Décision

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9114-9484 Québec inc. c. Châtelier

2024 QCCA 305

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-030224-224

(505-17-010395-186)

 

DATE :

12 mars 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

 

9114-9484 QUÉBEC INC.

APPELANTEdéfenderesse

c.

 

ANDRÉ RENÉ CHÂTELIER

JEAN-RONALD CHÂTELIER

INTIMÉSdemandeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L'appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 23 août 2022 par la Cour supérieure (l’honorable Azimuddin Hussain), district de Longueuil, lequel accueille partiellement une demande introductive d’instance en dommages-intérêts et la condamne à payer 27 339,13 $ aux deux intimés et une somme additionnelle de 10 000 $ à l'intimé André René Châtelier[1]. 

***

[2]                Les parties ont signé deux contrats en juillet 2014, lesquels prévoyaient l'exécution par l'appelante de travaux de construction visant à ajouter un logement à un bâtiment existant. Les travaux ont été effectués en 2015. Les parties sont en conflit depuis lors et devant les tribunaux, dans deux dossiers distincts, depuis 2016. 

[3]                En janvier 2022, le procès a lieu en Cour supérieure relatif au recours en dommages-intérêts pour vices de construction intenté par les intimés. La réclamation, initialement de 131 624,63 $, est alors modifiée lors des plaidoiries et réduite à 72 874,96 $.  

[4]                Le jugement entrepris est rendu en août 2022.

[5]                Comme il n'existe pas de droit d'appel automatique d'un jugement portant sur un montant inférieur à 60 000 $, l'appelante a demandé la permission d’appeler devant la Cour en faisant valoir, entre autres, que la modification apportée par les intimés lors de l’audience « faisait en sorte que le juge de première instance n'avait plus la compétence pour se prononcer dans ce dossier qui était devenu de la compétence de la Cour du Québec »[2]. Plus précisément, l'appelante a avancé que puisque tous les litiges ayant une valeur inférieure à 85 000 $ étaient du ressort exclusif de la Cour du Québec en vertu de l'article 35 al. 1 C.p.c., le juge ne pouvait rendre jugement, mais se devait plutôt de renvoyer l’affaire devant la Cour du Québec. La demande de permission a été accordée par un juge de notre Cour sur la base de cet argument[3].

[6]                Bien que les deux parties reconnaissent le problème lié à la compétence de la Cour supérieure et en aient aussi compris les enjeux potentiels depuis au moins septembre 2022, elles ont toutes deux déposé leurs mémoires dans lesquels sont exposés leurs arguments sur le fond du dossier, sans expliquer ou autrement aborder comment la Cour peut passer outre cette question d’absence apparente de compétence de la Cour supérieure.

[7]                Malgré la perte de temps et de ressources – tant de la part des parties que pour les tribunaux – que cette situation entraîne, la compétence matérielle d’un tribunal telle la Cour supérieure est d'ordre public et ne peut être ignorée[4].  

[8]                Au moment de la tenue de l'audience dans cette affaire, le Code de procédure civile prévoyait que tout litige dont la valeur était inférieure à 85 000 $ relevait de la compétence exclusive de la Cour du Québec[5]. Le législateur aborde spécifiquement à l’art. 35 al. 2 C.p.c. les conséquences d'un changement survenu en cours d'instance qui aurait pour effet de porter la valeur du litige à un niveau supérieur ou inférieur à celui de la compétence de la Cour du Québec.  À l’époque pertinente, cette disposition se lisait comme suit :

35. […]

La demande introduite à la Cour du Québec cesse d’être de la compétence de la cour si, en raison d’une demande reconventionnelle prise isolément ou d’une modification à la demande, la somme réclamée ou la valeur de l’objet du litige atteint ou excède 85 000 $. Inversement, la Cour du Québec devient seule compétente pour entendre la demande portée devant la Cour supérieure lorsque la somme réclamée ou la valeur de l’objet du litige devient inférieure à ce montant. Dans l’un et l’autre cas, le dossier est transmis à la juridiction compétente si toutes les parties y consentent ou si le tribunal l’ordonne, d’office ou sur demande d’une partie.

 

35. […]

An application brought before the Court of Québec is no longer within the jurisdiction of that Court if a cross-application is made for an amount or value equal to or exceeding $85,000, or if an amendment to the application increases the amount claimed or the value of the subject matter of the dispute to $85,000 or more. Conversely, the Court of Québec alone becomes competent to hear and determine an application brought before the Superior Court if the amount claimed or the value of the subject matter of the dispute falls below that amount. In either case, the record is transferred to the competent court if all parties agree or if the court so orders on its own initiative or on a party’s request.

[9]                Ainsi, au moment où la demande introductive d’instance a été modifiée, la Cour du Québec était la seule compétente pour entendre et juger d’une demande introduite en Cour supérieure le montant réclamé était inférieur à 85 000 $.

[10]           Les tribunaux ont reconnu que des situations comme l’absence de présentation d’une preuve relative à une partie de la demande[6] ou le fait d’acquiescer partiellement ou d’effectuer un paiement partiel ayant une incidence sur le montant de la demande, ne font pas nécessairement perdre compétence au tribunal saisi[7]. Comme la Cour a statué dans l'affaire 9045-5643 Québec inc c. Gaudreault, « un tribunal ne perd pas sa compétence initiale en fonction de la preuve ou d'admissions qui en tiennent lieu »[8]. Cependant, dans le même arrêt, la Cour a reconnu que la situation s’avère différente lorsqu'une procédure est modifiée par le biais d’un amendement. Cette distinction est essentielle car, après une modification, la demande dont un tribunal est saisi et qui sert de base à l'établissement de sa compétence n’est plus la même.

[11]           Il n'est pas contesté en l'espèce que les intimés ont présenté lors du procès une demande formelle d’amendement de leur demande introductive d'instance afin de réduire le montant de leur réclamation et que le juge l'a acceptée. Ce faisant, la Cour supérieure a de facto perdu sa compétence et se devait de renvoyer l'affaire devant la Cour du Québec, ce que notre Cour doit maintenant faire, d’autant plus que l’absence de compétence a été soulevée par l’appelante dans sa demande de permission d’appeler.

[12]           En terminant, il convient de noter que la Cour a fortement encouragé les parties à faire tous les efforts nécessaires pour tenter de régler à l’amiable les questions en litige et éviter de perdre davantage de temps et de ressources dans un conflit qui perdure depuis bientôt une décennie et dont les sommes en cause justifient mal les ressources engagées. Malheureusement, il faut constater que les efforts de la Cour n’ont pas porté fruit.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[13]           ACCUEILLE l’appel;

[14]           DÉCLARE et CONSTATE que, le 23 août 2022, la demande introductive d’instance ne relevait pas de la compétence de la Cour supérieure, les sommes réclamées étant, en réalité, inférieures à 85 000 $, seuil alors applicable;

[15]           INFIRME en conséquence le jugement de première instance;

[16]           RENVOIE le dossier à la Cour du Québec pour qu'il y soit statué sur la demande de l’appelante;

[17]           Le tout, avec frais de justice.

 

 

 

FRANÇOIS DOYON, J.C.A.

 

 

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

 

 

 

PETER KALICHMAN, J.C.A.

 

Me Régis Nivoix

ME RÉGIS NIVOIX AVOCAT

Pour l’appelante

 

Me Andy Bernard Eustache

ÉTUDE LÉGALE ANDY B. EUSTACHE

Pour les intimés

 

Date d’audience :

30 janvier 2024

 


[1]  Châtelier c. 9114-9484 Québec inc., 2022 QCCS 3182.

[2]  Déclaration d’appel, paragr. 8.

[3]  9114-9484 Québec inc. c. Châtelier, 2022 QCCA 1503 (j. Mainville).

[4]  Art. 167 C.p.c.; Ville de Terrebonne c. Immeubles des Moulins inc., 2021 QCCA 525, paragr. 8; Luc Chamberland (dir.), Le grand collectif – Code de procédure civile : Commentaires et annotations, vol. 1, 7e éd., Yvon Blais, Montréal, 2022, art. 35.

[5]  Le plafond a par la suite été modifié à 75 000 $ et une juridiction concurrente pour les litiges entre 75 000$ et 100 000$ a été instaurée par la Loi visant à améliorer l’efficacité et l’accessibilité de la justice, notamment en favorisant la médiation et l’arbitrage et en simplifiant la procédure civile à la Cour du Québec, L.Q. 2023, c. 3, art. 3, ce qui n'a aucune incidence sur la situation en l'espèce.

[6]  Voinson c. Laval (Ville de), 2007 QCCS 244, paragr. 85 et 86.

[7]  9208-6107 Québec inc. c. Construction J.C. Lepage ltée, 2013 QCCS 5040, paragr. 19.

[8]  2008 QCCA 1066, paragr. 3.

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