Sidibe c. Fondation du Centre de prévention du suicide de Québec | 2024 QCTAT 3605 |
| |||
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL | |||
| |||
| |||
Québec | |||
| |||
Dossier : | 1349909-31-2312 | ||
le 7 octobre 2024 | |||
______________________________________________________________________ | |||
| |||
Pierre-Étienne Morand | |||
______________________________________________________________________ | |||
| |||
| |||
Marietou Sidibe |
| ||
| |||
|
| ||
c. |
| ||
|
| ||
La Fondation du Centre de prévention du suicide de Québec |
| ||
Partie défenderesse |
| ||
|
| ||
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Madame Marietou Sidibe travaille pour La Fondation du Centre de prévention du suicide de Québec (l’Employeur) en qualité de coordonnatrice des activités de communication. Elle est embauchée en mai 2023 et est congédiée le 21 septembre suivant. Elle porte plainte contre ce congédiement, s’appuyant sur l’article 122 de la Loi sur les normes du travail[1] (la LNT), y voyant des mesures de représailles à l’encontre de sa revendication d’un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
[2] L’Employeur demande le rejet de la plainte. Il fait d’abord valoir que la plaignante n’a exercé aucun droit lui résultant de la LNT et que de toute façon, le congédiement procède d’une cause juste et suffisante, sérieuse et étrangère au fait qu’elle ait exercé un droit.
[3] En fait, l’Employeur invoque que la plaignante était en probation et qu’il a décidé de rompre le contrat de travail, cette dernière ne satisfaisant pas aux exigences.
[4] En l’espèce, le Tribunal devra dans un premier temps déterminer si la plaignante a effectivement exercé un droit lui résultant de la LNT et, le cas échéant, si le congédiement en est étranger et imposé pour une autre cause juste et suffisante.
[5] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que madame Sidibe a exercé un droit et que le congédiement lui a été imposé en représailles de sa revendication.
[6] La plainte doit être accueillie.
[7] L’Employeur est une personne morale distincte du Centre de prévention du suicide de Québec (le CPSQ). Il s’agit d’une fondation soutenant financièrement le CPSQ, dont la mission est de prévenir le suicide dans la région de la Capitale-Nationale.
[8] Le CPSQ a été fondé en 1978 et offre des services professionnels et spécialisés dans la prévention et l’intervention auprès de personnes suicidaires, de leurs proches et des personnes endeuillées. Il s’agit d’un organisme communautaire à but non lucratif. Plusieurs des membres de son conseil d’administration et de ses employés participent également aux activités de la fondation, soit l’Employeur en cause en l’espèce.
[9] À l’hiver 2023, l’Employeur publie une offre d’emploi pour le poste de coordonnateur des activités de communication. Les principales attributions d’un tel poste sont de collaborer au développement et au déploiement du plan de communication annuel, de gérer les communications et les réseaux sociaux, d’assurer un leadership dans le développement, les stratégies, les outils et les indicateurs de performance de la collecte de fonds. En d’autres mots, ce poste a vocation à accroître la visibilité de la fondation et du CPSQ.
[10] La plaignante soumet sa candidature pour un tel poste et au terme du processus d’embauche, une offre d’emploi lui est présentée. Elle accepte.
[11] Madame Sidibe intervient à un contrat individuel de travail. En annexe, on retrouve un répertoire des conditions de travail. On note, entre autres choses, que la plaignante est sujette à une période de probation d’une durée de six mois, durant laquelle deux entrevues d’évaluation sont réalisées. Au terme de la période de probation, l’Employeur décide du maintien du lien d’emploi ou non.
[12] Madame Sidibe commence à travailler pour l’Employeur le 1er mai 2023.
[13] Dès le départ, la plaignante est encadrée par des collègues, particulièrement la directrice générale, afin qu’elle puisse acquérir des connaissances sur le milieu dans lequel la fondation et le CPSQ exercent leurs activités et s’approprier le travail de communication à effectuer. Madame Sidibe est également appelée à participer à une formation sur les meilleures pratiques en rapport avec la prévention du suicide.
[14] Par la suite, spécialement en juin, quelques rencontres sont tenues entre la plaignante et sa supérieure immédiate. À ce moment-là, la directrice générale s’assure de faire un retour sur certaines des tâches exécutées par madame Sidibe. Elle valide alors que le travail est conforme aux meilleures pratiques en matière de prévention du suicide. Elle souligne aussi les bons coups. Il s’agit de rencontres informelles, ayant lieu en continu, tout au long de la période de probation.
[15] La directrice générale rencontre madame Sidibe début juillet afin de planifier son absence pour vacances et les tâches qui doivent être réalisées au cours de l’été avant son retour. Pour l’Employeur, des événements majeurs approchent à grands pas lors desquels des fonds peuvent être amassés au bénéfice du CPSQ. Il s’agit du Marathon de Québec ainsi que de la Journée mondiale de prévention du suicide.
[16] Pendant les vacances estivales de la directrice, madame Sidibe aurait commis une faute sur les réseaux sociaux, apparemment en contravention flagrante des meilleures pratiques envers les personnes auprès desquelles le CPSQ intervient.
[17] De fait, la plaignante aperçoit une publication publique d’une personne vraisemblablement en quête d’aide sur la page d’un réseau social du CPSQ. Elle tente de joindre la personne-ressource du CPSQ pour l’informer de cette publication qui devrait faire l’objet d’un suivi. Elle copie et colle cette publication et la lui transmet par messagerie interne Teams. Faute de retour de cette personne-ressource et le temps s’écoulant, la plaignante, animée de bonnes intentions, n’a qu’indiqué, en réponse à cette publication, le numéro de téléphone du CPSQ. Madame Sidibe précise à l’audience qu’il n’est pas approprié de laisser une publication non répondue d’une personne pouvant nécessiter une intervention psychosociale.
[18] Or, le bruit qui a couru à l’interne, et qui a provoqué une intervention ferme de la part de la directrice à son retour de vacances, est que madame Sidibe a engagé une discussion avec cette personne, publiquement sur la page du réseau social en question. La preuve prépondérante révèle que ce n’est toutefois pas ce qui s’est produit. Quoi qu’il en soit, cette affaire, qui a provoqué l’ire de la directrice générale, était close, et ce, bien avant le congédiement.
[19] On évoque aussi plusieurs manquements de madame Sidibé en rapport avec les tâches qu’elle devait exécuter au jour le jour. Parmi ceux-ci, il est question d’une publication « erronée » et « imprécise » en lien avec un spectacle, visant à récolter des fonds pour le CPSQ.
[20] Des directives et des consignes doivent être apparemment répétées et ne sont pas intégrées par la plaignante, affirme la directrice.
[21] Mentionnons des reproches concernant des interventions de madame Sidibe quant à l’organisation d’un événement auquel participeraient des humoristes. En réalité, contrairement à l’affirmation de la directrice, la plaignante a recommandé de ne pas s’associer à eux pour la tenue d’un événement donné.
[22] Il est aussi question de démarches faites par madame Sidibe concernant une demande de partenariat pour une activité se déroulant dans une autre région. Madame Sidibe n’a que recueilli les informations concernant cette demande, soulignant qu’elle serait traitée au retour de la directrice. Or, il appert que plusieurs organismes œuvrant en prévention du suicide au Québec se sont associés et sont convenus de se partager le territoire de sorte qu’ils aient chacun l’exclusivité des activités pour le territoire qui leur est attribué. Madame Sidibe aurait donc dû relayer cette demande à l’organisme qui couvre cette région, plutôt que de s’engager dans la prise d’information sur cette demande.
[23] Aussi, la directrice générale déplore qu’elle ait dû, lors de la Journée mondiale de la prévention du suicide, effectuer certaines tâches en lieu et place de la plaignante.
[24] Enfin, l’Employeur note des erreurs dans la rédaction en langue française sur les réseaux sociaux, des photos « malhabiles », une difficulté à faire une présentation synthétisée des derniers événements. Sans oublier le fait qu’on reproche à madame Sidibe de négliger de rédiger des notes de service concises, remettant plutôt des photocopies de différents rapports pour en tenir lieu.
[25] La directrice générale explique qu’elle constate, non pas à un moment précis, mais en continu, que madame Sidibe ne répond pas aux exigences de la tâche. Si elle fait des interventions, elles ne sont qu’informelles. Le contrat prévoit pourtant des rencontres formelles durant la période de probation.
[26] Depuis un moment, madame Sidibe se dit grandement indisposée au travail, particulièrement en raison du comportement qu’elle juge déplacé d’un collègue. De fait, elle n’apprécie guère, entre autres, ses blagues faisant allusion à son origine ethnique, de même que l’ingérence dont il fait preuve dans son travail. Il n’est pas son supérieur, faut-il le noter. Ne sachant comment agir dans les circonstances, elle communique avec la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la CNESST) afin de s’informer de ses droits et d’obtenir des conseils. On lui recommande alors d’aborder la question de front avec le collègue et d’engager le dialogue avec lui afin que la situation se résolve.
[27] La plaignante agit en conséquence le 21 septembre 2023. Elle rencontre le collègue contre lequel elle a des récriminations pour discuter de ce qui la dérange et lui exprimer comment elle se sent, suivant les recommandations de la CNESST. Madame Sidibe est soulagée, voire libérée, après s’être livrée à cet exercice.
[28] Plus tard, dans la matinée, madame Sidibe rencontre la directrice générale pour l’informer de la teneur de la discussion qu’elle a eue avec son collègue. Elle évoque les comportements dérangeants qu’elle subit de la part de son collègue et souhaite qu’ils cessent immédiatement, puisqu’elle en est grandement indisposée. Espérant le soutien de sa supérieure immédiate, celle-ci reste plutôt de glace, ne parlant que du travail à accomplir.
[29] Dans l’après-midi du même jour, une rencontre a lieu entre madame Sidibe, le collègue ainsi que la directrice générale. Il est question de la Journée mondiale de la prévention du suicide et de certains problèmes rencontrés lors de l’événement. On pose des questions à la plaignante. Cette dernière ne peut répondre à tout ce qu’on lui demande, n’ayant pas tous les détails, souligne-t-elle.
[30] On aborde ensuite le Marathon de Québec. Madame Sidibe mentionne au passage qu’elle ignore si elle sera en mesure d’être présente lors de cet événement pour représenter l’organisme, soulignant qu’il faudrait songer à une personne pouvant la remplacer. Précisons que madame Sidibe ne refuse cependant pas d’y participer. Quoi qu’il en soit et sans en discuter davantage pour comprendre la situation, c’est la goutte qui fait déborder le vase pour la directrice. Elle n’a plus confiance. Les esprits s’échauffent. Elle quitte les lieux et prend la décision de se départir des services de madame Sidibe.
[31] Elle revient dans la salle et demande à la plaignante de démissionner de son emploi. Stupéfaite, cette dernière refuse. Elle n’a aucunement l’intention de démissionner, rappelant alors que son seul problème est en lien avec le harcèlement qu’elle dit subir au travail. Dans ce contexte, la directrice indique qu’elle préparera une lettre de congédiement. La plaignante souhaite connaître les raisons justifiant une telle mesure inattendue, ce à quoi la directrice répond qu’elle en a plusieurs, se gardant toutefois d’en faire l’énonciation. Au sortir de la rencontre, madame Sidibe se rend compte que tous les accès au système informatiques lui ont été retirés.
[32] Plus tard, ayant quitté les lieux, la plaignante reçoit une lettre laconique, se lisant comme suit :
[…]
Madame,
Je vous prie de noter que votre lien d’emploi avec la fondation du centre de prévention du suicide de Québec se termine ce jour même. Votre période de probation n’est pas complétée.
Je vous remercie pour le temps que vous avez consacré à notre organisation et vous souhaite du succès pour mon projet futur.
[…]
[33] Madame Sidibe s’adresse à la CNESST le 5 octobre 2023.
L’ANALYSE
[34] L’article 122 de la LNT interdit à un employeur de congédier, d’exercer des mesures de représailles ou d’imposer toute autre sanction à une personne salariée parce qu’elle a exercé un droit qui y est prévu :
122. Il est interdit à un employeur ou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer une personne salariée, d'exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction:
1° à cause de l'exercice par cette personne salariée d'un droit, autre que celui visé à l'article 84.1, qui lui résulte de la présente loi ou d'un règlement;
[Nos soulignements]
[35] Lorsque la personne salariée établit qu’elle a exercé un droit prévu à la LNT de façon concomitante à une mesure ou une sanction imposée par son employeur, il est présumé qu’elle l’a été en raison de l’exercice de ce droit. Cette présomption découle de l’application combinée des articles 123.4 de la LNT et 17 du Code du travail[2].
[36] Cette dernière disposition se lit comme suit :
17. S'il est établi à la satisfaction du Tribunal que le salarié exerce un droit qui lui résulte du présent code, il y a présomption simple en sa faveur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui à cause de l'exercice de ce droit et il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou mesure à l'égard du salarié pour une autre cause juste et suffisante.
[37] Ainsi, si la présomption trouve application, il incombe à l’employeur de démontrer que la mesure ou la sanction prise à l’encontre de la personne salariée est motivée par une cause juste et suffisante, étrangère à l’exercice du droit et qui n’est pas un prétexte[3].
[38] Madame Sidibe est salariée suivant la LNT, elle est congédiée par l’Employeur le 21 septembre 2023 et sa plainte est déposée dans les 45 jours du congédiement, tel qu’exigé par la loi.
[39] Cela dit, madame Sidibe a-t-elle exercé un droit qui lui résulte de la LNT?
[40] Voyons les dispositions pertinentes de la LNT :
81.19. Toute personne salariée a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. Il doit notamment adopter et rendre disponible à ses personnes salariées une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes, incluant entre autres un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel.
[Nos soulignements]
[41] Éprouvant un malaise au travail, madame Sidibe s’enquiert de ses droits en communiquant avec la CNESST le 19 septembre 2023. À la suite de cet appel, elle discute avec son collègue de ce qu’elle n’apprécie guère dans son comportement. Elle avise sa supérieure immédiate aussitôt après s’être entretenu avec ledit collègue, expliquant les raisons de son intervention auprès de lui. Elle souhaite que les comportements dérangeants cessent.
[42] Or, l’Employeur objecte qu’il ne saurait y avoir d’exercice de droit, soutenant n’avoir jamais entendu parler de harcèlement avant de recevoir les communications de la CNESST dans la foulée du dépôt d’une plainte de harcèlement psychologique. Qui plus est, ladite plainte de harcèlement n’a pas été déférée au Tribunal.
[43] D’abord, pour le Tribunal, rappelons que l’exercice du droit au sens de la LNT qui est en cause ici n’est pas le dépôt d’une plainte, mais la revendication d’un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique[4]. Voilà l’essence de la démarche de madame Sidibe lorsqu’elle discute avec son collègue suivant son appel à la CNESST et avec la directrice par la suite.
[44] Ensuite, la plaignante convainc le Tribunal qu’elle a fait mention de harcèlement lors de sa discussion avec la directrice, lorsque celle-ci cherche à obtenir sa démission, tout juste avant de se voir signifier son congédiement.
[45] Enfin, il faut distinguer l’exercice du droit du bien-fondé du droit, comme le remarque la Commission des relations du travail (la CRT), à laquelle le Tribunal succède, dans l’affaire Lizotte c. Solutions Mindready inc.[5] :
[55] Dans le présent cas, la plainte est déposée dans le délai prescrit et le statut de salarié de Sylvain Lizotte ne pose pas de problème. L’employeur prétend que le plaignant n’a pas exercé un droit selon la loi parce que sa réclamation est jugée sans fondement par la Cour du Québec environ deux ans après sa fin d’emploi. Or, pour déterminer l’établissement de la présomption, il faut nécessairement se reporter au moment de l’exercice du droit allégué, sinon la nature protectrice du recours serait bafouée.
[56] Le juge Lesage écrit dans Investissements Tsatas Ltée c. Sagues, T.T. Montréal 500-28-000839-837, à la page sept :
« Il n’est pas essentiel pour prétendre exercer un droit que celui-ci soit effectivement fondé. Il suffit que la prétention des salariés ne soit pas frivole, qu’elle soit à première vue plausible. »
Il écrit aussi dans Perzow c. Dunkley, T.T. Montréal 500-28-000107-821, à la page 3, que le plaignant doit avoir :
[…] de bonne foi, avec apparence de droit, demandé le bénéfice d’une disposition légale pertinente à ses conditions de travail. Si la demande est fantaisiste ou bien de pure forme ou encore insignifiante, on n’y verrait pas là l’exercice d’un droit accordé par la loi.
[Nos soulignements]
[46] En l’espèce, les prétentions de madame Sidibe ne sont pas frivoles ou dénuées de fondement. Elle fait des démarches en toute bonne foi en vue de bénéficier d’un droit.
[47] Bref, il s’agit là de l’exercice d’un droit lui résultant de la LNT, comme l’entend son article 122.
[48] Ces démarches sont évidemment concomitantes à son congédiement.
[49] Par conséquent, madame Sidibe est présumée avoir été congédiée en représailles à l’exercice d’un droit découlant de la LNT.
[50] Vu l’application de la présomption légale, l’Employeur convainc-t-il le Tribunal que le congédiement imposé à la plaignante procède d’une cause juste et suffisante, sérieuse et étrangère à sa revendication, et qui n’est pas un prétexte?
[51] Le Tribunal estime que non. Voici pourquoi.
[52] L’Employeur met de l’avant de nombreux manquements qu’aurait commis la plaignante en cours d’emploi et qui l’ont amené à conclure que cette dernière ne répondait pas aux exigences du poste. La directrice a supposément perdu confiance le 21 septembre, lorsque madame Sidibe lui a annoncé ne pas être certaine de pouvoir être présente lors du Marathon de Québec.
[53] À défaut d’obtenir la démission de la plaignante, l’Employeur lui annonce son congédiement et lui transmet une lettre à cet effet, manifestement rédigée à la hâte. De toute façon, il plaide qu’il lui était loisible de rompre le contrat de travail de la plaignante, car elle n’avait pas complété sa période de probation.
[54] L’argument selon lequel l’Employeur se déclare insatisfait des services de madame Sidibe, alors en probation, si bien fondé soit-il, ne le dispense toutefois pas de faire la démonstration du respect des dispositions d’ordre public de la LNT qui peuvent trouver application, dont l’article 122 qui est pertinent ici. En effet, comme le remarque la CRT[6] :
[62] […] la discrétion de l’employeur de mettre fin à l’emploi d’un salarié en probation est restreinte lorsque ce salarié peut invoquer un des évènements protégés par la Loi. Il doit alors être en mesure de démontrer le sérieux de ses motifs de congédiement, à défaut de quoi la présomption ne sera pas renversée. L’existence de cette présomption limite la discrétion dont il jouirait autrement à l’égard de l’employé en probation.
[63] Comme, en période de probation, l’employeur n’est pas en « mode » disciplinaire ou correctif, mais en observation ou évaluation des aptitudes et des qualités personnelles du salarié, il doit convaincre du sérieux de cette évaluation et du fait que la décision de mettre fin à l’emploi n’a pas été teintée par la survenance d’un événement protégé.
[Nos soulignements]
[55] Encore récemment, le Tribunal abondait dans le même sens, rappelant que la discrétion patronale n’est pas absolue lorsqu’un employeur souhaite prendre congé d’un salarié en probation et que l’article 122 de la LNT est invoqué[7] :
Le congédiement en période d’essai
[30] Premièrement, [l’Employeur] invoque qu’elle avait toute la latitude pour mettre fin à l’emploi du plaignant parce que celui-ci était en période d’essai. Ainsi, [l’Employeur] affirme qu’il a décidé de congédier le plaignant tout simplement parce qu’il ne lui convient pas. Il souligne que le plaignant a accepté que son emploi soit assujetti à une période d’essai en toute connaissance de cause.
[31] Il est vrai que la période d’essai confère à un employeur une plus grande latitude pour évaluer un nouveau salarié et pour décider s’il le garde ou non à son emploi8. Cependant, cela ne dispense pas [l’Employeur] de faire la preuve d’une autre cause juste et suffisante du congédiement du plaignant pour repousser la présomption de pratique interdite. Rappelons que cette autre cause doit être véritable et sérieuse et n’avoir aucun lien avec l’exercice du droit résultant de la LNT.
[32] La seule affirmation qu’un salarié ne convient pas ne suffit pas à repousser la présomption. Examinons les motifs allégués par l’employeur au soutien de cette affirmation.
[Note omise, nos soulignements]
[56] Dans notre affaire, la preuve prépondérante qu’administre l’Employeur en lien avec son insatisfaction des services rendus par la plaignante durant sa période de probation ne démontre pas que le tout soit étranger au fait qu’elle se plaigne du comportement d’un collègue et qu’elle réclame un droit découlant de la LNT.
[57] La litanie de reproches dirigés contre madame Sidibe est générale et très peu convaincante. Les manquements mis de l’avant sont peu détaillés et souvent non situés dans le temps. Certains d’entre eux n’ont même pas été portés à l’attention de la plaignante en temps utile.
[58] Certes, on peut concevoir que la prestation de travail de madame Sidibe puisse être améliorée, sachant qu’elle n’a alors que quelques mois de service au sein de l’organisme. Cependant, compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, le Tribunal est convaincu que madame Sidibe n’aurait pas été congédiée à ce moment précis, soit le 21 septembre 2023, si elle n’avait pas revendiqué ses droits ce jour-là. À ce titre, les commentaires suivants du juge Saint-Arnaud du Tribunal du travail sont fort pertinents ici :
Il arrive que des employeurs tolèrent, tolèrent et tolèrent un employé au rendement jugé insatisfaisant et qui, profitant de la venue d’un syndicat et craignant de rester « pris » avec cet employé, décident de s’en défaire à cette occasion. Si dans un tel cas aucune activité syndicale n’avait surgi dans l’entreprise, l’employé serait malgré tout resté en poste à ce moment. Peut-être aurait-il gardé son emploi en bout de ligne avec espoir de redressement de ses performances, peut-être aurait-il été remercié un jour ou l’autre, peut-être, peut-être…mais la conclusion s’impose à l’effet que n’eut été de ses activités syndicales, dut-il être congédié un jour, il n’aurait pas été avisé de son congédiement au moment où il le fut[8].
[Notre soulignement, note omise]
[59] Par surcroît, on ne peut passer sous silence la concomitance parfaite entre la demande de madame Sidibe d’un milieu de travail exempt de harcèlement et le congédiement qui survient quelques heures après le 21 septembre 2023.
[60] Pour toutes ces raisons, l’Employeur échoue à repousser la présomption légale. Le congédiement étant illégal, la plainte selon l’article 122 de la LNT est accueillie.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la plainte;
ANNULE le congédiement imposé le 21 septembre 2023;
ORDONNE à La Fondation du Centre de prévention du suicide de Québec de réintégrer madame Marietou Sidibe dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, dans les huit (8) jours de la notification de la présente décision;
ORDONNE à La Fondation du Centre de prévention du suicide de Québec de verser à madame Marietou Sidibe à titre d’indemnité, dans les huit (8) jours de la notification de la présente décision, la somme équivalant au salaire et aux autres avantages dont l’a privée le congédiement, le tout portant intérêt au taux fixé suivant l’article 28 de la Loi sur l’administration fiscale, à compter de la date du dépôt de la plainte, soit le 5 octobre 2023, conformément à l’article 100.12 c) du Code du travail.
| |
| Pierre-Étienne Morand |
| |
| |
Me Maodo Malick Ndao | |
LAROCHE AVOCATS CNESST | |
Pour la partie demanderesse | |
| |
Mme Lynda Poirier | |
LA FONDATION DU CENTRE DE PRÉVENTION DU SUICIDE DE QUÉBEC | |
Pour la partie défenderesse | |
| |
PEM/a-cm
[1] RLRQ, c. N-1.1.
[2] RLRQ, c. C-27.
[3] Lafrance c. Commercial Photo Service Inc., [1980] 1 R.C.S. 536; Silva c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal – Pavillon Notre-Dame, 2007 QCCA 458, par. 4.
[4] Art. 81.19 de la LNT.
[5] 2007 QCCRT 265.
[6] Paquet c. 3072929 Nova Scotia Company (Hôtel Pur), 2009 QCCRT 521.
[7] Dubois c. 9038-7911 Québec inc., 2019 QCTAT 2888.
[8] Entreprises Jacques Aubry inc. c. Jones, T.T., 500-28-000606-988, 12 août 1998, C. St-Arneau.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.