Martin c. Université de Montréal | 2022 QCCS 4408 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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DATE : | 24 novembre 2022 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARK PHILLIPS, J.C.S. | ||||
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500-17-110373-191 | ||||||
Demandeur | ||||||
c. | ||||||
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL | ||||||
Défenderesse | ||||||
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500-17-112656-205 | ||||||
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL | ||||||
Demanderesse | ||||||
c. | ||||||
FRANÇOIS HAMELIN, ès qualités d’arbitre en vertu du Code du travail | ||||||
Défendeur | ||||||
et | ||||||
SYNDICAT DES CHARGÉES ET CHARGÉS DE COURS DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL (CSN) | ||||||
Mis en cause | ||||||
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500-17-112894-202 | ||||||
SYNDICAT DES CHARGÉES ET CHARGÉS DE COURS DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL (CSN) | ||||||
Demandeur | ||||||
c. | ||||||
FRANÇOIS HAMELIN, ès qualités d’arbitre en vertu du Code du travail | ||||||
Défendeur | ||||||
et | ||||||
UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL | ||||||
Mise en cause | ||||||
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JUGEMENT (sur pourvois en contrôle judiciaire) | ||||||
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[1] Le Tribunal est saisi de trois dossiers qui ont été joints. L’un d’eux est devenu théorique. Les deux autres constituent des pourvois en contrôle judiciaire d’une sentence arbitrale rendue par François Hamelin en qualité d’arbitre (ci-après l’« arbitre ») agissant en vertu du Code du travail[1]. Pour comprendre ce dont il est question, il faut revoir sommairement la trame factuelle.
[2] Roger Martin est chargé de cours à l’Université de Montréal. Depuis le milieu des années 1990, il y enseigne le droit civil, tant à la Faculté de droit qu’à la Faculté de l’éducation permanente.
[3] Constituée par loi privée, l’Université de Montréal est régie par ailleurs par ses statuts (ci-après les « statuts »).
[4] Salariés au sens du Code du travail, les chargés de cours sont syndiqués. Leurs conditions de travail sont régies par une convention collective (ci-après la « convention collective ») intervenue entre l’Université de Montréal et le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal (ci-après le « syndicat »).
[5] Le 9 janvier 2018, M. Richard St-Onge, directeur — gestion des programmes à la Faculté de l’éducation permanente, adressa une lettre recommandée à M. Martin qui se voulait un avis formel au sens de l’article 14 de la convention collective. Il y faisait état de comportements jugés inacceptables. Plus particulièrement, il y était question : (i) du défaut de M. Martin de donner suite à une convocation par laquelle Mme Marie Bissonnette, conseillère principale à la convention collective, souhaitait obtenir la version de M. Martin relativement à une plainte formulée contre lui par une étudiante; (ii) de manifestations d’irrespect par M. Martin envers le personnel de la Faculté de l’éducation permanente; (iii) de son refus de remettre une version électronique de l’examen qu’il avait préparé dans un certain cours, le tout constituant de l’incivilité et de l’insubordination de sa part. La lettre le mettait en garde, l’avisant qu’à défaut de s’amender de manière satisfaisante, il s’exposait au processus disciplinaire prévu à la convention collective.
[6] Le 17 janvier 2018, le syndicat introduisit le grief no 1239-180117 à l’encontre de l’avis disciplinaire du 9 janvier 2018.
[7] Le 18 mai 2018, M. Christian Blanchette, doyen de la Faculté de l’éducation permanente, écrivit à M. Alexandre Chabot, Secrétaire général de l’Université de Montréal, pour lui faire part du fait que, à son avis, M. Martin persistait dans son insubordination et son incivilité par divers gestes précis lors d’événements survenus depuis l’avis du 9 janvier 2018 et que, par conséquent, il transmettait le dossier de M. Martin au Secrétariat général pour que celui-ci le confiât à son tour au Comité de discipline. Ce qui fut fait.
[8] Une fois saisi du dossier, le Comité de discipline tint une enquête. Il s’agit d’un comité de pairs composé d’un président et de deux autres membres. Bien que dûment avisé de son droit d’être présent à l’audience pour faire valoir ses droits, M. Martin fit le choix de ne pas se présenter. Par décision datée du 4 septembre 2018, le Comité de discipline en vint à conclure, à la lumière de la preuve administrée devant lui, que M. Martin était coupable de manquements justifiant l’imposition d’une mesure disciplinaire et que la plus appropriée dans les circonstances était le congédiement.
[9] M. Martin réagit de deux manières à la décision du Comité de discipline. D’une part, par lettre en date du 19 septembre 2018 au Secrétaire général, il porta la décision en appel devant le Comité des différends, lequel constitue une deuxième instance dans le cadre du processus disciplinaire prévu à l’article 27.08 des statuts. D’autre part, le 18 septembre 2018, le syndicat contesta la décision par voie de grief, soit le grief no 1267‑180918.
[10] Le 23 novembre 2018, un mandat fut confié à Me Hamelin pour agir comme arbitre pour les deux griefs. Au cours des mois suivants, il présidera une audience qui durera au total six jours, le premier jour étant le 18 juin 2019.
[11] Entre-temps, le dossier suivait son cours devant le Comité des différends. S’agissant d’une procédure de novo, M. Martin avait le droit d’y présenter une preuve. Cette fois-ci, il décida de s’en prévaloir. Des audiences eurent lieu en janvier et février 2019.
[12] Début juin, dans une décision fort étoffée, le Comité des différends statua que l’insubordination de M. Martin et son manque de respect dans ses interactions avec le personnel de la Faculté de l’éducation permanente justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire.
[13] Le Comité des différends se pencha ensuite sur la question du choix de la mesure disciplinaire qui devait lui être imposée comme sanction. Dans ce contexte, il jugea que le lien de confiance était rompu de manière irréparable entre M. Martin et la Faculté de l’éducation permanente. Le Comité des différends s’empressa toutefois d’ajouter que la Faculté de l’éducation permanente n’est pas la même chose que l’Université de Montréal, constituant plutôt une « unité d’embauche » au sein de celle-ci. Le Comité des différends constata par ailleurs que la Faculté de droit, quant à elle, n’avait pas fait de remontrances à M. Martin. Enfin, le Comité des différends s’intéressa aux conséquences très graves qu’impose la convention collective au chargé de cours dans le cas d’un congédiement. En définitive, le Comité des différends écarta le congédiement comme mesure disciplinaire. En lieu et place d’un congédiement, le Comité des différends imposa la mesure disciplinaire suivante : « écarter définitivement M. Martin de tout contrat d’engagement avec la Faculté de l’éducation permanente ». Il y a lieu de noter que la notion de « contrat d’engagement » est prévue à la convention collective. Sans être la source du lien juridique d’emploi, le contrat d’engagement encadre jusqu’à un certain point les charges de cours que le chargé de cours se voit attribuer selon un mécanisme complexe prévu lui aussi à la convention collective.
[14] Rendue au début du mois de juin 2019, la décision du Comité des différends intervint à peine quelques jours avant la première journée d’audience devant l’arbitre. S’ensuivit une série de gestes d’un côté comme de l’autre. Du côté du syndicat, un troisième grief fut formulé à l’encontre de la décision du Comité des différends, soit le grief no 1284-190613. Il fut convenu que l’arbitre serait également saisi de ce grief afin de pouvoir disposer des trois griefs dans le cadre d’une seule sentence arbitrale.
[15] Du côté de l’Université de Montréal, la décision du Comité des différends fut portée devant le Comité d’appel des différends (ci-après le « Comité d’appel »), qui constitue, selon les statuts, la troisième et ultime instance du processus disciplinaire. De l’aveu de l’université, cet appel avait pour seul but de prémunir l’université contre l’éventualité — qui, dans les faits, ne s’est pas réalisée — où le syndicat se désisterait de son grief à l’encontre de la décision du Comité des différends[2], l’université voulant conserver la possibilité de contester cette décision. La procédure d’appel n’a pas avancé depuis. Pour l’université, plus de trois ans et demi plus tard, l’appel serait toujours pendant.
[16] S’étant prévalue de son droit d’appel, l’université prit la position selon laquelle la décision du Comité des différends n’était pas exécutoire et qu’elle n’avait donc pas à réintégrer M. Martin à la Faculté de droit. En novembre 2019, M. Martin, agissant en son propre nom, entreprit des procédures en mandamus pour forcer l’université à le réintégrer à la Faculté de droit[3]. Mais il ne demanda aucune mesure d’urgence de la nature d’un sursis. Par conséquent, il demeurait exclu. Aujourd’hui, le Tribunal est saisi de cette demande au fond. Mais comme nous le verrons, elle est devenue théorique.
[17] Pendant ce temps, les audiences se poursuivaient devant l’arbitre. Après la journée du 18 juin 2019, il y eut une deuxième journée d’audience le 16 octobre 2019, au cours de laquelle le syndicat se désista du grief relatif à la décision du Comité de discipline, car cette décision avait été infirmée par le Comité des différends. D’autres journées d’audience suivirent le 19 novembre 2019 et les 9, 10 et 11 mars 2020. L’arbitre recevra une dernière réplique écrite de la part de l’université en date du 22 avril 2020.
[18] Le 1er juin 2020, l’arbitre Hamelin rendit sa sentence arbitrale[4].
[19] Il y a lieu de résumer brièvement les thèses que les deux protagonistes avaient adoptées devant l’arbitre et la manière dont celui-ci en a disposé.
[20] Le syndicat soutenait tout d’abord que l’avis du 9 janvier 2018, qui demeurait visé par son premier grief, était vicié par le fait qu’il n’avait pas été communiqué à M. Martin de manière conforme aux formalités prescrites par la convention collective, qu’il était donc illégal et que tout le processus disciplinaire qui avait suivi s’en trouvait vicié et invalidé. L’arbitre a écarté cet argument, jugeant que, selon le libellé des dispositions pertinentes de la convention collective, l’exigence qui y était énoncée n’était pas impérative, que M. Martin n’avait subi aucun préjudice et que ce serait faire preuve d’un « formalisme outrancier » que de tenir rigueur à l’employeur du manquement en question.
[21] Le syndicat s’attaquait par ailleurs aux reproches qui visaient M. Martin à titre d’insubordination et d’incivilité. L’arbitre les a divisés en six sous-titres allant de « A » à « F ». Dans tous les cas, après avoir soupesé la preuve d’un côté comme de l’autre, l’arbitre a conclu qu’il s’agissait de gestes d’insubordination ou d’incivilité et, dans un cas, d’un comportement humiliant envers une étudiante qui souffrait d’un handicap. Il se trouvait donc à rejeter en bloc la position de M. Martin, qui avait cherché à se justifier à l’égard de tous et chacun des incidents.
[22] Il restait la question de la sanction. Tout en concluant au bien-fondé des reproches adressés à M. Martin, l’arbitre pouvait mettre de côté la sanction choisie par le Comité des différends et en imposer une autre. Dans ce contexte, l’université l’invitait à revenir à celle imposée par le Comité de discipline, soit un congédiement rompant son lien d’emploi avec l’Université de Montréal.
[23] Rappelons que l’arbitre était saisi d’un grief à l’encontre de la décision du Comité des différends, qui, tout en concluant à l’existence de manquements graves de la part de M. Martin, avait néanmoins infirmé la décision du Comité de discipline quant à la sanction, rejetant le congédiement au profit d’une sanction consistant à « écarter définitivement M. Martin de tout contrat d’engagement avec la Faculté de l’éducation permanente ».
[24] À cet égard, il faut faire état d’une question préjudicielle que l’arbitre a eu à trancher avant de se prononcer sur la sanction. Ainsi, en réaction à l’invitation qui était faite à l’arbitre de rétablir le congédiement comme sanction, le syndicat soutenait que, en vertu des statuts, l’université, en tant qu’employeur, s’était trouvée à confier aux instances disciplinaires — Comité de discipline, Comité des différends, Comité d’appel — son pouvoir disciplinaire, et qu’elle ne pouvait donc pas demander à l’arbitre de revenir à la sanction imposée par le Comité de discipline, car la sanction de l’employeur était désormais la sanction moins sévère imposée par le Comité des différends[5]. Tout en reconnaissant le bien-fondé de ces principes de manière générale, l’université faisait valoir que comme la décision du Comité des différends avait été portée en appel, elle n’était pas finale et exécutoire et, à ce titre, ne pouvait pas être considérée comme la sanction formelle de l’employeur dans les circonstances et que, par conséquent, l’arbitre ne statuerait pas ultra petita s’il décidait que le congédiement pur et simple de l’Université de Montréal était la sanction appropriée. L’arbitre a rejeté la position de l’université sur cette question, s’estimant sans compétence pour imposer une sanction plus sévère que celle du Comité des différends. Nous y reviendrons.
[25] Sur le fond, l’arbitre a jugé, tout comme le Comité des différends, que la sanction devait se limiter à la Faculté de l’éducation permanente. Il est allé jusqu’à dire que même s’il fallait conclure qu’il pouvait imposer une sanction plus sévère que le Comité des différends, il rendrait, sur le fond, la même décision que le Comité des différends[6].
[26] L’arbitre se trouvait donc à être d’accord à tous égards avec la décision du Comité des différends. Curieusement, au lieu de rejeter le grief du syndicat à l’encontre de la décision du Comité des différends, il trancha, dans le dispositif de sa sentence, de manière à l’accueillir partiellement. Encore plus curieusement, il y « confirm[ait] son congédiement de la Faculté de l’éducation permanente », chose que le Comité des différends avait pourtant expressément rejetée. Mais de manière tout à fait conséquente avec ses motifs, il a ordonné la réintégration de M. Martin à la Faculté de droit.
[27] Cette réintégration eut lieu. En effet, après avoir tenté en vain d’obtenir un sursis de la sentence arbitrale[7], l’université se rendit à l’évidence qu’elle n’avait d’autre choix que de l’appliquer.
[28] L’arbitre a aussi omis, dans son dispositif, de rejeter formellement le premier grief qui s’attaquait à la validité de l’avis du 9 janvier 2018.
[29] Quoi qu’il en soit, les deux côtés se pourvurent en contrôle judiciaire de la sentence arbitrale. Comme la réintégration de M. Martin a fini par avoir lieu, son avocat, sans se désister formellement, vu que les pièces déposées dans le recours en mandamus avaient servi, a fait savoir à l’audience qu’aucun jugement du Tribunal n’était nécessaire[8]. Le mandamus, devenu théorique, sera donc rejeté sans frais. Le Tribunal se trouve saisi des pourvois croisés en contrôle judiciaire de l’université, d’un côté, et du syndicat, de l’autre.
[30] Pour les fins des deux pourvois, il n’y a eu aucun débat quant au choix de la norme de contrôle, tous étant d’avis qu’il s’agit de la norme de contrôle de la décision raisonnable. Le Tribunal souscrit à cette position, car le litige ne soulève aucune question qui soit de nature à repousser la présomption en faveur de l’application de cette norme[9].
[31] Le Tribunal estime par ailleurs que les deux pourvois doivent être considérés comme ayant été introduits dans le respect du délai raisonnable prévu à l’article 529 troisième alinéa du Code de procédure civile[10].
[32] L’université se réjouit de la décision de l’arbitre quant aux reproches formulés contre M. Martin. Elle insiste sur le lourd fardeau qui repose sur les épaules du syndicat quant à la possibilité, à l’aune de la norme de contrôle de la décision raisonnable, de démontrer qu’on peut y trouver une erreur déraisonnable.
[33] Par contre, l’université se désole du fait que l’arbitre ait rejeté ses prétentions quant à sa compétence et à l’opportunité de rétablir la sanction sous forme de congédiement, à l’instar du Comité de discipline. C’est dans ce contexte que l’université reproche à l’arbitre d’avoir commis les erreurs suivantes[11].
[34] Ainsi, plaide-t-elle, l’arbitre aurait erré en concluant que l’université n’avait pas institué une procédure devant le Comité d’appel[12], alors que le fait de l’appel avait été établi de manière claire et incontestable devant lui. Par ailleurs, l’arbitre aurait également erré en déclarant que le processus d’appel, qui se trouve pourtant dans les statuts de l’université, serait « abusif », prévoyant jusqu’à trois instances dont la dernière, le Comité d’appel, est composée de pas moins de cinq membres[13]. Il s’agirait de deux erreurs déraisonnables.
[35] Le syndicat convient qu’il s’agit là effectivement de deux erreurs.
[36] Pour l’université, ces erreurs ont amené l’arbitre à se déclarer sans compétence pour rétablir la sanction préconisée par le Comité de discipline et donc à ne pas exercer la compétence qui était bel et bien la sienne dans les circonstances, ce qui l’a amené à maintenir la sanction insuffisante et bancale du Comité des différends.
[37] L’université plaide aussi que la sentence arbitrale, tout comme la décision du Comité des différends, est déraisonnable en envisageant un congédiement d’une seule faculté, alors que l’employeur est l’université.
[38] En ce qui concerne la réparation, l’université demande que la sentence arbitrale soit annulée, mais uniquement sur la question de la réintégration à la Faculté de droit, et que le dossier soit renvoyé devant un nouvel arbitre. Sans en faire une modification formelle, elle plaide que la Cour supérieure pourrait statuer elle-même.
[39] Le syndicat plaide que les deux premières erreurs signalées plus haut sont sans conséquence, car de toute manière, il est clair, selon les enseignements de la Cour d’appel — qui ont été plaidés devant l’arbitre — que celui-ci n’avait pas compétence pour augmenter la sanction décrétée par le Comité des différends pour rétablir celle du Comité de discipline.
[40] Le syndicat ajoute, quant à l’effet de l’appel de l’université au Comité d’appel — dont il ne nie aucunement l’existence[14] —, que l’université doit être considérée comme y ayant renoncé.
[41] Qu’en est-il?
[42] Pour des raisons stratégiques qu’elle est seule à connaître et qui lui appartiennent, l’université a choisi de faire le débat sur la sanction devant l’arbitre. Elle aurait pu lui demander de suspendre le dossier en attendant l’issue de l’appel devant le Comité d’appel[15]. Elle ne l’a pas fait. Elle a donc mis ses œufs dans le panier de son argument fondé sur le fait que, en raison de la simple existence de l’appel, elle pouvait demander à l’arbitre d’imposer toute sanction appropriée, fût-elle plus sévère que celle du Comité des différends dont la décision était contestée devant lui par voie de grief. De son propre aveu, l’appel n’avait qu’un but conservatoire, soit de pallier l’inconvénient découlant d’un éventuel désistement du grief en question, ce qui aurait privé l’université de la possibilité de faire le débat sur le bien-fondé de la décision du Comité des différends devant l’arbitre.
[43] De l’avis du Tribunal, l’arbitre a conclu correctement que l’université, en confiant son pouvoir de discipliner à des instances particulières, était liée par la décision du Comité des différends, appliquant ainsi les enseignements de la Cour d’appel. Certes, il est allé trop loin en trouvant deux motifs additionnels pour soutenir cette conclusion — soit l’absence d’appel et le caractère abusif du processus — qui étaient erronés. Par contre, il s’agissait de motifs superfétatoires et leur présence n’a donc pas pour effet d’entacher sa conclusion.
[44] Il n’est pas non plus nécessaire, pour soutenir cette conclusion, de considérer que l’université avait renoncé à l’appel[16].
[45] Pour ce qui est du congédiement d’une seule faculté, le Tribunal estime que l’université fait fausse route. En effet, le Comité des différends a expressément écarté le congédiement comme mesure disciplinaire. Il n’est donc pas exact de dire qu’il a congédié M. Martin de la Faculté de l’éducation permanente. Il a plutôt opté pour une mesure dont la finalité visait à l’en « écarter ».
[46] Certes, l’université a raison de plaider, pour diverses raisons, que c’est elle qui est l’employeur. Son avocat a expliqué de manière convaincante les dispositions pertinentes de la convention collective et le rôle particulier du « contrat d’engagement ». Mais cela ne change rien au fait que la décision du Comité des différends, avec laquelle l’arbitre était d’accord, n’a aucunement pour effet d’opérer un congédiement d’une seule faculté.
[47] Il y aura donc lieu de corriger le libellé d’une des conclusions de l’arbitre, qui faisait état à tort d’un « congédiement » de la Faculté de l’éducation permanente. Nous y reviendrons.
[48] Enfin, à l’audience, sans l’avoir plaidé dans son pourvoi, l’université a justement soulevé le caractère inusité de la sanction choisie par le Comité des différends, plaidant qu’elle est forcément invalide, car le règlement sur la discipline, à son article 7, limite les mesures disciplinaires à l’une ou l’autre des trois suivantes : « la réprimande, la suspension ou le renvoi de l’Université ». Certes, le Comité des différends a fait preuve de créativité. Peut-être pourrait-on qualifier sa sanction de suspension partielle permanente sui generis. Le droit n’est pas toujours parfaitement cartésien.
[49] Il y a donc lieu de rejeter le pourvoi en contrôle judiciaire de l’université.
[50] De son côté, le syndicat s’attaque lui aussi à la sentence arbitrale, demandant qu’elle soit annulée et que la Cour supérieure accueille les deux griefs dans leur totalité. Subsidiairement, il demande que le dossier soit renvoyé devant un nouvel arbitre pour que celui-ci puisse statuer de nouveau sur les deux griefs[17].
[51] Le syndicat s’empresse d’ajouter qu’il n’a rien contre la réintégration de M. Martin à la Faculté de droit[18]. Il est également d’accord avec la décision de l’arbitre sur la question de savoir s’il pouvait — ou non — imposer une sanction plus sévère que celle du Comité des différends[19].
[52] Le syndicat plaide les moyens suivants.
[53] Premièrement, en ce qui concerne le premier grief, il estime que l’arbitre a erré de manière déraisonnable à l’égard de l’envoi de l’avis du 9 janvier 2018 en concluant que le manquement aux formalités de l’article 14.01 de la convention collective n’avait pas pour effet de rendre l’avis invalide. Pour le syndicat, l’avis était invalide, ainsi que tout le processus qui a suivi.
[54] À cette seule question, l’arbitre a consacré 23 paragraphes qui tiennent sur quatre pages[20]. Après avoir cité les dispositions pertinentes de la convention collective, il a conclu que l’université n’avait pas réussi à prouver que les exigences de celles-ci avaient été respectées en ce qui concerne le mode de transmission de l’avis.
[55] Par la suite, il s’est penché sur la question de savoir si cette situation avait pour effet d’entraîner la nullité de l’avis, pour conclure que le non-respect du mode d’envoi n’avait pas pour conséquence la nullité et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, il a relevé le fait que l’avis avait été transmis correctement, mais, par mégarde, à l’ancienne adresse de M. Martin, ce qui voulait dire à tout le moins qu’il n’y avait aucune volonté de passer outre aux exigences. En deuxième lieu, il a retenu le fait que M. Martin avait reçu l’avis par courriel le même jour et qu’il avait pris connaissance de son contenu. En troisième lieu, l’arbitre a relevé le fait que l’avis n’est pas en soi une mesure disciplinaire, mais plutôt un avertissement dont la finalité consiste à permettre à son destinataire de s’amender afin d’éviter complètement l’institution de procédures disciplinaires. Ainsi, raisonnait-il, M. Martin n’a subi aucun préjudice, car dans les faits, il avait été mis au courant des reproches qu’on lui faisait. Enfin, l’arbitre a noté que les dispositions pertinentes n’indiquaient pas que les délais étaient de rigueur, contrairement à ce que les parties à la convention collective avaient stipulé ailleurs. L’arbitre a donc conclu que l’avis n’était pas invalide.
[56] Il s’ensuivait que le grief no 1239-180117 était rejeté, bien que l’arbitre ait omis de le préciser, tant dans ses motifs que dans le dispositif de la sentence arbitrale. Le Tribunal verra donc à corriger cette omission.
[57] Le Tribunal constate que l’approche de l’arbitre est conforme à la jurisprudence[21] et n’y décèle aucune erreur déraisonnable.
[58] À l’audience, le syndicat a plaidé que l’avis ne parlait pas de la problématique associée à la non-transmission du plan de cours. Mais il s’agissait d’un reproche de même nature, soit l’insubordination.
[59] Ce moyen est donc rejeté.
[60] Le syndicat s’intéresse ensuite au fond du débat disciplinaire, où M. Martin faisait l’objet d’une série de reproches distincts. Dans son pourvoi, tout comme dans son mémoire, le syndicat a mis l’accent sur les éléments suivants.
[61] Le débat s’est porté en grande partie sur la question de savoir quelles sont les obligations d’un chargé de cours en dehors des dates indiquées dans son contrat d’engagement, lequel comporte nécessairement une date de début et une date de fin. Le syndicat, au nom de M. Martin, soutient que le chargé de cours n’a à peu près pas d’obligations en dehors de cette période. L’université plaide que ces dates ne servent qu’à délimiter la période de l’enseignement proprement dit, qui se limite à 45 heures, mais que le contrat d’engagement n’est pas ce qui crée le lien d’emploi et que le travail du chargé de cours ne se limite pas à la seule prestation d’enseignement. À l’audience, le syndicat a surtout insisté sur l’impact de cet élément sur l’exigence de fournir le plan de cours à la direction avant le début de la session.
[62] L’arbitre a consacré, à cette seule question, 26 paragraphes sur huit pages et demie[22]. Il y a décortiqué les dispositions pertinentes de la convention collective et de la réglementation universitaire applicable. À terme, il en est arrivé à la conclusion que le travail du chargé de cours ne se limite pas aux seules heures d’enseignement à l’intérieur des dates indiquées au contrat d’engagement, mais qu’il s’étendait en-deçà et au-delà. Il a insisté sur l’obligation, énoncée à la convention collective, d’exercer la fonction de chargé de cours « selon les directives administratives du département ou de la faculté »[23].
[63] Le Tribunal n’y voit aucune erreur déraisonnable.
[64] Le syndicat ajoute que l’arbitre n’a pas traité de l’argument fondé sur la prétendue tardiveté des mesures prises. Selon cette thèse, M. Martin avait agi de la même manière depuis plusieurs années sans que personne y trouvât à redire, et que cette question avait forcément un impact tant sur l’appréciation de la gravité de la faute que sur celle d’une éventuelle mesure disciplinaire.
[65] Il est bien connu qu’un décideur n’a pas à aborder expressément tous et chacun des arguments plaidés. Le Tribunal estime que l’arbitre n’a pas décidé de manière déraisonnable en consacrant peu d’attention à cet élément[24].
[66] Par conséquent, ce moyen est rejeté.
[67] En somme, après avoir entendu une preuve considérable, l’arbitre a conclu à l’existence de six situations où M. Martin avait fait preuve d’insubordination, d’incivilité ou d’un comportement méprisant. Les conclusions de l’arbitre sont plutôt accablantes. Elles venaient valider celles tirées par les deux instances disciplinaires qui s’étaient déjà penchées sur le dossier avant lui. Dans ce contexte, ce n’est pas avec des arguments très techniques sur la portée temporelle précise de telle ou telle obligation que le syndicat peut venir à bout de ces conclusions, profondément ancrées dans les faits, pour convaincre le Tribunal qu’il y a là une erreur déraisonnable qui justifie l’intervention de la Cour supérieure dans le cadre du rôle limité qui lui est dévolu dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire.
[68] Le pourvoi en contrôle judiciaire du syndicat est donc rejeté.
[69] En effet, en contrôle judiciaire, la Cour supérieure ne siège pas en appel de la décision de l’arbitre. Si elle estime que sa décision est entachée d’une erreur révisable, elle n’a pas le pouvoir de rendre la décision qui, selon elle, aurait dû être rendue par l’arbitre. Son contrôle se limite à celle qui consiste à contrôle la « légalité » de la décision, pouvoir qui tire son origine du fait que, en droit constitutionnel, tout pouvoir exercé en vertu de la loi demeure assujetti au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure[25], pouvoir inhérent[26], mais désormais codifié[27].
[70] Cela dit, exceptionnellement, la Cour supérieure peut aller plus loin, comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada[28]:
« Cependant, s’il convient, en règle générale, que les cours de justice respectent la volonté du législateur de confier l’affaire à un décideur administratif, il y a des situations limitées dans lesquelles le renvoi de l’affaire pour nouvel examen fait échec au souci de résolution rapide et efficace d’une manière telle qu’aucune législature n’aurait pu souhaiter […]. L’intention que le décideur administratif tranche l’affaire en première instance ne saurait donner lieu à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens. Le refus de renvoyer l’affaire au décideur peut s’avérer indiqué lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien […]. Les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques peuvent aussi influer sur l’exercice par la cour de son pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire — tout comme ces facteurs peuvent influer sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de casser une décision lacunaire […]. »
[71] Dans le présent dossier, le Tribunal estime qu’il y a lieu de corriger le dispositif de la sentence arbitrale relativement aux deux éléments déjà évoqués plus haut.
[72] En premier lieu, l’arbitre a omis de rejeter le premier grief. Ni l’une ni l’autre des parties ne s’en est formalisée, mais il y a quand même lieu d’apporter cette correction, qui consistera en l’ajout d’un nouveau paragraphe 194.1 après le paragraphe 194.
[73] En deuxième lieu, il y a lieu de rendre la conclusion quant au troisième grief conforme aux motifs de l’arbitre. D’une part, celui-ci s’était dit sans compétence pour majorer la sanction du Comité des différends; d’autre part, il s’est dit entièrement d’accord avec la position du Comité des différends, au point de dire que même s’il avait eu la compétence pour le faire, il n’aurait pas changé la sanction choisie par le Comité des différends. C’est donc par mégarde qu’il a « confirmé le congédiement » de M. Martin de la Faculté de l’éducation permanente, chose que le Comité des différends n’a pas faite et qu’il a même expressément écartée. Il y a donc lieu de corriger le paragraphe en question du dispositif.
[74] REJETTE le pourvoi en mandamus institué par Roger Martin dans le dossier 500‑17-110373-191, devenu théorique;
[75] REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire entrepris par l’Université de Montréal dans le dossier 500-17-112656-205;
[76] REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire introduit par le Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal dans le dossier 500-17-112894-202;
[77] CORRIGE le dispositif de la sentence arbitrale du 1er juin 2020 de François Hamelin, arbitre, par l’ajout, après le paragraphe 194, d’un nouveau paragraphe 194.1, et par le remplacement du paragraphe 195 par celui qui suit :
« [194.1] REJETTE le grief no 1239-180117;
[195] REJETTE le grief no 1284-190613 et CONFIRME à tous égards la décision du Comité des différends du mois de juin 2019 »;
[78] LE TOUT, sans frais, vu l’issue partagée.
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| __________________________________MARK PHILLIPS, j.c.s. | |
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Me Marius Ménard | ||
Ménard Noël Côté-Jones, Avocats inc. | ||
Avocats de Roger Martin | ||
et du Syndicat des chargées et chargés de cours | ||
de l’Université de Montréal | ||
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Me Marc Santerre | ||
Avocat de l’Université de Montréal | ||
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Date d’audience : | 22 novembre 2022 | |
[1] RLRQ c. C-27.
[2] Déclaration sous serment de Marie Bissonnette du 4 décembre 2019, par. 19, dans le dossier 500-17-110373-191.
[3] Dossier 500-17-110373-191.
[4] La sentence arbitrale se trouve répertoriée sous la référence suivante : Université de Montréal c. Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal, 2018 CanLII 152826 (QC SAT).
[5] Conformément aux principes énoncés par la Cour d’appel dans l’affaire Audette c. Lauzon, 1995 CanLII 5192 (QC CA).
[6] Sentence arbitrale, par. 191.
[7] Jugement 30 juillet 2020 du Juge en chef Fournier dans le dossier 500-17-112656-205.
[8] Le Tribunal n’aura donc pas à statuer sur les divers arguments de l’université, notamment quant au caractère purement privé de l’acte, au non-respect du délai raisonnable, etc.
[9] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, par. 16 et suivants (ci-après « Vavilov »).
[10] Dans un cas, il y a eu un dépassement, mais léger, du délai approximatif de 30 jours.
[11] Dossier 500-17-112656-205 : Demande amendée de pourvoi en contrôle judiciaire et demande de sursis du 30 novembre 2022.
[12] Sentence arbitrale, par. 93; pourvoi en contrôle judiciaire de l’Université de Montréal, par. 15.
[13] Sentence arbitrale, par. 94 et 95; pourvoi en contrôle judiciaire de l’Université de Montréal, par. 27 à 33.
[14] L’université a noté qu’il y avait aussi une question quant au respect du délai de 15 jours pour introduire l’appel, mais vu la conclusion du Tribunal, il ne sera pas nécessaire de la trancher.
[15] Comme elle l’a fait dans le dossier d’un autre chargé de cours : Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal c. Université de Montréal, 2021 CanLII 565 (QC SAT).
[16] Le Tribunal s’abstient donc de se prononcer sur la renonciation.
[17] Dossier 500-17-112894-202; Pourvoi en contrôle judiciaire du 15 juillet 2020.
[18] Pourvoi en contrôle judiciaire du syndicat, par. 21.
[19] Pourvoi en contrôle judiciaire du syndicat, par. 37.
[20] Sentence arbitrale, par. 50 à 72.
[21] Québec (Procureur général) c. Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ), 2005 QCCA 797, par. 11 et 12; Centre de la petite enfance Beauce-Sartigan c. Cliche, 2007 QCCS 5835, par. 19, 35 à 37; Syndicat des travailleuses(eurs) des centres de la petite enfance de Montréal et Laval — CSN et Centre de la petite enfance Chez Picotine (Azucena Lagos Parraguez), 2017 QCTA 78, par. 3, 34 à 46; Syndicat des travailleurs et travailleuses du CHU de Québec (CSN) (en succession d’accréditation au SCFP local 108 depuis le 14 janvier 2013), AZ-51003185 (J.-L. Dubé, arbitre), par. 92 et 93; Syndicat des employé(e)s de la Bibliothèque de Québec (FISA) et Institut canadien de Québec (17 décembre 2012), grief no SEBIQ-2011-02 (J.-G. Ménard, arbitre), par. 39.
[22] Sentence arbitrale, par. 103 à 128.
[23] Convention collective, art. 13.02; sentence arbitrale, par. 120.
[24] Voir cependant le par. 163 de la sentence arbitrale.
[25] Crevier c. P.G. (Québec), [1981] 2 R.C.S. 220.
[26] Immeubles Port Louis Ltée c. Lafontaine (Village), [1991] 1 R.C.S. 326, 357.
[27] Articles 34 et 529 C.p.c.
[28] Vavilov, par. 142.
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