R. c. Toussaint | 2024 QCCQ 44 | |||||
COUR DU QUÉBEC | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | QUÉBEC | |||||
« Chambre criminelle et pénale » | ||||||
N° : | 200-01-252155-225 | |||||
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DATE : | 11 janvier 2024 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | SARAH-JULIE CHICOINE, J.C.Q. | ||||
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LE ROI | ||||||
Poursuivant | ||||||
c. | ||||||
PATRICK TOUSSAINT (001) | ||||||
Accusé et MARTIN ROUSSIN-BIZIER (002) Accusé | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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Une ordonnance de non-publication interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité d’une victime, selon l’article 486.4(1) du Code criminel.
Le Tribunal avise les victimes de leur droit de demander la révocation ou la modification de cette ordonnance (article 486.4(2)c) du Code criminel).
***Afin d’alléger le texte et sans intention de manquer de respect à quiconque, le Tribunal utilise les initiales du (ou des) nom(s) de famille des plaignants, des témoins et des accusés, en plus d’omettre les formules de politesse habituelles telles Madame ou Monsieur.*** | ||||||
[1] Les accusés subissent leur procès conjoint relativement à des événements allégués survenus le 11 septembre 2022.
[2] Martin Roussin-Bizier (ci-après R-B) est accusé d’avoir agressé sexuellement M... Q... (2003-[...]) et R... C... (2004-[...]).
[3] Pour sa part, Patrick Toussaint (ci-après T) est accusé d’avoir commis des voies de fait graves contre F... B... (ci-après F... B...) en utilisant une canne.
[4] Pendant la journée du 10 septembre 2022, les deux accusés se rendent dans la région de Québec afin de célébrer « l’enterrement de vie de garçon » de R-B qui doit se marier dans les semaines suivantes. Ils sont accompagnés d’Étienne Beaudoin, collègue et ami de R-B.
[5] Rémi Dubé, beau-frère de R-B, se joint à eux après leur arrivée à Québec.
[6] Pour l’occasion, ils magasinent des vêtements en vue des noces et fréquentent divers restaurants et débits de boisson. En soirée, Dubé reconduit et laisse ses compagnons dans un hôtel de la basse-ville.
[7] Le trio décide d’aller faire une virée dans les bars de la rue St-Joseph. Pour l’occasion, R-B est déguisé en femme. Avec son costume, il attire les regards.
[8] En se promenant et en s’arrêtant pour jaser et prendre des photos avec des personnes qu’il ne connait pas, R-B aurait commis des attouchements sexuels non consensuels sur M... Q..., puis sur une connaissance de celle-ci, R... C....
[9] Avisé de la situation, F... B..., un ami des plaignantes, se dirige vers les trois hommes et interpelle R-B. S’ensuivent une vive discussion et un échange physique au terme duquel T assène un coup de canne derrière la tête de F... B....
[10] Ce dernier s’écroule au sol, visiblement inconscient.
[11] R-B, T et Beaudoin quittent les lieux en courant. T se départit de sa canne en la lançant à l’intérieur d’un chantier de construction délimité par une clôture.
[12] La poursuite allègue que R-B a agressé M... Q... et R... C... en les touchant sexuellement sans leur consentement. Elle soutient que T a commis des voies de fait graves en frappant F... B... d’un violent coup de canne derrière la tête, ce qui lui a occasionné de sérieuses blessures.
[13] Pour l’essentiel, la défense de R-B se résume à une dénégation de tous les actes qu’on lui reproche. À titre subsidiaire, sur le chef d’accusation d’avoir agressé sexuellement R... C..., la défense invoque celle de croyance sincère mais erronée au consentement communiqué.
[14] Quant à T, il mentionne avoir agi en légitime défense afin de protéger son ami R-B qui se faisait agresser par F... B....
[15] En conséquence, les deux accusés demandent d’être acquittés.
[16] Au procès, le litige repose principalement sur l’appréciation de la crédibilité et de la fiabilité des témoignages entendus. Le Tribunal doit aussi déterminer si l’accusé T a agi en légitime défense.
LA PREUVE TESTIMONIALE
LA PREUVE DE LA POURSUITE
Le témoignage de la plaignante M... Q...
[17] M... Q... étudie au Cégep. Elle célèbre son vingtième anniversaire le [...] 2022. Le soir précédent, elle soupe dans un restaurant avec un groupe d’amis. Parmi toutes les personnes qu’elle côtoie cette soirée-là, elle considère que ses amis les plus proches sont C... D... (ci-après C... D...), F... B... et A... S... (ci-après A... S...).
[18] N... H... (ci -après N... H...) est son conjoint.
[19] R... C... est une connaissance, mais surtout une bonne amie de C... D....
[20] Vers 23 h 00, M... Q... se dirige dans le secteur de la rue St-Joseph afin de poursuivre la soirée dans certains bars.
[21] Plus tard pendant la nuit, accompagnée de son conjoint, elle attend d’autres amis à l’extérieur du commerce « Le Bureau de poste ». Trois hommes âgés dans la quarantaine s’approchent. L’un d’entre eux est déguisé en femme. Il porte une perruque brune, de la fourrure ou des plumes mauves autour du cou, des lunettes noires, une camisole, de faux seins et des pantalons courts serrés de couleur bleue.
[22] En raison de leur démarche et de leur façon de s’exprimer, elle estime que ces hommes sont « sur le party ».
[23] Ils souhaitent connaître l’emplacement des bars à proximité. Ils sont sympathiques et pendant la discussion, l’homme déguisé en femme demande qu’elle et son conjoint touchent à ses faux seins. Ils s’exécutent.
[24] M... Q... signale qu’il s’agit de son anniversaire. L’homme déguisé en femme réplique que c’est une drôle de coïncidence puisque c’est aussi son anniversaire.
[25] Vu ce fait, on convient de prendre une photo et une courte vidéo.
[26] M... Q... et R-B se placent côte à côte. Les autres personnes se trouvent devant eux.
[27] M... Q... prend la pose aux côtés de R-B. Il l’enlace, déplace son sac à main et lui empoigne une fesse pour ensuite toucher son entre-jambes, très près de son vagin. Pendant la prise de la photo, elle panique et se retient de crier. Elle contient ses émotions. Elle rentre ses ongles dans sa main en tentant de se contenir. Alors que son conjoint continue de jaser, R-B prend un de ses seins. Elle recule et il lui dit : « ça j’ai le droit parce que tu y as touché tantôt! » Le comportement de cet homme la fâche puisqu’elle ne consent pas à ce qu’il la touche de cette façon. Elle demeure silencieuse jusqu’à ce que les trois amis poursuivent leur chemin.
[28] En quittant, un des trois hommes crie : « aïe! ta blonde a vraiment l’entrecuisse doux! »
[29] M... Q... commence à pleurer et à faire une crise d’anxiété. Elle se sent faible et elle éprouve de la difficulté à respirer. Elle explique à son conjoint ce qu’elle vient de vivre.
[30] Ce dernier réagit en lui faisant un câlin et en pleurant. Il semble triste et fâché. Il la console pendant quelques minutes.
[31] Paniqués, ils rejoignent leur groupe d’amis en face du bar « Le District » et leur expliquent que M... Q..., s’est fait toucher sexuellement par un homme déguisé en femme.
[32] R... C... lui fait état de ce qu’elle a vécu. Nous y reviendrons plus loin.
[33] Des gens pointent l’homme déguisé en direction de l’entrée du bar « Le District ».
[34] À sa vue, N... H... se dirige vers lui, mais un agent de sécurité le retient.
[35] Les trois hommes quittent vers l’établissement « Le Bureau de poste ».
[36] A... S... et F... B... demandent à M... Q... ce qui se passe? Elle leur explique qu’elle s’est fait toucher sexuellement par l’homme déguisé en femme et leur indique la direction dans laquelle il est parti.
[37] L’attention de M... Q... revient sur N... H... qui se fait retenir par le portier.
[38] Quelque temps après, elle remarque que A... S... et F... B... ne sont plus à proximité.
[39] Lorsqu’elle revoit F... B..., il est assis par terre, le visage ensanglanté. Les policiers sont présents.
Le témoignage de N... H...
[40] Conjoint de M... Q..., il participe à son souper de fête. Par la suite, il se rend sur la rue St-Joseph pour visiter les établissements « Le Midnight » et « Le District ». Alors qu’il est assis avec sa conjointe à l’extérieur et qu’ils attendent que des amis les rejoignent, trois hommes dans la quarantaine se dirigent vers eux et les abordent.
[41] Le premier est habillé en femme, le deuxième est corpulent et chauve et le troisième porte les cheveux courts. Ils semblent intoxiqués en raison notamment du manque de fluidité dans leurs mouvements.
[42] Il se souvient avoir touché en riant les faux seins de l’homme déguisé en femme.
[43] N... H... et sa conjointe leur expliquent comment se rendre au bar « Le District ». N... H... ajoute que c’est la fête de M... Q.... L’homme déguisé dit que c’est sa fête à lui aussi et pour immortaliser le moment, il souhaite prendre une photo.
[44] N... H... prend le cellulaire de sa conjointe et prête le sien à l’homme chauve afin de prendre la photo de M... Q... et de l’homme déguisé. M... Q... avait l’air correcte. Ils sont collés l’un contre l’autre et ils sourient.
[45] À un moment, alors que sa conjointe lui tient la main, N... H... sent qu’elle sert fort, mais pour lui, il n’y a rien d’alarmant.
[46] L’homme chauve remet le cellulaire à N... H... après avoir capté la vidéo de M... Q... et de son ami. Pendant que N... H... discute avec l’homme chauve, l’homme déguisé et M... Q... sont devant lui. En quittant, l’homme déguisé dit que M... Q... a les cuisses douces ou des paroles qui ressemblent à ça.
[47] N... H... ne réagit pas. L’interaction avec ces hommes aura duré 10 ou 15 minutes.
[48] Tout de suite après leur départ, M... Q... commence à sangloter. Il ne l’a jamais vue dans un tel état. Elle lui confie que l’homme l’a touchée aux fesses, aux cuisses et au vagin, en dessous de sa robe.
[49] Il se sent impuissant et ignore comment il doit agir dans une telle situation. Il va vers « Le District » et lorsqu’il en ressort, il demande au portier s’il a vu l’homme déguisé. On le lui pointe. N... H... souhaite interpeller cet homme et le confronter en espérant par le fait-même capter l’attention d’un policier.
[50] Fâché, il pousse l’individu deux fois à la poitrine en pleurant et en hurlant qu’il est un agresseur. L’homme se défend verbalement. Un autre portier saisit N... H... par la gorge et l’emmène dans la rue. Il réussit à se déprendre.
[51] Plein de gens qu’il connaît essaient de le calmer. Il se sent impuissant et dévasté. Il a beaucoup de peine.
[52] Il demande de l’aide à un policier. Ce dernier lui dit qu’il n’est pas disponible puisqu’un homme vient d’en attaquer un autre plus loin sur la rue.
[53] D’instinct, il se doute qu’il puisse s’agir de F... B....
[54] Accompagné de sa conjointe, il retrouve ce dernier en sang, entouré de plusieurs personnes.
[55] Contre-interrogé, il admet ne pas avoir vu l’homme déguisé toucher les seins de sa conjointe ni lui dire qu’il en avait le droit.
Le témoignage de R... C...
[56] Au moment des événements, R... C... est âgée de 18 ans.
[57] Après avoir soupé au restaurant avec un groupe d’amis afin de souligner l’anniversaire de M... Q... et visité un bar de la haute-ville, elle se trouve sur la rue St-Joseph.
[58] À proximité du bar « Le District », elle remarque trois hommes, dont un qui est déguisé en femme.
[59] Ils prennent une photo avec son amie Ch.... Elle constate qu’à ce moment, l’homme déguisé place sa main sur la fesse de son amie. À deux reprises, elle interpelle son amie qui ne l’entend pas.
[60] Quelqu’un propose de prendre une photo avec R... C..., ses amis et l’homme déguisé.
[61] R... C... se positionne devant les gens qui apparaîtront sur la photo. Le photographe est l’un des trois hommes.
[62] Ses amis J... Cr... (ci-après J... Cr...) et Ch... apparaissent aussi sur la photo. L’homme déguisé se place derrière R... C.... Il la prend par les hanches, la tire vers lui et appuie ses fesses sur son pénis. Le contact est court et léger. Elle lui demande d’arrêter, que « ça ne marche pas avec elle ».
[63] La personne qui prend la photo dit : « Come on, il va se marier, il ne pourra plus faire ça après ».
[64] Les gens se replacent pour prendre une deuxième photo. L’homme déguisé recommence le même manège. R... C... dit : « c’est vraiment dégueulasse, ça ne me tente plus ». L’homme lui répond avec un ton arrogant : « ok, ok, c’est correct ». Elle ignore si la deuxième photo a été prise ou pas.
[65] Les deux groupes se séparent ensuite et les hommes quittent.
[66] Plus tard, elle voit M... Q... et N... H... s’approcher en pleurant. M... Q... explique ce qu’elle vient de vivre en leur montrant une photo de l’individu qui est l’auteur des gestes qu’elle lui reproche.
[67] En voyant la photo, R... C... dit : « avec moi aussi il a été déplacé, il n’y a pas très longtemps ».
[68] Elle constate ensuite que N... H... se chicane avec une personne assurant la sécurité au bar « Le District » et avec l’homme déguisé en femme.
Le témoignage de C... D...
[69] Madame C... D... est une amie proche de M... Q... et de R... C....
[70] Le soir précédent les événements, elle accompagne ses amis au restaurant puisque c’est l’anniversaire de M... Q.... Par la suite, elle se déplace dans un bar de la haute-ville en compagnie, notamment, de R... C....
[71] Plus tard, le groupe d’amis se rend au bar « Le District » situé sur la rue St-Joseph.
[72] Alors qu’ils discutent devant le bar, un groupe constitué de trois hommes plus âgés les approchent. Un d’entre eux est déguisé en femme. Ils les abordent en souhaitant prendre une photo avec eux. Madame C... D... refuse puisqu’elle rejoint sa cousine qui arrive en même temps.
[73] Ses amies R... C... et Ch... discutent avec les hommes qui leur demandent de prendre une photo. Elle aperçoit alors l’homme déguisé se frotter contre R... C.... Placé derrière elle, il lui prend les hanches et les frotte sur ses organes génitaux. R... C... le tasse.
[74] Par la suite, l’homme parle de ses faux seins et dit aux filles qu’elles ont pu les toucher donc il peut toucher les leurs en retour.
[75] Avec sa main, il touche son amie Ch... sur la fesse. Elle le tasse.
[76] La prise de photo prend fin et les hommes quittent.
[77] Très énervés et en pleurs, M... Q... et N... H... viennent vers eux. N... H... crie que sa blonde a été agressée et raconte certains détails.
[78] Elle tente de le calmer. Il est hystérique et veut retourner vers les hommes afin de les confronter.
[79] F... B... part à la course en direction de l’endroit où sont partis les hommes.
Le témoignage de J... Cr...
[80] Pendant la nuit du 11 septembre 2022, Monsieur J... Cr... se trouve à l’extérieur, face au bar « Le District », à jaser avec des amis dont R... C... et Ch....
[81] Deux hommes, dont l’un déguisé en femme, les aborde pour prendre une photo afin de célébrer un enterrement de vie de garçon. C’est un ami de l’homme déguisé qui prend la photo.
[82] L’homme déguisé se positionne derrière R... C.... J... Cr... se place d’un côté de R... C... et Ch... de l’autre.
[83] L’homme déguisé place ses mains sur les hanches de R... C... et la rapproche de son bassin. Elle lui demande de la lâcher. Il trouve ça drôle et s’exécute. Celui qui prend la photo demande de prendre une pose sexuelle.
[84] L’homme déguisé recommence et approche les fesses de R... C... de son bassin en la tenant par les hanches. En tout, il fait ce geste à trois reprises même si R... C... lui demande d’arrêter.
Le témoignage de F... B...
[85] F... B... est un grand ami de M... Q.... Le 10 septembre 2022, il participe à son souper de fête au restaurant.
[86] Par la suite, il fait partie du groupe d’amis qui se rend directement dans les bars de la rue St-Joseph.
[87] À un certain moment, accompagné de A... S..., il se dirige vers « Le District » afin de rejoindre M... Q... et N... H....
[88] En arrivant à proximité du bar, il voit que M... Q... pleure par terre pendant que N... H... est en pleine altercation avec des portiers.
[89] Il interroge M... Q... qui lui dit avoir été agressée. Il lui demande par qui et où. Elle lui pointe deux hommes qui s’enfuient. L’un d’entre eux est déguisé en femme. Il ne peut décrire l’autre.
[90] Aussitôt, il s’élance derrière eux. A... S... le suit. Il n’accepte pas que ces hommes puissent s’enfuir sans subir de conséquences.
[91] Il les rattrape un peu plus loin. Il agrippe l’homme déguisé en femme. Ce dernier lui donne alors un coup de poing sur la mâchoire. Il réplique en donnant aussi un coup.
[92] Un troisième homme intervient en s’interposant entre les deux. L’homme est face à lui. Il a une canne dans les mains.
[93] Il se souvient qu’il échange des paroles avec cet individu, mais ne peut se remémorer lesquelles. Il le déplace afin de courir vers l’homme déguisé en femme.
[94] Après avoir fait quelques pas, il reçoit un coup de canne en métal derrière la tête.
[95] Il tombe au sol, inconscient. En retrouvant ses esprits, il ne ressent pas la douleur. Il est plutôt en état de choc, sous l’adrénaline.
[96] Son amie A... S... place ses mains sur sa tête qui saigne abondamment.
[97] Les hommes se sont enfuis, poursuivant leur trajet.
[98] Son groupe d’amis arrive auprès de lui et on lui conseille d’accepter le transport ambulancier, ce qu’il finit par accepter malgré les coûts élevés que ce transport représente pour lui.
[99] On le transporte vers un premier hôpital puis on l’emmène ensuite à l’hôpital de l’Enfant-Jésus.
[100] Il a une fracture crânienne importante avec du sang qui coule dans son cerveau. Il doit subir une chirurgie risquant de lui causer des séquelles permanentes pouvant aller jusqu’à la paralysie ou même la mort.
[101] Après l’opération, on l’informe qu’on a dû lui installer une plaque de métal dans la tête, laquelle est maintenue en place par plusieurs vis.
[102] La guérison est difficile. Il est en état de choc, on lui administre une quantité importante de morphine, la douleur à la tête et à la mâchoire est très intense, son visage enfle. Il est physiquement incapable de parler.
[103] Son hospitalisation s’étend sur une période de deux semaines.
[104] Par la suite, il retourne auprès de ses parents à Ville A pour poursuivre sa réhabilitation intensive pendant une période de sept mois.
[105] Auparavant athlète de haut niveau au soccer, il doit maintenant composer avec un traumatisme crânien lui occasionnant des maux de tête, de la fatigue, de l’irritabilité et de la somnolence pendant la journée.
[106] Dans la période concomitante à son témoignage, il affirme toujours éprouver des difficultés à se concentrer, du bégaiement et de l’irritabilité.
[107] Il n’est plus en mesure d’étudier comme avant. Il a donc dû changer de plan de carrière et il ne peut plus jouer au soccer.
Le témoignage de A... S...
[108] A... S... est une amie de M... Q.... Elle soupe au restaurant avec les autres. C’est la première fois qu’elle rencontre F... B....
[109] Après le souper, elle demeure avec le groupe qui se dirige sur la rue St-Joseph. Pendant la soirée, le groupe se sépare. Certains sont au « Midnight » alors que d’autres sont à proximité du bar « Le District ».
[110] M... Q... lui envoie un texto lui demandant d’aller la rejoindre devant « Le Bureau de poste ».
[111] Arrivée au point de rencontre avec F... B..., elle ne voit pas M... Q....
[112] Au loin, elle aperçoit un attroupement. Elle s’en approche et constate que M... Q... est en pleurs alors que N... H... se fait retenir par des gardes de sécurité du « District ». En colère et triste, il crie que M... Q... s’est fait agresser.
[113] F... B... parle à M... Q..., puis quitte. Une amie, Ma... Sa..., décrit la personne qui a agressé M... Q... comme étant un homme déguisé en femme, en plus de donner une description vestimentaire.
[114] A... S... s’élance à la suite de F... B.... Elle le rejoint 30 secondes plus tard. Il est à proximité de l’homme déguisé en femme. Devant F... B..., se tient un homme avec une canne. Il a un chandail bleu et des jeans. À droite se tient un homme chauve, plus costaud avec un chandail gris.
[115] F... B... parle avec l’homme à la canne de l’agresseur de M... Q.... L’homme déguisé est derrière l’homme à la canne.
[116] L’homme déguisé fait un commentaire sexuel déplacé à l’endroit de M... Q.... Sans pouvoir se remémorer les paroles exactes qui ont été prononcées, elle relate que le commentaire porte sur ses jambes. Fâché, F... B... contourne l’homme à la canne afin de s’approcher de l’homme déguisé. Il essaie de le frapper. L’homme à la canne se tourne vers F... B..., lève la canne et le frappe derrière la tête.
[117] F... B... tombe par terre, inconscient. Lorsqu’il revient à lui, il se retourne seul, ses yeux sont à l’envers. Elle compose le 911. Il y a beaucoup de sang.
[118] L’homme à la canne se dirige vers un site de construction et rejoint ensuite les deux autres hommes. Ils partent à la course.
LA DÉFENSE
Le témoignage de l’accusé Patrick Toussaint
[119] Au moment des événements, T est âgé de 39 ans. Il se déplace avec une canne puisqu’il souffre d’arthrose sévère. Sa canne est en aluminium vide et la poignée est en plastique.
[120] R-B est son cousin. Il le considère comme un frère dont il est très proche.
[121] R-B prévoit se marier vers la fin du mois de septembre.
[122] Afin de souligner les noces à venir, T se rend dans la région de Québec accompagné de R-B et d’Étienne Beaudoin, collègue de travail de ce dernier. R-B est déguisé en femme pour l’occasion.
[123] Dans le stationnement d’un centre commercial, ils rejoignent Rémi Dubé, un autre ami. Après avoir magasiné et fréquenté certains bars et restaurants, Rémi Dubé les conduit et les laisse à un hôtel du centre-ville.
[124] Comme c’est tranquille, R-B, Étienne et lui décident de sortir à la recherche d’un bar.
[125] En marchant, une femme accompagnée d’un homme qu’ils ne connaissent pas les interpelle. Comme c’est la fête de la femme, elle demande pour prendre une photo avec R-B.
[126] Lorsque ce dernier se place pour prendre la photo, T le voit mettre son bras droit autour des hanches de la femme. Elle sourit. Pendant la photo, il ne voit pas le bras de R-B.
[127] Étienne Beaudoin produit une courte vidéo[1].
[128] D’où il se trouve, T n’a pas vu R-B toucher les fesses, les cuisses ou les seins de cette dame. R-B n’a pas non plus glissé la main sous sa robe.
[129] La prise de photo dure trois à quatre secondes.
[130] L’échange avec ces personnes s’échelonne sur une période de deux minutes. La jeune femme a les yeux rouges, elle est essoufflée et son élocution n’est pas normale.
[131] Le trio poursuit sa route et arrête acheter des cigarettes dans un dépanneur.
[132] En ressortant, ils se dirigent vers un attroupement, croyant trouver le bar qu’ils cherchent, « Le District ».
[133] Une dame vêtue de bleu les interpelle. Elle est festive et souhaite prendre une photo avec R-B. Elle touche les faux seins de R-B et tente même de les croquer pendant qu’il immortalise la scène en prenant une photo.
[134] Il prend d’autres photos avec les amis de cette dame. En prenant la pose directement devant R-B, il y a une dame vêtue de blanc qui est souriante et festive. R-B pose ses mains sur les hanches de celle-ci. Après la photo, elle se retourne vers R-B.
[135] T et ses deux amis se déplacent vers l’entrée du bar. Une bagarre éclate à proximité.
[136] Il voit un homme très fâché sortir du bar. Il s’agit de l’homme présent lors de la première prise de photo.
[137] Cet homme en crise fonce vers R-B en criant : « c’est lui! Il a rentré deux doigts dans le vagin! ». L’homme pousse fortement R-B à deux reprises au niveau de la poitrine. Des employés du bar le maîtrise.
[138] T annonce à R-B qu’ils quittent. Ils s’éloignent en direction de l’hôtel.
[139] Il entend un homme courir vers R-B les poings dans les airs en criant : « mon esti m’a te tuer, ça ne se fait pas des affaires de même! ». En voyant l’homme furieux se rapprocher d’eux, il s’interpose entre les deux et essaie de le calmer.
[140] Le jeune homme réclame des explications. Il reproche à R-B d’avoir agressé son amie dans le bar. T, en essayant de lui bloquer le chemin, lui dit qu’ils ne sont même pas entrés dans les bars.
[141] Le jeune homme le pousse, le contourne et fonce vers R-B. Il lui donne deux coups de poing. R-B se retourne et tente de protéger sa tête et de s’en aller.
[142] T craint pour son ami puisque ce dernier a déjà été victime par le passé de deux commotions cérébrales. S’il lui arrive un autre accident à la tête, il peut y rester.
[143] Il souhaite protéger son ami. Le jeune homme n’étant pas à sa portée, T lui donne un coup avec la poignée en plastique de sa canne du côté droit de son visage. Le jeune homme s’effondre.
[144] Une demoiselle se met à crier et le repousse en lui intimant de s’en aller. T voit des gens arriver en courant, ce qui lui fait craindre pour sa sécurité et celle de R-B. Il commence à courir et arrive dans un cul-de-sac. Il rebrousse chemin, revient sur la rue St-Joseph et s’enfuit en courant en direction de l’hôtel.
[145] En considérant les deux agressions dont ils ont été victimes et sachant qu’il vient de frapper quelqu’un, il choisit de se départir de sa canne en la lançant parce qu’il ne veut pas se faire reconnaître et risquer d’être agressé de nouveau.
[146] En arrivant à l’hôtel, R-B se prend le visage, visiblement « sonné par rapport au coup qu’il a eu dans le visage ».
[147] De la chambre d’hôtel, il est en mesure de voir la scène. Il aperçoit des gyrophares et en conclut que les secours sont présents.
[148] Ils quittent l’hôtel en matinée le lendemain.
Le témoignage de l’accusé Martin-Roussin-Bizier
[149] Le 24 juin 2022, R-B a été hospitalisé pendant deux jours à la suite d’un accident de motocross. Il s’est cassé une omoplate et des côtes, en plus de subir une importante commotion cérébrale.
[150] En couple depuis 18 ans, R-B est père de deux enfants. Il prévoit se marier avec sa conjointe le 24 septembre 2022.
[151] Le samedi 10 septembre 2022, il projette de magasiner afin d’acheter ses vêtements pour les noces.
[152] Il se rend au centre d’achat accompagné de T et d’Étienne Dubé, un collègue de travail et ami. Ils rejoignent Rémi Dubé, son beau-frère. Profitant de cette virée à Québec, ses amis décident le lui faire vivre un enterrement de vie de garçon.
[153] Pour l’occasion, il est déguisé.
[154] Une fois leurs achats complétés, ils se rendent à l’hôtel et quittent ensuite pour faire la tournée de certains restaurants et bars. Plus tard, ils reviennent à l’hôtel et c’est à ce moment que son beau-frère, Rémi Dubé, quitte le groupe.
[155] R-B dit qu’à ce moment de la soirée, il ressent les effets de l’alcool de façon très minime.
[156] Après une courte visite dans la chambre d’hôtel, R-B et ses amis se dirigent à l’extérieur et marchent dans les rues à la recherche d’un bar.
[157] Ils rencontrent un garçon et une fille qui questionnent R-B sur la raison pour laquelle il est ainsi déguisé. Après leur avoir dit qu’il s’agissait de son enterrement de vie de garçon, la fille dit que c’est son anniversaire. Elle souhaite prendre une photo avec lui.
[158] Il remarque qu’elle a de petites pertes d’équilibre. Il doit se concentrer pour la comprendre.
[159] Il se prépare pour la prise du cliché avec la fille à sa droite. Face à eux, il y a ses amis.
[160] La prise de la photo dure quelques secondes, soit environ la même durée que la vidéo filmée de façon concomitante.
[161] Par la suite, ils jasent et le couple rit de son costume. Il leur offre de toucher à ses faux seins. Ces derniers s’exécutent.
[162] Peu de temps après, leurs chemins se séparent et R-B continue de marcher avec ses amis.
[163] Au total, cette rencontre a duré une ou deux minutes.
[164] Il nie catégoriquement avoir touché à la cuisse, aux fesses, à l’entre-jambes et à un sein de M... Q....
[165] Sur la rue, il y a beaucoup d’ambiance vu les nombreuses personnes et la musique. Beaucoup de gens rient de son accoutrement. Après un arrêt au dépanneur, il parle de son déguisement avec une fille habillée en bleu.
[166] Elle met son visage dans les seins de R-B pour prendre une photo. À ce moment, il la prend uniquement par la taille.
[167] Tout de suite après ce premier cliché, elle demande à ses amis de se joindre à eux pour une autre photo.
[168] Une fille vêtue de blanc se place devant lui. Juste avant de prendre la photo, elle penche le haut du corps vers l’avant, en plaçant ses mains sur ses cuisses. Ses fesses reculent contre lui. Il porte des leggings. Il y a un contact, ça dure 30 secondes. Il lui dit : « eille, qu’est-ce que tu fais là! ». Elle se relève, puis une fraction de seconde plus tard, elle se penche à nouveau, de la même façon que précédemment.
[169] Comme l’ambiance est à prendre des clichés à caractère sexuel et qu’elle se penche pour une deuxième fois de la même façon, il entre dans le jeu et place une main de chaque côté de ses hanches afin de prendre une photo drôle. À ce moment, seules ses mains touchent au corps de la fille en blanc. Jamais elle ne manifeste son désaccord.
[170] Après la photo, ils se souhaitent une belle fin de soirée. R-B et ses amis poursuivent leur chemin. Ils prennent une autre photo avec une dame vêtue de mauve et discutent avec d’autres personnes. Éclate ensuite une bagarre proche d’eux.
[171] Quelques secondes plus tard, il voit un homme sortir du bar « Le District » et se diriger vers lui. Il le pousse à deux reprises, assez fort au niveau de la poitrine en l’accusant : « t’as doigté ma blonde mon esti, je vais te casser la gueule! ». Il s’agit de l’homme présent lors de la première séance de photos. Le portier s’interpose.
[172] T lui dit que la soirée est finie et qu’ils retournent à l’hôtel.
[173] Sur la rue St-Joseph, il entend quelqu’un prononcer les paroles qui ressemblent à : « mon esti, je vais te casser la gueule! Tu as doigté mon amie de fille! »
[174] Il reçoit un premier coup de poing normal. Le deuxième coup a frappé fort, au point où son corps a pivoté 180 degrés.
[175] Il affirme que ni lui, ni l’un de ses amis a donné un coup de poing à F... B....
[176] Lorsqu’il se retourne, sonné après le coup de poing qu’il vient de recevoir, il voit l’homme par terre et ses amis s’enfuir en courant.
[177] Lui et ses amis s’entendent pour ne pas parler des événements à leur conjointe respective.
LES IMAGES VIDÉO
[178] Les parties ont déposé en preuve plusieurs pièces. D’entrée de jeu, la poursuite dépose la photo et la vidéo sur lesquelles on aperçoit M... Q... et R-B prendre la pose. Sont aussi déposées deux vidéos captées sur le cellulaire d’un passant représentant l’incident entre F... B... et les trois hommes, puis trois autres vidéos sur lesquelles on aperçoit les trois hommes poursuivre leur course sur la rue de la Couronne. De son côté, la défense dépose, une fois la preuve de la poursuite close, trois photos dont deux sur lesquelles on voit R... C..., J... Cr..., Ch... et R-B. Enfin, la défense dépose aussi des images vidéo provenant de caméras de surveillance d’immeubles situés sur les rues St-Joseph.
LE DROIT
[179] En matière criminelle, il appartient à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction reprochée. Ce fardeau ne se déplace jamais sur les épaules de l’accusé.
[180] Le juge ne peut se contenter de choisir la version qu’il préfère entre des témoignages contradictoires. Suivant une formule bien connue, il doit utiliser une méthode d’analyse en trois étapes.
[181] Selon cette méthode, il doit acquitter l’accusé s'il le croit. Dans le cas contraire, il se demande si la preuve de ce dernier lui laisse quand même un doute raisonnable, auquel cas il doit l’acquitter. Enfin, s'il a répondu négativement aux deux premières questions, il examine l'ensemble de la preuve de la poursuite pour établir s'il peut conclure à la culpabilité hors de tout doute raisonnable. En ce cas seulement, il doit déclarer l’accusé coupable.
[182] En 2008, dans l’arrêt R. c. C.L.Y., la Cour suprême rappelle qu’il ne s’agit pas d’une formule à être suivie comme une incantation[2]. Malgré ceci, le verdict ne doit pas être fondé sur un choix entre la preuve de l’accusé et celle du ministère public, mais plutôt sur la question de savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, il subsiste un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé. Il est pertinent de rappeler que cette question doit être dans l’esprit du juge pour chacun des chefs d’accusation pris individuellement.
[183] La majorité des dossiers en matière d’agression sexuelle commandent que le juge se penche sur la crédibilité et la fiabilité des témoignages entendus pendant le procès.
[184] Lorsqu’il est confronté à deux versions des faits différentes, le juge est appelé à évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoins.
[185] La crédibilité et la fiabilité sont deux concepts différents qui sont souvent étroitement liés.
[186] La crédibilité fait référence à l’honnêteté d’un témoin, son intégrité, son désir de témoigner de façon véridique. La fiabilité fait référence à l’exactitude de son témoignage, à sa capacité d’observer, de se remémorer ou de relater un événement. Le fait qu’un témoin paraisse crédible ne veut pas nécessairement dire que son témoignage est fiable[3]. Par exemple, une personne peut tenter sincèrement de livrer un témoignage véridique sans que sa version ne soit complètement fiable en raison de son intoxication, du passage du temps ou de ses problèmes de mémoire.
[187] Devant de tels facteurs, un témoin honnête duquel se dégage une grande crédibilité ne rendra pas nécessairement un récit fiable.
[188] Pour évaluer la crédibilité des témoins, le juge doit garder à l’esprit que le témoignage de l’accusé doit être évalué dans le contexte de l’ensemble de la preuve et non pas en vase clos[4].
[189] L’arrêt Garford traite de l’évaluation de la preuve dans les situations où l’accusé se livre à une dénégation catégorique (« adament flat denial ») en réponse à ce qui lui est reproché[5]. La Cour d’appel de l’Alberta écrit :
[32] […] An accused’s denial is ultimately assessed in the context of the whole of the evidence. It would be a perverse misinterpretation of W(D) to suggest that the mere fact of the accused taking the stand, or otherwise leading defence evidence, is in itself sufficient to raise a reasonable doubt. As neatly stated by this Court in CLS at para 46:
Thus, a trial judge is not obliged to find any particular fault with an accused’s testimony in order to convict. A trial judge may reject a defendant’s evidence, and find that it does not give rise to a reasonable doubt, based on a reasoned acceptance beyond a reasonable doubt of conflicting credible evidence proving the essential elements of the offence: R v JJRD, (2006) 218 OAC 37 at para 53, 2006 CanLII 40088 (OHCA); R v Gordon, 2015 ABCA 341 at para 22.
[190] Le Tribunal peut croire aucune, quelques parties ou l’entièreté du témoignage d’une personne[6]. Il peut accorder un poids différent à certaines parties d’un témoignage qu’il accepte[7]. La présence d’incohérences ou de contradictions dans la version d’un témoin n’entraîne pas automatiquement le rejet de tout son témoignage[8].
ANALYSE
[191] D’entrée de jeu dans le présent dossier, le Tribunal remarque que d’un côté comme de l’autre, les témoins sont des personnes liées entre elles.
[192] Les personnes ayant témoigné pour la poursuite sont des amis, certains plus proches, d’autres se qualifiant davantage de « connaissances ».
[193] Les personnes ayant témoigné pour la défense sont cousins. Tous deux se considèrent comme des amis très proches, presque des frères.
[194] Le lien de proximité entre certains témoins constitue un facteur dont le Tribunal peut tenir compte dans l’évaluation de la crédibilité de chacun, sans toutefois en faire à lui seul un facteur déterminant.
[195] Plusieurs questions ont été posées aux témoins concernant la quantité d’alcool qu’ils ont ingéré pendant la journée et la soirée précédant les événements. Le Tribunal estime que dans ce dossier précis, la consommation d’alcool de toutes les personnes impliquées n’est pas importante au point de devenir une considération de premier plan dans l’analyse de la preuve. Le Tribunal demeure conscient que la plupart des témoins avaient consommé une quantité variable d’alcool, ce qui peut potentiellement altérer certains souvenirs. De façon réaliste, il n’est pas attendu d’eux qu’ils se souviennent de façon précise de la sorte et de la quantité d’alcool consommé, non plus de l’heure où ils l’ont ingurgité. Une contradiction ou une absence de souvenir sur cet aspect n’a pas pour effet de diminuer la crédibilité du témoin ou la fiabilité de son témoignage.
LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS CONCERNANT L’AGRESSION SEXUELLE
[196] L’élément matériel de l’agression sexuelle consiste en des attouchements sexuels non souhaités. Il s’établit par la preuve des trois éléments : les attouchements, la nature sexuelle des contacts et l’absence de consentement. Les deux premiers éléments sont objectifs, exigeant la preuve que les actes de l’accusé étaient volontaires. Le troisième élément, soit l’absence de consentement, est subjectif puisqu’il est déterminé en considérant l’état d’esprit de la plaignante, au moment où surviennent les attouchements.
[197] L’intention coupable de l’agression sexuelle est l’intention de se livrer à des attouchements sexuels sur une personne, tout en sachant qu’elle n’y consent pas ou en faisant preuve d’aveuglement volontaire ou d’insouciance quant à cette absence de consentement.
LA PREUVE DE LA DÉFENSE CONCERNANT LES CHEFS D’AGRESSIONS SEXUELLES
Le témoignage de R-B
[198] En défense, la version de R-B oppose une dénégation générale en ce qui concerne les gestes sexuels que lui reprochent les plaignantes. Sa dénégation est appuyée par le témoignage de T.
[199] Outre la dénégation générale concernant les gestes à caractère sexuel et les propos qui y sont rattachés, il est frappant de constater que les versions de tous les témoins entendus, autant en poursuite qu’en défense, offrent des versions similaires sur les éléments neutres.
[200] R-B nie avoir commis quelque geste de nature sexuelle à l’endroit des plaignantes. La poursuite n’a pas soulevé de contradiction entre son témoignage au procès et la version qu’il avait préalablement donnée aux policiers.
[201] R-B nie aussi avoir formulé quelque commentaire déplacé portant sur M... Q... dans les secondes avant que F... B... ne contourne T afin de se diriger vers lui. Le Tribunal ne croit pas R-B sur cet aspect de son témoignage. En regardant la vidéo[9], bien que les paroles prononcées par R-B soient inaudibles, il ne fait aucun doute que c’est en réaction à ces paroles que F... B... déplace T, le contourne et se dirige rapidement vers R-B.
[202] Évidemment, dans l’évaluation du témoignage de R-B sur les gestes reprochés, le Tribunal ne considère d’aucune façon le caractère sexuel des activités de la journée liées à son enterrement de vie de garçon. Tirer quelque inférence que ce soit ou faire des liens entre le type de bars fréquentés, son costume arborant de faux seins et les gestes dont on l’accuse correspondrait à juger à partir d’une preuve de propension ou selon des mythes et des préjugés. Ce type de raisonnement est interdit.
[203] Dans le contexte d’une dénégation complète, la capacité du Tribunal à apprécier la crédibilité de la version de R-B s’avère limitée. C’est pourquoi la question fondamentale est de « savoir si, compte tenu de l’ensemble de la preuve, le juge des faits éprouve un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé »[10]. Nous y reviendrons.
Le témoignage de T
[204] T est en mesure de donner beaucoup de précisions en regard des faits reprochés à R-B mais son souvenir devient nettement moins affirmé lorsqu’il est question de faits collatéraux se déroulant pourtant à une période concomitante.
[205] Par exemple, il nie avec conviction avoir vu R-B se livrer à des touchers de nature sexuelle sur M... Q... et R... C... ou l’avoir entendu prononcer des paroles faisant référence aux jambes ou aux cuisses de M... Q....
[206] En contre-interrogatoire, il perd cette assurance et ses souvenirs sont beaucoup plus limités lorsqu’on le questionne sur les sujets abordés pendant les prises de photos.
[207] À la question d’une des avocates de la défense, T explique qu’il n’a pas vu R-B toucher les fesses, les cuisses ou les seins de M... Q..., ni placer sa main sous sa robe. Cette affirmation ne peut servir à confirmer la version de R-B puisque T admet que de sa position, il n’était pas en mesure de voir le bras de R-B derrière M... Q....
[208] Lorsqu’il est question spécifiquement de la photo avec R... C..., T affirme que cette dernière n’a pas demandé à R-B d’arrêter et qu’il n’a pas été question de ses faux seins. Comment peut-il être aussi affirmatif sur ces points alors qu’il dit aussi qu’à ce moment, les gens ricanaient, ce qui l’empêchait d’entendre ce qu’ils disaient ou les sujets qu’ils ont abordés. De l’analyse de l’ensemble de ses réponses sur les moments concomitants aux prises de photos se dégage une mémoire sélective. Pendant son témoignage, le Tribunal a perçu une volonté de convaincre de l’impossibilité matérielle que les infractions puissent avoir été commises par R-B en raison de la constante présence de T à ses côtés au moment des faits reprochés. Ceci affecte sa crédibilité.
[209] T affirme que pendant toutes les prises de photos, il n’a jamais été question des faux seins de R-B. Il explique son constat en soumettant certaines hypothèses. Peut-être avait-il la tête tournée, peut-être parlait-il avec Étienne Beaudoin ou peut-être n’a-t-il rien entendu en raison du grand nombre de personnes autour d’eux? R-B, pour sa part, indique que c’est lui qui a offert au premier couple de toucher à ses faux seins, admettant qu’à ce moment, il faisait son « show ». Cette dissemblance entre les deux témoignages en défense permet de constater que T n’a vraisemblablement pas eu connaissance de tout ce qui s’est passé avant, pendant ou après les prises de photos.
[210] T affirme que lorsqu’il a pris les photos sur lesquelles apparaissent R... C... et R-B, il ne trouvait pas la pose ou la situation particulièrement drôle. Le Tribunal considère que la tentative de T de convaincre de sa retenue et de sa neutralité à ce moment est invraisemblable vu l’ambiance festive et le caractère loufoque de la photo.
LA PREUVE DE LA POURSUITE CONCERNANT LE CHEF D’AGRESSION SEXUELLE À L’ENDROIT DE M... Q...
Le témoignage de M... Q...
[211] En poursuite, le témoignage de M... Q... est rendu de façon posée. Il est structuré et cohérent. Elle s’efforce de répondre selon ses souvenirs et non par déductions. Elle écoute les questions et demande des précisions au besoin.
[212] Elle n’hésite pas à dire que son souvenir était meilleur dans les jours suivant les événements.
[213] Elle admet sans réticence ne pas se souvenir de tout ce qu’elle a consommé pendant cette soirée où on soulignait son anniversaire. Elle concède qu’elle ressentait plus les effets de l’alcool au moment de l’agression sexuelle que plus tôt en soirée, lorsqu’elle était au restaurant. Elle a été longuement contre-interrogée à ce sujet. Les différences soulevées entre les notes policières et son témoignage sur cet aspect ne sont pas importantes au point d’affecter sa crédibilité ou de considérer qu’elle était dans un état de consommation tel qu’elle se serait méprise sur ce qui lui est arrivé.
[214] En plaidoirie, la défense a résumé sa thèse en présentant le déroulement chronologique de la soirée, s’appuyant des images vidéo provenant de caméras de surveillance d’immeubles situés sur la rue St-Joseph. Rappelons que ces images ont été déposées après que la preuve de la poursuite soit close.
[215] À partir de ces images vidéo, la défense a relevé ce qu’elle considère être des contradictions dans la preuve de la poursuite.
[216] À titre d’exemple, en interrogatoire, M... Q... dit qu’après l’événement qui la concerne, elle et N... H... marchent en direction du bar « Le District » afin de rejoindre ses amis. En contre-interrogatoire, l’avocate de la défense suggère à M... Q... qu’elle courait en direction du bar. M... Q... répond : « à mon souvenir, oui ». Lors des plaidoiries, l’avocate de la défense soumet au Tribunal qu’il existe une contradiction dans le témoignage de M... Q... parce qu’elle a mentionné dans son témoignage qu’elle courait alors que sur certains extraits vidéo, on la voit plutôt marcher en compagnie de N... H....
[217] À ce sujet, la défense a omis de questionner M... Q... à partir de ces images, ce qui, selon le Tribunal, constitue une entorse à la règle bien connue de Browne v. Dunn[11]. Cette règle vise à maintenir l’équité dans un procès. Elle prévoit qu’une partie ne pourra pas attaquer la crédibilité d’un témoin sur un point qui se révèle déterminant et qui était imprévisible pour la partie adverse, que ce soit en présentant une preuve qui le contredit ou lors de sa plaidoirie, si elle ne l’a pas d’abord contre-interrogé sur cet aspect. Dans le Traité général de preuve et de procédure pénale[12], les auteurs Desjardins et Vauclair écrivent :
[…] il revient à l’avocat qui veut attaquer la crédibilité du témoin sur des aspects spécifiques et importants de sa version, de lui faire comprendre qu’elle n’est pas acceptée et de lui donner l’occasion de s’expliquer. S’il devient apparent qu’une partie contrevienne à la règle, le juge choisit le moyen d’y remédier. À titre d’exemples, il peut décider de rappeler un témoin si cela peut commodément se faire ou aviser le jury qu’il peut tenir compte de l’absence de contre-interrogatoire pour évaluer la crédibilité […].
[Références omises]
[218] Le Tribunal estime que la défense aurait dû exhiber à M... Q... les images vidéo où on l’aperçoit marcher plutôt que courir. Cette question constitue un point d’une certaine importance et qui était imprévisible pour le poursuivant.
[219] Vu cette contravention à la règle visant à préserver l’équité du procès et compte tenu qu’il n’était pas commode de rappeler M... Q... une fois les plaidoiries finales entamées, le Tribunal estime qu’il peut tenir compte de l’absence de contre-interrogatoire sur cet aspect dans son appréciation de la preuve.
[220] D’ailleurs, le Tribunal ne peut conclure à la présence d’une contradiction sur cette question pour les raisons suivantes :
[221] D’abord, M... Q... a affirmé en interrogatoire qu’ils avaient marché pour se rendre vers le bar, ce qui correspond à l’image vidéo.
[222] En contre-interrogatoire, après que M... Q... ait acquiescé à la proposition selon laquelle elle et son conjoint couraient pour aller vers le bar, l’avocate de la défense ne l’a pas questionné davantage et ne lui a pas présenté les extraits vidéo qui démontrent le contraire. Dans ce contexte, comme les extraits vidéo en preuve ne présentent pas la totalité du déplacement, le Tribunal ne peut conclure à une contradiction.
[223] Enfin, comme M... Q... n’a pas eu l’occasion de répondre à ce que la défense présente comme étant une contradiction, le Tribunal n’a pas le portrait complet lui permettant d’analyser cet argument et d’en tirer quelque inférence que ce soit.
[224] La défense souligne que M... Q... a mentionné au procès qu’elle pensait avoir pleuré pendant une période de 20 minutes après avoir reçu accidentellement de l’alcool dans les yeux plus tôt cette soirée-là alors qu’elle admet avoir préalablement dit à un policier qu’elle avait pleuré pendant une heure. La défense y voit une contradiction significative dans le témoignage de M... Q....
[225] La défense remarque aussi que M... Q... se méprend lorsqu’elle décrit les pantalons de R-B. Elle dit qu’ils étaient courts alors qu’en réalité, ils étaient longs.
[226] On invoque de plus le fait qu’après l’agression, M... Q... souhaitait avertir les policiers et qu’elle ne l’a pas fait avant d’aller rejoindre ses amis.
[227] Est-ce que ces contradictions ou méprises dans le témoignage de M... Q... affectent de façon importante la fiabilité de son récit? Le Tribunal considère que ces contradictions ne sont pas déterminantes et affectent tout au plus la valeur probante de son témoignage sur certains faits, pour la plupart collatéraux, ce qui ne diminue en rien sa crédibilité, la vraisemblance et la fiabilité de son récit sur les éléments centraux de son témoignage.
[228] M... Q... a expliqué de façon précise et réaliste les sentiments qui l’habitaient pendant que R-B la touchait sexuellement lors de la prise de la photo. Elle précise à quel point elle paniquait intérieurement, qu’elle a choisi de ne rien dire puisqu’elle craignait les conséquences potentielles si son conjoint décidait alors de prendre sa défense. M... Q... n’aurait pas pu inventer une gamme d’émotions aussi complexes si elles ne les avaient pas vécues. Il s’agit là d’un indice important de sincérité.
[229] Certes, ni N... H... ni T n’ont vu R-B saisir le sein de M... Q... après la photo. Le Tribunal estime que cette absence de confirmation n’a pas pour effet de diminuer la valeur qu’il accorde au témoignage de cette dernière.
[230] Sans accorder une importance indue à la preuve vidéo[13] filmée pendant la prise de photo avec M... Q... et R-B, le Tribunal remarque que celle-ci tend à confirmer la version de M... Q... En plus du fait qu’elle serre les doigts à un certain moment, on peut apercevoir son sac à main bouger légèrement derrière elle alors qu’elle est immobile et que la main de R-B s’y trouve.
[231] Le Tribunal croit la plaignante lorsqu’elle affirme avoir été agressée sexuellement par R-B.
Les témoins de la poursuite dont la version est pertinente sur le chef d’agression sexuelle à l’endroit de M... Q...
[232] N... H... a témoigné avec calme, en expliquant ce qu’il ressentait au fur et à mesure du déroulement des événements. Il a rendu sa version selon son souvenir, n’hésitant pas à affirmer qu’une partie de sa première déclaration rédigée dans la voiture de police était très mal formulée, ce qu’il attribue au choc vécu lors de cette soirée.
[233] Il ne tente pas à tout prix de confirmer le témoignage de sa conjointe, expliquant qu’il n’a pas vu R-B la toucher pendant qu’il prenait la photo, ni lui prendre un sein en prononçant certaines paroles. Même si M... Q... et R-B. étaient devant lui à ce moment, N... H... affirme qu’il discutait alors avec un autre homme.
[234] La défense souligne que N... H... et M... Q... n’utilisent pas les mêmes mots pour rapporter les paroles qu’aurait prononcées un des hommes en les quittant. M... Q... utilise le terme « entrecuisse » alors que N... H... utilise le terme « cuisse ». Le Tribunal estime que cette différence n’est pas significative, mais plutôt le reflet de témoignages basés sur le souvenir propre à chacun. L’idée générale derrière le message reste la même malgré l’utilisation de deux mots qui se ressemblent par ailleurs.
[235] N... H... évalue que l’interaction avec les trois hommes a duré approximativement 10 à 15 minutes. Lors des plaidoiries, la défense invoque qu’en se basant sur les images vidéo[14], l’interaction s’est échelonnée sur une période de deux minutes. Encore une fois, la défense a omis de contre-interroger le témoin en lui présentant les vidéos sur lesquelles on peut lire les heures. Le Tribunal constate quand même que le témoin se trompe en surestimant la durée de la rencontre. Quelle est l’incidence de cette méprise au regard de l’entièreté du témoignage de N... H...? Cette erreur dans sa perception du temps n’affecte pas sa crédibilité ni la vraisemblance de son récit.
[236] Malgré son absence au moment des événements délictuels allégués commis sur M... Q..., le témoignage de A... S... est d’une pertinence certaine. En plus d’avoir constaté l’état de M... Q... et de N... H... devant le bar « Le District », elle entend le commentaire déplacé que R- B formule au sujet des jambes de M... Q.... Elle n’est pas en mesure de se rappeler des paroles exactes qu’il a prononcées.
[237] En contre-interrogatoire à ce sujet, A... S... admet avoir dit aux policiers qu’elle se souvenait avoir entendu des paroles sans savoir lesquelles. Qu’est-ce que le Tribunal doit conclure de cette portion du contre-interrogatoire? Il n’y a là aucune contradiction avec son témoignage à l’audience. Seulement la précision que sans se souvenir du mot à mot prononcé par R-B, le propos portait sur les jambes de M... Q.... Pour y voir une contradiction, il aurait fallu faire élaborer ce témoin sur le contexte et le contenu de sa discussion avec les policiers, en plus d’obtenir des renseignements sur la façon dont le rédacteur/trice des notes s’y est pris pour les consigner. Le Tribunal ne peut tirer d’inférence négative quant à la fiabilité à accorder au témoignage de A... S... à partir de son contre-interrogatoire portant sur cette question.
[238] Tel que mentionné précédemment, le Tribunal considère que R-B a prononcé des paroles qui ont fait réagir F... B... qui s’est subitement dirigé vers lui. Le Tribunal croit A... S... lorsqu’elle précise que les paroles prononcées étaient au sujet des jambes de son amie.
LA PREUVE DE LA POURSUITE CONCERNANT LE CHEF D’AGRESSION SEXUELLE À L’ENDROIT DE R... C...
Le témoignage de R... C...
[239] R... C... témoigne avec assurance, autant en interrogatoire qu’en contre-interrogatoire. Elle demande qu’on précise les questions au besoin et elle n’a aucune réticence à dire qu’elle ne connaît pas une réponse ou que son souvenir est défaillant.
[240] Sa description des gestes litigieux est claire, précise et ne laisse place à aucune ambiguïté. En analysant la chronologie de la soirée en fonction des images vidéo déposées par la défense, le Tribunal constate que R... C... se méprend sur l’heure où elle a aperçu les trois hommes pour la première fois. Cette méprise n’affecte d’aucune façon la fiabilité de son récit, d’autant qu’on ne lui a pas présenté les heures exactes et qu’on ne lui a pas demandé d’explications supplémentaires à ce sujet.
[241] Malgré un contre-interrogatoire serré pendant lequel on tente notamment de lui faire admettre qu’elle n’est pas certaine que ses fesses aient touché au pénis de R-B, sa conviction demeure inébranlable.
[242] Le Tribunal considère que son témoignage est crédible et nuancé puisqu’elle ne tente pas d’accabler inutilement R-B. Par exemple, elle admet que le contact physique a été court et léger. Elle admet aussi qu’elle s’est penchée devant lui tout en spécifiant : « pas au point de faire ce qui est arrivé ». De ce passage de son témoignage, le Tribunal comprend que ce n’est pas parce qu’elle s’est penchée devant cet homme pour prendre une photo que ce dernier devait conclure à une invitation de sa part à se comporter comme il l’a fait.
[243] Le contact très court et léger dont elle fait mention est compatible avec sa déclaration aux policiers selon laquelle la situation ne l’a pas déstabilisée.
[244] Lors des plaidoiries finales, la défense argue que les deux photos sur lesquelles apparaissent notamment R... C... et R-B corroborent le témoignage de ce dernier en raison de l’ambiance de plaisir qui s’en dégage et parce qu’on y aperçoit R... C..., penchée vers l’avant qui sourit tout en sortant la langue.
[245] La défense a choisi de ne pas exhiber ces photos à R... C... ou à tout autre témoin de la poursuite. Ces photos sont pourtant d’une importance incontestable puisqu’elles sont prises à un moment contemporain à l’agression sexuelle alléguée. Lors de la présentation de la preuve de la poursuite, ces éléments importants lui étaient encore inconnus. Tel que mentionné précédemment, cette façon de faire de la défense contrevient à l’équité du procès.
[246] La défense voit dans ces photos une confirmation des témoignages entendus en défense. Qu’en est-il?
[247] Tel que soulevé précédemment, le Tribunal constate que les versions de tous les témoins entendus, autant en poursuite qu’en défense, offrent des versions similaires sur plusieurs éléments. Ce qui apparaît sur ces deux photos en est un bel exemple. La position des personnes photographiées, leur habillement, la prise des hanches de R... C... par R-B, l’ambiance festive, le caractère loufoque de la photo et les nombreuses personnes à proximité sont des éléments admis par tous. Le Tribunal ne considère pas que ces photos tendent à soutenir uniquement la version présentée par les témoins en défense. Elle confirme également la version des témoins de la poursuite. Et le fait que R... C..., C... D... et J... Cr... n’aient pas eu le bénéfice de prendre connaissance de celles-ci avant de témoigner rehausse la fiabilité de leur version puisqu’en se fiant uniquement sur leur mémoire, il appert que leur souvenir est conforme à ce qui apparaît sur les photos.
[248] La nuit des événements, R... C... n’est pas certaine de vouloir porter plainte. Elle souhaite y réfléchir. Tirer une inférence négative quant à sa crédibilité ou à la véracité de sa version parce qu’elle prend un certain temps avant de porter plainte officiellement serait une erreur.
[249] Elle affirme avoir finalement porté plainte après avoir réfléchi au fait qu’elle n’était pas la seule pendant cette soirée à avoir subi ce type de comportements par le même individu. La défense insiste sur la possibilité qu’elle ait pu décider de porter plainte par solidarité pour M... Q... et F... B.... Même si c’était le cas, le Tribunal ne voit pas en quoi cette motivation à porter plainte affecterait la valeur probante de son récit.
Les témoins de la poursuite dont la version est pertinente sur le chef d’agression sexuelle à l’endroit de R... C...
[250] Les témoignages de J... Cr... et C... D... contiennent des différences, notamment quant au nombre de fois où R... C... aurait manifesté à R-B qu’elle ne voulait pas qu’il la touche de cette façon.
[251] Ces divergences ne sont pas de nature à diminuer significativement la valeur probante de leur récit. Ce que le Tribunal retient des témoignages de J... Cr... et de C... D..., c’est qu’ils ont vu R... C... repousser R-B et lui dire d’arrêter.
[252] Tous deux affirment que R... C... leur a parlé de ce qu’elle venait de vivre avant le retour de M... Q....
[253] R... C..., J... Cr... et C... D... ne se souviennent pas que leur amie Ch... ait pris une photo avec R-B en touchant ses faux seins avec son visage. Rappelons que sur cette question, la défense a fait le choix de ne pas présenter la photo ayant immortalisé cette scène aux témoins de la poursuite[15]. Le Tribunal ne peut donc spéculer sur la raison pour laquelle R... C... et J... Cr... n’ont pas de souvenir de ce moment. Est-ce parce qu’ils n’étaient pas attentifs à ce que Ch... faisait ou parce que cette partie de la soirée n’est pas restée gravée dans leur mémoire? Plusieurs explications sont possibles mais il demeure que cette absence de souvenir n’affecte pas leur crédibilité puisqu’elle porte sur un élément périphérique.
[254] Il est normal que C... D... n’ait aucun souvenir de ce moment puisqu’elle apparaît sur le cliché[16] et son regard est dirigé dans une direction opposée à Ch... et R-B.
[255] C... D... mentionne qu’elle parlait à sa cousine pendant que R... C... prenait une photo avec R-B. Ceci semble conforme à ce qu’on constate sur les photos déposées par la défense[17].
[256] En considérant ce fait, auquel on ajoute l’atmosphère festive créée par les nombreuses personnes à proximité, le Tribunal trouve tout à fait normal que ces différents témoignages puissent contenir des dissemblances.
L’APPLICATION DES PRINCIPES DE L’ARRÊT R. c. W.(D.)[18] CONCERNANT LES DEUX CHEFS D’AGRESSIONS SEXUELLES REPROCHÉS À R-B
[257] La poursuite a renoncé explicitement à ce que le Tribunal s’interroge sur la question de la preuve de faits similaires.
[258] Il n’en demeure pas moins que la chronologie des évènements survenus cette nuit-là est importante pour analyser la preuve dans son ensemble :
[259] En analysant la chronologie des événements survenus entre 1 h 39 et 1 h 57 cette nuit-là, le Tribunal considère que :
[260] Dans l’évaluation globale de la preuve factuelle, le Tribunal retient qu’en moins de 20 minutes, deux jeunes femmes qui ne sont pas en présence l’une de l’autre, se sont plaintes de façon spontanée auprès de leur entourage respectif du comportement de R- B à leur endroit. Rappelons qu’à ce moment, l’une ignore ce que l’autre reproche à R-B et vice-versa.
[261] Pour cette raison, en plus des motifs énumérés précédemment et en considérant l’ensemble de la preuve, le Tribunal ne croit pas la version de l’accusé R-B et sa défense ne soulève pas de doute raisonnable.
[262] Les témoins de la poursuite ont tous fait preuve de transparence en admettant avoir reparlé des événements entre eux. Certains ont reçu la consigne d’arrêter d’en discuter, consigne qu’ils disent avoir respectée. On ne peut reprocher à des citoyens non initiés à certains concepts juridiques d’avoir discuté d’événements qui sortent de l’ordinaire, qui chamboulent leur vie et qui sont potentiellement traumatisants pour certains. Des témoignages entendus en poursuite, le Tribunal ne relève aucune collusion ou contamination.
[263] L’arrêt Dinardo, rappelle aux juges d’instance que le contexte du dévoilement de l’agression alléguée allant jusqu’au dépôt de la plainte aux policiers, incluant la cohérence des déclarations données par une plaignante à travers le temps, peut s’avérer des éléments pertinents et utiles pour permettre d’apprécier la sincérité de celle-ci, ainsi que la fiabilité de ses allégations dans le cours du processus judiciaire[19].
[264] À ce sujet, les réactions spontanées des plaignantes auprès des personnes se trouvant à proximité d’elles dans les instants suivant les agressions dont elles se plaignent sont révélatrices et considérées par le Tribunal dans l’analyse de l’ensemble de la preuve.
[265] Les failles dans le témoignage des plaignantes et des témoins de la poursuite ne sont pas de nature à affecter leur crédibilité générale et la vraisemblance de leur récit dans le contexte de l’ensemble de la preuve.
[266] Compte tenu de cette conclusion, au regard de l’agression sexuelle commise à l’endroit de R... C..., la défense de croyance sincère, mais erronée au consentement communiqué ne s’applique pas puisque les faits retenus ne sont pas ambigus et ne laissent pas place à plusieurs interprétations.
[267] La question de la croyance sincère aurait pu se poser si les faits relatés par R... C... et l’accusé R-B pouvaient être « combinés » de telle sorte que la seule contradiction importante entre les deux aurait référé non pas à ce qui s’est passé, mais à leur interprétation respective de ce qui s’est passé, ce qui n’est pas le cas en l’espèce[20].
[268] En conséquence, la preuve de la poursuite convainc le Tribunal de la culpabilité de l’accusé R-B et ce, hors de tout doute raisonnable.
LES VOIES DE FAIT GRAVES
LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS CONCERNANT LES VOIES DE FAIT GRAVES
[269] En 2019, la Cour d’Appel du Québec écrivait que :
[18] […] les éléments essentiels de l'infraction de voies de fait graves sont : (1) l'emploi intentionnel de la force contre la victime; (2) l'absence de consentement de celle-ci; (3) la prévisibilité objective de lésions corporelles; (4) les lésions ont pour effet de blesser, mutiler, défigurer la victime ou mettre sa vie en danger[21].
[Références omises]
[270] Le Code criminel ne définit pas le mot « blesser ». Conséquemment, il faut définir ce mot à partir de son sens commun. Quant à la nature de la blessure, la jurisprudence prévoit une hiérarchie permettant de distinguer le geste illégal qui cause des lésions corporelles de celui qui blesse, mutile, défigure ou met en danger la vie. La Cour d’appel du Québec a récemment traité de ce sujet:
[51] À ce sujet, on lira l'intéressante revue de la jurisprudence sur la définition de « blessure » dans R. c. Pootlass, 2019 BCCA 96, par. 27-113. Au paragraphe 115, la Cour conclut que «a break in the continuity of the whole skin that constitutes a substantial interference with the physical integrity or well-being of the complainant» et, au paragraphe 116, que «[a] cut that requires five stitches or staples is a substantial interference with someone's physical integrity[22].[…]
[271] Dans l’arrêt Pootlass, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique précise que la blessure ne doit pas obligatoirement être permanente ou de longue durée pour constituer une voie de fait grave[23].
La légitime défense
Droit applicable-légitime défense
[272] Selon l’article 34(1) du Code criminel, la légitime défense comporte trois critères cumulatifs :
1. L’appréhension raisonnable que la force est ou sera employée;
2. L’acte reproché à l’accusé doit être posé dans le but de défendre ou de se protéger soi-même ou de protéger autrui;
3. L’accusé doit agir de façon raisonnable dans les circonstances.
[273] Pour écarter la légitime défense, la poursuite doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l’un ou l’autre de ces critères n’est pas satisfait[24].
[274] Le deuxième paragraphe de ce même article énonce une série de facteurs que le juge considère pour décider si l’accusé a agi de façon raisonnable dans les circonstances, dont, notamment, la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel, le rôle joué par l’accusé lors de l’incident, la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme, la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties, la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties, l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause et la nature et la proportionnalité de la réaction de l’accusé à l’emploi de la force[25].
[275] L’analyse de la raisonnabilité de l’action en réponse à l’emploi de la force est globale, souple et contextuelle. Elle englobe toute conduite pertinente de l’accusé tout au long de l’incident et non uniquement l’acte précis reproché[26]. L’analyse se base sur ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans des circonstances comparables[27].
[276] La Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Robitaille Drouin, précise qu’il en est ainsi afin de « faire en sorte que l'emploi de la légitime défense est conforme aux normes sociales de conduite modernes. Les tribunaux ne peuvent en effet avaliser des conduites archaïques et violentes, relevant du Far-West »[28].
[277] Pour repousser la légitime défense, la poursuite doit démontrer hors de tout doute raisonnable qu’un des critères énumérés au premier paragraphe de l’article 34 du Code criminel n’est pas rencontré et que la preuve ne laisse place à aucun doute raisonnable. Dans un tel cas, la défense sera rejetée.
[278] Le Tribunal réitère que l’accusé n’a rien à prouver. Si, au terme d’une évaluation de toute la preuve, incluant les questions de crédibilité, il subsiste un doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté.
ANALYSE
Les lésions subies par F... B... constituent-elles des blessures?
[279] La défense admet que le coup de canne a causé des lésions corporelles à F... B.... Malgré ce fait, elle prétend que la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable que les lésions corporelles résultant du coup de canne reçu par F... B... constituent des blessures de la nature dont il est question pour entraîner la responsabilité criminelle de R-B sur un chef d’accusation de voies de fait graves. Toujours selon la défense, le Tribunal ne peut se baser uniquement sur le témoignage de F... B... pour conclure à la présence de blessures. Elle soumet que le Tribunal ne peut interpréter les diagnostics consignés dans le rapport médical de F... B... puisqu’aucun expert n’a témoigné pour les expliquer.
[280] Pour le Tribunal, les images vidéo sont limpides : F... B... a manifestement perdu conscience au moment où il a été frappé. Les blessures dont il fait état devant la Cour sont importantes et rencontrent aisément le critère requis par l’article 268 du Code criminel qui emploie le mot « blesser ». Même en faisant fi des termes médicaux qui ne sont pas de connaissance judiciaire contenus dans le rapport médical, le Tribunal considère que le coup de canne a blessé F... B... gravement. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à penser à la force du coup qui a entraîné d’importants saignements au niveau de sa tête, à la fracture crânienne qu’il a subie, à l’opération, aux deux semaines d’hospitalisation, à la douleur qu’il a ressentie et les séquelles avec lesquelles il doit toujours composer en plus des sept mois de réhabilitation qu’il a traversé.
La légitime défense
[281] D’entrée de jeu, rappelons que la poursuite concède que l’accusé rencontre les premier et deuxième critères essentiels à la légitime défense, soit l’appréhension raisonnable que la force est ou sera employée et que l’acte reproché à l’accusé T a été posé dans le but de défendre R-B.
[282] Le Tribunal doit évaluer si le troisième critère de ce moyen de défense s’applique en se demandant si l’accusé a agi de façon raisonnable dans les circonstances. Pour la poursuite, le coup de poing que F... B... a donné à R-B ne justifiait aucunement que l’accusé T réplique en le frappant à la tête avec une canne.
[283] Pour la défense, l’accusé T a agi en pacificateur tout au long de l’incident. L’assaillant de R-B est un homme plus costaud et plus jeune alors que l’accusé T est affaibli par l’arthrose, ce qui entrave sa capacité à se déplacer rapidement. Le Tribunal devrait considérer qu’à la suite du coup de poing donné à R-B, l’accusé T n’a pas eu suffisamment de temps pour réfléchir et qu’en ayant donné un seul coup de canne qui ne visait pas spécifiquement la tête, il a agi de façon raisonnable.
LA PREUVE VIDÉO
[284] En plus des différents témoignages, le Tribunal a pu prendre connaissance des faits grâce à des images vidéo de surveillance de commerces avoisinants[29] et de l’enregistrement audiovisuel captée par un passant[30].
[285] À 1 h 58, on aperçoit les deux accusés et Étienne Beaudoin marcher sur la rue St- Joseph en direction de leur hôtel[31].
[286] Moins de 30 secondes plus tard, F... B... entre dans le champ de la caméra en courant vers eux[32]. Ses bras ne sont pas dans les airs. Il rejoint les trois hommes rapidement. Ceux-ci cessent de marcher.
[287] À 1 h 59, A... S... rejoint le groupe en courant.
[288] Les images de la pièce P-3 commencent au moment où F... B... a rejoint le groupe composé des trois hommes. Le Tribunal a pu visionner ces images au ralenti.
[289] F... B... et R-B ont une vive discussion. Ils ont un léger contact physique. On peut entendre les paroles suivantes à quelques reprises : « on n’est jamais rentré dans le bar ». T tente de s’interposer entre les deux. F... B... le repousse. T place sa main sur F... B... afin de le retenir. R- B se retourne et fait quelques pas en continuant son chemin pendant que F... B... s’adresse à lui. R-B s’arrête et reste en retrait, en étant attentif à la discussion entre F... B... et T. On peut entendre T : « c’est arrivé dans quel bar? On n’est jamais rentré dans un bar! ». La discussion est déjà entamée au début de la deuxième partie de la vidéo[33]. 34 secondes plus tard, A... S... se joint à la conversation. Étienne Beaudoin reste à proximité tout en se déplaçant tranquillement, lui aussi attentif à la discussion.
[290] À 42 secondes du début de la vidéo[34], R-B s’adresse à F... B.... Les paroles sont inaudibles.
[291] F... B... déplace T afin de se diriger vers R-B. T prend sa canne par la base et la lève, se préparant vraisemblablement à intervenir à l’aide de celle-ci. Au moment où F... B... frappe R-B au visage, T commence une motion vers l’arrière avec la canne. Il fait quelques pas derrière F... B..., complète sa motion et frappe F... B... d’un coup derrière la tête. Pendant ce temps, A... S... crie afin d’avertir F... B.... Étienne Beaudoin est à côté d’elle et demeure passif.
[292] Il s’écoule environ deux secondes entre le moment où F... B... frappe R-B et le coup de canne qu’il reçoit à la tête par T. Sous l’impact, F... B... s’écroule au sol, telle une poupée de chiffon, en ne faisant aucun geste pour retenir sa chute. T se penche par-dessus F... B... et rapidement, A... S... le repousse.
[293] T se déplace vers un chantier de construction sur sa gauche, rebrousse chemin et repart vers l’hôtel accompagné de R-B et d’Étienne Beaudoin.
[294] Selon les images de la pièce D-7, du moment où A... S... arrive en courant jusqu’à 2 h 05, aucune autre personne n’est aperçue en train de courir[35].
[295] Avant d’aborder les critères devant être considérés pour déterminer si l’accusé T a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le Tribunal tient à préciser certains éléments de la trame factuelle qu’il retient :
[296] À partir des faits qu’il retient, le Tribunal doit déterminer si l’accusé T a agi de façon raisonnable dans les circonstances en analysant la situation complète, en s’appuyant sur les critères prévus par la Loi.
[297] Le Tribunal doit tenir compte des faits pertinents dans la situation personnelle de l’accusé et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend les facteurs suivants :
1. La nature de la force ou de la menace
[298] Dans les circonstances propres à cette affaire, quel était le sérieux du danger auquel étaient confrontés l’accusé T et son cousin?
[299] Peu de temps avant l’événement, N... H... invective R-B et veut s’en prendre à lui au point où les portiers interviennent pour le retenir. Quelques minutes plus tard, F... B..., énervé, rejoint les trois hommes en leur faisant des reproches. Après une discussion et un commentaire déplacé de R-B, la menace se matérialise : F... B... s’élance rapidement sur R- B et le frappe au visage, avec une force qui le fait pivoter sur 180 degrés.
[300] T sait que R-B est fragile au niveau de la tête en raison de deux commotions cérébrales dont il a été victime dans le passé.
[301] En évaluant la situation de façon globale, le Tribunal considère qu’il existe à ce moment une réelle possibilité qu’une personne déjà fragilisée reçoive d’autres coups à la tête, ce qui risque d’aggraver sa condition. Pour R-B, recevoir d’autres coups à la tête représente une menace sérieuse.
2. La mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel.
[302] Selon la Cour d’appel :
[122] […] s'il est vrai qu'une personne n'est pas obligée de fuir devant la menace pour se prévaloir de la défense de légitime défense, d'autres moyens de défense pour parer à l'emploi de la force, dont la fuite, peuvent être considérés dans l'évaluation du caractère raisonnable des gestes, particulièrement lorsque l'accusé ne se trouve pas dans sa demeure au moment de l'altercation[37].
[Références omises]
[303] En l’espèce, le danger était plus qu’imminent, il s’est matérialisé en un coup au visage de R- B. Bien que rien n’empêchait R-B d’assurer sa propre défense, T a choisi de défendre son cousin. Vu le coup déjà porté et la possibilité d’un second, il devait réagir rapidement et il n’a pas eu beaucoup de temps pour réfléchir à d’autres moyens pour faire cesser l’attaque. Il avait déjà sa canne en main et il a décidé de l’utiliser.
[304] Toutefois, le peu de temps qu’il avait pour réfléchir ne justifie pas que T ait choisi de frapper F... B... à la tête. Son choix de le frapper à la tête plutôt que sur une autre partie de son corps n’a rien à voir avec le temps dont il disposait pour choisir la façon de faire cesser l’attaque. Il n’avait qu’à créer une diversion pour détourner l’attention de F... B..., ce qui aurait permis à R-B de se sauver ou de se défendre. D’ailleurs, au moment où T donne le coup de canne, R-B est déjà en train de se sauver.
3. Le rôle joué par l’accusé lors de l’incident
[305] R-B a agi en agent provocateur et a contribué à l’escalade de violence.
[306] Au contraire, T a agi de façon à éviter les conflits, du moment où il invite ses amis à retourner vers l’hôtel après l’incident avecN... H... jusqu’à ce qu’il donne le coup de canne. Il n’a jamais cherché à envenimer la situation qui était déjà tendue.
4. La question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
[307] Cette question est un facteur pertinent dans l’évaluation du caractère raisonnable de la conduite reprochée. Qu’il s’agisse d’une arme à feu, d’une arme blanche ou tout autre objet contondant, le Tribunal doit considérer cet élément afin d’évaluer la proportionnalité de la réaction de l’accusé à l’emploi de la force.
[308] En l’espèce, F... B... n’était pas armé et personne ne croyait qu’il l’était.
[309] Malgré ce fait, T a quand même choisi d’utiliser sa canne comme une arme.
5. La taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
[310] F... B... est un jeune adulte grand et visiblement en forme. Il est uniquement accompagné de A... S... qui ne représente aucune menace pour R-B.
[311] L’argument selon lequel F... B... est un joueur de soccer professionnel qui pratique des arts martiaux ne peut être considéré parce que T n’avait pas la connaissance de ces faits au moment où il a donné le coup de canne.
[312] En revanche, T est plus vieux que F... B... et il est accompagné de deux amis. Ils sont en surnombre par rapport à F... B....
[313] Aucune partie n’est intoxiquée au point d’influencer leur niveau de colère, de frustration ou leur coordination.
6. La nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace et,
7. L’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
[314] Le facteur numéro 6 est moins pertinent dans le présent dossier puisqu’il est souvent rattaché à des situations de relations amoureuses empreintes de violence physique et verbale.
[315] Mentionnons quand même qu’au moment où F... B... interpelle les trois hommes, ceux-ci viennent de vivre un épisode de violence avec N... H..., ce qui peut avoir affecté l’état d’esprit dans lequel s’est retrouvé T en décidant d’agir comme il l’a fait.
8. La nature et la proportionnalité de la réaction de l’accusé à l’emploi ou à la menace de l’emploi de la force
[316] Dans son Traité de droit criminel, le professeur Hugues Parent écrit ceci :
896. La nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force est un autre facteur pertinent afin de décider si la personne a agi de façon raisonnable. Son évaluation suppose un examen de la nature et du degré de force utilisée dans les circonstances. Naturellement, le recours à une force excessive, démesurée ou disproportionnée par rapport aux danger réel ou appréhendé aura un impact significatif sur l’évaluation du caractère raisonnable de la réaction de l’accusé. En effet, plus la force est déraisonnable, moins il y a de chances de conclure que l’accusé a agi raisonnablement dans les circonstances. […]
897. Bien que les conséquences du recours à la force puissent parfois nous renseigner sur la nature et le degré de force utilisée, elles ne sont pas déterminantes dans tous les cas. Une personne, en effet, a pu subir des blessures importantes sans que la force utilisée par l’accusé soit excessive ou disproportionnée par rapport à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force[38]. […]
[Références omises]
[317] Dans le présent dossier, le Tribunal estime qu’au-delà des blessures importantes subies par F... B..., la force utilisée par l’accusé T qui a choisi de le frapper à la tête avec une canne en métal alors qu’il lui faisait dos, est un exemple de l’utilisation d’une force excessive et disproportionnée par rapport à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force.
[318] En considérant tous ces facteurs, le Tribunal conclut que ceux favorables à l’accusé, principalement celui en lien avec son rôle de pacificateur et le peu de temps dont il disposait pour réagir, ne font pas le poids devant la force excessive et disproportionnée qu’il a utilisée.
[319] La nature de la menace envers R-B, c’est-à-dire la possibilité qu’il reçoive un autre coup de poing, ne justifiait aucunement d’utiliser une canne comme arme. La nature de son geste et le degré de force déployé en frappant F... B... directement sur la tête représentent un comportement hautement dangereux et complètement disproportionné en réaction à la menace d’un coup au visage. D’ailleurs, T connaissait les conséquences possibles d’une commotion cérébrale.
[320] En conclusion, la réponse de T n’était absolument pas proportionnelle au danger qui se présentait à R-B et le coup de canne donnée sur la tête de F... B... n’était pas raisonnable dans les circonstances. Conséquemment, la légitime défense ne peut trouver application en l’espèce.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[321] DÉCLARE l’accusé T coupable de voies de faits graves.
[322] DÉCLARE l’accusé R-B coupable des deux chefs d’agression sexuelle.
| __________________________________ SARAH-JULIE CHICOINE, J.C.Q. | |
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Me Chloé Émond Me Juan Manzano | ||
Procureurs aux poursuites criminelles et pénales | ||
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Me Marie-Josée Jobidon | ||
Procureure de Patrick Toussaint
Me Caroline Gravel Me Sophie Dubé Procureures de Martin Roussin-Bizier | ||
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Dates d’audience : 18-19-20-21-22 septembre 2023
[1] Pièce P-12, vidéo captée par Étienne Beaudoin le 11 septembre 2022, déposée le 18 septembre 2023.
[2] R. c. C.L.Y., 2008 CSC 2.
[3] R. c. Rozon, 2020 QCCQ 8498, par. 43.
[4] J.L. c. La Reine, 2017 QCCA 398, par. 78.
[5] R. v. Garford, 2021 ABCA 338.
[6] R. c. François, [1994] 2 R.C.S. 827.
[7] R. v. Howe, 2005 CanLII 253 (ON CA), par. 44.
[8] St-Denis c. La Reine, 2019 QCCA 1870, par. 44.
[9] Pièce P-3, vidéo captée par Andre-Miguel Divaldi Bassangonen le 11 septembre 2022, déposée le 18 septembre 2023.
[10] R. c. C.L.Y., préc., note 2, par. 6.
[11] Browne v. Dunn, 1893 CanLII 65 (FOREP).
[12] Martin VAUCLAIR et Tristan DESJARDINS, Traité général de preuve et de procédures pénales, 30e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2023, p. 841.
[13] Pièce P-12, préc., note 1.
[14] Pièce D-5, contenu des caméras de surveillance de l’Épicerie Économique, déposé le 20 septembre 2023.
[15] Pièce D-10, photo déposée le 21 septembre 2023.
[16] Id.
[17] Pièce D-11, photos déposées le 21 septembre 2023.
[18] R. c. W.(D), [1991] 1 R.C.S. 742.
[19] R. c. Dinardo, 2008 CSC 24, par. 36-40.
[20] R. c. Davis, [1999] 3 R.C.S. 759, par. 81; Lafrance c. La Reine, 2017 QCCA 1642, par. 84-86; R. c. Flaviano, 2014 CSC 14; R. c. Esau, [1997] 2 R.C.S. 777, par. 34-48; R. c. Parks, [1995] 2 R.C.S. 836.
[21] R. c. Dufour, 2019 QCCA 526 par. 18.
[22] Nguene Nguene c. R., 2023 QCCA 943.
[23] R. c. Pootlass, 2019 BCCA 96. par. 116.
[24] Charette c La Reine 2018 QCCA 452 par 8-9.
[25] Article 34(2) du Code criminel.
[26] Robitaille Drouin c. La Reine, 2022 QCCA 233, par., 24,26-27.
[27] Id., par. 22.
[28] Id., par. 21.
[29] Pièces D-6 et D-7, contenu des caméras de surveillance des commerces épicerie Économique et boutique Exo, déposé le 20 septembre 2023.
[30] Pièce P-3, préc., note 9.
[31] Pièce D-6, contenu des caméras de surveillance de l’Épicerie Économique, déposé le 20 septembre 2023.
[32] Id.
[33] Pièce P-3, préc., note 9.
[34] Id.
[35] Pièce D-7, contenu des caméras de surveillance de la boutique Exo, déposé le 20 septembre 2023.
[36] Pièces P-5, P-6 et P-7, contenus des vidéos des caméras de surveillance du 380 rue de la Couronne, déposés le 18 septembre 2023.
[37] Thandapanithesigar c. La Reine, 2021 QQCA 171.
[38] Hugues PARENT, Traité de droit criminel, t. 1 « L’imputabilité et les moyens de défense », 6e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2022.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.