateur a donc, par trois fois et de manière éloquente, exprimé son intention de confier, d’abord à Montréal, puis à Québec et finalement à toutes les villes et municipalités du Québec, un pouvoir général de taxation devant leur permettre de diversifier leur source de revenus et d’agir sur des considérations locales qui leur sont propres.
[Soulignements ajoutés; renvoi omis]
[43] Tout comme l’article 500 L.c.v. habilite les municipalités ayant le statut de ville à imposer par règlement une taxe directe sur leur territoire, l’article 1000.1 C.m., dont voici le libellé, confère le même pouvoir aux autres municipalités :
1000.1. Toute municipalité locale peut, par règlement, imposer sur son territoire toute taxe municipale, pourvu qu’il s’agisse d’une taxe directe et que ce règlement satisfasse aux critères énoncés au quatrième alinéa.
La municipalité n’est pas autorisée à imposer les taxes suivantes :
1° une taxe à l’égard de la fourniture d’un bien ou d’un service;
2° une taxe sur le revenu, les recettes, les bénéfices, les encaissements ou à l’égard de montants semblables;
3° une taxe sur le capital versé, les réserves, les bénéfices non répartis, les surplus d’apport, les éléments de passif ou à l’égard de montants semblables;
4° une taxe à l’égard des machines et du matériel utilisés dans le cadre d’activités de recherche scientifique et de développement expérimental ou de fabrication et de transformation et à l’égard de tout élément d’actif servant à accroître la productivité, notamment le matériel et les logiciels informatiques;
5° une taxe à l’égard d’une rémunération qu’un employeur verse ou doit verser pour des services, y compris une rémunération non monétaire que l’employeur confère ou doit conférer;
6° une taxe sur la fortune, y compris des droits de succession;
7° une taxe relative à la présence ou à la résidence d’un particulier sur le territoire de la municipalité;
8° une taxe à l’égard des boissons alcooliques au sens de l’article 2 de la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques (chapitre I-8.1);
9° une taxe à l’égard du tabac ou du tabac brut au sens de l’article 2 de la Loi concernant l’impôt sur le tabac (chapitre I‑2);
10° une taxe à l’égard d’un carburant au sens de l’article 1 de la Loi concernant la taxe sur les carburants (chapitre T-1);
10.1°une taxe à l’égard du cannabis au sens de l’article 2 de la Loi sur le cannabis (L.C. 2018, c. 16);
11° une taxe à l’égard d’une ressource naturelle;
12° une taxe à l’égard de l’énergie, notamment l’électricité;
13° une taxe prélevée auprès d’une personne qui utilise un chemin public, au sens de l’article 4 du Code de la sécurité routière (chapitre C-24.2), à l’égard de matériel placé sous ou sur le chemin public, ou au-dessus de celui-ci, pour fournir un service public.
Pour l’application du paragraphe 1° du deuxième alinéa, les expressions « bien », « fourniture » et « service » ont le sens que leur donne la Loi sur la taxe de vente du Québec (chapitre T-0.1).
Le règlement visé au premier alinéa doit remplir les conditions suivantes :
1° il doit indiquer l’objet de la taxe qui doit être imposée;
2° il doit indiquer soit le taux de la taxe, soit le montant de la taxe à payer;
3° il doit indiquer le mode de perception de la taxe, y compris la désignation des personnes qui sont autorisées à la percevoir à titre de mandataires de la municipalité.
Le règlement visé au premier alinéa peut prévoir ce qui suit :
1° des exonérations de la taxe;
2° des pénalités en cas de contravention au règlement;
3° des frais de recouvrement et des frais pour provision insuffisante;
4° des intérêts, y compris le taux, sur la taxe, les pénalités et les frais impayés;
5° des pouvoirs de cotisation, de vérification, d’inspection et d’enquête;
6° des remboursements et des remises;
7° la tenue de registres;
8° la mise en œuvre et l’utilisation de mécanismes de règlement de différends;
9° la mise en œuvre et l’utilisation de mesures d’exécution si un montant de la taxe, des intérêts, des pénalités ou des frais demeure impayé après sa date d’échéance, notamment la saisie-arrêt, la saisie et la vente des biens;
10° l’assimilation de la créance pour taxe impayée, y compris les intérêts, les pénalités et les frais, à une créance prioritaire sur les immeubles ou meubles en raison de laquelle elle est due, au même titre et selon le même rang que les créances visées au paragraphe 5° de l’article 2651 du Code civil, de même que la création et l’inscription d’une sûreté par une hypothèque légale sur ces immeubles ou sur ces meubles, selon le cas;
11° tout critère en fonction duquel le taux de la taxe ou le montant de la taxe à payer peut varier. | 1000.1. Every local municipality may, by by-law, impose a municipal tax in its territory, provided it is a direct tax and the by-law meets the criteria set out in the fourth paragraph.
The municipality is not authorized to impose the following taxes:
(1) a tax in respect of the supply of a property or a service;
(2) a tax on income, revenue, profits or receipts, or in respect of similar amounts;
(3) a tax on paid-up capital, reserves, retained earnings, contributed surplus or indebtedness, or in respect of similar amounts;
(4) a tax in respect of machinery and equipment used in scientific research and experimental development or in manufacturing and processing or in respect of any assets used to enhance productivity, including computer hardware and software;
(5) a tax in respect of remuneration that an employer pays or must pay for services, including non-monetary remuneration that the employer confers or must confer;
(6) a tax on wealth, including an inheritance tax;
(7) a tax on an individual because the latter is present or resides in the territory of the municipality;
(8) a tax in respect of alcoholic beverages within the meaning of section 2 of the Act respecting offences relating to alcoholic beverages (chapter I-8.1);
(9) a tax in respect of tobacco or raw tobacco within the meaning of section 2 of the Tobacco Tax Act (chapter I-2);
(10) a tax in respect of fuel within the meaning of section 1 of the Fuel Tax Act (chapter T-1);
(10.1) a tax in respect of cannabis within the meaning of section 2 of the Cannabis Act (S.C. 2018, c. 16);
(11) a tax in respect of a natural resource;
(12) a tax in respect of energy, in particular electric power; or
(13) a tax collected from a person who uses a public highway within the meaning of section 4 of the Highway Safety Code (chapter C-24.2), in respect of equipment placed under, on or above a public highway to provide a public service.
For the purposes of subparagraph 1 of the second paragraph, “property”, “supply” and “service” have the meanings assigned to them by the Act respecting the Québec sales tax (chapter T-0.1).
The by-law referred to in the first paragraph must state
(1) the subject of the tax to be imposed;
(2) the tax rate or the amount of tax payable; and
(3) how the tax is to be collected and the designation of any persons authorized to collect the tax as agents for the municipality.
The by-law referred to in the first paragraph may prescribe
(1) exemptions from the tax;
(2) penalties for failing to comply with the by-law;
(3) collection fees and fees for insufficient funds;
(4) interest and specific interest rates on outstanding taxes, penalties or fees;
(5) assessment, audit, inspection and inquiry powers;
(6) refunds and remittances;
(7) the keeping of registers;
(8) the establishment and use of dispute resolution mechanisms;
(9) the establishment and use of enforcement measures if a portion of the tax, interest, penalties or fees remains unpaid after it is due, including measures such as garnishment, seizure and sale of property;
(10) considering the debt for outstanding taxes, including interest, penalties and fees, to be a prior claim on the immovables or movables in respect of which it is due, in the same manner and with the same rank as the claims described in paragraph 5 of article 2651 of the Civil Code, and creating and registering a security by a legal hypothec on the immovables or movables; and
(11) criteria according to which the rate and the amount of the tax payable may vary. |
[44] En vertu de l’article 1000.1 C.m., une municipalité locale peut, par règlement, imposer sur son territoire toute taxe municipale, à la condition qu’il s’agisse d’une taxe directe et que le règlement satisfasse les conditions énoncées au quatrième alinéa, en indiquant : 1) l’objet de la taxe qui doit être imposée; 2) le taux de la taxe ou le montant de la taxe à payer; 3) le mode de perception de la taxe, y compris la désignation des personnes qui sont autorisées à la percevoir à titre de mandataires de la municipalité.
[45] Le second alinéa de cette disposition législative prévoit des exemptions pour certains biens ou certaines catégories d’activité : la municipalité n’est pas autorisée à imposer des taxes pour ces catégories. Enfin, l’alinéa 5, paragraphe 1 prévoit que le règlement peut prévoir des exonérations de la taxe.
[46] Le juge de première instance a, avec raison, conclu que la nouvelle taxe vise à pallier les taxes foncières limitées que génèrent les terrains vacants de grande superficie, et à inciter les propriétaires de tels terrains en zones résidentielles, commerciales ou industrielles à les développer et à les exploiter davantage[44]. Ce faisant, l’objectif de la nouvelle taxe est de couvrir les dépenses générales de l’intimée, en tenant compte de l’augmentation de la quote-part due à la MRC, objectif qui prend appui dans la preuve.
[47] Se fondant sur l’arrêt Plessis-Panet, le juge a, à juste titre, estimé que cet objectif est raisonnable au regard « des contraintes juridiques applicables »[45], notamment eu égard à la fin recherchée par la Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs[46].
[48] Afin d’examiner le moyen d’appel selon lequel l’intimée n’a pas le pouvoir habilitant d’imposer une telle taxe sur une partie de son territoire seulement, il convient de reproduire les dispositions pertinentes du Règlement 2019-04 :
2. Aux fins du présent règlement, les définitions suivantes s’appliquent :
[…]
Immeuble vacant : tout immeuble sur lequel aucun bâtiment n’est érigé; comprends également tout groupe d’immeubles contigu dont le propriétaire est soit le même, soit une personne liée.
[…]
Zone visée : S’entend des zones FOR, RT, RC, FOR/P, RV, RR, RC/P, IA, IB et CMA, tel qu’identifiées au Plan de zonage, lequel est annexé au présent règlement.
3. Il est par le présent règlement imposé et prélevé, pour chaque année financière, une taxe de cinq dollars (5$) par acre (4 047 m. carrés) de superficie de tout immeuble vacant, dont la superficie est supérieure ou égale à 10 acres (40 470 m. carrés), situé dans la zone visée.
La personne identifiée au rôle d'évaluation comme propriétaire de l'immeuble au moment où est établie la liste des immeubles vacants situés dans la zone visée est responsable de payer cette taxe.
4. Son exemptés du paiement de la taxe les personnes suivantes :
1° l’État, la Couronne du chef du Canada ou l’un de leurs mandataires;
2° une commission scolaire, un collège d’enseignement général et professionnel, un établissement universitaire au sens de la Loi sur les investissements universitaires, RLRQ, c. I-17 et le Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec;
3° un établissement d’enseignement privé tenu par un organisme à but non lucratif relativement à une activité exercée conformément à un permis délivré en vertu de la Loi sur l’enseignement privé, RLRQ, c. E-9.1, un établissement d’enseignement privé agréé aux fins de subventions en vertu de cette loi et un établissement dont le régime d’enseignement est l’objet d’une entente internationale au sens de la Loi sur le ministère des Relations internationales, RLRQ, c. M-25.1.1;
4° un établissement public au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2;
5° un établissement privé visé au paragraphe 3° de l'article 99 ou à l'article 551 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S-4.2, relativement à une activité exercée conformément à un permis délivré à l'établissement en vertu de cette loi et qui constitue une activité propre à la mission d'un centre local de services communautaires, d'un centre d'hébergement et de soins de longue durée ou d'un centre de réadaptation au sens de cette loi;
6° un centre de la petite enfance au sens de la Loi sur les services de garde éducatifs à l'enfance, RLRQ, c. S-4.1.1;
7° toute autre personne exemptée du paiement de la taxe par règlement du gouvernement.
5. Un immeuble entièrement situé dans une zone autre qu'une zone visée n'est pas assujetti au paiement d'une taxe en vertu de ce règlement.
Lorsqu'un immeuble est partiellement situé dans une zone visée et partiellement situé en dehors d'une telle zone, seule la superficie située dans la zone visée entre dans le calcul de la taxe établie par le présent règlement.
6. Au plus tard le 31 décembre de chaque année, le secrétaire-trésorier dresse une liste des immeubles vacants situés dans la zone visée.
Cette liste est déposée au conseil municipal lors de la première séance ordinaire qui suit le 1er janvier.
[49] On le constate, ce règlement, publié le 17 décembre 2018, prévoit que les immeubles sur lesquels aucun bâtiment n’est érigé[47] situés dans les « zones visées » à l’article 2 du Règlement 2019-04 feront l’objet d’une taxe de 5 $ par acre s’ils sont d’une superficie de plus de 10 acres. Ces « zones visées » sont les zones forestières, résidentielles, publiques, commerciales ou industrielles, telles que désignées au plan de zonage.
[50] Selon l’article 5, un tel immeuble vacant situé dans une autre zone n’est pas assujetti à la taxe et, lorsqu’il est partiellement situé dans une zone visée, seule la superficie qui y est située entre dans le calcul de la taxe.
[51] Par l’effet de ces dispositions, les immeubles vacants de plus de 10 acres, situés dans les autres zones, soit les zones agricoles (AG) et les zones d’extraction (EX), sont exonérés de la taxe.
[52] Le 17 décembre 2020, le Règlement 2019-04 est abrogé par l’adoption du Règlement 2021-004[48], dont les dispositions pertinentes au cas à l’étude sont essentiellement les mêmes que celles du règlement abrogé.
[53] Par la suite, le Règlement 2021-005, adopté le 6 avril 2021, remplace le Règlement 2021-004, et entre en vigueur le 15 avril 2021. Les dispositions prévoyant les exonérations n’y sont plus libellées de la même manière. En effet, la taxe est applicable aux immeubles vacants dans toutes les zones du territoire municipal, mais son article 6 prévoit que « [s]ont également exemptés du paiement de la taxe les propriétaires d’immeubles vacants utilisés à des fins de carrières et de sablières, de même que les immeubles vacants situés en zone agricole au sens de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, RLRQ, c. P-41.1) ».
[54] Que le libellé des règlements 2021-04 et 2021‑005 soit différent ne change rien au résultat, ce que les parties reconnaissent d’ailleurs en appel[49]. En effet, ce sont toujours les immeubles vacants dans les zones agricoles et d’extraction initialement désignées par le Règlement 2019-04 adopté en 2018 ou par celui du 17 décembre 2020 qui sont exemptés de la taxe.
[55] Les appelants soutiennent que l’intimée n’était pas habilitée à prévoir de telles exonérations de la nouvelle taxe sur une partie seulement de son territoire. Ils ajoutent que le juge de première instance n’a pas tranché cette question, ayant confondu leur argument à ce sujet avec celui portant sur le caractère discriminatoire de la taxe.
[56] Il est vrai que le juge tranche la question de l’habilitation législative à exonérer les terrains vacants sur une partie du territoire municipal et l’argument relatif à l’effet discriminatoire de la taxe de manière indistincte, mais cela s’explique par le fait que les appelants n’ont pas plaidé cet argument de manière aussi explicite en première instance.
[57] Pour résoudre cette seconde question, le juge s’est demandé si l’article 1000.1 C.m. crée ou non un nouveau régime complet et autonome de taxation directe, distinct de celui déjà prévu dans la L.f.m. C’est lorsqu’il a examiné la troisième question en litige relative au caractère discriminatoire et arbitraire des règlements en cause qu’il a tranché la question de savoir si l’intimée pouvait, en vertu de ce nouveau pouvoir habilitant, créer des catégories d’exonération.
[58] Les appelants soutiennent que le Code municipal ne contient pas de disposition semblable à l’article 6(3) de la Loi sur les compétences municipales[50] (« L.c.m. ») ou à l’article 116 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[51] (« L.a.u. ») qui habilitent expressément une municipalité à prévoir, par règlement, des exemptions sur une partie ou l’ensemble de son territoire. Selon eux, l’intimée ne pouvait donc pas, dans ses règlements, exonérer les terrains vacants de 10 acres en zone agricole et en zone d’extraction.
[59] Il suffit d’examiner les libellés respectifs des articles 6(3) de la L.c.m. et de l’article 116 de la L.a.u. pour conclure que cet argument est mal fondé :
Loi sur les compétences municipales
6. Dans l’exercice d’un pouvoir réglementaire prévu par la présente loi, toute municipalité locale peut notamment prévoir :
[…]
3° l’application d’une ou de plusieurs dispositions du règlement à une partie ou à l’ensemble de son territoire;
[…]
Loi sur l’aménagement et l’urbanisme
116. Le conseil d’une municipalité peut, par règlement, prévoir que, dans tout ou partie de son territoire, aucun permis de construction ne sera accordé, à moins qu’une ou plusieurs des conditions suivantes, qui peuvent varier selon les parties du territoire, ne soient respectées :
1° le terrain sur lequel doit être érigée chaque construction projetée, y compris ses dépendances, ne forme un ou plusieurs lots distincts sur les plans officiels du cadastre, qui sont conformes au règlement de lotissement de la municipalité ou qui, s’ils n’y sont pas conformes, sont protégés par des droits acquis;
2° services d’aqueduc et d’égouts ayant fait l’objet d’une autorisation ou d’un permis délivré en vertu de la loi ne soient établis sur la rue en bordure de laquelle la construction est projetée ou que le règlement décrétant leur installation ne soit en vigueur;
3° dans le cas où les services d’aqueduc et d’égouts ne sont pas établis sur la rue en bordure de laquelle une construction est projetée ou le règlement décrétant leur installation n’est pas en vigueur, les projets d’alimentation en eau potable et d’épuration des eaux usées de la construction à être érigée sur le terrain ne soient conformes à la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2) et aux règlements édictés sous son empire ou aux règlements municipaux portant sur le même objet;
4° le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée ne soit adjacent à une rue publique ou à une rue privée conforme aux exigences du règlement de lotissement;
5° le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée ne soit adjacent à une rue publique.
Le paragraphe 2° du premier alinéa ne s’applique pas aux constructions pour fins agricoles sur des terres en culture.
Le règlement peut également exempter les constructions pour fins agricoles sur des terres en culture de l’une ou l’autre des dispositions des paragraphes 1°, 3°, 4° et 5° du premier alinéa. Cependant, il ne peut exempter une résidence située sur ces terres de l’obligation visée par le paragraphe 3° du premier alinéa.
Le règlement peut prévoir que la condition prévue au paragraphe 1° du premier alinéa ne s’applique pas à toute construction projetée dont la localisation est identique à celle d’une construction existante. Il peut prévoir la même exemption à l’égard de toute autre construction projetée au sujet de laquelle il est démontré au fonctionnaire responsable de la délivrance du permis qu’elle ne sera pas érigée sur des terrains appartenant à des propriétaires différents.
Une exemption accordée conformément au quatrième alinéa ne s’applique pas lorsque le coût estimé de l’opération cadastrale permettant de faire un ou plusieurs lots distincts avec le terrain sur lequel la construction doit être érigée n’excède pas 10% du coût estimé de celle-ci. |
6. In exercising a regulatory power under this Act, a local municipality may, in particular,
[…]
(3) provide that one or more provisions of a by-law apply to part or all of its territory;
[…]
116. The council of a municipality may, by by-law, prescribe that no building permit may be granted in its whole territory or any part thereof, unless one or more of the following conditions, which may differ according to various parts of the territory, are complied with:
(1) the landsite on which each proposed structure, including its dependencies, is to be built, forms one or more separate lots on the official cadastral plans, which are in conformity with the subdivision by-law of the municipality or, if not, which are protected by acquired rights;
(2) the waterworks and sewer services for which an authorization has been received or a permit issued under the law are installed in the street on which the structure is proposed or unless the by-law ordering their installation is in force;
(3) in the case where the waterworks and sewer services are not installed in the street on which a structure is proposed or the by-law ordering their installation is not in force, the drinking-water supply and waste water treatment planned for the structure to be erected on the land comply with the Environment Quality Act (chapter Q-2) and the regulations thereunder or with the municipal by-laws dealing with the same object;
(4) the land on which a structure is to be erected is adjacent to a public or a private street in conformity with the requirements of the subdivision by-law;
(5) the land on which a structure is to be erected is adjacent to a public street.
Subparagraph 2 of the first paragraph does not apply to structures for agricultural purposes on lands under cultivation.
The by-law may also exempt structures for agricultural purposes on lands under cultivation from any of the provisions of subparagraphs 1, 3, 4 and 5 of the first paragraph. However, no residence situated on land under cultivation may be exempted from the obligation contemplated under subparagraph 3 of the first paragraph.
The by-law may prescribe that the condition set out in subparagraph 1 of the first paragraph does not apply to a proposed structure the location of which is to be identical to that of an existing structure. It may also provide for the same exemption in respect of any other proposed structure where it is proved to the officer responsible for issuing the permit that such structure will not be erected on parcels of land belonging to different owners.
An exemption granted under the fourth paragraph does not apply where the estimated cost of the cadastral operation whereby one or several separate lots may be made on the land where the structure is to be erected does not exceed 10% of the estimated cost of the structure. |
[60] Contrairement au paragraphe 1 de l’alinéa 5 de l’article 1000.1 C.m., les articles 6 de la L.c.m. et 116 de la L.a.u. n’habilitent pas une municipalité à prévoir, par règlement, « des exonérations » au sens large. Lorsque ces dispositions législatives habilitent les municipalités à prévoir, par règlement, des exemptions, elles en précisent expressément la nature et les limites.
[61] Autrement dit, aux articles 6(3) de la L.c.m. et 116 de la L.a.u., le législateur a expressément encadré les catégories d’exonération pouvant être prévues dans un règlement, ce qu’il n’a manifestement pas fait au paragraphe 1 de l’alinéa 5 de l’article 1000.1 du C.m. Ainsi, le pouvoir d’exonération prévu au paragraphe 1 de l’alinéa 5 de l’article 1000.1 C.m. n’est pas limité, ce qui permet de conclure à la possibilité pour la municipalité de prévoir que des terrains vacants dans certains secteurs de son territoire seront exemptés de la taxe.
[62] En l’espèce, le conseil municipal de l’intimée a estimé que le paragraphe 1 de l’alinéa 5 de l’article 1000.1 C.m. lui permettait d’exonérer de la taxe les terrains vacants de moins de 10 acres ainsi que ceux de plus de 10 acres qui sont situés dans une zone agricole ou une zone d’extraction. Le juge n’a pas commis d’erreurs révisables en concluant que le pouvoir d’exempter certains immeubles de la taxe attaquée est effectivement prévu par le paragraphe 1 de l’alinéa 5 de l’article 1000.1 C.m., et que l’utilisation de ce pouvoir habilitant pour exempter de la taxe les terrains de moins de 10 acres était justifiée par le fait que ceux-ci ne génèrent pas de revenus supérieurs à 50 $ par terrain, et que les seules zones exemptées où se trouvent des immeubles vacants de plus de 10 acres sont les zones agricoles et les zones d’extraction prioritaire[52].
[63] Citant l’arrêt Catalyst Paper Corp., le juge n’a pas erré en concluant que ces exonérations s’inscrivaient dans l’éventail des issues possibles raisonnables à l’intérieur duquel le conseil pouvait réglementer[53], non sans avoir préalablement souligné que l’arrêt Plessis-Panet[54] portait sur un règlement imposant une taxe sur les parcs de stationnement situés sur certaines parties de son territoire, taxe dont la validité a par ailleurs été confirmée par la Cour[55].
3. Le caractère arbitraire et discriminatoire des règlements attaqués
[64] Alors que dans le précédent moyen, les appelants soutenaient que l’intimée n’avait pas le pouvoir habilitant d’imposer une telle taxe sur une partie de son territoire seulement, ils plaident ici que le règlement adopté crée des catégories d’exonération déraisonnables et discriminatoires.
[65] Les appelants affirment que l’un des motifs invoqués par l’intimée pour exonérer les terrains vacants de plus de 10 acres en zone agricole est la difficulté, pour elle, de distinguer les terres agricoles en friche de celles qui sont exploitées. Ils soutiennent que le juge a donc erré de manière manifeste et déterminante au paragraphe 71 du jugement en concluant que l’exonération visait à encourager la redynamisation du secteur agricole. Ils affirment que le règlement aurait été raisonnable s’il n’avait exonéré de la taxe que les terrains vacants de plus de 10 acres appartenant à des exploitations agricoles enregistrées au sens du Règlement sur l’enregistrement des exploitations agricoles et sur le paiement des taxes foncières et des compensations[56].
[66] Ils ajoutent que cette taxe crée un fardeau démesuré pour les propriétaires d’immeubles assujettis à la taxe par rapport aux contribuables qui sont propriétaires de terrains vacants exonérés se trouvant dans des zones agricoles ou des zones d’extraction. Selon eux, cette exonération crée une iniquité déraisonnable puisque les terrains vacants des appelants sont similaires aux terrains forestiers situés dans des zones agricoles, mais sont davantage taxés, ce qui affecte leur valeur marchande.
[67] L’intimée concède que cette situation crée un avantage commercial pour les propriétaires de lots bénéficiant d’une exonération de la taxe[57]. Elle rappelle toutefois que l’objectif recherché est d’encourager la redynamisation des terrains vacants en zone agricole et l’exploitation des terrains situés en zone d’extraction. Elle ajoute que l’exonération de ces terrains est raisonnable puisqu’elle tient compte des contraintes particulières que leur imposent déjà les prohibitions prévues par la L.p.t.a.a.
[68] Dans l’arrêt Catalyst Paper[58], la Cour suprême soulignait que la révision des règlements municipaux doit refléter le large pouvoir discrétionnaire que les législateurs provinciaux ont traditionnellement conféré aux municipalités en matière de législation déléguée, et rappelait le cadre dans lequel l’examen de la raisonnabilité d’un règlement municipal s’inscrit :
[19] Il ressort de la jurisprudence que la révision des règlements municipaux doit refléter le large pouvoir discrétionnaire que les législateurs provinciaux ont traditionnellement conféré aux municipalités en matière de législation déléguée. Les conseillers municipaux qui adoptent des règlements accomplissent une tâche qui a des répercussions sur l’ensemble de leur collectivité et qui est de nature législative plutôt qu’adjudicative. Les règlements municipaux ne sont pas des décisions quasi judiciaires. Ils font plutôt intervenir toute une gamme de considérations non juridiques, notamment sur les plans social, économique et politique. Comme l’a dit le juge LeBel au nom de la majorité dans Pacific National Investments Ltd. c. Victoria (Ville), 2000 CSC 64, [2000] 2 R.C.S. 919, par. 33, « [l]es administrations municipales forment des institutions démocratiques. » Dans ce contexte, la norme de la décision raisonnable signifie que les tribunaux doivent respecter le devoir qui incombe aux représentants élus de servir leurs concitoyens, qui les ont élus et devant qui ils sont ultimement responsables.
[20] Les causes déjà jugées appuient le point de vue du juge de première instance selon lequel les tribunaux ont traditionnellement refusé d’invalider des règlements municipaux à moins qu’ils n’aient été jugés [TRADUCTION] « aberrants » ou « choquants », ou si « aucun organisme raisonnable » n’aurait pu les adopter (par. 80, le juge Voith). Voir Kruse c. Johnson, [1898] 2 Q.B. 91 (C. div.); Associated Provincial Picture Houses, Ltd. c. Wednesbury Corp., [1948] 1 K.B. 223 (C.A.); Lehndorff United Properties (Canada) Ltd. c. Edmonton (City) (1993), 146 A.R. 37 (B.R.), conf. par (1994), 157 A.R. 169 (C.A.).
[21] Cette retenue dans la façon d’aborder la révision des règlements municipaux existe depuis plus d’un siècle. Comme l’a affirmé le juge en chef lord Russell dans Kruse c. Johnson :
[TRADUCTION] . . . les cours de justice doivent faire preuve de circonspection avant de déclarer invalide un règlement pris dans ces conditions au motif qu’il serait déraisonnable. Malgré ce que le juge en chef Cockburn dit dans une affaire analogue, Bailey c. Williamson [(1873), L.R. 8 Q.B. 118, p. 124], je ne veux pas dire qu’il ne peut y avoir de cas où la Cour aurait le devoir d’invalider des règlements, pris en vertu du même pouvoir que ceux‑ci l’ont été, en se fondant sur leur caractère déraisonnable. Mais déraisonnable en quel sens? On peut penser, par exemple, à des règlements partiaux et d’application inégale pour des catégories distinctes, à des règlements manifestement injustes, à des règlements empreints de mauvaise foi, à des règlements entraînant une immixtion abusive ou gratuite dans les droits des personnes qui y sont assujetties, au point d’être injustifiables aux yeux d’hommes raisonnables; la Cour pourrait alors dire « le Parlement n’a jamais eu l’intention de donner le pouvoir de faire de telles règles; elles sont déraisonnables et ultra vires. » C’est en ce sens et uniquement en ce sens qu’il faut, à mon avis, considérer la question du caractère raisonnable. Un règlement n’est pas déraisonnable simplement parce que certains juges peuvent estimer qu’il va au‑delà ce qui est prudent ou nécessaire ou commode, ou parce qu’il n’est pas assorti d’une réserve ou d’une exception qui devrait y figurer de l’avis de certains juges. [Je souligne; p. 99‑100.]
Il s’agit là des indicateurs généraux de ce qui est déraisonnable dans le contexte des règlements municipaux. Il faut cependant garder à l’esprit que ce qui est déraisonnable dépendra du cadre législatif applicable. Par exemple, l’application inégale pour des catégories distinctes dont parle le juge en chef lord Russell ne convient guère au contexte de plusieurs lois municipales contemporaines, qui contiennent des dispositions permettant expressément une telle inégalité. Le paragraphe 197(3) de la Community Charter, S.B.C. 2003, ch. 26, qui permet aux municipalités de fixer des taux d’impôt variant en fonction des catégories d’immeubles, est un exemple d’une telle disposition.
[…]
[32] En résumé, il faut déterminer en définitive si le règlement contesté s’inscrit dans un éventail raisonnable d’issues possibles en suivant l’approche que les tribunaux ont adoptée au fil des ans en matière de révision des règlements adoptés par des conseils municipaux. Les conseils municipaux ne sont pas tenus, dans le cadre du processus d’adoption de règlements, de s’en remettre aux seules considérations objectives ayant une incidence directe sur l’affaire; ils peuvent aussi prendre en compte des enjeux plus généraux d’ordre social, économique et politique. Pour apprécier le caractère raisonnable d’un règlement, il convient donc d’examiner le processus qui a mené à son adoption ainsi que sa teneur[59].
[Soulignements ajoutés]
[69] La Cour suprême concluait, dans cette même affaire, que « le pouvoir d’un tribunal d’annuler un règlement municipal est limité et qu’il ne peut être exercé pour la seule raison que le règlement impose un plus grand fardeau fiscal à certains contribuables par rapport à d’autres »[60].
[70] Ainsi, le tribunal qui révise le caractère raisonnable d’un règlement municipal doit le faire à la lumière de l’éventail des issues possibles raisonnables dans un cas donné. Le règlement ne pourra être annulé que s’il n’aurait pas pu être adopté par un conseil municipal raisonnable, lequel, nous rappelle la Cour suprême, peut légitimement tenir compte d’une grande variété de facteurs, y compris des facteurs généraux d’ordre social, économique et politique. Cela ne signifie toutefois pas que les conseils municipaux ont carte blanche, puisque la norme de la décision raisonnable les restreint dans la mesure où la teneur de leurs règlements doit être conforme à la raison d’être du régime législatif qui les habilite à adopter ce règlement.
[71] En l’espèce, le législateur a prévu, au paragraphe 1 de l’alinéa 5 de l’article 1000.1 C.m., que le conseil municipal peut prévoir des « exonérations » de la taxe, dans son règlement, sans indiquer quelles sont les exonérations permises.
[72] Lorsque le législateur habilite une municipalité à prévoir, par règlement, des exonérations, cela permet implicitement à celle-ci de discriminer, dans la mesure où elle exerce ce pouvoir de manière raisonnable. Ces exonérations ne doivent toutefois pas être arbitraires, étant entendu qu’elles le seraient si elles n’étaient pas rationnellement justifiables.
[73] Bien que l’exemption visant les terres agricoles puisse paraître inéquitable étant donné que la plupart des terres qui les constituent sont forestières comme celles des appelants, l’intimée l’a prévue pour ne pas accroître le fardeau fiscal des agriculteurs et favoriser la redynamisation de ce secteur économique, ce qu’accepte le juge[61]. Il n’y a pas de discrimination au sein d’une même catégorie de contribuables visés, de sorte que l’inclusion de secteurs forestiers dans les terres agricoles exemptées de la taxe constitue une décision raisonnable[62].
[74] En ce qui concerne les zones d’extraction prioritaires, elles sont déjà taxées en vertu de la Loi sur les compétences municipales[63], ce qui constitue une justification raisonnable, tout comme l’est le désir de l’intimée de ne pas augmenter l’impôt foncier pour l’ensemble de ses résidents[64]. Ces exemptions sont de celles qu’un conseil municipal raisonnable pouvait adopter, étant logiques et adéquatement justifiées.
[75] Autrement dit, les règlements attaqués prévoient une exonération de la taxe qui a fait l’objet d’une justification rationnelle et raisonnable de la part de l’intimée. La preuve démontre que les exonérations réglementaires reposent sur la volonté que les terrains vacants situés dans les zones d’extraction soient exploités sans que soit imposé un fardeau fiscal supplémentaire aux carrières et sablières, lesquelles sont déjà assujetties à une redevance qui s’ajoute à la taxe foncière. De même, la preuve retenue par le juge permet de conclure que l’intimée s’est souciée de la volonté de revitaliser les terres agricoles vacantes et, à cette fin, de ne pas accroître le fardeau fiscal des agriculteurs[65].
[76] Il faut conclure qu’en l’espèce, ces exonérations réglementaires s’inscrivent dans un éventail d’issues raisonnables. Le conseil municipal a examiné et soupesé des facteurs pertinents avant de les adopter, et on ne peut conclure qu’il s’agit d’une décision qu’aucun conseil municipal élu raisonnable n’aurait pu prendre. Il n’appartient pas à la Cour de contrôler l’opportunité politique des moyens que le conseil municipal a choisis pour taxer les terrains vacants sur son territoire.
[77] Ce moyen d’appel doit être rejeté.
4. L’exigibilité de la taxe pour l’année de cotisation 2021
[78] Les articles 7, 8 et 18 du Règlement 2021-005 sont libellés ainsi :
7. Au plus tard le 31 décembre de chaque année, le secrétaire-trésorier dresse une liste des immeubles vacants assujettis à la taxe imposée par le présent règlement.
Cette liste est déposée au conseil municipal lors de la première séance ordinaire qui suit le 1er janvier.
8. Suite au dépôt de la liste, la Municipalité expédie à la personne identifiée au rôle d’évaluation comme propriétaire de l’immeuble un avis lui indiquant qu’elle est assujettie à une taxe sur l’immeuble vacant qu’elle possède, de même que le montant de taxe qu’elle doit payer et la date d’échéance du paiement. Cet avis ainsi que les informations qu’il contient peuvent être intégrés au compte de taxes annuel de la propriété.
[…]
18. Le présent règlement entre en vigueur le jour de sa publication.
Pour l’année 2021, les dates prévues aux articles 7 et 17 sont remplacées par les dates suivantes :
[…]
[79] Il est vrai, comme le soulèvent les appelants, que ces articles du règlement n’ont pas été respectés, car la liste des immeubles visés par la nouvelle taxe aurait dû être déposée au cours de la séance virtuelle du conseil municipal du 6 avril 2021, ce qui n’a pas été fait.
[80] Sur ce fondement, les appelants affirment ne pas requérir l’annulation du Règlement 2021-005, mais bien la non-exigibilité de la taxe pour 2021. Ils soutiennent toutefois, dans leur mémoire[66], qu’une irrégularité affectant une condition essentielle à la validité d’un acte « entraîne la nullité dudit acte ». Ils cherchent ainsi à faire annuler le procès-verbal de correction pour ultimement invoquer que la résolution du conseil adoptant le règlement était invalide, ce qui empêchait l’exigibilité de la taxe pour 2021.
[81] Le juge a raison de conclure que pour remédier à ce défaut, le secrétaire-trésorier de l’intimée n’aurait pas dû corriger le procès-verbal de la séance du 6 avril 2021 pour y ajouter que « [l]a liste des immeubles visés par la taxe sur les immeubles vacants est déposée en même temps que le règlement »[67]. Il considère néanmoins que le conseil municipal disposait de la liste le 6 avril 2021, lors de l’adoption du règlement, et que les appelants n’ont pas démontré avoir subi un préjudice du fait de cette omission puisqu’ils connaissaient le contenu de la liste créée lors de l’adoption des règlements antérieurs[68]. Aucune injustice n’en a résulté[69].
[82] Avec égards, le juge aurait dû accueillir la demande en inscription de faux et déclarer que le procès-verbal corrigé de la résolution (no 2021-04-1873) d’adoption du Règlement 2021-005 était un faux, puisqu’il s’agit d’un procès-verbal qui ne rapporte pas fidèlement les faits que le secrétaire‑trésorier, en tant qu’officier public, avait pour mission de constater.
[83] Cette erreur n’est toutefois pas déterminante. Même si le procès-verbal corrigé avait été déclaré faux, l’omission de déposer la liste des immeubles vacants fait partie des situations que couvre l’article 23 C.m., lequel se lit ainsi :
23. Nulle objection faite à la forme ou fondée sur l’omission de formalités même impératives dans des actes ou procédures relatifs à des matières municipales, ne peut être admise sur une action, poursuite ou procédure civile concernant ces matières, à moins qu’une injustice réelle ne dût résulter du rejet de cette objection, ou à moins que les formalités omises ne soient de celles dont l’omission rende nuls, d’après le présent code, les procédures ou autres actes municipaux qui doivent en être accompagnés. | 23. No objection founded upon form, or upon the omission of any formality, even imperative, in any act or proceeding relating to municipal matters, can be allowed to prevail in any civil action, suit or proceeding respecting such matters, unless substantial injustice would be done by rejecting such objection, or unless the formality omitted be such that its omission, according to this Code, would render null the proceedings or other municipal acts requiring such formality. |
[Soulignements ajoutés]
[84] Cette irrégularité que constitue le fait de ne pas avoir déposé la liste des immeubles vacants ne vise pas une formalité dont l’omission entraîne la nullité, selon le Code municipal, de la résolution du conseil municipal, ni d’une irrégularité ayant causé un préjudice aux appelants. Par conséquent, la conclusion du juge selon laquelle la taxe demeurait exigible pour l’année de cotisation 2021 ne peut être infirmée.
[85] Pour ces motifs, je suggère que la Cour rejette l’appel, avec les frais de justice.
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A.
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[1] Lauzon Foresterie (Fiducie) c. Municipalité de L'Ange-Gardien, 2022 QCCS 2721 [jugement entrepris].
[2] RLRQ, c. C-27.1.
[3] Plessis-Panet inc. c. Ville de Montréal, 2019 QCCA 1264 [Plessis-Panet].
[4] RLRQ, c. C-19.
[5] R.L.R.Q., c. F-2.1.
[6] RLRQ, c. C-47.1, art. 78.1 et ss.
[7] Pièce P-7, Copie du procès-verbal de la séance ordinaire, 7 janvier 2019.
[8] Les comptes de taxes P-2, P-2a) et P-2b). La pièce P-2c) est un résumé détaillé des montants des taxes exigées par l’intimée pour les trois années en litige.
[9] Pièce P-18.
[10] Jugement entrepris, paragr. 18-21.
[11] Id., paragr. 22-24.
[12] Id., paragr. 25-26.
[13] Plessis-Panet, supra, note 3.
[14] Jugement entrepris, paragr. 27-30.
[15] Id., paragr. 31.
[16] Id., paragr. 32-34.
[17] Id., paragr. 35-36.
[18] Id., paragr. 37-38.
[19] Id., paragr. 39.
[20] Id., paragr. 40-41.
[21] Id., paragr. 42-47.
[22] Id., paragr. 48-49.
[23] Id., paragr. 50.
[24] Id., paragr. 51-53.
[25] Id., paragr. 53.
[26] Id., paragr. 54.
[27] Id., paragr. 55.
[28] Id., paragr. 58-59.
[29] RLRQ, c. P-41.1
[30] Jugement entrepris, paragr. 60-62.
[31] Id., paragr. 78-86.
[32] Id., paragr. 90.
[33] Id., paragr. 91.
[34] Plessis-Panet, supra, note 3.
[35] Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2 [Catalyst Paper Corp.].
[36] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].
[37] Id., paragr. 109.
[38] Id., paragr. 16.
[39] Ville de Québec c. Galy, 2020 QCCA 1130, paragr. 45, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 18 février 2021, n° 39384. Voir aussi en ce sens Service de calèches et traîneaux Lucky Luc c. Ville de Montréal, 2022 QCCA 1610, paragr. 54 à 59; Restaurants Canada c. Ville de Montréal, 2021 QCCA 1639, paragr. 25, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 24 mars 2022, n° 39984.
[40] Vavilov, supra, note 36, paragr. 99 et 103; Catalyst Paper Corp., supra, note 35, paragr. 13 et 24.
[41] Il importe de souligner que la Cour suprême se prononcera sur la norme de contrôle applicable au contrôle judiciaire de la légalité des règlements, comme la Cour l’a souligné récemment dans Procureur général du Québec c. Kanyinda, 2024 QCCA 144, paragr. 40, en référant à Médicaments novateurs Canada c. Canada (Procureur général), 2022 CAF 210; TransAlta Generation Partnership v. Alberta (Minister of Municipal Affairs), 2022 ABCA 381, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 26 octobre 2023, n° 40570; Auer v. Auer, 2022 ABCA 375, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 26 octobre 2023, n° 40582; International Air Transport Association c. Office des transports du Canada, 2022 CAF 211, paragr. 185-193, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême accueillie, 17 août 2023, n° 40614.
[42] Plessis-Panet, supra, note 3.
[43] Plessis-Panet, supra, note 3, paragr. 34 et 38.
[44] Jugement entrepris, paragr. 51-52.
[45] Vavilov, supra, note 36, paragr. 99 et 103; Catalyst Paper Corp., supra, note 35, paragr. 13.
[46] L.Q. 2017, c. 13; Voir Plessis-Panet, supra, note 3, paragr. 38.
[47] L’article 2 du Règlement prévoit que la définition d’immeuble vacant comprend également tout groupe d’immeubles contigus vacants appartenant au même propriétaire ou à une personne liée.
[48] En première instance, l’intimée a admis qu’elle ne pouvait réclamer les taxes pour l’année 2021 puisque ce règlement ne prévoyait l’exigibilité des taxes que pour l’année suivante.
[49] Jugement entrepris, paragr. 59-60.
[50] RLRQ, c. C-47.1.
[51] RLRQ, c. A-19.1.
[52] Jugement entrepris, paragr. 67-69.
[53] Catalyst Paper Corp., supra, note 35, paragr. 63-67 et 75-76.
[54] Plessis-Panet, supra, note 3.
[55] Jugement entrepris, paragr. 64-65.
[56] RLRQ, c. M-14, r. 1.1.
[57] Témoignage d’Alain Descarreaux du 11 février 2021.
[58] Catalyst Paper Corp., supra, note 35, paragr. 7, 19, 24.
[59] Id., paragr. 19-21 et 32.
[60] Id., paragr. 9.
[61] Jugement entrepris, paragr. 70-71.
[62] Id., paragr. 72-73.
[63] RLRQ, c. C-47.1.
[64] Jugement entrepris, paragr. 74-75.
[65] Témoignage d’Alain Descarreaux du 11 février 2021.
[66] Paragraphe 73 du mémoire des appelants.
[67] Pièce D-8, Extraits des délibérations du conseil de la Municipalité de L’Ange-Gardien du 5 juillet 2021 et du 6 avril 2021.
[68] Jugement entrepris, paragr. 87-88.
[69] Id., paragr. 89.
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