Décision

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Gabarit EDJ

Charland c. Bell Canada

2012 QCCS 3429

JC 2373

 
 COUR SUPÉRIEURE

(RECOURS COLLECTIF)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-06-000572-111

 

DATE :

18 juillet 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LOUIS-PAUL CULLEN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

MONIQUE CHARLAND

Requérante

c.

BELL CANADA

Intimée

____________________________________________________________________________

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-06-000573-119

______________________________________________________________________

 

TOM MOTZER

Requérant

c.

BELL CANADA

Intimée

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

I- LE CONTEXTE

La Requête no. 1

[1]           Le 29 juin 2011, madame Charland dépose une « Requête pour autorisation d'exercer un recours collectif et pour être représentant » (sic) (la « Requête no. 1 »).

[2]           Elle désire représenter contre Bell le groupe national suivant (le « Groupe Principal ») relativement à des indications de Bell qu'elle allègue être trompeuses à l'égard du prix de ses services au Canada :

« toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède le 29 juin 2011 sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail, qui ont été liées contractuellement avec l'intimée Bell Canada au cours de la période allant du 1er décembre 2007 au 29 juin 2011 au Canada »

[3]           Madame Charland désire également exercer contre Bell un recours fondé sur la Loi sur la protection du consommateur[1] (la « LPC ») et y représenter le sous-groupe national suivant (le « Groupe Consommateur ») :

« toutes les personnes physiques, sauf un commerçant qui a conclu un contrat pour les fins de son commerce, qui ont été liées contractuellement avec l'intimée Bell Canada au cours de la période allant du 1er décembre 2007 au 29 juin 2011 au Canada »

[4]   Les allégations essentielles de la Requête no. 1 sont les suivantes :

4.1. Membre de l'Ordre des chimistes du Québec jusqu'en avril 2010, maintenant à la retraite, madame Charland est membre du conseil d'administration du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires.

4.2. D… F…, sa fille majeure, est atteinte de déficience intellectuelle.

4.3. Bell œuvre notamment dans le domaine des services de télécommunications, incluant Internet pour les clients résidentiels et commerciaux.  Bell fait la promotion de ses produits à travers le Canada.

4.4. Bell fait partie du groupe de compagnies contrôlées par BCE Inc.  BCE se décrit comme la plus grande entreprise de communications au Canada.  De 2004 à 2009, BCE réalise des revenus annuels moyens de 17 G$ et un bénéfice net annuel moyen de plus de 2 G$.


 

4.5. De décembre 2007 à juin 2011, madame Charland est liée contractuellement à

Bell pour des services de téléphonie résidentielle, Internet et télévision.  Ces services lui sont débités dans une seule facture émise sous le nom de Bell.

4.6. Bell fait la promotion de ses services en omettant d'inclure tous les frais réellement chargés à madame Charland.

4.7. Dans ses annonces publicitaires depuis le mois de décembre 2007 au mois de juin 2011, Bell indique souvent les modalités de ses offres de prix proposés de la manière suivante :

4.7.1.   en petits caractères difficilement lisibles;

4.7.2.   au verso de la page où se situe la publicité;

4.7.3.   au verso de la page où se situe la publicité alors que le recto contient suffisamment d'espace pour y ajouter du texte;

4.7.4.   suivant une note en bas de page;

4.7.5.   avec un caractère d'imprimerie rétréci en comparaison du reste du texte.

4.8. Ainsi, dans le pamphlet publicitaire « Plus pour votre $ » Bell annonce un forfait pendant huit mois tous frais inclus, ce qui est erroné, puisque des frais d'activation sont exigibles selon les notes imprimées en petits caractères au verso de la page publicitaire.

4.9. Dans d'autres pamphlets, Bell annonce dans un tableau ses prix mensuels par forfait, mais omet d'y inclure d'autres frais pertinents tels les frais de location de modem. 

4.10.             De plus, Bell compare les prix mensuels de ses forfaits sans inclure tous les frais pertinents avec les frais mensuels de son principal concurrent.

4.11.             Les frais du « Touch-Tone », de location de modem, du « MSN Premium Service » et d'accès au réseau chargés par Bell à madame Charland n'apparaissent pas dans les prix dont Bell fait alors la promotion. 

4.12.             Or, le service de téléphonie résidentielle peut très difficilement être utilisé sans le Touch-Tone, le service Internet de Bell ne peut pas être utilisé sans un modem et le MSN Premium Service; de plus, l'accès au réseau est nécessaire pour pouvoir utiliser pleinement et efficacement le service de Bell.

4.13.             En outre, les frais divers, dont ceux de connexion au réseau interurbain sont chargés par Bell à madame Charland sans apparaître dans les prix dont Bell fait alors la promotion.


 

4.14.             Du 25 juin 2002 au 20 octobre 2010, les montants dus par madame F… à Bell sont prélevés du compte bancaire de madame Charland.

4.15.             Entre décembre 2007 et juin 2011, Bell facture des tarifs supérieurs à ceux annoncés pour plusieurs services dont la téléphonie résidentielle, l'Internet, la télévision par satellite et le sans-fil.  Les prix annoncés ne sont pas

disponibles puisque des frais obligatoires supplémentaires (Touch-Tone, location de modem et de télévision numérique) sont cachés aux consommateurs dans des modalités en petits caractères.  À titre d'exemple, Bell annonce un forfait de téléphonie résidentielle, d'Internet et de télévision à partir de seulement 69,90 $ par mois alors qu'il est impossible de s'abonner à ce prix, le prix le plus bas avec les frais obligatoires s'élevant à 80,27 $ soit environ 15 % de plus qu'annoncé.  Les clients s'abonnant à ces services séparément sont eux aussi aux prises avec la même information trompeuse du fait que les frais supplémentaires sont exclus du prix annoncé.

4.16.             Le 28 juin 2011, le Bureau de la concurrence du Canada annonce la conclusion d'une entente avec Bell qui convient de payer une sanction administrative de 10 M$ et de modifier toutes ses publicités non conformes sur les prix dans un délai de 60 jours.

4.17.             Bell aurait contrevenu à la Loi sur la concurrence[2].

4.18.             Madame Charland invoque également les articles 219 , 224 , 225 et 230 de la LPC qui interdisent au commerçant :

4.18.1.de faire des représentations fausses ou trompeuses à un consommateur;

4.18.2.d'accorder moins d'importance dans un message publicitaire au prix d'ensemble de biens ou de services qu'au prix d'une composante de ceux-ci;

4.18.3.de divulguer le montant de paiements périodiques pour un bien ou un service sans divulguer le prix total ni le faire ressortir de façon plus évidente;

4.18.4.d'exiger pour un bien ou un service un prix supérieur à celui qui est annoncé;

4.18.5.de faussement invoquer une réduction de prix;

4.18.6.de faussement indiquer le prix courant ou un autre prix de référence pour un bien ou un service;


 

4.18.7.de faussement laisser croire que le prix d'un bien ou d'un service est avantageux;

4.18.8.d'exiger quelque somme que ce soit pour un bien ou un service qu'il a fait parvenir ou rendu à un consommateur sans que ce dernier ne l'ait demandé;

4.18.9.de prétexter un motif pour la sollicitation portant sur la vente d'un bien ou la prestation d'un service;

4.18.10.              d'exiger du consommateur à qui il a fourni gratuitement ou à un prix réduit un service ou un bien pendant une période déterminée un avis au terme de cette période indiquant qu'il ne souhaite pas obtenir ce service ou

ce bien au prix courant.

4.19.             Les agissements illégaux de Bell ont causé des dommages à madame Charland en lui laissant faussement croire qu'elle bénéficiait d'un prix avantageux pour les services de téléphonie, Internet et télévision de Bell.

4.20.             Les clients de Bell sont liés par un contrat d'adhésion dont les stipulations essentielles sont imposées par Bell.

4.21.             Chacun des membres du groupe a été lié à Bell de décembre 2007 à juin 2011 pour des services de téléphonie résidentielle, Internet ou de télévision, a été exposé à des annonces publicitaires de Bell et a subi des dommages en conséquence du fait que Bell lui a faussement laissé croire qu'il bénéficiait d'un prix avantageux pour ces services.

4.22.             Madame Charland fait partie du Groupe Principal et du Groupe Consommateur.  Elle s'est vue attribuer le 23 août 2010 le statut de représentante dans un recours collectif intenté contre Hydro-Québec.

4.23.             En substance, dans la Requête no. 1, madame Charland conclut à une condamnation de Bell à payer à chaque membre du Groupe 1 $ à titre de dommages-intérêts pour les sommes payées en trop et 100 $ pour troubles, tracas et inconvénients ainsi que 1 000 $ à titre de dommages exemplaires, le tout avec l'intérêt et l'indemnité additionnelle, sauf à parfaire, toutes ces sommes devant être recouvrées collectivement, de même que les dépens.

La Requête no. 2

[5]           Le 4 juillet 2011, monsieur Motzer dépose une « Requête pour autorisation d'exercer un recours collectif national et pour être représentant » (la « Requête no. 2 »).


 

[6]           Il désire exercer contre Bell un recours collectif pour le compte du groupe national suivant :

Toute personne physique, personne morale de droit privé, société ou association qui a acheté, s'est abonné ou a obtenu les services de l'intimée au Canada pour la téléphonie résidentielle, Internet, la télévision par satellite ou le sans-fil disponible depuis le 1 décembre 2007.

[7]   Les allégations essentielles de la Requête no. 2 sont les suivantes :

7.1. Monsieur Motzer réside dans la grande région de Montréal

7.2. Bell offre à la population canadienne ses services de télécommunications, de la téléphonie résidentielle simple à l'Internet, la télévision par satellite et le sans-fil.

7.3. En 2007, monsieur Motzer demande à Bell de desservir sa résidence.  Il s'abonne à un forfait et utilise les services de téléphonie, de satellite et d'Internet

de Bell d'octobre 2007 à mars 2011.

7.4. Les prix annoncés par Bell n'incluent pas les frais obligatoires supplémentaires facturés à monsieur Motzer à qui Bell demande 80,27 $ alors que le prix annoncé est de 69,90 $, soit 14,8 % ou 10,37 $ de plus que si les règles normales de la concurrence et de la publicité sincère avaient dominé le marché canadien.

7.5. Monsieur Motzer évalue sa réclamation en dommages compensatoires contre Bell à 414,80 $ et il a le droit de réclamer le même montant à titre de dommages exemplaires et punitifs en vertu des articles 219 et 272 LPC, sa réclamation totale s'élevant ainsi à 829,60 $.

7.6. Depuis décembre 2007, Bell offre des forfaits au rabais qui combinent plusieurs services. Elle diffuse des publicités trompeuses à l'égard du prix de ses services, facturant des prix supérieurs à ceux annoncés pour plusieurs de ceux-ci dont la téléphonie résidentielle, l'Internet, la télévision par satellite et le sans-fil.  Les prix annoncés ne sont pas réellement disponibles puisque Bell facture aux consommateurs des frais supplémentaires, notamment pour le Touch-Tone ainsi que pour les services de location de modem et de télévision numérique.

7.7. Par exemple, Bell offre dans sa publicité la téléphonie résidentielle à 14,95 $ par mois alors que le prix imposé aux membres du groupe est d'environ 20 % plus élevé en réalité tenant compte des frais prétendument obligatoires qui sont ajoutés à la facture.


 

7.8. La publicité de Bell est diffusée à l'échelle nationale et affecte les Canadiens d'un océan à l'autre.

7.9. Le 28 juin 2011, le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») déclare qu'en vertu d'un consentement déposé au Tribunal de la concurrence, Bell doit payer une sanction administrative de 10 M$ et qu'elle convient de modifier sa publicité, reconnaissant implicitement sa culpabilité.

7.10.             Le Bureau a conclu que Bell a facturé depuis décembre 2007 des tarifs supérieurs à ceux annoncés pour plusieurs de ses services dont la téléphonie résidentielle, l'Internet, la télévision par satellite et le sans-fil.  Le Bureau ajoute que Bell a annoncé un forfait de téléphonie résidentielle, d'Internet et de télévision à partir de seulement 69,90 $ par mois alors qu'il était impossible de s'abonner à ce prix, le prix le plus bas avec les frais obligatoires s'élevant à 80,27 $ soit environ 15 % de plus qu'annoncé.  Les clients s'abonnant à ces services séparément ont eux aussi été aux prises avec la même information trompeuse du fait que les frais supplémentaires étaient exclus du prix annoncé.

7.11.             Par l'effet de la concurrence, il serait normal que le prix des produits de télécommunications baisse.  Par sa conduite visant à augmenter ses profits et empêcher les consommateurs de profiter de la concurrence, Bell a maintenu artificiellement plus élevés de 15 à 25 % les prix des produits au Canada en

imposant des frais prétendument obligatoires supplémentaires.

7.12.             En conséquence des pratiques de Bell, la concurrence pour les services de télécommunications a été supprimée ou restreinte, le prix au Canada de ces services a été déraisonnablement et artificiellement élevé, la disponibilité de ces services a été moindre en quantité et en qualité que dans un marché compétitif dans lequel aucune publicité trompeuse n'est diffusée.

7.13.             Les services de télécommunications offerts par les concurrents de Bell ne sont presque pas différents, de sorte que les consommateurs subissent les préjudices résultant de la restriction de commerce imposée par Bell au marché canadien.

7.14.             Monsieur Motzer devait payer les frais imposés en tant que frais obligatoires supplémentaires ou subir l'interruption de service.

7.15.             Bell a violé l'article 52 de la Loi sur la concurrence qui interdit de tromper le public par des indications fausses sur un point important afin de promouvoir la fourniture d'un produit, de sorte que les membres du groupe ont le droit de réclamer des dommages-intérêts en vertu de l'article 36 de la même loi.


 

7.16.             Bell a violé les dispositions des lois provinciales interdisant toute publicité trompeuse en vertu desquelles Bell est passible d'une condamnation à des dommages exemplaires et punitifs, que tous les membres du groupe ont le droit de réclamer.

7.17.             En substance, monsieur Motzer conclut à une condamnation de Bell à payer à tous les membres du groupe une somme équivalente aux frais prétendument obligatoires supplémentaires, la même somme à titre de dommages exemplaires et punitifs et les dépens.

[8]           Le 22 septembre 2011, Siskinds LLP dépose en Ontario un recours collectif que madame Charland qualifie de « similaire » à la Requête no. 1.

[9]           Le 19 octobre 2011, Siskinds LLP comparaît à titre de procureurs-conseils au dossier de madame Charland.

[10]        Le 21 novembre 2011, Bell demande au Tribunal de suspendre l'une des deux requêtes déposées au Québec pour autorisation d'exercer un recours collectif jusqu'à jugement final à être rendu au stade de l'autorisation ou du mérite dans l'autre dossier.

[11]        Le 21 février 2012, madame Charland demande l'autorisation d'amender la Requête no. 1, alléguant que les amendements recherchés « sont complémentaires aux allégués et pièces de la Requête Originale en Autorisation et ne visent qu'à en détailler et en préciser la teneur, à en appuyer d'avantage (sic) les allégations et à en renforcer et consolider les droits des membres du groupe  (…) ».

La Requête no. 1 Amendée

[12]        Madame Charland désire, entre autres, ajouter deux requérants (une résidente du Québec et un résident de l'Ontario) et leur faire attribuer avec elle le statut de représentant ainsi qu'ajouter deux défenderesses, Bell Mobilité Inc. et Bell Expressvu société en commandite. Elle désire également invoquer plusieurs pièces additionnelles. 

[13]        Les requérants désirent représenter contre Bell et les deux nouvelles intimées le Groupe Principal national suivant :

« toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations (…) à l'exception des personnes qui, en vertu de la législation applicable, ne peuvent être membre d'un groupe dans leur province, qui ont été liées contractuellement avec l'intimée Bell Canada et/ou Bell Mobilité Inc. et/ou Bell Expressvu société en commandite à n'importe quel moment au cours de la période allant du 1er décembre 2007 au 29 juin 2011 au Canada »

                                                 (Les soulignements sont dans le texte original.)

[14]        Les requérants désirent également représenter contre Bell et les deux nouvelles intimées le Groupe Consommateur national suivant en invoquant la LPC ainsi que toute autre loi provinciale similaire :

« toutes les personnes physiques, sauf un commerçant qui a conclu un contrat pour les fins de son commerce, qui ont été liées contractuellement avec l'intimée Bell Canada et/ou Bell Mobilité Inc. et/ou Bell Expressvu société en commandite à n'importe quel moment au cours de la période allant du 1er décembre 2007 au 29 juin 2011 au Canada »

(Les soulignements sont dans le texte original.)

[15]        Outre les modifications requises par l'ajout de parties, la Requête no. 1 Amendée comporte, pour l'essentiel, les nouvelles allégations suivantes :

15.1.             La co-requérante Charbonneau Danneau habite à Montréal et enseigne l'informatique en entreprise.  Elle contracte les services de téléphonie, Internet et télévision de Bell le 18 mars 2011 au prix de 68,28 $ plus 15 $ d'option télévision.  Le montant total de 83,28 $ se divise en téléphonie résidentielle (20,33 $), Internet (29,95 $), télévision (33 $) incluant un supplément de 15 $ pour l'option à la carte 15.

15.2.             Madame Charbonneau Danneau reçoit une lettre de Bell indiquant erronément que le prix convenu pour le service téléphonique résidentiel est de 39,93 $. 

15.3.             En mai 2011, elle se plaint à Bell et au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.

15.4.             Le co-requérant Hornbrook habite en Ontario et est le représentant d'un recours collectif déposé en Ontario.

15.5.             Suite à une promotion diffusée par les intimées en septembre 2010, monsieur Hornbrook contracte les services de téléphonie, d'Internet et de télévision des intimées le 15 octobre 2010.

15.6.             Certains frais chargés à madame Chaland, tels les frais Touch-Tone, sont également chargés aux frais d'administration mensuels des autres co-requérants. 

15.7.             Les frais de location d'un modem chargés à madame Charland sont également chargés à monsieur Hornbrook.

15.8.             Madame Charbonneau Danneau et monsieur Hornbrook doivent débourser 3 $ par mois pour des « Frais de Service Numérique » / « Digital Service Fee » et ont leur charge également des frais de location « Télé Fibe RVP HD-Location » / « Fibe TV HD PVR-Rental » et « Fibe Télé Récepteur HD-Location » / « Fibe TV HD Receiver-Rental ».  Aucun de ces frais n'apparaissent aux prix dont les intimées font la promotion. 

15.9.             Par ailleurs, monsieur Hornbrook a reçu une facture pour des « Network Charges » liés à des services de téléphonie.

15.10.          Le siège social de Bell se situe au Québec.

15.11.          Bell Mobilité œuvre notamment dans le domaine des services de télécommunications sans fil et fait partie du groupe de compagnies contrôlées par BCE Inc.  Bell Mobilité fait la promotion de ses produits partout au Canada; son siège social est situé au Québec.

15.12.          Bell Expressvu œuvre notamment dans le domaine des services de télécommunications en radiodiffusion et en service de télévision par satellite.  Elle fait partie du groupe de compagnies contrôlées par BCE Inc., fait la promotion de ses produits au Canada et son siège social est situé au Québec.

15.13.          Les requérants invoquent les articles 74.01 (1)(a), 74.04 et 74.08 de la Loi sur la concurrence en vertu desquels, entre autres, est susceptible d'examen le comportement de quiconque donne au public pour promouvoir des intérêts commerciaux quelconques des indications fausses ou trompeuses sur un point important, dont le prix présenté comme étant un prix d'occasion par rapport au prix habituel.

15.14.          Le commissaire du Bureau a conclu que depuis décembre 2007 à juin 2011 au moins, les intimées ont fait la promotion de leurs services de façon trompeuse, en les annonçant à des prix inférieurs aux prix effectivement exigés, et que les intimées ont réglé l'affaire en enregistrant un consentement.

15.15.          Les dommages des membres du groupe découlent des mêmes fautes des intimées partout au Canada.

15.16.          Siskinds a déposé contre les intimées une troisième requête pour autorisation d'exercer un recours collectif au nom de monsieur Hornbrook.

[16]        Les parties conviennent d'une audition commune de la requête de madame Charland pour autorisation d'amender et de la requête de Bell pour faire suspendre l'une des requêtes en autorisation pour exercer un recours collectif déposées au Québec.

[17]        Le Tribunal disposera d'abord de la requête pour autorisation d'amender de madame Charland.

II- ANALYSE

1) La requête pour amender

[18]        En vertu de l'article 199 C.p.c., une partie peut amender son acte de procédure en tout temps avant jugement sans autorisation et aussi souvent que nécessaire pourvu que l'amendement ne soit pas inutile, contraire aux intérêts de la justice ou qu'il n'en résulte pas une demande entièrement nouvelle n'ayant aucun rapport avec la demande originaire.  En vertu de l'article 200 C.p.c., en l'absence d'opposition, l'acte amendé est accepté.

[19]        Toutefois, en vertu des articles 1010.1 et 1016 C.p.c., l'amendement d'une requête pour autoriser l'exercice d'un recours collectif requiert l'autorisation du tribunal qui peut alors imposer les conditions qu'il estime nécessaires[3] dans l'intérêt des membres. 

[20]        En général, des amendements s'intègrent rétroactivement à la procédure auxquels ils se rattachent (ici la Requête no. 1)[4], sauf s'ils se rapportent à une cause d'action déjà prescrite[5] ou, peut-être, à l'ajout d'un défendeur non solidaire[6], ce que le Tribunal n'a pas à décider. 

[21]        Bell ne conteste pas la demande d'amendement.

[22]        Les amendements recherchés ne sont pas inutiles, contraires aux intérêts de la justice et il n'en résulte pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire.

[23]        Les membres du groupe n'en subissent pas préjudice.  Au contraire, ils ont intérêt à ce que le jugement collectif lie, le cas échéant, tous les responsables du préjudice qu'ils allèguent.

[24]        Les amendements sont donc autorisés.

[25]        Vu l'article 206 C.p.c., la Requête no. 1 Amendée devra être signifiée aux nouvelles intimées.

Les frais

[26]        Les frais ne seront pas accordés, vu l'absence de contestation.

2) La requête pour suspendre

Les arguments de Bell

[27]        Bell plaide que la Requête no. 1 et la Requête no. 2 « traitent essentiellement des mêmes faits ».

[28]        Selon Bell, il y a litispendance entre ces requêtes en raison de leur identité d'objet, de cause et de parties :

28.1.             les requêtes visent l'obtention de l'autorisation d'exercer un recours collectif en dommages-intérêts et en dommages exemplaires pour des consommateurs qui ont contracté avec Bell sur la base de publicités prétendument trompeuses;

28.2.             les requêtes réfèrent à un paiement effectué par Bell au Bureau de la concurrence dans le cadre d'une enquête à ce sujet;

28.3.             les requêtes se fondent sur Loi sur la concurrence et la Loi sur la protection du consommateur;

28.4.             les groupes proposés sont « essentiellement identiques »;

28.5.             l'intimée dans les deux cas est la même personne morale.

[29]        Bell plaide également que le déroulement simultané de deux recours constituerait un abus de procédure envers elle, car elle serait alors contrainte de se défendre « en double » relativement au même objet et la même cause, ce qui serait contraire à une saine administration de la justice et au principe de proportionnalité.

Les arguments des requérants Charland, Charbonneau Daneau et Hornbrook (ci-après « Charland »)

[30]        Ces derniers appuient Bell, ajoutant que la Requête no. 2 doit être suspendue, puisque leurs avocats sont mieux en mesure de représenter les intérêts des membres.

Les arguments du requérant Motzer

[31]        Monsieur Motzer estime qu'il n'existe pas actuellement de litispendance entre les deux dossiers, mais qu'une suspension du dossier Charland s'impose néanmoins dans l'intérêt de la justice.  

a) Y a-t-il litispendance entre la Requête no. 1 Amendée et la Requête no. 2?

[32]        Deux recours mûs entre les mêmes parties dont l'objet et la cause sont les mêmes ne sauraient procéder simultanément en parallèle puisqu'il en résulterait une multiplication inutile des frais et une possibilité de jugements contradictoires.

[33]        En vertu du Chapitre III du Titre II du Code de procédure civile, la litispendance fait partie des moyens préliminaires.  Le premier paragraphe de l'article 165 C.p.c. précise qu'il s'agit d'un moyen d'irrecevabilité de la demande.  Il convient, en principe, de présenter ce moyen avant de trancher des demandes d'autorisation parallèles en vue d'exercer un recours collectif[7].

[34]        Dans l'arrêt Hotte c. Servier Canada inc.[8], le juge Denis, aux motifs duquel souscrivaient les juges Vallerand et Robert, s'est penché sur l'application des règles de la litispendance relativement à des demandes concomitantes d'autorisation d'exercer un recours collectif. 

[35]        Il conclut que l'exception de litispendance s'applique en pareil cas, qu'elle obéit aux principes applicables à la chose jugée, mais qu'elle doit tenir compte des règles particulières au recours collectif.  Il convient de reproduire de larges extraits de cet arrêt[9] (Le Tribunal souligne.) :

L'examen du livre IX du Code de procédure civile portant sur le recours collectif m'amène aux constats suivants :

1. Deux recours collectifs ayant une même finalité ne peuvent être autorisés.

2. Aucune disposition de ce livre ne prévoit le cas de demandes d'autorisation concomitantes.

3. Sauf disposition incompatible contenue au livre IX, les moyens préliminaires prévus au Code de procédure civile sont applicables en matière de recours collectif : 1010.1 et 1051 C.p.c.

(…)

La litispendance

L'exception de litispendance obéit aux principes applicables à la chose jugée. Pour qu'il y ait litispendance, il doit y avoir identité de parties, d'objet et de cause (2848 C.c.Q.). La litispendance, si elle existe en l'espèce, doit être analysée en fonction des règles particulières au recours collectif. Ce recours se scinde en plusieurs phases dont la première est celle dite d'autorisation d'exercice.


L'objet véritable des requêtes visées par l'exception de litispendance est l'obtention d'une autorisation d'exercer un recours collectif.  L'objet de la demande à ce stade ne porte pas sur l'indemnisation des prétendues victimes. L'objet d'une demande en justice est le «bénéfice juridique immédiat qu'il veut faire reconnaître par le tribunal ».  Les parties en sont au stade préliminaire du recours collectif.  Mon collègue le juge LeBel le décrit avec justesse dans l'arrêt Thompson c. Masson comme suit :

Dans le cas d'un recours collectif, la procédure se décompose en plusieurs temps. La requête en autorisation constitue un mécanisme de filtrage et de vérification et seul un jugement favorable permettra la formation et l'exercice du recours. Avant que ce jugement ne soit rendu, le recours n'existe pas, du moins sur une base collective. À la différence de la plupart des recours judiciaires, dont le déclenchement est laissé à la seule initiative des parties, l'utilisation de sa forme collective exige une étape de vérification et de contrôle par la Cour supérieure, que l'on retrouve au titre II du livre IX du Code de procédure civile (Art. 1002 à 1010.1). Ce n'est qu'après le jugement d'autorisation que se déclenche le recours. Celui-ci se forme selon les règles ordinaires, sous réserve de certaines modalités particulières prévues par le Code de procédure civile (voir art. 1011 C.P.). (Référence omise.)

Il est important pour la solution du litige de retenir que le véritable objet des différentes requêtes est d'obtenir l'autorisation d'exercer un recours collectif.

Il y a donc identité d'objet. L'identité de cause apparaît manifeste, les parties en conviennent. Reste à statuer sur l'identité des parties. Soit dit avec respect, je ne partage pas le point de vue de la juge de première instance qui conclut à l'absence d'identité de parties.

Madame la juge Claire L'Heureux-Dubé rappelle que c'est l'identité juridique des parties qui est exigée pour l'application de la présomption de la chose jugée.

Cela ne signifie pas que les parties doivent être physiquement identiques dans les deux cas. C'est l'identité juridique des parties qui est exigée pour l'application de la présomption de chose jugée, comme l'explique Mignault, op. cit., à la p. 110; Et par identité des personnes, il faut entendre l'identité juridique et non pas l'identité physique. [En italique dans l'original.]  Nadeau et Ducharme, op. cit., au nº 573, p. 472, insistent sur cette distinction : Pour la chose jugée, il faut l'identité juridique des parties et non leur simple identité physique. L'une peut exister sans l'autre. Il y a identité juridique chaque fois qu'une personne représente une autre personne ou est représentée par elle. [Références omises.] (Voir également Langelier, op. cit., à la p. 259; Royer, op. cit., au n° 784, p. 290.) (Référence omise.)

À cette étape de la demande d'autorisation, les requérants n'ont pas le statut de représentant du groupe. C'est précisément cette reconnaissance qu'ils recherchent. C'est cependant en leur qualité de membre d'un groupe qu'ils formulent leur requête (1002 et 999 C.p.c.). Cette qualité de «membre d'un groupe» constitue leur véritable identité juridique. Conclure autrement permettrait à chaque membre d'un groupe de présenter sa propre requête sans qu'on puisse lui opposer la litispendance ou la chose jugée pour les requêtes ou les jugements obtenus par les autres membres du groupe. Je conclus donc à l'identité des parties.

i) L'objet des deux requêtes pour autoriser un recours collectif est-il identique?

[36]        Puisque le véritable objet des différentes requêtes est d'obtenir l'autorisation d'exercer un recours collectif, force est de conclure à l'identité d'objet.

ii) La cause des deux requêtes pour autoriser un recours collectif est-elle identique?

[37]        La cause constitue l'essence de la qualification juridique des faits allégués[10].

[38]        Les deux requêtes allèguent les mêmes faits générateurs d'action : des publicités trompeuses de Bell liées à la facturation de montants au-delà des prix annoncés pour ses services en contravention à la Loi sur la concurrence et à la LPC (ainsi qu'à d'autres lois provinciales), l'aveu extrajudiciaire par Bell de sa conduite fautive (par son paiement effectué à la suite d'une enquête du Bureau de la concurrence) et les conséquences préjudiciables pour les membres du groupe des contraventions alléguées. 

[39]        Les deux requêtes recherchent des condamnations de nature pécuniaire, soit des dommages-intérêts compensatoires et punitifs.  

[40]        La Requête no. 1 Amendée conclut à une condamnation à payer à chaque membre du groupe des dommages-intérêts de 1 $ pour les sommes payées en trop et de 100 $ pour leurs dommages moraux ainsi que des dommages exemplaires. 

[41]        La Requête no. 2 conclut à une condamnation à payer une somme équivalente aux frais prétendument obligatoires supplémentaires et la même somme à titre de dommages exemplaires et punitifs. 

[42]        Même si monsieur Motzer ne recherche pas de condamnation à des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice d'ordre moral, la cause de sa requête est contenue dans la Requête no. 1 Amendée.

[43]        Les fondements principaux des recours étant semblables, il y a à tout le moins identité apparente de cause.

iii) Les parties aux deux requêtes pour autoriser un recours collectif sont-elles identiques?

[44]        La véritable identité juridique de la personne qui recherche le statut de représentant est sa qualité de membre d'un groupe.

[45]        Les requérants dans les deux dossiers appartiennent à des groupes semblables, soit les personnes au Canada qui ont obtenu des services de Bell ou d'une entreprise reliée du 1er décembre 2007 au 29 juin 2011 (Requête no. 1 Amendée) ou depuis le 1er décembre 2007 (Requête no. 2).

[46]        Par ailleurs, en la matière, il suffit que la même intimée soit poursuivie dans les deux dossiers pour conclure à l'identité de parties[11].

[47]        Ainsi, plusieurs membres et Bell risquent d'être liés par des jugements contradictoires. 

[48]        Il y a donc identité de parties.

[49]        Il y a certainement apparence de litispendance, sinon litispendance.

b) La conséquence

[50]        Dans l'arrêt Servier, le juge Denis conclut qu'il serait imprudent de rejeter une requête en autorisation au motif de la litispendance avant qu'il soit disposé d'une autre requête semblable, et il préconise plutôt sa suspension[12] :

Ayant conclu à la triple identité requise pour faire droit à l'exception de litispendance, y a-t-il lieu en conséquence de rejeter les requêtes déposées postérieurement à celle de Hotte?


Je n'estime ni approprié, ni prudent à ce stade de le faire. Les critères d'octroi d'autorisation énoncés à l'article 1003 C.p.c. portent à la fois sur des questions de fond et de pure procédure. Le jugement à venir pourrait, à titre d'exemple, rejeter une requête parce que le tribunal estimerait que le requérant n'est pas en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres. Ce faisant, le jugement trancherait un aspect procédural sans se prononcer sur le fond des autres aspects de la requête. En pareille circonstance, personne ne soutiendrait alors qu'il y aurait chose jugée empêchant un autre membre mieux qualifié de présenter une même requête aux mêmes fins.

La Cour a reconnu qu'il n'y a pas chose jugée à l'encontre d'un jugement qui rejette une action pour des motifs procéduraux sans se prononcer sur le fond du litige.(référence omise.)  En l'espèce, le fond du litige à l'occasion d'une demande d'autorisation porte plutôt sur les trois premières conditions énumérées à l'article 1003 C.p.c. Même à l'égard de ces dispositions, la prudence est de mise. Il est impossible de connaître avec exactitude la teneur du jugement à venir et le cadre juridique du recours collectif qui sera décrit par le juge saisi de l'affaire. Il y a donc lieu, en cas de doute, de retenir l'enseignement de monsieur le juge Gonthier dans l'arrêt Rocois:

Cela dit, je crois qu'un dernier commentaire s'impose avant de conclure mes motifs. Bien que les critères applicables à la chose jugée régissent également la litispendance, il convient de garder à l'esprit que le fondement de l'analyse est essentiellement différent en cette dernière matière. Lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a chose jugée, le tribunal saisi a à sa disposition un jugement dont il peut évaluer les termes et la portée, ce qui lui permet de cerner de manière précise l'autorité relative de chose jugée qui devrait lui être reconnue. En matière de litispendance, les seuls guides dont dispose le tribunal sont les actes de procédure soumis dans les deux instances. Il en résulte que la détermination de la cause repose sur des allégations que l'on doit tenir pour avérées aux fins de l'analyse. La qualification juridique donnée aux faits à ce stade préliminaire relève en conséquence du domaine de l'hypothèse et pour cette raison, il s'agit d'un exercice délicat commandant une grande prudence. Car le rejet erroné d'une action pour cause de litispendance entraîne la négation définitive des droits d'un justiciable, sans examen de l'affaire au mérite. Les graves conséquences qui en découlent exigent de conclure en cas de doute au rejet de ce moyen préliminaire, laissant au défendeur la possibilité de soulever le moyen relatif à la chose jugée par la suite. En l'espèce, je n'ai aucun doute sur la présence des trois identités. (Référence omise.)

Il m'apparaît approprié, dans les circonstances, de suspendre les requêtes de Idlin et de l'ACEF jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête de Hotte laissant par la suite aux parties la possibilité de soulever la présomption de la chose jugée à l'encontre de ces deux requêtes, s'il y a lieu.

 

(…)

 

La Cour supérieure aurait dû conclure à une apparence de litispendance et utiliser sa compétence inhérente pour ordonner la suspension des dossiers d'Idlin et de l'ACEF. La Cour a reconnu le pouvoir des tribunaux de première instance de contrôler leurs dossiers en confirmant la décision prise de ne pas porter au rôle une cause faisant l'objet d'un recours basé sur les mêmes faits.(référence omise.)  Nous avons appliqué une décision similaire dans l'arrêt Bello c. David (référence omise).

Quel recours suspendre?

[51]        Les procureurs de madame Charland invitent le Tribunal à suspendre la Requête no. 2 en appliquant la règle de l'antériorité du recours (« first-to-file rule »).  Ils invoquent également leur expertise en matière de recours collectifs, leurs ressources, dont une alliance stratégique avec le cabinet Siskinds LLP, leurs démarches jusqu'ici dans le dossier ainsi qu'une conduite plus compatible avec l'intérêt des membres du groupe que celle du procureur de monsieur Motzer.

[52]        Celui-ci tire à boulets rouges sur la Requête no. 1 et la Requête no. 2 ainsi que sur ses confrères.  Il met en relief les faiblesses de ces requêtes et critique grandement la capacité personnelle de madame Charland d'agir comme représentante, ajoutant que ses confrères ne méritent pas qu'on leur confie la responsabilité d'agir en demande.  Il invoque à ce titre un jugement récent qui déboute madame Charland entièrement et avec dépens d'un recours où elle alléguait avoir été victime d'oppression à titre d'actionnaire et qui la condamne à des dommages-intérêts pour abus d'ester en justice (frais de défense et préjudice moral) alors qu'elle était représentée par les mêmes procureurs que maintenant[13].

 

[53]        Selon lui, ces faiblesses et ce choix inapproprié témoignent d'un empressement malencontreux à déposer la Requête no. 1 sans préparation suffisante : aucune allégation n'appuie la demande de dommages moraux et aucun fondement juridique n'est offert au soutien de la réclamation de dommages exemplaires.  La Requête no. 1 a donc dû être amendée substantiellement. 

[54]        Quant à la Requête no. 1 Amendée, il souligne que les amendements relatifs à la Loi sur la concurrence ne donneraient pas ouverture aux conclusions recherchées, car l'article 74.01 de la Loi sur la concurrence ne fait pas partie de la section VI de la loi, de sorte que les recours prévus aux articles 36 et 52 seraient inapplicables.

[55]        Référant à l'arrêt Bouchard c. Agropur Coopérative[14], il met en doute la validité juridique de l'ajout de défendeurs sans lien de droit avec chaque représentant. 

[56]        De plus, la Requête no. 1 Amendée ne présenterait pas de fondement juridique national : la Loi sur la protection du consommateur et la notion de contrat d'adhésion qui y sont invoqués sont propres au Québec et les requérants ne résident pas dans toutes les provinces canadiennes.  Au contraire, la Requête no. 2 se fonde sur la Loi sur la concurrence, une loi fédérale, qui constitue une assise juridique commune au recours de tous les membres au Canada.  Enfin, il souligne le soin apporté à la rédaction de la Requête no. 2, entre autres, en ce qui a trait à la quantification des dommages-intérêts réclamés en conséquence du préjudice que les membres allèguent avoir subi.

[57]        Dans Smith v. Sino-Forest Corporation[15], le juge Perrell indique qu'en Ontario, le tribunal saisi de plusieurs requêtes pour autoriser un recours collectif n'est pas tenu de suspendre celles qui suivent la première.  

[58]        Voici comment il décrit les débats contradictoires tenus à cet égard entre les procureurs de divers représentants du même groupe de membres en présence des procureurs de leurs adversaires :

[2]         Practically speaking, carriage motions involve two steps.  First, the rival law firms that are seeking carriage of a class action extoll their own merits as class counsel and the merits of their client as the representative plaintiff.  During this step, the law fims explain their tactical and strategic plans for the class action, and, thus, a carriage motion has aspects of being a casting call or rehearsal for the certification motion.

[3]         Second, the rival law firms submit that with their talent and their litigation plan, their class action is the better way to serve the best interests of the class members, and, thus, the court should choose their action as the one to go forward.  No doubt to the delight of the defendants and the defendants' lawyers, which have a watching brief, the second step also involves the rivals hardheartedly and toughly reviewing and criticizing each other's work and pointing out flaws, disadvantages, and weaknesses in their rivals' plans for suing the defendants.

[59]        En principe, ces débats délicats visent à servir les intérêts de la justice, dont ceux des membres, mais en pratique, ils risquent de nuire aux intérêts de ces derniers. 

[60]        Dans le cas présent, à l'évidence, il ne saurait être question pour les procureurs occupant dans les deux dossiers de faire équipe dans l'intérêt commun des membres du groupe.

[61]        Les procureurs se rejoignent toutefois sur un aspect essentiel : l'une des deux requêtes pour autorisation d'exercer un recours collectif doit être suspendue.

[62]        Ces requêtes sont intentées au Québec, mais chacune regroupe des membres résidant ailleurs au Canada. 

[63]        Au Québec, la relation entre la règle de l'antériorité du recours et le pouvoir discrétionnaire du juge saisi de la gestion particulière d'un dossier en matière de recours collectif reste à approfondir[16], notamment à la lumière du rôle du tribunal relativement à la sauvegarde des intérêts des membres du groupe[17].

[64]        Dans l'affaire Melley c. Toyota Canada inc.[18] où l'intimée plaidait litispendance entre un recours ouvert au Québec et des recours collectifs semblables ouverts dans d'autres provinces, le juge Mayer a constaté l'application (jusqu'alors[19]) invariable au Québec de la règle de l'antériorité du recours :

[42]       Une autre caractéristique propre au Québec milite en faveur de la continuité du recours intenté au Québec. Il s'agit de la règle appelée « first to file rule » qui tend à favoriser la première requête déposée advenant une situation de litispendance.[20]  Étant donné que le recours intenté au Québec l'a été en premier, ce dernier ne devrait pas être suspendu. D'ailleurs, lorsque l'on ordonne la suspension du recours, celle-ci vise toujours le second recours jusqu'à ce que l'on statue sur la première demande d'autorisation.[21]

[65]        Ainsi, à la lumière de l'arrêt Hotte et de la jurisprudence ultérieure, lorsqu'il y a apparence de litispendance entre plusieurs requêtes en autorisation d'exercer un recours collectif, la première devrait être entendue et toute requête subséquente suspendue.

[66]        Les intérêts de la justice et ceux des membres ne seraient pas mieux servis en suspendant la première requête en faveur de la seconde.

[67]        Dans le cas présent, lorsque la Requête no. 1 Amendée aura été signifiée d'ici quelques jours, les requêtes seront au même point d'avancement dans les deux dossiers, c'est-à-dire en attente d'une date d'audition.

[68]        Or, la Requête no. 1 Amendée est plus englobante que celle de monsieur Motzer, entre autres, puisqu'elle recherche la responsabilité de deux autres intimées en plus de Bell, que ses représentants potentiels résident dans plus d'une province et que les périodes pendant lesquelles ceux-ci ont été sous contrat avec l'une ou l'autre des intimées sont plus étendues.

[69]        Il serait prématuré et inopportun de se prononcer avant l'audition des requêtes sur leur bien-fondé apparent ou sur leurs faiblesses apparentes, même si ce n'était qu'à première vue. 

[70]        Les critiques soulevées par le procureur de monsieur Motzer pourront être plaidées par les intimées lors de la présentation de la Requête no. 1 Amendée.  Si l'autorisation est refusée, monsieur Motzer pourra ensuite présenter sa requête.

Les frais

[71]        Seuls les procureurs de Bell Canada auront droit aux dépens, puisque les requérants dans les deux dossiers recherchent en principe le même intérêt[22].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

1) Dans le dossier 500-06-000572-111 (le dossier « Charland ») :

AUTORISE les amendements demandés par la requête pour permission d'amender datée du 21 février 2012;

ORDONNE à la partie requérante de déposer au dossier de la Cour dans les dix jours du présent jugement et de signifier aux procureurs des intimées une « Requête amendée pour autorisation d'exercer un recours collectif et pour être représentant » conforme au projet accompagnant la requête pour permission d'amender datée du 21 février 2012;

Sans frais.

2) Dans le dossier 500-06-000573-119 (le dossier « Motzer ») :

ORDONNE la suspension des procédures judiciaires dans le dossier 500-06-000573-119 jusqu'à ce qu'un jugement final intervienne sur la « Requête amendée pour autorisation d'exercer un recours collectif et pour être représentant » dans le dossier 500-06-000572-111.

Avec dépens en faveur de Bell Canada uniquement.

 

 

 

 

__________________________________

LOUIS-PAUL CULLEN, j.c.s.

 

Mes Guy Paquette et Karine St-Louis

Paquette Gadler Inc.

Me Daniel Bach

Siskinds LLP

Procureurs de madame Charland

 

Me James R. Nazem

NBL Legal Inc.

Procureur de monsieur Motzer

 

Mes Emmanuelle Poupart et Philippe Dufort-Langlois

McCarthy Tétrault s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Procureurs de Bell Canada

 

Date d’audience :

28 juin 2012

 



[1] L.R.Q., c. P-40.1.

[2] L.R.C. (1985) c. C-34.

[3] Article 1010.1 C.p.c. :  À moins que le contexte n'indique un sens différent, les dispositions du Titre III s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, au présent Titre.  Article 1016 C.p.c. : Le représentant ne peut amender un acte de procédure, se désister totalement ou partiellement de la demande, d'un acte de procédure ou d'un jugement, sans l'autorisation du tribunal et qu'aux conditions que celui-ci estime nécessaires.

[4] Cloutier c. Infineon Technologies a.g., 2006 QCCS 3322 , paragr. 60-61.

[5] Willmor Discount Corp. c. Vaudreuil (Ville), [1994] 2 R.C.S. 210 , 226 et 227.

[6] Voir les autorités citées dans Sirois c. Menu Foods Income Fund, 2007 QCCS 5808 , paragr. 63 et l'article 2900 C.c.Q.

[7] Gauthier c. General Motors du Canada Limitée, [2005] J.Q. no 15986 (C.S.), par. 17.

[8] Hotte c. Servier Canada inc., [1999] R.J.Q. 2598 (C.A.).

[9] Hotte c. Servier Canada inc., préc., note 8, p. 2600 et 2601.

[10] Rocois construction inc. c. Québec ready mix inc., [1990] 2 R.C.S. 440 , 456.

[11] Cloutier c. Infineon Technologies a.g., préc., note 4, paragr. 40; Royer-Brennan c. Apple Computer Inc., 2006 QCCS 2451 , paragr. 25-28 et Option consommateurs c. Banque de Montréal, 2006 QCCS 1398 , paragr. 24-25 (permission d'appel refusée, 2006 QCCA 682 ).

[12] Hotte c. Servier Canada inc., préc., note 8, p. 2601 et 2602.

[13] Charland c. Lessard, 2012 QCCS 2547 (5 juin 2012). Inscription en appel, 2012-07-04 (C.A.), 500-09-022827-125.  Aucune faute n'a été retenue à l'encontre des défendeurs. Madame Charland n'a payé aucun honoraire (paragr. 279).  Elle a entrepris une « croisade » (paragr. 284) alors qu'une requête en jugement déclaratoire aurait été une procédure adéquate et nettement moins onéreuse (paragr. 272 et 273) : sa réclamation contre trois défendeurs ne présentait aucune chance de succès et constitue un abus d'ester en justice (paragr. 431), alors que son recours contre les autres défendeurs était disproportionné (paragr. 432 et 445) et démesuré (paragr. 441).

[14] Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342 .

[15] Smith v. Sino-Forest Corporation, 2012 ONSC24, paragr. 17.

[16] Voir la note de bas de page 23 dans Lebrasseur c. Hoffmann-La Roche ltée, 2011 QCCS 5457 : « Dans Labrèque c. General Motors of Canada, 2011 QCCA 617 , par. 5, le juge Dufresne souligne que la Cour d’appel n’a pas encore été appelée à se prononcer sur l’applicabilité de la règle de l’antériorité des recours dans le contexte de recours nationaux. ».  Cet arrêt est rendu le 30 mars 2011.

[17] Cloutier c. Infineon Technologies a.g., préc., note 4, paragr. 56-59; Sirois c. Menu Foods Income Fund, préc., note 6, paragr. 69-71 et Schmidt c. Depuy International Ltd., 2011 QCCS 1533 , paragr. 6 et 8-14 (permission d'appel accordée : Schmidt c. Depuy International Ltd., 2011 QCCA 1133 (j. Kasirer)).

[18] Melley c. Toyota Canada inc., 2011 QCCS 1229 .  Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A., 2011-05-05), 500-09-021600-119, 2011 QCCA 829 .  Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2011-12-08), 34364. 

[19] La décision du juge Mayer est rendue le 18 mars 2011, trois jours avant celle du juge de Grandpré dans Schmidt c. Depuy International Ltd., préc., note 17.

[20]    Daniel BELLEAU et Maxime NASR, « Les recours collectifs concurrents en droit interne - Mais qui donc se souciera des membres? », dans S.F.C.B.Q., vol. 278, Développements récents en recours collectifs, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007,  p. 189.

[21]    Éric DUNBERRY et Christine LEBRUN, « L'exception de litispendance au stade de la requête en autorisation d'exercer un recours collectif au Québec »,  dans Colloque sur les recours collectifs, Association du Barreau canadien - Division Québec, Montréal, 2006, p. 91; voir au même effet Option Consommateurs c. Pfizer Canada inc., [2005] No. AZ-50335462 , par. 23 (C.S.).

[22] Voir Hotte c. Servier Canada inc., préc., note 8, p. 2603.

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