Beneva inc. c. Bolduc | 2024 QCCA 589 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(705-17-009474-204) | |||||
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DATE : | 9 mai 2024 | ||||
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BENEVA INC., en reprise d’instance de SSQ Assurances | |||||
APPELANTE – défenderesse | |||||
c. | |||||
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MARTIN BOLDUC | |||||
NATHALIE BOUTIN, en sa qualité de tutrice légale de Louis Roch | |||||
JEAN-CLAUDE ROCH, en sa qualité de tuteur légal de Louis Roch | |||||
JACOB ROCH | |||||
MARC-ANDRÉ ALLARD | |||||
WILLIAM ROCH | |||||
LOUIS ROCH | |||||
INTIMÉS – demandeurs | |||||
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[1] L’appelante, Beneva inc., se pourvoit contre un jugement rendu le 3 février 2023 par la Cour supérieure, district de Joliette (l’honorable Jean-Yves Lalonde), qui accueille le recours des intimés, les bénéficiaires de la police d’assurance vie de l’assuré feu François Roch, déclare nulle, non avenue et inopposable à leur endroit la clause d’exclusion de la garantie intitulée « Suicide » apparaissant aux « Dispositions générales » du contrat d’assurance, et la condamne à leur payer le capital décès de 1 500 000 $ prévu à ladite police.
[2] Pour les motifs de la juge Baudouin, auxquels souscrivent les juges Sansfaçon et Lavallée, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel avec les frais de justice.
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| STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A. | |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |
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| CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. | |
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Me Marie-Nancy Paquet | ||
Me Michaël Deslauriers | ||
lavery, de billy | ||
Pour l’appelante | ||
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Me Emmanuel Préville-Ratelle | ||
ratelle, ratelle & associés | ||
Pour les intimés | ||
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Date d’audience : | 21 mars 2024 | |
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MOTIFS DE LA JUGE BAUDOUIN |
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[4] L’appelante, Beneva inc., se pourvoit contre un jugement rendu le 3 février 2023 par la Cour supérieure, district de Joliette (l’honorable Jean-Yves Lalonde), qui accueille le recours des intimés, les bénéficiaires de la police d’assurance vie de l’assuré feu François Roch, déclare nulle, non avenue et inopposable à leur endroit la clause d’exclusion de la garantie intitulée « Suicide » apparaissant aux « Dispositions générales » du contrat d’assurance, et la condamne à leur payer le capital décès de 1 500 000 $ prévu à ladite police.
[5] Le pourvoi porte essentiellement sur l’interprétation de l’article 2404 C.c.Q. et son application aux faits de l’espèce. Cette disposition prévoit qu’en matière d’assurance de personnes, l’assureur ne peut invoquer que les exclusions ou les clauses de réduction de la garantie qui sont clairement indiquées sous un titre approprié. Pour les motifs qui suivent, j’estime que la clause d’exclusion de garantie chapeautée du titre « suicide » ne satisfait pas aux exigences de l’article 2404 C.c.Q., en ce qu’elle n’attire pas l’attention de l’assuré sur ses effets d’exclusion de garantie. Celle-ci est par conséquent nulle et inopposable aux intimés.
LE CONTEXTE
[6] Les évènements ayant mené à la souscription de la police d’assurance ne sont pas contestés. En septembre 2016, l’assuré rencontre son conseiller en sécurité financière à l’approche de l’expiration de son contrat d’assurance vie. Après avoir évalué ses besoins, il est déterminé que la souscription à une nouvelle police d’assurance d’une durée de 20 ans auprès du même assureur serait plus avantageuse que le renouvellement de la police actuelle. Le jour même, M. Roch signe sa nouvelle proposition d’assurance, ce qui implique l’annulation du contrat d’assurance vie précédent. Le 23 octobre 2016, l’appelante émet une nouvelle police d’assurance vie et invalidité extrême (Tempo 20, transformable P.I.E.), qui assure notamment la vie de M. Roch pour une période de 20 ans (jusqu’au 23 octobre 2036) et prévoit un capital assuré de 1 500 000 $, moyennant le paiement d’une prime annuelle de 5 295 $.
[7] Ce nouveau contrat d’assurance, comme le précédent, contient une clause d’exclusion de garantie en cas de suicide de l’assuré lorsque celui-ci survient dans les deux années qui suivent la date d’entrée en vigueur de la garantie. Cette clause qui apparaît dans la section « Dispositions générales » du contrat d’assurance est ainsi libellée :
SUICIDE
« Si, pendant les deux (2) années qui suivent la date d’entrée en vigueur d’une garantie, l’assuré meurt de sa propre main ou de son propre fait, qu’il soit sain d’esprit ou non, l’obligation de la Compagnie est limitée au paiement d’une prestation de décès équivalente au remboursement des primes versées pour cette garantie, sans intérêt. »
[8] L’assuré est informé de l’existence de cette clause. Lors de sa rencontre avec son conseiller, M. Roch prend connaissance du formulaire « Préavis de remplacement d’un contrat d’assurance de personnes » et paraphe une case intitulée « Clause de suicide » dans laquelle on peut lire : « En remplaçant une assurance, vous pourriez perdre cet avantage, car cette période de deux ans recommence à courir le jour de l’entrée en vigueur du contrat proposé. » Toujours dans le cadre de ce formulaire, le conseiller écrit dans une section qui lui est réservée que le remplacement de la police en vigueur par une nouvelle police ne représente aucun désavantage pour son client, sauf en ce qui concerne les clauses de suicide et d’incontestabilité.
[9] Le 19 février 2018, soit moins de deux ans après l’entrée en vigueur du nouveau contrat d’assurance, M. Roch se suicide. La cause du décès sera confirmée par le rapport du coroner rendu public le 24 juillet 2019.
[10] Le 21 février 2018, l’appelante envoie une lettre aux intimés dans laquelle elle requiert la transmission des pièces justificatives nécessaires au règlement de leur réclamation. Le 15 juin 2018, l’intimé M. Martin Bolduc, achemine à l’appelante l’ensemble des documents demandés. À la suite de la réception du rapport du coroner, l’appelante transmet aux bénéficiaires une série de chèques correspondant à la limite de prestation en cas de décès par suicide de l’assuré qui équivaut au remboursement des primes versées pour la garantie d’assurance, sans intérêt, conformément au libellé de la clause « suicide » du contrat d’assurance.
[11] En août 2020, les intimés signifient à l’assureur une demande introductive d’instance dans laquelle ils réclament la totalité de l’indemnité payable en cas de décès prévue dans le contrat d’assurance.
LE JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[12] Les intimés soutiennent principalement devant la Cour supérieure que la clause « suicide » du contrat d’assurance contrevient à l’article 2404 C.c.Q., n’étant pas indiquée sous un titre approprié et qu’elle est par conséquent nulle et leur est inopposable.
[13] Outre ce qui précède, les intimés soumettent plusieurs arguments pour tenter d’invalider la clause suicide ou se mettre à l'abri de ses effets. Ils plaident que le nouveau contrat constituait un prolongement du contrat précédent échu et qu’ainsi, le suicide serait intervenu plus de deux ans ininterrompus auprès du même assureur. Ils avancent également qu'il existait une divergence entre la proposition d'assurance et le contrat. Ces deux arguments ont été écartés par le juge d’instance et ne sont pas remis en cause en appel.
[14] Pour nos fins, seule l’analyse du juge centrée sur la portée de l’article 2404 C.c.Q. dans le contexte du contrat d’assurance de M. Roch sera examinée. Ainsi, après avoir qualifié la clause « suicide » apparaissant aux « Dispositions générales » de la police d’assurance souscrite par M. Roch de clause d’exclusion, le juge Lalonde analyse le texte même de cette disposition et des exigences législatives qu’elle contient, l’ancien article correspondant du Code civil du Bas-Canada, l’article 2502 C.c.B.C., ainsi que les Commentaires du ministre de la Justice. Le juge détermine que, tout comme son prédécesseur, l’article 2404 C.c.Q. a pour objectif premier de permettre à l’assuré de repérer facilement dans son contrat d’assurance, les exclusions ou les clauses de réduction de la garantie par la présence d’un titre approprié clairement énoncé dans le texte de la police. Il ajoute également que l’article 2404 C.c.Q oblige les assureurs à regrouper sous un titre approprié ces clauses pour en faciliter le repérage par le preneur d’assurance.
[15] Appliquant ces principes à la clause visée du contrat d’assurance de M. Roch, le juge conclut que celle-ci ne satisfait pas aux exigences législatives, et ce, pour deux raisons. D’une part, cette clause se trouve dans la section des « Dispositions générales » de la police et, d’autre part, son titre est inadéquat en ce qu’il ne signale pas qu’il s’agit d’une clause d’exclusion de la garantie :
[48] Ce qui interpelle le Tribunal, c’est d’abord que la clause « Suicide » se trouve dans les « Dispositions générales » et que son libellé ne parle pas expressément d’une exclusion à la garantie d’assurance, mais plutôt d’une limitation à l’indemnité payable. Nulle part dans le texte, la véritable nature de l’exclusion n’est-elle identifiable. Aucun titre approprié ne permet de comprendre qu’il s’agit d’une exclusion. Certes le texte de la clause « Suicide » est clair et sans ambiguïté, mais ce n’est pas de cela dont il s’agit. L’obligation de l’assureur consiste d’abord à identifier par une expression claire toute exclusion de garantie (arrêt Chablis) puis à regrouper les clauses de restriction ou d’exclusion de garantie sous un titre approprié (2404 C.c.Q.). En l’espèce tel n’est pas le cas.
[Transcription textuelle]
[16] Ainsi, le juge détermine que malgré la clarté du texte de la clause, l’obligation de l’appelante consistait à identifier par un titre clair toute exclusion de garantie et à regrouper ces exclusions sous un titre approprié, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le titre « suicide », qui coiffe la clause d’exclusion, contrevient donc à l’essence de l’article 2404 C.c.Q. en ce qu’il ne permet pas de repérer facilement l’existence de l’exclusion de garantie et ne constitue donc pas un titre approprié au sens de la loi. Le juge estime par conséquent que le contrat d’assurance souscrit par M. Roch ne répond pas aux exigences législatives de l’article 2404 C.c.Q. qui est une disposition d’ordre public selon l’article 2414 C.c.Q. Il prononce ainsi la nullité relative de la clause en question, la déclare inopposable aux intimés et ordonne à l’appelante de leur verser le capital assuré avec les intérêts légaux et l’indemnité additionnelle prévue dans la loi, à compter du 19 juillet 2018.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[17] L’appel soulève essentiellement deux questions :
1. Le juge d’instance a-t-il erré en concluant que la clause applicable en cas de suicide du contrat d’assurance vie, qui a pour titre « suicide », contrevient aux exigences prévues à l’article 2404 C.c.Q.?
2. Subsidiairement, le juge d’instance a-t-il erré de façon manifeste et déterminante en concluant que l’appelante était en demeure de plein droit à compter du 19 juillet 2018?
LES ARGUMENTS SOULEVÉS PAR LES PARTIES
[18] Les arguments avancés par l’appelante sont nombreux et se déclinent en plusieurs variantes. Ils visent essentiellement à inviter la Cour à donner une interprétation plus souple, voire différente, au texte de l’article 2404 C.c.Q., et particulièrement à ce que constitue un titre « approprié » au sens du Code.
[19] L’appelante soutient d’abord que le juge a erré en décidant que seul un titre comportant le terme « exclusion » ou « limitation » pouvait constituer un titre approprié au sens de l’article 2404 C.c.Q. Selon elle, l’interprétation trop restrictive du juge le mène à ajouter des mots à la disposition qui n’exige pas l’emploi de termes précis, ce qui constitue une erreur.
[20] De plus, le juge aurait dû procéder à une analyse contextuelle de la clause en question afin de décider du caractère adéquat ou non de son titre. Puisque, selon elle, l’objectif de l’article 2404 C.c.Q. est de permettre au lecteur de saisir aisément l’information fournie par l’assureur, voire précise-t-elle à l’audience, d’attirer l’attention sur l’objet de la clause, il importe donc avant tout de savoir si l’assuré comprend bien son sens et sa portée lorsqu’il en prend connaissance. Or, en l’espèce, les parties et le juge s’entendent que le texte de cette clause est clair et que la preuve démontre que l’assuré la connaissait. Dans le contexte actuel du domaine de l’assurance vie, l’appelante affirme par ailleurs que l’usage du titre « suicide » est courant, en soi très évocateur, voire utilisé par l’AMF (Autorité des marchés financiers) dans l’un de ses formulaires, et ne porte pas à confusion.
[21] À l’audience, la procureure de l’appelante nous invite à s’écarter des enseignements de l’arrêt Lemay c. Assurance-Vie Desjardins[1] rendu par la Cour sous l’égide du Code civil du Bas-Canada et sur lequel le juge fonde en partie son analyse, puisque cet arrêt portait sur l’interprétation de l’article 2502 C.c.B.C. qui n’est pas identique ni dans sa portée ni dans son texte à l’article 2404 C.c.Q.
[22] Subsidiairement, l’appelante plaide que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante en concluant qu’elle était en demeure de plein droit à compter du 19 juillet 2018, et en la condamnant à payer les intérêts à partir de cette date. Considérant la cause du décès, le rapport du coroner constituait une justification requise pour le paiement du capital décès au sens de l’article 2436 C.c.Q. Le délai de 30 jours prescrit par la loi commençait donc à courir à partir de la réception du rapport du coroner le 24 juillet 2019.
[23] Pour leur part, les intimés estiment que le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que la clause « suicide » de la police ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 2404 C.c.Q. et était donc nulle et sans effet. Ils soulignent que l’article 2404 C.c.Q. reprend essentiellement l’article 2502 C.c.B.C. et vise à permettre à l’assuré, par la seule lecture du titre, d’identifier facilement les clauses d’exclusion ou de réduction de garantie. Dans cette optique, l’arrêt Lemay de la Cour fait toujours autorité.
[24] En l’espèce, la clause simplement coiffée du titre « suicide » contenue dans les dispositions générales invoque sa cause et son objet, mais non ses effets. Un tel titre n’informe pas l’assuré quant aux conséquences de la clause sur sa garantie. À l’audience, le procureur de l’intimé fait référence à plusieurs exemples de clauses dont le titre pourrait être « suicide » sans qu’elles n’aient pour effet d’exclure tout versement en cas de suicide[2].
[25] De plus, on retrouve quelques pages plus loin dans la même police, une clause d’exclusion chapeautée du titre évocateur « Exclusion pour la prestation d’invalidité extrême », stipulant ainsi les exclusions applicables en cas d’invalidité de l’assuré. À cet égard, et contrairement à ce que soutient l’appelante, les intimés affirment qu’il aurait été facile d’utiliser un titre similaire ou de regrouper toutes les exclusions sous un même titre afin d’en permettre un repérage facile. De plus, l’utilisation par l’AMF de ce titre dans l’un de ses formulaires statutaires n’a aucune force de loi et ne constitue pas un précédent quelconque.
[26] Les intimés soulignent que la connaissance ou la compréhension de l’assuré de son contenu n’a aucune incidence sur l'étalon de conformité nécessaire de son titre en vertu de l’article 2404 C.c.Q. et il n’existe aucune preuve que M. Roch ait renoncé à la nullité de la clause en l’espèce, au sens de l’article 1423 C.c.Q.
[27] En ce qui a trait finalement à l’argument subsidiaire de l’appelante, les intimés estiment que le juge de première instance n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante en retenant la date du 19 juillet 2018. La preuve non contredite au procès révèle que l’appelante n’a jamais requis des intimés le rapport du coroner, pourtant indiqué sur une liste standard des documents à fournir potentiellement, ni démontré qu’elle ignorait la tenue de cette enquête.
ANALYSE
La genèse et la portée de l’article 2404 C.c.Q.
[28] L’article 2404 C.c.Q. est au cœur du présent pourvoi. Pour bien saisir toute sa portée et le contexte dans lequel il s’inscrit, cette disposition doit être lue conjointement avec l’article 2441 C.c.Q., ainsi que de manière plus large, avec l’ensemble des dispositions du Code civil relatives au droit des assurances de personnes :
2441. L’assureur ne peut refuser de payer les sommes assurées en raison du suicide de l’assuré, à moins qu’il n’ait stipulé l’exclusion de garantie expresse pour ce cas. Même alors, la stipulation est sans effet si le suicide survient après deux ans d’assurance ininterrompue. Toute modification du contrat portant augmentation du montant d’assurance est, en ce qui a trait au montant additionnel, sujette à la clause d’exclusion initialement stipulée pour une période de deux ans d’assurance ininterrompue s’appliquant à compter de la prise d’effet de l’augmentation. | 2441. The insurer may not refuse payment of the sums insured by reason of the suicide of the insured unless he expressly stipulated that coverage would be excluded in such a case and, even then, the stipulation is without effect if the suicide occurs after two years of uninterrupted insurance. Any change made to a contract to increase the amount of coverage is, as regards the additional amount, subject to the initially stipulated exclusion clause for a period of two years of uninterrupted insurance beginning on the effective date of the increase.
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2404. En matière d’assurance de personnes, l’assureur ne peut invoquer que les exclusions ou les clauses de réduction de la garantie qui sont clairement indiquées sous un titre approprié. 2414. Toute clause d’un contrat d’assurance terrestre qui accorde au preneur, à l’assuré, à l’adhérent, au bénéficiaire ou au titulaire du contrat moins de droits que les dispositions du présent chapitre est nulle.
Est également nulle la stipulation qui déroge aux règles relatives à l’intérêt d’assurance ou, en matière d’assurance de responsabilité, à celles protégeant les droits du tiers lésé. [Soulignement ajouté] | 2404. In insurance of persons, the insurer may invoke only the exclusions or clauses reducing coverage that are clearly indicated under an appropriate heading.
2414. Any clause in a non-marine insurance contract which grants the client, the insured, the participant, the beneficiary or the policyholder fewer rights than are granted by the provisions of this chapter is null.
Any stipulation which derogates from the rules on insurable interest or, in liability insurance, from those protecting the rights of injured third persons is also null. (Emphasis added) |
[29] Ainsi, un assureur ne peut refuser de payer les sommes assurées en raison du suicide de son assuré, à moins qu’il n’ait stipulé dans le contrat d’assurance une exclusion de garantie expresse pour ce cas, laquelle ne vaut que si le suicide survient dans les deux ans d’assurance ininterrompue. S’il est loisible à l’assureur de restreindre la portée de cette exclusion à une période moindre, ou même de ne pas s’en prévaloir, il ne peut toutefois en étendre la portée au-delà de cette période.
[30] Il est important de rappeler que cela n’a cependant pas toujours été le cas.
[31] Au cours du dernier siècle, le droit des assurances a connu une évolution marquée en matière de stipulations relatives au suicide d’un assuré. Jusqu’en 1976, sous l’égide du Code civil du Bas-Canada, le suicide était de facto considéré comme une cause de nullité d’un contrat d’assurance vie. S’agissant, selon le législateur, d’un geste socialement répréhensible et contraire à l’ordre public, le suicide faisait l’objet d’une exclusion législative par le biais de l’article 2593 C.c.B.c. Cette disposition, qui témoigne par ailleurs d’un autre temps, stipulait que « [l’] assurance prise par un individu sur sa propre vie est sans effet s’il périt par la main de la justice, en duel ou par suicide »[3].
[32] À l’occasion de la réforme du droit des assurances en 1976, le législateur québécois opère un changement de cap et inverse la règle alors établie par l’adoption du nouvel article 2532 C.c.B.C., désormais applicable à tous les contrats d’assurance de personnes. Le suicide n’est dès lors plus cause de nullité du contrat.
2532. Le suicide de l’assuré n’est pas cause de nullité. Toute stipulation contraire est sans effet si le suicide survient après deux ans d’assurance ininterrompue. | 2532. Suicide of the insured is not a cause of nullity. Any stipulation to the contrary is without effect if the suicide occurs after two years of uninterrupted insurance. |
[33] Il s’agit d’une des mesures mises en place par le législateur afin de mettre en œuvre l’un des principaux objectifs de sa réforme, soit d’octroyer une plus grande protection à l’assuré, considéré alors comme un contractant vulnérable, et ainsi exiger une transparence et une intelligibilité accrues du contenu du contrat d’assurance. À titre d’exemple, l’obligation claire de délivrer la police complète au preneur du contrat[4], la nécessité d’attirer l’attention du preneur sur des divergences entre la police et la proposition et la primauté accordée à cette dernière en l’absence d’un avertissement écrit[5], la règle du « contra proferentem » qui prône, lorsqu’applicable, une interprétation favorable à l’assuré[6], ou encore l’obligation de l’assureur de préciser par écrit et pour l’assuré de consentir par écrit aux modifications en cours de contrat[7], illustrent cette volonté du législateur de protéger les intérêts de l’assuré par un rééquilibre des forces contractuelles en présence. En sus de ce qui précède, et bien que formellement exclu de la portée de la Loi sur la protection du consommateur[8], le contrat d’assurance possède certains attributs propres au contrat de consommation[9] en ce qu’il constitue la plupart du temps un contrat d’adhésion et que les règles qui le régissent imposent un haut niveau de formalisme informatif afin d’assurer une plus grande équité contractuelle. Les clauses qui dérogent à ces obligations d’ordre public absolu sont désormais sanctionnées par la nullité[10]. Le professeur Didier Lluelles, dans son traité portant sur le droit des assurances, évoque ainsi une véritable révolution du domaine des assurances, priorisant désormais la primauté de la loi sur le contrat lui-même[11].
[34] À cet égard, l’article 2502 C.c.B.c. témoigne de ce formalisme visant à protéger l’assuré des exclusions de garantie dans le cadre d'une police d'assurance contre la maladie ou les accidents, en obligeant l’assureur à les signaler clairement sous un titre approprié :
L’assureur ne peut invoquer que les exclusions ou clauses de réduction de la garantie qui sont clairement signalées sous un titre approprié, tel que : « Exclusions et réduction de la garantie ». [Soulignement ajouté] | 2502. In any accident and sickness insurance policy, the insurer must also indicate expressly and clearly the nature of the coverage stipulated therein; if the insurance is conditional upon disability, it must, in the same manner, indicate the conditions of payment of the indemnities
The insurer cannot invoke exclusions or clauses of reduction of coverage except those clearly indicated under an appropriate title, such as the following: “Exclusions and Reduction of Coverage”. (Emphasis added) |
[35] Je note que l’article 2404 C.c.Q. reprend en substance les exigences anciennement formulées par l’article 2502 C.c.B.C., sous réserve de deux différences principales : d’abord, alors que l’article 2502 C.c.B.C. ne visait que les contrats d’assurance maladie et accident, l’actuel texte de l’article 2404 C.c.Q. a une portée plus large et intéresse maintenant toutes les catégories d’assurance de personnes, y compris l’assurance vie[12]. Ensuite, le législateur a décidé de ne pas reprendre l’ancienne formulation du Code civil du Bas-Canada qui, au deuxième alinéa de son article 2502, employait les mots « (…) tel que : “Exclusions et réduction de garantie” », afin de fournir un exemple ou de préciser ce qui pouvait constituer un titre approprié sous l’égide de cet article. Il s’agit à mon avis d’une différence de forme sur laquelle l’appelante insiste particulièrement et sur laquelle je reviendrai.
[36] En 1988, la Cour s’est prononcée sur la portée du second alinéa de cette disposition dans la décision Lemay c. Assurance-vie Desjardins[13], portant sur le pourvoi d’un assuré réclamant de sa compagnie d’assurance le paiement d’une indemnité en vertu du contrat d’assurance collective auquel il avait adhéré. Dans cette affaire, l’assuré était devenu totalement invalide à la suite d’une condition médicale dont les premiers symptômes étaient apparus dans les six mois précédant le début de l’assurance. Une clause du contrat, chapeautée du titre « Conditions médicales préexistantes » prévoyait spécifiquement une exclusion du versement de l’indemnité en pareilles circonstances. Cette clause n’apparaissait cependant pas sous une rubrique du contrat intitulée « Exclusions ». Elle était plutôt enfouie dans les dispositions générales du contrat, ne signalant pas d’emblée son existence. La Cour accueille le pourvoi de l’assuré et énonce l’obligation de l’assureur de mettre en évidence un titre explicite :
Le législateur exigeait de l’assureur qu’il signale toute exclusion ou clause de réduction d’un titre approprié tel que « Exclusions et réduction de la garantie ». Il est évident que le législateur ne donne là qu’un exemple de ce qui peut être un titre approprié pour signaler une exclusion ou une réduction. Mais l’exemple fourni montre combien le titre doit être explicite. Le titre suggéré met en évidence le résultat de la clause d’exclusion. Le titre dont on a coiffé la clause 4 n’attire nullement l’attention sur les effets des conditions médicales préexistantes. Le titre de la clause 4 met plutôt en évidence la cause et enfouit dans le texte l’effet de cette cause. Le lecteur qui connait l’article 2502 du Code et qui lit les titres est justifié de penser que toutes les exclusions sont concentrées dans la clause exclusions et qu’il n’a pas à chercher ailleurs une autre cause d’exclusion. La clause 4 n’est donc pas coiffée d’un titre approprié[14].
[Soulignement et gras ajoutés]
[37] Selon la Cour, il incombe à l’assureur de mettre en évidence le résultat de la clause d’exclusion et d’attirer l’attention sur ses effets, soit la réduction de la garantie ou l’exclusion en cas de maladie préexistante. Cette exigence a été reprise dans le nouveau Code civil du Québec à l’article 2404. La Cour a confirmé la portée des enseignements de l’arrêt Lemay sous l’empire du nouveau Code dans l’arrêt Godin c. Compagnie d’assurance du Canada sur la vie[15] :
[24] Comme l’enseigne l’arrêt Lemay c. Assurance-vie Desjardins, le titre [de la clause] met en évidence non seulement le résultat de la clause de réduction, par l’usage du mot « restrictions », mais aussi les effets d’une condition médicale préexistante, par l’usage des mots « relatives à un état antécédent », sans disperser et camoufler ailleurs l’effet négatif d’un état médical antérieur sur la garantie d’assurance autrement prévue. Cette clause réfère à la condition médicale préexistante de l’appelante et signale immédiatement et complètement l’effet d’exclusion partielle ou de réduction de la garantie.
[Soulignement et gras ajoutés]
[38] Dans cette affaire, la Cour a décidé que l’utilisation du titre « Restrictions relatives à un état antécédent » signifie bien que la garantie d’assurance sera restreinte ou réduite aux conditions prévues, lorsqu’existe un état médical antérieur et que cela correspond à un titre approprié conformément aux exigences de l’article 2404 C.c.Q. puisque l’effet de celle-ci, c’est-à-dire l’exclusion ou la réduction de la garantie, y est clairement indiqué.
[39] Cette mise en contexte étant faite, il convient maintenant de répondre aux questions formulées par l’appelante dans le cadre de son mémoire.
Le titre de la clause d’exclusion ou de réduction de la garantie
[40] Avant toute chose, je précise que l’erreur alléguée par l’appelante relative à l’interprétation de l’article 2404 C.c.Q. est une question de droit[16]. La question de la conformité de la clause en litige aux exigences de l’article 2404 C.c.Q. constitue quant à elle une question mixte soumise à la norme de l’erreur manifeste et déterminante[17].
[41] J’estime que le juge d’instance n’a pas commis d’erreur en concluant que la clause « suicide » contenue au contrat d’assurance de feu M. Roch n’était pas coiffée d’un titre approprié, conformément aux exigences de l’article 2404 C.c.Q. et que, par conséquent, elle était nulle et inopposable aux intimés.
[42] À mon avis, l’appelante se méprend sur la portée de l’article 2404 C.c.Q., lorsqu’elle soutient dans son mémoire qu’il a pour objectif de permettre au lecteur de saisir aisément l’information fournie par l’assureur et « donc de savoir si l’assuré, lorsqu’il lit cette clause, en comprend bien le sens et la portée »[18]. En d’autres termes, l’appelante plaide que l’article 2404 C.c.Q. vise à déterminer si la clause et le titre sont suffisamment clairs pour permettre à l’assuré de comprendre le sens de la clause d’exclusion ou de limitation et son effet sur la garantie à laquelle il souscrit. Elle ajoute que la détermination du caractère approprié d’un titre est donc indissociable de la recherche de la cohérence entre le titre et le contenu de la clause.
[43] À l’instar du juge d’instance, je crois plutôt que l’objectif de l’article 2404 C.c.Q. est d’indiquer clairement à l’assuré, les réductions ou les limitations de la garantie offerte, voire d’attirer son attention immédiate sur l’existence de telles restrictions à sa garantie dans son contrat d’assurance. Cet article est clair en soi et ne vise pas à protéger l’assuré contre des clauses obscures, illisibles ou confuses. Cette protection est déjà acquise par la règle du « contra proferentem » introduite par le législateur à l’article 1432 C.c.Q. Soutenir ainsi que l’article 2404 C.c.Q. a pour objectif d’obliger les assureurs à formuler de manière claire des exclusions ou clauses de réduction de la garantie, rendrait cette exigence superflue et redondante.
[44] Autrement dit, l’examen de la conformité du titre au regard des exigences du Code civil doit porter uniquement sur ce titre, et non pas sur l’intelligibilité de la clause en soi. À cet égard, j’estime qu’il n’est donc pas pertinent pour nos fins d’interpréter le texte de la clause d’exclusion afin de déterminer s’il est clair, ou si l’assuré en comprenait le sens et la portée.
[45] En ce qui a trait au caractère approprié d’un titre, la Cour dans Lemay affirme qu’un titre doit attirer l’attention du lecteur sur l’effet de la clause, c’est-à-dire l’exclusion ou la réduction comme telle, par opposition à sa cause, en l’occurrence ici, le suicide de l’assuré.
[46] À l’audience, l’appelante maintient que les principes de l’arrêt Lemay ne devraient pas être suivis en l’espèce étant donné que cet arrêt a été rendu sur la base d’un texte de loi différent et dont l’application était circonscrite à des contrats d’assurance invalidité. Elle soutient de plus que le texte de la police d’assurance dans cette affaire était ambigu, contrairement au contrat d’assurance en cause. En l’espèce, la clause « suicide » est la seule clause d’exclusion applicable au volet assurance vie du contrat.
[47] Je ne retiens pas les arguments formulés par l’appelante.
[48] Contrairement à ce qu’elle affirme, je ne vois aucune raison d’écarter les principes de la Cour énoncés dans l’arrêt Lemay. L’exigence rédactionnelle de l’article 2502 C.c.B.C. a non seulement été reprise dans le Code civil du Québec à l’article 2404, sa portée également a été élargie à tous les contrats d’assurance de personnes, incluant les contrats d’assurances vie[19]. On ne peut voir dans cet élargissement du champ d’application de la disposition un assouplissement des obligations informatives des assureurs vis-à-vis les assurés. S’il est vrai que le législateur a retiré l’exemple qu’il donnait d’un titre approprié, il n’en a pas pour autant changé le principe. Je souscris aux motifs du juge d’instance qui précise que l’interprétation téléologique du texte de l’article 2404 C.c.Q. met en évidence l’ultime objectif législatif qui consiste à exiger des assureurs de regrouper sous un titre approprié les exclusions et les clauses de réduction de la garantie pour en faciliter le repérage par l’assuré.
[49] Au-delà de l’analyse du texte de l’article 2404 C.c.Q., plusieurs autres éléments convergent vers cette interprétation.
[50] D’abord, les commentaires du ministre soutiennent cette interprétation. Bien que l’appelante ait raison de rappeler que les commentaires du ministre de la Justice au sujet de l’article 2404 C.c.Q. n’ont pas de valeur officielle et ne constituent pas une autorité interprétative contraignante, il n’en demeure pas moins que ceux-ci peuvent être utiles dans l’interprétation d’une disposition du Code civil du Québec[20]. Or, ces commentaires, repris d’ailleurs par le juge d’instance, précisent bien qu’il s’agit d’une reformulation du texte et non pas l’énoncé de nouveaux principes ou un changement de paradigme :
Cet article reprend, en le reformulant, l'article 2502 alinéa 2 C.C.B.C. Il indique qu'en assurance de personnes l'assureur doit clairement indiquer dans sa police les exclusions ou les clauses de réduction de la garantie en les regroupant sous un titre approprié, de façon que l'assuré puisse les repérer facilement.
[51] La doctrine va dans le même sens[21].
[52] Finalement, et surtout peut-être, la Cour dans l’affaire Godin c. Compagnie d’assurance du Canada sur la vie a confirmé, sous l’empire du Code civil du Québec, la portée des enseignements de l’arrêt Lemay.
[53] Ainsi, j’estime que tout comme en vertu du Code civil du Bas-Canada, aujourd’hui aussi sous l’égide de l’article 2404 C.c.Q., le titre d’une clause d’exclusion ou de limitation de la garantie doit clairement mettre en évidence le résultat ou les conséquences de la clause, soit l’exclusion, les limites ou les restrictions de la garantie d’assurance plutôt que sa cause comme telle, comme le suicide ou l’existence d’une condition médicale préexistante. En l’espèce, le titre « suicide » ne met pas en évidence le fait que la garantie d’assurance est totalement exclue si le suicide survient durant les deux ans suivant la conclusion du contrat.
[54] Je fais ici un aparté pour répondre immédiatement à l’un des arguments formulés par l’appelante selon lequel le titre « suicide » est clair en soi, voire « fort évocateur » pour tout assuré raisonnable, puisqu’il s’agit de la seule clause d’exclusion applicable au volet assurance vie du contrat.
[55] Cet argument ne me convainc pas.
[56] D’abord, et comme le souligne à juste titre le juge d’instance, la clause est située dans les dispositions générales de la police, laquelle comprend plusieurs pages et sections. Ensuite, le titre ne mentionne ni les termes exclusions, réductions ou limitations de la garantie, alors que ce même contrat contient, quelques pages plus loin, une clause intitulée « Exclusions pour la prestation d’invalidité extrême » située dans la section relative aux garanties d’assurance pour prestation d’invalidité extrême. Également, contrairement à ce que prétend l’appelante, la clause suicide n’est pas la seule exclusion relative au volet assurance vie du contrat : plusieurs clauses d’exclusion s’appliquent autant à la garantie principale (assurance vie) qu’à la garantie accessoire (prestation d’invalidité extrême)[22].
[57] Il faut par ailleurs nuancer, voire corriger, les propos de l’appelante lorsqu’elle soutient que le juge aurait erronément conclu que seul un titre comprenant le terme « exclusion » ou encore le terme « limitation » puisse constituer un titre approprié en vertu de l’article 2404 C.c.Q., ajoutant ainsi des mots au texte de loi. L’analyse des motifs forts exhaustifs et soignés du juge d’instance ne laisse pas entrevoir cette interprétation. Après avoir donné les raisons pour lesquelles il estimait que le titre « suicide » en l’espèce contrevenait à l’essence de l’article 2404 C.c.Q., le juge souligne, quelques pages plus loin, que dans le cadre du même contrat d’assurance, l’assureur a regroupé, comme il se doit, plusieurs clauses d’exclusion relatives aux prestations d’invalidité extrême dont le titre clair s’avère approprié afin de les identifier, et ce, sans que le suicide n’y soit mentionné. J’ajoute à cela que le titre approprié de l’assureur dans le cadre du volet assurance invalidité ne fait qu’accentuer l’inadéquation de celui en litige.
[58] Le juge ne prescrit aucune formulation particulière et n’ajoute pas des mots au texte de la disposition lorsqu’il indique qu’un titre approprié doit signaler à l’assuré l’effet de sa clause. Lorsque le juge d’instance indique qu’un titre approprié intitulé « Exclusions » aurait permis un repérage efficace de la clause d’exclusion, il n’énonce qu’une évidence, sans pour autant que celle-ci ne soit autrement contraignante ou obligatoire pour l’assureur. Dans cette même veine, les arguments soumis par l’appelante selon lesquels on ne peut exiger de l’assureur qu’il coiffe la clause suicide d’un titre tellement long ou formel, tel « Exclusion de couverture en cas de suicide lors des deux premières années de l’entrée en vigueur du contrat » ne peuvent tenir. Il revient à celui-ci de se conformer aux exigences de la loi et de déterminer si un tel titre les respecte ou pas. L’assureur a su dans ce même contrat coiffer d’un titre approprié la clause d’exclusion relative au volet de l’assurance invalidité. Il pouvait fort bien s’acquitter aussi de cette obligation en ce qui concerne le volet de l’assurance vie en s’inspirant de l’autre titre contenu au contrat ou de titres similaires comme dans l’affaire Godin, par exemple.
[59] Finalement, l’arrêt Chablis[23] cité par l’appelante au soutien de son argumentaire ne lui est d’aucune utilité en l’espèce, pas plus que les références au formulaire prescrit par l’AMF intitulé Préavis de remplacement d’un contrat d’assurance qui n'est pas assujetti aux normes applicables à un contrat d’assurance en vertu du Code civil. En effet, dans l’affaire Chablis, la question de la conformité du titre de la clause, elle aussi coiffée du mot « suicide », ne faisait pas l’objet du débat et n’était d’aucune pertinence aux fins de disposer du pourvoi. L’exigence rédactionnelle imposée par l’article 2502 C.c.B.C. ne s’appliquait pas à cette époque au contrat d’assurance vie. Il est donc inexact de dire que n’ayant pas déclaré ce titre comme étant inapproprié, la Cour suprême a implicitement conclu qu’il l’était.
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Nécessité de regrouper toutes les exclusions ou réductions de la garantie sous un même titre
[60] Contrairement au juge d’instance toutefois, je ne pense pas que l’article 2404 C.c.Q. exige que toutes les clauses relatives à tous les types de garanties soient regroupées au même endroit. Cette conclusion n’a cependant pas d’impact sur l’issue du litige. Il n’appartient pas à la Cour de dicter aux assureurs les structures de leurs polices ou leur rédaction. Comme le souligne à juste titre l’appelante, il n’est pas rare qu’un contrat d’assurance de personnes comporte plusieurs garanties et chacune d’elles est susceptible de faire l’objet d’exclusions particulières ou générales. En effet, je conçois aisément qu’une exclusion en matière d’assurance invalidité soit distincte et restreinte à cette garantie offerte et ne soit pas transposable à l’assurance vie et vice versa. J’estime cependant qu’en vertu de l’article 2404 C.c.Q. toutes les exclusions ou clauses de réduction relatives à une même garantie doivent être regroupées sous un même titre approprié afin qu’elles ne soient pas dispersées ou camouflées, pour reprendre les termes de l’arrêt Godin, ailleurs dans la police, rendant ainsi leur repérage ardu.
[61] Cette interprétation est selon moi conforme à l’objectif du législateur. Il est donc évident que l’utilisation de titres analogues favorise le repérage des clauses. En l’espèce, l’absence d’uniformité entre les titres des clauses d’exclusion est frappante et accentue la difficulté de repérage de celle relative au suicide.
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[62] Ainsi, tout comme le premier juge, j’estime que la clause « suicide » contenue au contrat d’assurance vie de feu François Roch contrevient aux exigences de l’article 2404 C.c.Q. et que le juge n’a pas commis d’erreur révisable en constatant que le libellé de son titre ne mettait pas suffisamment en évidence les conséquences du suicide sur l’exclusion de la garantie et qu’il ne constituait pas ainsi un titre approprié.
[63] L’article 2404 C.c.Q. étant d’ordre public de protection en vertu de l’article 2414 C.c.Q., une dérogation à son texte contraire aux intérêts de l’assuré entraîne la nullité de la clause dont il est question. Le juge n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante en concluant que cette clause « suicide » dans le contrat de M. Roch était donc sans effet à son égard et à l’égard de ses bénéficiaires. Il n’existe non plus aucune preuve quant à l’intention de M. Roch de renoncer à la nullité de la clause en vertu de l’article 1423 C.c.Q.
2. Subsidiairement, le juge d’instance a-t-il erré de façon manifeste et déterminante en concluant que l’appelante était en demeure de plein droit à compter du 19 juillet 2018?
[64] L’assureur est tenu de payer les sommes assurées selon le délai prescrit à l’article 2436 C.c.Q. :
2436. L’assureur est tenu de payer les sommes assurées et les autres avantages prévus au contrat, suivant les conditions qui y sont fixées, dans les 30 jours suivant la réception de la justification requise pour le paiement. Toutefois, ce délai est de 60 jours lorsque l’assurance porte sur la maladie ou les accidents, à moins que l’assurance ne couvre la perte de revenus occasionnée par l’invalidité. | 2436. The insurer is bound to pay the sums insured and the other benefits provided in the contract, in accordance with its conditions, within 30 days after receipt of the required proof of loss.
However, in accident or sickness insurance, the period is 60 days, unless the insurance covers losses of income arising from disability.
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[65] Ma collègue la juge Cotnam enseigne dans un ouvrage collectif sur les assurances ce qui suit :
[7] L’article 1597 C.c.Q. permet de constituer le débiteur en demeure de plein droit d’exécuter une obligation par le seul effet de la loi lorsque l’obligation ne pourrait être exécutée utilement que dans un certain temps qu’il laisse écouler. En matière d’assurance-vie, l’assureur qui laisserait s’écouler le délai de 30 jours prévu à l’article 2436 C.c.Q. serait donc par le fait même mis en demeure par l’effet de la loi et les intérêts sur la prestation se computeraient à partir de cette date[24].
[66] La détermination de la date à laquelle la justification requise pour le paiement a été reçue est une question de fait soumise à la norme de l’erreur manifeste et déterminante. En l’espèce, le contrat prévoit, dans ses dispositions générales, un mécanisme spécifique de transmission des preuves justificatives relatives au décès et à ses circonstances et, ultimement, de paiement[25] :
Demande de règlement de prestation
Toute demande de règlement de prestation faite en vertu de ce contrat doit être présentée par écrit et attestée d’une preuve satisfaisante des droits du bénéficiaire, d’une pièce justificative de la date de naissance de l’assuré et, si la demande a lieu à la suite d’un décès, d’une pièce justificative du décès et de la description des circonstances du décès, et de tout autre renseignement requis par la Compagnie, le tout accompagné du présent contrat. Les sommes sont payables au siège social de la Compagnie.
[Soulignement et gras ajoutés]
[67] Le 21 février 2018, l’appelante fait parvenir aux intimés une lettre dans laquelle elle exige l’envoi des documents justificatifs au règlement de la prestation. Une liste est jointe à la lettre dont certains éléments sont sélectionnés. L’appelante se réserve par ailleurs le droit d’exiger des documents supplémentaires[26] :
A la réception de ces documents, nous étudierons votre demande dans les plus brefs délais. En de rares occasions, des renseignements ou documents supplémentaires pourraient être nécessaires.
[Soulignement et gras ajoutés]
[68] Une copie du rapport du coroner ne figure pas sur la liste des documents à envoyer[27]. Il n’y a rien d’anormal à cela, considérant que l’appelante n’est alors pas au courant des circonstances du décès de M. Roch. Le 18 juin 2018, l’appelante reçoit les pièces justificatives demandées[28]. Parmi les pièces exigées, le Formulaire signé de décès — Déclaration du réclamant est dûment rempli. Celui-ci n’indique pas la cause de la mort (celle-ci demeurant toujours inconnue), mais fait référence à l’enquête du coroner en indiquant sous la rubrique Renseignements relatifs à la personne décédée : « Voir document Coroner »[29]. De même, la Déclaration du médecin traite des circonstances nébuleuses entourant le décès de François Roch et renvoie au rapport du coroner en édictant : « Décès survenu dans des circonstances obscures (à déterminer à la lumière de l’investigation) »[30]. L’intimé Martin Bolduc signe par ailleurs un Formulaire d’autorisation à la cueillette et à la communication de renseignements personnels à des tiers pour personne décédée en faveur de l’appelante[31].
[69] Dès le 18 juin 2018, l’appelante est mise au courant qu’une enquête du coroner est en cours. Elle sait que les circonstances entourant le décès de l’assuré demeurent pour le moment inconnues. Néanmoins, l’appelante n’exige aucun document supplémentaire, malgré son droit à cet égard et les circonstances de l’espèce. La preuve révèle en fait qu’elle ne fait rien. Bien que le rapport du coroner soit rendu public le 24 juillet 2019, l’appelante ne requiert jamais son envoi de la part des intimés. Les parties ont admis de part et d’autre que toutes les pièces demandées avaient été envoyées à l’appelante.
[70] J’estime que le juge n’a pas commis d’erreur manifeste ou déterminante lorsqu’il a conclu que l’appelante était en demeure de payer les sommes assurées à partir du 19 juillet 2018, soit 30 jours après l’envoi des pièces justificatives requises par l’appelante. Considérant par ailleurs la nullité relative de la clause suicide, la réception du rapport du coroner n’aurait rien changé à l’analyse. En effet, que l’assuré soit effectivement décédé dans les deux ans de la date de formation du contrat d’assurance par suicide ne change pas le fait que l’exclusion, coiffée du titre « suicide », est nulle, inopposable aux intimés, et qu’ainsi, la mort par suicide de l’assuré, même déterminée ou confirmée par le rapport du coroner, donne droit au paiement de l’indemnité d’assurance prévue au contrat.
CONCLUSION
[71] C’est pourquoi je propose de rejeter l’appel avec les frais de justice.
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CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A. |
[1] Lemay c. Assurance vie Desjardins, 1988 CanLII 352 (CA).
[2] Par exemple, l’assureur, souhaitant se démarquer de la concurrence, renoncerait à l’application de l’article 2414 C.c.Q. et s’engagerait à payer la totalité du capital décès, même en cas de suicide; ou l’existence d’une clause qui aurait pour effet d’octroyer une partie seulement du capital décès à la suite d’un décès par suicide survenu dans une période de deux ans suivant la signature du contrat.
[3] Jean-Guy Bergeron, « Le suicide en assurances privées », (1988) 48 R. du B.149, p. 150.
[4] Art. 2478, al. Ier C.c.B.C., aujourd'hui art. 2400, al. Ier C.c.Q.
[5] Art. 2478, al. 2 C.c.B.C., aujourd'hui art. 2400, al. 2 C.c.Q.
[6] Art. 2499 C.c.B.C., maintenant remplacé plus généralement par l’article 1432 C.c.Q. dans le contexte des contrats d’adhésion.
[7] Art. 2482, al. 2 C.c.B.C., aujourd'hui art. 2405, al. 2 C.c.Q.
[8] RLRQ, c. P-40.1, art. 5 a).
[9] Alain Gourd, « Le droit de l’assurance et la protection du consommateur », (1972) 32 R. du B. 527, p. 529; Sébastien Lanctôt et Paul A. Melançon, « De la nature du Contrat et des diverses espèces d’assurance (art. 2389-2397 C.c.Q.) », dans Commentaires sur le droit des assurances : textes législatifs et réglementaires, 3e éd., Montréal, Lexis-Nexis, 2017; Didier Lluelles, Droit des assurances terrestres, 6e éd., Montréal, Thémis, 2017, p. 39.
[10] Art. 2500 C.c.B.C, aujourd'hui art. 2414 C.c.Q.; Didier Lluelles, Droit des assurances terrestres, 6e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2017, p. 15.
[11] Didier Lluelles, Droit des assurances terrestres, 6e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2017, p. 15.
[12] Didier Lluelles, Précis des Assurances terrestres, 5e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, p. 218.
[13] 1988 CanLII 352 (QC CA).
[14] Lemay c. Assurance vie Desjardins, 1988 CanLII 352 (QC CA).
[15] 2006 QCCA 851.
[16] Heritage Capital Corp. c. Équitable, Cie de fiducie, 2016 CSC 19, par. 23; Association québécoise des pharmaciens propriétaires c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 2021 QCCA 699, par. 50-51; Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail c. Ortslan, 2019 QCCA 1177, par. 42.
[17] Modern Concept d’entretien inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics de la région de Québec, 2019 CSC 28, par. 68; Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53, par. 49; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, par. 26.
[18] Mémoire de l’appelante, par. 22 et 36.
[19] Odette Jobin-Laberge et Luc Plamondon, « Les assurances et les rentes » dans Barreau du Québec et Chambre des notaires du Québec, La réforme du Code civil, t. 2, Sainte-Foy, P.U.L, 1993, 1098 p. 1114.
[20] Épiciers Unis Métro-Richelieu Inc., division « Éconogros» c. Collin, 2004 CSC 59, par. 38. Voir aussi Pierre-André Côté et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 5e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2021, par. 1460.
[21] Odette Jobin-Laberge et Luc Plamondon, « Les assurances et les rentes » dans La réforme du Code civil, t. 2, Québec, P.U.L, 1993, p. 1114; Didier Lluelles, Droit des assurances terrestres, 6e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2017, p. 218.
[22] Voir par exemple la rubrique « Définitions » et « Droit de transformation » Pièce P-5, Contrat d’assurance du 23 octobre 2016, M.A., vol. 1, p. 97.
[23] Chablis Textiles Inc. (Syndic de) c. London Life Insurance Co., [1996] 1 R.C.S. 160.
[24] Geneviève Cotnam, « De l’exécution du contrat d’assurance en assurance de personnes (art. 2435‑2444 C.c.Q. »), dans Sébastien Lanctôt et Paul A. Melançon (dir.), Commentaires sur le droit des assurances : Textes législatifs et réglementaires, 3e éd., Montréal, Lexis-Nexis Canada, 2017, p. 116.
[25] Pièce P-5, Contrat d’assurance du 23 octobre 2016, M.A., vol. 1., p. 96.
[26] Pièce P-11 : Lettre de la défenderesse du 21 février 2018, M.A., vol. 1, p. 104.
[27] Id., p. 105.
[28] Pièce P-19 : Preuve d’envoi ou de réception des documents, M.A., vol. 1, p. 117.
[29] Pièce P-12 : Formulaire signé de Décès – déclaration du réclamant, M.A., vol. 1, p. 106.
[30] Pièce P-13 : Formulaire signé de Décès – déclaration du médecin, M.A., vol. 1, p. 110.
[31] Pièce P-17 : Autorisation à la cueillette et à la communication de renseignements personnels à des tiers pour personne décédée, M.A., vol. 1, p. 111.
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