Lee c. Choko |
2020 QCRDL 17376 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
||||||
Bureau dE Montréal |
||||||
|
||||||
No dossier : |
525297 31 20200616 G |
No demande : |
3005345 |
|||
|
|
|||||
Date : |
19 août 2020 |
|||||
Régisseure : |
Linda Boucher, juge administrative |
|||||
|
||||||
Brenda Lee |
|
|||||
Locatrice - Partie demanderesse |
||||||
c. |
||||||
Alexandre Choko |
|
|||||
Locataire - Partie défenderesse |
||||||
D É C I S I O N
|
||||||
[1] La locatrice demande la résiliation du bail et l'expulsion du locataire, le recouvrement du loyer (16 835 $), ainsi que le loyer dû au moment de l'audience, plus l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel.
[2] La locatrice demande de plus la résiliation du bail au motif que le locataire paie fréquemment son loyer en retard.
[3] Il s'agit d'un bail reconduit du 1er juin 2017 au 31 mai 2019 au loyer mensuel de 2 250 $, payable le premier jour de chaque mois, reconduit jusqu'au 31 mai 2020 aux mêmes conditions, reconduit encore une fois jusqu'au 31 mai 2021 au loyer mensuel de 2 294 $, selon la locatrice.
[4] Le locataire conteste ce loyer et opine qu’il est plutôt réduit à 44 $ par mois depuis le 1er juin dernier.
[5] Il fonde sa position sur l’avis de modification de bail que lui faisait parvenir la locatrice vers le 12 février 2020. Cet avis se lit comme suit :
« Je vous rappelle que vous êtes présentement lié(e) par un bail de 12 mois se terminant le 2020-05-31 au loyer mensuel de 2250$.
Je vous avise que, pour la période de reconduction du bail, les conditions du bail seront modifiées de la façon suivante :
Le loyer actuel sera porté à 44$ mensuellement pour la période de reconduction du bail du 2020-06-01 au 2021-05-31.
Votre bail sera modifié de la façon suivante :
Le bail sera modifié afin de retirer la clause prévoyant que le locataire peut exercer une option d'achat, le locataire ne bénéficiera d'aucun droit de premier refus ou d'option d'achat.
Prenez note que vous avez un mois à compter de la date de réception du présent avis de reconduction ' de bail pour m'informer si vous refusez les modifications demandées, ou que vous quitterez le logement à la fin du bail.» (notre soulignement)
[6] Le locataire interprète l’expression « votre loyer sera porté à 44 $ mensuellement » comme une réduction de loyer que lui a accordée la locatrice en raison, notamment, de la perte de l’option d’achat dont il bénéficiait et de l’état des lieux dont il se plaint.
[7] Le 16 février, il répondait à la locatrice pour accepter les modifications demandées.
[8] La locatrice, pour sa part, affirme que son intention était de proposer au locataire une augmentation de 44 $ dollars de sorte que le loyer précédent de 2 250 $ par mois passerait à 2 294 $ pour le nouveau terme du bail.
[9] Elle explique qu’elle est anglophone, mais qu’elle a tenté de rédiger son avis en français, expliquant ainsi sa méprise dans la rédaction de celui-ci.
[10] Le 25 février, elle transmettait au locataire une missive dans laquelle elle tentait de rectifier son erreur en ces termes :
« Votre bail actuel se terminera le 31 mai, 2020.
Il est clair que pour la période de reconduction de votre bail pour 12 mois du 2020-06-01 au 31 mai 2021, les conditions sera modifié selon tes condition les suivantes, tel qu'énoncé dans l'avis de modification que je vous ai fait parvenir.
1. Le loyer actuel de 2250$ par mois sera porté à 2294$, une augmentation de 44$, à compter du premier juin, 2020 pour une durée de 12 mois.
2. Le bail sera modifié afin de retirer la clause prévoyant que le locataire peut exercer une option d'achat, le locataire ne bénéficiera d'aucun droit de premier refus ou d'option d'achat.
Bien que ne je vois aucunement comment vous pouvez pensez ou croire que votre loyer aurait changer comme vous le décrivez je vous offre un mois additionnel si vous en avez besoin, pour prendre votre décision et de m'informer si vous changer d'idée et que vous refusez les modifications demandées et restez dans le logement ou que vous quitterez le logement à la fin du bail. » (notre soulignement)
[11] Le locataire n’a pas répondu à ce second avis.
[12] La question en litige : La locatrice est-elle liée par son premier avis?
[13] Les articles 1942 et 1945 du Code civil du Québec encadrent le processus de modification du bail en ces termes :
1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois.
Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s'il s'agit du bail d'une chambre.
1945. Le locataire qui refuse la modification proposée par le locateur est tenu, dans le mois de la réception de l'avis de modification du bail, d'aviser le locateur de son refus ou de l'aviser qu'il quitte le logement; s'il omet de le faire, il est réputé avoir accepté la reconduction du bail aux conditions proposées par le locateur.
Toutefois, lorsque le bail porte sur un logement visé à l'article 1955, le locataire qui refuse la modification proposée doit quitter le logement à la fin du bail.
[14] La jurisprudence nous apprend qu’un avis donné est conforme à la Loi est générateur de droit.
[15] Dans l'affaire Lavoie c. Taillon ([1]), le Tribunal énonce ceci :
« [15] Par ailleurs, cela ne fait pas en sorte que le locateur puisse faire parvenir des avis successifs. En matière d'avis successifs, la jurisprudence est à l'effet qu'un avis est générateur de droit et qu'il ne peut être tout simplement invalidé par l'expéditeur de cet avis, par le biais d'un second avis [1]. Les seuls cas où le tribunal peut considérer un avis successif valide est lorsque l'avis subséquent vise à corriger une erreur matérielle contenue dans le premier avis.
[16] Il s'agit de la conclusion à laquelle en est arrivée ma collègue, Me Poitras, dans une décision récente :
« La question est donc de savoir si le locateur est lié par son premier avis donné dans le bon délai ou peut-il par la suite ajouter d'autres modifications au bail en faisant parvenir à nouveau un avis.
Le professeur P.G. Jobin, dans son traité sur le Louage de Choses, a étudié la question, il écrit :
« 328. Envoi d'avis différents. Un problème relié au pouvoir d'envoyer les avis est celui qui surgit quand le locateur envoie deux avis différents au même locataire, par exemple, l'un d'augmentation de loyer et l'autre de reprise de possession. En supposant qu'ils soient par ailleurs réguliers, lequel prévaudra?
La jurisprudence a refusé tout effet au second avis. Son raisonnement est que l'envoi du premier avis constitue en quelque sorte une offre assortie d'un délai légal, pendant lequel le locataire a le choix d'accepter purement et simplement l'offre, de la rejeter totalement (par exemple, en annonçant qu'il quittera les lieux) ou de l'accepter en principe sous réserve d'une décision du tribunal (sur la fixation du loyer, essentiellement). En conséquence, le locateur, pendant ce délai, n'a pas le droit de retirer ou modifier son offre au moyen d'un second avis.
Avant la réforme de 1979, cette solution avait d'ailleurs un corollaire : le second avis ne pouvait non plus être envoyé quand le locataire avait introduit à la Commission des loyers une contestation du premier avis d'augmentation, au motif qu'il avait accepté cette offre de prolongation sous réserve d'une fixation de loyer par le tribunal. Aujourd'hui, cet aspect ne présente plus guère d'intérêt parce que c'est le locateur qui introduit à la Régie du logement la demande de fixation de loyer.
La même règle prévaut à l'égard d'avis successifs donnés par le locataire. Ainsi, la jurisprudence en est venue à interdire tout cumul d'avis. Elle considère en somme que, dès qu'une partie donne un avis, elle est liée par celui-ci et qu'elle ne peut, par la suite, au moyen d'un second avis, changer ses intentions indiquées dans l'avis original.
Cette solution doit être approuvée. Admettre le contraire entraînerait souvent de la confusion, surtout dans l'esprit du locataire, peu familier avec les mécanismes juridiques, et risquerait de compliquer singulièrement la situation juridique. On soulignera, cependant, que la justification proposée, soit la théorie d'une offre, ne convient vraiment qu'au cas où le locateur, ayant donné un avis d'augmentation de loyer, envoie ensuite un avis différent, par exemple de reprise de possession. Mais a-t-on besoin d'une justification aussi précise? Ne suffit-il pas de souligner les inconvénients sérieux de la solution contraire, incompatibles avec une saine administration de la justice. »
La jurisprudence constante n'a fait que reprendre le principe qu'un avis valide est créateur de droit et dans le cas de la reconduction du bail ne peut être modifié que pour une erreur matérielle. » [Citations omises] [Nos soulignements]
[16] La position constante de la jurisprudence voulant que l’avis successif ne soit pas générateur de droit souffre donc d’une exception lorsque celui-ci vise la correction d’une erreur matérielle.
[17] Dans l’affaire Cézair c Ville de Westmount et Communauté Urbaine de Montréal et Ville de Montréal[2], le juge Normand Amyot, J.C.Q. s’est livré à une analyse du concept d’erreur matérielle. Il écrit :
« [63] Une décision rendue le 22 octobre 1993 par Me Paul Laliberté pour le compte du BREF[12], fait un survol de la jurisprudence sur cette article que nous reprendrons ci-après:
[64] Dans Potvin c. Gagnon[13], "la Cour du Banc de la Reine établit une adéquation entre l'erreur cléricale et l'erreur matérielle, qu'elle apparente au lapsus, à la faute de rédaction proprement dite ou à l'erreur d'écriture, y inclus l'erreur de calcul. Pour le Tribunal, l'erreur matérielle se distingue fondamentalement de la conceptualisation proprement dite, laquelle est une notion essentiellement intellectuelle".
[65] Dans ce même arrêt, Me Laliberté cite le volume 14 du Corpus Juris Secundum[14], concernant l'erreur cléricale:
"Clerical error. An error committed in the performance of clerical work, no matter by whom committed; more specifically, a mistake in copying or writing; a mistake which naturally excludes any idea that its insertion was made in the exercise of any judgment or discretion, or in pursuance of any determination; an error made by a clerk in transcribing, or otherwise, which must be apparent on the face of the record, and capable of being corrected by reference to the record only…"
[66] Dans l'arrêt Alcan c. Ville de Jonquière[15], le juge Bertrand Gagnon définit l'erreur d'écriture:
"Une erreur d'écriture est une erreur commise dans la transcription ou la rédaction d'un texte. D'ailleurs, les mots "clerical error" utilisés dans la version anglaise signifient: faute de copiste. Une telle erreur peut être attribuable soit à une défection du copiste, soit à une défection de l'équipement mécanique utilisé pour le travail de transcription. Il peut y avoir une erreur d'écriture sur le rôle lorsque ce dernier ne reproduit pas fidèlement le montant de la valeur réelle fixé par l'évaluateur."
[67] Dans le dossier 150528 Canada Inc. c. Ville de Montréal[16], notre collègue le juge F. Michel Gagnon se prononce ainsi sur la portée de l'article 174(16) (p. 470):
"S'agissant d'un jugement, on entend par «erreur d'écriture» - «erreur ou omission matérielle» en droit français - l'inexactitude manifeste commise par inadvertance dans l'exécution d'une opération ou la rédaction d'un texte, et qui appelle une simple rectification, sans nouvelle enquête.
Ainsi définie, l'erreur d'écriture se distingue de l'erreur intellectuelle («faute de l'esprit dans la détermination de ce qu'on a voulu communiquer») et aussi de la simple ignorance, état passif résultant d'un oubli, d'une négligence ou de l'incompétence de l'intéressé.
En outre, ce n'est pas toute erreur d'écriture qui justifie la modification du rôle. Comme le montre l'expression «y corriger» de l'article 174 paragraphe 16, le lapsus doit ressortir manifestement d'une inscription originaire ou d'un certificat modificateur, isolément ou, le plus souvent, par comparaison avec soit la fiche de propriété (ou de local), soit la feuille de travail (ou feuille sommaire) correspondante.
D'autre part, les articles 174 et 193 ont un caractère exceptionnel évident. Tous deux dérogent à l'immutabilité du rôle en cours d'exercice, règle expressément consacrée par l'article 76 et dont l'objectif est d'ordre public: assurer un minimum de sécurité financière aux contribuables et aux municipalités. Une interprétation restrictive s'impose donc.
Le principe de l'effet utile va dans le même sens. Chaque paragraphe des deux articles doit se lire de manière que tous les autres conservent une utilité distincte. Or, s'il fallait que toute inscription incomplète constitue une omission, on ne voit pas pourquoi l'évaluateur devrait recourir à la correction d'office avant le 1er mai (art. 174 paragr. 1 et 151), puisque le défaut d'inspecter correctement une caractéristique, de calculer correctement une superficie ou une hauteur, etc., serait rectifiable rétroactivement sur deux ans comme omission (art. 174 paragr. 4 et 177 paragr. 4." » (citations omises) (nos soulignements)
[18] En l’instance, le tribunal juge que le second avis transmis par la locatrice visait la correction d’une erreur cléricale.
[19] L’origine de la locatrice, le fait qu’elle soit manifestement anglophone et s’exprime dans un français, au mieux approximatif, permet de conclure à une erreur de traduction, dans son effort de fournir au locataire un avis de modification de bail en langue française.
[20] Le tribunal juge farfelue, sinon opportuniste, l’interprétation du locataire qui soumet qu’un loyer mensuel précédemment de 2 250 $ réduit à 44 $ est raisonnable considérant l’état des lieux et la perte d’une option d’achat.
[21] L’article 1375 C.c.Q. impose aux parties une obligation de bonne foi dans leurs relations, il stipule ce qui suit :
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.
[22] Le tribunal juge que le locataire a probablement failli à cette obligation en refusant de considérer le second avis que lui expédiait la locatrice le 25 février dernier afin de corriger son erreur au premier avis.
[23] Le tribunal, pour sa part, déclare valide ce second avis et considérant le silence du locataire à la suite de ce second avis, constate que le bail a été reconduit pour un nouveau terme aux nouvelles conditions.
[24] Ainsi, notamment, les parties sont liées par un bail reconduit du 1er juin 2020 au 31 mai 2021 au loyer mensuel de 2 294 $.
[25] La locatrice déclare que le locataire doit 16 000 $, soit le loyer des mois de février (solde 2 000 $) 2019, de février (solde 2 000 $), mars (solde 2 000 $), avril (solde 2 000 $), mai (solde 2 000 $), juin (solde 2 000 $), juillet (solde 2 000 $) et août (solde 2 000 $) 2020, plus 23 $ représentant les frais de notification ou de signification prévus au règlement.
[26] L’évaluation de ces sommes tenant compte d’une diminution de loyer de 250 $ par mois que le tribunal accordait au locataire dans une décision rendue le 15 août 2018, (dossier 377095) applicable à tous les mois de loyer qui sont réclamés, plus une somme de 44 $ que la locatrice admet avoir reçu du locataire pour chacun des mois de juin, juillet et août 2020.
[27] Le locataire conteste devoir cette somme.
[28] Pour ce qui est des mois de juin, juillet et août 2020, le locataire maintient qu’il a payé tout le loyer requis, soit 44 $ mensuellement.
[29] Compte tenu des conclusions du tribunal à ce chapitre, le locataire est condamné à payer à la locatrice 6 000$ en loyers impayés.
[30] Pour ce qui est des mois de février 2020, mars, avril et mai 2020, le locataire affirme les avoir acquitté et produit ce qu’il considère être des preuves de paiements.
[31] Il s’agit de documents relatifs à des transferts électroniques.
[32] Pour le mois de février 2020, il produit un relevé caviardé d’un compte de banque de la Banque Royale du Canada pour la période du 3 janvier au 5 février 2020 sur lequel il est mentionné pour le 3 février « Virement envoyé Brenda Lee » et la mention d’un retrait de 2 000 $ correspondant.
[33] Pour le mois de mars, un relevé caviardé de la Banque Royale du Canada pour la période du 5 février au 5 mars 2020 sur lequel il est mentionné pour la date du 2 mars « Virement envoyé Brenda Lee » et la mention de 2 000 $ correspondant. Le tribunal remarque que des entrées antérieures mentionnent des virements reçus.
[34] Pour le mois d’avril, le locataire produit un document intitulé « send money » portant la date et l’heure du 1er avril 2020 05-59 ET. On y lit « From Principal (6691), amount 2 000, to Brenda Lee (rent) une adresse courriel portant le nom de la locatrice, un numéro de téléphone mobile qui correspond à celui de la locatrice au bail et la mention Notify Recipient By Email & SMS.
[35] Au haut du document, sous la date et l’heure de transmission, il est cependant écrit :
« Changed your mind? As long as the transfer hasn’t been accepted, you can Edit & Resend or Cancel it in the History tab. »
[36] Pour le mois de mai 2020, le locataire soumet un document en tout point semblable au précédent mais portant la date et l’heure du 1er mai 2020, 07 :24 ET.
[37] Quant au loyer du mois de février 2019, le locataire admet ne pas être en mesure de fournir une preuve de paiement mais produit deux documents intitulés « Money Sent » pour les mois de décembre 2019 et janvier 2020, affirmant que le loyer du mois de février a été payé de la même façon.
[38] La locatrice conteste avoir reçu les paiements que le locataire affirme lui avoir remis.
La question en litige
[39] Le locataire a-t-il fourni des preuves de paiements libératoires pour les loyers que réclame la locatrice?
[40] Soulignons d’abord que le fardeau de démontrer le paiement du loyer incombe au locataire.
[41] Les auteurs Baudouin et Jobin[3] écrivaient à ce sujet:
« (670 - Fardeau de la preuve - Le paiement pose des problèmes relatifs aux moyens de la preuve destinés à démontrer son existence. En principe, la charge de prouver le paiement repose sur les épaules du débiteur, après que le créancier ait établi l'existence du lien d'obligation. Le débiteur ne peut toutefois faire la preuve du paiement par n'importe quel moyen, et doit se conformer aux règles établies par le Code civil au chapitre de la preuve (art. 2803 et s.C.c.).» (notre soulignement)
[42] L’article 2862 C.c.Q. indique que la preuve d’un acte juridique de plus de 1 500 $ ne peut se faire par témoignage.
[43] Partant, pour ce qui est du paiement du loyer du mois de février 2019, le tribunal juge que le locataire ne s’est pas déchargé du fardeau d’en démontrer le paiement par une preuve détenant la force probante. Il sera donc condamné à le payer à la locatrice.
[44] Mais qu’en est-il des documents relatifs à des virements électroniques produits par le locataire mais que conteste la locatrice?
[45] Cette question est de droit relativement nouveau et a fait l’objet de peu de décisions à ce jour.
[46] À l’occasion de l’affaire La Compagnie D’Assurance Générale CO-Opérators c. la coop fédérée et Liberty International Underwriters et Banque Nationale du Canada, ([4]) les juges Jacques Dufresne, Patrick Healy et Geneviève Cotnam, J.C.A. se sont penchés sur cette question en ces termes :
« [54] Le transfert électronique de fonds diffère à maints égards du chèque, l’illustration parfaite de la lettre de change assujettie à la LLC[12]. Les auteurs Nicole L’Heureux et Marc Lacoursière sont d’avis que la LLC ne régit pas les transferts ou virements de fonds sans circulation de documents papier. Ils mentionnent les distinctions suivantes :
900. Généralités - L'ordre de virement, qui amorce l'opération de virement, est une instruction adressée par le donneur d'ordre à une banque l'enjoignant de verser au compte du bénéficiaire un montant d'argent déterminé. Le virement peut être enclenché par quelque manière que ce soit, comme une lettre, un télex, une communication par télétransmission, un courrier électronique, un message texte, ou une carte de paiement. En pratique, il existe au moins trois intervenants, soit un donneur d'ordre, un bénéficiaire et une banque. Habituellement, le donneur d'ordre et le bénéficiaire font affaire avec leur propre banque, et il peut y avoir d'autres institutions financières dans le processus, notamment dans les virements internationaux. La qualification importe afin de déterminer les relations juridiques entre les parties et la responsabilité de chacun.
912. Prudence et diligence - La banque expéditrice qui reçoit un ordre de virement doit vérifier si l'ordre émane de son client et s'il ne comporte aucune anomalie, comme la non-concordance du montant s'il est exprimé en chiffres et en lettres. En cas d'exécution fautive de l'ordre de transfert, elle pourrait être responsable envers le donneur d'ordre. En tant que mandataire, elle n'est tenue envers son client qu'à une obligation de moyens ; elle doit exécuter l'ordre avec prudence et diligence, sans erreur et dans un délai raisonnable. Elle doit transmettre les fonds au véritable bénéficiaire. Dans le cas d'un transfert en double, selon les circonstances, elle peut être tenue de supporter le risque.[13]
***
- L’ordre de TEF[14] n’est pas payable à une époque future déterminable ni à demande. Il est payable aussitôt que la banque transférante peut faire le paiement. Comme aucune date n’est spécifiée, on pourrait croire que l’ordre est payable à demande, mais ce n’est pas le cas, car le bénéficiaire n’a pas la possibilité de réclamer le paiement.
- L’ordre n’est pas payable à l’ordre d’une personne désignée ni au porteur. Il est vrai que l’ordre désigne un bénéficiaire à qui ou au compte de qui l’argent doit être versé. Toutefois, ce n’est pas dans le sens de la Loi sur les lettres de change. Le bénéficiaire ne peut transférer l’ordre à un autre bénéficiaire.
- La formule ne comporte pas les mots qui peuvent être interprétés comme un ordre formel de payer à la banque transférante. Il s’agit plutôt d’une autorisation.
L’ordre de TEF ne correspondant pas à la définition d’un effet de commerce, il en résulte que les droits des parties reposent uniquement sur le droit des contrats. [15]
***
Un transfert électronique de fonds constitue un ordre de paiement donné par un donneur d’ordre à sa banque de payer un bénéficiaire. Il s’agit en quelque sorte d’un jeu d’écritures, où la banque du donneur d’ordre débite le compte de son client et où la banque du bénéficiaire crédite le compte du bénéficiaire du virement. Le virement est qualifié de mandat accordé par le donneur d’ordre à sa banque. L’article 1564, al. 2 C.c.Q. prévoit que, pour être libératoire, le paiement doit avoir été accepté par le créancier (bénéficiaire). Ce type de paiement est un transfert de crédit, car le donneur d’ordre initie le paiement en le « poussant » vers le bénéficiaire. Contrairement au chèque, qui est un transfert de débit réglementé par la Loi sur les lettres de change, le virement bancaire n’est pas réglementé au Canada. L’assujettissement à cette loi est strictement réservé aux effets de commerce, excluant ainsi les paiements électroniques, et ce, autant en raison de plusieurs exigences, dont une signature manuscrite originale (et non une photocopie) sur l’effet de paiement, que du mécanisme de paiement lui-même, qui doit être un transfert de débit. Au fil des ans, les juges se sont inspirés à la fois des règles du droit commun et de l’article 4A du Uniform Commercial Code des États-Unis pour déterminer les obligations des parties. Cette loi modèle a été codifiée dans le corpus législatif de tous les États aux États-Unis et peu de décisions ont été rapportées par les tribunaux concernant les cas d’erreur ou de fraude par transferts électroniques de fonds.
Lors d’un transfert électronique de fonds non autorisé, la responsabilité est déterminée comme suit. D’abord, la banque est responsable pour le transfert non autorisé. Toutefois, le risque sera transmis au client si la banque a respecté un protocole de sécurité commercialement raisonnable. Le risque pourrait revenir à la banque si la fraude est commise par un tiers ou s’il en a été convenu ainsi entre les parties[16].
[55] Dans Marcotte c. Fédération des Caisses Desjardins du Québec, la Cour suprême précise que le paiement par carte de crédit ne relève pas du régime juridique des lettres de change, étant donné qu’il « n’y a pas d’effet de commerce négociable »[17].
[56] Qu’en est-il du virement de fonds exécuté en l’espèce?
[57] D’emblée, une conclusion s’impose : le virement ou transfert électronique de fonds[18] répond de caractéristiques substantiellement distinctes de celles des lettres de change. Les fonctionnalités d’exécution d’un virement électronique de fonds sont incompatibles, voire inconciliables, avec les composantes essentielles des lettres de change. Dit autrement, un transfert ou virement de fonds n’est pas une lettre de change au sens de la LLC.
[58] Ainsi, la LLC vise à assurer la circulation d’effets négociables[19]. À titre indicatif, pour le paiement par chèque, la LLC « exige le respect de formalités strictes pour assurer sa validité »[20]. En l’espèce, le virement électronique de fonds, dont les modalités sont établies dans le formulaire intitulé « Ordre de paiement/Wire Transfer », n’est pas assujetti à la LLC, puisqu’il ne satisfait pas aux conditions essentielles qui caractérisent les lettres de change au sens de cette loi. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle le juge arrive à juste titre.
[59] L’ordre de paiement dont il s’agit en l’espèce est un document sur lequel apparaissent pour l’essentiel le nom du « client ordonnateur », celui de la banque du bénéficiaire, en plus du nom de ce dernier et de son numéro de compte, ainsi que le montant du virement. Dans le présent dossier, un autre renseignement, primordial pour assurer l’exécution de l’opération de virement électronique de fonds par l’institution financière, est le « Code de vérification » apposé par le « client ordonnateur ». En principe, ce code n’est connu que de la banque et de son client, en l’espèce, la BNC et Coop Fédérée. Le Code de vérification participe des mesures de sécurité pour se protéger de la fraude, sans pour autant être une armure impénétrable.
[60] Cet ordre de paiement comportant les instructions autorisant l’institution financière à procéder au virement de fonds au profit d’un bénéficiaire ou d’un compte bénéficiaire désigné expressément ne constitue pas une lettre de change. En effet, il ne possède pas les attributs essentiels d’une lettre de change au sens de la LLC. Il ne consigne que les modalités permettant d’enclencher le transfert électronique d’argent. À l’ère d’Internet, le virement de fonds électronique est d’usage courant. L’instantanéité caractérise ce type d’opération bancaire.
[61] Qu’il s’agisse d’un virement de fonds d’un compte débit ou d’un compte à découvert à même une marge de crédit préautorisée, comme c’est le cas en l’espèce, à un autre compte d’un même titulaire ou d’un virement au profit d’un tiers, l’effet est immédiat. La présente manœuvre frauduleuse en est l’illustration parfaite.
[62] Au contraire de la lettre de change, le virement électronique de fonds ne comporte pas de procédure de présentation au paiement[21]. » (citations omises) (nos soulignements)
[47] Dans la décision Zanjanis Group c. Cleo Waughm, ([5]) le juge administratif Alexandre Henri a été confronté à la question de la preuve de la réception du paiement effectué par virement électronique, il écrit :
« [12] De son côté, Mme Waugh affirme avoir payé son loyer du mois de mai 2019 par virement Interac, comme à l’habitude, en utilisant l’adresse courriel de Mme Brault comme bénéficiaire des fonds.
[13] Au soutien de ses prétentions, Mme Waugh dépose en preuve une copie de son relevé de compte bancaire à la Banque TD entre septembre 2018 et décembre 2019, lequel démontre qu’une somme de 670 $ a été versée à Cécile Brault le 10 mai 2019.
[14] De plus, elle dépose également en preuve un courriel de notification qu’elle a reçu le 11 mai 2019 de la part de son institution financière confirmant que le transfert de fonds par virement Interac à Mme Cécile Brault au montant de 670 $ a été accepté.
…
[25] En somme, Mme Brault prétend qu’elle n’a jamais reçu le virement de fonds de Mme Waugh et que cette dernière doit en assumer les conséquences et payer son loyer à nouveau. » (nos soulignements)
[48] Puis citant la décision Compagnie d’assurances générales Co-Operators c. Coop fédérée précitée, il conclut également que la Loi des lettres de change ne saurait trouver application en matière de virement électronique et se tourne vers les règles générales de preuve prévue au Code civil du Québec en matière de paiement et cite l’article 1564 C.c.Q. qui stipule :
1564. Le débiteur d'une somme d'argent est libéré par la remise au créancier de la somme nominale prévue, en monnaie ayant cours légal lors du paiement.
Il est aussi libéré par la remise de la somme prévue au moyen d'un mandat postal, d'un chèque fait à l'ordre du créancier et certifié par un établissement financier exerçant son activité au Québec ou d'un autre effet de paiement offrant les mêmes garanties au créancier, ou, encore, si le créancier est en mesure de l'accepter, au moyen d'une carte de crédit ou d'un virement de fonds à un compte que détient le créancier dans un établissement financier.
[49] Il conclut ainsi :
« [50] Ainsi, pour être libératoire, un paiement par virement de fonds doit satisfaire à deux conditions fondamentales: (1) le dessaisissement du débiteur, et (2) une remise au créancier.
[51] Le Tribunal est d’avis que la condition de dessaisissement est satisfaite en l’espèce, car lorsque Mme Waugh paie son loyer à la locatrice par le biais d’un transfert de fonds par virement Interac, la somme est immédiatement débitée de son compte bancaire. La preuve prépondérante démontre que le compte bancaire de Mme Waugh a effectivement été débité d’une somme correspondant au montant du loyer.
[52] Mais une question demeure quant à l’autre condition nécessaire pour que ce paiement soit libératoire: à quel moment se matérialise la remise des fonds à la locatrice?
[53] Dans leur ouvrage portant sur le droit bancaire, les auteurs L’Heureux et Lacoursière s’expriment ainsi sur la détermination du moment de l’achèvement du virement :
« Dans le cas du transfert électronique de fonds, le droit français considère que l’achèvement du virement a lieu au moment de l’inscription du crédit au compte du bénéficiaire. D’autres croient qu’il s’agit du moment où les fonds sont transmis à la banque du bénéficiaire qui les tient à la disposition de son client, même s’ils ne sont pas encore inscrits au compte du bénéficiaire. […] »[7]
[Références omises]
[54] Le Tribunal est d’avis que la condition de la remise au créancier a également été remplie en l’espèce puisque la preuve prépondérante démontre que le virement Interac a été accepté par le bénéficiaire désigné en répondant correctement à la question de sécurité. : ([6])
[50] Plus récemment, le tribunal, sous la plume de la juge administrative Pascale McLean en est venue à des conclusions similaires dans l’affaire Camille Viot Marion Ripoche c. Gerardo Difeo et Giovanni Difeo ([7]) a conclu à la validité d’un paiement électronique puisque la preuve de son encaissement lui a été démontrée. Elle écrit :
« La preuve administrée à l’audience et non contredite démontre que le locateur a encaissé le chèque de 2 925 $ par le transfert électronique le 12 décembre 2018. Un chèque de 2 925 $ a aussi été fait le 11 janvier 2019. »
[51] La soussignée souscrit à cette analyse et, en l’occurrence, constate que le locataire n’a pas fourni la preuve de l’acceptation des virements en question par la locatrice. Virements que celle-ci conteste avoir reçu. Ce défaut étant fatal à la défense du locataire.
[52] Partant, le locataire sera également condamné à payer à la locatrice le loyer du mois de février, mars, avril et mai 2020 qu’elle réclame.
[53] Le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer, la résiliation du bail est donc justifiée par l'application de l'article 1971 C.c.Q.
[54] Quant au second motif de résiliation invoqué par la locatrice fondée sur le retard fréquent du locataire à payer son loyer le premier jour du mois, la locatrice n’ajoute aucun autre retard que les loyers qu’elle réclame.
[55] Pour ce qui est du préjudice sérieux que ces retards lui causent, elle rappelle les retards et se plaint de sa relation difficile avec le locataire et des quelques dossiers les opposants devant la Régie du logement.
[56] Afin d'accorder la résiliation du bail sous le motif de retards fréquents, la locatrice doit démontrer son préjudice sérieux ([8]).
[57] Dans la cause Office municipale d'habitation c. Dally Taylor ([9]), la juge administrative Francine Jodoin explique le degré de preuve nécessaire afin de conclure au préjudice sérieux en matière de retards fréquents :
« Pour obtenir la résiliation du bail sur le deuxième motif invoqué, soit les retards fréquents, la loi exige la preuve de retards fréquents qui sont généralement démontrés par le caractère régulier et chronique des retards de paiements. Il faut, de surcroit, la preuve que les retards causent un préjudice sérieux.
Il ne peut évidemment s'agir de simples inconvénients résultant de la gestion d'un immeuble locatif.
Bien que le Tribunal n'exige pas la preuve d'un péril financier, une incapacité de rencontrer ses obligations financières ou une situation économique précaire, la preuve doit, à titre d'exemple, révéler, par prépondérance, un alourdissement anormal de la gestion de l'immeuble, la multiplicité des démarches auprès du locataire ou du Tribunal, des coûts supplémentaires.
En soi, la seule déclaration de la mandataire du locateur, en l'instance, est insuffisante pour permettre au Tribunal d'apprécier la gravité du préjudice subi ».
[58] En l'espèce, la preuve de la locatrice sur le préjudice sérieux est apparue des plus mince, voire inexistante. Le Tribunal juge que la locatrice n'a pas démontré le préjudice sérieux subi par les retards du locataire dans le paiement de son loyer mais plutôt cette preuve tend à démontrer de simples inconvénients, lesquels ne justifient pas la résiliation du bail sur ce motif.
[59] Le bail n'est toutefois pas résilié si le loyer dû, les intérêts et les frais sont payés avant jugement, conformément aux dispositions de l'article 1883 C.c.Q.
[60] Le préjudice causé à la locatrice justifie l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 de la Loi sur la Régie du logement[10].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[61] RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion du locataire et de tous les occupants du logement;
[62] ORDONNE l'exécution provisoire, malgré l'appel, de l'ordonnance d'expulsion à compter du 11e jour de sa date;
[63] CONDAMNE le locataire à payer à la locatrice la somme de 16 000 $, plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 16 juin 2020 sur la somme de 12 000 $, et sur le solde à compter de l'échéance de chaque loyer, plus les frais judiciaires de 101 $;
[64] REJETTE la demande quant aux autres conclusions.
|
|
|
|
|
Linda Boucher |
||
|
|||
Présence(s) : |
la locatrice le locataire |
||
Date de l’audience : |
5 août 2020 |
||
|
|||
|
|||
[1] 2010 QCRDL 1304 (Isabelle Jodoin, g.s.).
[2] Lucille Sarzano Cézair c. Communauté Urbaine de Montréal et Ville de Montréal, C. Q., 500-02-061614-975, Hon, Normand Amyot, J.C.Q.
[3] Jean-Louis Beaudoin et Pierre Gabrielle Jobin, Les obligations, 5e éd, 1998, # 670 et 671, p. 515.
[4] 2019 QCCA 1678
[5] 2020 QCRDL 5846
[6] Idem
[7] 2020 QCRDL 8842
[8] 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[9] R.L., 2257710, le premier août 2017.
[10] RLRQ, c. R-8.1.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.