Espace La Traversée c. Desrochers |
2021 QCCQ 5587 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-80-039594-198 |
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DATE : |
Le 6 juillet 2021 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
SYLVIE LACHAPELLE, J.C.Q. |
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ESPACE LA TRAVERSÉE |
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Appelante/défenderesse |
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c. |
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RENÉ DESROCHERS |
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Intimé/demandeur |
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-et- |
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RÉGIE DU LOGEMENT |
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Mise en cause |
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JUGEMENT EN APPEL DE LA RÉGIE DU LOGEMENT |
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[1] Le Tribunal est saisi d’un appel d’une décision de la Régie du logement[1] « RDL » qui déclare sans effet la clause du règlement de l’immeuble de l’Appelante « Espace La Traversée » qui prévoit un refus de toute demande de cession de bail.
[2] Espace La Traversée est un organisme sans but lucratif « OSBL » allègue qu’elle offre des logements sociaux à des clientèles vulnérables dans plusieurs immeubles sur le territoire de la Ville de Montréal.
[3] Espace La Traversée argumente que la preuve soumise à la RDL démontrait que la résidence sans but lucratif opérée par Espace La Traversée entrait dans les exceptions reconnues par la jurisprudence permettant des clauses interdisant la cession ou la sous-location de baux à une clientèle ne répondant pas aux critères de vulnérabilité.
[4] Selon Espace La Traversée, la RDL a erré en fait et en droit lorsqu’elle a conclu que la clause stipulant que « le conseil d’administration refusera toute cession de bail d’un logement » ne pouvait produire d’effet.
Les faits
[5] Un bail est conclu entre le locataire René Desrochers « M. Desrochers » et Espace La Traversée et est reconduit du 1er juillet 2016 au 30 juin 2017 au loyer mensuel de 938 $, incluant un forfait de service de repas de 245 $ mensuellement.
[6] Le logement est situé dans un immeuble plus amplement connu comme étant « Habitat Fullum ».
[7] Au moment où le locataire conclut son contrat de bail, il s’agit d’une résidence privée pour aînés, laquelle accueille des personnes âgées de 55 ans et plus.
[8] Le règlement de l’immeuble remis lors de la conclusion du contrat stipule la clause suivante :
« [...] Le conseil d’administration refusera toute demande de sous-location d’un logement pour une durée d’un an. Conformément au Règlement, nul ne pourra être admis comme membre de l'organisme alors qu’il est sous-locataire d’un logement de l’organisme.
Conformément aux Règlements, le conseil d’administration refusera toute cession de bail d'un logement de l’organisme. »
[Mon soulignement]
[9] En octobre 2016, le locataire annonce son intention de mettre fin au bail et offre le versement de trois mois de loyer.
[10] Cette proposition est refusée par Espace La Traversée qui offre plutôt au locataire de prendre en charge la location du logement, ce qu’il accepte, étant sous l’impression alors que la clause interdisant la cession est valide.
[11] Le locataire fonde son recours sur l’illégalité de la clause d’interdiction prévue au bail et le fait que Espace La Traversée a manqué à son obligation de faire les efforts nécessaires pour relouer le logement.
[12] Devant la RDL, le locataire réclame le remboursement d’une somme de 5 381 $, soit l’équivalent du loyer payé pour la période de décembre 2016 à 2017. Il demande également de statuer sur le droit de céder le bail.
[13] Le 29 août 2019, la RDL justifie sa décision de déclarer sans effet la clause du règlement de l’immeuble qui prévoit un refus de toute demande de cession de bail en affirmant :
[35] Pour ces raisons et sauf exceptions qui n’ont aucune application ici, le locateur ne peut restreindre, limiter ou empêcher l’exercice de ce droit à la cession. Il peut évidemment refuser le candidat proposé pour des motifs sérieux. L'article 1871 C.c.Q. ne comporte aucune énumération ni limite aux motifs de refus. La détermination du caractère sérieux des motifs de refus est donc laissée à l’appréciation des tribunaux.
[36] La jurisprudence a admis de tels motifs, dans la mesure où le locateur est un organisme sans but lucratif subventionné qui dispose d’une politique d’attribution de logement et de conditions particulières dans la déclaration de copropriété ou qui s’adresse à une clientèle particulière vulnérable.
[37] La preuve soumise ne permet pas de conclure que la résidence opérée par le locateur entre dans ces exceptions.
[38] En l’occurrence, il ne s’agit pas de décider de la validité des motifs de refus du locateur, mais plutôt de s’interroger sur la légalité de la clause du règlement de l’immeuble qui interdit, à toutes fins pratiques, la cession du bail et qui serait à l’origine des paiements de loyer effectués par le locataire.
[39] En matière de louage résidentiel, la cession du bail constitue un droit d’ordre public et une clause qui l’interdit ne peut produire d’effet (article 1893 Code civil du Québec). Cela implique que le locataire ne peut renoncer à l’avance à son droit de céder le bail, mais le processus est évidemment assujetti à une acceptation par le locateur.
[40] Le Tribunal doit donc conclure que la clause stipulant que « le conseil d’administration refusera toute cession de bai! d’un logement » ne pouvait produire d’effet.
[14] Avant d’aborder l’appel, le présent Tribunal doit d’abord répondre à une question soulevée par l’honorable juge Éric Dufour lors d’une conférence de gestion.
[15] Ce dernier soulève que puisque le locataire a depuis quitté le logement, que la question de la caducité du recours devrait être soumise au juge du fond.
Concernant le caractère théorique du recours
[16] L’arrêt récent de la Cour d’appel dans Procureure générale du Québec c. Vidéotron S.E.N.C.[2] résume très bien la démarche analytique que les tribunaux doivent adoptés en pareille circonstance nous référant à l’arrêt de principe Borowski c. Canada (Procureur général)[3] où la Cour suprême adopte une démarche analytique en deux temps.
[17] Premièrement, il faut s’interroger si le différend concret a disparu et si la question est devenue purement théorique.
[18] Dans un deuxième temps, advenant que ce soit le cas, le Tribunal décide alors s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire tout de même.
[19] La première étape de l’analyse exige qu’on se demande s’il reste un litige actuel ou si au contraire, le substratum du litige a disparu.
[20] Le juge Sopinka précise que la deuxième étape de l’analyse consiste à exercer le pouvoir discrétionnaire de juger ou non l’affaire malgré son caractère théorique.
[21] Dans l’arrêt récent Impérial Tobacco Canada ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé[4], la Cour résume ainsi les trois assises de la doctrine du caractère théorique :
1) Le système contradictoire;
2) L’économie des ressources judiciaires;
3) La fonction du tribunal dans l’élaboration du droit.
[1203] En ce qui concerne le système contradictoire, la Cour suprême mentionne qu’il est l’un des principes fondamentaux du système juridique canadien et qu’il tend à garantir aux parties ayant intérêt dans un litige l’occasion de débattre de tous ses aspects. Elle rajoute que cette exigence peut être remplie malgré la disparition du litige actuel, si le débat contradictoire demeure, par exemple quant aux conséquences accessoires à la solution du litige.
[1204] En ce qui concerne l’économie des ressources judiciaires, elle impose de les « rationner et répartir » entre les justiciables. La Cour suprême mentionne que cette économie n’empêche pas d’entendre des affaires devenues théoriques quand la décision du tribunal « aura des effets concrets sur les droits des parties, même si elle ne résout pas le litige qui a donné naissance à l’action ». Elle ajoute qu’il peut être justifié « de consacrer des ressources judiciaires à des questions théoriques de nature répétitive et de courte durée », mais qu’il est normalement préférable d’attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire. Finalement, la Cour suprême écrit qu’il est justifié d’utiliser les ressources judiciaires pour répondre à une question théorique d’importance nationale, pourvu qu’il y ait un coût social si celle-ci est laissée sans réponse.
[1205] Pour ce qui est de la fonction du tribunal, la Cour suprême invite les tribunaux à la prudence et à ne pas s’écarter du rôle traditionnel de trancher des différends et de contribuer à l’élaboration du droit sans empiéter sur les rôles de l’exécutif et du législatif. […]
[22] Le Tribunal est d’avis d’exercer son pouvoir discrétionnaire de statuer sur le fond du litige pour les motifs suivants.
[23] Le locataire n’est pas partie au débat, mais par ailleurs le débat en droit est toujours présent.
[24] Il est indéniable que cette question est importante et signifiante pour Espace La Traversée puisqu’elle a un effet concret sur les droits de l’Appelante et sa façon d’offrir ces services aux personnes vulnérables, ce qui de l’avis du Tribunal justifie selon la Cour suprême de consacrer des ressources judiciaires à l’affaire.
[25] Même si en réalité le jugement de la RDL ne concerne que le dossier dont elle a été saisie, d’autres locataires pourraient référer à ce jugement dans le futur pour vouloir sous-louer leur appartement.
[26] Il est donc probable que cette question se soulève à nouveau et en cela elle répond au troisième critère qu’il s’agit d’une question de nature répétitive et de courte durée pouvant difficilement être soumise aux tribunaux.
[27] Enfin quant au troisième critère, celui de la fonction du Tribunal dans l’élaboration du droit, il appert ici que le Tribunal ne se prononce pas dans l’abstrait ni ne donne d’opinion juridique.
Question en litige
[28] Notre regretté collègue l’honorable Vincenzo Piazza a autorisé la question suivante :
a) Y a-t-il lieu pour la Cour du Québec d’intervenir en appel de la décision de la RDL ayant déclaré sans effet la clause du règlement de l’immeuble qui prévoit un refus de toute demande de cession de bail?
Les normes d’intervention en appel
[29] Le 20 décembre 2019, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt de principe selon lequel il y a désormais une présomption voulant que la norme de contrôle applicable à une décision quasi judiciaire ou administrative soit la « norme de la décision raisonnable. »[5]
[30] Cependant, lorsqu’un droit d’appel est prévu par le législateur, ce n’est pas la norme de la décision raisonnable qui est applicable, mais plutôt les critères d’intervention en matière d’appel, tels qu’énoncés dans l’arrêt Housen[6]. Dans notre cas, un droit d’appel est prévu par l’article 91 de la Loi sur la Régie du logement[7] :
91. Les décisions du Tribunal administratif du logement peuvent faire l’objet d’un appel sur permission d’un juge de la Cour du Québec, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec.
Toutefois, il n’y a pas d’appel des décisions du Tribunal portant sur une demande:
1° dont l’objet est la fixation de loyer, la modification d’une autre condition du bail ou la révision de loyer;
2° dont le seul objet est le recouvrement d’une créance visée dans l’article 73;
3° visée dans la section II du chapitre III, sauf celles visées dans les articles 39 et 54.10;
4° d’autorisation de déposer le loyer faite par demande en vertu des articles 1907 et 1908 du Code civil.
[31] Ainsi, les critères d’intervention de la Cour du Québec dans la présente instance sont les suivants :
i) La décision correcte : pour les questions de droit;
ii) L’erreur manifeste et déterminante : pour les questions de fait ainsi que les questions mixtes de fait et de droit en l’absence d’un préjudicie juridique facilement isolable[8].
[32] L’erreur manifeste et déterminante se définit par ailleurs ainsi[9], [10] :
[9] Il est utile de rappeler les caractéristiques que doit présenter une erreur pour être qualifiée de « manifeste et déterminante » : il doit s’agir d’« une erreur évidente », d’« une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire », d’une erreur qui « tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil », d’une erreur qui ne se contente pas « de tirer sur les feuilles et les branches » en laissant « l’arbre debout », mais d’une erreur qui fait « tomber l’arbre tout entier ».
[41] La norme d’intervention de l’erreur manifeste et déterminante implique le principe fondamental qu’une cour d’appel doit une « déférence particulière [...] aux conclusions factuelles que le juge du procès tire d’une preuve contradictoire et à l’appréciation qu’il fait de la crédibilité des témoins (profanes et experts), puisqu’il est celui qui les entend et les voit, avantage que n’a pas une cour d’appel. »[notre soulignement]. Comme le rappelait notre collègue le juge Kasirer dans ses motifs dans l’arrêt Francoeur c. 4417186 Canada inc;
[55] It is often said, and quite rightly so, that a court of appeal should tread cautiously before disturbing the findings of fact by a trial judge, esoeciallv when those findinqs are comforted bv déterminations bearinq on the credibilitv of witnesses. (...)
[Nos soulignements]
Analyse et décision
[33] Par sa décision en première instance, la RDL devait déterminer si Espace La Traversée était autorisée à interdire la cession du bail et plus particulièrement se prononcer sur la légalité de la clause du règlement de l’immeuble qui interdit la cession de bail.
[34] La RDL a appuyé son raisonnement sur un jugement analysant les principes reliés au droit à la cession du bail et expliquant qu’un locateur peut refuser la cession du bail en cas de motifs sérieux, tel que stipulé à l’article 1871 C.c.Q.
1871. Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux.
Lorsqu’il refuse, le locateur est tenu d’indiquer au locataire, dans les 15 jours de la réception de l’avis, les motifs de son refus; s’il omet de le faire, il est réputé avoir consenti
[35] La RDL a également appuyé son raisonnement en concluant que la preuve soumise par Espace La Traversée n’était pas suffisante pour déterminer qu’elle était un organisme à but non lucratif ayant une mission sociale, et de ce fait ne pouvait faire partie des exceptions reconnues par la jurisprudence permettant aux locateurs d’interdire la cession ou la sous-location de baux à une clientèle ne répondant pas aux critères de vulnérabilité et/ou permettre d’invoquer tels motifs de refus au sens de l’article 1871 C.c.Q.
[36] L’appel pose une question mixte de fait et de droit, et une erreur manifeste et déterminante doit être démontrée par l’Appelante pour permettre notre intervention.
a) La RDL a erré en faits
[37] La RDL a erré en faits en ne reconnaissant pas que la résidence opérée par Espace La Traversée est un organisme à but non lucratif ayant une mission sociale, disposant d’une politique d’attribution de logement et de conditions particulières qui s’adressent à une clientèle particulièrement vulnérable.
[38] En effet, Espace La Traversée aurait dû être considérée comme un tel organisme par la RDL au regard de la preuve soumise.
i. Les lettres patentes de Espace La Traversée (P-4) ont été mises en preuve, lesquelles indiquaient la mission de l’Organisme, soit :
• « Offrir du logement, de l’hébergement, des services de soutien ou d’intégration sociale aux personnes ayant des troubles de santé mentale, des déficiences intellectuelles ou des problèmes d’adaptation sociale;
• « Offrir et exploiter des logements à but non lucratif ainsi qu’offrir des services (ex. repas, divertissement, etc.) et des installations connexes aux personnes à revenu faible ou modeste, dont les personnes âgées en perte d’autonomie. »
ii. Espace La Traversée avait également soumis en preuve son certificat de conformité à titre de participante au volet 2 du programme Accès-Logis (P-5), lequel démontre qu’elle se conforme aux exigences de la Société d’habitation du Québec « SHQ »;
iii. Espace La Traversée avait aussi déposé sa politique d’attribution de logement (P-6) qui énonce les critères de sélection de l’organisme afin de respecter la mission de l’organisme, mais aussi les critères d’attribution de certaines subventions.
[39] Sans le respect des normes et politiques de la SHQ sur les conditions d’attribution des logements, Espace La Traversée est en défaut de l’entente avec la SHQ et pourrait perdre ses subventions
[40] En effet, par le témoignage de Mme Céline Lacasse devant la RDL, Espace La Traversée a démontré qu’elle recevait diverses subventions, en contrepartie de quoi elle doit se conformer à certaines exigences de la SHQ, incluant l’existence d’une politique de gestion des demandes prioritaires de logement et de relogement.
[41] Il fut également démontré que le résultat serait complètement inéquitable pour les personnes inscrites sur la liste d’attente de Espace La Traversée afin d’obtenir un logement. D’éventuels cessionnaires pourraient se retrouver à les « dépasser » dans la liste d’attente en utilisant un processus parallèle au processus de sélection mis en place.
[42] Il est donc clair que Espace La Traversée est un organisme sans but lucratif qui a une mission sociale et qui offre des services à certaines clientèles vulnérables.
[43] Ainsi, au regard de la preuve soumise, la RDL aurait dû conclure que Espace La Traversée se qualifiait à ce titre et qu’elle ne bénéficie pas de l’exception permettant d’invoquer tel motif au sens de 1871 C.c.Q.
b) La RDL a erré en droit
[44] La RDL a erré en droit en n’appliquant pas la jurisprudence applicable permettant à Espace La Traversée d’interdire la cession du bail en raison de motifs sérieux liés à sa politique d’admission.
[45] Dans sa décision du 29 août 2019, au paragraphe 36, Mme la juge Francine Jodoin mentionne que la jurisprudence considère que les locateurs qui sont des organismes à but non lucratif subventionnés qui disposent d’une politique d’attribution de logement et de conditions particulières dans leur déclaration de copropriété ou qui s’adressent à une clientèle particulièrement vulnérable ont des motifs sérieux de refuser les cessions et sous-locations.
[46] L’article 1871 C.c.Q. limite les motifs de refus de sous-location ou de cession d’un propriétaire à « des motifs sérieux. »
1871. Le locateur ne peut refuser de consentir à la sous-location du bien ou à la cession du bail sans un motif sérieux.
Lorsqu’il refuse, le locateur est tenu d’indiquer au locataire, dans les 15 jours de la réception de l’avis, les motifs de son refus; s’il omet de le faire, il est réputé avoir consenti
[47] Tel qu’établi plus haut, la locatrice-appelante est un OSBL qui a une mission sociale et offre des logements à des clientèles vulnérables.
[48] La jurisprudence a reconnu que, pour de tels organismes, le respect de leur mission et de leurs processus de sélection peuvent constituer des motifs sérieux, et ainsi invoquer comme motif de refus leur politique d’admission.
i. Godbout c. La Relance Coopérative d’habitation[11] :
- Le logement est situé dans un immeuble appartenant à une coopérative.
- La locataire prétend avoir le droit de céder son bail.
- La cessionnaire a déjà tenté de devenir membre mais s’est vue refusée ce statut (par. 5).
- La Régie établit qu’il s’agit d’une manière de contourner le processus de sélection (par. 10).
- La Régie conclut finalement que « le droit de la locataire de céder son bail rencontre certaines limites lorsque la mission du propriétaire est connue et non respectée par la cession proposée. » (par. 7, note omise).
- On ne peut faire abstraction, dans la signature des baux, du contexte dans lequel les baux sont signés (par. 8).
- Donc, « la locataire ne pouvait céder son bail à une personne dont la candidature à titre de membre n’avait au préalable pas été retenue. Il s’agit là d’une atteinte aux règles de fonctionnement de la coopérative et à son autonomie. » (par. 12).
ii. Boudreault c. Inter-Elles inc.[12] :
- Le premier critère d’attribution de logement de l’organisme est d’être référé par une maison d’hébergement pour femmes violentées (par. 22).
- La Cour considère comme un motif sérieux de refuser la cession de bail le fait que la cessionnaire proposée ne respectait pas les critères d’admission à titre de membre de l’organisme, soit d’avoir été référée par un organisme de soutien aux femmes victimes de violence conjugale (par. 42).
- On ne peut faire abstraction, dans la signature des baux, du contexte dans lequel les baux sont signés (par. 42).
iii. Coopérative Beausoleil c. Michel Delisle[13]:
- Le logement est situé dans un immeuble appartenant à une coopérative.
- Le règlement interdit spécifiquement la sous-location sans l’accord préalable du locateur.
- On y reconnaît le droit du locateur de refuser la sous-location du logement à une personne qui n’a pas passé les étapes du comité de sélection, compte tenu de la mission et des intérêts de la coopérative (par. 7).
- Le droit de refus de la coopérative a été reconnu par la jurisprudence (par. 8).
- Le fait de faire indirectement ce que l’on ne peut faire directement constitue « nécessairement » un subterfuge pour permettre à une personne n’ayant pas normalement accès au logement de s’y loger (par. 10).
iv. Société d’habitation du Village Jeanne-Mance c. Sicotte[14] :
- II s’agit d’un appel de la Régie du logement.
- Une mère cède à sa fille son bail très avantageux en raison de subventions publiques dont bénéficie l’OBNL.
- II s’agit d’un OBNL subventionné ayant une politique d’attribution des logements.
- Sa seule activité est de fournir du logement à ses membres, qui sont des personnes à revenu faible ou modéré (p. 14).
- II n’est pas établi que la fille cessionnaire a un revenu faible ou modéré.
- Le Régisseur avait décidé que la locataire avait le droit de céder son bail et que la locatrice ne pouvait « imposer à la locataire ses choix socio-économiques, ni l’obliger à adhérer à sa politique d’aide aux personnes dans le besoin [...] » (par. 10).
- La Cour conclut que l’OBNL avait un motif valable pour refuser la cession de bail (par. 26).
- La Cour conclut que l’OBNL avait un mandat social et économique évident et que la locataire était au courant (par. 27).
- La Cour souligne que « avec l’argent de tous les contribuables, l’OBNL doit favoriser l’accès à des logements de qualités pour des personnes à revenu faible ou modéré » (par. 28).
- La limite au droit de cession est reconnue lorsque la mission du propriétaire était connue et non respectée par cette cession (par. 30).
- La décision est maintenue en révision judiciaire (2005 CanLII 6437 (QC CS)).
v. Sicotte c. Québec (Cour du Québec), 2005 CanLII 6437 (QC CS) :
- II s’agit de l’appel de la décision Société d’habitation du Village Jeanne-Mance c. Sicotte, [2004] R.J.Q. 2281.
- L’article 1871 C.c.Q. ne comporte aucune énumération ni limite aux motifs de refus. La détermination du caractère sérieux des motifs de refus est donc laissée à l’appréciation des tribunaux (par. 66).
vi. Société d’Habitation Village Jeanne-Mance c. Narboni[15] :
- La Cour réitère que les motifs invoqués par la locatrice pour refuser la cession, sa mission, qu’elle est une personne morale à but non lucratif, fortement subventionnée dans le but de procurer des logements de qualité à des personnes à revenu faible ou modéré et sa politique d’attribution des logements, sont des motifs sérieux (par. 91, 95 et 111).
vii. Rochon c. Coopérative d’habitation familiale Peter Hal[16] :
- La Régie a implicitement validé une clause interdisant la sous-location et la cession de baux afin de et reconnaît qu’un locataire perd son droit et ses privilèges dès qu’il n’occupe plus de façon continue et permanente son logement (par.14).
[49] Par conséquent, nous sommes d’avis que la RDL a erré en faits et en droit et Espace La Traversée a démontré qu’il y eut erreur manifeste et déterminante. Elle aurait dû reconnaitre la résidence de Espace La Traversée comme un organisme sans but lucratif qui a une mission sociale et qui offre des services à certaines clientèles vulnérables, et ainsi appliquer le raisonnement énoncé dans les décisions précitées et reconnaître le droit de Espace La Traversée de limiter le droit à la cession de bail. Une telle restriction est nécessaire à l’accomplissement de la mission de Espace La Traversée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE le présent appel ;
INFIRME la décision rendue par la Régie du logement, le 29 août 2019, dans le dossier numéro 330230 31 20170406 G ;
MAINTIENT la conclusion suivante du jugement rendu par la Régie du logement, le 29 août 2019, dans le dossier numéro 330230 31 20170406 G :
[60] REJETTE la demande quant au surplus.
AVEC FRAIS DE JUSTICE.
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__________________________________ SYLVIE LACHAPELLE, j.c.Q. |
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Me Miriam Morissette |
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Me Éliot Barberger |
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Therrien Couture Joli-Coeur |
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Avocats de la partie demanderesse |
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M. René Desrochers |
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Non représenté |
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Partie défenderesse |
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Date d’audience : |
5 mars 2021 |
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[1] Maintenant appelé Tribunal administratif du logement « TAL ».
[2] 2019 QCCA 840.
[3] Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.
[4] 2019 QCCA 358.
[5] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 10, 16 et 25.
[6] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.
[7] Loi sur la Régie du logement, RLRQ, c. R-8.1.
[8] Précité, note 15, Housen c. Nikolaisen, par. 8, 10, 19, 26 à 37; voir également FPI Boardwalk Québec
inc. c. Isik, 2020 QCCQ 2875, par. 31, 33, 35 et 38.
[9] Audet c. Payette, 2018 QCCA 309.
[10] Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company), 2019 QCCA 1168.
[11] Godbout c. La Relance Coopérative d’habitation, 2011 QCRDL 10970, par.7 et 12.
[12] Boudreault c. Inter-Elles inc., 2003 CanLII 22153 (QC CQ), par. 42.
[13] Coopérative Beausoleil c. Michel Delisle, 2011 CanLII 114388 (QC RDL), par. 7 à 10.
[14] Société d’habitation du Village Jeanne-Mance c. Sicotte, [2004] R.J.Q. 2281.
[15] Société d’Habitation Village Jeanne-Mance c. Narboni, 2013 CanLII 138445 (QC RDL), par. 91, 94,
98, 105 et 111.
[16] Rochon c. Coopérative d’habitation familiale Peter Hall, 2017 QCRDL 24435.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.