Décision

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Madelein c. Bourassa

2023 QCTAL 1143

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield

 

No dossier :

634064 27 20220524 G

No demande :

3562013

 

 

Date :

21 février 2023

Devant le juge administratif :

Michel Huot

 

Éric Madelein

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Carter Bourassa

 

Stefany Fraser

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N    R E C T I F I É E

 

 

[1]         Le locateur dépose une demande le 24 mai 2022. Il demande la résiliation du bail, l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement, le recouvrement du loyer (8 158 $) ainsi que les loyers dus au moment de l’audience. Il demande de plus de condamner les locataires solidairement, d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision malgré l’appel et de condamner les locataires au paiement des frais.

[2]         La demande est notifiée par courrier recommandé aux locataires le 22 juin 2022.

[3]         Le 13 octobre 2022, le locateur produit un amendement à sa demande. Il demande de modifier sa réclamation initiale pour que la somme réclamée pour les mois de décembre 2021 au 28 avril 2022 soit une réclamation à titre de dommages pour perte de loyer à la suite du déguerpissement des locataires en novembre 2021.

[4]         Cet amendement ne fut jamais notifié aux locataires. Lors de l’audience du 20 décembre 2022, les locataires acceptent de procéder sur la demande prévue à l’amendement, et ce, même s’ils ne l’ont jamais reçu.

LA PREUVE PRÉSENTÉE

[5]         Les parties sont liées par un bail[1] de logement initialement pour la période du 1er mai 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 1 150 $. Le bail fut reconduit par l’effet de la loi pour la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021. Le bail fut de nouveau reconduit pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 1 375 $. Les locataires se sont engagés solidairement à l’égard du locateur.


[6]         Au cours du printemps 2021, les parties débutent des négociations pour que les locataires achètent l’immeuble. Ces négociations ne se concrétiseront pas.

[7]         Par la suite, les locataires avisent le locateur qu’ils souhaitent s’acheter une maison et qu’ils pensent déménager.

[8]         Les locataires avisent le locateur en septembre 2021 qu’ils ont acheté une maison et qu’ils souhaitent mettre fin au bail.

[9]         Une série de messages texte[2] sont échangés entre les parties. Il ressort des témoignages du locateur et de la locataire que les parties ont souhaité mettre fin au bail. Le 20 septembre 2021, les locataires envoyaient au locateur une entente de résiliation de bail pour le 31 octobre 2021. Le locateur a refusé[3] de signer ladite entente.

[10]     Le locateur souhaitait mettre fin au bail lorsqu’il vendrait l’immeuble. La locataire Stefany Fraser confirme lors de son témoignage que ce fut ce que le locateur leur a proposé le 21 septembre 2021 et qu’ils ont accepté.

[11]     Une première offre d’achat[4] fut faite pour la maison le 13 octobre 2021. Le locateur accepte l’offre proposée le 14 octobre 2021. Le 31 octobre 2021, les locataires quittent la maison. Le même jour, ils rencontrent les acheteurs sur place. Ils proposent à ces derniers de leur laisser certains meubles, ce à quoi les acheteurs consentent.

[12]     Le 16 novembre 2021, le locateur avise les locataires qu’ils doivent retirer les biens se trouvant toujours dans la maison. Les acheteurs ne se sont pas présentés chez le notaire le 16 novembre 2021 et refusent de conclure la transaction pour la vente de l’immeuble.

[13]     Le locateur consulte alors une avocate pour connaître ses droits eu égard à une demande en passation de titre contre les acheteurs du 14 octobre 2021. 

[14]     Le locateur décide de ne pas poursuivre les acheteurs potentiels en passation de titre et remet la maison en vente. Il reçoit une 2e promesse d’achat[5] le 29 janvier 2022, promesse qu’il accepte. La date de transaction convenue pour le transfert de titre chez le notaire est le 29 avril 2022.

[15]     La transaction est notariée à cette date[6].

PRÉTENTIONS DU LOCATEUR

[16]     Le locateur réclame les mois de loyers qu’il a perdus à la suite du départ des locataires pour la période du 1er novembre 2021 au 28 avril 2022, pour une somme totale de 8 158 $. Il allègue avoir agi pour vendre la maison le plus rapidement possible. Il témoigne n’avoir fait aucune démarche pour relouer le logement, car il ne souhaitait pas le relouer pour en favoriser la vente plus facilement.

PRÉTENTIONS DES LOCATAIRES

[17]     La locataire Stefany Fraser considère que les locataires ne sauraient être tenus responsables de payer des dommages pour les loyers perdus pour les mois de novembre 2021 à avril 2022. Elle plaide que la maison aurait dû être vendue en novembre 2021. Ils auraient dû être libérés de leurs obligations prévues par le bail à compter de ce moment.

ANALYSE ET DÉCISION

[18]     Il y a lieu de rappeler aux parties les règles de preuve prévues aux articles 2803, 2804, 2843, et 2845 du Code civil du Québec, lesquels se lisent comme suit :

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »


« 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »

« 2843. Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis.

Il doit, pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite à l’instance, sauf du consentement des parties ou dans les cas prévus par la loi. »

« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du tribunal. »

[19]     Les parties ont l’obligation de convaincre le Tribunal, selon la balance des probabilités, des prétentions qu’elles allèguent.

[20]     Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie qui l’allègue perdra.

[21]     Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme[7] dans leur Traité de droit civil du Québec :

« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qu’il perdra son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge est placé dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »

[22]     Le Tribunal a évalué la crédibilité des parties lors de leur témoignage. 

[23]     Dans l’évaluation de la crédibilité des témoignages, le Tribunal a pris en compte l’attitude générale des parties lors de l’audience, les réticences qu’elles ont pu avoir, les contradictions, les exagérations, les affirmations gratuites qu’elles ont faites, l’intérêt qu’elles avaient dans le litige, la rancune manifestée contre l’autre partie, la vraisemblance de leur récit, les omissions volontaires, la complaisance et la mauvaise foi.

[24]     Le Tribunal retient que les témoignages du locateur et de la locataire Stefany Fraser sont crédibles et probants. Leurs témoignages sont concordants sur les faits du dossier.

[25]     Le locateur réclame une indemnité de relocation à la suite du départ des locataires le 31 octobre 2021.

[26]     Les principes applicables à ce genre d’indemnité sont résumés de la façon suivante par le professeur Jobin[8] :

« 16. Dommages-intérêts. Le recours en dommages-intérêts vient presque toujours s’ajouter à celui en résiliation. En plus d’une indemnité pour pertes causées au bien loué ou autres dommages le cas échéant, le locateur réclame systématiquement une indemnité pour perte de loyer durant la période nécessaire pour trouver un nouveau locataire ; plus précisément, l’indemnité couvre la perte de loyer jusqu’à la délivrance du bien au nouveau locataire, car c’est à partir de l’entrée en jouissance que le nouveau loyer est calculé.

L’indemnité de relocation obéit aux règles habituelles. Ainsi, le locateur a droit uniquement à la réparation du préjudice qui constitue une suite immédiate et directe de la faute du locataire. De plus, on ne doit pas oublier que le locateur a le devoir de minimiser sa perte : dans le contexte d’une résiliation, il doit prendre les moyens raisonnables pour remplacer le locataire fautif le plus vite possible. »

[27]     Ainsi, à partir du moment où un locateur apprend qu’un locataire quittera ou a quitté le logement, il a l’obligation d’entreprendre, sans délai, des démarches raisonnables pour relouer le logement dans le but de minimiser les dommages qu’il encoure en raison de ce départ.

[28]     L’article 1479 du Code civil du Québec reprend d’ailleurs ce principe en ces termes :

« 1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. »


[29]     Cette règle est expliquée comme suit par les auteurs Baudouin et Jobin[9] :

« La règle de la réduction des pertes, ou de la minimisation des dommages est bien connue en Common Law. La jurisprudence québécoise l’a également sanctionnée d’innombrables fois, tant en matière extracontractuelle qu’en matière contractuelle et elle est maintenant codifiée à l’article 1479 C.c.Q. Cette règle est fondée sur le principe selon lequel le débiteur n’est tenu qu’aux seuls dommages directs et immédiats. On peut l’exprimer simplement en disant que le créancier a le devoir, lorsqu’il constate l’inexécution de l’obligation de son débiteur, de tenter d’atténuer autant que possible le préjudice qu’il subit. Agir autrement constitue, en droit civil, un comportement fautif, parce que contraire à la conduite d’une personne normalement prudente et diligente, et mène à une réduction des dommages autrement alloués au créancier. Lorsque le créancier ne réduit pas ses pertes, il est difficile de prétendre que le dommage a été entièrement causé par le fait du débiteur, même si celui-ci en est à l’origine. Les tribunaux n’admettent donc pas que le créancier réclame la partie des dommages qu’il a subis et qu’il aurait pu raisonnablement éviter en se comportant avec prudence, diligence et bonne foi. L’obligation de réduire sa perte est donc une obligation de moyens. »

[30]     La preuve présentée démontre que le locateur ne souhaitait pas louer l’immeuble, car il souhaite le vendre sans locataire pour que la transaction se fasse plus rapidement et éviter un processus de reprise de logement pour les nouveaux acheteurs. Les messages texte[10] et les différents échanges entre les parties permettent de conclure que le locateur avait consenti à les libérer du contrat de bail dès que la maison serait vendue. À cet effet, le Tribunal constate que les locataires ont réellement cru que la maison avait été vendue en novembre 2021. Toutefois, ce ne fut pas le cas.

[31]     Le Tribunal s'est interrogé sur la situation des plus particulières du présent dossier. Le locateur a accepté une offre faite par les acheteurs potentiels en octobre 2021. Le transfert du titre de propriété devait se faire le 16 novembre 2021 chez le notaire. À cette date, les acheteurs potentiels ne se sont pas présentés et la transaction n'a pas eu lieu, malgré une promesse d’achat conclue.

[32]     Le locateur pouvait prendre un recours contre les acheteurs potentiels en passation de titre, mais il a décidé de remettre la propriété sur le marché.

[33]     L'article 1458 du Code civil du Québec traite des obligations qui découlent d'un contrat, comme une promesse d'achat. Ledit article se lit comme suit :

« 1458. Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés.

Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables. »

[34]     Le Tribunal considère qu'à compter du 16 novembre 2021, c'est le nonrespect de la promesse d'achat par les acheteurs potentiels qui a engendré les dommages subséquents du locateur. Si les acheteurs potentiels avaient respecté leurs obligations contractuelles, il n'y aurait pas eu de dommages après cette date et les locataires auraient été libérés de leurs obligations à l’égard du locateur.

[35]     Le locateur a remis la maison à vendre et il a accepté une offre d’achat le 29 janvier 2022. Cette offre prévoyait que la transaction se produirait le 29 avril 2022.

[36]     Le locateur a-t-il minimisé ses dommages?

[37]     Le Tribunal considère que le locateur a agi pour minimiser ses dommages en tentant de vendre la maison le plus rapidement possible, mais le Tribunal ne peut tenir les locataires responsables des loyers perdus après la transaction avortée avec les acheteurs potentiels du 16 novembre 2021.

[38]     En conséquence, le Tribunal rejette la réclamation en dommages pour loyers perdus pour la période subséquente au 16 novembre 2021. Les dommages subis par le locateur ne sont pas une conséquence directe et immédiate du départ des locataires le 31 octobre 2021. Les dommages découlent des agissements des acheteurs potentiels qui n'ont pas respecté leur promesse d’achat. Le locateur aurait dû les poursuivre en vertu de l'article 1458 du Code civil du Québec pour leur réclamer les dommages subis qui découlent de ce bris contractuel, soit les dommages correspondant à la perte du loyer. À cet effet, le Tribunal administratif du logement n’a pas compétence sur cette demande. Le locateur devra prendre un recours devant les tribunaux de droit commun.


[39]     Les locataires sont responsables de payer des dommages au locateur pour l’équivalent des 15 premiers jours du mois de novembre 2021, soit la somme de 687,50 $.

[40]     Il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision. 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]     ACCUEILLE en partie la demande du locateur;

[42]     CONDAMNE solidairement les locataires à payer au locateur la somme de 687,50 $ avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 24 mai 2022, plus les frais de la demande de 80 $ et de notification prévus au Tarif de 46 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Huot

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Date de l’audience : 

20 décembre 2022

 

 

 


 


Madelein c. Bourassa

2023 QCTAL 1143

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield

 

No dossier :

634064 27 20220524 G

No demande :

3562013

 

 

Date :

13 janvier 2023

Devant le juge administratif :

Michel Huot

 

Éric Madelein

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Carter Bourassa

 

Stefany Fraser

 

Locataires - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le locateur dépose une demande le 24 mai 2022. Il demande la résiliation du bail, l’expulsion des locataires et de tous les occupants du logement, le recouvrement du loyer (8 158 $) ainsi que les loyers dus au moment de l’audience. Il demande de plus de condamner les locataires solidairement, d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision malgré l’appel et de condamner les locataires au paiement des frais.

[2]         La demande est notifiée par courrier recommandé aux locataires le 22 juin 2022.

[3]         Le 13 octobre 2022, le locateur produit un amendement à sa demande. Il demande de modifier sa réclamation initiale pour que la somme réclamée pour les mois de décembre 2021 au 28 avril 2022 soit une réclamation à titre de dommages pour perte de loyer à la suite du déguerpissement des locataires en novembre 2021.

[4]         Cet amendement ne fut jamais notifié aux locataires. Lors de l’audience du 20 décembre 2022, les locataires acceptent de procéder sur la demande prévue à l’amendement, et ce, même s’ils ne l’ont jamais reçu.

LA PREUVE PRÉSENTÉE

[5]         Les parties sont liées par un bail[11] de logement initialement pour la période du 1er mai 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 1 150 $. Le bail fut reconduit par l’effet de la loi pour la période du 1er juillet 2020 au 30 juin 2021. Le bail fut de nouveau reconduit pour la période du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au même loyer mensuel. Les locataires se sont engagés solidairement à l’égard du locateur.


[6]         Au cours du printemps 2021, les parties débutent des négociations pour que les locataires achètent l’immeuble. Ces négociations ne se concrétiseront pas.

[7]         Par la suite, les locataires avisent le locateur qu’ils souhaitent s’acheter une maison et qu’ils pensent déménager.

[8]         Les locataires avisent le locateur en septembre 2021 qu’ils ont acheté une maison et qu’ils souhaitent mettre fin au bail.

[9]         Une série de messages texte[12] sont échangés entre les parties. Il ressort des témoignages du locateur et de la locataire que les parties ont souhaité mettre fin au bail. Le 20 septembre 2021, les locataires envoyaient au locateur une entente de résiliation de bail pour le 31 octobre 2021. Le locateur a refusé[13] de signer ladite entente.

[10]     Le locateur souhaitait mettre fin au bail lorsqu’il vendrait l’immeuble. La locataire Stefany Fraser confirme lors de son témoignage que ce fut ce que le locateur leur a proposé le 21 septembre 2021 et qu’ils ont accepté.

[11]     Une première offre d’achat[14] fut faite pour la maison le 13 octobre 2021. Le locateur accepte l’offre proposée le 14 octobre 2021. Le 31 octobre 2021, les locataires quittent la maison. Le même jour, ils rencontrent les acheteurs sur place. Ils proposent à ces derniers de leur laisser certains meubles, ce à quoi les acheteurs consentent.

[12]     Le 16 novembre 2021, le locateur avise les locataires qu’ils doivent retirer les biens se trouvant toujours dans la maison. Les acheteurs ne se sont pas présentés chez le notaire le 16 novembre 2021 et refusent de conclure la transaction pour la vente de l’immeuble.

[13]     Le locateur consulte alors une avocate pour connaître ses droits eu égard à une demande en passation de titre contre les acheteurs du 14 octobre 2021. 

[14]     Le locateur décide de ne pas poursuivre les acheteurs potentiels en passation de titre et remet la maison en vente. Il reçoit une 2e promesse d’achat[15] le 29 janvier 2022, promesse qu’il accepte. La date de transaction convenue pour le transfert de titre chez le notaire est le 29 avril 2022.

[15]     La transaction est notariée à cette date[16].

PRÉTENTIONS DU LOCATEUR

[16]     Le locateur réclame les mois de loyers qu’il a perdus à la suite du départ des locataires pour la période du 1er novembre 2021 au 28 avril 2022, pour une somme totale de 8 158 $. Il allègue avoir agi pour vendre la maison le plus rapidement possible. Il témoigne n’avoir fait aucune démarche pour relouer le logement, car il ne souhaitait pas le relouer pour en favoriser la vente plus facilement.

PRÉTENTIONS DES LOCATAIRES

[17]     La locataire Stefany Fraser considère que les locataires ne sauraient être tenus responsables de payer des dommages pour les loyers perdus pour les mois de novembre 2021 à avril 2022. Elle plaide que la maison aurait dû être vendue en novembre 2021. Ils auraient dû être libérés de leurs obligations prévues par le bail à compter de ce moment.

ANALYSE ET DÉCISION

[18]     Il y a lieu de rappeler aux parties les règles de preuve prévues aux articles 2803, 2804, 2843, et 2845 du Code civil du Québec, lesquels se lisent comme suit :

« 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu’un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »


« 2804. La preuve qui rend l’existence d’un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n’exige une preuve plus convaincante. »

« 2843. Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis.

Il doit, pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite à l’instance, sauf du consentement des parties ou dans les cas prévus par la loi. »

« 2845. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du tribunal. »

[19]     Les parties ont l’obligation de convaincre le Tribunal, selon la balance des probabilités, des prétentions qu’elles allèguent.

[20]     Par conséquent, si, par rapport à un fait essentiel, la preuve offerte n’est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le Tribunal est dans l’impossibilité de déterminer où se situe la vérité, la partie qui l’allègue perdra.

[21]     Comme le soulignent les auteurs Nadeau et Ducharme[17] dans leur Traité de droit civil du Québec :

« Celui sur qui repose l’obligation de convaincre le juge supporte le risque de l’absence de preuve, c’est-à-dire qu’il perdra son procès si la preuve qu’il a offerte n’est pas suffisamment convaincante ou encore si la preuve offerte de part et d’autre est contradictoire et que le juge est placé dans l’impossibilité de déterminer où se trouve la vérité. »

[22]     Le Tribunal a évalué la crédibilité des parties lors de leur témoignage. 

[23]     Dans l’évaluation de la crédibilité des témoignages, le Tribunal a pris en compte l’attitude générale des parties lors de l’audience, les réticences qu’elles ont pu avoir, les contradictions, les exagérations, les affirmations gratuites qu’elles ont faites, l’intérêt qu’elles avaient dans le litige, la rancune manifestée contre l’autre partie, la vraisemblance de leur récit, les omissions volontaires, la complaisance et la mauvaise foi.

[24]     Le Tribunal retient que les témoignages du locateur et de la locataire Stefany Fraser sont crédibles et probants. Leurs témoignages sont concordants sur les faits du dossier.

[25]     Le locateur réclame une indemnité de relocation à la suite du départ des locataires le 31 octobre 2021.

[26]     Les principes applicables à ce genre d’indemnité sont résumés de la façon suivante par le professeur Jobin[18] :

« 16. Dommages-intérêts. Le recours en dommages-intérêts vient presque toujours s’ajouter à celui en résiliation. En plus d’une indemnité pour pertes causées au bien loué ou autres dommages le cas échéant, le locateur réclame systématiquement une indemnité pour perte de loyer durant la période nécessaire pour trouver un nouveau locataire ; plus précisément, l’indemnité couvre la perte de loyer jusqu’à la délivrance du bien au nouveau locataire, car c’est à partir de l’entrée en jouissance que le nouveau loyer est calculé.

L’indemnité de relocation obéit aux règles habituelles. Ainsi, le locateur a droit uniquement à la réparation du préjudice qui constitue une suite immédiate et directe de la faute du locataire. De plus, on ne doit pas oublier que le locateur a le devoir de minimiser sa perte : dans le contexte d’une résiliation, il doit prendre les moyens raisonnables pour remplacer le locataire fautif le plus vite possible. »

[27]     Ainsi, à partir du moment où un locateur apprend qu’un locataire quittera ou a quitté le logement, il a l’obligation d’entreprendre, sans délai, des démarches raisonnables pour relouer le logement dans le but de minimiser les dommages qu’il encoure en raison de ce départ.

[28]     L’article 1479 du Code civil du Québec reprend d’ailleurs ce principe en ces termes :

« 1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. »


[29]     Cette règle est expliquée comme suit par les auteurs Baudouin et Jobin[19] :

« La règle de la réduction des pertes, ou de la minimisation des dommages est bien connue en Common Law. La jurisprudence québécoise l’a également sanctionnée d’innombrables fois, tant en matière extracontractuelle qu’en matière contractuelle et elle est maintenant codifiée à l’article 1479 C.c.Q. Cette règle est fondée sur le principe selon lequel le débiteur n’est tenu qu’aux seuls dommages directs et immédiats. On peut l’exprimer simplement en disant que le créancier a le devoir, lorsqu’il constate l’inexécution de l’obligation de son débiteur, de tenter d’atténuer autant que possible le préjudice qu’il subit. Agir autrement constitue, en droit civil, un comportement fautif, parce que contraire à la conduite d’une personne normalement prudente et diligente, et mène à une réduction des dommages autrement alloués au créancier. Lorsque le créancier ne réduit pas ses pertes, il est difficile de prétendre que le dommage a été entièrement causé par le fait du débiteur, même si celui-ci en est à l’origine. Les tribunaux n’admettent donc pas que le créancier réclame la partie des dommages qu’il a subis et qu’il aurait pu raisonnablement éviter en se comportant avec prudence, diligence et bonne foi. L’obligation de réduire sa perte est donc une obligation de moyens. »

[30]     La preuve présentée démontre que le locateur ne souhaitait pas louer l’immeuble, car il souhaite le vendre sans locataire pour que la transaction se fasse plus rapidement et éviter un processus de reprise de logement pour les nouveaux acheteurs. Les messages texte[20] et les différents échanges entre les parties permettent de conclure que le locateur avait consenti à les libérer du contrat de bail dès que la maison serait vendue. À cet effet, le Tribunal constate que les locataires ont réellement cru que la maison avait été vendue en novembre 2021. Toutefois, ce ne fut pas le cas.

[31]     Le Tribunal s'est interrogé sur la situation des plus particulières du présent dossier. Le locateur a accepté une offre faite par les acheteurs potentiels en octobre 2021. Le transfert du titre de propriété devait se faire le 16 novembre 2021 chez le notaire. À cette date, les acheteurs potentiels ne se sont pas présentés et la transaction n'a pas eu lieu, malgré une promesse d’achat conclue.

[32]     Le locateur pouvait prendre un recours contre les acheteurs potentiels en passation de titre, mais il a décidé de remettre la propriété sur le marché.

[33]     L'article 1458 du Code civil du Québec traite des obligations qui découlent d'un contrat, comme une promesse d'achat. Ledit article se lit comme suit :

« 1458. Toute personne a le devoir d’honorer les engagements qu’elle a contractés.

Elle est, lorsqu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu’elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l’application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables. »

[34]     Le Tribunal considère qu'à compter du 16 novembre 2021, c'est le nonrespect de la promesse d'achat par les acheteurs potentiels qui a engendré les dommages subséquents du locateur. Si les acheteurs potentiels avaient respecté leurs obligations contractuelles, il n'y aurait pas eu de dommages après cette date et les locataires auraient été libérés de leurs obligations à l’égard du locateur.

[35]     Le locateur a remis la maison à vendre et il a accepté une offre d’achat le 29 janvier 2022. Cette offre prévoyait que la transaction se produirait le 29 avril 2022.

[36]     Le locateur a-t-il minimisé ses dommages?

[37]     Le Tribunal considère que le locateur a agi pour minimiser ses dommages en tentant de vendre la maison le plus rapidement possible, mais le Tribunal ne peut tenir les locataires responsables des loyers perdus après la transaction avortée avec les acheteurs potentiels du 16 novembre 2021.

[38]     En conséquence, le Tribunal rejette la réclamation en dommages pour loyers perdus pour la période subséquente au 16 novembre 2021. Les dommages subis par le locateur ne sont pas une conséquence directe et immédiate du départ des locataires le 31 octobre 2021. Les dommages découlent des agissements des acheteurs potentiels qui n'ont pas respecté leur promesse d’achat. Le locateur aurait dû les poursuivre en vertu de l'article 1458 du Code civil du Québec pour leur réclamer les dommages subis qui découlent de ce bris contractuel, soit les dommages correspondant à la perte du loyer. À cet effet, le Tribunal administratif du logement n’a pas compétence sur cette demande. Le locateur devra prendre un recours devant les tribunaux de droit commun.


[39]     Les locataires sont responsables de payer des dommages au locateur pour l’équivalent des 15 premiers jours du mois de novembre 2021, soit la somme de 575 $.

[40]     Il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision. 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]     ACCUEILLE en partie la demande du locateur;

[42]     CONDAMNE solidairement les locataires à payer au locateur la somme de 575 $ avec les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 24 mai 2022, plus les frais de la demande de 80 $ et de notification prévus au Tarif de 46 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

Michel Huot

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Date de l’audience : 

20 décembre 2022

 

 

 


 

 


[1]  Pièce P-1.

[2]  Pièces L-2 et P-12.

[3]  Pièce L-2, courriel du 21 septembre 2021 du locateur.

[4]  Pièce P-7.

[5]  Pièce P-11, promesse d’achat.

[6]  Pièce P-10, acte de vente.

[7]  Nadeau, André et Ducharme, Léo, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, pages 98 et 99.

[8]  Jobin, Pierre-Gabriel, Le louage, 2e édition, no 116, p. 364.

[9]  Baudouin, Jean-Louis et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 5e édition, no. 826, p. 655.

[10]  Pièces L-2 et P-12.

[11] Pièce P-1.

[12]  Pièces L-2 et P-12.

[13]  Pièce L-2, courriel du 21 septembre 2021 du locateur.

[14]  Pièce P-7.

[15]  Pièce P-11, promesse d’achat.

[16]  Pièce P-10, acte de vente.

[17]  Nadeau, André et Ducharme, Léo, vol. 9, 1965, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, pages 98 et 99.

[18]  Jobin, Pierre-Gabriel, Le louage, 2e édition, no 116, p. 364.

[19]  Baudouin, Jean-Louis et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 5e édition, no. 826, p. 655.

[20]  Pièces L-2 et P-12.

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