[1] LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 30 septembre 2004 par la Cour supérieure, district de Québec (l'honorable Marc Lesage), qui a ordonné la radiation de l'hypothèque légale et du préavis d'exercice d'un recours hypothécaire publiés par l'appelante à l'égard d'un immeuble de l'intimée;
[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;
[3] Pour les motifs du juge Morin, auxquels souscrit le juge Rochette, et pour les motifs du juge Vézina;
POUR CES MOTIFS:
[4] ACCUEILLE l'appel, avec dépens;
[5] INFIRME le jugement de première instance;
[6] REJETTE, avec dépens, la requête introductive d'instance de l'intimée, datée du 7 juin 2004, en radiation d'une hypothèque légale sur le registre foncier;
[7] REJETTE, sans frais, la requête de l'appelante pour faire rejeter le mémoire de l'intimée.
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MOTIFS DU JUGE MORIN |
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[8] Muridal inc. appelle d'un jugement qui a accueilli une requête de la Commission scolaire des Navigateurs et qui a ordonné la radiation de l'hypothèque légale et du préavis d'exercice d'un recours hypothécaire publiés par l'appelante à l'égard d'un immeuble de l'intimée.
les faits
[9] Les faits suivants ont été admis par les parties:
[1] Le 17 avril 2003, la demanderesse a octroyé à Génie-Tech Entrepreneur général inc. un contrat au montant de 1 494 300$ dans le cadre du projet visant la rénovation de l'école secondaire Guillaume-Couture située au 70, boul. Philippe-Boucher à Lévis (pièce P-1);
[2] Le 25 juin 2003, Boutique du Châssis inc. a transmis à la demanderesse une dénonciation de contrat faisant état de l'obtention par Boutique du Châssis inc. d'un sous-contrat de fenestration de Génie-Tech Entrepreneur général inc. au montant de 234 964$ plus taxes sur ledit projet (pièce P-2);
[3] Vers le 3 juillet 2003, Génie-Tech Entrepreneur général inc. et Boutique du Châssis inc. ont signé le contrat de sous-traitance en fenestration (pièce P - 3);
[4] Le 7 août 2003, Boutique du Châssis inc. a fait cession de ses biens entre les mains du syndic Lemieux Nolet sans en avoir informé la demanderesse ni Génie-Tech Entrepreneur général inc. (pièce P-4);
[5] Boutique du Châssis inc. était détentrice d'une licence d'entrepreneur jusqu'à sa faillite le 7 août 2003;
[6] La défenderesse a été constitué le 1er août 2003 et a été immatriculée le 18 août 2003 (pièce P-5);
[7] Suite à la faillite de Boutique du Châssis inc., la défenderesse a poursuivi l'exécution des travaux de fenestration commencés par Boutique du Châssis inc. en gardant sur le chantier le même surintendant qui avait agi jusqu'alors pour Boutique du Châssis inc. ainsi que le même interlocuteur, M. Richard Dion;
[8] La défenderesse n'avait pas sa licence d'entrepreneur de la Régie du bâtiment lorsqu'elle a poursuivi l'exécution des travaux débutés par Boutique du Châssis inc. et ce, du 8 août 2003 au 1er septembre 2003;
[9] En effet, la défenderesse a obtenu sa licence de la Régie du bâtiment uniquement le 2 septembre 2003 (pièce 6);
[10] La demanderesse et Génie-Tech Entrepreneur général inc. ignoraient que la défenderesse ne détenait pas sa licence de la Régie du bâtiment lorsqu'elle a poursuivi l'exécution des travaux débutés par Boutique du Châssis inc., cette ignorance ayant persisté jusque vers le 11 septembre 2003 (pièce P-7);
[11] Le 15 septembre 2003, Génie-Tech Entrepreneur général inc. a procédé à la résiliation du sous-contrat de fenestration (pièce P-8);
[12] Le 16 septembre 2003, la défenderesse a transmis une dénonciation de contrat à la demanderesse (pièce P-9);
[13] Le 14 octobre 2003, la défenderesse a publié une hypothèque légale de la construction contre l'immeuble de la demanderesse au montant de 352 173,34$ (pièce P-10);
[14] Le 22 janvier 2004, la défenderesse a réduit son hypothèque légale publiée au montant initial de 352 173,34$ d'une somme de 34 378,84$ taxes incluses qui a été estimé par la défenderesse comme représentant la valeur des travaux exécutés par elle du 8 août au 1er septembre 2003 avant qu'elle n'obtienne sa licence d'entrepreneur émise par la Régie du bâtiment le 2 septembre 2003, le montant estimé de 34 378,85$ taxes incluses n'étant pas admis;
[15] Outre la requête en radiation d'hypothèque légale intentée en l'instance, une requête subsidiaire en réduction de l'hypothèque légale a été intentée par Génie-Tech Entrepreneur général inc. dans le dossier 200-17-004301-040 de la Cour supérieure du district de Québec, laquelle allègue que la valeur des travaux exécutés par la défenderesse pendant la période où celle-ci ne détenait pas de licence du 8 août au 1er septembre 2003 s'élèverait à la somme de 107 633,77$ taxes incluses;
[16] Le 25 février 2004, la défenderesse a publié un préavis d'exercice d'un recours hypothécaire au montant de 207 173,30$ contre l'immeuble de la demanderesse (pièce P-11).
[10] Certaines précisions fournies lors de l'audience ont permis d'établir que l'intimée et l'entrepreneur général ont su, vers le 15 août 2003, que l'appelante avait succédé à Boutique du Châssis inc. dans l'exécution des travaux entrepris par cette dernière.
[11] Par ailleurs, le 2 septembre 2003, le syndic Lemieux Nolet inc. a vendu à l'appelante le fonds de commerce de Boutique du Châssis inc. L'article 2 du contrat de vente est rédigé comme suit:
[2] Le vendeur vend à l'acquéreur, en date du 8 août 2003, tous les biens du failli excluant les comptes à recevoir.
[12] À une date indéterminée, l'appelante a acquis d'une caisse populaire les comptes à recevoir de Boutique du Châssis inc. au moyen d'une cession de créances.
[13] Selon l'appelante, la valeur des travaux effectués par Boutique du Châssis inc. avant sa faillite était de 114 794,15$. L'intimée, pour sa part, fixe plutôt à 46 500$ cette valeur.
[14] Le 7 juin 2004, l'appelante a déposé la requête qui a donné lieu au jugement faisant l'objet du présent appel.
questions en appel
[15] L'appelante résume comme suit les questions faisant l'objet de son appel:
1. Le juge de première instance a-t-il erré en droit en permettant à l'INTIMÉE d'adopter une résolution postérieure au dépôt des procédures autorisant les procureurs ad item à agir alors qu'il aurait dû rejeter pour ce simple motif, la requête en radiation?
2. Le juge de première instance a-t-il erré en décidant que la dénonciation du sous-contrat faite par l'APPELANTE était tardive?
3. Le juge de première instance a-t-il erré quant à la portée de l'article 50 de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q., c. B-1.1), car l'APPELANTE n'avait pas détenu en tout temps une licence d'entrepreneur émise en vertu de la Loi sur le bâtiment?
[16] J'aborderai ces trois questions dans l'ordre suggéré par l'appelante, en ajoutant ensuite une quatrième question qui a été soulevée par la Cour lors de l'audience:
4. L'appelante pouvait-elle tirer profit de la dénonciation faite par Boutique du Châssis inc. le 25 juin 2003?
analyse
1. Le juge de première instance a-t-il erré en droit en permettant à l'INTIMÉE d'adopter une résolution postérieure au dépôt des procédures autorisant les procureurs ad item à agir alors qu'il aurait dû rejeter pour ce simple motif, la requête en radiation?
[17] Il est bon de souligner au départ que l'avocate représentant l'intimée avait déjà présenté une requête en radiation de l'hypothèque légale de l'appelante pour le compte de l'entrepreneur général. À la suite du rejet de cette requête, elle a présenté une autre requête de même nature pour le compte de l'appelante, les frais de cette dernière étant payés par l'entrepreneur général.
[18] En première instance, l'appelante a soutenu que l'avocate de l'intimée ne détenait pas un mandat conforme à la Loi sur l'instruction publique et au Règlement interne de l'intimée relatif à la délégation de pouvoirs. Elle s'appuyait notamment sur le numéro 700.2 de ce règlement selon lequel c'est le comité exécutif de l'intimée qui «fait les représentations nécessaires ou décide des poursuites légales suite à l'exécution de travaux de construction ou d'aménagement de 50 001$ et plus».
[19] L'intimée, pour sa part, soutenait que c'était plutôt le numéro 716.1 du règlement qui s'appliquait. Selon cette disposition, c'est le directeur des ressources matérielles qui «procède à l'engagement des professionnels pour des honoraires de 0 à 5 000$».
[20] Il est bon de souligner que le 24 août 2004, le comité exécutif de l'intimée a adopté à l'unanimité la résolution suivante:
Résolution no: CE-04-05-003
ATTENDU qu'une demande de radiation de l'hypothèque légale de Muridal inc. a été déposée par la firme Langlois, Kronstrom, Desjardins, avocats, au nom de la Commission scolaire des Navigateurs avec l'autorisation du directeur des Services des ressources matérielles;
ATTENDU que le tribunal a statué à l'effet que l'autorisation du comité exécutif était nécessaire compte tenu que le comité exécutif fait les représentations nécessaires ou décide des poursuites légales suite à l'exécution des travaux de construction ou d'aménagement de 50 000$ et plus en vertu de l'article 700.2 du Règlement de délégation de pouvoirs;
ATTENDU que le comité exécutif est d'avis que le directeur des Services des ressources matérielles était bien fondé de mandater la firme Langlois, Kronstrom, Desjardins, avocats, afin de représenter la commission scolaire pour procéder à la demande de radiation de l'hypothèque légale publiée par la firme Muridal inc. à l'encontre de la propriété de la commission scolaire sise au 70, Philippe-Boucher, Lévis.
IL EST PROPOSÉ PAR monsieur Michel Chabot et résolu:
QUE le comité exécutif de la Commission scolaire des Navigateurs confirme le mandat qui a été donné à la firme Langlois, Kronstrom, Desjardins, avocats, d'instituer dans le dossier de la Cour supérieure du district de Québec portant le numéro 200-17-004642-047 une requête en radiation de l'hypothèque légale publiée par Muridal inc. à l'encontre de la propriété de la commission scolaire sise au 70, Philippe-Boucher, Lévis, et ratifie tous les gestes posés par le directeur des Services des ressources matérielles à cet effet;
QUE le directeur des Services des ressources matérielles soit autorisé à poser tous les gestes et signer tout document découlant de la présente résolution.
[21] Le juge de première instance a considéré que l'intimée avait ainsi confirmé le mandat donné à un avocat et il a rejeté en conséquence la requête en irrecevabilité de l'appelante.
[22] Je suis d'avis que le juge a eu raison de décider ainsi compte tenu du fait que l'intimée avait clairement ratifié un contrat qui n'était pas illégal en soi et qui n'entraînait aucun préjudice pour l'intimée[1]. Le comité exécutif était justifié de poser ce geste dans les circonstances.
2. Le juge de première instance a-t-il erré en décidant que la dénonciation du sous-contrat faite par l'APPELANTE était tardive?
[23] Le juge a résumé comme suit, aux paragraphes 25 à 27 de son jugement, la question dont il était saisi:
[25] Dans le présent dossier, la défenderesse produit sa dénonciation le 16 septembre 2003. Il est admis que l'entrepreneur général a procédé à la résiliation du sous-contrat de fenestration le 15 septembre 2003 (admission 11). La dénonciation transmise par la défenderesse est donc tardive et ne vaudrait en fait, si valable, que pour les travaux postérieurs au 16 septembre 2003 que la défenderesse n'exécutera pas vu la résiliation du sous-contrat de fenestration.
[26] La défenderesse plaide toutefois que cette dénonciation fait état de la cession de biens du sous-traitant Boutique du Châssis inc. entre les mains du syndic Lemieux Nolet inc. Or, il est admis, en cours de plaidoirie et comme il est mentionné dans la dénonciation de la défenderesse, que cette dernière a acquis du syndic les actifs du sous-traitant Boutique du Châssis inc.
[27] Il est aussi admis que le 25 juin 2003, Boutique du Châssis inc. a transmis à la demanderesse une dénonciation de son sous-contrat de fenestration.La défenderesse plaide donc qu'elle a acquis les droits de Boutique du Châssis inc. laquelle était détentrice d'une licence d'entrepreneur jusqu'à sa faillite du 7 août 2003 (admission 5).
[24] Puis, il a tiré la conclusion suivante au paragraphe 37:
[37] En l'espèce, la défenderesse est consciente de cette exigence qu'est la dénonciation de son contrat en vertu duquel elle a exécuté des travaux sur l'immeuble de la demanderesse. Malheureusement, elle a transmis cette dénonciation après l'exécution de ses travaux. Et telle dénonciation n'aurait été valable que pour les travaux qu'elle aurait pu exécuter elle-même par la suite, ce dont elle n'a pas eu la chance, étant évincée du chantier auparavant.
[25] Je suis d'avis que le juge a eu raison de décider comme il l'a fait à l'égard de la dénonciation du sous-contrat relatif aux travaux effectués par Muridal inc. à compter du 8 août 2003.
[26] Même si l'argument de la dénonciation tardive du contrat entre l'appelante et l'entrepreneur général n'a pas été soulevé comme tel devant le juge de première instance, il s'agit d'un argument de droit qui s'appuie sur la preuve présentée lors du procès. Le juge pouvait donc soulever ce moyen d'office, comme le fait valoir l'auteur Léo Ducharme: «Il s'ensuit que le tribunal n'est pas tenu de rendre jugement uniquement en fonction des moyens de droit qui sont plaidés devant lui; il peut faire appel à toute règle de droit, que les plaideurs l'aient invoquée ou non.[2]»
[27] Par ailleurs, comme le souligne l'intimée, la cession de contrat implicite suivant laquelle l'appelante a succédé à Boutique du Châssis inc. dans l'exécution des travaux a entraîné la création d'un nouveau contrat, identique au premier, mais ne faisant pas disparaître pour autant les obligations assumées par le premier contractant. Cette conclusion se dégage des principes retenus par le juge Rochette, dont les motifs ont été agréés par les juges Gendreau et Rayle, dans l'arrêt Groupe Poupart, Deblois inc. c. Max Stra-T-J. inc:
[151] La nouvelle entente s'apparente, au plan des effets, à la cession de contrat que reconnaît notre droit. Mon collègue le juge Baudoin écrit à ce sujet dans N.C. Hutton Ltd c. Canadian Pacific Forest Ltd, REJB 19995643 (C.A.), aux par. 30 à 33:
[30] L'effet juridique de la cession de contrat pose aussi le problème de savoir si le cédant se trouve alors entièrement libéré de ses obligations contractuelles à l'endroit de son contractant d'origine (le cédé) ou si, l'exigence du consentement du cédé, à l'opération, n'emporte pas la création d'un nouveau contrat, en tout point identique au premier, mais laissant subsister l'ancien lien d'obligation.
[31] Là encore, c'est vers le droit français qu'il faut se tourner pour avoir des éléments de solution, mais là encore la doctrine est divisée. Pour certains auteurs (L. Aynès, Cession de contrat: nouvelles précisions sur le rôle du cédé, D. 1998, ch. 226), la cession a un effet translatif complet, le cessionnaire remplace le cédant qui est alors automatiquement libéré. Pour d'autres (C. Jamin, Cession de contrat et consentement du cédé, D. 1995, ch. 131; J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Traité de droit civil: les effets du contrat, 2e éd., Paris, L.G.D.J. 1994, no 670 et s., p. 732 et s.; D. Mazeaud, note sous C.A. Paris, 3 nov. 1994, D-96-J 115), la cession crée un nouveau contrat, identique au premier, mais qui ne fait pas pour autant disparaître les obligations assumées par le cédant dans le premier.
[32] La cession de contrat peut en réalité se décomposer en deux opérations juridiques distinctes, soit une cession de créance et une cession de dettes. En l'absence d'un régime juridique spécifique à la cession de contrat en tant que telle, c'est donc vers ces deux opérations qu'il faut se tourner. Or, la cession de dettes exige pour libérer totalement le cédant l'intention expresse du cédé de libérer celui-ci. On voit donc mal, logiquement, comment la cession de l'ensemble, c'est-à-dire du contrat entier, postulerait des conditions moins strictes que pour la cession d'une seule des parties, soit celle des dettes.
[33] D'ailleurs, la jurisprudence québécoise, du moins dans l'affaire General Accident Insurance, ci-haut mentionnée, semble pencher pour cette seconde solution. La cession de contrat n'emporte donc pas novation ou délégation (qui, de toute façon, ne se présume pas) et donc libération automatique du cédant dès sa réalisation. Il y aurait donc simplement addition et non remplacement d'un débiteur.
[28] Dans les circonstances, ce nouveau contrat devait être dénoncé au propriétaire conformément à l'article 2728 du Code civil du Québec:
2728. L'hypothèque garantit la plus-value donnée à l'immeuble par les travaux, matériaux ou services fournis ou préparés pour ces travaux; mais, lorsque ceux en faveur de qui elle existe n'ont pas eux-mêmes contracté avec le propriétaire, elle est limitée aux travaux, matériaux ou services qui suivent la dénonciation écrite du contrat au propriétaire. L'ouvrier n'est pas tenu de dénoncer son contrat.
[29] C'est d'ailleurs l'idée qui se dégage des propos tenus par le juge en chef Galipeault dans l'arrêt Hamelin c. J.-B. Laplante inc.[3], qui est cité au paragraphe 29 du jugement de première instance. Dans cette affaire, l'entrepreneur J.-B. Laplante avait formé en compagnie une entreprise de construction, puis lui avait cédé le contrat de construction de la maison de Hamelin, sans dénoncer cette cession à ce dernier. Le juge Galipeault a notamment déclaré:
Or, l'art. 2013f C.C. dit: dans le cas où le constructeur fait exécuter, en tout ou en partie, l'ouvrage par un tiers, il faut pour ce dernier dénoncer son contrat au propriétaire et son privilège sur l'immeuble ne vaudra que pour les travaux exécutés après telle dénonciation[4].
[30] Il est bon d'ajouter que, dans le même arrêt, le juge Hyde s'est, pour sa part, exprimé comme suit:
In any case I am in agreement with the majority of this Court in Blondin Ltée v. Morin et Perreault (3), that notwithstanding the earlier decision in Commission des écoles catholiques de Montréal v. Canada Iron Works Co. (4), more than mere knowledge is required in accordance with the principles of strict compliance in such matters laid down by the Supreme Court in Concrete Column Clamps Ltd. v. Cie de Construction de Québec Ltée (5)[5].
[31] La simple connaissance par l'intimée et l'entrepreneur général que l'appelante avait succédé à Boutique du Châssis inc. ne pouvait donc tenir lieu de dénonciation
[32] D'ailleurs, l'appelante elle-même était sans doute consciente de cette contrainte, car sa dénonciation du contrat visée au paragraphe 12 des admissions contenait la phrase suivante:
Soyez donc avisé que nous vous adressons la présente dans le but de préserver nos droits à une hypothèque légale, ainsi que le requiert l'article 2724 et les suivants, incluant notamment l'article 2728 du code civil de la province de Québec.
[33] Je suis donc d'avis que le juge de première instance n'a pas erré en décidant que cette dénonciation était tardive.
3. Le juge de première instance a-t-il erré quant à la portée de l'article 50 de la Loi sur le bâtiment (L.R.Q., c. B-1.1), car l'APPELANTE n'avait pas détenu en tout temps une licence d'entrepreneur émise en vertu de la Loi sur le bâtiment?
[34] L'article 50 de la Loi sur le bâtiment est rédigé comme suit:
50. La personne qui n'est pas elle-même un entrepreneur qui a conclu un contrat pour l'exécution de travaux de construction avec un entrepreneur qui n'est pas titulaire de la licence appropriée peut en demander l'annulation.
Le propriétaire d'un immeuble grevé d'une hypothèque légale, visée au paragraphe 2° de l'article 2724 du Code civil (Lois du Québec, 1991, chapitre 64) et inscrite à la réquisition d'un entrepreneur qui n'est pas titulaire de la licence appropriée, peut demander la radiation de l'inscription de cette hypothèque, de même que celle de toute autre inscription s'y rapportant qu'aurait pu requérir l'entrepreneur.
Une demande d'annulation ou de radiation ne peut être reçue s'il est établi que le demandeur savait que l'entrepreneur n'était pas titulaire de la licence appropriée.
[35] C'est le deuxième alinéa de cet article qui doit être interprété dans le cadre de la présente affaire.
[36] En appliquant les règles d'interprétation à partir d'un fondement téléologique, il faut s'interroger au départ sur l'objet de la loi. Cet objet est décrit comme suit à l'article 1:
1. La présente loi a pour objets:
1° d'assurer la qualité des travaux de construction d'un bâtiment et, dans certains cas, d'un équipement destiné à l'usage du public ou d'une installation non rattachée à un bâtiment;
2° d'assurer la sécurité du public qui accède à un bâtiment ou à un équipement destiné à l'usage du public ou qui utilise une installation non rattachée à un bâtiment.
Dans la poursuite de ces objets, la présente loi voit notamment à la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires
[37] Par ailleurs, il est bon de tenir compte de l'article 46, soit le premier article de la section traitant des licences:
46. Nul ne peut exercer les fonctions d'entrepreneur de construction, en prendre le titre, ni donner lieu de croire qu'il est entrepreneur de construction, s'il n'est titulaire d'une licence en vigueur à cette fin.
Aucun entrepreneur ne peut utiliser, pour l'exécution de travaux de construction, les services d'un autre entrepreneur qui n'est pas titulaire d'une licence à cette fin.
[38] Le juge de première instance réfère à ces deux articles aux paragraphes 13 et 20 de son jugement. Par ailleurs, il mentionne de la jurisprudence tant de la Cour d'appel que de la Cour supérieure concernant l'interprétation à donner à ces dispositions.
[39] En s'appuyant sur ces articles et sur la jurisprudence citée, il finit par conclure de la façon suivante:
[22] L'entrepreneur doit donc détenir une licence en vigueur au moment de la dénonciation, lors des travaux et lors de l'inscription de l'hypothèque légale. Il apparaît que, s'il ne la détient pas à l'une de ces périodes, il ne peut être considéré comme un entrepreneur de construction pouvant être protégé par la garantie qui est l'hypothèque légale.
[40] Je ne trouve pas dans la partie du jugement traitant de cette question une erreur justifiant l'intervention de la Cour.
4, L'appelante pouvait-elle tirer profit de la dénonciation faite par Boutique du Châssis inc. le 25 juin 2003?
[41] Lors de l'audience, la Cour a demandé à l'appelante si l'hypothèque légale dont elle avait demandé l'inscription couvrait les travaux effectués par Boutique du Châssis inc. avant sa faillite. La réponse à cette question a été positive.
[42] La discussion qui a suivi a, par ailleurs, permis de constater que les parties ne s'entendaient pas sur la valeur de ces travaux, l'appelante les estimant à 114 794,15$, l'intimée les évaluant plutôt à 46 500$.
[43] Or, il est bon de rappeler que l'appelante a acquis au moyen d'une cession de créances les comptes à recevoir de Boutique du Châssis inc., ce qui comprend les hypothèque légales s'y rattachant conformément à l'article 1638 du Code civil du Québec:
1638. La cession d'une créance en comprend les accessoires.
[44] Selon ce qui précède, l'appelante était donc en droit d'inscrire une hypothèque légale sur l'immeuble visé au présent litige, mais seulement pour la valeur des créances résultant des travaux effectués par Boutique du Châssis inc.
[45] L'intimée conteste la validité de l'inscription de l'hypothèque légale en invoquant le principe de l'unité de privilège ou, plus précisément, de l'unité de créancier, dont traite l'auteur G.-M. Giroux, dans son ouvrage intitulé «Le Privilège ouvrier[6].
[46] Tout d'abord, il est opportun de lire ce que Me Giroux écrit au sujet de l'unité de privilège prise dans son ensemble:
Les créances dues à une même personne doivent, pour jouir d'un unique privilège et former une seule réclamation, individuellement présenter certaines caractéristiques: être dues par le même débiteur, résulter de causes identiques, avoir une relation directe avec l'immeuble amélioré et son amélioration, résulter de contrats passés sous le même propriétaire, et enfin, être susceptibles de participer au droit de garantie[7].
[47] Or, il y a lieu de noter, sans plus, que l'hypothèque légale visée en l'espèce, qui a remplacé le privilège ouvrier, respecte toutes les conditions mentionnées ci-dessus.
[48] L'intimée a raison cependant de signaler que cette hypothèque ne respecte pas toutes les conditions énumérées par Me Giroux lorsqu'il traite d'un élément plus spécifique, soit l'unité de créancier. Toutefois, ces commentaires de Me Giroux ne s'appliquent plus, à cause de la simplification et de l'uniformisation des règles applicables à l'hypothèque légale en vertu du Code civil du Québec par rapport aux règles applicables au privilège ouvrier en vertu du Code civil du Bas-Canada.
[49] L'auteur Louis Payette résume comme suit cette question:
L'intérêt qu'il pouvait y avoir sous le Code civil du Bas Canada à distinguer entre l'entrepreneur, le sous-entrepreneur, le fournisseur de matériaux et l'entrepreneur-fournisseur de matériaux a disparu, puisque le Code civil du Québec soumet les candidats à l'hypothèque légale aux mêmes règles, à une exception près[8]
[50] En ce qui concerne l'exception, il la décrit comme suit:
Ceux qui n'ont pas contracté avec le propriétaire doivent lui dénoncer son contrat, à l'exception de l'ouvrier: art. 2728 C.c.[9]
[51] De fait, le Code civil du Bas-Canada faisait plusieurs distinctions quant aux droits des divers bénéficiaires du privilège ouvrier, notamment à l'article 2013c qui était rédigé comme suit:
2013 c) Ces privilèges prennent rang dans l'ordre suivant:
1. L'ouvrier;
2. Le fournisseur de matériaux;
3. Le constructeur;
4. L'architecte.
[52] Ces distinctions ont été supprimées par le Code civil du Québec, dont l'article 2952 énonce la règle générale suivante:
2952. Les hypothèques légales en faveur des personnes qui ont participé à la construction ou à la rénovation d'un immeuble prennent rang avant toute autre hypothèque publiée, pour la plus-value apportée à l'immeuble; entre elles, ces hypothèques viennent en concurrence, proportionnellement à la valeur de chacune des créances.
[53] J'en viens donc à la conclusion que l'appelante a validement inscrit une hypothèque légale à l'égard des créances résultant des travaux exécutés par Boutique du Châssis inc.
[54] À ce stade-ci, il importe peu qu'il y ait divergence de vues entre les parties quant à la valeur de ces créances; l'admission de l'existence de ces créances suffit pour justifier l'inscription de l'hypothèque légale.
[55] En conséquence, je suis d'avis qu'il y a lieu d'accueillir l'appel avec dépens, d'infirmer le jugement de première instance et de rejeter, avec dépens, la requête introductive d'instance de l'intimée en radiation d'une inscription d'une hypothèque légale sur le registre foncier.
[56] En terminant, je crois qu'il y a lieu de rejeter sans frais une requête de l'appelante pour faire rejeter le mémoire de l'intimée. En effet, l'audience a permis de clarifier ce que l'appelante considérait des propos inexacts dans ce mémoire.
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BENOÎT MORIN J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE VÉZINA |
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[57] J'ai eu le bénéfice de prendre connaissance des motifs du juge Morin.
[58] Je suis d'accord avec les conclusions qu'il énonce au quatrième point de son analyse : « l'appelante pouvait-elle tirer profit de la dénonciation faite par Boutique du Châssis inc. le 25 juin 2003 ?
[59] En conséquence, je disposerais de l'appel comme il le propose.
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PAUL VÉZINA J.C.A. |
[1] Adricon ltée c.Ville d'East Angus, [1978] 1 R.C.S. 1107
Mole Construction inc. c. Ville de La Salle, J.E. 96-1635 (C.A.)
[2] Léo Ducharme, Précis de la preuve, 5e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 1996, no. 69, p. 24.
[3] [1958] B.R. 395 .
[4] Note 3 précitée, 399.
[5] Note 3, précitée, 401.
[6] G.-M. Giroux, Le Privilège ouvrier, Montréal, Ed. Albert Lévesque, 1933, nos 260 à 272, pp. 256 à 265.
[7] Note 6 précitée, no 247, p. 248.
[8] Louis Payette, Les Sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 2e éd, Cowansville, Ed. Yvon Blais,
2001, no 1473, p. 631.
[9] Note 8 précitée, p. 631, note 1948
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