Décision

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Lutolli c. Appartement DSM inc.

2024 QCTAL 13361

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Laval

 

Nos dossiers :

583816 36 20210816 G

687726 36 20230306 G

Nos demandes :

3320456

3832118

 

 

Date :

28 mars 2024

Devant la juge administrative :

Sylvie Lambert

 

Buqe Lutolli

 

Locataire - Partie demanderesse

(583816 36 20210816 G)

Partie défenderesse

(687726 36 20230306 G)

c.

Les Appartement DSM Inc.

 

Locateur - Partie défenderesse

(583816 36 20210816 G)

Partie demanderesse

(687726 36 20230306 G)

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le Tribunal est saisi de deux dossiers.

[2]         Le 16 août 2021, la locataire introduit un recours par lequel elle demande la résiliation du bail pour logement impropre à l’habitation, le remboursement du loyer du mois d’août 2021, l’exécution provisoire de la décision malgré l’appel, plus les frais.

[3]         Le 6 juin 2023, le locateur réclame le loyer perdu du mois d’octobre 2021, des frais de publicité (120,23 $), ainsi que des frais de dépistage (57,49 $).

[4]         À l’audience, le locateur se désiste de ses réclamations pour les frais de publicité et de dépistage.

[5]         Les deux dossiers sont réunis pour audience et preuve commune, suivant l’article 57 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[1] (LTAL).

La preuve

[6]         Il s’agit d’un bail du 1er août 2021 au 31 juillet 2022 au loyer mensuel de 802 $.

[7]         À la signature du bail, la locataire paie le premier mois de loyer. Ceci n’est pas contesté.

[8]         Le logement concerné est un 3½ pièces, situé au deuxième étage d’un immeuble qui comporte environ 50 logis.


[9]         Lorsqu’elle visite le logement avant la signature du bail, le logement est bondé d’effets et des ballons de fête jonchent le sol et les meubles. La locataire souligne qu’elle ne pouvait voir ce qu’elle découvrira par la suite.

[10]     Le dimanche 1er août, la locataire se rend au logement avec son ex-conjoint et sa fille pour y faire un nettoyage avant d’emménager dans les lieux. Son ex-conjoint remplace la serrure.

[11]     Lorsque sa fille ouvre les armoires de cuisine, une invasion de coquerelles se produit. Les coquerelles vivantes se promènent. Sur Les photos mises en preuve, on peut dénombrer environ une vingtaine de spécimens[2].

[12]     Puisque le 1er août est jour férié, le bureau du locateur est alors fermé. Dès le lendemain, la locataire se rend au bureau du locateur.

[13]     Elle fait part de sa découverte au représentant du locateur et lui demande si quelque chose peut être fait rapidement pour éradiquer les coquerelles. Le représentant du locateur lui répond qu’il ne peut rien faire pour le moment et qu’elle doit attendre deux semaines puisque la personne responsable de ce genre de situation est en vacances.

[14]     La locataire témoigne que le représentant du locateur lui a également dit qu’il avait trouvé seulement deux coquerelles dans le logement et qu’il les avait enlevées avec sa main. Il lui a également déclaré qu’un traitement avait été fait il y a un mois ou deux.

[15]     Lors de cette rencontre du 2 août, elle avise le représentant du locateur que, compte tenu des circonstances, elle refuse de prendre possession du logement et lui remet les clés.

[16]     La locataire témoigne de l'anxiété et du stress que lui a causé la situation. Elle déclare s’être sentie piégée.

[17]     Elle explique qu’elle a conservé, par dépit, son ancien logement.

[18]     Elle reproche au locateur de ne pas l’avoir avisé de la problématique présente dans l'immeuble lors de la visite des lieux et lors de la conclusion du bail.

[19]     Après s’être informée auprès d’un organisme venant en aide aux locataires, elle fait parvenir au locateur une mise en demeure, en date du 5 août pour l’aviser, par écrit, de son refus de prendre possession du logement et pour obtenir le remboursement du premier mois de loyer.

[20]     Le 16 août suivant, elle entreprend le présent recours.

[21]     En défense, la mandataire du locateur produit le rapport de l’exterminateur du 11 août 2021. Ce rapport indique « nulle » sous la rubrique « degré infestation ». On y trouve également les mentions suivantes :

« - On a trouvé des blattes MORTS sur la trappe collante en dessous le four

- On a traité l’appartement avec l’acide borique et mets en place un réseau des trappes collantes pour surveillance. »

[Reproduit tel quel]

[22]     La mandataire du locateur soutient que le locateur a agi avec diligence après la mise en demeure de la locataire du 5 août et que le logement était exempt de coquerelles dès le 11 août, comme l’indique le rapport de l’exterminateur. Elle soutient que la locataire a agi de façon précipitée en refusant de prendre possession des lieux et lui réclame le loyer perdu du mois de septembre.

[23]     À cela, la locataire rétorque que le locateur ne l’a jamais avisée qu’un traitement avait été effectué le 11 août et qu’il n’y avait plus de coquerelles dans le logement.

Analyse et conclusion

Le fardeau de preuve

[24]     Devant les instances civiles et selon les dispositions des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec (C.c.Q.), il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante.


[25]     Si une partie ne s'acquitte pas de son fardeau de convaincre le Tribunal ou que ce dernier soit placé devant une preuve contradictoire, c'est cette partie qui succombera et verra sa demande rejetée. Enfin, selon l'article 2845 C.c.Q., la force probante des témoignages est laissée à l'appréciation du Tribunal.

L’obligation de délivrance

[26]     Le locateur a l'obligation de délivrer un logement en bon état de réparation de toute espèce[3]. Il est tenu également de délivrer le logement en bon état d’habitabilité et de le maintenir ainsi pendant toute la durée du bail[4].

[27]     Dans l’affaire Duval c. Fortin[5], le juge administratif Marc Landry énonce ainsi les règles de droit applicables quant à l’obligation de délivrance :

« [6] L'obligation de délivrance consiste en la remise du logement à la disposition du locataire de manière à ce qu'il puisse en tirer la jouissance paisible à laquelle il a droit.

[7] Le logement doit être délivré en bon état de réparation, d'habitabilité, de propreté et il doit être propre à l'habitation(2).

[8] La délivrance doit se réaliser à la date convenue.

[9] Le locataire a droit à un logement décent lors de la délivrance.

[10] La jurisprudence et la doctrine ont établi que les obligations du locateur lors de la délivrance du logement sont des obligations de résultat (3).

[11] La notion de délivrance implique que les travaux de réparation doivent normalement être terminés au moment où le bien est mis à la disposition du locataire(4).

[12] Le locataire peut refuser de prendre possession d'un logement lorsque celui-ci est impropre à l'habitation ou lorsque l'inexécution d'une obligation du locateur relative au logement est grave ou substantielle et qu'elle lui cause un préjudice sérieux.

[13] Si le logement est impropre à l'habitation, l'article 1914 du Code civil du Québec autorise le refus d'en prendre possession et la résiliation du bail s'opère alors de plein droit. L'article 1863 du Code civil du Québec ouvre quant à lui la porte à la résiliation du bail pour les autres cas d'inhabitabilité substantielle du logement ou d'inexécution substantielle(5) des obligations du locateur lors de la délivrance et qui cause un préjudice sérieux(6) au locataire.

[14] En conséquence, un défaut ou une réparation de moindre importance (non effectuée ou en train de se faire) ne saurait justifier un refus de prise de possession(7). »

[Notre soulignement- références omises]

[28]     Dans l’affaire Klingender c. Rolland[6], le Tribunal conclut ceci quant à l’analyse que peut faire le Tribunal lorsque saisi d’une demande en résiliation de bail pour logement impropre :

« [37] Lorsque le Tribunal rejette une demande de résiliation de bail pour logement impropre à l'habitation, il lui est cependant permis d'évaluer d'office, si les inexécutions des obligations d'un locateur établies ne pourraient pas causer un préjudice sérieux au locataire(4). Il s'agirait en quelque sorte d'une demande moindre et incluse de résiliation de bail générale. C'est la conclusion à laquelle la Cour du Québec en est arrivée dans la cause Martin c. Lavoie. »

[29]     En l’espèce, le logement était-il impropre à l’habitation ?

[30]     La locataire demande la résiliation du bail pour logement impropre à l’habitation en vertu de l'article 1972 du Code civil du Québec (C.c.Q.).

[31]     Pour convaincre le Tribunal du caractère impropre du logement, la locataire doit prouver que l'état du logement constituait une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, comme le prévoit l'article 1913 C.c.Q. :

« 1913. Le locateur ne peut offrir en location ni délivrer un logement impropre à l'habitation.

Est impropre à l'habitation le logement dont l'état constitue une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, ou celui qui a été déclaré tel par le tribunal ou par l'autorité compétente. »


[32]     En l’instance, la présence des coquerelles dans un logement ne constitue pas, de l’avis du Tribunal, une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants. Le logement n’était pas impropre à l’habitation au sens de l’article 1913 C.c.Q.

[33]     Toutefois, la preuve démontre que le locateur a fait défaut de respecter son obligation de délivrer le logement en bon état d'habitabilité.

[34]     Quant à la notion d’inhabitabilité, dans l’affaire Thinh c. Rabel-Loukamarc[7] mon collègue, le juge administratif Robin-Martial Guay s’exprime comme suit :

« [32]   Quant à la notion de bon état d’habitabilité, il faut dire qu’il n’existe aucune définition dans le cadre législatif du louage résidentiel. Ce faisant, la tâche de circonscrire la notion de bon état d’habitabilité appartient aux autorités doctrinales et judiciaires.

[33]   À ce chapitre, la définition du logement impropre à l’habitation s’est révélée un élément important pour l’interprétation de l’expression de bon état d’habitabilité.

[34]   Un logement qui n’est pas en bon état d’habitabilité pourra, en certain cas, être jugé impropre à l’habitation. Pour autant, il vaut de souligner que ce ne sont pas tous les logements en mauvais état d’habitabilité qui sont impropres à l’habitation.

[35]   En effet, il peut s’avérer qu’un logement peut ne pas satisfaire à la norme généralement acceptée en matière d’habitation sans pour autant constituer un logement impropre à l’habitation du seul fait qu’il ne constitue pas une menace sérieuse pour la santé ou la sécurité des occupants ou du public, tel que l’exige l’alinéa 2 de l’article 1913 du Code civil du Québec.

[36]   Les critères qui doivent guider le Tribunal pour conclure au mauvais état d’habitabilité du logement sont certes plus souples et plus larges que ceux requis pour déclarer un logement impropre à l’habitation.

[37]   En plus de l’article 1913 C.c.Q., il importe de souligner la contribution de l’article 1912 C.c.Q. pour l’interprétation de la notion d’habitabilité. Cette disposition démontre qu’il existe un régime sévère quant aux obligations que doivent respecter le locateur et le locataire sur le bon état d’habitabilité du logement. »

[35]     La présence d’une infestation de coquerelles ne satisfait certainement pas à la « norme généralement acceptée en matière d’habitation », tel qu’énoncée dans cette affaire. Les photos produites démontrent la présence de nombreuses coquerelles.

[36]     Le défaut du locateur de délivrer le logement en bon état d’habitabilité a causé, en l’espèce, un préjudice sérieux à la locataire, dont le stress et l’anxiété dont elle a témoigné. La locataire a dû se revirer rapidement pour annuler son déménagement et conserver son ancien logement.

[37]     La mandataire du locateur soutient que le locateur a réagi rapidement en mandatant un exterminateur le 11 août, soit quelques jours après la réception de la mise en demeure du 5 août de la locataire.

[38]     Le Tribunal retient que c’est plutôt le 2 août 2021 que le locateur a été avisé de la problématique et qu’il aurait dû réagir dès ce moment.

[39]     Le Tribunal donne foi au témoignage sincère et détaillé de la locataire quant au fait que, si le locateur s’était engagé, dès le 2 août, à remédier à la situation rapidement et qu’il avait agi en conséquence, elle aurait accepté de prendre possession du logement.

[40]     L’obligation de délivrer le logement en bon état d’habitabilité est, rappelons-le, une obligation de « résultat »[8]. Ainsi, les moyens pris par le locateur ou sa connaissance réelle ou présumée ne sont pas pertinents[9].

[41]     Le Tribunal est d’avis que le fait d’avoir livré le logement en état d’inhabitabilité substantielle, sans assurer à la locataire que la situation serait prise en charge promptement et avec sérieux, justifie la résiliation du bail aux torts du locateur.

[42]     Il y a lieu de préciser qu'en l'espèce, ce n'est pas le défaut du locateur de respecter ses obligations en cours de bail, dont celle de procéder en temps utile et avec diligence aux traitements requis, qui est, ici, sanctionné, mais plutôt le défaut du locateur de respecter son obligation de délivrer un logement en bon état d’habitabilité.


[43]     La résiliation est donc prononcée à compter du 1er août 2021, soit à la date prévue de délivrance du logement.

[44]     Vu cette conclusion, il y a lieu de faire droit à la demande de remboursement de 802 $ de la locataire pour le 1er mois de loyer et de rejeter la réclamation du locateur.

[45]     Bien que la locataire n’ait pas demandé les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle, il y a lieu de lui accorder les intérêts au taux légal. Selon la Cour d’appel du Québec[10], l'octroi des intérêts au taux légal est automatique, tandis que le Tribunal use de sa discrétion pour octroyer l'indemnité additionnelle[11].

[46]     Le préjudice causé à la locataire ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement[12].

[47]     En vertu du Tarif des frais[13], la locataire a droit au paiement des frais de justice de 88,75 $ pour la notification et la production de la demande.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Sur la demande de la locataire - Dossier 583816

[48]     ACCUEILLE, en partie, la demande de la locataire;

[49]     RÉSILIE le bail aux torts du locateur à compter du 1er août 2021;

[50]     CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 802 $, plus les intérêts au taux légal calculés à compter du 16 août 2021, date d’introduction de la demande, plus les frais de justice de 88,75 $;

[51]     REJETTE la demande quant au surplus.

Sur la demande du locateur - Dossier 687726

[52]     REJETTE la demande du locateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Sylvie Lambert

 

Présence(s) :

la locataire

la mandataire du locateur

Date de l’audience : 

19 février 2024

 

 

 


 


[1]  RLRQ, c. T-15.01.

[2]  Pièce L-1 en liasse.

[3]  Article 1854 C.c.Q.

[4]  Article 1910 C.c.Q.

[5]  Duval c. Fortin, R.D.L., 2018-05-14, 2018 QCRDL 16209, SOQUIJ AZ-51495461.

[6]  Klingender c. Rolland, R.D.L., 2017-10-03, 2017 QCRDL 31954, SOQUIJ AZ-51430804.

[7]  Thinh c. Rabel-Loukamarc, R.D.L., 2019-05-03, 2019 QCRDL 14728, SOQUIJ AZ-51593524

[8]  Pierre-Gabriel JOBIN, Le louage, Traité de droit civil, 2e édition, Y. Blais, 1996, page 321 à 327.

[9]  Ibid, p.327.

[10]  Droit de la famille - 2261, 2022 QCCA 92, par. 24 et 29 (Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2022-11-10) 40145).

[11]  Droit de la famille - 2261, 2022 QCCA 92, par. 24 et 29 (Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2022-11-10) 40145).

[12]  RLRQ, c. T-15.01.

[13]  Tarif des frais exigibles par le Tribunal administratif du logement, RLRQ, c.T-15.01, r.6.

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