Université de Sherbroke c. Flynn |
2018 QCCS 5504 |
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JT 1250 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-FRANÇOIS |
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N° : |
450-17-007005-185 |
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DATE : |
13 décembre 2018 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
YVES TARDIF, J.C.S. |
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UNIVERSITÉ DE SHERBROKE |
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Demanderesse |
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c. |
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ME MAUREEN FLYNN, ès qualités |
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Défenderesse |
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et |
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SYNDICAT DES PROFESSEURES ET |
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PROFESSEURS DE L’UNIVERSITÉ DE |
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SHERBROOKE (SPPUS) |
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Mis en cause |
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JUGEMENT PRONONCÉ À L’AUDIENCE |
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[1] Le 16 avril 2018, Me Maureen Flynn, avocate et arbitre, accorde à la demande du Syndicat des professeures et professeurs de l’Université de Sherbrooke (le Syndicat) et du docteur Gamal Baroud (le docteur Baroud) un sursis de la décision de l’Université de Sherbrooke (l’Université) du 19 octobre 2017 de congédier le docteur Baroud pour déloyauté. Personne ne nie la compétence de l’arbitre pour rendre cette décision puisque l’article 110.12 g) du Code du Travail le permet. L’arbitre pouvait accueillir la demande de sursis ou pouvait la rejeter.
[2] La Cour ne reprendra pas le contexte puisqu’il est connu. Essentiellement, deux étudiants au doctorat qui étaient sous la supervision du docteur Baroud se sont plaints de harcèlement. L’Université a décidé de retirer la supervision de ces deux étudiants au docteur Baroud. Celui-ci a écrit à plusieurs personnes affirmant qu’on avait enfreint ses droits à la propriété intellectuelle. L’arbitre André Bergeron, le 2 septembre 2016, a donné essentiellement gain cause au docteur Baroud sur cette question. Le docteur Baroud a aussi envoyé des lettres à gauche et à droite accusant de vol et complot certains de ses collègues et al.
[3] L’Université dit que le lien de confiance est brisé et a congédié en conséquence le docteur Baroud. Il n’y a pas eu de décision sur le fond du grief jusqu’à présent. Il y a eu demande de sursis. La demande a été entendue et Me Flynn a accordé le sursis et a réintégré temporairement le docteur Baroud.
[4] La Cour est d’avis que la requête en révision judiciaire de l’Université doit être rejetée avec les frais de justice en faveur du Syndicat.
[5] Premièrement, il s’agit d’une décision interlocutoire. Dans Cegep de Valleyfield en 1984, le regretté Claude Vallerand opinait que, d’une façon générale, sauf en cas manifeste d’irrecevabilité, la Cour ne devrait pas intervenir lorsque le sursis a été accordé.
[6] Également, dans Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal et al. c. Racine et al.[1], l’honorable Lise Bergeron écrit sur cette question :
« [21] La Cour supérieure dans ces circonstances doit résister à la tentation d’intervenir, alors que l’arbitre ou l’organisme spécialisé n’a pas encore décidé du fond d’un dossier soumis à sa juridiction, à moins de « circonstances exceptionnelles », à savoir :
• une d’absence manifeste de compétence, surtout s’il y a perspective d’une longue instruction;
• des motifs manifestes d’irrecevabilité;
• la décision attaquée n’est pas susceptible de correction efficace par la décision au fond;
• il s’agit d’une question de droit fondamental (partialité, violation des règles de justice naturelle, …);
• la
question soulevée est susceptible de l’être dans de nombreux
dossiers. »
(Références omises)
[7] Ce n’est pas le cas ici et cela suffit pour rejeter la requête en révision judiciaire présentée par l’Université. Toutefois, au cas où la Cour aurait tort, il s’agit de décider si les autres critères sont applicables en faveur de l’Université ou du professeur Baroud.
[8] En ce qui a trait à l’apparence de droit, Me Flynn souligne qu’il s’est écoulé entre 10 et 17 mois avant que le congédiement soit imposé. La Cour doit dire, en faveur de l’Université, que ce n’est pas le motif le plus fort puisque Me André Fournier a expliqué que l’Université a dû respecter les règles fondamentales de justice en faisant faire une enquête et que c’est ce qui explique pourquoi il y a eu un délai de 10 à 17 mois. Toutefois, l’arbitre souligne au paragraphe 128 de sa sentence que deux avis auraient dû être donnés au professeur Baroud comme le prévoit la convention collective.
[9] Essentiellement, en un mot comme en mille, Me Fournier dit que l’arbitre a retenu de bons constats et qu’il n’y a pas grand reproche à lui faire Toutefois, elle en tire de mauvaises conclusions. Il a raison sur la première partie, c’est-à-dire qu’elle tire de bons constats, mais elle met à ses constats des bémols qui expliquent pourquoi que sa décision n’est pas déraisonnable.
[10] Voici le premier constat :
« [129] […] En l’espèce, les déclarations assermentées déposées en preuve révèlent que les comportements du professeur Baroud ont affecté inévitablement ses relations avec ses pairs et certains membres de la haute direction. Ces comportements ont affecté aussi le lien de confiance tout comme la réputation des personnes visées par les plaintes. La preuve des comportements invoqués au soutien du manque de loyauté est indéniable et repose sur des écrits mis en preuve, »
[11] La Cour souligne que l’arbitre n’a pas dit que le lien de confiance avait été brisé, mais qu’il a été affecté. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Le bémol qu’elle met est le suivant :
« […] toutefois, l’appréciation du préjudice qui découle de ces comportements est peu encadrée et requiert une analyse des circonstances propres à chaque cas, comme l’a indiqué l’arbitre Marcheterre :
« […]
275. Il n’y a donc pas une règle absolue encadrant l’exercice de la bonne foi et du respect, ou, dans le cadre de la présente discussion, en regard de l’obligation de loyauté du salarié et de son employeur, monsieur Baril et Labatt, par ses représentants. »
[130] En somme, à sa face même, la preuve sommaire démontre que le grief a des chances d’être accueilli, que le grief est sérieux. Seule une enquête complète permettra d’apprécier notamment les intentions du plaignant, son état d’esprit et de mesurer avec justesse la portée sur le lien de confiance, la réputation des personnes visées par les multiples plaintes et sur les relations notamment avec ses pairs. »
[12] Le deuxième constat est le suivant :
« [131] Concernant le deuxième motif invoqué par l’Université, bien que les faits résumés par le comité d’enquête soient troublants et sérieux, comme nous l’avons relaté, la preuve doit être faite. »
[13] Et son bémol :
« […] Et quant au préjudice qui en découlerait, le Syndicat invoque des faits sérieux, dont le fait que l’Université ait choisi de laisser au professeur Baroud la supervision de trois autres étudiants alors que ledit comportement avait été porté à sa connaissance. Le tout à la lumière des critères énumérés aux articles 9.03 et 9.04 de la convention collective. »
[14] Et maintenant, le troisième constat :
« [132] Enfin, il est important de souligner que la preuve démontre que l’imposition de la mesure ne constitue pas un stratagème déloyal de la part de l’Employeur. Au contraire, il ressort de la preuve que ladite décision prise par l’Université est réfléchie et repose sur des éléments sérieux, notamment quant au délai du processus disciplinaire. Il suffit de lire la déclaration assermentée de la professeure Faucher. »
[15] Et son bémol :
« […] Toutefois, compte tenu de la complexité des questions soulevées et du cadre d’analyse applicable en l’espèce, la cause du Syndicat m’apparaît non seulement défendable mais sérieuse. J’estime donc qu’en l’espère, il y a apparence de droit prima facie. De plus, comme nous le verrons, il y a un lien logique entre le grief et la mesure de sauvegarde souhaitée. »
[16] Quant au préjudice sérieux ou irréparable stricto sensu, Me Fournier ne l’a pas abordé comme tel, mais la Cour y reviendra puisqu’il soulève une autre question qui en fait revient un peu à la même chose.
[17] Passons donc au troisième critère, soit la prépondérance des inconvénients.
[18] Le quatrième constat de l’arbitre est :
« [144] Dans l’appréciation du poids des inconvénients, l’Université prétend qu'une réintégration équivaudrait à imposer à l’Université un contrat de travail restreint et contraire aux dispositions de la convention collective. »
[19] Et son bémol :
« […] Or, la preuve établit qu’il n’est pas rare qu’un professeur consacre une grande partie de sa tâche à de la recherche pendant une certaine période de temps. Ici, l’on parle vraisemblablement au plus, d’une année à une année et demie. »
[20] Le cinquième constat :
« [145] L’Université a aussi fait valoir qu’elle ne pourrait appuyer le professeur Baroud dans une demande de subvention, vu les conflits survenus avec plusieurs de ses pairs et le bris de confiance. Professeur Goulet a également affirmé « qu’il serait pour le moins inusité qu’alors que M. Baroud refuse de reconnaître les conclusions du rapport d’enquête qui ne retient pas ses plaintes en matière d’intégrité à la recherche, les demandes de subventions déposées soient contresignées par les dirigeants de sa faculté (et de l’Université) que M. Baroud accuse toujours de vol organisé des fruits de ses recherches universitaires. »
[21] Et son bémol :
« […] Tout en pouvant comprendre que tel sera le cas, en l’espèce, en réintégrant provisoirement sa fonction, professeur Baroud pourrait conserver la subvention obtenue avant la fin de son emploi. Celle-ci n’expire qu’en 2020. D’ici là, le présent litige devrait être réglé. »
[22] Le sixième constat se lit ainsi :
« [146] L’Employeur a aussi expliqué qu’à la lumière de la gravité des gestes posés par le professeur Baroud à l’égard des deux étudiants, qu’il ne pouvait lui confier des mandats de supervision d’étudiants inscrits à la maîtrise ou au doctorat. […] »
[23] Et son bémol :
« […] Aussi, le tribunal retient que jusqu’au congédiement, l’Université n’a pas jugé nécessaire de retirer tous les étudiants sous la supervision du professeur Baroud et qu’aucune plainte de la part de ces derniers n’a été déposée et que la situation dénoncée par les deux étudiants est isolée. »
[24] Le septième constat retenu par Me Flynn est le suivant :
« [147] Il va sans dire qu’une réintégration provisoire du plaignant au travail va créer un malaise dans le milieu de travail. »
[25] Et son bémol :
« […] Toutefois, celui-ci n’apparait pas si significatif, d’autant plus que la preuve a démontré que le professeur Baroud a continué à exercer à l’Université pendant plus d’une année, et ce alors que les comportements dits déloyaux étaient connus de plusieurs et surtout des personnes visées par les plaintes considérées offensantes, diffamatoires et abusives. Enfin, l’Université peut déplacer, si elle le juge nécessaire, le laboratoire au sein duquel le plaignant y consacrera la majorité de son temps.
[148] Le
poids des inconvénients penche nettement en faveur du plaignant, car sans une
ordonnance de réintégration provisoire, le droit du plaignant d’exercer sa
profession serait affecté indûment et d’une manière irréparable. Non seulement
son droit de travailler est en péril mais aussi les fruits de ses recherches.
Il doit donc être réintégré provisoirement jusqu’à la décision
finale. »
[26] La Cour revient au deuxième critère en cette matière, c’est-à-dire le préjudice sérieux ou irréparable qui n’a pas été abordé tel quel stricto sensu par Me Fournier, mais qui a été abordé d’une façon indirecte. Me Fournier dit cette sentence crée deux catégories de salariés. La Cour n’en disconvient pas, mais pense que si on peut en conclure ainsi, ce n’est pas inexplicable qu’il y ait deux ou même trois catégories de salariés en cette matière.
[27] Supposons que, au lieu du professeur Baroud, un docteur et un scientiste de haut vol dont la réputation est internationale et dont les qualités n’ont pas été au cours de l’audience niées par l’Université, c’était le plombier de l’Université au lieu d’un professeur au haut savoir, qui aurait été congédié et pendant deux ans, il attendrait la décision de l’arbitre, à savoir, s’il était réintégré ou non. L’arbitre rend une sentence finale et réintègre le plombier. Celui-ci retrouve tous les avantages qui étaient les siens et reçoit un salaire rétroactif pour les deux ans au cours desquels il a été sans emploi. Mais quand il reviendrait, est-ce qu’il aurait subi un préjudice sérieux ou irréparable? La Cour pense que non. Parce que, au bout de deux ans, le plombier reviendrait et saurait comment aboucher un tuyau à un autre tuyau et saurait comment débloquer une toilette de l’Université. Bref, il n’aurait rien perdu de son savoir.
[28] Or, dans le cas du professeur Baroud, celui-ci fait de la recherche de haut niveau, de haut vol, et pendant deux ans, on ne lui donnera pas accès à son laboratoire. Il sera impossible de reculer les aiguilles de l’horloge et de retourner à 2017. Il se retrouvera en 2019 après ne pas avoir pu exercer sa profession. Il s’agit d’un préjudice sérieux et irréparable.
[29] Certes, il y a peut-être deux catégories de salariés, mais la Cour pense qu’il faut tenir compte du contexte. Un plombier, avec toute la reconnaissance qu’on lui doit dans les situations d’urgence, ne sera pas déclassé lorsqu’il revient à son travail deux ans plus tard. Un professeur d’université est susceptible de se retrouver un peu moins bon qu’il ne l’aurait été s’il n’avait pas été suspendu pendant deux ans. Ceci, non seulement à son détriment, mais à celui de la société.
[30] En réalité, le préjudice sérieux ou irréparable se situe d’un seul côté. L’Université n’a aucun préjudice sérieux ou irréparable. En fait, elle a avantage à conserver à son emploi pendant ces deux années le professeur Baroud parce que celui-ci fait de la recherche de haut vol et, supposons qu’il fait pendant ces deux années une avancée spectaculaire dans son domaine, qui va en tirer profit? L’Université de Montréal ou l’Université de Sherbrooke? Quelle est la réputation qui va être augmentée, celle de l’Université de Sherbrooke ou de l’Université de Montréal? Il n’y a que des désavantages et qu’un préjudice sérieux ou irréparable qui s’attache au professeur Baroud alors que, pour l’Université, il n’y a que des avantages à le conserver à son emploi. Certes, on dira qu’il a accusé certains professeurs de vol ou de complot, mais, à part les initiés, qui connaît la situation? Est-ce que ses pairs de Los Angeles, de Toronto, de New York sont au courant de la situation et vont juger négativement l’Université de Sherbrooke parce qu’un professeur a accusé de vol et de complot certains de ses collègues? La Cour est convaincue que la réponse est non.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[31] REJETTE la demande introductive d’instance d’un pourvoi en contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale;
[32] AVEC LES FRAIS de justice en faveur du Syndicat.
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__________________________________ YVES TARDIF, J.C.S. |
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Me André Fournier et |
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Me Marie-Pier Janelle |
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Pour Université de Sherbrooke |
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Me Pierre Grenier et |
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Me Marianne Routhier-Caron |
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Pour Syndicat des professeures et |
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professeurs de l’Université de Sherbrooke |
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Date d’audience : |
10 décembre 2018 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.