Bégin c. Tropnass | 2024 QCTAL 11288 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Montréal | ||||||
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No dossier : | 744621 31 20231106 G | No demande : | 4101312 | |||
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Date : | 08 avril 2024 | |||||
Devant le juge administratif : | Claude Fournier | |||||
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Jacques Begin |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Vanessa Tropnass |
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Locataire - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur demande l’autorisation de reprendre le logement de la locataire à compter du 1er juillet 2024, pour y loger sa mère Jeannine Begin, et, en conséquence, demande l’expulsion de la locataire et de tous les occupants[1].
Contexte
[2] Les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, au loyer mensuel de 770 $[2].
[3] Le 25 septembre 2023, le locateur a signifié à la locataire, par huissier, un avis de reprise de logement[3].
[4] La locataire n’a pas avisé le locateur de ses intentions dans le mois qui a suivi la signification de l’avis. Aux termes de l’article 1962 du Code civil du Québec (C.c.Q.), la locataire est réputée avoir refusé de quitter le logement.
[5] Le 6 novembre 2023, le locateur a produit la présente demande en vertu de l’article 1963 C.c.Q.
La preuve
[6] Le Tribunal a bien pris note de l’ensemble des témoignages et de la preuve administrée devant lui, mais il ne sera fait mention dans la présente décision que des éléments pertinents retenus pour fonder celle-ci.
[7] Le locateur, la mère du locateur Jeannine Begin ainsi que la locataire Vanessa Tropnass ont témoigné.
[8] Le locateur déclare que la reprise du logement est pour y loger Jeannine Begin, sa mère. Elle est âgée de 85 ans.
[9] Le locateur est seul propriétaire de l’immeuble depuis le 22 janvier 2010[4]. Il ne possède pas d’autres immeubles.
[10] L’immeuble en cause compte trois logements. Un logement de 3½ pièces est loué au sous-sol (600 $) et le locateur habite le logement de 5½ pièces, situé au rez-de-chaussée. Au 2e étage se trouve le logement de la locataire, un 5½ pièces.
[11] Le locateur explique que sa mère est âgée, qu’elle a des soucis de santé et qu’elle vit seule dans sa maison à Saint-Eustache. Il s’occupe d’elle, fait ses courses et l’accompagne aux rendez-vous médicaux. La maison a été mise en vente. Elle veut revenir demeurer à Montréal. Elle a déjà habité dans le logement visé durant une vingtaine d’années. Elle connaît bien le quartier. Sa mère ne veut pas loger dans une résidence pour personnes âgées (RPA). Elle est assez autonome, mais ne peut plus s’occuper seule d’une maison. Comme elle logera dans le logement au-dessus du sien, leurs vies en seront facilitées. Elle ne paiera pas de loyer.
[12] Le projet de revenir habiter dans le logement a été évoqué à plusieurs reprises depuis quelques années, mais sa mère repoussait la décision. La décision de finalement reprendre le logement s’est prise peu de temps après la rencontre avec le courtier immobilier pour mettre la maison en vente.
[13] Il n’a pas offert d’indemnité à la locataire, celle-ci retardant ou ne payant pas le loyer.
[14] Le locateur fait entendre Jeannine Begin. Elle est la mère du locateur.
[15] Elle habite à Saint-Eustache. Elle a 85 ans et vit seule dans sa maison. C’est son fils Jacques qui s’occupe d’elle. Il fait tout dans la maison. Il couche souvent à la maison. Il l’accompagne aussi chez le médecin. Elle a mis sa maison en vente.
[16] Elle connaît bien le logement de la locataire pour y avoir longtemps habité.
[17] Elle désire s’établir en permanence dans le logement visé par la reprise.
[18] Pour sa part, la locataire témoigne ne pas vouloir quitter le logement.
[19] Elle ne croit pas que le locateur habite réellement le logement du rez-de-chaussée, car elle ne le voit jamais. Elle ne voit jamais sa voiture sur place.
[20] Elle croit que le logement du rez-de-chaussée est libre et ne comprend pas pourquoi le locateur n’y installe pas sa mère.
[21] Elle croit que la reprise du logement n’est qu’un prétexte pour pouvoir augmenter le loyer, car son loyer mensuel est bas.
[22] Elle reconnaît qu’il y a de la lumière dans le logement du rez-de-chaussée le soir et qu’elle ne sait pas quels sont les véhicules utilisés par le locateur. Elle a vu une voiture dans l’espace de stationnement dédié au locateur, mais elle ne sait pas à qui elle appartient.
[23] Elle déclare qu’il n’y a pas de conflit entre le locateur et elle, seulement des insatisfactions. Elle habite le logement depuis 10 ans.
[24] Dans l’éventualité où la reprise du logement serait autorisée, elle désire qu’une indemnité lui soit accordée.
ANALYSE ET DÉCISION
[25] La demande du locateur se fonde sur les articles 1957 C.c.Q. et suivants.
[26] L’article 1957 C.c.Q. se lit comme suit :
1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré, ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.
Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile.
[27] Aux termes de l’article 1963 C.c.Q., c’est au locateur qu’il appartient de démontrer, par prépondérance de preuve, qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise. Il doit établir que la demande de reprise n'est pas un prétexte pour atteindre d'autres fins[5].
[28] Le Tribunal doit être convaincu, par la prépondérance de la preuve soumise, des intentions réelles du locateur[6]. En cas d’insuffisance de la preuve à cet égard, la demande de reprise du logement sera rejetée.
Validité de l’avis
[29] L’avocat de la locataire plaide que l’avis de reprise transmis à la locataire est invalide puisqu’il n’identifie pas clairement le bénéficiaire de la reprise du logement.
[30] L’article 1961 C.c.Q. prévoit ce qui suit relativement à l’avis de reprise:
1961. L’avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l’exercer, le nom du bénéficiaire et, s’il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.
L’avis d’éviction doit indiquer le motif et la date de l’éviction.
Ces avis doivent reproduire le contenu de l’article 1959.1.
La reprise ou l’éviction peut prendre effet à une date postérieure à celle qui est indiquée sur l’avis, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal.
[31] Afin d’être valable, l’avis de reprise d’un logement doit identifier clairement le bénéficiaire du logement pour lequel la reprise est demandée.
[32] Comme le mentionne la juge administrative Francine Jodoin dans Cloutier c. Lemay[7] :
[17] La jurisprudence vise à prohiber les avis qui ne permettent pas au locataire de vérifier les informations communiquées ou qui sont, à ce point confus, qu'ils empêchent le locataire de se préparer adéquatement pour en contester la teneur. Généralement, si le locataire dispose de suffisamment d'éléments pour identifier avec une certitude raisonnable le bénéficiaire de la reprise, le principe est alors atténué.
[33] Dans le présent cas, l’avis mentionne que la reprise est demandée pour y loger « J. Begin, mère ». La mère du locateur se nomme Jeannine Begin.
[34] Le Tribunal est d’opinion que la locataire disposait de suffisamment d’informations sur l’avis pour lui permettre d’identifier avec une certitude raisonnable la bénéficiaire de la reprise, soit la mère du locateur.
[35] Par conséquent, le Tribunal rejette l’objection de l’avocat de la locataire et déclare que l’avis est valide.
La demande de reprise
[36] En l'espèce, le Tribunal conclut que le locateur respecte les exigences de la loi quant à la reprise du logement et il est satisfait des explications et des preuves fournies quant aux motifs de la demande, à sa volonté de reprendre le logement pour y loger sa mère et à la volonté de celle-ci d’habiter le logement.
[37] La locataire a avancé qu’elle doutait que le locateur habite réellement le logement du rez‑de‑chaussée et qu’il pourrait donc y loger sa mère plutôt que de reprendre son logement. Elle dit croire que la reprise est motivée par le fait que son loyer mensuel est peu élevé.
[38] Les prétentions de la locataire ne sont pas retenues.
[39] Le locateur a affirmé qu’il réside au logement sis au rez-de-chaussée de l’immeuble concerné depuis la mi-septembre 2023 environ, mais qu’il est souvent chez sa mère pour éviter le voyagement. Le Tribunal juge le témoignage du locateur crédible et digne de foi. Ce dernier fut autorisé à produire, après audience[8], divers documents de services d’utilité publique, factures, abonnements ou comptes indiquant son adresse de résidence. Les documents produits (pièce P-5 en liasse) corroborent le témoignage du locateur.
[40] Quant à la question du choix du logement de la locataire, le Tribunal rappelle qu’il n’a pas à s'interroger sur l'opportunité pour le locateur de reprendre le logement de la locataire plutôt qu’un autre. En l’absence d’autres éléments probants, ce choix appartient au locateur[9].
[41] Dans le présent dossier, le Tribunal est convaincu par la preuve que la demande de reprise du logement de la locataire est avant tout motivée par la volonté réelle du locateur d’y loger sa mère.
[42] Le Tribunal est conscient des difficultés que pose la recherche d’un logement pour la locataire alors que les logements abordables se font plus rares et des impacts négatifs qui découlent d’un déménagement non souhaité. Cependant, cela ne peut faire obstacle à une reprise de logement faite de bonne foi.
[43] Par conséquent, le Tribunal conclut que la demande du locateur est bien fondée et il autorise la reprise du logement par celui-ci à compter du 1er juillet 2024 pour y loger Jeannine Begin, sa mère.
[44] Cela étant, le Tribunal doit statuer sur les conditions et l'indemnité de départ de la locataire.
[45] Aux termes de l’article 1967 C.c.Q., lorsque le Tribunal autorise la reprise, il peut imposer les conditions qu’il estime justes et raisonnables, y compris le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement.
[46] L’article 1967 C.c.Q. se lit comme suit :
1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement.
[47] Majoritairement, la jurisprudence a retenu divers facteurs qui peuvent être considérés pour déterminer le montant de l’indemnité. Parmi ceux-ci, l’on retrouve l'âge du locataire, son état de santé, la durée d'occupation du logement, l'enracinement dans le logement, le coût du transport des biens, la valeur du mobilier, les frais de branchement aux services publics (téléphone, électricité, câblodistribution, etc.) ainsi que le suivi postal[10]. Ces facteurs ne sont pas exhaustifs.
[48] En l’espèce, la locataire habite le logement depuis près de 10 ans. Elle n’a présenté aucune preuve de ce que pourraient être ses frais de déménagement, de branchement aux services publics et de suivi postal.
[49] Comme le rappelait la Cour du Québec[11], le Tribunal peut imposer les conditions qu’il estime justes et raisonnables, en tenant compte que la reprise d’un logement relève de l’exercice légitime d’un droit reconnu par la loi à les locateurs.
[50] Considérant les critères mentionnés précédemment, incluant la durée d’occupation du logement par la locataire, le Tribunal utilise le pouvoir discrétionnaire qui lui est accordé aux termes de l’article 1967 C.c.Q. et accorde à celle-ci une somme de 2 500 $ à titre d'indemnité équivalente aux frais raisonnables reliés au déménagement, incluant les frais de branchement aux services publics et de changement d'adresse.
[51] Cette indemnité est payable dès que la présente décision devient exécutoire, soit après 30 jours de sa date[12].
[52] Le Tribunal estime également juste et raisonnable de permettre à la locataire, le cas échéant, de quitter le logement avant la date prévue pour la reprise dans le cas où elle trouverait un logement avant cette date.
[53] Ainsi, le Tribunal permet à la locataire de quitter le logement avant le 1er juillet 2024 en transmettant au locateur un préavis d’au moins quinze jours à cet effet.
[54] Dans ce dernier cas, la locataire sera libérée du paiement du loyer à compter de la date de son départ et le loyer du dernier mois sera ajusté au prorata du nombre des jours occupés jusqu’au départ.
[55] Les frais de la demande seront assumés par le locateur puisque chacune des parties se voit reconnaître des droits par la présente décision.
[56] Le Tribunal croit utile de rappeler aux parties que le locateur est tenu de reprendre les lieux loués pour les fins mentionnées à l’avis de reprise du logement et que dans le cas d’une reprise obtenue de mauvaise foi, l’article 1968 C.c.Q. prévoit la possibilité pour la locataire d’obtenir des dommages‑intérêts ainsi que des dommages punitifs.
[57] De plus, aux termes de l’article 1970 C.c.Q., un logement qui a fait l'objet d'une reprise ne peut, sans que le Tribunal ne l’autorise, être loué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[58] AUTORISE le locateur à reprendre le logement concerné à compter du 1er juillet 2024 pour y loger Jeannine Begin, sa mère;
[59] PERMET à la locataire de quitter le logement avant le 1er juillet 2024 en transmettant au locateur un préavis d’au moins quinze jours à cet effet, auquel cas la locataire sera libérée du paiement du loyer à compter de la date de son départ et le loyer du dernier mois sera ajusté au prorata du nombre des jours occupés jusqu’au départ;
[60] ORDONNE à la locataire et à tout occupant du logement concerné de quitter les lieux au plus tard le 1er juillet 2024, et à défaut de quitter volontairement, ORDONNE leur expulsion à compter du 1er juillet 2024;
[61] CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 2 500 $.
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Claude Fournier | ||
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Présence(s) : | le locateur la locataire Me Daniel Atudorei, avocat de la locataire | ||
Date de l’audience : | 23 février 2024 | ||
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[1] La demande du locateur fut signifiée à la locataire par huissier le 17 novembre 2023.
[2] Pièce P-1.
[3] Pièce P-2.
[4] Pièce P-3.
[5] Nathan c. Miconnet, 2019 QCCQ 2731 ; Hajjali c. Tsikis, 2008 QCCQ 16 ; Rodica-Paraschiv c. Chiblak, 2006 QCCQ 12837.
[6] Goudreault c. Bassel, 1999 CanLII 10259 (QC CQ), par. 22.
[7] 2017 QCRDL 36579.
[8] Article 37 du Règlement sur la procédure devant le Tribunal administratif du logement, c. T-15.01, r. 5.
[9] Dos Santos Balanca c. Saint-Loup, 2018 QCRDL 34187.
[10] Roberts c. Leclair, 2023 QCTAL 8547; Maly c. Linda, 2021 QCTAL 30589; Petti c. Fattah Mohamed, 2020 QCRDL 11261; Azzam c. L'Heureux, 2019 QCRDL 34396; Marunych c. Bouaiss, 2018 QCRDL 1586.
[11] Mujtaba c. Hébert, 2015 QCCQ 670.
[12] Articles 82 et 92 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement.
AVIS :
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