Décision

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99011617 COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL

No:
500-09-006707-988
(540-06-000001-976)

Le 30 septembre 1999


CORAM: LES HONORABLES VALLERAND
ROBERT, JJ.C.A.
DENIS, J.C.A.(ad hoc)






YOLANDE HOTTE,

APPELANTE-requérante

c.

SERVIER CANADA INC.,

INTIMÉE, intimée

et

ARKADY IDLIN,

ASSOCIATION COOPÉRATIVE D'ÉCONOMIE FAMILIALE DU CENTRE DE MONTRÉAL (ACEF-CENTRE),

DENISE GAGNÉ-LADOUCEUR,

PERSONNES INTÉRESSÉES,
           personnes intéressées

et

FONDS D'AIDE AUX RECOURS COLLECTIFS,

INTERVENANT





               LA COUR , statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement de la Cour supérieure, district de Laval, rendu le 13 mai 1998 par l'honorable Ginette Piché qui a rejeté la requête en jugement déclaratoire de l'appelante;

          Après étude du dossier, audition et délibéré;

          POUR LES MOTIFS énoncés à l'opinion du juge Denis, jointe au présent arrêt, auxquels souscrivent les juges Vallerand et Robert;

          ACCUEILLE l'appel sans frais;

          INFIRME le jugement de première instance;

          REÇOIT l'intervention de l'intervenant;

          DÉCLARE exception de litispendance quant aux dossiers de la Cour supérieure 500-06-000049-979 et 500-06-000050-977;

          ORDONNE la suspension des procédures judiciaires dans ces deux dossiers jusqu'à ce qu'un jugement final intervienne sur la requête en autorisation d'exercer un recours collectif dans le dossier de la Cour supérieure 540-06-000001-976;

          DÉFÈRE le dossier à la juge en chef de la Cour supérieure pour que suite soit donnée à la cause portant numéro 540-06-000001-976.



CLAUDE VALLERAND, J.C.A.




MICHEL ROBERT, J.C.A.




ANDRÉ DENIS, J.C.A. (ad hoc)


Me Hélène Guay
Me Janick Perreault
PERREAULT & GUAY
Avocats de l'appelante

Me Éric Dunberry
OGILVY, RENAULT
Avocats de l'intimé

Me Pierre Sylvestre
UNTERBERG, LABELLE, LEBEAU & MORGAN
SYLVESTRE, CHARBONNEAU, FAFARD
Avocats des personnes intéressées

Me Simon Venne
Avocat de l'intervenant

Date de l'audition: 18 juin 1999
COUR D'APPEL


PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL

No:
500-09-006707-988
(540-06-000001-976)



CORAM: LES HONORABLES VALLERAND
ROBERT, JJ.C.A.
DENIS, J.C.A.(ad hoc)






YOLANDE HOTTE,

APPELANTE-requérante

c.

SERVIER CANADA INC.,

INTIMÉE, intimée

et

ARKADY IDLIN,

ASSOCIATION COOPÉRATIVE D'ÉCONOMIE FAMILIALE DU CENTRE DE MONTRÉAL (ACEF-CENTRE),

DENISE GAGNÉ-LADOUCEUR,

PERSONNES INTÉRESSÉES,
           personnes intéressées

et

FONDS D'AIDE AUX RECOURS COLLECTIFS,

INTERVENANT




OPINION DU JUGE DENIS


          Doit-on rejeter une demande d'autorisation d'exercer un recours collectif pour cause de litispendance lorsque trois requêtes sont présentées à quelques jours d'intervalle?

          Tel est l'objet du présent pourvoi.

Les faits
          Servier Canada Inc. (Servier) a mis en marché un produit amaigrissant connu sous le nom de «Pondéral». Estimant que ce produit lui a causé de graves problèmes de santé, Yolande Hotte (Hotte) dépose le 23 septembre 1997 une requête en autorisation d'exercer un recours collectif. Hotte désire se voir attribuer le statut de représentante pour le groupe suivant:

Toutes les personnes qui, au Québec, ont consommé le produit amaigrissant de marque Pondéral ayant été conçu, développé, fabriqué, distribué, mis en marché ou vendu par l'intimée ou qui ont consommé le tel produit ailleurs qu'au Québec et qui résidaient au Québec au moment du dépôt de la présente requête.(1)



          Le 24 septembre 1997, Arkady Idlin (Idlin) dépose une requête similaire, elle-même suivie le 9 octobre 1997 d'une troisième requête aux mêmes fins présentée par l'ACEF-CENTRE et Denise Gagné-Ladouceur (ACEF).

Les procédures
          Confrontées à cette situation, les parties conviennent avec la juge en chef de la Cour supérieure que l'une d'entre elles présentera une requête pour jugement déclaratoire afin qu'il soit statué sur la litispendance. L'honorable Ginette Piché tranche le litige. Par son jugement du 13 mai 1998, elle rejette la requête au motif qu'il n'y a pas identité de parties. Elle réfère le dossier à la juge en chef afin qu'un juge soit désigné pour entendre les trois requêtes et décide du requérant à qui un statut de représentant doit être accordé.

          Hotte obtient d'un juge de la Cour l'autorisation d'appeler de ce jugement. Le Fonds d'aide aux recours collectifs (Le Fonds) désire intervenir au débat afin de soutenir la conclusion de litispendance de l'appelante Hotte ou subsidiairement, d'obtenir une déclaration à l'effet que le jugement de notre Cour ne préjuge pas de ses obligations eu égard aux demandes d'aide financière reçues et à recevoir dans le cadre de ce recours collectif.

Le droit d'appel
          L'ACEF plaide qu'il ne peut y avoir d'appel du jugement entrepris. L'autorisation obtenue par l'appelante ne saurait conférer à la Cour une compétence qu'elle n'a pas.(2) La Cour a reconnu au moinsà deux reprises que le jugement interlocutoire rendu sur une exception de litispendance peut faire l'objet d'un appel sujet à l'obtention de la permission prévue à l'article 511 C.p.c.(3)

          Le jugement de première instance a toutes les apparences d'un jugement final. Force m'est de conclure à la validité du droit d'appel en l'espèce.

Les dispositions législatives
          L'examen du livre IX du Code de procédure civile portant sur le recours collectif m'amène aux constats suivants:

1.   Deux recours collectifs ayant une même finalité ne peuvent être autorisés.


2.   Aucune disposition de ce livre ne prévoit le cas de demandes d'autorisation concomitantes.


          3.   Sauf disposition incompatible contenue au livre IX, les moyens préliminaires prévus au Code de procédure civile sont applicables en matière de recours collectif: 1010.1 et 1051 C.p.c.

          L'article 1003 C.p.c. prévoit les conditions requises afin qu'un tribunal autorise un recours collectif:

1003. Le tribunal autorise l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que:
          a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;
          b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
          c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67; et que
          d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.



          Le membre qui peut se porter requérant est ainsi défini à l'article 999 alinéa c) C.p.c.:

999.

[...]
          c) «membre» une personne physique faisant partie d'un groupe pour le compte duquel une personne physique exerce ou entend exercer un recours collectif;
[...]




La litispendance
          L'exception de litispendance obéit aux principes applicables à la chose jugée.(4) Pour qu'il y ait litispendance, il doit y avoir identité de parties, d'objet et de cause (2848 C.c.Q.). La litispendance, si elle existe en l'espèce, doit être analysée enfonction des règles particulières au recours collectif. Ce recours se scinde en plusieurs phases dont la première est celle dite d'autorisation d'exercice.

          L'objet véritable des requêtes visées par l'exception de litispendance est l'obtention d'une autorisation d'exercer un recours collectif. L'objet de la demande à ce stade ne porte pas sur l'indemnisation des prétendues victimes. L'objet d'une demande en justice est le «bénéfice juridique immédiat qu'il veut faire reconnaître par le tribunal».(5) Les parties en sont au stade préliminaire du recours collectif. Mon collègue le juge LeBel le décrit avec justesse dans l'arrêt Thompson c. Masson comme suit:

Dans le cas d'un recours collectif, la procédure se décompose en plusieurs temps. La requête en autorisation constitue un mécanisme de filtrage et de vérification et seul un jugement favorable permettra la formation et l'exercice du recours. Avant que ce jugement ne soit rendu, le recours n'existe pas, du moins sur une base collective. À la différence de la plupart des recours judiciaires, dont le déclenchement est laissé à la seule initiative des parties, l'utilisation de sa forme collective exige une étape de vérification et de contrôle par la Cour supérieure, que l'on retrouve au titre II du livre IX du Code de procédure civile (Art. 1002 à 1010.1).

Ce n'est qu'après le jugement d'autorisation que se déclenche le recours. Celui-ci se forme selon les règles ordinaires, sous réserve de certaines modalités particulières prévues par le Code de procédure civile (voir art. 1011 C.P.).(6)



          Il est important pour la solution du litige de retenir que le véritable objet des différentes requêtes est d'obtenir l'autorisation d'exercer un recours collectif. Il y a donc identité d'objet. L'identité de cause apparaît manifeste, les parties en conviennent. Reste à statuer sur l'identité des parties.

          Soit dit avec respect, je ne partage pas le point de vue de la juge de première instance qui conclut à l'absence d'identité de parties.

          Madame la juge Claire L'Heureux-Dubé rappelle que c'est l'identité juridique des parties qui est exigée pour l'application de la présomption de la chose jugée.

Cela ne signifie pas que les parties doivent être physiquement identiques dans les deux cas. C'est l'identité juridique des parties qui est exigée pour l'application de la présomption de chose jugée, comme l'explique Mignault, op. cit., à la p. 110;

Et par identité des personnes, il faut entendre l'identité juridique et non pas l'identité physique. [En italique dans l'original.]

Nadeau et Ducharme, op. cit.
, au n°573, p. 472, insistent sur cette distinction:

Pour la chose jugée, il faut l'identité juridique des parties et non leur simple identité physique. L'une peut exister sans l'autre. Il y a identité juridique chaque fois qu'une personne représente une autre personne ou est représentée par elle. [Références omises.]

(Voir également Langelier, op. cit., à la p. 259; Royer, op. cit., au n° 784, p. 290.)(7)



          À cette étape de la demande d'autorisation, les requérants n'ont pas le statut de représentant du groupe. C'est précisément cette reconnaissance qu'ils recherchent. C'est cependant en leur qualité de membre d'un groupe qu'ils formulent leur requête (1002 et 999 C.p.c.). Cette qualité de «membre d'un groupe» constitue leur véritable identité juridique. Conclure autrement permettrait à chaque membre d'un groupe de présenter sa propre requête sans qu'on puisse lui opposer la litispendance ou la chose jugée pour les requêtes ou les jugements obtenus par les autres membres du groupe. Je conclus donc à l'identité des parties.

          Ayant conclu à la triple identité requise pour faire droit à l'exception de litispendance, y a-t-il lieu en conséquence de rejeter les requêtes déposées postérieurement à celle de Hotte?

          Je n'estime ni approprié, ni prudent à ce stade de le faire. Les critères d'octroi d'autorisation énoncés à l'article 1003 C.p.c. portent à la fois sur des questions de fond et de pure procédure. Le jugement à venir pourrait, à titre d'exemple, rejeter une requête parce que le tribunal estimerait que le requérant n'est pas en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres. Ce faisant, le jugement trancherait un aspect procédural sans se prononcer sur le fond des autres aspects de la requête. En pareille circonstance, personne ne soutiendrait alors qu'il y aurait chose jugée empêchantun autre membre mieux qualifié de présenter une même requête aux mêmes fins.

          La Cour a reconnu qu'il n'y a pas chose jugée à l'encontre d'un jugement qui rejette une action pour des motifs procéduraux sans se prononcer sur le fond du litige.(8) En l'espèce, le fond du litige à l'occasion d'une demande d'autorisation porte plutôt sur les trois premières conditions énumérées à l'article 1003 C.p.c. Même à l'égard de ces dispositions, la prudence est de mise. Il est impossible de connaître avec exactitude la teneur du jugement à venir et le cadre juridique du recours collectif qui sera décrit par le juge saisi de l'affaire. Il y a donc lieu, en cas de doute, de retenir l'enseignement de monsieur le juge Gonthier dans l'arrêt
Rocois:

Cela dit, je crois qu'un dernier commentaire s'impose avant de conclure mes motifs. Bien que les critères applicables à la chose jugée régissent également la litispendance, il convient de garder à l'esprit que le fondement de l'analyse est essentiellement différent en cette dernière matière. Lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a chose jugée, le tribunal saisi a à sa disposition un jugement dont il peut évaluer les termes et la portée, ce qui lui permet de cerner de manière précise l'autorité relative de chose jugée qui devrait lui être reconnue. En matière de litispendance, les seuls guides dont dispose le tribunal sont les actes de procédure soumis dans les deux instances. Il en résulte que la détermination de la cause repose sur des allégations que l'on doit tenir pour avérées aux fins de l'analyse. La qualification juridique donnée aux faits à ce stade préliminaire relève en conséquence du domaine de l'hypothèse et pour cette raison, il s'agit d'un exercice délicat commandant une grande prudence. Car le rejet erroné d'une action pour cause delitispendance entraîne la négation définitive des droits d'un justiciable, sans examen de l'affaire au mérite. Les graves conséquences qui en découlent exigent de conclure en cas de doute au rejet de ce moyen préliminaire, laissant au défendeur la possibilité de soulever le moyen relatif à la chose jugée par la suite. En l'espèce, je n'ai aucun doute sur la présence des trois identités.(9)



          Il m'apparaît approprié, dans les circonstances, de suspendre les requêtes de Idlin et de l'ACEF jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête de Hotte laissant par la suite aux parties la possibilité de soulever la présomption de la chose jugée à l'encontre de ces deux requêtes, s'il y a lieu.

          La solution retenue par la juge de première instance conduit à un résultat inadéquat. Elle oblige les parties à faire un débat coûteux afin de déterminer le requérant le mieux qualifié et ce, à l'aide de critères que la loi ne prévoit pas. Il faut se rappeler qu'en pareille matière, il ne s'agit pas de choisir le représentant idéal comme notre Cour a eu l'occasion de le préciser à maintes reprises et notamment dans l'affaire
Greene c. Vacances Air Transat:

Il est sans doute souhaitable que le meilleur des membres se voit conférer le statut de représentant. Toutefois, la perfection n'étant pas de ce monde, notre cour a choisi de ne pas sacrifier la représentation adéquate à l'élitisme afin de favoriser l'exercice du recours collectif. D'ailleurs, les affaires Guilbert c. Vacances sans Frontière ltée, Château c. Placements Germarich inc. et Lasalle c. Kaplan illustrent cette tendance denotre cour à privilégier une approche libérale dans le choix du représentant.(10)



          La Cour supérieure aurait dû conclure à une apparence de litispendance et utiliser sa compétence inhérente pour ordonner la suspension des dossiers d'Idlin et de l'ACEF. La Cour a reconnu le pouvoir des tribunaux de première instance de contrôler leurs dossiers en confirmant la décision prise de ne pas porter au rôle une cause faisant l'objet d'un recours basé sur les mêmes faits.(11) Nous avons appliqué une décision similaire dans l'arrêt Bello c. David(12).

L'intervenante
          Il n'apparaît pas opportun de se prononcer sur la demande subsidiaire du Fonds. Les requêtes d'Idlin et de l'ACEF étant suspendues, les demandes financières des différents requérants devront nécessairement attendre le sort qui sera réservé à la requête de Hotte. La question de l'aide financière empruntera, selon toute probabilité, le même chemin. Il ne m'apparaît pas que le présent dossier permette, pour l'heure, de faire un débat sur les pouvoirs et devoirs de l'intervenante.

          Je propose donc de faire droit à l'appel, d'infirmer le jugement de première instance, de recevoir l'intervention etd'ordonner la suspension des procédures judiciaires dans les dossiers de la Cour supérieure 500-06-000049-979 et 500-06-000050-977 jusqu'à ce qu'un jugement final intervienne sur la requête pour autorisation d'exercer un recours collectif dans le dossier 540-06-000001-976. Le tout sans frais compte tenu du fait que toutes les parties (à l'exception bien sûr de Servier) recherchent le même intérêt.




ANDRÉ DENIS, J.C.A. (ad hoc)

1.     M.A., onglet 2, p. 1
2.          Thompson c. Masson, [1993] R.J.Q. 69 , 71
3.          Burnac Leaseholds Limited c. Greymac Properties Inc. [1984] R.D.J. 586 (C.A.); Dominion Ready Mix Inc. c. Rocois Construction Inc., [1986] R.D.J. 45 (C.A.)
4.          Rocois Construction c. Québec Ready Mix, [1990] 2 R.C.S. 440 , 448
5.          Id., p. 451
6.          Thompson c. Masson, précité, note 2, 72
7.          Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374 , 410, 411
8.          Renaud c. Michielli, [1986] R.D.J. 316 (C.A.); Begama c. Banque fédérale de développement, [1987] R.D.J. 617
9.          Rocois Construction c. Québec Ready Mix, précité, note 4, 465
10.           [1995] R.J.Q. 2335 , 2338
11.          Boudreau c. Grenier, [1996] R.D.J. 242 (C.A.)
12.           [1990] R.D.J. 521

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