2158-3331 Québec inc. c. Placements Gilles Jean inc. |
2014 QCCS 2040 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
GASPÉ |
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N° : |
110-17-000625-138 |
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DATE : |
12 mai 2014 |
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L’HONORABLE |
BERNARD GODBOUT, j.c.s. |
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2158-3331 QUÉBEC INC. |
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155, Place du Quai |
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Percé (Québec) G0C 2L0 |
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Demanderesse c. |
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LES PLACEMENTS GILLES JEAN INC. |
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155, Place du Quai |
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Percé (Québec) G0C 2L0 |
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Défenderesse
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JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE EN INJONCTION INTERLOCUTOIRE PROVISOIRE |
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[1] La demanderesse, 2158-3331 Québec inc., présente une requête en injonction interlocutoire et demande qu’elle soit émise provisoirement sous la forme d’une ordonnance de sauvegarde enjoignant la défenderesse, Les Placements Gilles Jean inc., «de quitter et/ou cesser l’occupation des commerces désignés comme étant La Maison du Pêcheur et Café de l’Atlantique situés au 155, Route 132, à Percé, de (lui) donner accès auxdits commerces, de remplacer les anciennes serrures sur chacune des portes (leur) donnant accès, de replacer les anciens codes de sécurité, de cesser tout autre obstacle restreignant l’occupation des desdits commerces à la demanderesse et de remettre les lieux dans leur état antérieur».
[2] Ce recours en injonction intervient dans le contexte d’un litige qui oppose la demanderesse et la défenderesse, litige exposé dans la requête introductive d’instance du 6 juin 2013, ainsi que dans la défense et demande reconventionnelle du 7 mai 2014, deux procédures faisant partie du présent dossier.
[3] Le recours en injonction interlocutoire provisoire repose sur les articles 752 et 753 du Code de procédure civile :
752. Outre l'injonction qu'elle peut demander par requête introductive d'instance, avec ou sans autres conclusions, une partie peut, au début ou au cours d'une instance, obtenir une injonction interlocutoire.
L'injonction interlocutoire peut être accordée lorsque celui qui la demande paraît y avoir droit et qu'elle est jugée nécessaire pour empêcher que ne lui soit causé un préjudice sérieux ou irréparable, ou que ne soit créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace.
753. La demande d'injonction interlocutoire est faite au tribunal par requête écrite appuyée d'un affidavit attestant la vérité des faits allégués et signifiés à la partie adverse, avec un avis du jour où elle sera présentée. Dans les cas d'urgence, un juge peut toutefois y faire droit provisoirement, même avant qu'elle n'ait été signifiée. Toutefois, une injonction provisoire ne peut en aucun cas, sauf du consentement des parties, excéder 10 jours.
[4] Les critères de l’analyse préalable à l’émission d’une injonction interlocutoire au stade provisoire sont les suivantes :
- l’urgence;
- l’apparence de droit;
- le préjudice sérieux ou irréparable;
- la balance des inconvénients.
[5] L’examen de la jurisprudence nous indique la démarche à suivre pour l’analyse de ces critères.
[6] L’apparence de droit peut être assimilée à l’identification d’une question sérieuse à juger. Cet examen de l’apparence de droit ou de la question sérieuse à juger doit se limiter à une évaluation préliminaire et provisoire, prenant soin de ne pas disposer, à ce stade-ci, du fond du litige.
[7] S’il y a absence ou inexistence d’une apparence de droit, l’injonction demandée doit être rejetée.
[8] S’il y a une apparence de droit clair, l’existence du moindre préjudice sérieux ou irréparable, c’est-à-dire qui n’est pas compensable autrement, fera en sorte que l’injonction sollicitée sera prononcée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la balance des inconvénients.
[9] Si l’apparence de droit est douteux, l’on apportera une attention particulière à l’analyse du préjudice sérieux ou irréparable et on évaluera le critère de la balance des inconvénients.
[10] Le litige qui oppose la demanderesse et la défenderesse repose sur les droits et obligations qui résultent d’une transaction intervenue le 6 juin 2003.
[11] Malgré les représentations très élaborées des procureurs de l’une et l’autre des parties, on ne peut, à ce stade-ci, disposer du fond du litige; l’on doit s’en tenir à une analyse visant strictement à déterminer s’il existe ou non en faveur de la demanderesse un droit à l’émission d’une injonction provisoire.
[12] C’est donc à l’examen des pièces constituant cette transaction, soit les pièces P-3 et P-4 que l’on doit ici évaluer la situation.
La pièce P-3
[13] Le 6 juin 2003, Les Placements Gilles Jean inc. vend à 2158-3331 Québec inc., l’immeuble suivant aux termes d’un contrat sous seing privé :
«Un bâtiment commercial portant l’adresse civique 155-3 Place du Quai, dans la ville de Percé, comportant un rez-de-chaussée et un sous-sol de même que deux terrasses extérieures, abritant un restaurant exploité sous la nom de «La Maison du Pêcheur» et un bistro café-terrasse exploité sous le nom de «Café de l’Atlantique», lesquels commerces sont exploités par l’acheteur. La présente vente ne comprend pas les équipements et améliorations locatives qui sont déjà la propriété de l’acheteur.»
[14] Ce bâtiment est situé sur un immeuble composé de parcelles de terrain décrites à l’acte de vente et à l’égard de certaines d’entre elles :
«Le vendeur s’oblige de parfaire ses titres et à en fournir des copies à l’acheteur et à requérir, s’il y a lieu la participation de l’acheteur aux actes requis pour régulariser la situation. En guise de complément d’informations, le vendeur remet ce jour à l’acheteur copie d’une description technique et d’un plan d’arpentage préparés par Pierrot Joncas, a.g. en date du 13 octobre 1999 sous le numéro 3574 de ses minutes démontrant la situation actuelle des lieux.»
[15] L’acheteur s’oblige à :
«Prendre l’immeuble dans l’état où il se trouve actuellement, l’acheteur déclarant en avoir été en possession en qualité de locataire préalablement à l’exécution des présentes. Le présent engagement de l’acheteur n’a pas pour effet cependant de dispenser le vendeur de régulariser la situation des lieux tel que mentionné ci-dessus et ci-après de même que dans l’acte constatant la création d’un droit de superficie entre les mêmes parties sur l’aire concédée qui y est décrite, lequel acte a été signé entre les parties ce jour.»
[16] L’acte précise que «cette vente est faite avec la garantie légale».
[17] On y prévoit également que :
«L’acheteur deviendra propriétaire de l’immeuble suivant les termes de l’article 1745 du Code Civil du Québec[1]; cependant, il aura la possession et l’occupation immédiates. Nonobstant les dispositions ci-dessous mentionnés (sic), les parties conviennent que la vente aura un effet rétroactif à la date des présentes lorsque l’acheteur effectuera le dernier paiement et qu’il en sera devenu propriétaire.»
[18] Et que :
«Le vendeur s’oblige expressément par les présentes à signer, à la demande de l’acheteur, un acte de cession du bâtiment avec toutes les clauses usuelles de servitude de passage, de vue et de tour d’échelle lorsque le prix de vente aura été complètement acquitté de sorte que le titre de l’acheteur puisse être valablement publié dans les registres fonciers.»
[19] Enfin,
«L’acheteur sera en défaut si lui ou tout propriétaire subséquent de l’immeuble vendu :
…
b) ne paie pas, à leur échéance respective, chacun des versements de capital ou d’intérêt dus aux termes des présentes;»
[20] Telles sont les conditions essentielles de l’acte de vente du bâtiment commercial intervenu le 6 juin 2003.
La pièce P-4
[21] La pièce P-4 est aussi un contrat sous seing privé intervenu entre les mêmes parties, le même jour, dont l’objet et la durée sont décrits ainsi :
«Le tréfoncier (Les Placements Gilles Jean inc.) accorde au superficiaire (2158-3331 Québec inc.) un droit de superficie lui permettant de maintenir le bâtiment commercial qui y est érigé, d’y apporter toutes les améliorations ou ajouts requis et permis par la réglementation, et de l’administrer dans l’aire concédée.
En conséquence, le tréfoncier renonce au bénéfice de l’accession et le superficiaire sera entièrement propriétaire des constructions et des aménagements faits ou qui seront faits dans l’aire concédée.»
…
«Le droit de superficie présentement concédé est établi à titre perpétuel, et le superficiaire pourra en tout temps se départir de la propriété de l’aire concédée et du bâtiment commercial qui lui appartient en propre, sous la réserve prévue au paragraphe 4 de la rubrique «Obligations du superficiaire». Nonobstant ce qui est mentionné ci-dessus, le droit de superficie ne deviendra à titre perpétuel que lorsque le paiement final aura été dûment fait pour l’acquisition du bâtiment qui y est dessus érigé puisque le titre de propriété définitif du superficiaire sur le bâtiment est une condition essentielle à la validité dudit droit de superficie.»
[22] Étant donné les difficultés rencontrées et leur mésentente, la demanderesse a déposé en fiducie auprès de Me Ronald Soucy, notaire, les montants dus aux termes de l’acte de vente (pièce P-3) pour les années 2012 et 2013, soit 40 000 $ et 30 000 $.
[23] La demanderesse a aussi institué, le 6 juin 2013, une action en passation de titres et en dommages et intérêts que conteste la défenderesse par une défense et demande reconventionnelle.
[24] S’apprêtant à ouvrir les deux établissements pour le début de la nouvelle saison touristique, la défenderesse signifie le 8 mai 2014 à la demanderesse, une mise en demeure dans laquelle elle l’informe que :
«Pourtant, des représentants de «PGJ» ont remarqué dernièrement des activités à l’intérieur de son bâtiment qui lui font croire que «2158» entend poursuivre l’exploitation commerciale de son entreprise dans le bâtiment de «PGJ» au cours de la saison touristique 2014 qui s’amorce bientôt. Cette situation illégale doit cesser immédiatement. La tolérance démontrée jusqu’à maintenant par «PGJ» cesse immédiatement. Vous devez donc remettre, sans délai, à «PGJ» toutes les clés qui sont en votre possession et qui vous permettent d’accéder à son bâtiment.
De plus, afin de se prémunir contre toute violation de son droit de propriété, «PGJ» fait procéder, au moment où les présentes vous sont signifiées, au changement de toutes les serrures de toutes les portes donnant accès à son bâtiment, L’accès au bâtiment de «PGJ» vous est donc formellement interdit à compter de maintenant. Toute tentative de contrevenir à la présente interdiction sera traitée comme une tentative d’introduction illégale dans le bâtiment de «PGJ» et une violation de son droit de propriété, cela constituerait aussi une atteinte illicite aux droits de «PGJ» à la libre jouissance de ses biens.
Quant aux biens que «2158» a volontairement consenti à placer dans le bâtiment de «PGJ», cette dernière entend exercer le droit de rétention que lui reconnaît l’article 1592 du Code civil du Québec. Ces biens devront demeurer sur les lieux tant que la créance qu’elle fait valoir contre «2158» dans l’instance portant le numéro 110-17-000625-138 de la Cour supérieure, du district de Gaspé, n’aura pas été entièrement payée. Un inventaire de ces biens est actuellement dressé par un huissier de justice, tant pour votre protection que celle du «PGJ». Une copie de cet inventaire vous sera remise.»
[25] Nous sommes en présence d’un cas typique où l’une et l’autre des parties tentent de se faire justice elles-mêmes. Ce litige, qui soulève des questions sérieuses de droit, est clairement exposé dans la requête introductive d’instance ainsi que dans la défense et demande reconventionnelle.
[26] Il ne saurait être question à ce stade-ci de disposer du fond du litige. Mais, qu’en est-il de l’apparence de droit?
[27] Celle-ci ne peut être examinée, à ce moment-ci, qu’à la lumière des pièces P-3 et P-4.
[28] Il appert plus particulièrement de la pièce P-3 que la défenderesse a effectivement vendu à la demanderesse le bâtiment dans lequel celle-ci exploitait depuis plusieurs années deux commerces de restauration, soit «La Maison du Pêcheur» et «Le Café de l’Atlantique».
[29] Cette entente est toujours valide et tout litige quant à son interprétation ou son application doit être résolu à la suite d’une convention entre les parties ou d’un jugement prononcé par un tribunal validement saisi de la question.
[30] Étant donné le contrat de vente du bâtiment (pièce P-3) et le contrat accordant un droit de superficie (pièce P-4), l’apparence de droit milite manifestement en faveur de la demanderesse qui a acquis, aux termes de l’acte de vente P-3, l’immeuble concerné, malgré qu’il soit prévu à cet acte qu’elle en deviendra propriétaire «suivant les termes de l’article 1745 du Code civil du Québec.»
[31] C’est d’ailleurs cette question qui est l’objet du litige dont sera éventuellement saisi le Tribunal.
[32] Par ailleurs, il apparaît évident que la demanderesse subirait un préjudice sérieux si elle était empêchée d’exploiter ses deux commerces de restauration pendant la période estivale, la période au cours de laquelle les touristes visitent la région de Percé.
[33] Même la balance des inconvénients joue ainsi en faveur de la demanderesse.
[34] Enfin, l’urgence ne fait pas de doute. En effet, il est de connaissance judiciaire que la saison estivale est grandement propice aux activités touristiques dans la région de la Gaspésie et plus particulièrement dans la localité de Percé. En période estivale, les jours sont comptés et les activités de restauration doivent être au rendez-vous lorsque les touristes se présentent.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[35] ACCUEILLE la requête en injonction au stade provisoire;
[36] PRONONCE une ordonnance de sauvegarde pour valoir jusqu’au jugement sur la requête en injonction interlocutoire, à savoir :
[37] ORDONNE à titre d’ordonnance de sauvegarde à la défenderesse et à toute personne agissant pour elle ou informée de la présente ordonnance de sauvegarde, de quitter et/ou cesser l’occupation des commerces désignés comme étant La Maison du Pêcheur et Café de l’Atlantique situés au 155, Route 132, à Percé, de donner accès à la demanderesse auxdits commerces, de replacer les anciennes serrures sur chacune des portes donnant accès auxdits commerces, de replacer les anciens codes de sécurité, de cesser tout autre obstacle restreignant l’occupation desdits commerces à la demanderesse et de remettre les lieux dans leur état antérieur, et ce, dans un délai de vingt-quatre (24) heures de la signification de la présente ordonnance ;
[38] PERMET à la demanderesse de signifier à la défenderesse la présente ordonnance de sauvegarde en dehors des heures légales et les jours non juridiques;
[39] PERMET à la demanderesse de signifier à la défenderesse la présente ordonnance de sauvegarde en laissant copie dans la boîte aux lettres ou sous l’huis de la porte à la résidence de la défenderesse;
[40] DISPENSE la demanderesse de fournir caution;
[41] DÉCLARE exécutoire, nonobstant appel, la présente ordonnance de sauvegarde;
[42] LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ BERNARD GODBOUT, j.c.s. |
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Me Damien Saint-Onge |
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Saint-Onge & Assels Avocats |
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100A, boulevard Gérard D. Lévesque, New-Carlisle (Québec) G0C 1Z0 |
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Pour la demanderesse |
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Me Robert Cardinal |
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Cardinal, avocats (casier 8) |
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Pour la défenderesse |
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Date d’audience : |
9 mai 2014 |
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[1] 1745 C.c.Q. : La vente à tempérament est une vente à terme par laquelle le vendeur se réserve la propriété du bien jusqu'au paiement total du prix de vente.
La réserve de propriété d'un véhicule routier ou d'un autre bien meuble déterminés par règlement, de même que celle de tout bien meuble acquis pour le service ou l'exploitation d'une entreprise, n'est opposable aux tiers que si elle est publiée; cette opposabilité est acquise à compter de la vente si la réserve est publiée dans les 15 jours. La cession d'une telle réserve n'est également opposable aux tiers que si elle est publiée.
AVIS :
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