Mekacher c. Mroczek | 2025 QCTAL 9353 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT |
Bureau dE Longueuil |
|
No dossier : | 845243 37 20250122 G | No demande : | 4594209 |
| |
Date : | 18 mars 2025 |
Devant la juge administrative : | Anne Mailfait |
|
Hakima Mekacher | |
Locatrice - Partie demanderesse |
c. |
Catherine Mroczek | |
Locataire - Partie défenderesse |
|
D É C I S I O N
|
| | | | | | |
- La locatrice demande l’autorisation pour reprendre le logement à compter du 1er juillet 2025 afin de s’y loger. Un avis de reprise a été transmis en ce sens le 19 décembre 2024 et la locataire a refusé de quitter par avis daté du 8 janvier 2025, d’où la présente demande déposée le 22 janvier 2025.
- Les parties sont liées par bail du 1er juillet 2024 au 30 juin 2025 au loyer mensuel de 1 350 $. Il s’agit d’un 6 ½ pièces, situé au rez-de-chaussée avec garage double et jardin, d’un duplex dont la locatrice a fait l’acquisition en décembre 2024.
- Le 5 ½ est occupé par la locatrice depuis le 28 décembre 2024 et un 2 ½ au sous-sol est loué 790 $.
- Elle a vendu sa maison pour acheter ce triplex et elle ne possède aucun autre immeuble ou condo.
- La locatrice explique qu’elle a trois (3) enfants et une amie de sa fille qui vit avec elle. Elle-même dort au salon. Sa fille a divorcé et suite à la mort de son père, elle voulait acheter un triplex. Peut-être que sa fille restera au 5 ½ mais elle n’en est peut-être pas sûre et elle va le louer après des rénovations. Elle a 26 ans et elle est infirmière. Le fils de la locatrice a 19 ans et son autre fille de 15 ans.
- Le Tribunal comprend que la locatrice n’a aucune intention d’agrandir le 5 ½ qu’elle occupe actuellement avec ses enfants, et c’est aussi ce qu’elle confirme en audience.
- Le 19 décembre 2024, lors de la remise de l’avis de reprise, elle texte à la locataire ceci :
« Bonsoir, par ce courriel, je clarifie la réponse à ta question par rapport à l’éventualité que ma fille occupera le longuement, présentement, on occupera tous le logement 2496 le 1er juillet ont descendra En bas je vous contacte aujourd’hui afin d’éviter toutes situations d’ambiguïté car ce n’est pas encore décidé soit il va être occupé par ma fille ou je vais le louer » (sic) (L-1).
(Le Tribunal souligne)
- Les deux logements du duplex ont la même superficie, le 6 ½ bénéficie d’un accès au sous-sol où il y a une salle familiale.
- La mensualité hypothécaire de la locatrice s’élève à 4 000 $ et le Tribunal la questionne sur le fait qu’elle ne bénéficiera plus du revenu mensuel de 1 350 $. Elle ne mentionne pas que sa fille ou son fils l’aideront à payer.
- Le Tribunal note que si sa fille reprend le logement actuel de la locatrice, cette dernière n’a aucun motif pour reprendre un logement avec une pièce additionnelle puisque les trois (3) chambres seront occupées par elle, son fils de 19 ans et sa fille de 15 ans.
- Par contre, si sa fille habite dans le 6 ½, ce mouvement est rationnel en plus de se justifier par l’ajout d’un garage et du jardin.
- La locataire prétend que la date du bail est erronée ce qui invaliderait l’avis de reprise. Cette prétention est rejetée séance tenante puisqu’il s’agit d’un débat visant une modification de bail survenue en 2023 avec la locatrice précédente et parce que les preuves présentées par la locataire relèvent du ouï-dire.
- Elle soulève également être possiblement en transit puisqu’il est possible qu’elle ait à déménager à Québec d’ici huit (8) mois pour des raisons professionnelles.
ANALYSE
- Le Tribunal doit être convaincu, par la demanderesse, que son intention d’habiter le logement est réelle et ferme et qu’elle ne poursuit pas, ce faisant, une finalité illicite ou autre que celle prétendue.
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre ou en évincer le locataire, avec l’autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu’il entend réellement reprendre le logement ou en évincer le locataire pour la fin mentionnée dans l’avis et qu’il ne s’agit pas d’un prétexte pour atteindre d’autres fins et, lorsqu’il s’agit d’une éviction, que la loi permet de subdiviser le logement, de l’agrandir ou d’en changer l’affectation. »
- Dans Provost c. Gillespie[1], la juge Isabelle Gauthier mentionne :
[49] Tel que le souligne le juge De Michele de la Cour du Québec, dans l'affaire Goudreault c. Bassel[9] :
« [22] En matière de reprise de possession de logement, la cour doit baser sa décision sur une prépondérance de preuve. Cette prépondérance de preuve ne doit laisser aucun doute dans l'esprit du Tribunal quant aux intentions réelles du locateur/demandeur. »
(Notre soulignement)
[…]
[51] Quant à la notion de bonne foi requise pour l’exercice du droit à la reprise d’un logement, le Tribunal écrit dans l'affaire Simard-Godin c. Gibeault[11] :
« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement : cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »
- Dans un arrêt récent, la Cour du Québec précise[2]:
[36] Comme le rappelle le juge Steve Guénard, C.Q., dans sa décision rendue le 19 avril 2022 dans l’affaire Aly c. Gagnon :[18]
« [22] Dans le cadre d’un tel recours, il revient au locateur de démontrer, par l’entremise d’une preuve convaincante, sa bonne foi. Le locateur doit établir que la reprise du logement est véritablement effectuée pour le motif allégué.
[23] Ledit motif ne doit pas s’agir d’un prétexte visant à camoufler l’objectif véritable, oblique, soit celui d’évincer un locataire.
[24] Une série de critères peuvent être employés afin de conclure, ou non, à la bonne foi du locateur et à la véracité du projet qu’il propose. La durabilité, la stabilité et la faisabilité du projet pourront ainsi être évaluées à la lumière de l’ensemble des circonstances.
[25] L’avocat de Mme Aly rappelle, cependant, que cette durabilité du projet n’a pas à être absolue dans le temps, le législateur ayant lui-même prévu la possibilité que le plan se module, assujettissant – cependant - ce changement de cap à l’autorisation préalable du Tribunal.
[26] En effet, l’article 1970 CCQ énonce qu’un logement qui a fait l’objet d’une reprise ou d’une éviction ne peut être loué ou utilisé pour une fin autre que celle pour laquelle le droit a été exercé, sans que le tribunal l’autorise. »
(Sic) (Soulignements ajoutés)
- Le Tribunal est d’avis que la locatrice est de bonne foi. Elle doit composer seule avec trois (3) enfants et elle ne possède pas d’autre immeuble, le Tribunal est convaincu qu’elle habitera le logement.
- Cependant, le Tribunal émet des conditions justes et raisonnables en vertu de l’article 1967 du Code civil du Québec dans la perspective d’équilibrer les droits en présence, dont ceux de la locataire.
« 1967. Lorsque le tribunal autorise la reprise ou l'éviction, il peut imposer les conditions qu'il estime justes et raisonnables, y compris, en cas de reprise, le paiement au locataire d'une indemnité équivalente aux frais de déménagement. »
- Sans accorder une année complète qui équivaudrait au rejet de la demande en cours, le Tribunal fixe la date de la reprise au 25 décembre 2025, la locataire pouvant quitter avant cette date en tout temps sans pénalité.
- Concernant l’indemnité due, le Tribunal accorde 3 500 $ pour les frais de déménagement et de réabonnement.
- La locatrice est autorisée à présenter l’avis d’augmentation hors du délai légal, considérant la date de réception de la présente décision.
- À titre d’information, il convient d’ajouter que l’article 1968 C.c.Q. prévoit un recours en faveur du locataire en recouvrement de dommages-intérêts et même de dommages punitifs si la reprise de logement est obtenue de mauvaise foi. De plus, l’article 1970 C.c.Q., précise qu’un logement qui fait l’objet d’une reprise ne peut, sans l’autorisation du Tribunal administratif du logement, être reloué ou utilisé pour une autre fin que pour celle pour laquelle le droit a été exercé.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- ACCUEILLE la demande de la locatrice qui en supporte les frais judiciaires;
- AUTORISE la locatrice à reprendre possession du logement concerné afin de s’y loger à compter du 25 décembre 2025 au plus tard;
- ORDONNE au locataire et à tout occupant du logement de quitter les lieux loués le 25 décembre 2025, la locataire pouvant quitter avant cette date en tout temps sans pénalité;
- CONDAMNE la locatrice à payer à la locataire la somme de 3 500 $ à titre d’indemnité, par chèque certifié 15 jours avant le déménagement.
| | |
| Anne Mailfait |
|
Présence(s) : | la locatrice la locataire |
Date de l’audience : | 7 mars 2025 |
|
|
| | | |