Décision

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Lepore c. Pelletier

2024 QCCA 359

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-029781-218

(500-17-108373-195)

 

DATE :

21 mars 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

MARK SCHRAGER, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

ANTONIO LEPORE

APPELANT – défendeur

c.

 

BERNARD PELLETIER, en sa qualité de Syndic adjoint de l’Ordre des ingénieurs du Québec et en reprise d’instance de JOCELYN MILLETTE, autrefois intimé en reprise d’instance de PATRICK-MARTIN BADER

INTIMÉ – tiers intervenant

et

METSO MINERALS CANADA INC.

MISE EN CAUSE – demanderesse

CLIVE HEATH

PAWEL TARNOWSKI

TÄASK INDUSTRIAL SOLUTIONS INC.

MIS EN CAUSE – défendeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 22 octobre 2021 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Johanne Mainville). La juge accueille une demande de la mise en cause Metso Mineral Canada inc. visant à permettre l’usage de documents sous scellés et à relever Metso et l’intimé de l’engagement implicite de confidentialité relatif à des interrogatoires préalables des mis en cause Clive Heath et Pawel Tarnowski.

[2]                Pour les motifs du juge Vauclair auxquels souscrit la juge Baudouin et pour les motifs concourants du juge Schrager, LA COUR :

[3]                REJETTE l’appel avec les frais de justice.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARK SCHRAGER, J.C.A.

 

 

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

Me Katherine Labelle

Me Michel Pelletier

ME MICHEL PELLETIER

Me Carmelo Morabito

CARMELO MORABITO, AVOCAT

Pour Antonio Lepore

 

Me François Montfils

THERRIEN COUTURE JOLI-CŒUR

Pour Bernard Pelletier, en sa qualité de Syndic adjoint de l’Ordre des ingénieurs du Québec et en reprise d’instance de Jocelyn Millette, autrefois intimé en reprise d’instance de Patrick-Martin Bader

 

Me Mélanie Sauriol

DS AVOCATS CANADA

Pour Metso Minerals Canada inc.

 

Me Julien Lussier

IMK

Pour Clive Heath, Pawel Tarnowski et Täask Industrial Solutions inc.

 

Date d’audience :

4 décembre 2023

Date du délibéré : 8 décembre 2023


 

MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR

 

 

[4]                Tout en rejoignant mon collègue sur certaines questions que soulève l’appel et la conclusion proposée, je propose des motifs différents sur certains aspects.

[5]                D’une part, l’appel met en cause l’utilisation par l’intimé, le Syndic adjoint de l’Ordre des Ingénieurs du Québec, de renseignements propriétés de Metso, qui lui ont été remis par Metso. Ces renseignements avaient également été recueillis lors de l’exécution d’une ordonnance de type Anton Piller chez Lepore, puis mis sous scellés. Aucune des parties ne conteste la décision d’avoir initialement rendu l’ordonnance Anton Piller. D’autre part, l’appel met en cause la possibilité pour le Syndic d’utiliser des notes d’interrogatoires au préalable obtenus de deux mis en cause, Clive Heath et Pawel Tarnowski.

[6]                La procédure entreprise par Metso et le Syndic me semble discutable, comme je l’expliquerai plus bas, mais le résultat est le même. En effet, l’intervention du Syndic adjoint n’était pas nécessaire, ce dernier n’étant visé par aucune interdiction d’utiliser la documentation en cause une fois celle-ci reçue de Metso. Pour ce motif, comme mon collègue, je n’interviendrais pas.

[7]                Comme le note la juge, l’ordonnance du juge Nollet, j.c.s., ne vise pas Metso, mais oblige les défendeurs en première instance de ne pas utiliser les documents de Metso et prévoit de mettre sous scellés les pièces contenant des informations appartenant à Metso. Elle est reprise au paragraphe 25 de la décision Metso Minerals Canada inc. c. Lepore, 2021 QCCS 4485, portée en appel. Voici des extraits pertinents :

REFRAIN, CEASE and DESIST from, in any way whatsoever, … or using any, or any substantial part, in any material form, of Plaintiff's Information consisting of: [suit une liste générique de documents]

ORDERS that the Exhibits containing Plaintiff's Information be sealed;

[8]                Le premier constat est qu’aucune ordonnance ne vise la procédure Anton Piller elle-même. En ce qui concerne les documents qui se trouvent sous scellés, je partage la conclusion de mon collègue. Je suis d’accord avec la juge d’instance qui conclut que Metso pouvait les remettre au Syndic adjoint puisque l’ordonnance de scellés n’est pas une interdiction de non-divulgation de ce qui ne se trouve pas dans le dossier judiciaire : Metso Minerals Canada inc. c. Lepore, 2021 QCCS 4485, aux par. 67-70 et 73-76, citant notamment Sherman (Succession) c. Donovan, [2021] 2 R.C.S. 75, par. 88.

[9]                Contrairement à la prétention de l’appelant, la communication au Syndic adjoint des documents par Metso, en l’espèce, ne contrevient pas à l’usage restreint des renseignements recueillis dans le cadre d’une ordonnance Anton Piller et dont il est question dans l’arrêt Celanase : Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., [2006] 2 R.C.S. 189, au par. 40 et la jurisprudence citée.

[10]           J’ajoute que, dans la présente affaire, l’ordonnance de mise sous scellés de la Cour supérieure, rendue au terme du litige, interdit aux tiers l’accès aux pièces déposées au dossier, mais elle n’empêche certainement pas son propriétaire de les utiliser. La jurisprudence anglaise confirme ce résultat lorsque les choses recueillies à la suite de l’exécution d’une ordonnance Anton Piller sont la propriété du saisissant : Process Development v Hogg [1996] FSR 45. Dans cette affaire, la Cour a rejeté l’argument de l’usage restreint et a confirmé la communication des documents à la police.

[11]           Je reconnais que la même jurisprudence semble parvenir à un résultat différent lorsqu’il s’agit de copies de documents appartenant au saisissant : IG Index Ltd v Cloete, [2014] EWCA Civ 1128. Il n’y a pas lieu ici de se lancer dans l’analyse des nuances de cette jurisprudence qui autrement appuie la situation en l’espèce.

[12]           Bien que cette question ne semble pas avoir retenu l’attention des tribunaux, je suis d’avis que la pratique d’inclure dans l’ordonnance Anton Piller une limitation à l’usage des renseignements recueillis est avant tout destinée à protéger la vie privée de la partie visée par l’ordonnance, compte tenu de sa nature parfois intrusive et de son application. Elle doit répondre aux circonstances particulières de chaque affaire. Il ne peut pas s’agir d’une condition qui bloque toute utilisation des documents, indépendamment de leur nature et du contexte.

[13]           En l’espèce, les renseignements qui intéressent le Syndic adjoint n’émanent aucunement de l’appelant Lepore et ce dernier ne peut prétendre à aucune attente de vie privée à leur égard.

[14]           Dans le contexte où le juge Nollet impose des restrictions absolues à Lepore d’utiliser les documents, la difficulté pour ce dernier de se défendre apparaît évidente lorsque vient le temps de faire face à la procédure disciplinaire, notamment pour recevoir et prendre connaissance des documents qui doivent lui être remis dans le cadre de la communication de la preuve. En revanche, les ordonnances prononcées visent à protéger les intérêts de Metso qui peut toujours y renoncer. Cette renonciation apparaît également évidente si les documents sont remis au Syndic en vue de l’instance disciplinaire qui pourra prononcer des ordonnances utiles. Ces réalités aident la Cour supérieure qui devra décider si elle lève l’ordonnance interdisant à Lepore d’utiliser les documents en question.

[15]           Face à cette situation, la juge a conclu qu’il devenait nécessaire au Syndic adjoint d’obtenir l’autorisation de la Cour supérieure pour y parvenir. Toutefois, à mon avis, le Syndic demeure étranger au problème créé par l’ordonnance. Les tiers ne sont pas visés par des restrictions autrement que celle interdisant l’accès aux pièces scellées dans le dossier judiciaire. Comme je l’ai expliqué, en l’espèce, cette dernière difficulté est résolue. Certes, Metso pouvait certainement rechercher la modification de l’ordonnance qui interdit à Lepore d’utiliser les documents, mais il me semble que, dans les circonstances, la démarche appartenait à Lepore afin d’assurer sa défense. Je doute qu’elle relève, en soi, de la responsabilité du syndic.

[16]           Lepore prétend que la levée des scellés était nécessaire non pas pour faire la preuve du contenu des pièces, mais pour démontrer le fait que ces documents ont été saisis entre ses mains. Mon collègue se dit d’accord, mais il ne s’y attarde pas puisque cette question n’est pas formellement attaquée en appel.

[17]           Pour ma part, avec égards, je suis en désaccord. La possession des documents est selon moi une question de fait extrinsèque à l’ordonnance qui n’est pas elle-même confidentielle. La démonstration de la possession des documents n’est aucunement affectée par les ordonnances rendues, la confidentialité ou l’usage restreint qui entourent les fruits résultant de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller : Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., [2006] 2 R.C.S. 189, au par. 40 et la jurisprudence citée. Je réitère l’affaire Process Development v. Hogg [1996] FSR 45 qui n’y voit pas d’obstacle en vertu des principes régissant l’usage restreint découlant des ordonnances Anton Piller.

[18]           Enfin, quant aux notes des interrogatoires de Heath et Tarnowski, je suis d’accord avec mon collègue que Metso a eu raison de rechercher l’autorisation de la Cour, mais cette demande est devenue théorique lorsque les détenteurs du privilège, Heath et Tarnowski, y ont renoncé : Juman c. Doucette, [2008] R.C.S. 157, par. 30 et 51; Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., [2001] 2 R.C.S. 743, par. 77; voir aussi Garmaise c. Scotia Capital inc., 2012 QCCS 5946, par. 20-24; Ciolfi c. Scotia Capital inc., 2017 QCCS 3708, par. 12-16

[19]           Je suis également d’accord avec mon collègue que le consentement exprimé après la remise des notes au Syndic adjoint n’y change rien. La communication des notes avant d’avoir le consentement requis soulève peut-être d’autres questions, mais ce consentement répond entièrement à l’abandon du caractère confidentiel implicite.

[20]           En dernier lieu, je conviens avec mon collègue que le caviardage ordonné par la juge est, dans ce contexte, inutile. J’ajoute que, sans en connaître l’étendue, l’expérience judiciaire nous apprend que les demandes de « décaviardage » accaparent souvent les ressources judiciaires limitées et, par conséquent, le « caviardage » devrait être ordonné avec prudence. Lorsque l’information est accessible, ici en raison du consentement du détenteur de la protection, le « caviardage » paraît inutile, sauf peut-être sur des points très précis que dictera le contexte. Cette question n’est cependant pas soulevée en appel et il n’y a pas lieu d’intervenir.

[21]           En somme, comme mon collègue, je rejetterais l’appel

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.


 

 

MOTIFS DU JUGE SCHRAGER

 

 

[22]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 22 octobre 2021 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Johanne Mainville). La juge accueille une demande de la mise en cause Metso Mineral Canada inc. (« Metso ») visant à permettre l’usage de documents sous scellés et à relever Metso et l’intimé de l’engagement implicite de confidentialité relatif à des interrogatoires préalables des mis en cause Clive Heath (« Heath ») et Pawel Tarnowski (« Tarnowski »)[1].

[23]           L’intimé est le syndic adjoint de l’Ordre des ingénieurs du Québec (« OIQ »). Le pourvoi émane de l’intervention de l’intimé dans un dossier opposant Metso et l’appelant, après qu’un règlement mettant fin au litige fut intervenu entre eux. L’intervention de l’intimé vise à être autorisé à accéder aux documents sous scellés dans le dossier de la Cour et obtenus à la suite d’une ordonnance de type Anton Piller et aux interrogatoires préalables qui y ont été tenus. Une brève mise en contexte s’impose.

[24]           Le 18 juin 2019, Metso dépose une demande modifiée en injonction permanente et pour le prononcé d’une ordonnance de type Anton Piller contre l’appelant et les mis en cause Heath, Tarnowski et Täask Industrial Solutions inc. (« Täask »). Metso allègue essentiellement que l’appelant, un ancien employé qui avait accès aux bases de données de celle-ci, a téléchargé un nombre considérable d’informations techniques et de dossiers clients avant de quitter son emploi et de s’associer avec les mis en cause Heath et Tarnowski (eux-mêmes des anciens employés de Metso), pour former l’entreprise Täask Industrial Solutions inc., qui offre des services semblables à ceux offerts par Metso. Des interrogatoires sont tenus à la fin juillet.

[25]           Dans une lettre du 12 août 2019, les parties conviennent d’un règlement hors cour par lequel l’appelant et les mis en cause Heath, Tarnowski et Täask s’engagent à ne plus rendre certains services, à ne pas utiliser les informations confidentielles appartenant à Metso et à lui verser des dommages-intérêts. Une transaction qui reprend les termes du règlement est signée le jour suivant, sans admission de responsabilité.

[26]           Le 15 août 2019, le juge Nollet homologue la transaction du 12 août 2019 et rend notamment l'ordonnance « that the Exhibits containing Plaintiff’s Information be sealed », visant des pièces obtenues à la suite de l’exécution de l’ordonnance de type Anton Piller. Le juge ordonne notamment à Lepore, Heath, Tarnowski et Täask, de ne pas utiliser ou diffuser les documents de Metso « in any way whatsoever, divulging, disclosing, transmitting, transferring, printing, selling, leasing, sharing, offering, giving, producing, reproducing or using any, or any substantial part, in any material form () ».

[27]           Le 26 août 2019, Metso dépose des demandes d’enquêtes disciplinaires contre l’appelant et le mis en cause Tarnowski auprès de l’OIQ. Les documents recueillis dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance de type Anton Piller et les transcriptions d’interrogatoires préalables des mis en cause Heath et Tarnowski sont alors transmis par Metso au syndic adjoint. En novembre 2020, le syndic de l’OIQ dépose une plainte disciplinaire contre l’appelant devant le Conseil de discipline de l’OIQ, avec, en annexe, une liste de pièces incluant copie des documents que lui a remis Metso, mais qui se retrouvent aussi sous scellés dans le dossier de la Cour. Le 21 février 2021, l’appelant dépose une demande en rejet de la plainte, alléguant notamment que la preuve transmise à son soutien tombait sous le coup d’une ordonnance de mise sous scellés et rendait celle-ci illégale.

[28]           Le 21 avril 2021, Metso dépose une demande de bene esse afin d’obtenir la levée des scellés. Le 23 avril 2021, l’intimé dépose un acte d’intervention volontaire à titre agressif pour appuyer la demande de Metso et pour que soit prononcée la levée de bene esse du devoir implicite de confidentialité des interrogatoires préalables de Heath et Tarnowski.

[29]           Les mis en cause Heath et Tarnowski consentent à la demande de levée des scellés et à l’utilisation de leur témoignage hors cour dans l’instance disciplinaire.

I.                   JUGEMENT ENTREPRIS

[30]           La juge conclut que l’intimé a l’intérêt juridique pour intervenir au litige, soulignant la fonction de l’OIQ d’assurer la protection du public, ses larges pouvoirs d’enquête, le fait qu’il peut notamment obliger des tiers à fournir les documents nécessaires aux fins d’enquête ainsi que l’obligation de l’OIQ de divulgation de la preuve à l’égard de l’appelant.

[31]           La juge conclut que la Cour supérieure a compétence pour entendre les demandes de l’intimé et de Metso, suivant l’arrêt Société Radio-Canada c. Manitoba[2], qui permet à une cour de réexaminer une ordonnance de mise sous scellés lorsqu’il y a un changement important de circonstances. Puisque l’enquête menée par l’intimé est un fait inconnu lorsque le juge Nollet rend son jugement, cette enquête constitue un tel changement important de circonstances permettant le réexamen de l’ordonnance de mise sous scellés. La juge conclut de plus que l’intimé est une personne intéressée vu son rôle et qu’elle a agi avec célérité, soit en l’espèce à l’intérieur d’un délai de cinq mois. Surtout, selon la juge, le délai n’a pas causé de préjudice réel à l’appelant.

[32]           À ce sujet, la juge souligne que l’ordonnance de mise sous scellés a pour objectif d’empêcher l’accès au dossier de la Cour supérieure par des tiers et que les défendeurs - l’appelant et les mis en cause Heath, Tarnowski et Täask - sont également visés par une ordonnance interdisant quelque diffusion de ces informations. Elle constate que l’ordonnance de mise sous scellés du juge Nollet concerne les pièces et les informations qui appartiennent à Metso et qui ont été produites dans le dossier de la Cour. Même si les documents en question faisaient l’objet d’une ordonnance de mise sous scellés, la juge estime que Metso avait autrement en sa possession ces mêmes documents dont elle était propriétaire et qu’elle pouvait donc les partager sans nécessairement accéder au dossier de la cour. Ce constat s’appuie non seulement sur le fait que certains des documents lui appartenaient, mais aussi sur le fait non contesté que l’avocat superviseur de l’exécution de l’ordonnance de type Anton Piller a remis aux parties les biens qui leur appartenaient. Enfin, la juge indique que les documents sous scellés ne satisfont pas au test Wigmore puisque l’appelant ne démontre pas que le dommage causé par la divulgation des documents dans le cadre disciplinaire serait plus grand que le bénéfice réalisé par la non-divulgation.

[33]           En définitive, la juge conclut que Metso n’avait donc pas besoin de la levée des scellés pour communiquer les documents à l’intimé puisqu’elle les détenait autrement qu’en ayant accès au dossier de la Cour[3]. Par contre, elle estime que l’intimé avait besoin d’une autorisation judiciaire pour communiquer les documents à l’appelant et à son procureur dans le cadre de la divulgation de la preuve, puisque leur usage est restreint par l’ordonnance du tribunal.

[34]           La juge conclut enfin que Metso ne pouvait transmettre à l’intimé les transcriptions d’interrogatoires, même si l’appelant n’était pas l’une des personnes interrogées. Toutefois, puisque les mis en cause Heath et Tarnowski consentent à cette transmission, elle détermine que l’interrogatoire préalable peut être transmis, mais expurgé de toute réponse qui fait état des actes répréhensibles de l’appelant.

II.                 DISCUSSION

i)                    L’intérêt de l’intimé d’intervenir

[35]           En premier lieu, l’appelant conteste l’intérêt de l’intimé à intervenir dans le dossier en vertu des articles 184 et s. C.p.c.

[36]           La juge constate le devoir de l’intimé de protéger le public et ses pouvoirs d’exiger des documents et renseignements des tiers. Elle fait état aussi de son devoir de divulgation complète de la preuve à l’appelant dans le cadre des procédures disciplinaires. Tout ceci amène la juge à conclure que l’intimé possède l’intérêt vraisemblable pour accueillir son intervention pour faciliter l’accès de l’intimé aux documents sous scellés et aux notes sténographiques des interrogatoires de Heath et Tarnowski. Je ne décèle pas une erreur révisable dans l’exercice de cette discrétion par la juge, qui mérite la déférence[4].

ii)                 Est-ce que l’intimé a agi avec la célérité nécessaire?

[37]           La juge ne commet pas non plus d’erreur révisable en concluant que l’intimé a agi avec la célérité requise par la Cour suprême dans l’arrêt Société Radio-Canada[5] afin de demander la révision de l’ordonnance de mise sous scellés[6].

[38]           Sa conclusion selon laquelle le délai n’est pas déraisonnable s’appuie sur « les circonstances dans la présente affaire, la nature des questions soulevées et l’absence de preuve que ce délai aurait causé un préjudice réel au défendeur Lepore »[7]. D’ailleurs, pendant les cinq mois écoulés entre novembre 2020 et avril 2021, le dossier disciplinaire n’a pas progressé en attente de la position de l’appelant quant aux documents en question, position qui prend finalement la forme d’une requête en rejet déposée en février 2021.

iii)               La divulgation des documents

[39]           La juge ne commet pas davantage d’erreur révisable en statuant que Metso pouvait transmettre à l’intimé les documents pertinents en sa possession, malgré que des copies de ces mêmes documents aient été mises sous scellés dans le dossier de la Cour à la suite de l’exécution de l’ordonnance de type Anton Piller. En l’espèce, ces documents ne sont pas visés au sens strict par la restriction d’« usage restreint » mentionnée par la Cour suprême dans l’arrêt Celanese[8], car les originaux des documents visés ne sont pas sous scellés dans le dossier de la Cour supérieure, mais en  possession de Metso.

[40]           En l’espèce, il est évident que l’ordonnance de mise sous scellés a été prononcée pour empêcher l’accès aux documents confidentiels de Metso par l’appelant (et les mis en cause Heath et Tarnowski) ainsi que les tierces personnes afin de protéger la propriété intellectuelle ou d’autres informations confidentielles de Metso.

[41]           Je ne peux toutefois souscrire à la conclusion de la juge d’instance selon laquelle les demandes de levée des scellés formulées par Metso et l’intimé sont inutiles étant donné le droit qu’avait Metso de transmettre les documents visés par cette ordonnance à l’intimé[9]. L’utilité pour l’intimé d’obtenir la levée de la mise sous scellés ne vise pas tant l’obtention des documents comme tel, (puisqu’il les a déjà), mais un moyen de mettre en preuve devant l’instance disciplinaire le fait que ces documents ont été saisis entre les mains de l’appelant. Cette conclusion ne fait toutefois pas l’objet de l’appel ou d’un appel incident et la juge a souligné qu’elle aurait ordonné la levée des scellés si elle avait estimé qu’une telle ordonnance était nécessaire. D'ailleurs, tel que mentionné ci-avant, l'obligation de divulguer la preuve devant l'instance disciplinaire peut obliger l'intimé à communiquer les documents à l'appelant, sous réserve des conditions que le comité de discipline peut ordonner. De plus, je souligne que la Cour n’est pas saisie de questions d’admissibilité ou de la valeur probante de ces documents (ou des transcriptions d’interrogatoires discutées ci-après) qui pourront, le cas échéant, faire l’objet d’un débat devant un comité de discipline ou tout autre tribunal. Il n’y a donc pas lieu d’intervenir à cet égard.

iv)               La transmission des transcriptions des interrogatoires

[42]           En dernier lieu, la juge ne commet pas d’erreur révisable en exerçant sa discrétion d’ordonner la transmission partielle des interrogatoires préalables des mis en cause Heath et Tarnowski à l’intimé.

[43]           La juge réitère le principe de la confidentialité implicite des interrogatoires préalables dans un litige civil établi par la Cour suprême dans les causes de Lac d’amiante et Juman[10].

[44]           En principe, les interrogatoires préalables ne peuvent être utilisés dans une autre instance pour d’autres fins ou être divulgués à des tiers si l’interrogatoire n’a pas été déposé dans le dossier dans lequel l’interrogatoire a été tenu[11]. L’engagement vise avant tout à limiter l’atteinte à la vie privée à l’étape préalable à l’instance[12], dans un contexte où les interrogatoires préalables sont de nature exploratoire et large en étendue[13] et sont conduits hors de la présence du tribunal[14]. Un second objectif est d’« éviter qu’une partie hésite à dévoiler une information par crainte de l’usage accessoire qui en serait fait »[15].

[45]           La confidentialité implicite subsiste après la fin du litige[16]. L’autorisation expresse de la cour est nécessaire pour sortir de ce cadre[17]. Toutefois, l’autorisation judiciaire n’est requise que lorsque la partie interrogée ne consent pas à sa diffusion, puisque l’engagement existe pour la protection de l’adversaire interrogé[18] :

Ainsi, en cas de nonconsentement de la partie interrogée, la partie liée par l’engagement peut demander au tribunal l’autorisation d’utiliser les renseignements ou les documents pour une autre fin que celle de l’action […][19].

[Soulignement ajouté]

[46]           En l’espèce et comme la juge le constate, les mis en cause Heath et Tarnowski – les parties interrogées – avaient consenti à la levée de l’engagement implicite de confidentialité. Cette constatation pouvait mettre fin à l’analyse, sauf que, selon la preuve dans le dossier d’appel, leur consentement aurait été donné après le fait, c’est-à-dire après que l’intimé eut eu accès à ces interrogatoires. Compte tenu de ce qui précède, la juge a considéré qu’une autorisation judiciaire était nécessaire.

[47]           Selon les circonstances, un tribunal peut exceptionnellement lever l’engagement de confidentialité si l’intérêt supérieur de la justice surpasse l’engagement implicite[20]. Ces exceptions sont accordées avec parcimonie[21]. Un tribunal doit, en fin de compte, soupeser les avantages de lever l’engagement et le préjudice qu’en subirait la partie affectée par la divulgation[22].

[48]           Devant le consentement des deux parties interrogées, même après la transmission des transcriptions, on peut s’interroger sur la nécessité d’obtenir une autorisation judiciaire ainsi que sur celle d’avoir exigé un caviardage de certains passages. Toutefois, la Cour ne décèle pas d’erreur révisable dans l’exercice de la discrétion par la juge. L’intérêt public du processus disciplinaire et la protection du public ont primé sur l’intérêt de l’engagement implicite de confidentialité des interrogatoires. D’ailleurs, si un préjudice existe, il concerne les mis en cause Heath et Tarnowski, lesquels ont consenti à ce que leurs interrogatoires soient divulgués. Puisque la juge ordonne le caviardage des passages concernant l’appelant, ce dernier ne subit aucun préjudice.

* * *

[49]           Pour tous ces motifs, je propose de rejeter l'appel avec les frais de justice.

 

 

 

MARK SCHRAGER, J.C.A.

 


[1]   Metso Minerals Canada inc. c. Lepore, 2021 QCCS 4485 [jugement entrepris].

[2]   Société RadioCanada c. Manitoba, 2021 CSC 33 [Société Radio-Canada].

[3]   Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 76.

[4]   R.S. c. P.R., 2019 CSC 49, paragr. 79 et 93; Delisle c. Almaviva Santé, 2021 QCCA 734, paragr. 16-17.

[5]   Société RadioCanada, supra, note 2, paragr. 22, 49 et 122.

[6]   Id., paragr. 36-40.

[7]   Jugement entrepris, supra, note 1, paragr. 62.

[8]   Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2006 CSC 36, [2006] 2 R.C.S. 189, paragr. 40.

[9]   À cet égard, voir Gauthier c. Guimont, 2010 QCCA 2011, paragr. 44-45, demande à la Cour suprême rejetée no 34015.

[10]   Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51 [Lac d’Amiante]; Juman c. Doucette, 2008 CSC 8 [Juman].

[12]   Lac d'Amiante, supra, note 10, paragr. 42, 60 et 68-69.

[13]   Id., paragr. 56, 60, 63 et 73.

[14]   Id., paragr. 63.

[15]   Lac d'Amiante, supra, note 10, paragr. 60 et 73; Juman, supra, note 10, paragr. 26.

[16]   Lac d'Amiante, supra, note 10, paragr. 75.

[17]  Id., paragr. 42.

[18]   Id., paragr. 64.

[19]   Juman, supra, note 10, paragr. 30 et 51.

[20]   Lac d'Amiante, supra, note 10, paragr. 75; Juman, supra, note 10, paragr. 32.

[21]   Lac d'Amiante, supra, note 10, paragr. 76.

[22]  Lac d'Amiante, supra, note 10, paragr. 76; Juman, supra, note 10, paragr. 33-34.

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