Décision

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Beaudoin c. Cabaret Music-Hall inc.

2024 QCCA 1237

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

 :

500-09-030605-232

(500-17-114832-200)

 

DATE :

23 septembre 2024

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

PIERRE-YVES BEAUDOIN

APPELANT – demandeur

c.

 

LE CABARET MUSIC-HALL INC.

LA COMPAGNIE LARIVÉE, CABOT, CHAMPAGNE

INTIMÉES – défenderesses

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 15 mai 2023 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Azimuddin Hussain), lequel accueille en partie sa demande d’injonction permanente et de dommages-intérêts à l’encontre des intimées, Le Cabaret Music-Hall inc., la propriétaire de l’immeuble voisin, et La Compagnie Larivée, Cabot, Champagne, l’agence qui y produit des spectacles[1].

[2]                Pour les motifs du juge Sansfaçon, auxquels souscrivent les juges Hamilton et Baudouin, LA COUR :

[3]                ACCUEILLE en partie l’appel;

[4]                INFIRME en partie le jugement de la Cour supérieure rendu le 15 mai 2023 dans le dossier portant le numéro 500-17-114832-200;

[5]                Et procédant à rendre le jugement qui aurait dû être rendu par le juge de première instance : REMPLACE les paragraphes [126] à [129] et [131] du dispositif du jugement par les paragraphes suivants :

[126] ORDONNE à Le Cabaret Music-Hall inc. et à ses actionnaires, dirigeants, représentants et employés de cesser l’émission par les appareils sonores de l’établissement La Tulipe situé au 4530, avenue Papineau, à Montréal, dans la province de Québec, H2H 1V3, d’un bruit audible à l’intérieur du bâtiment situé aux adresses civiques 4518-4526, avenue Papineau, à Montréal, dans la province de Québec, H2H 1V3, et sur la terrasse du même immeuble;

[127] ORDONNE à La Compagnie Larivée, Cabot, Champagne, de faire ou de prendre toutes les mesures appropriées pour s’assurer que le bruit provenant des appareils sonores de l’établissement La Tulipe situé au 4530, avenue Papineau, à Montréal, dans la province de Québec, H2H 1V3, ne s’entende plus à l’intérieur du bâtiment situé aux adresses civiques 4518-4526, avenue Papineau, à Montréal, dans la province de Québec, H2H 1V3, et sur la terrasse du même immeuble;

[6]                Avec les frais de justice dans les deux cours.

 

 

 

 

STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 

 

 

CHRISTINE BAUDOUIN, J.C.A.

 

Me Martin Poulin

Me Emil Vidrascu

Me Véronique Bélair

DENTONS CANADA

Pour l’appelant

 

Me Jean-Bertrand Giroux

MILLER THOMSON

Pour les intimées

 

Date d’audience :

6 juin 2024

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGE SANSFAÇON

 

 

[7]                L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 15 mai 2023 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Azimuddin Hussain), lequel accueille en partie sa demande d’injonction permanente et de dommages-intérêts à l’encontre des intimées, Le Cabaret Music-Hall inc., la propriétaire de l’immeuble voisin, et La Compagnie Larivée, Cabot, Champagne, l’agence qui y produit des spectacles.

[8]                L’immeuble de l’appelant comporte deux locaux commerciaux et cinq appartements, dont l’un est occupé par l’appelant et les quatre autres par des locataires. L’appartement occupé par l’appelant était utilisé comme entrepôt jusqu’en 2016, lorsqu’il le convertit en loft et commence à y habiter. La légalité de cette conversion est présentement débattue devant les tribunaux, la Ville de Montréal soutenant que le permis émis à cette fin l’aurait été par erreur, puisque le règlement de zonage n’autoriserait pas la conversion d’un local commercial en local résidentiel lorsque celui-ci est adjacent à un bar ou une salle de spectacle, comme en l’espèce. L’appelant conteste cette prétention. La Cour n’est pas saisie de ce litige, mais, quel qu’en soit le sort, le présent litige demeure pertinent à l’égard des locaux appartenant à l’appelant, dont les autres logements.

[9]                L’immeuble des intimées est un édifice classé monument patrimonial par le ministère de la Culture et des Communications du Québec. Construit en 1913, il était auparavant connu sous le nom de Théâtre Dominion et a, au fil des années, accueilli de nombreux artistes et groupes musicaux, entre autres usages. En 1966, le comédien Gilles Latulippe l’achète et le renomme le Théâtre des Variétés, nom qu’il conservera jusqu’en l’an 2000. Depuis septembre 2004, il appartient à l’intimée Le Cabaret Music-Hall et la salle de théâtre est maintenant connue sous le nom de La Tulipe.

[10]           Le litige qui oppose les parties porte sur le bruit, particulièrement sur les sons émis par les appareils d’amplification utilisés lors des spectacles et soirées de danse organisés plusieurs fois par semaine et des tests de sons réalisés certains après-midis. L’immeuble de l’appelant et celui où se déroulent les activités des intimées ne sont séparés que par un mur mitoyen dont les caractéristiques physiques ne permettent pas de couper entièrement les sons provenant du La Tulipe, particulièrement ceux de basses fréquences.

[11]           À la suite de multiples plaintes de l’appelant, les intimées font appel à la firme Vinacoustik afin d’évaluer le problème du bruit et d’obtenir des pistes de solutions. Vinacoustik produit deux rapports.

[12]           Le premier, daté de février 2020, propose, entre autres moyens, l’adjonction au mur mitoyen, côté théâtre, d’un second mur composé de divers matériaux isolants de densités variables. L’expert Danny Vu explique que la pose de ce mur devrait permettre de réduire le bruit « au maximum »[2] et de régler le problème, avis qu’il exprime avec un « degré de certitude très élevé »[3]. Il ne peut toutefois le garantir, puisque plusieurs obstacles ou interstices, comme la présence de colonnes, prises de courant ou autres ouvertures dans le mur proposé, peuvent potentiellement permettre aux sons de passer. Advenant qu’une fois le mur construit, les basses fréquences soient toujours perceptibles, il recommande soit de poser un deuxième mur acoustique du côté du logement de l’appelant soit de couper, à l’aide d’un égalisateur de fréquences, le niveau des fréquences inférieures à 125 Hz. Puisque le niveau de l’intensité sonore n’a pas été mesuré dans les autres logements et que la composition du mur des étages supérieurs de l’édifice de l’appelant mitoyen à la salle du La Tulipe est inconnue, il n’est pas possible de déterminer si la construction du mur mènera à la même réduction du bruit dans ces autres logements que celle qu’anticipe l’expert dans celui de l’appelant.

[13]           Le second rapport de Vinacoustik, daté d’août 2021, a un but distinct du premier; il vise à estimer comment lintensité des sons peut être subjectivement perçue dans le logement de l’appelant. Il précise les niveaux sonores maximums que les appareils du théâtre ne doivent pas dépasser afin de respecter, sans l’ajout du mur acoustique, à la fois l’article 9 du Règlement sur le bruit à l’égard du territoire du Plateau-Mont-Royal adopté par la Ville de Montréal (le « Règlement »)[4], c’est-à-dire afin que les sons soient inaudibles aux points récepteurs placés dans l’appartement de l’appelant en tenant compte du bruit ambiant du secteur où se trouvent les bâtiments, et l’article 8 du même Règlement.

[14]           La distinction entre les articles 8 et 9 du Règlement est au cœur du litige. L’article 8 prohibe l’émission d’un bruit perturbateur d’un niveau de pression acoustique supérieur au niveau maximal de bruit normalisé (mesuré en dBA) selon la période de la journée et l’endroit où les mesures sont prises. Il requiert que l’analyse des bruits soit effectuée par l’emploi d’appareils et suivant les méthodes de mesure prescrite par une ordonnance adoptée par la Ville, soit l’Ordonnance 2. Ce n’est que si le bruit perturbateur atteint un niveau de pression acoustique supérieur au niveau maximal de bruit normalisé à l’égard du lieu habité touché par cette émission, qu’il devient interdit.

[15]           De son côté, l’article 9 prohibe, « lorsqu’il s’entend à l’extérieur ou dans un autre local […] que celui où il provient : 1º le bruit produit au moyen d’appareils sonores, qu’ils soient situés à l’intérieur d’un bâtiment ou qu’ils soient installés ou utilisés à l’extérieur […] ».

[16]           On constate donc que la règle prévue à l’article 9, qui ne s’applique qu’à l’égard de bruits produits par certaines sources bien circonscrites, est plus contraignante que celle prescrite à l’article 8.

[17]           L’appelant soutient que les articles 8 et 9 sont distincts l’un de l’autre. Il ajoute que la preuve non contredite démontre sans l’ombre d’un doute qu’il y a contravention à l’article 9, puisque les bruits émis par le système de son du La Tulipe sont clairement audibles chez lui et dans les autres logements de son bâtiment. Il reproche au juge de première instance d’avoir erré en introduisant dans l’article 9 la norme fondée sur l’intensité sonore des bruits prévue au régime juridique de l’article 8, malgré le fait que le législateur ait estimé insuffisant le régime de ce dernier article pour s’attaquer à la nuisance occasionnée par les bruits émis par les appareils sonores mentionnés à l’article 9, comme ceux des intimées.

[18]           Avec égards pour le premier juge, l’appelant a raison.

[19]           Le premier juge écrit au paragraphe 52 : « Le Tribunal conclut qu’il est erroné de concevoir la relation entre l’article 9 du Règlement sur le bruit, dans un premier temps, et l’article 8 du Règlement et l’Ordonnance 2, dans un deuxième temps, en termes mutuellement exclusifs. Au contraire, pour déterminer si le bruit visé par l’article 9 est perturbateur, une mesure à cette fin est de recourir aux limites concrètes prévues à l’Ordonnance 2 ».

[20]           Il s’agit-là d’une erreur de droit, qui a entaché la suite de l’analyse faite par le juge. Les articles 8 et 9 du Règlement sont indépendants l’un de l’autre et visent des situations distinctes. L’article 9, applicable exclusivement aux bruits générés par les moyens spécifiés, lesquels couvrent le cas des haut-parleurs des intimées, ne requiert qu’une simple identification auditive sans besoin de recourir à un sonomètre afin de vérifier si les bruits sont inférieurs aux niveaux sonores prescrits par décret. Comme l’explique le juge Chamberland dans ses motifs dissidents dans Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc.[5] :

[118] D’abord, il faut dire que l’article 9 du Règlement sur le bruit énumère des bruits qui sont spécifiquement prohibés en raison de leur nature, plutôt qu’en raison de leur intensité, lorsqu’ils s’entendent à l’extérieur. Les bruits dont le niveau de pression acoustique – contrôlé par sonomètre – excède un certain niveau maximum sont déjà couverts par l’article 8 du même règlement. En ce sens, la suggestion d’utiliser un sonomètre pour contrôler les bruits qui sont spécifiquement prohibés en raison de leur nature trahirait carrément l’esprit du Règlement sur le bruit et ne permettrait plus d’atteindre le but visé.

[…]

[120] Le Règlement sur le bruit vise à lutter contre la pollution par le bruit en interdisant non seulement les sons dont l’intensité dépasse une norme à mesurer au moyen d’un sonomètre (article 8) mais aussi certains sons particuliers dont la présence contribue à augmenter le bruit ambiant au point de nuire au bien-être des citoyens (article 9). Le bruit des haut-parleurs produit au moyen d’un appareil sonore, lorsqu’il s’entend à l’extérieur d’un établissement, est l’un de ceux-là. Il sagit, aux yeux du législateur municipal, de bruits nuisibles à lenvironnement urbain et ce, peu importe leur intensité ou lheure du jour ou de la nuit où on les entend. Ladoption dune norme mesurable par sonomètre à légard de ces bruits jugés non nécessaires ou nuisibles, équivaudrait à les permettre dans la mesure où ils ne dépassent pas la norme. Ce résultat irait carrément à lencontre de lobjectif poursuivi par lappelante.

[Soulignement ajouté]

[21]           Les propos du juge Chamberland ont été endossés par la Cour suprême en appel de l’arrêt[6]. Celle-ci a d’ailleurs traité du sens qu’il faut donner à cet article :

L’analyse historique et téléologique a permis de déterminer que le but recherché par le législateur est le contrôle des bruits qui constituent une interférence avec la jouissance paisible de l’environnement urbain. Le contexte immédiat de l’art. 9 permet de faire ressortir que la notion de bruit qui nuit à la jouissance de l’environnement est implicite à l’art. 9 et que les activités qui y sont prohibées sont celles qui produisent un bruit repérable distinctement du bruit d’ambiance.[7]

[Soulignement ajouté]

[22]           Ainsi, comme notre Cour l’a encore récemment souligné (dans un cas où le bruit émis par des haut-parleurs était perçu de l’extérieur d’un bâtiment) : « L’article 9(1) s’applique du moment que ce bruit est perceptible de l’extérieur, ni plus ni moins »[8]. L’article 13 alinéa 3 du Règlement prévoit d’ailleurs que dans le cas des bruits spécifiquement prohibés par l’article 9, l’analyse par simple identification suffit.

[23]           En l’espèce, il n’est pas contesté que les sons produits par les appareils d’amplification du La Tulipe, particulièrement les fréquences inférieures à 125 Hz, sont clairement repérables distinctement du bruit ambiant dans toutes les pièces de l’appartement de l’appelant et dans les logements de son bâtiment occupés par des locataires. Là n’était pas la question que devait trancher le premier juge ni celle qui est soumise à l’attention de la Cour. Plutôt, le juge de première instance devait déterminer, vu la contravention à l’article 9 du Règlement, si l’engagement des intimées de construire un mur acoustique du côté La Tulipe permettrait de mettre fin à cette contravention, c’est-à-dire de réduire les bruits produits par les appareils d’amplification du théâtre de sorte qu’ils ne soient plus « repérable[s] distinctement du bruit d’ambiance »[9]. C’est d’ailleurs ce que l’appelant demandait dans sa demande introductive d’instance en injonction permanente.

[24]           Selon la preuve d’expert retenue par le juge, compte tenu du niveau de bruit de fond de 27 dBA le soir, de 20 dBA la nuit et d’un ajustement basé sur la perception subjective, pour être « à peine » perceptible ou « imperceptible » entre 7 h et 19 h et « peu » perceptible entre 19 h et 23 h aux points récepteurs du logement de l’appelant, le niveau du bruit maximum émis par les appareils sonores des intimées ne doit pas dépasser 83 dBA. Le juge écarte toutefois cette donnée en faveur des limites prescrites dans l’Ordonnance 2 à laquelle réfère l’article 8 du Règlement, à savoir, pour un bruit continu, des niveaux d’émission sonores de 99 et 97 dBA, selon que l’on soit en soirée ou la nuit[10].

[25]           Avec égards, il s’agit-là d’une erreur qui découle de celle relative au choix de la norme applicable aux bruits en litige. Selon l’article 9 du Règlement, lorsque le bruit est émis au moyen d’un appareil sonore, il n’y a pas lieu de tenter de déterminer quel serait le niveau acceptable à la suite d’un combat d’experts, de se reporter aux normes de l’Office des transports du Canada pour déterminer les niveaux de bruit de référence en fonction de la densité de la population moyenne du secteur de recensement, ou encore de se référer aux données de l’Environnemental Protection Agency des États-Unis ou de l’Organisation mondiale de la santé, comme le font les experts. Il suffit, comme prévu à l’article 13 alinéa 3 du Règlement et reconnu par la Cour suprême et notre Cour, de se rendre dans la pièce et de procéder à une simple identification des bruits. Il s’agit-là d’une norme objective[11] dont la contravention se prouve par témoignage, selon la règle de la prépondérance de la preuve, et qui ne fait aucune telle distinction entre un bruit « à peine perceptible » et un bruit « peu perceptible », tous deux étant prohibés.

[26]           Le juge estime que « les ordonnances demandées par monsieur Beaudoin sont trop larges et ne peuvent se baser sur l’article 9 du Règlement, mais doivent plutôt appliquer l’Ordonnance 2 »[12]. Il ajoute que les intimées devraient réussir à respecter ces ordonnances sans devoir fermer leur commerce et que leur tâche sera facilitée lorsque le mur acoustique côté théâtre proposé par leur expert Vinacoustik dans son rapport de février 2020 aura été construit « le cas échéant »[13]. Or, plusieurs années se sont déjà écoulées sans que le mur soit construit ou que les niveaux sonores soient autrement abaissés afin de respecter la norme prévue à l’article 9.

[27]           Le recours de l’appelant était, il est vrai, à sa base, une demande d’injonction fondée sur un trouble de voisinage. Dans l’arrêt Homans c. Gestion Paroi[14], la Cour écrit que lorsque le recours tire sa source de l’article 976 C.c.Q., le juge ne doit pas se limiter à rechercher si le voisin se livre à des activités qui causent des inconvénients au demandeur, mais plutôt déterminer si les inconvénients causés sont anormaux :

[116] Ainsi, cette disposition sur laquelle est fondé le régime encadrant les troubles de voisinage contient, en son sein, l’idée même d’un équilibre entre les droits de chacun et impose aux tribunaux, lorsqu’on leur demande d’intervenir, la difficile tâche d’établir ce nécessaire équilibre. Ainsi, cette disposition sur laquelle est fondé le régime encadrant les troubles de voisinage contient, en son sein, l’idée même d’un équilibre entre les droits de chacun et impose aux tribunaux, lorsqu’on leur demande d’intervenir, la difficile tâche d’établir ce nécessaire équilibre. Ils doivent le faire en encadrant les activités, par ailleurs licites, de façon que les inconvénients qu’elles causent n’excèdent pas les inconvénients normaux de voisinage. Ils peuvent ainsi en réduire la fréquence, l’intensité, la durée, ou même, en certaines circonstances, les prohiber.

 

[28]           La Cour ajoute qu’il n’y aura lieu de prohiber définitivement les activités à l’origine du trouble que lorsqu’elles sont illicites ou que les inconvénients qu’elles causent ne peuvent être réduits à un niveau acceptable.

[29]           En l’espèce, il faut donner raison à l’appelant lorsqu’il soutient que, contrairement aux faits de ce dernier arrêt et à ceux de l’affaire Courses automobiles Mont-Tremblant[15], où aucune norme réglementaire précise de bruit ne s’appliquait, en l’espèce, les bruits émis par les appareils sonores des intimées sont spécifiquement régis par un règlement municipal qui les qualifie de nuisances et les interdit « comme étant contraire[s] à la paix et à l’ordre publics »[16]. Comme le soulignait le juge Chamberland, le bruit des haut-parleurs produit au moyen d’un appareil sonore, lorsqu’il s’entend à l’extérieur d’un établissement, est, aux yeux du législateur municipal, un bruit nuisible à l’environnement urbain, et ce, peu importe son intensité ou l’heure du jour ou de la nuit où on l’entend[17]. J’ajouterais à cela que le devoir de tolérance prévu à l’article 976 C.c.Q. ne peut pas être invoqué à l’encontre d’un comportement qui contrevient à une telle norme réglementaire[18].

 

[30]           Les activités des intimées ne sont pas illicites (du moins, tel n’était pas l’objet du débat dans ce dossier) et il n’y a donc pas lieu de les prohiber. Les intimées devront toutefois respecter l’article 9. Il se peut que l’ajout du mur isolant règle le problème, mais la construction du mur est incertaine et les intimées doivent respecter l’article 9 entre-temps. En conséquence, la solution retenue par le juge d’ordonner aux intimées de construire le mur sera remplacée par une ordonnance de respecter l’article 9.

[31]           L’appelant soutient par ailleurs que le juge a erré de manière manifeste et déterminante en ne concluant pas à l’existence d’une faute extracontractuelle des intimées sur le fondement de l’article 1457 C.c.Q. De son interprétation erronée du Règlement aurait résulté une appréciation qui surestime positivement le comportement des intimées. Il aurait plutôt dû appliquer les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Kosoian[19]. Il aurait omis de se prononcer sur la nature de la disposition législative violée par les intimées – soit, selon l’appelant, une norme élémentaire de prudence et de diligence – et cette omission lui aurait fait ignorer la règle selon laquelle la violation d’une telle norme constitue dans presque tous les cas une faute civile. La connaissance qu’avaient les intimées du Règlement et du problème de bruit dans l’immeuble montrerait qu’elles ont commis une faute civile.

[32]           Je ne suis pas disposé à donner raison à l’appelant sur cette question. Il est vrai que le juge ne se prononce pas sur la nature des dispositions réglementaires, mais ses propos indiquent que dans l’hypothèse où celles-ci exprimaient une norme élémentaire de prudence ou de diligence, il conclurait tout de même qu’il n’y a pas de faute civile, et ce, en raison des circonstances dans laquelle la transgression a eu lieu. L’arrêt Kosoian, qui est d’ailleurs cité par le juge et reprend les enseignements de la même Cour quelques années plus tôt dans Morin c. Blais[20], enseigne que la transgression d’une disposition exprimant une norme élémentaire de prudence et de diligence sera dans la majorité des cas une faute civile, mais il ne s’agit pas pour autant d’un syllogisme qui s’applique systématiquement. Les erreurs dans l’appréciation des faits soulevées par l’appelant semblent davantage être une invitation à ce que la Cour substitue son opinion à celle du juge de première instance.

[33]           La qualification d’une faute constitue une question mixte de fait et de droit[21]. La norme d’intervention est élevée et l’appelant ne montre pas en quoi cette appréciation de l’ensemble des éléments générateurs d’une faute et des éléments disculpatoires serait entachée d’une erreur de droit ou d’une erreur mixte ou de fait manifeste et déterminante. Il en va de même des dommages octroyés par le premier juge[22].

[34]           Je propose donc d’accueillir l’appel en partie et d’ordonner aux intimées de cesser d’émettre par des appareils sonores de l’établissement un bruit audible à l’intérieur du bâtiment situé aux adresses civiques 4518-4526, avenue Papineau, à Montréal, et sur la terrasse dudit immeuble, et de prendre les mesures appropriées pour s’assurer que le bruit provenant des appareils sonores de l’établissement ne s’entende plus à l’intérieur du bâtiment situé auxdites adresses civiques 4518-4526, avenue Papineau, et sur ladite terrasse, le tout, avec dépens dans les deux cours.

 

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

 


[1]  Beaudoin c. Cabaret Music-Hall inc., 2023 QCCS 1660 [jugement entrepris].

[2]  Contre-interrogatoire de Tien-Dat Vu, 7 octobre 2022, p. 31 et 40. 

[3]  Id., p. 137

[4]  R.R.V.M., c. B-3.

[5]  Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2002] R.J.Q. 2986 (C.A.).

[6]  Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., 2005 CSC 62, paragr. 94.

[7]  Id., paragr. 34.

[8]  7350121 Canada inc. c. Ville de Montréal, 2023 QCCA 1335, paragr. 27-32.

 

[9]  Jugement entrepris, paragr. 48.

[10]  Selon le témoin Luc Cabot, représentant de Le cabaret Music-Hall inc., le niveau sonore atteint régulièrement 100 dBA.

[11]  Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., supra, note 6, paragr. 48.

[12]  Jugement entrepris, paragr. 76.

[13]  Id., paragr. 95.

[14]  Homans c. Gestion Paroi inc., 2017 QCCA 480.

[15]  Courses automobiles Mont-Tremblant inc. c. Iredale, 2013 QCCA 1348.

[16]  Art. 2 du Règlement.

[17]  Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., supra, note 5, paragr. 120.

[18]  Roussel c. Gosselin, 2016 QCCA 1461, paragr. 12. Il s’agissait dans cette affaire de jappements et hurlements de chiens troublant la paix et la tranquillité d’un voisin, comportement prohibé par le règlement municipal.

[19]  Kosoian c. Société de transport de Montréal, 2019 CSC 59, paragr. 47.

[20]  [1977] 1 R.C.S. 570, 1975 CanLII 3 (CSC), paragr. 48.

[21]  Ville de Montréal c. Acier Century inc, 2022 QCCA 747, paragr. 21; Legault c. Autorité des marchés financiers, 2020 QCCA 1491, paragr. 20.

[22]  Midcon Industries inc. (Quickstyle Industries inc.) c. 2949-6106 Québec inc., 2015 QCCA 1917, paragr. 23.

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