6609 Parc c. Quinn |
2020 QCTAL 3793 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
535516 31 20200903 G |
No demande : |
3059504 |
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Date : |
07 octobre 2020 |
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Devant le juge administratif : |
Claude Fournier |
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6609 Parc Société en commandite |
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Locatrice - Partie demanderesse |
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c. |
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Stephan Quinn |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] La locatrice demande de déclarer le bail résilié à compter du 31 août 2020, l’expulsion du locataire et de tous les autres occupants du logement, l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel et la condamnation du locataire au paiement des frais.
[2] La demande de la locatrice fut signifiée au locataire par huissier le 10 septembre 2020.
[3] La présente demande se fonde sur l'article 1889 C.c.Q., lequel se lit comme suit :
« 1889. Le locateur d'un immeuble peut obtenir l'expulsion du locataire qui continue d'occuper les lieux loués après la fin du bail ou après la date convenue au cours du bail pour la remise des lieux; le locateur d'un meuble peut, dans les mêmes circonstances, obtenir la remise du bien. »
[4] La locatrice et le locataire étaient liés par un bail reconduit du 1er septembre 2019 au 31 août 2020 au loyer mensuel de 520 $[1].
La preuve
[5] Le locataire habite le logement depuis treize ans.
[6] Le 11 mars 2020, la locatrice remet au locataire un avis de reconduction et modification du bail[2]. L’avis est rédigé en français.
[7] L’avis comporte une section de réponse avec deux choix de réponse : « accepte » ou « refuse les conditions de reconduction de mon bail et je quitterai le logement à la fin du bail, conformément à l’offre de reconduction apparaissant ci-haut. »
[8] Le 4 avril 2020, le locataire répond à la locatrice en cochant la case de refus des conditions de reconduction.
[9] Le 16 juillet 2020, la locatrice, par l’intermédiaire de ses avocats, transmet au locataire une mise en demeure de quitter le logement à l’expiration du bail, soit le 31 août 2020[3].
[10] Le 3 septembre 2020, devant le refus du locataire de quitter le logement, la locatrice dépose la présente demande.
[11] Le mandataire de la locatrice déclare qu’au moment de l’acquisition de l’immeuble, en décembre 2018, le dossier laissé par l’ancien propriétaire ne comportait pas de copie du bail avec le locataire, mais deux avis de reconduction pour les années 2017-2018 et 2018-2019, avis rédigés en français[4].
[12] Se fondant sur le fait que les deux avis antérieurs étaient rédigés en français, il a remis au locataire l’avis de reconduction en litige en français.
[13] Il plaide que le locataire savait ce qu’il signait et qu’il a simplement changé d’idée par la suite.
[14] De son côté, le locataire déclare qu’il ne comprend pas suffisamment le français pour comprendre ce qui est écrit sur l’avis.
[15] Il explique que lors des deux renouvellements précédents, le gestionnaire lui traduisait le texte et lui en expliquait la teneur.
[16] Il déclare que cette fois, le gestionnaire ne lui a pas expliqué le texte et il croyait qu’en cochant la case « refuse », il ne faisait que refuser l’augmentation du loyer, mais ne comprenait pas qu’il devait quitter le logement à l’expiration du bail.
[17] Il affirme que son intention se limitait à refuser l’augmentation du loyer.
[18] Il plaide que l’avis de reconduction ne lui est pas opposable puisqu’il n’est pas rédigé dans la même langue que le bail, étant rédigé en français alors que le bail est en anglais.
ANALYSE ET DÉCISION
[19] Un locateur est en droit d’obtenir, aux termes de l’article 1889 C.c.Q., l'expulsion du locataire qui continue d'occuper les lieux loués après la fin du bail ou après la date convenue entre les parties pour la remise des lieux.
La reconduction du bail
[20] Aux termes de l’article 1941 C.c.Q., le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin, aux mêmes conditions et pour la même durée.
[21] Aux termes de l’article 1942 C.c.Q., locateur peut, lors de la reconduction du bail, en modifier les conditions s’il donne un avis de modification au locataire entre trois et six mois avant l’arrivée du terme, notamment.
[22] L’article 1945 C.c.Q. prévoit notamment que le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l’avis de modification du bail, d’aviser le locateur de son refus ou de l’aviser qu’il quitte le logement. S’il omet de le faire, le locataire est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.
[23] Eu égard à l’avis de modification que doit transmettre le locateur, l’article 1898 C.c.Q. prévoit, notamment, qu’il doit être rédigé dans la même langue que le bail. À défaut, il est inopposable au destinataire, à moins de démontrer que ce dernier n'en subit aucun préjudice.
[24] L’article 1898 C.c.Q. se lit comme suit :
« 1898. Tout avis relatif au bail, à l'exception de celui qui est donné par le locateur afin d'avoir accès au logement, doit être donné par écrit à l'adresse indiquée dans le bail, ou à la nouvelle adresse d'une partie lorsque l'autre en a été avisée après la conclusion du bail; il doit être rédigé dans la même langue que le bail et respecter les règles prescrites par règlement.
L'avis qui ne respecte pas ces exigences est inopposable au destinataire, à moins que la personne qui a donné l'avis ne démontre au tribunal que le destinataire n'en subit aucun préjudice. »
[25] En l’espèce, l’avis ne respecte pas les prescriptions de l’article 1898 C.c.Q. en ce qu’il n’est pas rédigé dans la même langue que le bail.
[26] Aux termes de l’article 1893 C.c.Q., les exigences de l’article 1898 C.c.Q. sont d’ordre public.
[27] En l’espèce, le Tribunal n’est pas convaincu que le locataire ait compris ce qu’il signait en cochant la case « refuse », la présentation des cases à cocher et du texte qui suit pouvant porter à confusion, surtout pour quelqu’un qui ne maîtrise pas la langue écrite utilisée.
[28] En effet, le Tribunal note que le texte de l’avis ne permet pas au locataire d'indiquer qu'il refuse la modification du loyer proposée, mais qu'il désire néanmoins reconduire le bail. Les choix inscrits à l’avis permettent seulement d'accepter la modification ou de quitter le logement en cas de refus.
[29] Dans Quevillon Charbonneau c. Fortin[5], à l’égard d’une situation similaire, la juge administrative Lucie Béliveau écrit :
« [30] Par contre, à la lecture de l’article 1943 C.c.Q., on note qu’il n'indique pas que le locateur doit fournir sur son avis, un choix de réponse au locataire ou un formulaire de réponse.
[31] Toutefois en l’espèce, le locateur a délibérément choisi d’y indiquer des choix mais en limitant ceux-ci à une acceptation ou à un refus avec l’obligation de quitter le cas échéant. Le Tribunal estime que si le locateur a sciemment choisi d’inscrire des choix sur son avis, il devait inscrire toutes les possibilités incluant celle pour la locataire de refuser l’augmentation mais en renouvelant son bail.
[32] La locataire se devait de prendre position sur cet avis incomplet alors que l’information y inscrite portait à confusion et la forçait à accepter ou refuser l’augmentation sans renouveler le bail. »
[30] Le Tribunal souscrit à ces propos.
[31] Mais il y a plus. L’avis de reconduction et modification du bail donné par la locatrice ne respecte pas les exigences de l’article 1943 C.c.Q., lequel se lit comme suit :
« 1943. L'avis de modification qui vise à augmenter le loyer doit indiquer en dollars le nouveau loyer proposé, ou l'augmentation en dollars ou en pourcentage du loyer en cours. Cette augmentation peut être exprimée en pourcentage du loyer qui sera déterminé par le tribunal, si ce loyer fait déjà l'objet d'une demande de fixation ou de révision.
L'avis doit, de plus, indiquer la durée proposée du bail, si le locateur propose de la modifier, et le délai accordé au locataire pour refuser la modification proposée. »
[32] Ainsi, l’avis doit, notamment, indiquer que le locataire peut refuser la modification proposée dans un délai d’un mois de la réception de l’avis (article 1945 C.c.Q.).
[33] Il apparaît utile de reproduire ici le texte de l’avis à cet égard :
« Dans le mois de la réception du présent avis, vous devez obligatoirement par écrit nous aviser si vous quittez à la fin de votre bail ou si vous acceptez les modification proposée. Si vous ne répondez pas dans le délai prescrit, vous serez réputé(e) avoir accepté cette modification. » (sic)
[34] La non-conformité d’un avis n’emporte pas automatiquement la nullité de celui-ci, le Tribunal ayant la discrétion de déclarer valide un avis incomplet ou irrégulier, selon les circonstances propres au dossier.
[35] Dans le présent cas, l’avis indique le délai pour aviser la locatrice que le locataire quittera le logement à la fin de son bail ou qu’il accepte les modifications proposées, mais aucune mention du délai pour simplement refuser la modification proposée.
[36] Rappelons ici que les exigences de l’article 1943 C.c.Q. sont également d’ordre public dit de protection aux termes de l’article 1893 C.c.Q.
[37] Le Tribunal considère que le libellé tendancieux de l’avis ainsi que sa non-conformité à l’article 1943 C.c.Q., conjugué au fait qu’il ne soit pas dans une langue que comprend bien le locataire, cause un préjudice à ce dernier.
[38] Compte tenu des circonstances propres au présent dossier, le Tribunal conclut que l’avis de reconduction et modification du bail donné au locataire par la locatrice est invalide et ne peut lui être opposé.
[39] De plus, la preuve ne permet pas de conclure que le locataire avait une autre intention que celle de se limiter à refuser l’augmentation du loyer.
[40] Le bail a donc été reconduit pour la période du 1er septembre 2020 au 31 août 2021 au loyer mensuel de 520 $.
[41] Ainsi, le Tribunal conclut que le locataire n’est pas devenu un occupant sans droit depuis le 1er septembre 2020.
[42] Conséquemment, il y a lieu de rejeter la demande du locateur.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[43] REJETTE la demande du locateur.
[44] DÉCLARE que l’avis de reconduction et modification du bail est invalide;
[45] DÉCLARE que le bail a été reconduit pour la période du 1er septembre 2020 au 31 août 2021 au loyer mensuel de 520 $.
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Claude Fournier |
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Présence(s) : |
le mandataire de la locatrice le locataire Me Stéphane Poulin, avocat du locataire |
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Date de l’audience : |
2 octobre 2020 |
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AVIS :
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