Tyagi et Corporation de l'École des hautes études commerciales de Montréal |
2019 QCTAT 2776 |
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L’APERÇU
[1] Rajesh Tyagi (le plaignant) est professeur adjoint à la Corporation de l’école des hautes études commerciales de Montréal (HEC Montréal) depuis 2008. En octobre 2015, le directeur de HEC Montréal l’informe que son emploi prendra fin au terme de la session d’hiver 2016 parce qu’il n’a pas été promu au titre de professeur agrégé dans le délai imposé par le Règlement de nomination et de promotion des professeurs de l’institution (le règlement).
[2] En vertu de celui-ci, un professeur adjoint est engagé pour une période d’un an et son contrat peut être renouvelé annuellement jusqu’à ce qu’il devienne professeur agrégé. Cependant, s’il n’obtient pas l’agrégation au terme d’une période de sept ans, son engagement ne peut plus être renouvelé.
[3] Le plaignant affirme qu’il aurait dû obtenir l’agrégation, mais que les instances qui se sont prononcées sur ses demandes se sont montrées trop sévères. Elles n’ont pas tenu compte des conditions défavorables dans lesquelles, il a dû travailler et qui l’ont empêché de bien performer. De plus, une des professeurs qui a assumé la direction du département, mécontente de ne pas avoir pu compter sur son appui lors de son élection, aurait manœuvré volontairement pour l’empêcher d’obtenir la promotion.
[4] Le plaignant a déposé trois plaintes. Dans la première, il affirme que la décision de ne pas lui accorder l’agrégation constitue un congédiement sans cause juste et suffisante[1]. Par la seconde, il reproche à HEC Montréal de lui avoir imposé une mesure de représailles à la suite de l’exercice d’un droit prévu à la LNT[2] parce qu’aucune tâche d’enseignement ne lui a été confiée après le dépôt de sa première plainte. Enfin, dans sa troisième plainte, il prétend avoir été à nouveau victime d’une pratique interdite et d’un congédiement sans cause juste et suffisante en mars 2016, lorsque HEC Montréal a cessé de lui verser sa rémunération et a rompu définitivement son lien d’emploi.
[5] Selon HEC Montréal, la démarche de promotion obligatoire à laquelle était soumis le plaignant est une procédure administrative sur laquelle, le Tribunal n’a pas de pouvoir à moins que la décision qui en résulte ne soit abusive, arbitraire ou discriminatoire. Elle plaide que les nombreuses personnes impliquées dans le dossier du plaignant ont travaillé de manière structurée et rigoureuse. Sa prestation d’enseignement ne satisfaisait pas aux standards requis pour obtenir l’agrégation.
[6] Par ailleurs, bien que la période de sept ans se terminait en juin 2015, HEC Montréal était disposée à maintenir le lien d’emploi du plaignant, sans charge d’enseignement, jusqu’au mois de mai 2016. Cependant, comme ce dernier a refusé de rencontrer la direction pour établir le plan de travail de ses derniers mois, HEC Montréal a cessé de lui verser son salaire en mars 2016.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[7] La principale question soulevée par le présent litige concerne la décision de HEC Montréal de refuser au plaignant le statut de professeur agrégé qui, en vertu du règlement, rend impossible le maintien de son lien d’emploi.
[8] Il est de jurisprudence constante que les tribunaux ne doivent pas s’immiscer dans les litiges de nature pédagogique en milieu universitaire. C’est ce qu’expliquait la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Blasser c. Royal Institution for the Advancement of Learning[3] :
In any university, […], there are certain internal matters and disputes that are best decided within the academic community rather than by the courts. This is so, not only because the courts are not as well equipped as the universities to decide matters such as academic qualifications, grades, the conferring of degrees and so on, but also because these matters ought to be able to be decided more conveniently, more quickly, more economically and at least as accurately by those who are specialized in educational questions of that kind.
[9] Dans un tel contexte, le Tribunal ne peut pas modifier la procédure adoptée par HEC Montréal ou lui imposer ses propres critères d’évaluation. En pareil cas, comme l’a souligné encore la Cour d’appel dans l’affaire Gravel c. Commission des relations du travail[4] : « […], le rôle de la Commission se limite à vérifier si la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi est arbitraire, discriminatoire ou déraisonnable ».
[10] En conséquence, la principale question qui doit être tranchée par le Tribunal est :
· La décision de HEC Montréal de ne pas accorder au plaignant le statut de professeur agrégé est-elle arbitraire, discriminatoire ou déraisonnable?
[11] En ce qui concerne les deux autres plaintes, qui contestent les décisions prises par HEC Montréal après qu’elle ait annoncé au plaignant la fin de son engagement, les questions en litige sont les suivantes :
· HEC Montréal a-t-elle exercé des représailles contre le plaignant en ne lui confiant pas de tâche d’enseignement à son dernier trimestre?
· HEC Montréal était-elle justifiée de mettre fin à l’emploi du plaignant parce qu’il a refusé de rencontrer la direction?
[12] HEC Montréal ayant démontré que sa décision de refuser la promotion au plaignant n’est pas arbitraire, abusive ou discriminatoire, qu’elle n’a pas exercé de représailles et qu’elle était justifiée de mettre fin à l’emploi du plaignant, le Tribunal est d’avis que les trois plaintes doivent être rejetées.
LE CONTEXTE
LES PREMIÈRES ANNÉES DU PLAIGNANT À HEC MONTRÉAL
[13] Le plaignant est engagé comme professeur au département de gestion des opérations et de la logistique. Ce département compte une quinzaine de professeurs, dont neuf sont agrégés ou titulaires. Ces professeurs offrent des cours à plusieurs niveaux, tels que le baccalauréat, la maîtrise, le MBA ou le diplôme d’études supérieures spécialisées (D.E.S.S.).
[14] Au moment où le plaignant est recruté par HEC Montréal, il occupe un poste de professeur invité à l’Université DePaul de Chicago. Il enseigne au niveau universitaire depuis quatre ans.
[15] Le plaignant entre en fonction à HEC Montréal le 1er juin 2008. Au début, Marie-Hélène Jobin, directrice du département à l’époque, lui confie du travail de recherche. Il participe aussi à des ateliers de formation[5] et suit des cours pour améliorer son français. Il s’agit pour lui d’une troisième langue qu’il ne maîtrise pas parfaitement.
[16] On lui assigne ses premières tâches d’enseignement au trimestre d’hiver 2009, soit près de huit mois après son entrée en fonction. Il donne un cours de baccalauréat et deux cours de MBA[6]. Au début, il enseigne en anglais, étant plus à l’aise dans cette langue.
[17] En 2010, à la demande de Michel Patry, directeur de HEC Montréal, le plaignant est évalué par le directeur du département à ce moment. Ce dernier consulte ses collègues et assiste même à un cours dispensé par le plaignant. Déjà à cette époque, les notes d’évaluations de son enseignement attribuées par les étudiants varient significativement d’un cours à l’autre. Dans une lettre adressée au plaignant en décembre 2010, Michel Patry mentionne d’ailleurs que « Le jugement que portent votre directeur de service et l’ensemble de ses collègues en ce qui concerne votre enseignement est quelque peu mitigé. Vos évaluations d’enseignement sont en dent (sic) de scie et il serait souhaitable qu’elles se stabilisent à un bon niveau. »
[18] Au trimestre d’hiver 2011, le plaignant commence à donner des cours en français. Il donne une bonne variété de cours au baccalauréat, à la maîtrise et au MBA. Cependant, les résultats de ses évaluations d’enseignement sont encore irréguliers et certaines notes sont particulièrement faibles[7].
LE CHEMINEMENT D’UNE DEMANDE D’AGRÉGATION
[19] Un candidat qui est admissible à une promotion[8] doit déposer un dossier de présentation, contenant principalement son formulaire de présentation, la compilation des évaluations de son enseignement en classe, la liste de ses publications de recherche ainsi que toute autre pièce jugée pertinente.
[20] L’évaluation du dossier porte sur deux critères essentiels : l’enseignement et la recherche, en accordant une valeur prépondérante à l’enseignement. Deux critères complémentaires sont aussi pris en compte, soit la contribution au fonctionnement interne et le rayonnement externe. Chacun des critères est défini plus précisément dans le règlement.
[21] Le dossier est d’abord soumis à cinq évaluateurs choisis par le directeur du département dans lequel œuvre le candidat[9]. Deux évaluateurs se prononcent sur le volet de l’enseignement et les trois autres sur celui de la recherche. Ils communiquent leurs conclusions au directeur du département. Le directeur soumet ensuite le dossier aux professeurs du département qui sont d’un rang égal ou supérieur à celui postulé par le candidat[10] et recueille leur avis. Enfin, le directeur rédige sa propre évaluation du candidat.
[22] L’évaluation du directeur, les rapports des évaluateurs et le résultat de la consultation des professeurs sont joints au dossier qui est, par la suite, soumis au comité de promotion. Ce comité est composé de trois professeurs élus par l’assemblée des professeurs de HEC Montréal. Il a pour mandat d’étudier le dossier de tout candidat à la promotion et de présenter une recommandation au Conseil pédagogique.
[23] Le Conseil pédagogique est l’instance décisionnelle de HEC Montréal sur toutes les questions d’ordre pédagogique et, notamment, sur la nomination et la promotion des professeurs. Il est composé de plus d’une vingtaine de personnes, dont la plupart sont responsables des services d’enseignement, des programmes et de la recherche.
[24] Chaque membre du Conseil pédagogique dispose d’une copie du dossier et peut poser des questions aux membres du comité de promotion ou au directeur du département.
[25] Le Conseil vérifie d’abord si les normes et la procédure prévues au règlement ont été respectées par les différentes instances. À défaut, il peut renvoyer le dossier aux intervenants concernés afin qu’ils corrigent la situation. Si le Conseil considère que le dossier respecte celles-ci, les membres décident, à la majorité, d’accepter ou de refuser la recommandation du comité de promotion et d’accorder ou non la promotion au candidat.
[26] Si, au terme de ce processus, le candidat est d’avis qu’une des instances impliquées dans l’analyse de son dossier n’a pas respecté son mandat, qu’il y a eu une erreur dans l’interprétation du règlement, un vice de procédure ou une irrégularité grave entraînant un déni de justice, il peut présenter une demande d’appel au directeur de HEC Montréal. En pareil cas, le directeur est assisté dans l’étude du dossier d’un comité d’appel[11]. Sa décision est finale.
L’ANALYSE
LA DÉCISION DE HEC MONTRÉAL DE NE PAS ACCORDER AU PLAIGNANT LE STATUT DE PROFESSEUR AGRÉGÉ EST-ELLE ABUSIVE, DISCRIMINATOIRE OU DÉRAISONNABLE?
[27] Le Tribunal constate que les demandes de promotion du plaignant ont été traitées de façon rigoureuse et conforme à l’encadrement prescrit. Les problèmes remarqués lui ont été soulignés, on lui a donné le temps et l’occasion de corriger la situation, mais aucune amélioration n’a été apportée entre les deux demandes de promotion.
[28] La décision de HEC Montréal n’est pas abusive, discriminatoire ou déraisonnable. Elle s’appuie sur une cause juste et suffisante.
[29] En février 2013, le plaignant dépose une première demande d’agrégation. Après analyse du dossier, le directeur ainsi que cinq des neuf professeurs consultés ne recommandent pas la promotion. Selon eux, cette demande est prématurée. Les évaluations du plaignant sont encore « en dents de scie ».
[30] On lui suggère d’attendre un an pour démontrer qu’il peut améliorer sa performance en classe. À la lumière de cet avis, le secrétaire général de HEC Montréal recommande au plaignant de retirer sa demande. Selon lui, ses chances de succès sont minces. Le plaignant dira qu’à la suite des pressions qu’il subit, il retire sa demande.
[31] Quelques mois plus tard, le plaignant dépose une seconde demande. Cette fois, l’agrégation est recommandée par les évaluateurs de l’enseignement et de la recherche, mais ne l’est toujours pas par cinq des huit professeurs consultés. Dans son évaluation, le directeur du département Jacques Roy souligne que « Ses collègues apprécient sa compagnie, sa polyvalence et sa contribution au rayonnement externe de l’École, mais ils jugent que son dossier ne satisfait pas les exigences en vue de la promotion à l’agrégation, principalement au niveau de l’enseignement. »[12] Il conclut que le plaignant ne devrait pas être promu.
[32] Le comité de promotion, dont les trois membres ne connaissent pas le plaignant, tient compte des évaluations des professeurs, du directeur et des évaluateurs. Il conclut que le candidat ne remplit pas le critère prépondérant de promotion, soit l’enseignement. Selon eux, bien que la diversité de cours qu’il offre soit remarquable, ses évaluations sont toujours « en dents de scie » et sa cote moyenne est basse.
[33] Le Conseil pédagogique analyse l’ensemble du dossier et questionne les membres du comité de promotion ainsi que le directeur du département qui sont présents. Après en avoir discuté longuement, les membres du Conseil décident, par un vote secret de 19 contre 4, de ne pas accorder la promotion.
[34] Le plaignant dépose une demande d’appel de la décision du Conseil. Les membres du comité d’appel considèrent que les termes utilisés par les évaluateurs paraissent sévères à certains égards. Cependant, ils sont d’avis qu’il n’y a pas eu d’erreur d’interprétation ou de déni de justice contre le plaignant. Il recommande au directeur de HEC Montréal de maintenir la décision du Conseil. C’est ce que fait le directeur.
[35] Le plaignant dépose une troisième demande de promotion en novembre 2014 en vue d’une agrégation en juin 2015. Il s’agit de la dernière opportunité pour lui d’obtenir la promotion. À défaut, son emploi à HEC Montréal devra prendre fin.
[36] Cette fois-ci, sa performance est jugée plus durement. Un seul des deux évaluateurs de l’enseignement recommande la promotion, mais souligne quand même que la performance du plaignant est inconstante et qu’elle ne s’améliore pas d’année en année. Pour ce qui est de la recherche, deux des trois évaluateurs recommandent sa candidature. Six professeurs sur les neuf consultés ne recommandent pas la promotion, les trois autres l’appuyant faiblement. La directrice du département, Hélène Giroux, en conclut qu’elle ne peut pas elle non plus recommander la promotion. Le comité de promotion en arrive aux mêmes conclusions.
[37] Les membres du Conseil pédagogique décident, par un vote secret de 20 contre 3, de ne pas accorder la promotion.
[38] Le plaignant dépose de nouveau une demande d’appel de la décision du Conseil. Encore une fois, les membres du comité d’appel sont unanimes pour conclure que le conseil n’a pas commis d’erreur ou de déni de justice contre le plaignant. Ils recommandent au directeur de HEC Montréal de maintenir la décision. Le directeur suit la recommandation et informe le plaignant que son engagement ne sera pas renouvelé.
La sévérité de l’évaluation
[39] Le plaignant reproche aux personnes et aux comités qui ont évalué son dossier d’avoir été trop sévères. Selon lui, les évaluations de son enseignement ne justifiaient pas le refus de ses demandes de promotion.
[40] Le principal instrument de mesure utilisé par HEC Montréal pour jauger la qualité de l’enseignement en classe est l’évaluation par les étudiants. Le questionnaire distribué aux étudiants contient, entre autres, deux questions d’appréciation générales. L’une porte sur le cours[13] et l’autre sur le professeur[14]. Les étudiants attribuent une cote de 1 à 4, exprimant leur niveau d’approbation à l’affirmation que leur est proposée. Bien que les instances aient analysé les autres facteurs prévus au règlement, c’est en grande partie sur les résultats de cette évaluation que s’appuie la décision de HEC Montréal.
[41] Le plaignant a dispensé 28 cours entre le trimestre d’automne 2009 et celui d’hiver 2014 et chacune de ces prestations a été évaluée par les étudiants. Il obtient une évaluation moyenne de 3 sur 4. Selon lui, il s’agit d’un résultat acceptable qui ne justifie pas le refus de ses demandes de promotion. Il affirme que la directrice Jobin et le directeur Roy lui auraient mentionné qu’une cote de 3 était acceptable. Pourtant, ce n’est pas ce que la preuve démontre.
[42] Selon les huit professeurs et membres de la direction entendus à l’audience, incluant les professeurs Jobin et Roy, une cote d’évaluation moyenne acceptable doit se situer autour de 3,5 sur 4. Ils ont tous confirmé qu’une moyenne de 3 est considérée à HEC Montréal comme très basse. En fait, la plupart des dossiers de promotion refusés sur la base de l’enseignement ont des moyennes de 3,2 ou 3,3. Il aurait donc été très étonnant que quelqu’un obtienne une promotion avec une moyenne de 3.
[43] Aussi, tous s’entendent sur le fait que le niveau de qualité de la prestation de cours doit être constant. Or, les notes du plaignant varient entre 3,9 et 1,7 et sont inférieures à 3 dans 11 cours. Plusieurs témoins ont qualifié ce résultat d’« évaluation en dents de scie ». Normalement, on s’attend à une progression et à une stabilisation des évaluations après quelques années, mais dans le cas du plaignant, il y a autant de mauvaises évaluations au début qu’à la fin. Selon les témoins, il s’agit d’un problème important que le plaignant n’a pas su régler, après cinq années d’enseignement.
La mauvaise gestion de carrière
[44] Le plaignant affirme que ses performances insatisfaisantes sont dues à une mauvaise gestion de sa carrière par les directeurs de département. On lui a confié dès le début une dizaine de cours dans les programmes de baccalauréat, de maîtrise et de MBA. Selon lui, il s’agit d’une trop grande variété de cours et de niveaux.
[45] D’abord, il faut rappeler que le plaignant a déjà enseigné le contenu des cours qu’on lui confie. Il était professeur à l’Université DePaul au moment de son embauche. Aussi, selon les témoins, on s’attend à ce qu’un professeur puisse donner une variété de cours à tous les niveaux. La diversité des cours enseignés par le plaignant a toujours été prise en compte par les évaluateurs. Il s’agissait d’un aspect positif dans le dossier. Cependant, comme le mentionne un de ces évaluateurs, « si un cours n’est pas adapté à la clientèle ciblée, c’est la responsabilité du professeur de l’adapter »[15].
[46] Ceci étant dit, même s’il était vrai qu’on lui a confié des cours pour lesquels il était mal préparé, cela pourrait expliquer les mauvaises évaluations du début, entre 2009 et 2012, mais pas celles de 2013 et 2014. Selon le directeur Roy, la variété n’a plus d’importance après 2012 puisqu’il s’agit de cours qu’il a déjà donnés. Questionné par le Conseil pédagogique dans le cadre de la première demande d’agrégation, à savoir si la carrière du candidat a été mal gérée, le directeur Roy répond : « Peut-être au début, mais pas par la suite. »[16]
Le comportement de la directrice Giroux
[47] Hélène Giroux a enseigné à HEC Montréal de 1999 jusqu’à sa retraite. Elle a été élue par ses pairs comme directrice du département de gestion des opérations et de la logistique en juin 2014. Selon le plaignant, elle lui en aurait voulu parce qu’il n’aurait pas appuyé sa candidature lors de ce vote.
[48] Elle aurait manœuvré pour l’empêcher d’obtenir la promotion qu’il demandait. Concrètement, elle lui aurait imposé des cours qui ne lui convenaient pas, caché les difficultés vécues dans un de ses cours qui expliqueraient sa mauvaise évaluation et exercé une influence négative sur ses collègues, sur le comité de promotion et sur le Conseil pédagogique. Cependant, la preuve ne démontre rien de tel.
[49] La directrice Giroux a témoigné qu’elle ignorait que le plaignant n’avait pas voté pour elle lors de son élection. Elle ne peut donc lui en avoir voulu.
[50] Toujours selon son témoignage, elle n’a pas forcé le plaignant à donner des cours qu’il ne voulait pas. Elle aurait pu lui imposer des cours, mais elle croit qu’il est préférable de tenir compte du choix des professeurs. Les étudiants peuvent se rendre compte qu’un professeur n’aime pas le cours qu’il donne. D’ailleurs, la plupart des témoins ont confirmé que c’est normalement le professeur qui choisit les cours qu’il désire donner.
[51] Le plaignant prétend que l’évaluation très basse qu’il a obtenue dans un cours offert à la maîtrise à l’automne 2014[17] s’explique par le fait qu’à la suite d’un problème informatique, le plan de cours et la documentation nécessaire ont disparu pendant plusieurs semaines du site web où l’on peut normalement y accéder. Cet incident aurait teinté les résultats et la directrice Giroux aurait refusé qu’il en soit fait mention dans le dossier de candidature. Selon cette dernière, cette affirmation est fausse. Elle n’a jamais voulu cacher l’événement qui de toute façon était de peu d’importance. Selon sa compréhension, le problème n’a pas eu un grand impact et des mesures pour corriger la situation ont été prises très rapidement. Les autres témoins corroborent cette version des faits.
[52] En ce qui concerne l’influence qu’elle aurait tenté d’exercer, Marie-Hélène Jobin, qui était présente lors de l’assemblée départementale devant statuer sur la deuxième demande de promotion du plaignant, souligne plutôt que madame Giroux a adopté une attitude très neutre. Elle ne s’est prononcée que lorsque le tour de table fut fait et que tous les professeurs aient donné leur opinion.
[53] Réal Jacob, professeur titulaire et membre du second comité d’appel, s’est montré sceptique sur la possibilité que la directrice Giroux ait pu saboter le processus d’agrégation. Il ne voit pas comment, dans le milieu universitaire, sa seule opinion négative aurait pu influencer à ce point les nombreux intervenants et le Conseil pédagogique.
[54] Le plaignant n’a donc pu démontrer qu’il a été victime d’une vengeance de la directrice du département.
[55] Le plaignant a tenté à deux reprises d’obtenir la promotion nécessaire au maintien de son emploi à HEC Montréal. Son dossier a été analysé par plusieurs dizaines de personnes, incluant ses collègues de travail, ses supérieurs et d’autres professeurs qui n’ont pas de lien avec lui. Ils ont conclu à la majorité que sa prestation d’enseignement en classe ne correspond pas aux exigences de HEC Montréal.
HEC MONTRÉAL A-T-ELLE EXERCÉ DES REPRÉSAILLES CONTRE LE PLAIGNANT EN NE LUI CONFIANT PAS DE TÂCHE D’ENSEIGNEMENT À SON DERNIER TRIMESTRE?
[56] Le Tribunal est convaincu que la décision de HEC Montréal n’a pas été influencée par le dépôt de la plainte en vertu de l’article 124 de la LNT par le plaignant, le 9 décembre 2015. D’une part, les représailles seraient antérieures au dépôt de celle-ci, d’autre part, sur le fond, l’employeur était justifié de ne pas lui donner de tâche d’enseignement.
[57] Le plaignant affirme que HEC Montréal a décidé de ne pas lui confier de charge d’enseignement en représailles de l'exercice d'un droit prévu à la LNT, soit le dépôt de sa première plainte en congédiement sans cause juste et suffisante. Cela est contredit par les faits.
[58] En octobre, le directeur Michel Patry a déjà informé le plaignant que son emploi à HEC Montréal se terminerait à la fin de la session d’hiver 2016. Le 26 novembre 2015, le directeur des affaires professorales Claude Laurin envoie un courriel à ce dernier pour convenir des modalités de sa transition lors de sa prochaine et dernière session. Du même souffle, monsieur Laurin l’informe que cette transition n’inclura pas d’enseignement. Or, le Tribunal constate que, selon la preuve, le plaignant a déposé son recours en vertu de l’article 124 de la LNT, 12 jours après l’annonce de la décision, soit le 9 décembre 2015.
[59] Il faudrait donc conclure que la décision de HEC Montréal vient sanctionner une plainte qui ne viendra que plusieurs jours plus tard, ce qui est impossible.
[60] Par ailleurs, même si le plaignant bénéficiait de la présomption de l’article 17 du Code du travail[18] qui s’applique par référence[19], la plainte serait rejetée.
[61] HEC Montréal venait de prendre une décision qui avait pour effet de mettre fin à l’emploi du plaignant en raison des lacunes constatées dans son enseignement. Elle avait pour agir comme elle l’a fait, l’évaluation des mauvaises performances du plaignant en la matière. Dans un tel contexte, il est tout à fait raisonnable de ne pas vouloir le remettre dans une salle de classe pour ses dernières semaines de travail. La décision constitue un autre motif réel et sérieux. Elle n’est pas un prétexte[20].
HEC MONTRÉAL ÉTAIT-ELLE JUSTIFIÉE DE METTRE FIN À L’EMPLOI DU PLAIGNANT PARCE QU’IL A REFUSÉ DE RENCONTRER LA DIRECTION?
[62] Selon la preuve, HEC Montréal avait réellement l’intention de maintenir le plaignant à son emploi pour le trimestre d’hiver 2016. Cependant, il était nécessaire d’établir le travail qu’il allait effectuer pendant cette période. Pour ce faire, le directeur des affaires professorales, monsieur Laurin, devait le rencontrer. Le plaignant a refusé.
[63] Le Tribunal est d’avis que non seulement, le comportement reproché au plaignant constitue le véritable motif de son congédiement, mais qu’une telle insubordination constitue aussi, dans les circonstances, une cause juste et suffisante de congédiement. HEC Montréal n’avait pas à garder un mois de plus à son emploi, un professeur dont il ignorait l’emploi du temps.
[64] Michel Patry, dans sa lettre du 30 octobre 2015, invite le plaignant à rencontrer Claude Laurin dans les meilleurs délais afin de faciliter sa transition. N’ayant aucune nouvelle du plaignant, monsieur Laurin le relance par courriel. Il lui précise qu’aucun cours ne lui sera assigné pour la session d’hiver et l’invite à le rencontrer. Cette rencontre n’aura jamais lieu.
[65] Le 10 février 2016, monsieur Laurin informe le plaignant que, puisqu’il n’a jamais donné suite à son invitation et refuse de le rencontrer, HEC Montréal cessera à partir du 26 février 2016, de lui verser sa rémunération et de payer pour les cours de français dont il bénéficie.
[66] Le plaignant répond cinq jours plus tard qu'il s'agit de représailles pour la première plainte qu’il a déposée et que d’autres plaintes suivront. Il dépose le lendemain, une nouvelle plainte pour pratique interdite et pour congédiement sans cause juste et suffisante. HEC Montréal met définitivement fin à l’emploi du plaignant le 11 mars 2016.
[67] Cette fois-ci, le plaignant a été sanctionné dans un court laps de temps après avoir exercé un droit, celui de déposer des plaintes en vertu de la LNT. Il revient donc à HEC Montréal de prouver qu’elle avait un motif sérieux et véritable d’agir ainsi.
[68] Une telle demande est légitime. L’employeur a un droit de regard sur les tâches qui sont accomplies par le salarié qu’il rémunère. Même si le plaignant n’avait pas déposé sa première plainte, la direction de HEC Montréal aurait quand même demandé à le rencontrer pour discuter de sa charge de travail du dernier trimestre. Lorsqu’il est devenu évident que la rencontre n’aurait pas lieu et que la direction ne saurait pas pourquoi HEC Montréal rémunère le plaignant, la décision a été prise de mettre fin à son emploi avant le terme prévu. C’est la véritable cause du congédiement et non un prétexte.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
REJETTE les plaintes.
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Henrik Ellefsen |
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Me Danièle Landry |
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PAQUET TELLIER |
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Pour la partie demanderesse |
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Me André L. Baril |
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MCCARTHY TÉTRAULT S.E.N.C.R.L., S.R.L. |
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Pour la partie défenderesse |
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Date de la dernière audience : 20 mars 2019 |
/as
[1] Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1, art. 124 (la LNT).
[2] Art. 122.
[3] 1985 CanLII 3061 (QC CA), par. 36. Voir aussi à ce sujet Université de Montréal c. Charles, [1993] RDJ 83 (C.A.) et Syndicat des professeures et professeurs de l’Université de Sherbrooke c. Hamelin, [1997] RJQ 3089 (C.S.).
[4] 2005 QCCA 747, par. 24. Voir aussi à ce sujet Ellefsen Tremblay c. Collège d'enseignement général et professionnel de Chicoutimi, 2011 QCCRT 0370. La Commission des relations du travail entendait les plaintes pour congédiement sans cause juste et suffisante avant le 1er janvier 2016, date de la création du Tribunal.
[5] Entre 2008 et 2011, le plaignant participe à trois ateliers de formation stratégique offerts par HEC Montréal : les ateliers d’intégration, de pédagogie et d’écriture.
[6] Les cours dispensés au MBA sont de plus courte durée. En proportion, deux cours au MBA équivalent à un cours des autres niveaux.
[7] Il est à noter que la langue d’enseignement ne semble pas avoir d’influence sur le résultat des évaluations. Le plaignant obtient de bons et de mauvais résultats en français et en anglais.
[8] Selon l’article 3.1.2 du règlement, pour être éligible à l’agrégation dans le présent cas, le plaignant devait avoir enseigné à titre de professeur adjoint pendant au moins 53 mois et avoir accumulé au moins sept ans d’expérience depuis l’obtention du diplôme qui a servi de point de départ à son classement.
[9] Les évaluateurs de l’enseignement peuvent provenir du département du candidat, d’un autre service ou d’une autre université. Pour ce qui est des évaluateurs de la recherche, au moins un est choisi parmi une liste proposée par le candidat et un autre doit provenir de l’extérieur de HEC Montréal.
[10] Seuls les professeurs agrégés et les professeurs titulaires pouvaient se prononcer sur la demande du plaignant.
[11] Le comité d’appel est composé de quatre professeurs qui sont choisis à partir d’une liste de cinq professeurs, dont un provient de l’extérieur de HEC Montréal, nommés par le directeur pour siéger à ce comité, et ce, pour un mandat d’un an.
[12] Évaluation du dossier de promotion de Rajesh Kumar Tyagi, 21 février 2015, p. 5.
[13] « Je suis satisfait de mes apprentissages. »
[14] « Je recommande ce professeur. »
[15] Rapport de l’évaluateur pédagogique #1 à la demande d’agrégation de novembre 2014, p. 3.
[16] Compte rendu des discussions du Conseil pédagogique du 7 mai 2014, concernant la demande d’agrégation de Rajesh Kumar Tyagi, point 3.
[17] Il s’agit du cours 6-521-13 Stratégie et amélioration, pour lequel le plaignant a obtenu la cote de 1.737.
[18] RLRQ, c. C-27 : « S’il est établi à la satisfaction du Tribunal que le salarié exerce un droit qui lui résulte du présent code, il y a présomption simple en sa faveur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui à cause de l’exercice de ce droit et il incombe à l’employeur de prouver qu’il a pris cette sanction ou mesure à l’égard du salarié pour une autre cause juste et suffisante. »
[19] Art. 123.4 de la LNT.
[20] Lafrance c. Commercial Photo Service Inc., [1980] 1 R.C.S. 536 et Hilton Québec Ltée c. Tribunal du travail, [1980] 1 R.C.S. 548.
AVIS :
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