Décision

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CHSLD juif de Montréal c

CHSLD juif de Montréal c. Entreprises Francer inc.

2008 QCCA 2402

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-017810-078

(500-17-018230-030)

 

DATE :

12 décembre 2008

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

J.J. MICHEL ROBERT, J.C.Q.

JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

 

c.h.s.l.d. juif de montréal

APPELANT - défendeur

c.

 

ENTREPRISES FRANCER INC.

INTIMÉE - demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]                LA COUR; - Statuant sur le pourvoi contre un jugement prononcé le 22 mai 2007, par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Sylviane Borenstein), qui a condamné l'appelant à payer à l'intimée, 65 000 $ avec intérêts au taux de 12 % l'an, à compter du 1er mai 2002.

[2]                Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;

[3]                Pour les motifs du juge en chef, auxquels souscrivent les juges Baudouin et Hilton;

[4]                ACCUEILLE l'appel;

[5]                RENVOIE le dossier en première instance afin de déterminer le montant des dommages;

[6]                LE TOUT sans frais, vu les circonstances.

 

 

 

 

J.J. MICHEL ROBERT, J.C.Q.

 

 

 

 

 

JEAN-LOUIS BAUDOUIN, J.C.A.

 

 

 

 

 

ALLAN R. HILTON, J.C.A.

 

Me Gilles Poulin

Pour l'appelant

 

Me Michel Lachance

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

16 octobre 2008

 


 


 

 

MOTIFS DU JUGE EN CHEF

 

 

[7]                L'appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 22 mai 2007, par la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Sylviane Borenstein), qui le condamne à payer à l'intimée, 65 000 $ avec intérêts au taux de 12 % l'an, à compter du 1er mai 2002.

FAITS

[8]                L'appelant est un centre hospitalier de soins de longue durée.

[9]                L'intimée est une entreprise de consultants spécialisée dans la gestion des services de buanderie en milieu institutionnel et hospitalier.

[10]           Le 31 janvier 2001, les parties concluent un contrat de service (ci-après « Contrat »), effectif en date du 18 décembre 2000, d'une durée de cinq ans qui est en vigueur du 1er janvier 2001 jusqu'au 31 décembre 2005. Les parties peuvent y mettre fin après la troisième année à moins d'un avis remis par écrit 90 jours avant l'expiration[1].

[11]           Le 25 octobre 2001, à la suite d'une rencontre entre les parties, l'intimée suggère à l'appelant une série d'options afin de générer des économies dans le service de buanderie.

[12]           Le 13 avril 2002, l'intimée met en demeure l'appelant de respecter le Contrat puisque cette dernière a mis unilatéralement fin au service de lavage des vêtements des bénéficiaires par voie de communiqué en date du 15 mars 2002.

[13]           Le 17 mai 2002, France Laroche (ci-après « Laroche »), directrice des finances et des services techniques de l'appelant, signale à l'intimée que plusieurs des options proposées par l'intimée sont retenues et entreront en vigueur à compter du 1er avril 2002.

[14]           De plus, elle indique que le contrat est modifié par les clauses (options) mentionnées et que l'appelant est prêt à signer une nouvelle entente en fonction des clauses non touchées.

[15]           Le 28 mai 2002, l'appelant affirme que les changements entrepris sont le résultat de discussions et de rencontres entre les parties.

[16]           Le 28 juin 2002, l'intimée écrit à l'appelant pour lui indiquer que la décision unilatérale de réduire les sommes payables ne peut plus durer.

[17]           Le 4 juillet 2002, l'intimée avance que l'appelant exige un service de buanderie complet sans respecter le contrat signé par les parties.

[18]           Le même jour, l'appelant réitère sa position exprimée le 28 mai 2002 voulant que les changements au contrat aient été négociés et qu'il y ait entente à ce sujet.

[19]           Le 25 septembre 2003, conformément à l'article 4.1 du contrat intervenu entre les parties le 18 décembre 2000[2], Laroche envoie un avis écrit à l'intimée lui signifiant son intention de mettre un terme au contrat, sans dommage compensatoire, à compter du 1er janvier 2004.

[20]           Lors du procès, une objection a été soulevée par l'appelant, prise sous réserve par la juge d'instance, quant à la valeur probante des états financiers.

JUGEMENT DONT APPEL

[21]           La juge de première instance affirme que Laroche a modifié le contrat sous prétexte qu'une entente avait été conclue avec l'intimée.

[22]           La première juge affirme que la preuve démontre que l'intimée s'est systématiquement opposée aux changements effectués de manière unilatérale et qu'elle a toujours refusé la signature d'une nouvelle entente, laissant ainsi le contrat initial en vigueur[3].

[23]           La juge du procès souligne que la preuve indique que l'appelant n'a pas respecté ses obligations contractuelles et s'est comporté de manière à ne pas respecter la clause 4.2 du contrat intervenu entre les parties.

[24]           La première juge repousse la théorie de l'appelant voulant que les options suggérées par l'intimée constituent une proposition de changements acceptée par l'intimée.

QUESTIONS EN LITIGE

[25]           Les questions posées par l'appelant sont les suivantes :

1.       La juge de première instance aurait-elle dû conclure à l'absence de preuve de dommages?

2.       La juge du procès a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que l'intimée avait droit à la perte de profit réclamée?

3.       La première juge a-t-elle commis des erreurs manifestes et déterminantes dans l'interprétation de la preuve?

a)   La juge a-t-elle erré en concluant qu'il n'y avait pas eu d'entente sur les changements proposés?

b)   Même s'il n'y avait pas eu d'entente, la juge aurait-elle dû considérer le comportement des parties comme une terminaison unilatérale du contrat de service?

4.       La juge a-t-elle erré en concluant que les intérêts devaient courir à compter du 1er mai 2002?

PRÉTENTIONS DES PARTIES

[26]           En se basant sur des extraits de deux lettres (celle du 2 septembre 2001 et du 25 octobre 2001), l'appelant prétend qu'il n'y a aucune ambiguïté, à savoir si une nouvelle entente est intervenue entre les parties, laquelle remplacerait le Contrat.

[27]           Elle considère que le contrat est soit résolu et remplacé par un nouveau contrat ou bien résolu partiellement pour n'en conserver que certains éléments, lesquels sont mentionnés dans la lettre du 17 mai 2002.

[28]           S'il y avait une entente entre les parties portant sur une modification du contrat ou sur un nouveau contrat, l'appelant affirme qu'il n'y a pas lieu d'indemniser l'intimée pour une perte de profit. Cependant, s'il y a eu terminaison unilatérale du contrat, l'appelant pouvait, affirme-t-elle, se prévaloir de son droit de résilier le contrat en vertu de l'article 2125 C.c.Q.

[29]           Puis, elle prétend que la preuve des dommages basée uniquement sur des états financiers non vérifiés ne peut être retenue par le premier juge. D'ailleurs, l'appelant a formulé une objection à cette preuve qui a été prise sous réserve par la première juge.  Toutefois, cette dernière ne l'a pas analysée dans son jugement.

[30]           Tablant sur le fait que les dommages subis par l'intimée ne l'ont été qu'en partie chaque mois, l'appelant affirme que le montant accordé par la première juge pour les intérêts est erroné.

[31]           Pour sa part, l'intimée prend appui sur l'article 1439 du Code civil du Québec en mettant l'emphase sur l'accord nécessaire entre les parties pour modifier un contrat. Elle souligne également que la clause 4.2 in fine du contrat prévoit que « [à] défaut d'entente, les dispositions du contrat alors en vigueur demeureront applicables sans modification ».

[32]           Elle affirme que l'appelant a fait passer la rétribution pour les services de buanderie-lingerie de 29 918 $ à 9 499,89 $ sans entente écrite.

[33]           De plus, elle avance que la lettre du 23 septembre 2003 constitue un aveu confirmant que le contrat est toujours en vigueur et n'a pas été modifié.

[34]           Par ailleurs, elle affirme que la rupture de contrat est prouvée et prétend avoir droit à des dommages en vertu de l'art. 1458 C.c.Q.

[35]           En ce qui concerne les états financiers, l'intimée affirme que le témoin Guilbault était habile à témoigner de la situation financière de la compagnie puisqu'il s'agit d'une one man company. Ce dernier avait apporté une quinzaine de boîtes contenant toutes les informations et documents pour appuyer ses dires.

[36]           Selon l'intimée, les bénéfices après impôt représentés par les états financiers s'évaluent à 40 780 $ pour 2001, à 11 991 $ pour 2002 et à 3 869 $ pour 2003.

[37]           Elle prétend que plusieurs gestes posés par l'appelant soutiennent le fait qu'elle demande une somme additionnelle de 20 000 $ à titre de tracasseries et inconvénients en invoquant la bonne foi qui doit gouverner la conduite des parties[4].

ANALYSE

[38]           Les moyens d'appel dans la présente affaire portent essentiellement sur l'évaluation de la preuve de même que sur les conclusions qu'en a tirées la première juge.

[39]           Seule une erreur manifeste et déterminante autorise la Cour à intervenir pour une question mixte de fait et de droit[5]. Elle doit être évidente.

[40]           La juge de première instance commet une erreur manifeste et déterminante en accordant 65 000 $ pour perte de profit puisque la seule preuve disponible repose sur des états financiers non vérifiés. 

[41]           Il est vrai que la juge de première instance ne fait pas directement état dans son jugement du fait qu'elle s'appuie sur les états financiers produits pour arriver à ses conclusions. Ainsi, bien que l'erreur soit attribuable à l'évaluation de la preuve, plus particulièrement aux états financiers qui ne sont pas mentionnés dans le jugement de la première juge, il m'apparaît tout de même que le caractère implicite de cette erreur ne la rende pas moins évidente. En effet, tenant compte de la retenue dont doit faire preuve notre Cour face à des inférences de faits[6], les états financiers non vérifiés en l'espèce ne peuvent confirmer la perte de profit de l'intimée. La plus haute Cour citant l'arrêt Van de Perre dans l'arrêt Housen note que « […] le juge de première instance doit avoir oublié, négligé d'examiner ou mal interprété la preuve de telle manière que sa conclusion en a été affecté »[7].  Or, il m'apparaît que la juge du procès dans la présente affaire a effectivement mal interprété la preuve en accordant une force probante beaucoup trop élevée aux états financiers non vérifiés.

[42]           Les deux états financiers préparés par le comptable Michel Sylvestre pour les années 2001 et 2002 sont des examens, contenant un avis au lecteur, et non des vérifications.

[43]           Contrairement à la vérification qui donne une certaine crédibilité à des états financiers, comme le souligne l'auteur Sarrazin, leur examen « […] ne constitue pas une vérification, l'expert-comptable n'exprime pas une opinion de vérificateur sur ces états financiers »[8].

[44]           La vérification des états financiers, selon les normes de vérification généralement reconnues (N.V.G.R.)[9], permet au comptable d'être « […] garant à l'égard des tiers de l'exactitude et de la véracité des chiffres fournis par son client »[10].   Or, en l'espèce, l'état financier préparé par Daniel Guilbault pour l'année 2003 n'est pas une vérification en bonne et due forme.  En effet, les normes généralement reconnues mentionnées sans le vocable « vérification » par Daniel Guilbault, frère de l'alter ego de l'intimée, sont des termes génériques utilisés dans d'autres contextes.  En somme, la fiabilité des informations fournies par l'intimée n'a pas été vérifiée selon une acception comptable du terme.

[45]           L'auteur Martel écrit que :

Sous le Code civil du Québec, les états financiers sont des « écrits non instrumentaires » pouvant être admis en preuve contre la compagnie à titre d'aveu ou de témoignage. 

À ce titre, leur force probante est laissée à la discrétion du tribunal, et ils peuvent être contredits par tous moyens.  Des états financiers non vérifiés peuvent être assimilés à du ouï-dire, puisqu'ils sont dressés sur la seule foi de représentations de certains administrateurs ou dirigeants.[11]

[références omises]

[46]           Ainsi, contrairement aux documents établis dans le cours des activités d'une entreprise qui constitue une exception au ouï-dire[12], des états financiers non vérifiés n'échappent pas à la règle générale et

[ils] sont moins fiables que des états financiers vérifiés, puisqu'ils sont sommaires, moins fouillés et l'opinion qui en résulte n'a pas le même poids.  Il y a un certain risque qu'ils soient mal fondés malgré un examen bien conduit.[13]

[47]           Ainsi, j'estime que l'objection formulée par l'appelant relativement à la production des états financiers, mentionnée au paragraphe [29], doit être accueillie. De plus, il m'apparaît que M. Guilbault n'était pas le témoin compétent pour les produire. Par souci de justice et d'équité, eu égard au fait que l'intimée n'a pu défendre la validité de ses états financiers puisque l'objection à cet égard est restée lettre morte dans le jugement de première instance, je suis d'avis de renvoyer le dossier en première instance afin de permettre la preuve légale pour établir le montant des dommages. Considérant cette conclusion, il est alors inutile de traiter des autres questions.

[48]           Cependant, j'estime nécessaire de dire quelques mots sur la question soulevée par l'appelant relativement à l'interprétation de la preuve de la juge de première instance concernant le comportement et la prétendue entente intervenue entre les parties.

[49]           Comme l'a rappelé notre Cour, il faut se garder de conclure hâtivement à une entente, et ce, même « [s]i la ratification d'un contrat peut être implicite, il demeure qu'elle doit être non ambiguë »[14]. Bien que l'intimée ait continué de dispenser ses services malgré les difficultés à se faire payer, la preuve ne nous permet pas de conclure que le comportement des parties équivaut implicitement à un acquiescement à la modification du contrat[15].

[50]           Certes, le Code civil ne souffre pas d'ambiguïté à propos de la résiliation unilatérale d'un contrat de service par le client[16], ce dernier devant payer les frais et dépenses actuels encourus[17], mais il n'en demeure pas moins qu'il est clair que le législateur a prévu que le contrat ne peut être modifié sans l'accord des parties[18].

[51]           Or, il ressort de la preuve, comme l'évoque la juge du procès[19], que l'intimée s'est systématiquement opposée à toute modification du contrat en poursuivant notamment la facturation des montants prévus à celui-ci. Ceci sans compter que ce dernier prévoit que l'absence d'entente implique une continuation de celui-ci sans modification[20]. Par ailleurs, je suis d'avis que les propos tenus dans la lettre envoyée par l'appelant en date du 25 septembre 2003 constituent un aveu. Cet aveu constitue un commencement de preuve[21] qui rend plus que vraisemblable le fait que le contrat signé le 31 janvier 2001 est toujours en vigueur.

[52]           Cependant, aussi valable que soit le raisonnement de la première juge relativement à l'absence d'entente, il serait imprudent d'avaliser ses conclusions puisqu'elles auraient pour effet de banaliser l'importance de la vérification des états financiers, puisque ceux-ci constituent en l'espèce l'unique preuve sur laquelle elle s'appuie pour arriver à ses conclusions.

[53]           Pour ces motifs, je propose d'accueillir l'appel, de renvoyer le dossier en première instance afin de déterminer le montant des dommages. Le tout sans frais, vu les circonstances.

 

 

 

J.J. MICHEL ROBERT, J.C.Q.

 

 



[1]     Clause 4.1 du contrat de service.

[2]     Cette clause prévoit la « […] possibilité de mettre fin audit contrat après la troisième années [sic] à moins d'avis remis par écrit 90 jours avant l'expiration.

[3]     Jugement dont appel, paragr. 7.

[4]     Art. 1375 C.c.Q.

[5]     Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235 .

[6]     Ibid.

[7]     Ibid., paragr. 39.

[8]     États financiers, fiscalité corporative, faillite et insolvabilité, Collection de droit 2008-2009, vol. 10, chapitre I, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2008, p. 38-39.

[9]     Celles-ci ne doivent pas être confondues avec les principes comptables généralement reconnus du Canada (P.C.G.R.).  Ces principes et ces normes font tous deux parties du Manuel de l'ICCA.  À ce sujet, ibid., p. 38.

[10]    Caisse populaire de Charlesbourg c. Michaud, [1990] R.R.A. 531 , p. 8.

[11]    M. Martel et P. Martel, La compagnie au Québec : les aspects juridiques, Vol. 1, édition spéciale, 2006, p. 28-15 [caractères gras ajoutés].

[12]    Art. 2870 al. 3 C.c.Q.

[13]    Gestion Stacy inc. c. Construction Beaudoin 1977 inc., [2002] D.T.E. 2003T-46 (C.S.), paragr. 64, conf. par [2004] D.T.E. 2004T-677 (C.A.).

[14]    Groupe Urgence sinistre c. Renaud, [2005] J.E. 2005-533 (C.A.), paragr. 21.

[15]    Groupe Sutton-Action inc. c. Groupe S.M. inc., [2004] R.D.I. 806 (C.S.), paragr. 42.

[16]    Art. 2125 C.c.Q.; Voir notamment Société canadienne des postes c. Morel, [2004] R.J.Q. 2405 (C.A.) (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée).

[17]    Art. 2129 al. 1 C.c.Q.; Pelouse Agrostis Turf inc. c. Club de golf Balmoral, [2003] R.J.Q. 3043 (C.A.), paragr. 20.

[18]    Art. 1439 C.c.Q. in fine.

[19]    Jugement dont appel, paragr. 7.

[20]    Clause 4.2, supra note 1.

[21]    Art. 2865 C.c.Q.

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